Séance du 12 juin 1998
M. le président. « Art. 76. - I. - Les I à V et le VIII de l'article 23 de la loi n° 94-629 du 25 juillet 1994 relative à la famille sont abrogés.
« II. - L'article L. 241-6 du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
« 1° Au premier alinéa, les mots : ", d'aide à la scolarité" sont supprimés ;
« 2° Le 6° est abrogé. »
Sur l'article, la parole est à M. le rapporteur.
M. Bernard Seillier, rapporteur. L'article 76 du projet de loi tend à supprimer l'aide à la scolarité qui avait été instituée par la loi « famille » de 1994.
L'article 77, quant à lui, prévoit de la remplacer par un nouveau système de bourse nationale des collèges.
La commission des affaires sociales vous propose d'adopter deux amendements de suppression de ces articles. L'aide à la scolarité est, en effet, un bon système qui a permis, en 1994, d'améliorer le système des bourses des collèges, devenu largement obsolète.
MM. Claude Huriet et Charles de Courson, dans un rapport rédigé en 1995, ont constaté que le « système de l'aide à la scolarité a résolu une partie des problèmes soulevés par la bourse des collèges ».
L'aide à la scolarité a d'abord permis de distribuer des aides plus élevées à un nombre plus important de familles. Elle a également permis une réduction importante des coûts de gestion : la réforme s'est traduite par une économie de trois cents postes budgétaires dans les inspections académiques, pour un montant de 38 millions de francs.
Désormais, la Caisse nationale des allocations familiales chiffre à 100 francs le coût moyen de gestion de chaque aide, alors qu'il était de 250 francs pour les bourses des collèges.
L'aide à la scolarité a permis, enfin, de simplifier les démarches des familles.
Dès lors, il semble peu raisonnable de supprimer l'aide à la scolarité pour revenir à un système de bourses des collèges, même aménagé.
Le Gouvernement avance toutefois deux types d'arguments en faveur de son projet de suppression de l'aide à la scolarité. Or ces arguments apparaissent bien fragiles.
Le Gouvernement estime, en premier lieu, que l'aide à la scolarité aurait précipité la chute de fréquentation des cantines scolaires, à cause de ses modalités de versement.
Ce diagnostic semble néanmoins fragile, pour trois raisons.
Tout d'abord, l'impact défavorable de l'instauration de l'aide à la scolarité sur la fréquentation des cantines n'a pas été démontré. La Cour des comptes a ainsi noté que « la réforme a été le révélateur d'un problème qui existait bien avant son instauration ».
Ensuite, la question n'est pas tant celle des modalités de versement des bourses que celle de leur montant : le montant moyen de l'aide à la scolarité est de 650 francs, alors que les frais de demi-pension s'élèvent à 2 500 francs par an. Dès lors, quelles que soient les modalités de versement, les familles les plus défavorisées éprouvent des difficultés à régler les frais de restauration scolaire.
Enfin, il existe actuellement des fonds sociaux destinés à favoriser l'accès des enfants issus des familles les plus en difficulté à la cantine. Les fonds sociaux collégiens pour les cantines sont ainsi dotés de 470 millions de francs de crédits.
La seconde critique formulée par le Gouvernement porte sur le champ des bénéficiaires de l'aide à la scolarité.
Trois types d'élèves ne bénéficient pas de l'aide à la scolarité alors qu'ils auraient pu bénéficier de la bourse des collèges : les enfants de moins de onze ans inscrits au collège, les enfants de plus de seize ans inscrits au collège et les enfants issus de familles ne touchant aucune des prestations versées par la caisse d'allocations familiales.
On évalue à 90 000 le nombre d'enfants ainsi exclus du bénéfice de l'aide à la scolarité.
Ces lacunes du système d'aide à la scolarité ne semblent pourtant pas justifier sa suppression. Il est, en effet, possible de corriger les « effets de champ » de l'aide à la scolarité sans remettre en cause le mécanisme. Ainsi, la commission des affaires sociales proposera un amendement étendant aux enfants de plus de seize ans inscrits au collège le bénéfice de l'aide à la scolarité. Cela permettra alors à environ 60 000 des 90 000 élèves exclus de toucher l'aide à la scolarité.
De plus, l'hypothèse d'un versement des allocations familiales ou de l'allocation de rentrée scolaire dès le premier enfant permettrait de réintégrer dans le champ de l'aide à la scolarité les familles ne percevant actuellement aucune prestation versée par les caisses d'allocations familiales.
Par ailleurs, une nouvelle réforme de l'aide à la scolarité ne ferait qu'accroître l'opacité du système pour les familles. C'est ce que note l'inspection générale de l'éducation nationale, dans son rapport de 1997 : « Il n'est pas certain que la réforme du système des bourses des collèges, en dépit des difficultés qu'elle a fait naître, doive être remise en cause. Alors que la législation vient tout juste d'être modifiée et que les nouvelles modalités sont encore mal intégrées dans l'esprit et la pratique des familles, un retour à la situation antérieure ne ferait sans doute qu'accroître l'instabilité du système et son opacité. »
La réforme de l'aide à la scolarité semble d'autant moins souhaitable que la nouvelle bourse des collèges proposée par le Gouvernement risque de soulever plus de problèmes qu'elle n'en résoudrait.
Ces problèmes sont de quatre ordres.
Tout d'abord, si les modalités de gestion sont simplifiées, elles restent lourdes pour des établissements qui ont perdu l'expérience de cette gestion, mais elles sont surtout largement déconnectées de la réalité sociale. Ainsi, les ressources prises en compte pour le calcul de la bourse sont celles de l'année n-2. Il y a donc une déconnexion entre l'aide versée et la situation financière des familles.
Ensuite, le coût de gestion des bourses des collèges risque d'être supérieur à celui de l'aide à la scolarité. On rappellera que le coût de gestion de l'aide à la scolarité est actuellement proche de 100 francs par élève, alors que celui de l'ancienne bourse des collèges était de 250 francs. De plus, la suppression des bourses s'était traduite, en 1994, par une économie de trois cents postes dans les services académiques, comme je l'ai déjà dit. Le ministère de l'éducation nationale affirme que des redéploiements d'effectifs suffiront à couvrir le travail supplémentaire. Une création nette d'emplois dans les services académiques n'est cependant pas à exclure.
Par ailleurs, la nouvelle bourse des collèges risque de se traduire par une stigmatisation supplémentaire pour les familles en difficulté. L'aide à la scolarité était un droit : les familles n'avaient aucune démarche à accomplir pour en bénéficier. A l'inverse, la bourse des collèges nécessite une démarche volontaire assortie de formalités administratives pour que les familles puissent en bénéficier.
Enfin, la nouvelle bourse des collèges cherche à corriger certains « effets de champ » de la réforme de 1994. Elle permet ainsi, par le changement du critère d'attribution, de réintégrer au bénéfice de la bourse les trois publics qui avaient été exclus de l'aide à la scolarité. Au total, quelque 90 000 élèves supplémentaires bénéficieraient de la bourse des collèges.
Cette mesure, en apparence positive, est, en réalité, inadaptée. D'une part, il est possible d'étendre l'aide à la scolarité aux enfants de plus de seize ans sans difficultés majeures. Cette mesure fera d'ailleurs l'objet d'un amendement de la commission des affaires sociales. D'autre part, l'assurance faite ce matin même par le Premier ministre d'un versement de l'allocation de rentrée scolaire dès le premier enfant permettra d'étendre sans difficulté l'aide à la scolarité aux enfants des familles d'un enfant : comme les caisses d'allocations familiales devront inscrire ces familles dans leurs fichiers, elles pourront leur verser l'aide à la scolarité. On peut donc s'interroger sur la nécessité de réformer l'aide à la scolarité alors même que les déclarations du Premier ministre en rendent les justifications obsolètes.
D'autre part, le changement du critère d'attribution a surtout pour effet d'exclure du champ de la bourse les enfants de plus de onze ans inscrits en primaire. On estime ainsi entre 80 000 et 100 000 le nombre d'enfants dont les familles touchaient l'aide à la scolarité et qui ne toucheront pas la nouvelle bourse. Or il est à craindre que ces enfants, très souvent en situation d'échec scolaire, soient parmi les plus exposés au risque d'exclusion.
Il est bien évident que la commission des affaires sociales a travaillé sur ce sujet en liaison étroite avec M. Huriet, rapporteur de la loi « famille » et actuel président de la caisse de surveillance de la Caisse nationale d'allocations familiales.
M. le président. La parole est à M. Richert, rapporteur pour avis.
M. Philippe Richert, rapporteur pour avis. Je vais être extrêmement bref, pour ne pas allonger les débats.
Les deux commissions n'ont pas la même position sur ce sujet : dans la pratique, en 1994, lorsque l'on a changé le dispositif pour instaurer l'aide à la scolarité, c'est-à-dire des bourses gérées par les caisses d'allocations familiales, il s'agissait de répondre aux inconvénients de l'ancien dispositif, notamment à la lourdeur financière de gestion de ces dossiers.
Malheureusement, la situation ne s'est pas améliorée et, en réalité, l'ancien système des bourses était plus satisfaisant.
La commission des affaires culturelles a longtemps débattu de cette question et elle a adopté une position à l'unanimité. Elle a considéré que le niveau des bourses servies était insuffisant - 350 francs par famille pour un revenu annuel de 47 000 francs - et elle a estimé que l'ancien système des bourses était préférable, sous réserve des aménagements que propose le Gouvernement, avec une gestion par les établissements scolaires plus proche du terrain.
Malgré les améliorations que vient de rappeler M. le rapporteur, le maintien de l'aide à la scolarité gérée par la caisse d'allocations familiales n'est pas satisfaisant.
En résumé, la commission des affaires culturelles préfère la solution proposée par le Gouvernement à celle que vient d'exposer M. le rapporteur au nom de la commission des affaires sociales.
M. le président. Par amendement n° 97, MM. Seillier et Huriet, au nom de la commission des affaires sociales, proposent de supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Bernard Seillier, rapporteur. Je ne reprendrai pas les arguments que l'ai déjà exposés dans mon intervention sur l'article : la commission des affaires sociales propose la suppression de l'article 76.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Les interventions qui ont précédé l'examen de l'amendement n° 97 ont lié - et c'est bien normal - les articles 76 et 77.
Le Gouvernement, je tiens à le dire à M. le rapporteur de la commission des affaires sociales, partage l'analyse de M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles.
La solution qui a finalement été retenue tient compte de constats établis par des parents d'élèves, des chefs d'établissement et des élus locaux. Tous ont relevé qu'une seule et unique disposition de la loi de 1994 relative à la famille avait suscité de réelles difficultés d'application. C'est pour résoudre ces difficultés que l'article 77 vous est proposé. Il n'est, dans cette affaire, nullement question d'idéologie : il ne s'agit que de prendre en compte des problèmes vérifiés au quotidien sur le terrain, de combler des failles dans le dispositif précédent, qu'il s'agisse des publics ou de la qualité nutritionnelle des repas servis, bref, autant de difficultés qui ont été analysées et qui seront traitées.
En ce qui concerne les publics en cause, M. le rapporteur de la commission des affaires sociales a fait état de chiffres qui ne correspondent pas à ceux qui ont été établis par le ministère de l'éducation nationale. Par exemple, les enfants de onze ans encore scolarisés en primaire et qui bénéficiaient de l'aide à la scolarité étaient, l'an dernier, 6 500. En revanche, les élèves de plus de seize ans encore scolarisés en collège étaient 56 000. Nous devons donc tenir compte de ces données quantitatives.
En résumé, mesdames, messieurs les sénateurs, la position que nous vous proposons - et que rejoint, le Gouvernement s'en réjouit, votre commission des affaires culturelles unanime - n'a pas d'autre objet que d'apporter une solution à des problèmes pratiques constatés au quotidien.
Le Gouvernement souhaite donc que le Sénat repousse l'amendement n° 97 et adopte les articles 76 et 77.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 97.
Mme Hélène Luc. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à Mme Luc.
Mme Hélène Luc. Il n'étonnera personne que je sois résolument à la fois contre l'amendement n° 97 et contre l'amendement n° 98, qui participent du même objet.
En effet, je sais les protestations qu'a soulevées la suppression par le Gouvernement du versement des bourses aux collèges. Des familles connaissant de très grandes difficultés financières ont utilisé cet argent pour satisfaire d'autres besoins familiaux, si bien qu'il n'est pas toujours resté l'argent nécessaire pour les repas des enfants. Nous avons d'ailleurs constaté, à cette époque, une baisse de la fréquentation dans les cantines scolaires.
Je l'ai dit tout à l'heure, le département du Val-de-Marne a beaucoup fait en faveur des cantines scolaires. Depuis qu'il a mis en place son aide, la fréquentation des cantines a augmenté de 38 %, ce qui prouve bien l'importance du besoin.
Il m'a été rapporté que, dans plusieurs collèges, le lundi, les enfants avaient besoin de manger davantage, qu'ils consommaient notamment plus de pain, et que donc on commandait plus de repas. Cela veut bien dire qu'ils n'ont pas très bien mangé chez eux le week-end. Ce sont là des faits qui ne peuvent pas nous laisser indifférents.
S'il est une chose essentielle pour la santé comme pour la réussite scolaire de l'enfant, c'est bien qu'il ait au moins un repas correct par jour.
Voilà pourquoi nous nous félicitons que le Gouvernement ait proposé le reversement direct aux collèges.
Certes - c'est d'ailleurs un argument en faveur de la suppression de l'article - ce reversement direct induit un léger surcroît de travail administratif. Mais, entre le travail administratif supplémentaire et le fait que des enfants puissent manger, mon choix est simple : je choisis le bien-être des enfants.
Il faut donc absolument conserver cette disposition intéressante du Gouvernement, qui répond, en outre, à une demande des parents.
M. Serge Lagauche. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Lagauche.
M. Serge Lagauche. J'ai écouté attentivement M. le rapporteur. Il ne m'a pas convaincu parce que, sur le terrain, la situation est effectivement telle qu'il est nécessaire de revoir le dispositif, qui, pour être plus économique, n'en est pas moins inefficace. Or, le but, c'est tout de même d'obtenir un résultat auprès des familles et des élèves, c'est-à-dire de faire en sorte que ces derniers puissent aller très régulièrement à la cantine !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 97, repoussé par le Gouvernement.
Je suis saisi de deux demandes de scrutin public émanant l'une de la commission des affaires sociales, l'autre du groupe communiste républicain et citoyen.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 102:
Nombre de votants | 317 |
Nombre de suffrages exprimés | 276 |
Majorité absolue des suffrages | 139 |
Pour l'adoption | 155 |
Contre | 121 |
En conséquence, l'article 76 est supprimé.
Article 77