Séance du 12 juin 1998
M. le président. Par amendement n° 321, Mme Cerisier-ben Guiga et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent d'insérer, après l'article 75 bis , un article additionnel ainsi rédigé :
« L'Etat garantit à l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger les moyens nécessaires à la scolarisation des enfants français dans les établissements conventionnés de son réseau sur la base d'une parité de dépense en faveur des enfants scolarisés en France et des enfants français scolarisés dans les écoles françaises à l'étranger. »
La parole est à Mme Cerisier-ben Guiga.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Cet amendement relatif au financement de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger vise à lutter contre l'exclusion de la nationalité française, via l'exclusion scolaire, des enfants français éduqués à l'étranger.
Peut-être serez-vous quelque peu étonnés qu'une telle proposition soit présentée dans ce texte, mes chers collègues. Mais nous constatons que nombre d'enfants français nés à l'étranger perdent, de fait, la nationalité française tout simplement parce qu'ils n'ont pas accès à la langue et à la culture françaises.
La nationalité, telle que nous la concevons en droit français, résulte de la filiation et de la naissance en France ; mais elle est confortée par l'institution scolaire grâce à laquelle enfants et adolescents accèdent à la maîtrise réelle de notre langue et acquièrent ce riche legs de souvenirs et cette volonté de vivre ensemble par lesquels Ernest Renan définit notre sentiment d'appartenance nationale.
Or, pour des enfants français nés et éduqués à l'étranger, c'est l'école qui constitue le principal facteur de francisation, car les familles peinent à transmettre l'héritage. En effet, les Français ont pour caractéristique de s'intégrer facilement dans leur pays d'accueil, et c'est encore plus vrai pour leurs enfants. Encore serait-il souhaitable que ces enfants ne cessent pas de parler français, de se sentir français et, au bout du compte, d'être français. Or, c'est le cas général en Europe et dans le continent américain.
Pour autant, ce n'est nullement la volonté des familles, qui ne renoncent à inscrire leurs enfants à l'école française de leur pays de résidence que pour des raisons financières. Nous constatons aussi que seuls 30 % des enfants immatriculés dans les consulats fréquentent l'école française. Tous les autres fréquentent l'école de leur pays de résidence. Très bien ! Mais quid de leur nationalité française ?
La participation financière de l'Etat français au coût de scolarisation des élèves dans son propre réseau d'écoles françaises à l'étranger est inférieur de moitié au coût total de scolarisation, le reste étant à la charge financière des familles. En outre, cette participation de l'Etat français est inférieure de moitié par enfant au seul effort financier du ministère de l'éducation nationale pour un enfant scolarisé en France. Ainsi, l'Etat français consent à dépenser 12 000 francs par enfant et par an pour un enfant scolarisé à l'étranger alors qu'il dépense 24 000 francs pour un enfant scolarisé en France et que les collectivités territoriales ajoutent 10 000 francs. Cette disproportion, qui nous paraît inacceptable, entraîne des effets tout à fait dommageables en matière d'accès à la nationalité.
Je précise encore que les crédits de bourses scolaires, qui sont actuellement d'un montant total de 200 millions de francs, profitent à des enfants dont les parents ont des ressources très modestes et permettent ainsi, actuellement, à environ 17 000 enfants français d'accéder à l'école française tous les ans.
Mais il n'est pas rare que les droits de scolarité pour un seul enfant atteignent 20 % des revenus familiaux, sans ouvrir pour autant le bénéfice d'une bourse scolaire.
Aussi, pour que les écoles françaises de l'étranger, qui appartiennent à un réseau dépendant d'un établissement public - c'est l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger, qui est placée sous la tutelle du ministère des affaires étrangères - deviennent accessibles à tous les enfants français dont les parents souhaitent qu'ils parlent français, qu'ils aient une culture et une formation intellectuelle françaises et qu'ils restent ainsi pleinement membres de la communauté nationale, l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger doit disposer, selon un principe très simple de parité, du financement nécessaire à l'accomplissement de sa mission de service public d'éducation.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Bernard Seillier, rapporteur. La commission souhaite connaître l'avis du Gouvernement avant de se prononcer.
M. le président. Quel est donc l'avis du Gouvernement ?
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Mme Aubry a déjà indiqué que ce projet de loi n'était pas le cadre idéal pour des dispositions de ce type. Par conséquent, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
Cependant, M. le ministre de l'éducation nationale m'a chargé de dire aux auteurs de cet amendement qu'il partage au moins l'une des convictions fortes qui fondent leur proposition : le fonctionnement de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger doit en effet être amélioré. Claude Allègre a entrepris sur ce point un travail de fond qu'il poursuivra.
M. le président. Quel est, maintenant, l'avis de la commission ?
M. Bernard Seillier, rapporteur. Comme le Gouvernement, la commission considère que cet amendement n'a pas sa place dans ce projet de loi.
M. le président. Madame Cerisier-ben Guiga, l'amendement n° 321 est-il maintenu ?
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Oui, car il pourrait être repris, et je serais peut-être amenée alors à voter un amendement que j'aurais retiré. (Sourires.)
Je constate, une fois de plus, que le problème des Français de l'étranger que nous sommes est d'être toujours en dehors des cadres : nous sommes en dehors des frontières et en dehors de tous les cadres !
Au moins, je suis heureuse que M. Allègre manifeste, à l'occasion du dépôt de cet amendement, un intérêt pour l'Agence de l'enseignement français à l'étranger et que, semble-t-il, s'ouvre enfin un véritable intérêt de l'éducation nationale pour les enfants français à l'étranger. C'est une nouveauté qui intéressera beaucoup nos compatriotes installés à l'étranger.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 321.
M. Jacques Habert. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, cet amendement important souligne une situation déplorable pour ce qui concerne la participation financière de la France à l'enseignement français à l'étranger.
Nous sommes heureux d'entendre que M. le ministre de l'éducation nationale est prêt à s'y intéresser davantage.
Nous regrettons profondément que, au moment de la création de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger, en 1990, le ministère de l'éducation nationale, malgré un vote contraire du Sénat, ait été écarté de la tutelle, et donc de l'aide financière au réseau des établissements d'enseignement français à l'étranger, qui pourtant remplissent un service public. Depuis ce moment, le problème est posé.
Nous avons constaté qu'un enfant français scolarisé à l'étranger coûte environ moitié moins cher qu'un enfant français scolarisé en France. C'est une situation évidemment anormale. Nous souhaiterions donc - c'est le voeu du Conseil supérieur des Français à l'étranger et, en fait, de tous nos compatriotes expatriés - qu'il y ait égalité à cet égard et que la France accepte de dépenser exactement la même somme pour les enfants français scolarisés en France et les enfants français scolarisés à l'étranger.
S'il en était ainsi, il n'y aurait plus de problèmes financiers pour l'enseignement français à l'étranger. C'est la solution que nous préconisons depuis longtemps et que l'on se refuse à admettre. Mais il faudra bien y venir un jour, car il n'est pas possible de continuer comme aujourd'hui.
Actuellement, le problème n'est plus seulement de permettre aux enfants français de suivre à l'extérieur un enseignement français ; il est aussi - et c'est plus grave - compte tenu de la spirale de l'augmentation des frais de scolarité, d'éviter que de jeunes Français en soient exclus. Il faut enrayer les départs pour raisons financières enregistrés depuis deux ans dans les établissements français à l'étranger.
Il y a là un problème essentiel, et cet amendement met fort judicieusement l'accent sur ce problème. Nous souhaitons, par conséquent, qu'il soit pris en compte, ne serait-ce que pour donner matière à réflexion au cours de la navette parlementaire, afin de voir ce que peut faire l'éducation nationale, laquelle - c'est invraisemblable et inadmissible ! - ne fait rien financièrement pour l'enseignement français à l'étranger.
Ce sont deux ministères relativement pauvres - les affaires étrangères et la coopération - qui s'en occupent et qui ont la tutelle de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger.
Or, voilà maintenant que ces deux ministères fusionnent, et l'on constate que les crédits risquent encore de baisser. Demain, la situation peut encore empirer.
Le vote de cet amendement permettrait d'y réfléchir et de voir ce que l'on va faire pour ce problème récurrent qui prend maintenant une gravité exceptionnelle.
J'invite donc mes collègues à voter cet amendement, de manière que le Gouvernement puisse songer à mieux faire face à ses responsabilités. (Mme Cerisier-ben Guiga applaudit.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 321, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 75 bis .
M. Jean Chérioux. Nous sommes loin du problème de l'exclusion !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Mais non !
M. le président. Par amendement n° 386, Mme Luc, MM. Renar et Ralite, les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent d'insérer, après l'article 75 bis, un article additionnel ainsi rédigé :
« L'agrément de l'Etat pour le classement d'établissements scolaires en zones d'éducation prioritaire (ZEP) ou en zones sensibles doit tenir compte uniquement des besoins des établissements scolaires après l'analyse des critères internes au système scolaire et des critères externes sur l'environnement, à l'exclusion de tout autre critère. »
La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. L'une des innovations majeures du projet de loi qui nous est soumis consiste en l'application étendue d'un principe de discrimination positive. Cela permettra d'ouvrir plus largement à tous, notamment à nombre de nos concitoyens en situation de grande difficulté - en situation d'exclusion, comme il est de coutume de le dire - l'accès des services publics adaptés.
Le dispositif des zones d'éducation prioritaire peut constituer, à ce titre, un instrument privilégié de la lutte contre l'exclusion en milieu scolaire.
La récente mobilisation de la communauté éducative et des parents d'élèves du département de la Seine-Saint-Denis montre l'attachement de la population à ce dispositif en tant qu'instrument privilégié dans des situations où l'échec scolaire va très souvent de pair avec l'exclusion.
Trop souvent, hélas ! le classement de certains établissements en zone d'éducation prioritaire se heurte à d'énormes difficultés, notamment budgétaires, qui viennent retarder d'autant la mise en place de mesures adaptées sur le terrain.
Notre amendement vise tout simplement à éviter que le classement en zone d'éducation prioritaire n'intervienne que tardivement et ne soit soumis à des contraintes budgétaires ayant assez peu à voir avec la résolution de problèmes d'insertion scolaire.
Ainsi, l'amendement que nous vous proposons d'adopter prévoit que l'agrément de l'Etat pour le classement d'établissements scolaires en ZEP devra tenir compte de leurs besoins, après analyse des critères internes au système scolaire et des critères externes relatifs à l'environnement des établissements, à l'exclusion de tout autre critère et principalement du critère des moyens.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Bernard Seillier, rapporteur. La commission s'est interrogée sur la définition des critères internes et externes, et elle remercie donc notre collègue d'avoir tenté de la clarifier.
Elle reste cependant assez sceptique sur les conséquences que l'on peut tirer de cette définition et elle émet donc un avis défavorable sur l'amendement n° 386.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement n'est pas favorable à l'amendement n° 386, car il ne souhaite pas faire entrer la définition des zones d'éducation prioritaire dans une logique d'agrément, laquelle, qui plus est, serait prévue par des dispositions législatives, en l'occurrence celles que vous soumettez à l'adoption de la Haute Assemblée, monsieur Fischer.
Le Gouvernement est convaincu qu'il faut garder une certaine souplesse pour agir au plus près des priorités qui s'imposent, d'autant que - vous en conviendrez, monsieur le sénateur - ces priorités peuvent évoluer. Ainsi, la situation démographique peut être très sensiblement modifiée par la réalisation de telle ou telle opération, la situation économique peut être boulerversée par la fermeture d'une entreprise importante.
S'il fallait, dans toutes ces circonstances, engager un processus pour parvenir à un agrément de l'Etat, je crois que nous aurions là une rigidité qui n'irait pas dans le sens du voeu que vous entendez satisfaire.
Telles sont les raisons pour lesquelles le Gouvernement souhaite que cet amendement ne soit pas adopté.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 386, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 76