Séance du 12 juin 1998







M. le président. « Art. 75. - I. - Il est inséré, après le deuxième alinéa de l'article 1er de la loi n° 89-486 du 10 juillet 1989 d'orientation sur l'éducation, un alinéa ainsi rédigé :
« Pour garantir ce droit, la répartition des moyens du service public de l'éducation tient compte des différences de situations objectives, notamment en matière économique et sociale. »
« II. - Après la deuxième phrase du cinquième alinéa de l'article 1er de la loi n° 89-486 du 10 juillet 1989 précitée, il est inséré une phrase ainsi rédigée :
« Ils assurent une formation à la connaissance et au respect des droits de la personne. »
« III. - L'avant-dernier alinéa de l'article 1er de la loi n° 89-486 du 10 juillet 1989 précitée est complété par une phrase ainsi rédigée : »
« Elles visent notamment à favoriser, pendant le temps libre des élèves, leur égal accès aux pratiques culturelles et sportives et aux nouvelles technologies de l'information et de la communication. »
« IV. - Le premier alinéa de l'article 18 de la loi n° 89-486 du 10 juillet 1989 précitée est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Il indique également les moyens particuliers mis en oeuvre pour prendre en charge les élèves issus des familles les plus défavorisées. »
Par amendement n° 384, Mme Luc et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent :
A. - Dans le texte présenté par le I de cet article pour insérer un alinéa après le deuxième alinéa de l'article premier de la loi n° 89-486 du 10 juillet 1989, de remplacer les mots : « la répartition des moyens du service public de l'éducation tient compte des différences de situations objectives, notamment en matière » par les mots : « les moyens du service public d'éducation sont renforcés au profit des élèves en grande difficulté scolaire ».
B. - Pour compenser les pertes de ressources résultant du A ci-dessus, d'insérer après le paragraphe I un paragraphe additionnel ainsi rédigé :
« ... La perte de ressources résultant du renforcement des moyens du service public de l'éducation nationale est compensée à due concurrence par les droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
La parole est à Mme Luc.
Mme Hélène Luc. L'amendement que nous vous soumettons est au centre d'un débat qui parcourt la communauté éducative et les parents d'élèves. Nous proposons de modifier le deuxième alinéa du texte qui nous est présenté pour l'article 75, ce qui permettrait de substituer à une logique de répartition des moyens une logique de renforcement des moyens de l'éducation.
La récente mobilisation des enseignants et des parents d'élèves de la Seine-Saint-Denis a montré que, au-delà d'une simple répartition des moyens, l'éducation nationale avait besoin de voir ses moyens renforcés.
Si nous souhaitons construire une école de la réussite pour tous, si nous faisons nôtre la reconnaissance de dispositifs adaptés aux populations scolaires et aux situations rencontrées par les publics en difficulté en certains points de notre territoire, nous devons admettre la nécessité de renforcer de manière importante les moyens dont bénéficieront certains établissements.
Les situations de difficultés scolaires, d'échec, d'exclusion sociale sont des facteurs identifiables, quantifiables, qui appellent des réponses et des moyens adaptés.
Doit-on pour cela considérer qu'une académie mieux lotie que sa voisine devra répondre à ces besoins particuliers, autrement dit, doit-on procéder à un redéploiement ? Nous ne le pensons pas.
A cette fin, nous vous proposons l'adoption de cet amendement, qui vise, au risque de me répéter, à un renforcement des moyens de l'école au profit des élèves en grande difficulté scolaire.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Bernard Seillier, rapporteur. Une meilleure répartition des moyens est traditionnellement plus dans la logique de la majorité sénatoriale qu'un renforcement des moyens.
La commission des affaires sociales a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement a écouté avec beaucoup d'attention le plaidoyer argumenté de Mme Luc pour la défense de cet amendement dont elle est signataire avec les membres de son groupe.
Après réflexion, le Gouvernement - et j'appelle votre attention sur ce point - a considéré que la formulation initiale de l'article 75, en posant un principe général, était plus large que la rédaction proposée par votre amendement, et je vais tenter d'expliquer en quoi.
L'article 75 vise à inscrire dans la loi que la répartition des moyens ne s'effectue pas seulement en fonction de critères purement démographiques ; elle doit aussi tenir compte des contextes économique et social des zones d'implantation des établissements comme de la situation des élèves eux-mêmes, quel que soit l'endroit où ils sont scolarisés.
Madame Luc, cette idée d'une répartition véritablement inégalitaire au profit des zones ou des familles les plus défavorisées est une idée forte qui entre dans le projet de loi à l'article 75.
Cet article est important, car il pose un principe primordial et vraiment novateur tendant à fonder la répartition inégalitaire des moyens du service public pour corriger les inégalités du terrain.
De plus, cet article est attendu comme un article de principe par le milieu éducatif lui-même.
Je souhaite, compte tenu de l'état d'esprit du Gouvernement, que je me suis efforcé d'expliciter, que les auteurs de l'amendement n° 384 veuillent bien considérer que leur proposition est fondamentalement satisfaite par l'article 75 du projet, dont la portée est plus large.
M. le président. Madame Luc, l'amendement est-il maintenu ?
Mme Hélène Luc. Pardonnez-moi, monsieur le secrétaire d'Etat, mais je préfère ma formulation parce qu'elle contient l'idée de moyens « renforcés », alors que le texte du Gouvernement fait état de la « répartition » des moyens du service public. Or on ne peut répartir que ce que l'on a. Il s'agit donc d'une limitation.
On le voit bien, par exemple, pour les zones d'éducation prioritaires. Je suis persuadée que si les crédits ne sont pas augmentés, les zones d'éducation prioritaires ne pourront pas être renforcées. C'est pourquoi je maintiens cet amendement.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 384, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Par amendement n° 115, M. Richert, au nom de la commission des affaires culturelles, propose :
I. - De compléter le texte présenté par le paragraphe I de l'article 75 pour compléter l'article 1er de la loi n° 89-486 du 10 juillet 1989 par un alinéa ainsi rédigé :
« Elle a pour objet de renforcer l'encadrement des élèves dans les écoles et établissements d'enseignement situés dans des zones d'environnement social défavorisé et des zones d'habitat dispersé, et de permettre de façon générale aux élèves en difficulté de bénéficier d'actions de soutien individualisé. »
II. - En conséquence, dans le premier alinéa du paragraphe I de l'article 75, de remplacer les mots : « un alinéa ainsi rédigé » par les mots : « deux alinéas ainsi rédigés ».
La parole est à M. Richert, rapporteur pour avis.
M. Philippe Richert, rapporteur pour avis. Cet amendement a pour objet de modifier la formulation générale de l'article 75, qui pourrait laisser entendre que seuls les élèves des zones d'éducation prioritaire ou des zones défavorisées bénéficieraient du principe de discrimination positive dans la répartition des moyens du service public de l'éducation.
Il tend à préciser les critères de répartition de ces moyens et à distinguer l'aide globale apportée aux établissements situés dans les zones difficiles de l'aide individualisée apportée aux élèves en difficulté, quelle que soit la situation des établissements dont ils relèvent. En effet, si certains établissements concentrent les difficultés, d'autres, qui n'ont pas de problème particulier, ont cependant parmi leurs élèves certains éléments qui devraient bénéficier d'une attention particulière.
Il ne faut jamais oublier que l'éducation dispensée dans nos établissements scolaires ne doit pas s'adresser à un public global ; elle doit aussi tenir compte de la situation spécifique de chaque élève.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Bernard Seillier, rapporteur. Favorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Pour des raisons que je vais expliciter, le Gouvernement émettra le même avis défavorable sur cet amendement que sur l'amendement n° 384.
Comme la commission des affaires culturelles l'a bien compris, cet article, de nature déclarative, introduit dans les principes qui guident la répartition des moyens d'éducation, au sens large du terme, c'est-à-dire y compris les moyens autres que l'enseignement stricto sensu, un principe de justice sociale, donc de répartition inégalitaire, en ne suivant plus seulement les simples critères démographiques.
Pour donner plus de force à cet article, qui fixe dans la loi un principe nouveau, le ministère de l'éducation nationale n'a pas souhaité le mettre en relation avec les dispositifs territorialisés, comme les ZEP, ou ciblés sur des établissements.
En effet, la politique du ministère de l'éducation nationale en matière de correction des inégalités se veut globale. Elle s'appuie aussi bien sur la mise en oeuvre d'une politique sociale des établissements - fonds sociaux, fonds de cantine, rétablissement des bourses des collèges - qui s'intéresse à des situations personnelles difficiles que l'on peut rencontrer, par définition, dans tout établissement, que sur des répartitions inégalitaires de moyens, en faveur de zones définies plus souplement que les ZEP.
Tel est le cas des deux plans de rattrapage en faveur de la Seine-Saint-Denis et des départements d'outre-mer annoncés par le ministère et actuellement en cours de négociations.
Tel est le cas également des réseaux d'éducation prioritaires mis en place dans le prolongement des ZEP.
Toute rédaction qui ferait courir le risque d'enfermer ce principe de répartition inégalitaire dans des dispositifs préétablis en affaiblirait la portée et l'efficacité.
Je ferai remarquer aux auteurs de l'amendement que les zones à habitat dispersé figurent déjà comme prioritaires dans l'article 21 de la loi d'orientation de 1989.
Le Gouvernement est donc attaché à la rédaction du projet de loi qu'il estime plus large ; il souhaiterait en avoir convaincu la commission des affaires culturelles et son rapporteur.
M. Philippe Richert, rapporteur pour avis. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Richert, rapporteur pour avis.
M. Philippe Richert, rapporteur pour avis. Monsieur le secrétaire d'Etat, j'ai bien compris que le Gouvernement ne souhaite pas viser uniquement les établissements situés en zones difficiles et que le texte s'adresse à tout élève de tout établissement.
Or, justement, dans notre amendement, nous voulons préciser que l'action doit se situer à un double niveau : il s'agit d'abord d'apporter un soutien aux zones difficiles, qu'elles soient urbaines ou rurales ; il s'agit ensuite d'attacher une importance particulière aux élèves en difficulté.
Mais je vous ferai remarquer, monsieur le secrétaire d'Etat, que, dans la déclaration générale que vous venez de faire, vous avez été conduit immédiatement à parler des ZEP. Cela prouve que nous avons bien présentes à l'esprit les zones d'éducation prioritaire, même si elles sont prises dans un sens plus large.
Je souhaite que nous ajoutions un deuxième volet pour bien faire comprendre, sur le terrain, notamment aux inspecteur d'académie qui appliquent les textes, que notre priorité reste les élèves.
J'ai connu personnellement, au sein d'une commission départementale de l'éducation nationale tel haut responsable de l'éducation nationale qui, fort de déclarations faites à Paris, mettait l'accent sur les ZEP. Il est bon de rappeller que, certes, les ZEP font partie de nos priorités mais que nous avons aussi à tenir compte des élèves.
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. En fait, l'argumentation que j'ai développée tout à l'heure était nuancée. J'ai voulu expliquer pourquoi le Gouvernement avait une préférence pour son texte de base. Cela ne signifie pas qu'il soit totalement hostile à la rédaction proposée par la commission des affaires culturelles si la Haute Assemblée, de son côté, la préfère.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 115, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Par amendement n° 413, MM. Sérusclat, Lagauche, Mmes Pourtaud, Derycke et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de compléter le texte presenté par le paragraphe II de l'article 75 pour la phrase à insérer après la deuxième phrase du cinquième alinéa de l'article 1er de la loi du 10 juillet 1989 par les mots : « ainsi qu'à la compréhension des situations concrètes qui y portent atteinte. »
La parole est à M. Lagauche.
M. Serge Lagauche. Tous les citoyens, enfants ou adultes, ont, à tous les niveaux, un rôle à jouer pour faire reculer l'exclusion.
Certaines démarches vont dans ce sens.
C'est le cas lorsque des locataires, au lieu de signer une pétition pour faire expulser une famille « qui trouble le voisinage », cherchent à établir le dialogue entre elle et les autres locataires.
C'est aussi le cas lorsque les élèves d'une classe, sous la conduite de l'enseignant, s'organisent pour qu'aucun d'eux ne reste en arrière.
C'est encore le cas lorsqu'un chef d'entreprise cherche à permettre l'embauche durable et le maintien dans l'entreprise de personnels peu ou pas qualifiés.
D'autres attitudes, au contraire, contribuent à renforcer l'exclusion, comme celle des administrés qui font pression sur leur maire pour qu'il n'accueille pas, dans leur commune, des personnes très démunies ou pour qu'il prenne des dispositions contre la mendicité.
Le regard porté sur les populations en grande pauvreté détermine ces attitudes positives ou négatives. La connaissance concrète de ce que vivent les plus démunis, de leur combat quotidien pour la survie et la dignité permet de dépasser les préjugés, la peur ou le rejet. Il est donc essentiel que, dès leur plus jeune âge, tous les citoyens acquièrent cette connaissance.
L'Assemblée nationale, consciente de cette nécessité, a, par un amendement à l'article 75, complété l'article 1er de la loi d'orientation sur l'éducation de 1989, en confiant de nouvelles responsabilités aux établissements d'enseignement en matière de « formation à la connaissance et au respect des droits de la personne ».
Toutefois, cette rédaction ne nous semble pas suffisamment précise pour éviter que l'éducation aux droits de l'homme ne se réduise à l'énoncé de principes, ainsi qu'à la présentation de situations de violation de ceux-ci, telles que l'emprisonnement pour délit d'opinion ou la torture, qui paraissent aux élèves bien éloignées de leurs réalités et n'entrent malheureusement pas toujours dans leurs sujets de préoccupation. Il faut, pour que cet enseignement porte, que les élèves puissent le rattacher à leur propre expérience et prendre conscience que tout près d'eux existent des situations d'atteinte aux droits de l'homme - exclusion, racisme - sur lesquelles ils peuvent avoir prise.
Cette dimension très concrète de l'enseignement des droits de l'homme ne va pas toujours de soi. Les professeurs abordant la question de l'exclusion dans le cadre de l'enseignement des droits de l'homme sont encore très peu nombreux. C'est pourquoi nous estimons préférable de l'inscrire dans la loi et vous demandons de bien vouloir adopter notre amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Bernard Seillier, rapporteur. Avant de se prononcer, la commission souhaiterait connaître l'avis du Gouvernement.
M. le président. Quel est donc l'avis du Gouvernement ?
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. En raison des fonctions que j'occupe, je suis particulièrement sensible aux situations de voisinage qui ont été évoquées par M. Lagauche. Je peux lui dire aussi que mon collègue M. Allègre, s'il avait été présent, aurait eu la même réaction positive.
En effet, développer comme dimension de la citoyenneté tout ce qui peut être favorable à une compréhension mutuelle ne peut aller que dans le sens des préoccupations du Gouvernement.
M. le président. Quel est, maintenant, l'avis de la commission ?
M. Bernard Seillier, rapporteur. L'adjonction proposée dans cet amendement paraissait superfétatoire à la commission, mais, compte tenu des explications de M. le secrétaire d'Etat, elle s'en remet à la sagesse du Sénat.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 413, accepté par le Gouvernement et pour lequel la commission s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Par amendement n° 414, MM. Lagauche, Sérusclat, Mmes Pourtaud, Derycke et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent d'insérer, après le paragraphe III de l'article 75, un paragraphe additionnel ainsi rédigé :
« ... Au premier alinéa de l'article 2 de la loi n° 89-486 du 10 juillet 1989 précitée, le mot : "trois" est remplacé par le mot : "deux". »
La parole est à M. Lagauche.
M. Serge Lagauche. L'éducation nationale contribue de manière privilégiée à la prévention des exclusions et à la lutte contre les inégalités, parce qu'elle assure l'accès de tous au savoir et à une formation et parce qu'elle constitue un lieu essentiel de socialisation, au même titre que la famille.
L'école maternelle participe pleinement à la réalisation de ces objectifs par son rôle d'éducation sociale et d'apprentissage de la vie en commun. En tant que lieu de développement, d'éveil et de socialisation dès le plus jeune âge, elle favorise, par la valorisation du petit enfant, une meilleure insertion scolaire, condition sine qua non pour une bonne insertion sociale future.
C'est ce qu'exprimait Mme Ségolène Royal, ministre délégué chargé de l'enseignement scolaire, dans sa lettre adressée aux parents des enfants scolarisés pour la première fois en école maternelle à la rentrée scolaire 1997 : « Le rôle éducatif de notre école maternelle est unanimement reconnu, et les maîtresses et les maîtres qui y enseignent s'attachent à faire en sorte que chaque enfant en reçoive le meilleur pour l'avenir. »
Or des expériences locales, comme celle qui est menée à l'école Paul-Gauguin de Nantes, qui scolarise une vingtaine d'enfants de deux ans, montrent que ces derniers ont un meilleur apprentissage du langage que ceux qui sont arrivés en classe à trois ans. Ainsi, un accueil pédagogique de qualité multiplie, à cet âge que tous les psychologues considèrent comme déterminant, les chances d'une bonne insertion scolaire, facteur essentiel d'égalité des chances.
Si un effort a déjà été entrepris pour le développement de l'accès à l'école maternelle dès l'âge de deux ans dans les zones défavorisées, au premier rang desquelles figurent les ZEP, cet effort reste insuffisant puisque seuls 40 % des enfants de deux ans sont scolarisés dans les ZEP, contre 30 % pour l'ensemble du territoire.
De plus, les familles démunies, les familles défavorisées ne sont pas l'apanage des zones géographiques elles-mêmes défavorisées. Promouvoir l'école de l'égalité, ce n'est pas seulement prendre en compte les différences de situations géographiques pour « donner plus à ceux qui ont moins », c'est aussi prendre en compte les différences de situations individuelles.
Dans cette perspective, la généralisation de la scolarisation dès deux ans, tout en restant subordonnée à la demande des parents, est un élément fort de prévention de l'exclusion, particulièrement en direction des enfants déjà fragilisés par un milieu familial défavorisé. Il s'agit d'agir en amont, avant l'apparition de difficultés, afin de lutter contre le déterminisme social, à un moment de la vie où il est avéré que les inégalités sociales et culturelles jouent pleinement.
Cette généralisation est d'autant plus nécessaire que les familles les plus en difficulté n'ont généralement pas accès aux crèches. En effet, en posant le travail de la mère comme critère d'accès aux structures d'accueils, on éloigne de fait les populations les plus en difficulté. Dans ces conditions, comment s'investir dans une recherche d'emploi, une formation, quand on ne bénéficie d'aucun moyen de faire garder son enfant de moins de trois ans ?
Enfin, cette mesure permettra d'éviter des fermetures de classes puisque, actuellement, les inspections ne comptabilisent, pour l'élaboration de la carte scolaire, que les enfants de trois ans. Cela obligera à prendre en compte dans les effectifs les enfants ayant atteint deux ans au premier trimestre de l'année scolaire.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Bernard Seillier, rapporteur. La commission a noté que, déjà, le deuxième alinéa de l'article 2 de la loi de 1989 précise que l'accueil des enfants de deux ans est étendu en priorité aux écoles situées dans un environnement social défavorisé.
Par rapport à ce texte, l'amendement semble être d'une très grande ampleur. Aussi, avant de donner l'avis de la commission, je souhaiterais connaître celui du Gouvernement.
M. le président. Quel est donc l'avis du Gouvernement ?
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Je ferai d'abord observer que, sur l'ensemble de ce texte législatif, eu égard à sa finalité, le Gouvernement n'a pas abusé de l'invocation à l'article 40. Il reste que généraliser la pré-scolarisation à partir de l'âge de deux ans, et non de trois ans, aurait, les auteurs de l'amendement en sont sûrement conscients, un coût budgétaire assez significatif.
Tout en comprenant bien le sens de la démarche proposée par M. Lagauche et ses collègues, le Gouvernement, vu la limitation de nos capacités budgétaires, reste attaché à une rédaction ouvrant simplement la voie à la scolarisation des enfants de moins de trois ans, ce qui n'a tout de même pas les mêmes implications financières.
Cela étant, vous le savez, la scolarisation de ces enfants est inscrite comme une priorité dans les zones défavorisées, et ce depuis la loi d'orientation pour l'éducation de 1989. C'est évidemment aux enfants issus des milieux les plus démunis que cette scolarisation précoce apporte le plus.
En l'état actuel des moyens disponibles, si nous voulons accroître les chances de réussite de tous les enfants, c'est bien sur les plus défavorisés que doit être concentré l'effort.
Cette analyse, que j'exprime au nom de mon collègue Claude Allègre, devrait convaincre les auteurs de l'amendement que, à défaut de moyens supplémentaires substantiels, nous n'obtiendrions qu'une dilution de ceux dont nous disposons aujourd'hui et qu'il faut concentrer sur ces enfants issus des familles les plus démunies et vivant dans les zones géographiques les plus défavorisées. C'est pourquoi je leur demande de bien vouloir retirer cet amendement.
M. le président. Quel est, maintenant, l'avis de la commission ?
M. Bernard Seillier, rapporteur. C'est bien la même inquiétude et le même souci qui ont prévalu au sein de la commission des affaires sociales.
Le mieux est l'ennemi du bien : la législation actuelle opère déjà une discrimination positive en faveur des enfants vivant dans un environnement social défavorisé, et l'adoption de cet amendement aboutirait, au contraire, à une dispersion sur l'ensemble des enfants des moyens de l'éducation nationale. Cela risquerait donc, en fait, d'aller à l'encontre de la logique même du projet de loi de lutte contre les exclusions.
La commission émet, par conséquent, un avis défavorable.
M. le président. Monsieur Lagauche, l'amendement n° 414 est-il maintenu ?
M. Serge Lagauche. J'ai bien entendu les arguments du Gouvernement, mais ce qui nous a conduits à déposer cet amendement, c'est la différence entre les paroles et les actes que nous constatons dans la réalité.
Ainsi, lorsque les effectifs d'enfants de trois ans diminuent dans un secteur scolaire, on ferme les classes, au lieu d'essayer de les maintenir pour accueillir les enfants de deux ans, et cela y compris dans les ZEP, monsieur le secrétaire d'Etat. Pour nous, c'est inacceptable.
Nous comprenons bien que l'on ne puisse pas généraliser l'application de cette mesure, mais nous insistons sur le fait que, en cas de baisse des effectifs des enfants dans un secteur scolaire, plutôt que de fermer des classes, il faut l'occasion pour accueillir les enfants de deux ans.
Nous acceptons de retirer cet amendement, mais nous resterons vigilants sur cette question, monsieur le secrétaire d'Etat.
M. le président. L'amendement n° 414 est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 75, modifié.

(L'article 75 est adopté.)

Articles additionnels après l'article 75