Séance du 22 décembre 1998






RÈGLEMENT DÉFINITIF DU BUDGET DE 1995

Adoption d'un projet de loi en deuxième lecture

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale, en deuxième lecture, portant règlement définitif du budget de 1995.
Dans la discussion générale, la parole est à M. Oudin.
M. Jacques Oudin, en remplacement de M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, les propos que je vais tenir sont plus austères que le discours tout à fait remarquable et sympathique que vous venez de prononcer. Il s'agit de l'apurement du compte 427-9 Ecart d'intégration des dépôts des comptes chèques postaux de l'ex-budget annexe des PTT. M. Alain Lambert, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. M. le président est un spécialiste des PTT.
M. Jacques Oudin, en remplacement de M. Philippe Marini, rapporteur général. En première lecture, le Sénat avait adopté, sans modification, les dispositions du projet de loi portant règlement définitif du budget de 1995, à l'exception de l'article 15 tendant à apurer une distorsion « comptable » apparue lors de la clôture du budget annexe des PTT par l'article 65 de la loi de finances pour 1991.
La Haute Assemblée avait en effet adopté un amendement présenté par notre collègue M. Yves Fréville et visant à diminuer de 18,16 milliards de francs, à compter du 1er janvier 1996, le montant des avoirs des comptes chèques postaux rémunérés par l'Etat.
Je rappelle qu'un écart de 18,16 milliards de francs était apparu entre le montant crédité dans les écritures du Trésor au titre des dépôts des comptes chèques postaux, d'une part, et les écritures de La Poste, d'autre part.
La Haute Assemblée a, en effet, souhaité sanctionner le manque de sincérité des comptes et de transparence budgétaire mis ainsi en exergue par cette question.
La commission des finances du Sénat regrette que le Parlement soit appelé à se prononcer sur cet arbitrage dans une loi de règlement intervenant plusieurs années après les faits, sans que soient mis à sa disposition tous les éléments permettant d'analyser ce qui constituera, en réalité, une charge définitive de plus de 18 milliards de francs pour l'Etat.
En effet, la démarche de la Haute Assemblée ne tend pas à remettre en cause la solution comptable proposée par le présent article, solution nécessaire et adéquate. La Poste n'est pas responsable de la méthode utilisée pour apurer ses pertes : l'Etat aurait dû faire son devoir d'actionnaire et les combler, tout en réformant la gestion pour que de telles pertes ne se reproduisent pas. En conséquence, le niveau des comptes chèques postaux n'aurait pas dû être modifié.
La commission des finances du Sénat a souhaité attirer l'attention sur l'absence de conclusion, autre que comptable, tirée de ces dysfonctionnements de l'Etat. Je suis sûr, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous entendrez ces paroles.
Enfin, les débats parlementaires ont fait apparaître que l'Etat ne rémunère que les avoirs effectivement déposés depuis 1992, c'est-à-dire peu de temps après que La Poste a eu l'obligation de déposer ses avoirs de comptes chèques postaux au Trésor. Il convient, dès lors, de donner acte à la solution comptable que prévoit le présent article.
Sous le bénéfice de ces observations, la commission des finances du Sénat vous propose, mes chers collègues, d'adopter cet article dans la rédaction issue des travaux de l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. Hubert Haenel. Très bien ! M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget. Monsieur le président, je souhaite d'abord m'associer, au nom du Gouvernement, aux commentaires que vous avez faits sur la qualité du dialogue entre le Gouvernement et la Haute Assemblée. Par ailleurs, s'il m'est permis de former des voeux pour vos personnes et vos proches, mesdames, messieurs les sénateurs, je joins volontiers les souhaits du Gouvernement à ceux que M. le président du Sénat vous a adressés.
M. le président. Nous vous en remercions, monsieur le secrétaire d'Etat. Nous recevons vos voeux avec beaucoup de plaisir.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Nous terminons l'année avec l'examen d'un article austère, et je voudrais très rapidement - mais M. Oudin l'a déjà fait d'excellente façon - clarifier un point qui a fait l'objet d'un débat quelque peu confus, peut-être par la faute du Gouvenement, le 29 octobre dernier.
Jusqu'en 1990, le budget annexe des PTT était en déficit, et le cumul de ces déficits avoisinait 18 milliards de francs. Comme il n'était pas possible, en 1991, de constituer La Poste en exploitant public autonome avec une situation nette négative, cette somme d'avance faite par l'Etat à La Poste a été cumulée dans un compte particulier : le fameux compte 427.
Il vous est demandé, conformément à ce que la Cour des comptes a très rapidement souhaité, que ce traitement comptable provisoire ne perdure pas, et donc que l'on annule en quelque sorte cette quasi-créance de l'Etat sur La Poste.
Il est un second problème soulevé par M. Fréville qui a fait une confusion, mais une confusion bien excusable. Il existe deux opérations distinctes : d'une part, ces découverts cumulés et, d'autre part, les comptes chèques postaux qui sont déposés auprès de l'Etat et qui sont rémunérés. La confusion vient de ce que l'on a fait figurer l'avance cumulée de l'Etat au budget annexe dans le même compte que les comptes chèques postaux, mais, en pratique, ce sont deux opérations tout à fait différentes. L'ensemble des comptes chèques postaux ont été déposés par La Poste auprès du Trésor public, qui les a normalement rémunérés. Si l'on sépare bien ces deux opérations, qui ont été maladroitement fusionnées d'un point de vue comptable, on voit qu'il n'y a aucune raison de toucher à la rémunération des comptes chèques postaux.
C'est pourquoi, comme l'a fait le rapporteur général par intérim, M. Oudin, le Gouvernement, après vous avoir fourni ses explications, que j'aurais peut-être pu vous apporter le 29 octobre dernier, vous demande de bien vouloir voter le texte adopté par l'Assemblée nationale.
M. le président. La parole est à M. Fréville.
M. Yves Fréville. Je souhaiterais dire quelques mots pour vous répondre, monsieur le secrétaire d'Etat.
Ce n'est pas tous les jours que nous sommes saisis d'un projet de loi de règlement en deuxième lecture ; mais ce n'est pas non plus tous les jours que nous avons un objet budgétaire non identifié, un OBNI, de 18 milliards de francs dans un tel texte. Il convient donc de bien déterminer de quoi il s'agit.
Je ferai essentiellement trois remarques.
La première porte sur le problème du paiement des intérêts. Il est bien certain que ; si nous comblons les 18 milliards de francs par « une subvention » de l'Etat, les fonds sont bien déposés en totalité auprès du Trésor et dès lors les intérêts peuvent être payés.
Mais toute la difficulté, c'est que nous ignorions complètement, lorsque nous avons discuté du présent projet de loi en première lecture, qu'à partir de 1991, d'un coup d'un seul, 18 milliards de francs supplémentaires méritaient le paiement d'intérêts de la part du Trésor. Personne n'en a eu connaissance ! C'était ma première remarque.
Dès lors, il était bien sûr logique de proposer l'amendement qui a été adopté par le Sénat en première lecture.
Je voudrais maintenant indiquer une deuxième zone d'ombre.
Il s'agit, avez-vous dit, monsieur le secrétaire d'Etat, d'une validation comptable. En effet, les lois de règlement comportent, comme l'a toujours rappelé le Conseil constitutionnel, deux sortes de dispositions : le Parlement donne acte des comptes mais il approuve aussi certaines mesures.
Je prétends, monsieur le secrétaire d'Etat, que, en l'occurrence, il ne s'agit pas d'une opération comptable que nous approuvons, mais que nous prenons bien une décision de type législatif, puisqu'il s'agit de transférer un certain résultat dans le découvert du Trésor.
Si on avait eu des avances régulières, logiquement financées en vertu de l'article 28 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances, il n'y aurait pas eu de problème. On sait très bien que certaines de ces avances, lorsqu'elles sont régulières, peuvent être transformées en subventions par le Parlement. Ainsi, lorsque le syndicat du Nord-Finistère de notre ancien collègue M. Alphonse Arzel avait bénéficié d'une avance de 33 millions de francs, tout à fait régulière, on l'avait transformée, non moins normalement, en subvention.
Ici, ce n'est pas le cas, parce qu'il n'y a eu aucune avance entre 1976 et 1991. Il s'agissait d'une opération tout à fait inconnue, qui consistait tout simplement, bien qu'elle ait été dénoncée par la Cour des comptes, à prendre de l'argent qui était en fonds de roulement aux chèques postaux et, par un jeu d'écritures que le Parlement ne connaissait pas, de l'affecter à la couverture des déficits.
Ce qui nous est demandé, me semble-t-il, c'est non pas d'approuver des comptes, mais de dire que le Parlement est d'accord pour donner 18 milliards de francs de fonds propres, à compter de 1991, à La Poste. C'est une mesure de nature législative que vous nous demandez de prendre, et qui ne doit pas être dissimulée derrière des arguties comptables.
J'en viens à ma troisième remarque, qui, selon moi, est la plus importante. Je me suis demandé comment on avait pu arriver à ce chiffre de 18 milliards de francs.
Je ne dis pas que j'ai pris mon bâton de pélerin pour parcourir les oeuvres de la Cour des comptes (Sourires), mais j'ai feuilleté tous les rapports de la Cour établis entre 1976 et 1991 sur les lois de règlement. A ma grande surprise, j'ai constaté - c'est le point sur lequel je voudrais avoir des explications, monsieur le secrétaire d'Etat - qu'il n'y a eu non pas un prélèvement de 18 milliards de francs, mais un excédent du fonds de roulement de 5 milliards de francs, soit un écart de 23 milliards de francs.
Vous me permettrez, monsieur le secrétaire d'Etat, de dire que je ne comprends pas, sauf à ce que les chiffres de la Cour des comptes ne soient pas limpides. Or la Cour a parfaitement fait son travail ! Elle a même été jusqu'à refuser, en 1990, de certifier les comptes du budget annexe parce qu'elle n'était pas sûre de ses chiffres. Mais, pour toutes les autres années, elle a dit très clairement le montant des prélèvements.
Alors, d'où viennent ces 18 milliards de francs ? Doit-on comprendre qu'ils doivent être partagés entre le budget des télécommunications et celui de La Poste ? Mais de quelle manière ? On pourrait très bien imaginer, par exemple, avec un fonds de roulement excédentaire de 5 milliards de francs, donner 23 milliards de francs aux télécommunications, ce qui ferait apparaître 18 milliards de francs de déficit au titre de La Poste !
Comprenez-moi, monsieur le secrétaire d'Etat : nous sommes ici devant une subvention de 18 milliards de francs sur des avances irrégulières dont on n'arrive pas à trouver le fondement. Je voudrais donc que vous nous donniez des explications pour comprendre ce qui est arrivé réellement. Je crois qu'il s'agit là d'une question de fond qui dépasse la vérification comptable.
Je ne comprendrais pas qu'une décision ait été prise en 1991 par le Premier ministre de l'époque pour affecter 18 milliards de francs à La Poste - cela figure dans le rapport de la Cour des comptes - sans que le Parlement, pour des raisons quelconques que j'ignore, ait été tenu au courant d'une pareille opération. Quand on affecte 18 milliards de francs en fonds propres à une institution, il me paraît tout à fait logique que le Parlement soit informé ! (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Monsieur le président, je tiens à répondre très brièvement à M. Fréville, qui a cité le fonds de roulement de l'ensemble Poste et télécommunications, en remarquant très justement qu'il se compose de deux éléments : les télécommunications, qui sont plutôt en excédent, et La Poste qui, elle, est plutôt en déficit. C'est, je crois, de notoriété publique !
Je vous communiquerai simplement un chiffre, monsieur le sénateur, mais je demeure à votre disposition si vous souhaitez, ultérieurement, que nous ayons un débat plus complet sur cette question : le résultat d'exploitation de la branche postale a fait apparaître un déficit de près de 13 milliards de francs sur la période 1976-1990. Par conséquent, nous pourrons très bien reconstituer ensemble les 18 milliards de francs qui sont actuellement en cause !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Alain Lambert, président de la commission. Je voudrais saisir cette occasion, monsieur le président, pour indiquer qu'il est capital que le Gouvernement - celui-ci comme les précédents, comme les prochains et comme l'ensemble des services de l'exécutif - sache que c'est le Parlement qui vote les crédits et que ce dernier doit être respecté dans ses fonctions.
Vous avez bien voulu indiquer à M. Fréville, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous étiez à sa disposition pour lui fournir tous compléments d'information.
La commission des finances pourrait, le cas échéant, mettre cette situation à profit pour lancer une nouvelle opération de contrôle de façon contradictoire avec l'exécutif, les chefs de service concernés, les parlementaires qui ont travaillé sur cette question, comme M. Fréville, mais aussi les magistrats de la Cour des comptes qui ont eu à en connaître. Nous pourrons ainsi éclairer, autant qu'il est possible, le Parlement sur des opérations qui doivent lui être soumises et qu'il doit approuver.
De ce point de vue, en matière de transparence - le mot a été utilisé tout à l'heure par M. Fréville - nous pouvons encore progresser.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Certainement !
M. Alain Lambert, président de la commission. S'agissant de la comptabilité patrimoniale de l'Etat, la commission des finances estime ainsi que vous pourriez très utilement mettre à sa disposition les informations contenues dans le rapport Giraud-François afin que nous puissions mieux exercer les responsabilités qui nous ont été confiées.
Je terminerai en vous disant que la question qui a été soulevée par M. Fréville n'est peut-être que l'illustration de ce que je disais à l'instant : le Parlement doit être davantage éclairé afin qu'il vote en toute connaissance de cause les lois de règlement des lois de finances qui ont été successivement adoptées par lui.
Nous l'avons dit à l'occasion du débat sur la loi de finances pour 1999, la marge de manoeuvre du Parlement est sans doute trop faible et des travaux plus approfondis sont nécessaires dans le domaine du contrôle. Nous y sommes ! (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Arthuis.
M. Jean Arthuis. Je voudrais souligner l'importance de notre délibération : il n'est pas courant, M. Fréville l'a rappelé, que l'on délibère en deuxième lecture d'un projet de loi de règlement.
En la circonstance, ce qui nous a préoccupés, c'est une pratique contestable qui privait le Parlement de ses prérogatives. Je me réjouis donc que le règlement de 1995 ait pu permettre l'ouverture de ce débat au sein du Parlement.
Monsieur le secrétaire d'Etat, si je comprends bien vos explications, le budget annexe de La Poste a été déficitaire d'au moins 13 milliards de francs - pourquoi pas de 18 milliards de francs ? - et ce déficit n'est jamais apparu dans la reddition des comptes de l'Etat. Autrement dit, par de telles pratiques, on accrédite le côté artificiel de la présentation des budgets et l'on accrédite la thèse d'un Etat qui serait mensonger. C'est de cela que nous devons nous extraire le plus rapidement possible.
Je ne suis pas sûr que votre réponse, monsieur le secrétaire d'Etat, ait pleinement satisfait M. Fréville, mais vous avez eu la délicatesse d'ouvrir une voie d'investigation complémentaire. Nous devons, en effet, comprendre ce qui s'est produit ! Il y avait peut-être des excédents du côté des télécommunications que l'on ne souhaitait pas, à l'époque, faire apparaître dans les recettes budgétaires alors que La Poste était déficitaire ! Un jour, il a donc fallu y mettre bon ordre.
On peut cependant regretter que le Gouvernement n'ait pas jugé opportun, en 1991, d'ouvrir devant le Parlement un débat à l'occasion de la discussion de la loi de règlement.
Je forme des voeux, monsieur le secrétaire d'Etat, pour que, sur ce point particulier, nous puissions, dans les semaines qui viennent, établir la vérité et dissiper tout soupçon, tout malentendu, et je me rallie bien volontiers, sur ce point, aux souhaits qu'a exprimés M. le président de la commission des finances.
Il est important que la représentation nationale puisse se prononcer sans ambiguïté sur les ouvertures de crédits. Dans le cas particulier, il n'est pas question de conférer à cette disposition un caractère technique comptable. C'est d'autre chose qu'il s'agit : c'est de la sincérité des comptes publics ! (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle qu'aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projet de loi, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du Parlement n'ont pas encore adopté un texte identique.

Article 15