Séance du 9 décembre 1998







M. le président. « Art. 3. - L'article L. 338 du code électoral est ainsi rédigé :
« Art. L. 338. - Les conseillers régionaux sont élus dans chaque région au scrutin de liste à deux tours, avec dépôt de listes comportant autant de candidats que de sièges à pourvoir, sans adjonction ni suppression de noms et sans modification de l'ordre de présentation.
« Au premier tour de scrutin, il est attribué à la liste qui a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés un nombre de sièges égal au quart du nombre des sièges à pourvoir, arrondi à l'entier supérieur. Cette attribution opérée, les autres sièges sont répartis entre toutes les listes à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne, sous réserve de l'application du quatrième alinéa ci-après.
« Si aucune liste n'a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés au premier tour, il est procédé à un second tour. Il est attribué à la liste qui a obtenu le plus de voix un nombre de sièges égal au quart du nombre des sièges à pourvoir, arrondi à l'entier supérieur. En cas d'égalité de suffrages entre les listes arrivées en tête, ces sièges sont attribués à la liste dont les candidats ont la moyenne d'âge la moins élevée. Cette attribution opérée, les autres sièges sont répartis entre toutes les listes à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne, sous réserve de l'application du quatrième alinéa ci-après.
« Les listes qui n'ont pas obtenu au moins 3 % des suffrages exprimés ne sont pas admises à la répartition des sièges.
« Les sièges sont attribués aux candidats dans l'ordre de présentation sur chaque liste.
« Si plusieurs listes ont la même moyenne pour l'attribution du dernier siège, celui-ci revient à la liste qui a obtenu le plus grand nombre de suffrages. En cas d'égalité de suffrages, le siège est attribué au moins âgé des candidats susceptibles d'être proclamés élus. »
Sur l'article, la parole est à M. Franchis.
M. Serge Franchis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la révision du mode d'élection des conseillers régionaux tient à la nécessité de permettre aux assemblées régionales de disposer d'une majorité stable - je crois que nous sommes tous d'accord sur ce point - d'où le projet d'attribuer à la liste qui recueille soit la majorité absolue au premier tour, soit le plus grand nombre de voix au second tour, un nombre de sièges supplémentaires que l'on appelle communément « la prime », égale au quart du nombre de sièges à pourvoir. Ce dispositif s'inspire du mode d'élection des conseillers municipaux.
Dans les régions, nous constatons volontiers de réelles difficultés pour réunir une majorité, mais nous relevons aussi des obstacles à la mise en oeuvre de ce qu'il est convenu d'appeler le pacte républicain.
Or les dispositions proposées dans le texte que nous examinons ce soir - et, plus particulièrement, dans l'article 3 - ne préservent pas des effets souvent dénoncés lors de triangulaires ou de quadrangulaires dans le cadre de l'organisation d'un scrutin à deux tours.
L'abaissement de 10 à 5 % du seuil d'accès au deuxième tour suscite plutôt l'émergence de listes susceptibles de représenter des extrêmes et tend à favoriser ces triangulaires ou ces quadrangulaires. Si ces dernières possèdent des vertus, eh bien ! il faut les reconnaître et il faut le dire.
A contrario, il est malvenu d'en condamner les effets pervers et de tout mettre en oeuvre pour en favoriser, pour en multiplier les occasions. La morale républicaine n'y trouve pas son compte.
En bonne logique, plutôt que d'abaisser le taux de 10 %, il serait plus radical de l'appliquer au nombre d'électeurs inscrits, de préférence à celui des suffrages exprimés.
L'exigence nécessaire à cet égard pourrait même consister à n'admettre au second tour que la présentation des deux listes arrivées en tête au premier tour. Après tout, les considérations qui prévalent pour le mode d'élection du Président de la République conservent toute leur valeur pour d'autres consultations électorales.
Dans un scrutin de liste comme celui des élections régionales, les électeurs expriment leur préférence politique. Au second tour, ils ont à désigner une équipe dirigeante.
La répartition des sièges à la proportionnelle, d'après les résultats du premier tour, pourrait ouvrir le champ à une stricte restriction du nombre de listes admises à participer au second tour.
Nous devons prendre conscience de l'enjeu.
La révision d'un mode d'élection ne doit pas être enfermée dans des pratiques obsolètes.
Tout en favorisant la plus large représentation démocratique, nous devons, à tout prix, nous opposer à ce qui peut concourir à déformer la réalité politique de la nation et à travestir la volonté du corps électoral. Or, compte tenu des conditions dans lesquelles nous sommes amenés à procéder à cette révision du mode de scrutin, nous ne pouvons qu'être réservés sur les conséquences qui en découleront pour la composition des prochaines assemblées régionales.
Telles sont les réserves que je tenais à exprimer. Je crois, en effet, que nous sommes engagés dans une voie que nous regretterons de voir se développer. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Raffarin.
M. Jean-Pierre Raffarin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je rejoins l'essentiel des propos qu'a tenus Serge Franchis ; il a parlé avec beaucoup de bon sens de ces questions.
Monsieur le ministre, l'article 3 est au coeur du débat. Je regrette vraiment qu'une concertation n'ait pas eu lieu sur ce sujet. Quand je pense que M. le Premier ministre, sur un texte comme celui-ci, a invité à Matignon les huits présidents de régions socialistes, excluant les autres, y compris les républicains ! Il nous demande de montrer que nous ne sommes pas liés au Front national, que nous sommes vraiment engagés pour défendre des idées républicaines, ce qui est le cas...
M. Jean Arthuis. Bien sûr !
M. Jean-Pierre Raffarin. ... et, quand il s'agit de se concerter, il n'invite que les membres de son parti ! S'il nous avait écoutés, il n'aurait pas commis les erreurs qui figurent dans cet article 3 !
Tout d'abord, s'agissant du mode de scrutin à deux tours, j'indique en préalable que j'approuve tout à fait les positions de la commission des lois, ainsi que les propos de M. le rapporteur. A ce stade de la discussion, nous n'en sommes plus à essayer de construire le mode de scrutin le plus efficace, le plus juste et le plus républicain. Il s'agit de placer l'Assemblée nationale devant le choix le plus clair possible.
Cette idée des deux tours, monsieur le ministre, démontre le manque de sincérité du Gouvernement sur le sujet.
M. Serge Franchis. Très bien !
M. Jean-Pierre Raffarin. Il n'existe pas, dans le monde entier, de scrutin à la proportionnelle à deux tours, en dehors du scrutin municipal français. De deux choses l'une : ou bien l'on choisit un scrutin majoritaire, et là les deux tours sont nécessaires, ou bien l'on choisit un scrutin proportionnel, et un seul tour suffit. Le choix d'instaurer un scrutin proportionnel à deux tours est une manoeuvre.
M. Henri de Raincourt. Et voilà !
M. Michel Mercier. C'est vrai !
M. Jean-Pierre Raffarin. Dans le discours de Rennes, le chef de l'Etat a exprimé une crainte eu égard à des arrière-pensées des auteurs de ce projet de loi au manque de sincérité de ce texte. M. Giscard-d'Estaing, dans un article important paru dans Le Monde, parlait d'immoralité. Cela devrait vous inviter à la réflexion, mes chers collègues !
Comment accepter aujourd'hui cette idée d'un scrutin à deux tours ? Elle est véritablement la marque d'un manque de sincérité du Gouvernement, donc, je le répète d'une manoeuvre.
Vous faites référence aux municipales ! Si cela est exact, monsieur le ministre, retenez au moins les seuils des municipales...
M. Henri de Raincourt. Eh bien voilà !
M. Michel Mercier. Eh oui !
M. Jean-Pierre Raffarin. ... mais n'allez pas chercher ce seuil de 3 %, qui est fondamentalement révoltant. Pour quelqu'un qui est attaché à la vie régionale, il est inadmissible de donner des responsabilités à des ultra-minoritaires.
M. Paul Masson. Très bien !
M. Jean-Pierre Raffarin. Croyez-vous que ce type de décision soit respectable ?
Je sais qu'aujourd'hui, dans la République citoyenne, on peut être ministre avec 6 ou 7 % des voix. Est-ce en faisant en sorte que quelqu'un qui pèse 3 % de voix puisse avoir accès à la représentation que nous amènerons le peuple à avoir confiance dans ses édiles, à respecter ses élus ? Est-ce cela la crédibilité du politique ?
Et on s'étonnera, après, que les jeunes sous-estiment, voire méprisent la fonction publique. A 3 % est-on démocratiquement crédible ?
M. Robert Bret. Oh !
M. Jean-Pierre Raffarin. Peut-on aujourd'hui, avec 3 % des voix - je le dis comme je le pense ! - jouer les rôles de charnière en permanence et sur tous les sujets ? On l'a vu encore aujourd'hui à propos d'une décision importante : M. le Premier ministre, des heures durant, s'est enfermé dans son cabinet pour le dossier des laboratoires souterrains pour les déchets nucléaires. Ces décisions sont stratégiques pour le pays ! Il est obligé de composer et d'arriver à une conclusion qui ne correspond pas à la loi Bataille, simplement parce que, à un moment ou à un autre, au lieu d'opérer des choix stratégiques dans l'intérêt du pays, on procède à des dosages politiques en donnant aux ultra-minoritaires des pouvoirs qu'ils n'ont pas gagnés dans les urnes.
Je suis vraiment révolté par le seuil de 3 % et la répartition qui figurent à l'article 3 !
Monsieur le ministre, il y a beaucoup de choses à dire sur ce scrutin à deux tours. J'approuve la position de la commission des lois, car il me paraît essentiel de retenir le texte qu'elle nous propose aujourd'hui. Mais, en fait, ces deux tours sont, je le répète, l'expression d'un manque de sincérité.
J'ai été, pendant dix années, le plus jeune des présidents de région. Faut-il vraiment donner à penser que la jeunesse doit prévaloir sur l'expérience ? Très franchement, prévoir dans cet article 3 que la moyenne d'âge la moins élevée doit être privilégiée est une erreur. J'ai renouvelé mes listes, et c'est sans doute ce qui m'a permis de gagner les élections régionales en Poitou-Charentes, mais je vois aujourd'hui que, suite à ce renouvellement, nous sommes souvent confrontés à un manque d'expérience face aux complexités de la vie publique et des responsabilités des élus.
La nouveauté doit-elle toujours être privilégiée ?
M. Guy Allouche. Le temps de parole sur un article est limité à cinq minutes, monsieur le président !
M. Jean-Pierre Raffarin. J'en ai terminé, monsieur Allouche.
M. le président. C'est moi qui préside et qui décompte les temps de parole, monsieur Allouche !
M. Jean-Pierre Raffarin. En conclusion, nous sommes, bien sûr, pour l'expression de la jeunesse. Nous sommes bien sûr, favorables à la rénovation des institutions et à une plus large ouverture à la jeunesse des assemblées. Mais faut-il vraiment donner à l'inexpérience la prime sur l'expérience ? L'article 3 est particulièrement décevant sur ce point.
C'est la raison pour laquelle cet article me paraît le plus néfaste du projet de loi, et je le combattrai donc lors de l'examen des amendements. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. On a voulu comparer le mode de scrutin proposé dans ce projet de loi au scrutin municipal. Or il n'y a rien de comparable ! Le mode de scrutin municipal est un scrutin intéressant : on l'a souligné tout à l'heure, il est unique en son genre dans notre pays, parce que, au second tour, il n'y a que deux listes en présence, exceptionnellement trois.
De même, il s'agit d'un scrutin unique, parce que les fusions de listes sont elles-mêmes exceptionnelles. En effet, il n'y a pratiquement que très peu de fusions entre le premier et le second tour, ce qui oblige les formations politiques qui se présentent aux élections municipales à faire preuve de maturité et à consentir un effort préalable, d'abord parce qu'il y a des seuils, ensuite parce qu'à l'échelon municipal il y a une personnalisation des listes autour du nom du futur maire.
Or rien de tel n'est prévu dans le scrutin régional que l'on nous propose.
Tout d'abord, il n'y a pas la prime de 50 % des sièges qui existe pour le conseil municipal : la prime est seulement du quart, soit 25 %. Comme l'a magnifiquement démontré notre rapporteur, nous pourrons, même avec cette prime, voir des formations minoritaires siéger au sein du conseil régional.
En outre, l'abaissement des seuils va permettre toutes les magouilles, en particulier celle, bien connue, qui consiste à faire se présenter une liste dissidente à la liste la plus dangereuse pour vous-même. Ainsi, on va créer une pseudo liste de gauche, une pseudo liste de Verts ou une pseudo liste d'extrême gauche qui va voler quelques voix à l'adversaire le plus important. Le système qui consiste à abaisser le seuil à 3 % incitera, naturellement, toutes les formations des plus folkloriques aux plus douteuses, à présenter des candidats.
En d'autres termes, nous sommes en face du plus mauvais exemple de mode de scrutin que l'on puisse trouver, surtout en raison de l'abaissement des seuils : il ne permet pas d'aboutir au résultat que vous-même, monsieur le ministre, avez fixé dès le départ, c'est-à-dire à une majorité stable à l'échelon local. Vous avez donc fait tout le contraire de ce qu'il fallait faire !
La commission des lois a essayé de remédier à ces difficultés, notamment avec le mode de scrutin à un seul tour. Elle a tenté de corriger les seuils aberrants fixés par l'Assemblée nationale, lesquels relèvent purement et simplement de la démagogie ou du calcul politique, mais absolument pas de l'efficacité régionale.
Enfin, je conclurai mon intervention en reprenant les propos tenus tout à l'heure par M. Raffarin. Le principe du privilège de l'âge remonte au tout début de la démocratie. Il prévalait déjà dans la Grèce antique ; il a été repris tout au long de l'histoire de la démocratie à laquelle il est indissolublement lié. Il figurait même dans nos constitutions révolutionnaires. Or il ne joue que dans certains cas en début de session ou à la marge.
A titre d'exemple, en Haute-Normandie, M. Laurent Fabius a été battu par M. Antoine Rufenacht à la présidence de région au bénéfice de l'âge. Je ne porterai pas de jugement sur M. Laurent Fabius, que j'apprécie tout particulièrement ; mais j'estime qu'il était plus normal, en l'espèce, que le plus âgé devienne président de la région. Il fallait, comme l'a souligné M. Raffarin tout à l'heure, un homme d'expérience à la tête de celle-ci.
En d'autres termes, cette proposition n'a pour objet que de toucher quelques électeurs indécis, que, de toute façon, vous ne rallierez pas - cela me fait penser au caramel que l'on tend à un gamin - cela ne va pas plus loin.
En fin de compte, je me demande si cette mesure n'est pas d'ordre constitutionnel et si elle ne relève pas des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, puisque les constitutions l'ont toutes admise dans le passé. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Arthuis.
M. Jean Arthuis. L'article 3 se situe effectivement au coeur du dispositif proposé par le Gouvernement. Je veux rendre hommage à M. Gélard, qui vient de formuler une observation qui doit retenir toute notre attention car nous ne sommes pas à l'abri, si ce texte scélérat (Murmures sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen) devait être voté, d'un recours constitutionnel.
Nous sommes préoccupés, monsieur le ministre, par la stabilité des majorités dans les conseils régionaux. Or il est regrettable que vous ayez cru devoir rester ancré dans une logique proportionnelle. Pour ma part, je déplore que vous n'ayez pas cru devoir nous proposer un dispositif qui a permis de dégager des majorités stables. La démonstration en a été faite dans les conseils généraux, comme à l'Assemblée nationale : je veux parler du scrutin uninominal à deux tours.
C'est pourquoi, tout en reconnaissant le bien-fondé de l'amendement n° 6, j'aurais souhaité entendre le Gouvernement sur ce sujet.
M. le président. Par amendement n° 6, M. Paul Girod, au nom de la commission, propose de rédiger comme suit le premier alinéa du texte présenté par l'article 3 pour l'article L. 338 du code électoral :
« Les conseillers régionaux sont élus dans chaque région, par section départementale au scrutin de liste à deux tours, avec dépôt de listes régionales comportant des sections portant la même appellation dans chacun des départements de la région et présentant autant de candidats par département que de sièges à pourvoir dans le département, sans adjonction, ni suppression de noms et sans modification de l'ordre de présentation. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod, rapporteur. Après avoir écouté les différents intervenants et compte tenu du fait que nous allons décortiquer l'article 3 puisqu'il comporte des dispositions très diverses, il me revient à l'esprit une chanson qui a été célèbre en son temps et qui commençait par les mots : « Je suis une bande de jeunes à moi tout seul ».
L'article 3 est une révolution culturelle à lui tout seul car il introduit de manière incidente et plus ou moins discrète toute une série de dispositions nouvelles et fort importantes dans notre vie publique. Il constitue, en quelque sorte, une loi électorale à lui tout seul.
Par amendement n° 6, la commission des lois accepte l'idée de la circonscription régionale tout en essayant d'en éviter certains inconvénients. Parmi ceux-ci, il en est un qui découle tout simplement de l'observation des chiffres, et j'en citerai deux concernant la région Midi-Pyrénées.
Il n'est pas possible d'aménager le territoire, rôle éminent des régions, sans se préoccuper des départements, si reculés soient-ils. Au recensement de 1990, le département de l'Ariège, par exemple, comptait 136 455 habitants et la ville de Toulouse 650 336 habitants, soit cinq fois plus...
M. Jean-Pierre Bel. Non ! il n'y en a pas 400 000 !
M. Paul Girod, rapporteur. Je parlais de l'agglomération toulousaine.
M. Michel Duffour. Si les chiffres ne sont pas bons...
M. Paul Girod, rapporteur. Il n'en demeure pas moins qu'une seule agglomération représente cinq départements. A qui fera-t-on croire qu'une liste, dont la clientèle électorale est, de surcroît, généralement locale, tiendra équitablement compte, dans sa composition, de telles disparités ? Elle mettra bien évidemment le maximum de candidats connus dans le secteur qu'elle recouvre.
Par ailleurs, le scrutin de liste sans rattachement des candidats à un département aboutit à une liste, en région parisienne, de 209 personnes et, en Rhône-Alpes, d'environ 150 personnes.
Imaginons un seul instant l'effarement de l'électeur de Brie-Comte-Robert - excusez-moi, monsieur le président de la commission, j'ai pris au hasard l'exemple de votre département.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Il est très effaré !
M. Paul Girod, rapporteur. Cela tombe bien ! Je ne le savais pas, mais je le soupçonnais.
Imaginez donc l'effarement de l'électeur de Brie-Comte-Robert à qui sera soumise une liste de 209 personnes. Il lui faudra une loupe car les noms seront nécessairement écrits tout petit, sinon le bulletin n'entrera pas dans l'urne, pour retrouver les noms de personnalités qu'il pourrait éventuellement connaître et en qui il pourrait avoir confiance pour défendre le secteur dans lequel il vit. Il y a donc là un abus.
D'ailleurs, entre nous, le même problème se pose pour les élections européennes mais les pouvoirs de décision du Parlement européen n'ont rien à voir avec ceux d'un conseil régional. En conséquence, la retombée locale des décisions qui seront prises n'est pas du tout la même.
Il faudrait donc que les candidats soient identifiés par département et que celui-ci soit convenablement représenté.
Monsieur le ministre, vous avez employé tout à l'heure un argument qui m'a beaucoup surpris. Vous vous rendez compte, m'avez-vous dit, avec la section départementale, une liste minoritaire dans un département sera majoritaire en sièges dans le même département. Mais, avec votre système, c'est bien pire. Une liste qui aura obtenu un nombre réduit de suffrages dans un département risque de se retrouver majoritairement avec des représentants d'une tendance qu'elle a rejetée, issue du même département, tout simplement parce que ces candidats auront été placés dans la liste régionale et qu'ils auront été choisis par hasard.
L'argument que vous avez employé tout à l'heure peut être retourné avec une telle facilité que je n'ose même pas croire que vous aviez pensé aux contre-batteries possibles. C'est la raison pour laquelle la commission des lois, qui accepte, ce qui n'est pas si simple dans cette assemblée, l'idée d'un scrutin régional, affirme que celui-ci ne peut être mis en oeuvre sans un minimum d'attache départementale des candidats.
Tel est l'objet de l'amendement n° 6, que j'ai l'honneur de présenter au nom de la commission des lois en souhaitant que le Sénat, dans sa sagesse, l'adopte.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement. Le mode de scrutin proposé par la commission des lois n'est pas dépourvu d'avantages. (Exclamations sur les travées de l'Union centriste.) Attendez la suite ! Il concilie en effet l'organisation de l'élection dans le cadre départemental et l'attribution d'une prime en sièges à l'échelon régional. Il assure une majorité régionale sans couper l'électeur du cadre départemental qui lui est, c'est vrai, familier. Il évite aussi d'avoir à prévoir un dispositif particulier pour rattacher ultérieurement les conseillers régionaux à chaque collège électoral sénatorial dans le département de la région.
Toutefois, le Gouvernement, qui avait étudié ce mode de scrutin, ne l'a en définitive pas retenu pour un certain nombre de raisons. Il lui apparaît très compliqué et serait sans doute mal compris de l'électeur...
M. Serge Franchis. Pal mal compris du tout !
M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement. ... avec les effets négatifs qui peuvent en résulter sur la participation.
Dans certaines régions, composées de départements politiquement hétérogènes, il aurait pour conséquence qu'une liste minoritaire dans un département pourrait néanmoins s'y voir attribuer la majorité des sièges. En ce domaine, tout se retourne donc...
M. Guy Allouche. Tout est réversible !
M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement. Effectivement !
Vous avez évoqué tout à l'heure les élections européennes. Le Gouvernement avait justement formulé une proposition. Or les groupes appartenant à la majorité sénatoriale, ainsi d'ailleurs que certains à l'Assemblée nationale...
M. Jean Arthuis. La gauche plurielle !
M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement. ... ne m'avaient pas semblé enthousiastes sur ce point. Comme quoi, tout se retourne !
Bref, la distorsion existant entre les sièges attribués par l'effet de la prime et les résultats comptabilisés dans les départements serait perçue comme une manoeuvre. C'est pourquoi, et vous n'en serez guère surpris, le Gouvernement émet un avis défavorable sur l'amendement n° 6.
M. Paul Girod, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod, rapporteur. Je ne suis pas certain que l'électeur préfère le brouillard aux repères. Les lignes blanches sur les routes ont été dessinées afin que les automobilistes ne se perdent pas quand il y a du brouillard. Si vous leur proposez une liste de 209 noms, ils sont dans le brouillard. Si vous mettez quelques lignes blanches qui leur permettent de savoir de qui il s'agit, c'est quand même un peu mieux. (« Bravo ! » et applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 6.
M. Jean-Paul Amoudry. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Amoudry.
M. Jean-Paul Amoudry. Reprenant les propos tenus par M. le rapporteur, je souhaite revenir sur le cas de la région Rhône-Alpes. J'avais, tout à l'heure, tenu à mettre en garde, à travers cet exemple concret, contre les répercussions profondes du projet de loi en l'absence de sections départementales.
Compte tenu de la perspective de voir fondre la représentation de certains départements, je me suis fait l'interprète de plusieurs élus pour demander au Gouvernement de se prononcer non pas sur l'opportunité de créer une région, mais simplement sur l'ouverture d'un débat sur la question. A cet égard, je serai reconnaissant à M. le ministre de m'indiquer la position du Gouvernement tout en exprimant le regret de ne pas l'avoir entendue tout à l'heure et d'être quelque peu contraint de la réclamer.
Est-il besoin, enfin, de souligner que ma démarche s'inscrit bien évidemment dans le plus pur esprit républicain et que le désintérêt avec lequel elle pourrait être accueillie ne ferait que renforcer des sentiments extrémistes et autonomistes, qu'elle a pour objectif de réduire ? (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Serge Franchis. C'est important !
M. Jean-Pierre Raffarin. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Raffarin.
M. Jean-Pierre Raffarin. Je suis un peu embarrassé. En effet, je perçois bien l'intérêt de cet amendement, que je vais voter. Mais je vois aussi que finalement, par petites touches, on en arrive, à partir d'un texte dépourvu de cohérence, à laisser penser que c'est finalement notre vision qui est incohérente.
Je rejoins l'une des propositions formulées par les présidents des groupes de la majorité sénatoriale à l'appui de la question préalable déposée en première lecture : ils avaient annoncé qu'une proposition de loi serait inscrite dans le cadre de l'ordre du jour réservé à l'examen des textes d'initiative parlementaire. J'attire l'attention de tous, y compris celle de M. le président et de M. le rapporteur de la commission des lois, pour que nous travaillions ensemble dans un souci de concertation et sans exclusive, monsieur Allouche.
M. Guy Allouche. Le Président de la République l'a fait à Rennes avec ses amis politiques !
M. Philippe Nogrix. Ils étaient tous présents !
M. Michel Duffour. Pourquoi n'avez-vous pas encore commencé ?
M. Jean-Pierre Raffarin. Dans la ligne des propos tenus par M. le Président de la République, j'estime qu'il faut respecter les assemblées dans leur majorité et dans leur minorité. Le Président de la République a notamment déclaré qu'il fallait du temps pour bâtir un projet électoral qui soit partagé.
Une loi qui, dès le départ, est contestée, est fragile. Je crois qu'il nous faudra reprendre ce texte. Tout à l'heure, M. Arthuis parlait de circonscriptions pour scrutin majoritaire. C'est une idée. On a parlé du scrutin à un tour. C'est une autre idée. Il y a plusieurs idées. Confrontons-les au sein de la Haute Assemblée. Faisons-le avec cohérence et non en adoptant une série d'amendements sur un texte incohérent, car le résultat ne serait alors pas parfait.
Ce qui me paraît très important dans cet amendement et qui me convainc de le voter, monsieur le rapporteur, c'est cette idée de section départementale.
En effet, il ne sert, à mon avis, à rien d'opposer, dans notre démocratie, dans notre République, la région et le département.
M. Paul Girod, rapporteur. Voilà !
M. Jean-Pierre Raffarin. La décentralisation est forcément une dynamique unitaire. Si l'on veut le combat des institutions, on n'obtient que la paralysie. Les territoires divisés sont des territoires inactifs. Ce sont au contraire les territoires qui se rassemblent qui dégagent vraiment des capacités d'action.
Par conséquent, tout doit être fait pour qu'il y ait entente institutionnelle entre les départements et les régions. La section départementale permet de reconnaître aux départements ce rôle important d'espace politique essentiel dans le cadre duquel sont structurés beaucoup de nos échanges et notre organisation politique. Il est important de maintenir et l'ambition régionale et la section départementale.
Je voterai donc cet amendement. Ma réserve porte sur les deux tours ; mais il ne s'agit pas aujourd'hui de bâtir notre proposition de loi pour la Haute Assemblée : je souhaite que nous le fassions dans le cadre d'un travail réfléchi et concerté. Dans ce contexte-là, j'approuve tout à fait la proposition de M. le rapporteur. (« Très bien ! » et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 6, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Par amendement n° 7, M. Paul Girod, au nom de la commission, propose de remplacer la deuxième phrase du deuxième alinéa du texte proposé par l'article 3 pour l'article L. 338 du code électoral par les dispositions suivantes :
« La répartition de cette prime en sièges s'opère entre les sections départementales de cette liste, en fonction des résultats obtenus par la liste dans chaque département, à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne. Cette attribution réalisée, les autres sièges sont répartis dans chaque section départementale entre toutes les listes à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne, sous réserve de l'application du quatrième alinéa ci-après. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod, rapporteur. Je voudrais attirer l'attention du Sénat, spécialement de nos collègues de l'opposition sénatoriale, et donc de la majorité nationale, sur le fait que cet amendement, qui est une conséquence de l'amendement n° 6, qui vient d'être adopté - il vise en effet la répartition de la prime entre les sections départementales - ne remet pas en cause le niveau de la prime telle qu'il a été accepté par l'Assemblée nationale. Nous en restons à 25 %. Nous verrons tout à l'heure que ces 25 % sont incompatibles avec les seuils qui viennent de nous être proposés.
M. Henri de Raincourt. C'est important !
M. Paul Girod, rapporteur. C'est l'un ou l'autre, mais ce n'est pas les deux ! Le dispositif doit être cohérent. Les lois électorales ne sont pas un buffet ouvert dans lequel on prend un petit sandwich par ci, un verre de champagne par là, un petit four, avant d'en revenir au salé !
M. Guy Allouche. Ce n'est pas désagréable !
M. Paul Girod, rapporteur. Ce n'est pas désagréable, mais ce n'est pas un menu ! Ce n'est pas un repas !
M. Michel Mercier. Ce n'est pas diététique ! (Sourires.)
M. Paul Girod, rapporteur. Nous acceptons le pourcentage adopté par l'Assemblée nationale parce que, dans un système dans lequel il est important que les minorités puissent s'exprimer 25 %, c'est peut-être bien. Encore faut-il que cela débouche quand même sur des majorités !
L'amendement n° 7 est la conséquence de l'amendement n° 6 qui vient d'être adopté, disais-je. Il vise à prévoir, dans le cadre de cette prime limitée - c'est donc non négligeable - la répartition des sièges au niveau de chaque section départementale.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement. C'est un amendement de conséquence, et l'avis du Gouvernement est donc identique à celui qui avait été émis sur l'amendement n° 6.
Je ne voudrais pas que M. Amoudry considère qu'il y a de la désinvolture de ma part. Simplement, je pensais que M. Jean-Jack Queyranne, qui vient d'arriver dans cet hémicycle, avait déjà largement répondu ; mais c'était peut-être à l'Assemblée nationale. De toute façon, M. Queyranne aura certainement l'occasion de s'exprimer.
En tout cas, des procédures existent, monsieur le sénateur : il faut que les collectivités locales prennent l'initiative, et il y a tout un système qui peut conduire à l'hypothèse que vous émettez. Pour l'instant, je dirai, sans émettre un avis sur le fond, que je n'ai pas vu ces procédures s'engager.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 7, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Par amendement n° 8, M. Paul Girod, au nom de la commission des lois, propose, après la deuxième phrase du troisième alinéa du texte présenté par l'article 3 pour l'article L. 338 du code électoral, d'insérer une phrase ainsi rédigée :
« La répartition de cette prime en sièges s'opère entre les sections départementales de cette liste, en fonction des résultats obtenus par la liste dans chaque département, à la repésentation proportionnelle à la plus forte moyenne. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod, rapporteur. Monsieur le président, cet amendement est similaire à l'amendement n° 7. Ce dernier traitait de l'attribution de la prime en cas de majorité absolue d'une liste au premier tour ; l'amendement n° 8 vise l'attribution de la prime en cas de majorité relative d'une liste au second tour.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement. Comme sur les précédents amendements, le Gouvernement émet un avis défavorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 8, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Par amendement n° 9, M. Paul Girod, au nom de la commission, propose, dans la troisième phrase du troisième alinéa du texte présenté par l'article 3 pour l'article L. 338 du code électoral, de remplacer le mot : « moins » par le mot : « plus ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod, rapporteur. Monsieur le président, nous quittons les mathématiques pour entrer dans la poésie ;cette dernière n'est pas d'origine gouvernementale, si j'ai bien lu le compte rendu des débats. En effet, c'est l'Assemblée nationale, qui, emportée par sa jeunesse de mandat, se lance dans les aventures les plus invraisemblables et a introduit cette notion de « jeunisme » dont parlait tout à l'heure M. le professeur Gélard, avec toute l'autorité que lui confère sa grande connaissance des textes constitutionnels et de l'histoire de la démocratie. Cela fait plaisir, cela fait gentil, cela fait drôle, mais cela ne fait vraiment pas sérieux ! En effet, on commence par accepter cette notion sur un point précis, dans le cadre d'un scrutin de liste, en se disant que cela se noie dans la masse ; et on l'introduira ensuite s'agissant des scrutins uninominaux ! La pente sera inévitable.
Je vais vous dire ce que cela va donner, monsieur le ministre, car j'ai vécu cette situation ! J'ai en effet connu un conseil général sans majorité, avec une égalité absolue : vingt et un contre vingt et un ! L'élection a été faite au bénéfice de l'âge : nous avons élu le doyen, le vice-doyen étant du bord opposé, et, par conséquent, ce sont les deux personnes les plus âgées qui se sont présentées. Nous avons eu deux hommes d'expérience, et nous avons fait ainsi la décentralisation. Cela n'a pas été simple, mais cela s'est fait dans le consensus.
Peut-être n'était-il au fond pas si idiot que la loi confère à deux personnes d'expérience, assagies par le poids des ans et des épreuves, de mener une révolution aussi forte.
Si le bénéfice de l'âge avait été accordé au plus jeune, nous aurions alors présenté les deux personnes les plus jeunes ! Qu'on ne vienne pas me dire que c'est le plus vieux ou le plus jeune des deux candidats qui sera élu. En effet, pour être sûr d'emporter le morceau, on présenterait le plus jeune qui, par définition, est celui qui vient d'arriver, ou presque ! Il est rarissime que le plus jeune ait déjà six ans d'expérience.
Je vous laisse à penser ce qu'aurait été la décentralisation dans ces conditions-là !
M. Henri de Raincourt. Catastrophique !
M. Paul Girod, rapporteur. Cela aurait été un affrontement de deux jeunes loups frais émoulus d'une campagne électorale forcément dure - quand aucune majorité ne se dégage, c'est que cela ne s'est pas passé tout seul ! - et nous nous serions trouvés devant des difficultés inextricables !
Par conséquent, monsieur le ministre, il y a des notions qu'il faut toucher d'une main plus que tremblante, et ce n'est pas le bénéfice de l'âge qui me fait parler de main tremblante ! (Rires.)
M. Michel Duffour. Encore que... (Nouveaux rires.)
M. Paul Girod, rapporteur. Je n'en suis pas encore là, mais cela viendra sûrement ! Mais alors, je ne serai peut-être plus parlementaire !
C'est bien plutôt la prudence qui me fait parler ainsi : on n'introduit pas des révolutions de ce genre - car c'est bien plus grave que la question de la durée des mandats...
M. Michel Mercier. Oh oui !
M. Paul Girod, rapporteur. ... dans les moeurs politiques d'un pays comme la France, dont on disait, cet après-midi, le rôle qu'il a joué et joue encore dans les droits de l'homme et dans l'affermissement de la démocratie dans le monde, à l'occasion d'une disposition de détail inscrite dans un texte par ailleurs mal conçu, à notre avis. Il s'agit en tout cas d'une imprudence qui mériterait d'être pesée longuement.
Je suis persuadé que, de toute façon, ce texte sera étudié, pour une raison ou pour une autre, par le Conseil constitutionnel, qui même s'il n'est pas saisi à propos de ce point précis, sera amené à examiner la totalité de la loi. Je serais d'ailleurs étonné qu'il ne se saisisse pas lui-même, encore que certains lui montreront peut-être qu'il y a là une innovation et une imprudence telles qu'elles mettent en péril l'équilibre même de la démocratie dans un pays comme le nôtre. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
Imaginez, mes chers collègues, le cas de deux candidats à la présidence de la République ayant obtenu un nombre égal de suffrages : ce serait le plus jeune qui serait envoyé à l'Elysée !
M. Philippe Nogrix. Eh oui ! Bravo !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement. Cet amendement tend finalement à rétablir le texte dans sa rédaction initiale. Il vise le cas, dont la probabilité est faible, d'une stricte égalité des suffrages entre deux listes.
Sur cette modalité, qui ne concerne pas le coeur du texte, le Gouvernement ne peut que s'en remettre à la sagesse du Parlement, et donc, ce soir, à celle de la Haute Assemblée. (Exclamations sur les travées de l'Union centriste.)
M. Paul Girod, rapporteur. Ah ! notre cher et vieux Sénat !
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 9.
M. Jean Arthuis. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Arthuis.
M. Jean Arthuis. J'exprimerai un regret sur la formulation.
M. Philippe Nogrix. C'est le côté positif de la jeunesse !
M. Jean Arthuis. Il faut, en effet, une certaine jeunesse pour exprimer des convictions en politique, et ce n'est pas une question d'âge.
Je rejoins volontiers la formulation de M. le rapporteur, mais je pense qu'il aurait pu garder le mot « moins », et substituer le mot « jeune » au mot « âgé », M. le rapporteur pourrait-il nous dire pourquoi il n'est pas allé dans ce sens ?
M. Paul Girod, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod, rapporteur. La raison en est simple, monsieur Arthuis : c'est simplement la rédaction traditionnelle ! Nous aurions pu, il est vrai, innover, mais, entre nous, je crois que la fidélité aux textes fondamentaux de la République s'impose ici.
M. Patrice Gélard. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. J'ai utilisé tout à l'heure des arguments juridiques ; permettez-moi maintenant de recourir à des arguments biologiques.
Il est paru, voilà une vingtaine d'années, un excellent ouvrage de biologie, Le Singe nu, qui décrivait, pour la comparer aux sociétés humaines, la société des babouins.
Dans la société des babouins, le plus jeune fait d'abord ses armes auprès du plus vieux en apprenant à agresser les autres ; puis, petit à petit, il l'évince pour prendre sa place. Je crois que c'est un peu la raison pour laquelle, dans la vie politique, on a toujours choisi le plus âgé, jusqu'à ce que, n'étant plus capable de se défendre, il soit battu aux élections !
C'est cette simple donnée biologique, en dehors des arguments juridiques que j'ai pu évoquer tout à l'heure, qui s'impose ici. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Jean-Pierre Raffarin. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Raffarin.
M. Jean-Pierre Raffarin. Sur un plan plus politique, la démocratie mérite, à mon avis, que nous soyons les uns et les autres toujours vigilants pour la protéger. A la base de ce texte, il y a une conviction commune aux uns et aux autres : nous voulons éviter à notre pays le chemin de l'extrémisme. Tous les républicains souhaitent que notre loi électorale puisse faire en sorte que les extrêmes ne viennent pas déstabiliser le fait régional, en France. Il y a donc vraiment une volonté profonde de protéger la démocratie.
Très franchement, je crois que nous avons besoin d'expérience pour protéger la démocratie. Je préside très souvent une assemblée régionale et je vois parfois, chez de jeunes élus, un manque d'expérience qui peut conduire à des décisions très graves.
Je vous citerai tout à l'heure, messieurs les ministres, les « votes noirs » du parti socialiste depuis les dernières élections : à sept reprises, dans sept régions différentes, des républicains ont été mis en minorité sur des sujets stratégiques par des votes majoritaires avec le Front national !
Et très souvent, cela a été le fait d'élus manquant d'expérience, se faisant piéger et n'ayant pas forcément, à un moment ou à un autre, ce sens supérieur de la démocratie qui demande un peu de réflexion, de discernement et beaucoup de lucidité.
Voilà pourquoi il me paraît coupable, dans un texte qui veut éviter l'extrémisme, de donner, par démagogie, la priorité à l'inexpérience. On ne sauvera pas la démocratie en permanence menacée si on ne fait pas en sorte que l'expérience soit l'une des vertus de la conduite de cette démocratie ! (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. Michel Duffour. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Duffour.
M. Michel Duffour. Notre groupe n'aurait pas rédigé le texte de cette manière, mais nous ne voterons toutefois pas la proposition de M. le rapporteur, tant certains des arguments juridiques ou biologiques entendus ici nous laissent tout de même pantois !
Si M. Raffarin se plaint de l'inexpérience de ses colistiers, c'est peut-être non pas simplement une question d'âge, mais parce qu'il les a mal choisis ! (Protestations sur les travées de l'Union centriste.)
Quoi qu'il en soit, nous sommes aujourd'hui confrontés à des exigences émanant de la jeunesse elle-même, et il se fait jour dans ce pays une aspiration qu'il convient, selon moi, de ne pas décevoir au moment où la crise de la chose politique atteint les sommets que l'on sait. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées socialistes.)
M. Guy Allouche. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. L'argumentation de notre excellent rapporteur est d'un poids considérable. Il a fait appel à l'expérience en citant des cas très précis, et il est vrai que sa propre expérience est bien connue et reconnue.
Toutefois, au-delà de l'argumentation forte qu'il a développée, je voudrais lui lancer un appel et, à travers lui, à la Haute Assemblée : je souhaite qu'un jour nous réfléchissions collectivement pour sortir de ce dilemme du choix entre le plus âgé et le plus jeune.
Le plus jeune, incontestablement, souffre d'un défaut d'expérience, c'est incontestable. Partout, l'apprentissage est nécessaire, y compris dans cette maison où, lorsqu'on arrive, il faut faire sa période d'initiation, d'apprentissage.
M. Jean Arthuis. En effet ! (Sourires.)
M. Guy Allouche. N'est-ce pas, cher collègue Arthuis ? Nous en avons fait, des choses, dans cette maison, au nom de la jeunesse ! (Nouveaux sourires.)
A l'approche du troisième millénaire, il nous faudra bien trouver une solution pour que, systématiquement, on ne fasse plus appel au plus âgé, car l'expérience dont on parle tant est, pour reprendre l'image du philosophe, une lanterne que l'on porte dans son dos : elle n'éclaire pas forcément l'avenir. Avec l'âge, il est vrai, on acquiert de l'expérience, mais cela ne suffit pas forcément lorsqu'il s'agit de se projeter dans l'avenir, pour mille et une raisons que je ne veux pas développer parce qu'il ne s'agit ici que d'une explication de vote et que je ne veux pas être rappelé à l'ordre par notre éminent président.
Je souhaite en tout cas qu'un jour, nous réfléchissions afin de trouver un système - je n'ai pas la solution ce soir -, je l'avoue pour que, à défaut du moins jeune, on ne prenne pas le plus âgé, ou, à défaut du plus âgé, on ne prenne pas le plus jeune. Il y a là matière à réflexion pour que nos assemblées, qu'elles soient locales, départementales ou régionales, puissent trouver, en cas d'égalité des suffrages, une présidence qui rassemble l'expérience et la jeunesse, mais aussi la projection dans l'avenir.
M. Jacques Legendre. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Legendre.
M. Jacques Legendre. Moi aussi, je voterai l'amendement de la commission.
M. le rapporteur vient de nous donnner un exemple concret inspiré par l'expérience, mais je veux à cette occasion exprimer le léger malaise que je ressens à voir identifier, en quelque sorte, jeunesse, inexpérience et risque de commettre un certain nombre d'erreurs.
MM. Michel Duffour et Robert Bret. Très bien !
M. Jacques Legendre. Je crois qu'il ne faudrait pas que le Sénat donne le sentiment que telle est son analyse !
Je rappelle que, dans notre pays, il est des lieux de pouvoir où les jeunes, voire les très jeunes, ont leur place : dans les cabinets ministériels, dans la haute administration, accèdent à des responsabilités importantes et sont conseillers du prince des personnes dont l'âge n'est pas toujours très élevé, et cela ne choque pas.
Peut-être est-ce parce que j'ai été par deux fois benjamin d'un gouvernement, toujours est-il que je ne souhaite pas que soient trop mis en avant ces critères de recrutement sur l'âge. Sur ce point, je ne suis donc pas éloigné de M. Allouche : il n'est pas de bon système, me semble-t-il, de vouloir recourir systématiquement au plus jeune et de céder à cette dérive en direction de ce que l'on appelle le « jeunisme ». Ce n'est probablement pas prudent !
M. Henri de Raincourt. Très bien !
M. Jacques Legendre. En même temps, je reconnais aussi que l'on ne peut pas systématiquement penser que la sagesse est toujours du côté du plus vieux ! (« Très bien ! » sur les travées de l'Union centriste.) N'oublions pas, à cet égard, cet exemple malheureux de l'histoire lorsque, en 1940, le choix du plus vieux n'a pas été le meilleur.
M. Guy Allouche. Très bien !
M. Jacques Legendre. Moi aussi, je souhaite donc que nous puissions un jour réfléchir sereinement à la mise en place d'un autre système d'arbitrage dans les cas dont nous débattons ce soir.
En attendant, je soutiendrai l'amendement de la commission. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste.) M. Paul Girod, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod, rapporteur. M. Allouche a parlé de la période d'apprentissage que chacun connaît quand il entre dans une assemblée. Nous l'avons tous connue ! Je me rappelle ainsi, lorsque je suis arrivé au conseil général de l'Aisne et alors que je croyais avoir quelque expérience - je n'étais pas tout jeune, j'avais un peu de « bouteille » dans d'autres domaines et pas mal de responsabilités professionnelles qui n'étaient pas négligeables - je me rappelle, dis-je, avoir entendu un conseiller général un peu plus âgé me dire qu'il fallait que je fasse mes classes. Cela m'avait beaucoup choqué ! C'est pourtant lui qui avait raison et moi qui me laissais emballer par l'enthousiasme de ma nouvelle élection.
Que l'âge seul ne soit pas le meilleur critère, c'est probable ! Il a cependant l'avantage d'être simple et facile à expliquer, parce qu'il ne me paraît pas bon de commencer à trier dans les intelligences des uns par rapport aux autres, dans l'expérience des uns par rapport aux autres, en prenant par exemple la longueur du mandat : celui qui a exercé le mandat le plus long est quelquefois celui qui ne s'est pas fait d'ennemi, donc celui qui n'a rien fait !
Il faut donc trouver un système simple, facilement explicable. En tout cas, ce n'est pas au détour de l'examen d'un projet de loi que l'on va commencer à bouleverser tout cela.
Je vous remercie donc, monsieur le ministre, de vous en remettre à la sagesse du Sénat.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 9, pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.
M. Guy Allouche. Le groupe socialiste s'abstient.
M. Michel Duffour. Le groupe communiste républicain et citoyen vote contre.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Mes chers collègues, je tiens à vous rappeler que la conférence des présidents du mardi 8 décembre a décidé que nous arrêterions nos travaux à zéro heure. Or, je constate qu'il est déjà zéro heure cinq.
En vertu de cette décision, je lèverai la séance au plus tard entre zéro heure vingt-cinq et zéro heure vingt-neuf, afin que nous puissions reprendre nos travaux demain à neuf heures trente pour le débat sur l'aménagement du territoire, débat qui intéresse au premier chef le Sénat, représentant des collectivités territoriales.
Ce débat a été décidé dans le cadre de l'ordre du jour réservé, en application de l'article 48, alinéa 3, de la Constitution, lequel dispose qu'« une séance par mois est réservée par priorité à l'ordre du jour fixé par chaque assemblée. »
Il ne serait pas acceptable, en effet, que l'ordre du jour de notre séance empiète sur celui de la séance mensuelle réservée, qui correspond à une priorité constitutionnelle pour le Sénat.
Il appartiendra donc au Gouvernement de proposer une autre date pour la suite de l'examen du projet de loi actuellement en discussion.

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