Séance du 12 juin 1998
M. le président. « Art. 36 quater . Dans un délai d'un an, le Gouvernement présentera au Parlement un rapport sur le rôle de la médecine scolaire dans la politique de prévention et les conditions de son renforcement pour améliorer le suivi médical des enfants scolarisés, notamment dans les zones où le recours aux soins est insuffisant. »
Sur l'article, la parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Permettez-moi, dans cette intervention sur l'article 36 quater, qui prévoit dans le délai d'un an un bilan de la médecine scolaire, d'évoquer les besoins des jeunes Parisiens en matière de santé bucco-dentaire, en particulier depuis le licenciement des dentistes de l'Institut de prophylaxie dentaire infantile de Paris, l'IPDI, qui ont assuré les soins dentaires de près de 6 000 enfants pour la seule année de 1996.
Le dernier rapport du CREDES montre à quel point le renoncement aux soins, en particulier aux soins dentaires, est un phénomène de plus en plus fréquent chez nos concitoyens - notamment chez les plus jeunes d'entre eux - frappés par la crise économique. Ces pathologies dentaires non traitées sont - tout le monde s'accorde à le dire - des facteurs aggravants de l'exclusion.
L'IPDI était, jusqu'au licenciement récent des dentistes qui y dispensaient des soins, une structure unique qui permettait, après un dépistage dentaire dans les écoles, de proposer un suivi des enfants au niveau de la prévention, des soins, des traitements orthodontiques et, en cas de besoin, une consultation d'orthophonie et de stomatologie.
L'IPDI dépistait jusqu'ici, chaque année, plus de 53 000 enfants, soit 90 % de la population scolaire du secteur qui lui est dévolu, à savoir le nord-est de Paris. Cette population représente 45 % des enfants scolarisés dans les écoles publiques maternelles et primaires. A titre de comparaison, dans les quinze autres arrondissements, le taux de dépistage exercé par le syndicat des dentistes libéraux s'élève à 40 %.
A l'IPDI, l'activité des soins intégrait une dimension « prévention et éducation » puisque chaque enfant soigné était dirigé également vers le circuit de prophylaxie.
L'audit de la CNAM, réalisé en décembre 1992, soulignait d'ailleurs que « la dualité de l'activité de l'IPDI est sans doute un avantage indéniable ; elle place en effet l'établissement dans une situation unique, qui peut lui permettre d'être un véritable laboratoire médico-sanitaire dans le domaine dentaire ».
Pourtant la CNAM n'a jamais reconnu l'IPDI comme « site pilote », ce qui lui aurait permis d'avoir des financements pour ses actions innovantes.
On le voit, les différents acteurs n'ont jamais voulu prendre leurs responsabilités et ont préféré laisser se dégrader la situation.
La caisse de Paris ne s'est consacrée depuis 1991 qu'aux prestations et à la gestion des risques, en négligeant les oeuvres de l'action sanitaire et sociale dont fait partie cet établissement.
Les propositions d'actions avancées par le conseil d'administration de la caisse primaire d'assurance maladie, telles que des mesures d'incitation aux soins dentaires par la prise en charge du ticket modérateur ne permettront pas à elles seules de régler le problème des soins.
Elles négligent le barrage culturel qui existe dans un grand nombre de familles concernant l'importance des soins dentaires précoces, y compris pour les dents temporaires, et l'accès aux cabinets dentaires libéraux. C'est au service public, à l'assurance maladie et aux collectivités locales, au moyen d'actions de prévention cohérentes, qu'il appartient de garantir la mise en oeuvre effective des soins.
Quels sont les moyens que le Gouvernement entend dégager pour concrétiser votre souhait, monsieur le secrétaire d'Etat, d'une meilleure santé bucco-dentaire, à Paris comme ailleurs ?
Il faudrait organiser, de toute urgence, avec tous les acteurs concernés, une table ronde parisienne, afin d'avoir une vision globale et médicale de l'enfant et de sa santé bucco-dentaire. Il ne faut pas s'arrêter à une rentabilité financière immédiate, laquelle, vous le savez, dans le cas des soins spécialisés exclusivement réservés aux enfants, est structurellement impossible, car il n'existe aucun cabinet libéral de pédontonie exclusive.
Je vous serais reconnaissante, Monsieur le secrétaire d'Etat, de faire tout ce qui est en votre pouvoir pour y aboutir.
M. le président. Par amendement n° 89, M. Seillier, au nom de la commission des affaires sociales, propose :
I. - Avant le premier alinéa de l'article 36 quater, d'ajouter un paragraphe nouveau rédigé comme suit :
« I. - Le premier alinéa de l'article L. 191 du code de la santé publique est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Cette visite est organisée annuellement au profit des élèves des écoles, collèges et lycées situés dans des zones où le recours aux soins est insuffisant. »
II. - En conséquence, de faire précéder le premier alinéa de cet article de la mention : « II. - ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Bernard Seillier, rapporteur. La commission juge préoccupant qu'il faille attendre encore une année avant que soit dressé un état des lieux permettant de prendre des mesures en faveur de la santé scolaire.
Cet état des lieux existe d'ailleurs déjà. En effet, le rapport du Haut comité de la santé publique présenté le 30 juin 1997 à la Conférence nationale de santé avait déjà mis l'accent sur la nécessité de renforcer les moyens de la santé scolaire et de l'éducation à la santé.
Aussi des mesures ont-elles été annoncées le mercredi 11 mars 1998 en conseil des ministres : généralisation de l'éducation à la santé, avec notamment vingt heures de cours au collège ; continuité entre le bilan de santé des enfants de quatre ans réalisé par les services de protection maternelle et infantile et celui qui est effectué à six ans par les services de la médecine scolaire ; visite médicale à la fin de l'école primaire dans les zones d'éducation prioritaire, les ZEP.
A cet égard, la commission souhaiterait obtenir des précisions du Gouvernement sur l'état de réalisation de ces mesures.
D'ores et déjà, elle présente cet amendement tendant à généraliser les bilans de santé annuels au profit des élèves scolarisés dans des zones sanitaires prioritaires. En effet, l'article L. 191 du code de la santé publique ne prévoit qu'une seule visite médicale gratuite et obligatoire au profit des enfants à l'âge de six ans.
Les établissements - écoles, collèges et lycées - choisis pour l'application de ce dispositif sont ceux qui sont situés dans des zones où le recours aux soins est insuffisant. La détermination des zones incombera aux préfets de chaque département et aux directions départementales des affaires sanitaires et sociales. C'est donc un dispositif souple et adapté au terrain - il ne concerne pas systématiquement les ZEP - qui est préconisé par cet amendement.
Cette mesure peut constituer une première étape, dans l'attente de l'examen de l'opportunité de sa généralisation au profit de tous les enfants scolarisés. Mais l'état sanitaire des enfants et adolescents dans certains quartiers ou agglomérations justifie son adoption immédiate, sans attendre au moins une année comme le prévoit le projet de loi.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Je voudrais d'abord dire à Mme Borvo combien j'ai été sensible à son intervention. J'ai eu l'occasion de m'exprimer à plusieurs reprises sur la prévention des affections bucco-dentaires, dans l'Est parisien en particulier.
Je sais que la fermeture de cet institut laisse un vide considérable ; je m'en suis préoccupé. Théoriquement, les enfants seront dirigés vers les dentistes des arrondissements Est de Paris ; je me demande d'ailleurs comment. J'ai donc demandé à l'établissement ce qu'il comptait faire à ce propos.
Je vous rappelle que le Gouvernement ne peut en rien se substituer ni aux parlementaires ni à un établissement de cette sorte. A part mes yeux pour pleurer, je n'ai aucun moyen. (Mme Nicole Borvo fait un signe de dénégation.) Non, madame le sénateur, je n'ai strictement aucun moyen ! Si vous en connaissez, je serais heureux de les connaître. Je me préoccuperai de ce dossier ; j'irai voir cet établissement ; je veux savoir comment le dispositif permettra aux enfants d'accéder, sinon à la prévention, ce dont je serais ravi, du moins aux soins lorsqu'ils en ont besoin. Hors de cela, je ne vois pas comment je pourrais intervenir, malgré mon souci de le faire. Mais comptez sur moi, je suivrai cette affaire. Nous allons d'ailleurs recevoir un parlementaire de l'un des arrondissements concernés.
Cela étant, on ne peut à la fois demander au Gouvernement d'intervenir, systématiquement, en surchargeant son budget, en même temps de maîtriser celui-ci, et ce, en un endroit où les partenaires sociaux, la CNAM, les établissements eux-mêmes sont libres de faire ce qu'ils veulent. C'est peut-être malheureux, mais c'est ainsi !
J'en viens à l'amendement n° 89.
Monsieur le rapporteur, je voudrais vous rappeler que, dès 1998, un certain nombre d'actions de santé et de suivi social en direction des enfants et des enfants scolarisés - peut-être conviendrait-il de les renforcer, notamment dans les ZEP - ont été menées.
Je vous rappelle également que nous avons créé 600 postes d'infirmières et d'assistants et débloqué des moyens de vacation équivalant à 150 temps pleins de médecins scolaires. Mais le recrutement des médecins scolaires ne se décrète pas ; ils sont recrutés sur concours. Or leurs conditions de travail, de rémunération et de promotion sont - c'est le moins que l'on puisse dire - mesurés, et donc les candidats ne sont pas légion.
Avec Mme Ségolène Royal, nous nous sommes efforcés d'harmoniser le dispositif de façon à prendre en charge les enfants au mieux des possibilités. Ce n'est pas simple tant les cloisonnements de la profession médicale sont excessifs. Pour les briser, il faut du temps.
Ces nouveaux postes ont essentiellement été affectés dans les zones les plus défavorisées, c'est-à-dire les ZEP et les sites expérimentaux de lutte contre la violence.
Au-delà de ces mesures - qui, bien sûr, étaient des mesures d'urgence - nous avons besoin d'un rapport, qui non seulement dressera l'état des lieux - je vous accorde qu'une part de ce dernier nous est déjà connue - mais surtout contiendra des propositions de nature à renforcer les mesures qui ont déjà été prises le 11 mars dernier en conseil des ministres.
A cet égard, je voudrais vous dire, monsieur le rapporteur - et là je suis formel - que ce n'est pas forcément la multiplication des bilans de santé systématiques qu'il faut rechercher et qui serait efficace. Je pense qu'il vaut mieux se préoccuper précocement des problèmes de santé des enfants issus de familles défavorisées, c'est-à-dire, je le répète, des groupes à risques, et d'assurer leur suivi.
Il faut cibler nos prises en charge en favorisant, dans le cadre d'un travail en réseau avec les établissements scolaires, les organismes d'assurance maladie et les différents établissements, ainsi que les professionnels sanitaires et sociaux des communes concernées, une prise en charge convergente.
Dans cette perspective, nous avons mis en place des dispositifs expérimentaux dans les départements de l'Oise et de la Seine-Saint-Denis, en réponse d'ailleurs aux préoccupations exprimées par votre collègue M. Michel Mercier, lors de la discussion générale.
Dans l'attente des conclusions de ce rapport, le Gouvernement est défavorable à l'amendement n° 89.
M. Bernard Seillier, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Bernard Seillier, rapporteur. Je voudrais dissiper une éventuelle mauvaise interprétation de notre amendement.
La commission propose non pas d'organiser un dépistage ou un bilan systématique, mais de mettre en place un dispositif souple que le préfet, en fait la DDASS, peut parfaitement maîtriser, et ce sans recourir à un appareillage lourd en matière de médecine scolaire.
Dès lors qu'il craint un problème sanitaire dans telle zone, tel secteur, tel quartier, voire tel immeuble - cet amendement est d'ailleurs à relier à celui que nous avons voté tout à l'heure sur l'approche du saturnisme - le préfet peut très facilement, à condition que les moyens lui en soient donnés, intervenir de manière ponctuelle dans le lieu en question.
Telle est l'importance de cet amendement dont la mise en oeuvre ne nécessite pas des moyens extraordinaires.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 89.
M. Alain Gournac. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Gournac.
M. Alain Gournac. Bien entendu, je soutiens la proposition de la commission.
Le Gouvernement a souvent exprimé son souci de la santé des enfants scolarisés. Or nous savons très bien, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'aujourd'hui tout ne fonctionne pas au mieux.
Il faut faire preuve d'une grande vigilance, car tout commence à l'école ; c'est là que le diagnostic et le bilan de santé sont nécessaires.
Bien évidemment, le groupe du RPR votera l'amendement de la commission.
Mme Dinah Derycke. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke. Nous sommes tous d'accord pour dire que l'école et les services de santé scolaire sont essentiels en matière de prévention. Nous sommes tous convaincus que c'est dès la petite enfance que doit commencer la prévention. Mais nous savons tous que la santé scolaire est dans un triste état en France, et ce n'est pas nouveau. Ce n'est pas non plus un phénomène que l'on découvre aujourd'hui.
Nous savons - M. le secrétaire d'Etat l'a rappelé - qu'un important effort a été engagé cette année pour créer des postes, notamment d'infirmières, dans le domaine de la santé scolaire. En revanche, se pose un réel problème de recrutement. M. le secrétaire d'Etat a évoqué de manière très pudique les raisons pour lesquelles on ne parvenait pas à trouver des candidats aux concours. Il faudrait peut-être revoir les conditions de promotion, de carrière et de rémunération, faute de quoi on ne sortira jamais de cette situation. Si un engagement de tenir compte de ces questions importantes était pris, nous pourrions aller de l'avant.
Cet amendement nous satisferait si nous étions certains qu'il puisse être mis en oeuvre. Mais nous savons très bien aujourd'hui qu'on se fait plaisir en le déposant car il ne peut pas avoir d'application immédiate. C'est pourquoi nous nous abstiendrons tout en souhaitant, bien entendu, qu'en matière de santé scolaire un effort très important soit engagé.
Il me semble d'ailleurs qu'il faudrait revoir la rédaction de cet amendement. En effet, il dispose : « Cette visite est organisée annuellement au profit des élèves des écoles... ». Or l'article L. 191 du code de la santé publique précise : « Au cours de leur sixième année, tous les enfants sont obligatoirement soumis à une visite médicale ».
Cela étant dit, je le répète, les membres du groupe socialiste s'abstiendront, persuadés qu'un effort sera accompli en matière de santé scolaire, comme M. le secrétaire d'Etat l'a indiqué.
M. Bernard Seillier, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Bernard Seillier, rapporteur. Madame Derycke, je suis prêt à accepter une proposition de rectification, compte tenu de votre dernière observation.
Vous parlez de manque de moyens pour mettre en oeuvre la disposition que nous préconisons. Notre intention est de faire en sorte que l'on puisse recourir à la médecine de ville. S'il y a des blocages administratifs, il faut les faire sauter. Notre premier souci est la santé des enfants dans les milieux défavorisés et en situation de grande précarité.
Mme Nicole Borvo. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Bien entendu, tout le monde sait que la médecine scolaire est dégradée. Ce n'est pas nouveau, et l'on peut s'interroger sur les politiques qui ont été menées depuis des années en la matière et sur la difficulté de recruter, qui tient à l'absence de revalorisation de la situation des personnels de la médecine scolaire.
Si des efforts ont été consentis dans certains départements, les collectivités locales, notamment les communes, en ont assumé la plus large part au cours des dernières années.
Nous attendons du Gouvernement un engagement fort afin de clarifier la situation, pour voir dans quelles conditions on peut reconstruire - car c'est bien de cela qu'il s'agit - un réseau de médecine scolaire qui prenne en compte la spécificité de cette forme de médecine sans fermer la porte à la constitution d'un réseau en relation avec la médecine de ville. Nous ne sommes pas nécessairement hostiles à cette option. Je souhaite que le Gouvernement prenne des engagements sur ce point.
A mon avis, il ne s'agit pas simplement de mener des actions ponctuelles là où les publics scolaires sont en difficulté. En effet, une médecine scolaire digne de ce nom doit être capable de détecter les problèmes là où ils se posent et, souvent, ces problèmes se posent même dans les zones qui ne sont pas défavorisées.
Nous aussi, nous nous abstiendrons donc sur cet amendement, mais non parce que nous pensons que tout va bien, au contraire.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 89, repoussé par le Gouvernement.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission des affaires sociales.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 100:
Nombre de votants | 317 |
Nombre de suffrages exprimés | 226 |
Majorité absolue des suffrages | 114 |
Pour l'adoption | 220 |
Contre | 6 |
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 36 quater , ainsi modifié.
(L'article 36 quater est adopté.)
Article 37