M. le président. « Art. 4. - I. - Le deuxième alinéa de l'article 18-2 de la même loi est ainsi rédigé :
« Le vendeur ou l'acquéreur de ce droit ne peuvent s'oppposer à la diffusion, par d'autres services de communication audiovisuelle, de brefs extraits prélevés à titre gratuit parmi les images du ou des services cessionnaires et librement choisis par le service non cessionnaire du droit d'exploitation qui les diffuse. »
« II. - L'article 18-4 de la même loi est ainsi rédigé :
« Art. 18-4. - L'accès des journalistes et des personnels des entreprises d'information écrite ou audiovisuelle aux enceintes sportives est libre sous réserve des contraintes directement liées à la sécurité du public et des sportifs, et aux capacités d'accueil.
« Toutefois, sauf autorisation de l'organisateur, les services de communication audiovisuelle non cessionnaires du droit d'exploitation ne peuvent capter que les images distinctes de celles de la manifestation ou de la compétition sportive proprement dites.
« Les fédérations sportives ayant reçu, en vertu de l'article 17, délégation pour organiser les compétitions visées par cet article peuvent, dans le respect du droit à l'information, proposer un règlement approuvé par le ministre chargé des sports après avis du Conseil supérieur de l'audiovisuel, et publié conformément à l'article 17-1. Ce règlement définit les contraintes propres à la discipline considérée et au type de manifestation ou de compétition, ainsi que les lieux mis à disposition des personnes mentionnées au premier alinéa. »
Sur l'article, la parole est à M. Cluzel.
M. Jean Cluzel. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, afin de traiter de la question des droits d'exploitation audiovisuels sur les manifestations sportives, on doit analyser deux logiques qui s'opposent.
Dans la logique du droit à l'information, une manifestation sportive est un événement. En tant que tel, celui-ci appartient à l'actualité et il doit en être rendu compte au bénéfice de tous les publics.
La logique du droit commercial est différente. De ce point de vue, une manifestation sportive suppose un investissement financier quelquefois très important ; il n'est pas question ici des 60 milliards de francs dépensés à Nagano. C'est pourquoi il est légitime de permettre la rentabilité de telles manifestations et, par conséquent, d'assurer à leurs organisateurs l'ensemble des droits commerciaux.
J'ai longtemps hésité entre ces deux logiques pour, finalement, me rallier à la seconde. Il m'est apparu, en effet, qu'une manifestation sportive de haut niveau relevait essentiellement, dans le monde actuel médiatisé, du droit commercial.
En revanche, il faut tenir compte du risque d'abus de position dominante et appliquer le droit de la concurrence.
Où en sommes-nous ?
D'un côté, l'Assemblée nationale organise une sorte de « monopole des images », tout en l'encadrant par la réaffirmation du droit de citation.
De l'autre, la commission des affaires culturelles du Sénat dénonce ce monopole. Celui-ci lui paraît d'autant plus contestable qu'il ne pourrait plus être tempéré par la possibilité, pour les services audiovisuels non cessionnaires des droits de retransmission, de prendre leurs propres images. Sur ce point, nous sommes d'accord avec M. Gouteyron.
Il me semble, quant à moi, que le débat se situe dans un tout autre contexte : le sport est, qu'on le veuille ou non, devenu un spectacle, et l'on compte jusqu'à 1,5 milliard d'êtres humains qui regardent certains spectacles sportifs.
C'est un spectacle qui, pour certaines disciplines, est international et mobilise de plus en plus de moyens financiers. Par conséquent, nous devons en tirer les conséquences et avoir une vue globale du problème.
Il paraît donc aussi peu réaliste d'organiser un droit de citation sans véritable sanction que de s'en remettre à des principes généraux prévoyant un droit général à l'information, au risque de créer une incertitude juridique qui pourrait nuire à l'organisation de certaines manifestations.
La diffusion des événements sportifs et l'accès de tous aux informations sportives doivent pouvoir être organisés et protégés. Mais on ne peut réellement les assurer en raison du coût financier comme du caractère international de certaines manifestations, même si elles se tiennent sur le territoire national. Il faut donc leur appliquer le droit de la concurrence, car lui seul peut mettre fin aux abus de position dominante et prévoir, si nécessaire, des sanctions véritablement efficaces.
Tout en comprenant parfaitement les motifs qui justifient la position de la commission des affaires culturelles, je m'en remets néanmoins au texte de l'Assemblée nationale, que je voterai.
Toutefois, je souhaite qu'au cours d'une refonte globale de la législation, que notre rapporteur appelle également de ses voeux et qui interviendra, nous a-t-on dit, d'ici à la fin de l'année, nous puissions traiter le problème à son véritable niveau. En effet, dans cette affaire comme dans beaucoup d'autres, les pays de l'Union européenne ne doivent pas agir en ordre dispersé. Face à des fédérations sportives internationales, il faut, dans l'impossibilité d'imposer une réglementation internationale, à tout le moins adopter une réglementation européenne.
M. le président. Par amendement n° 6, M. Lesein, au nom de la commission, propose de supprimer l'article 4.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Adrien Gouteyron, rapporteur. L'article 4 constitue un sujet de débat très important, voire essentiel.
La commission s'est située sur le terrain des principes. L'intervention de notre collègue Jean Cluzel, qui mérite comme toujours beaucoup d'attention, le révèle bien. Celui-ci a bien distingué, en effet, ce qui ressortit au principe et ce qui relève de la réalité ou des nécessités qu'elle entraîne.
Je souhaite faire remarquer que les deux positions, parce qu'elles ne se situent pas sur le même terrain, ne sont pas forcément contradictoires. Je souhaite également indiquer que, s'il est vrai que le sport est devenu un spectacle - peut-être l'est-il depuis longtemps, d'ailleurs -...
M. Marcel Charmant. Cela n'a rien de péjoratif !
M. Adrien Gouteyron, rapporteur. Effectivement, à condition que l'on évite certains excès ! Nous sommes tous d'accord sur ce point, me semble-t-il.
M. Marcel Charmant. Il y a toujours eu des spectateurs !
M. Adrien Gouteyron, rapporteur. Par conséquent, si le sport est un spectacle, c'est peut-être une raison de plus pour affirmer avec force certains des principes auxquels nous devons rester fidèles.
L'adoption de cet article 4 créerait, au profit du cessionnaire du droit d'exploitation, un monopole qui, à terme, priverait de tout effet l'ensemble des mesures qui ont été prises en 1992, afin d'assurer le droit à l'information.
Pourquoi le Gouvernement propose-t-il cet article ? Mme la ministre nous a donné ses raisons. Nous savons aussi, pourquoi ne pas le dire, qu'un certain nombre de pressions s'exercent.
M. Marcel Charmant. Bien sûr !
M. Adrien Gouteyron, rapporteur. Le Sénat considère que, face à ces pressions, les principes peuvent être affirmés avec force.
En outre, les nouveaux pouvoirs confiés aux fédérations ne paraissent pas aller dans le sens d'un assainissement des rapports entre le sport et la télévision. Etes-vous certaine, madame la ministre, qu'en acceptant de payer un prix aussi lourd vous obtiendrez la contrepartie désirée ? On peut en douter !
Nous devons véritablement ne pas encourager ces groupes de pression à penser que, s'ils sont suffisamment tenaces, les pouvoirs publics sont prêts à céder.
C'est la raison pour laquelle nous proposons de supprimer l'article 4 et de maintenir le texte qui a été adopté en 1992. Ce texte, qui avait fait l'objet de nombreuses discussions, d'arbitrages très complexes, il faut le dire, me paraît équilibré.
Madame la ministre, il faudra sans doute remettre à plat l'ensemble du dispositif. Tout à l'heure, vous avez fait allusion à la loi sur le sport. Une loi sur l'audiovisuel devrait également intervenir. Ces deux textes constitueront de bonnes occasions - du moins nous l'espérons - de reprendre ce dossier important.
En conclusion, je souhaite que nos compatriotes soient persuadés que c'est aussi à eux que nous pensons en votant des textes.
Il convient de tenir compte du droit des télespectateurs. Il s'agit non pas d'événements politiques, mais d'événements sportifs, sur lesquels les citoyens ont un droit d'information.
La loi de 1992 permettait d'assurer, de manière équilibrée, le respect à la fois des droits du cessionnaire et des droits du public. C'est la raison pour laquelle je me permets d'insister sur l'importance de la position prise par la commission sur cet article 4.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Marie-George Buffet, ministre de la jeunesse et des sports. Le sport est avant tout une pratique individuelle et collective. Il est aussi un spectacle, au sens noble du terme. Assister à la pratique du sport, à de grands événements sportifs est un plaisir individuel et collectif ! On l'a encore vécu cette dernière quinzaine, même si le mauvais temps nous a parfois empêchés de voir certaines compétitions.
En revanche, il ne faut pas que des pressions exercées par des sponsors transforment le sport en spectacle. Lorsque des contrats médiatiques conduisent à modifier les règles de telle ou telle pratique sportive, à multiplier les compétitions, à diminuer les jours de repos dans certaines compétitions, le sport devient alors un spectacle au détriment des sportifs et de la qualité du spectacle. On l'a constaté, hélas ! ces dernières années, en ce qui concerne le sport de glace. Heureusement que les jeux Olympiques de Nagano nous ont réconciliés avec la beauté de ce sport !
La loi de 1992, notamment ses articles 18-2 et 18-4, ne permettait pas de régler la cohabitation entre la cession, par une fédération sportive, des droits de retransmission à un média et le droit à l'information. Il convenait donc de la modifier ; je partage vos propos, monsieur le rapporteur.
Les deux loi que vous avez citées ont demandé une année de travail. Un effort de mise en cohérence se révélait nécessaire avec, au coeur du débat, le respect du droit à l'information.
Je sais que, ces jours derniers, des pressions se sont exercées pour que l'on supprime la gratuité du droit de citation. La proposition de loi maintient cette gratuité et cela me paraît essentiel.
Par ailleurs, j'ai été interpellée s'agissant des chaînes uniquement consacrées à l'information sportive qui sont en train de se créer ou qui sont en projet : si elles utilisent une minute trente de l'ensemble des informations sans rien payer aux chaînes qui les produisent, cela pose un problème. Je n'ai pas reculé non plus devant ces interpellations, parce que le droit de citation gratuite me semble essentiel pour l'accès à l'information. Mais il faudra étudier cette question. Une chaîne qui se crée ne peut pas vivre uniquement en glanant des informations partout. Elle doit produire elle-même ses retransmissions. Il faut une participation minimale !
S'agissant du « gel » des droits, c'était certainement vrai à une époque ; cela l'est beaucoup moins aujourd'hui. En effet, les droits de retransmission des grands événements sportifs ont atteint des niveaux tels que, aujourd'hui, le problème se pose à l'inverse.
Je prends l'exemple des jeux Olympiques de Sydney. S'il y a un droit à l'information en matière d'événements sportifs, il concerne en tout premier lieu l'olympisme. Or, aujourd'hui, des chaînes de télévision françaises affirment qu'elles n'achèteront pas les droits de retransmission des jeux Olympiques parce qu'ils sont trops élevés. Le problème est donc maintenant de savoir comment garantir qu'au moins des événements tels que ceux-ci soient retransmis pour qu'ils puissent être vus par les citoyens français. Il s'agit là de vraies questions.
Certes, une directive européenne, qui est en cours d'élaboration, va interdire aux chaînes payantes ou cryptées de diffuser certains événements sportifs en exclusivité - ils figureront sur une liste que nous sommes en train de dresser en concertation avec le Conseil supérieur de l'audiovisuel et le mouvement sportif - sans pour autant forcer les autres chaînes à en assurer la diffusion. Il y aura là un deuxième danger pour le droit à l'information, danger qu'il faudra traiter.
Je voudrais souligner un dernier point. Je suis la première soucieuse - et le terme est faible ! - de la situation de non-droit des fédérations internationales. Aujourd'hui, ce sont peut-être les seuls organismes internationaux qui ne sont contrôlés par personne, qui ne dépendent d'aucune loi, qui ne sont responsables devant personne.
M. Marcel Charmant. Effectivement !
Mme Marie-George Buffet, ministre de la jeunesse et des sports. Or ces fédérations internationales imposent de plus en plus leur « loi » aux fédérations nationales, signent les contrats de retransmission, etc. C'est pourquoi j'ai insisté afin que les fédérations françaises - je parle évidemment des fédérations délégataires d'une mission de service public - puissent prendre leurs responsabilités dans ce rapport entre le sport et les médias. Cela devrait leur permettre, si elles en ont l'envie et la volonté, de résister à la pression des fédérations internationales qui, des exemples récents l'ont montré, leur coûte souvent très cher.
Bien évidemment, le problème ne sera pas réglé simplement par la législation française. Il est nécessaire de travailler à l'échelon européen.
Cette question est importante car elle ne concerne pas le seul domaine du sport. (M. Charmant fait un signe d'assentiment.) Petit à petit, par des contacts divers, j'essaie d'obtenir la réunion des ministres des sports de l'Europe pour que ce sujet, comme d'autres - je pense au statut des clubs, à la concurrence déloyale, aux transferts et aux questions de dopage - soit traité sur le plan européen.
Dans ces conditions, vous comprendrez que le Gouvernement émette un avis défavorable sur cet amendement visant à supprimer l'article 4. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 6, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 4 est supprimé.
Les autres dispositions de la proposition de loi ne font pas l'objet de la nouvelle lecture.
Vote sur l'ensemble