Séance du 16 février 1999
NOUVELLE-CALÉDONIE
Adoption des conclusions
de deux commissions mixtes paritaires
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion :
- des conclusions du rapport (n° 202, 1998-1999) de la commission mixte
paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en
discussion du projet de loi organique relatif à la Nouvelle-Calédonie ;
- et des conclusions du rapport (n° 201, 1998-1999) de la commission mixte
paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en
discussion du projet de loi relatif à la Nouvelle-Calédonie.
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le rapporteur.
M. Simon Loueckhote,
en remplacement de M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur pour le Sénat de la
commission mixte paritaire.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire
d'Etat, mes chers collègues, les projets de loi organique et ordinaire relatifs
à la Nouvelle-Calédonie reviennent à l'ordre du jour des travaux de notre Haute
Assemblée à l'occasion de cette séance consacrée à la lecture des conclusions
de la commission mixte paritaire, qui s'est réunie il y a quelques jours.
J'ai le plaisir, aujourd'hui, et sans doute en cette unique circonstance, mes
chers collègues, de m'exprimer devant vous en tant que rapporteur. En effet, le
président Jacques Larché ainsi que nos éminents collègues de la commission des
lois, que je remercie vivement, ont eu la gentillesse de me confier ce rôle, en
l'absence de notre excellent collègue Jean-Jacques Hyest, appelé, comme vous le
savez, à siéger à la Cour de justice de la République.
Je suis, bien entendu, très honoré de la confiance que l'on me témoigne et
particulièrement sensible à ce que je considère comme une marque d'attention
pour la Nouvelle-Calédonie, attention que le Sénat manifeste ainsi une fois de
plus.
Nos compatriotes calédoniens ne manqueront pas de souligner l'intérêt que la
Haute Assemblée leur a constamment porté et la place de choix qu'elle leur a
réservée tout au long de cette procédure parlementaire, qui a commencé par la
révision de la Constitution et qui va probablement s'achever aujourd'hui par
l'adoption des projets de loi organique et ordinaire.
Les travaux parlementaires sur ces deux textes ont débuté le 21 décembre 1998
avec leur examen par l'Assemblée nationale, à la suite de leur adoption en
conseil des ministres le 25 novembre 1998.
Le Sénat, qui a étudié ces textes les 3 et 4 février derniers, a proposé de
nombreux aménagements visant à en améliorer la rédaction.
Afin d'examiner les articles restant en discussion, la commission mixte
paritaire s'est réunie le 8 février, et ses conclusions ont été lues à
l'Assemblée nationale le 11 février.
Le Sénat devant en prendre connaissance en ce jour, nous pouvons constater que
moins de deux mois auront été nécessaires au Parlement pour parachever et
adopter ces deux textes regroupant initialement 244 articles, dont certains
présentent un caractère très novateur sur le plan juridique.
Il y a à peine trois mois, le 8 novembre 1998, les Calédoniens étaient
consultés sur l'accord de Nouméa, qu'ils ont massivement approuvé, et les voilà
aujourd'hui dotés de leur nouveau statut ! C'est un délai record dont il faut
se féliciter, compte tenu du calendrier chargé des travaux parlementaires.
Je veux d'ailleurs souligner tout particulièrement le rôle essentiel joué par
le Sénat, qui a souhaité la mise en oeuvre de la procédure d'urgence, soucieux
qu'il était de répondre à la volonté des Calédoniens et des signataires de cet
accord politique, en particulier, de voir aboutir rapidement l'examen des
projets de loi relatifs à la Nouvelle-Calédonie.
Le Parlement aura donc fait preuve d'une diligence exemplaire dans ce dossier,
mettant tout en oeuvre pour que ce nouveau statut soit adopté dans le strict
respect de l'accord signé en mai 1998.
Je me souviens qu'à cette époque nous avons pu entendre çà et là les propos
défaitistes de tous ceux qui nous prédisaient les pires difficultés pour la
rédaction de ce nouveau statut et l'impossibilité de rendre la lettre conforme
à l'esprit.
C'était sans compter sur l'implication de l'ensemble de la classe politique
métropolitaine - le Président de la République, le chef du Gouvernement,
l'ensemble de son Gouvernement et le Parlement - et sa volonté unanimement
manifestée de faire réussir le processus de paix engagé en
Nouvelle-Calédonie.
De la révision constitutionnelle, en juillet 1998, à l'adoption de ce nouveau
statut engageant la Nouvelle-Calédonie pour les vingt prochaines années, c'est
un soutien total qui a été apporté par notre pays et qui est de nature à
rassurer pleinement les Calédoniens sur leur avenir au sein de la France.
Je veux insister également sur la qualité des débats parlementaires, qui ont
permis de parfaire ces projets de loi.
Le Sénat a notamment adopté plus de 300 amendements sur les deux textes, soit
plus que le nombre d'articles en discussion.
Sur ces 300 amendements, 266 ont été proposés par la commission des lois, qui
s'est attachée, dans le strict respect de l'accord de Nouméa, à corriger des
incohérences, à clarifier la rédaction de certains articles et à combler
quelques lacunes.
Je souligne d'autant plus volontiers le rôle essentiel joué par la Haute
Assemblée quant à l'amélioration de ces projets de loi, que c'est le regard que
je porte à la fois en ma qualité de rapporteur, certes temporaire, bien sûr, et
en ma qualité d'acteur de ce processus d'évolution statutaire de la
Nouvelle-Calédonie.
La commission des lois du Sénat a notamment suggéré plusieurs amendements
visant à compléter les dispositions relatives aux institutions de la
Nouvelle-Calédonie, et qui seront d'une grande utilité aux futurs élus
calédoniens ayant la responsabilité de les mettre en place.
Je pense, en particulier, aux règles fixant la composition, la formation et le
fonctionnement du futur gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, principale
innovation de ce statut et qui nous posera sans doute plus de difficultés que
le congrès et les provinces, que nous expérimentons depuis dix ans.
Le fonctionnement du congrès a été précisé, et il faut signaler quelques
originalités que l'on doit à la commission, telles que les questions orales que
pourront poser les membres du congrès au gouvernement local ou encore la
possibilité de créer des commissions d'enquêtes, dont nous jugerons de
l'efficacité à l'usage.
Vous avez pu constater que le souci du détail et le sens de la perfection de
la commission l'ont conduite à proposer de nombreux amendements de précision
sur la plupart des articles de chacun des projets de lois.
Je citerai notamment le travail de rédaction approfondi qui a été accompli
quant aux dispositions applicables aux communes de la Nouvelle-Calédonie,
constituant désormais le code des communes de Nouvelle-Calédonie, et quant à
celles qui sont relatives aux sociétés d'économie mixte, qui relèvent de la loi
ordinaire.
La commission des lois a également veillé - il faut le mentionner - à la
parfaite intégration du nouveau statut de la Nouvelle-Calédonie au sein de la
République, en suggérant l'ajout de plusieurs dispositions permettant une
meilleure articulation entre les institutions.
Je dois citer, à cet égard, la suppression du titre 1er de la loi organique,
intitulé « De la justice en Nouvelle-Calédonie », que nous avons proposée et
qui me semble très symbolique de cette volonté.
En effet, il ne doit pas y avoir d'ambiguïté sur l'appartenance de la
Nouvelle-Calédonie à la République française, tant que les Calédoniens n'en
auront pas décidé autrement.
La commission mixte paritaire s'est, une nouvelle fois, ralliée à l'avis du
Sénat sur ce point précis.
De manière plus générale, la Nouvelle-Calédonie cessant d'être un territoire
d'outre-mer, il était nécessaire de préciser les conditions de sa
représentation au Conseil économique et social, à l'Assemblée nationale et au
Sénat, ainsi que pour l'élection du Président de la République, précaution que
l'on doit à la commission des lois du Sénat.
La commission des lois s'est assigné pour objectif de respecter fidèlement les
orientations définies dans l'accord de Nouméa.
Ainsi, certaines dispositions, qualifiées à juste titre par mon collègue
Jean-Jacques Hyest de « parasites », ont été supprimées.
Je mentionnerai notamment l'abandon de l'obligation de présentation au congrès
de la Nouvelle-Calédonie, par la chambre territoriale des comptes, d'un rapport
annuel sur les comptes des collectivités et de leurs établissements publics,
rapport qui devait être publié au
Journal officiel
de la
Nouvelle-Calédonie.
Cette disposition, qui n'a nullement été évoquée par les signataires de
l'accord de Nouméa, n'avait pas lieu d'être ; elle avait l'inconvénient de
semer le doute sur la capacité des élus locaux à bien gérer l'argent public. Je
ne crois pas qu'il y ait de fondements solides à une telle suspicion.
Le Sénat a d'ailleurs été suivi, dans sa sagesse, par la commission mixte
paritaire.
Nous pouvons d'autant plus être satisfaits de ce travail exhaustif effectué
par la commission des lois que 92 % des amendements qu'elle a présentés ont
reçu un avis favorable du Gouvernement.
Ce constat est révélateur à la fois de la qualité de l'analyse des éminents
juristes qui la composent et du consensus qui a constamment animé tous ceux qui
ont participé à l'élaboration des textes statutaires.
Mes chers collègues, les discussions que nous avons eues au sein de la
commission mixte paritaire ont été fructueuses puisqu'elles nous ont permis,
avec nos collègues députés qui en étaient membres, de trancher et d'adopter une
position commune sur tous les points qui faisaient encore l'objet
d'interprétations divergentes.
Il faut d'ailleurs souligner l'esprit de conciliation dont tous les membres de
la commission mixte paritaire ont su faire preuve, qui permettra la mise en
place des nouvelles institutions de la Nouvelle-Calédonie dans les meilleurs
délais.
A cette occasion, la qualité et l'importance du travail effectué par le Sénat
et par la commission des lois ont été unanimement reconnues, puisque près de 90
% des cent quatre-vingts articles restant en discussion ont été adoptés dans la
rédaction proposée par la Haute Assemblée.
La présidente et le rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée
nationale se sont d'ailleurs félicités du travail approfondi accompli par le
Sénat et ont reconnu, à cet égard, les vertus du bicamérisme.
Au-delà de cette satisfaction que peut afficher, en toute légitimité, la
représentation nationale à l'occasion de l'examen de ces textes relatifs à la
Nouvelle-Calédonie, je veux ajouter la reconnaissance de toute la population
calédonienne, dont l'avenir vient d'être décidé à travers l'élaboration de ce
nouveau statut.
Je regrette néanmoins que la commission mixte paritaire ait refusé de suivre
notre proposition visant à faire évoluer les limites des terres coutumières en
donnant, pour ce faire, expressément compétence au congrès et au sénat
coutumier.
La place réservée dans le futur statut de la Nouvelle-Calédonie à la coutume
et à ses représentants témoigne de la reconnaissance de l'identité
mélanésienne, inscrite dans l'accord de Nouméa. Mais cette identité s'exprime
tout autant dans la participation des Mélanésiens à la vie économique de la
Nouvelle-Calédonie.
Aujourd'hui la réforme foncière, dont la nécessité a été formellement reconnue
par les signataires de l'accord de Nouméa, est perçue comme une condition
essentielle d'une contribution plus active des Mélanésiens à l'économie
calédonienne. Je crains toutefois que nous ne disposions pas encore des bons
outils pour l'entreprendre.
Mais ma conviction profonde demeure que la représentation nationale a joué
pleinement son rôle dans le processus de paix engagé en Nouvelle-Calédonie et
qu'elle peut en être fière. Il est des moments exceptionnels dans notre
existence d'homme ; c'est le cas lorsque nous avons conscience d'oeuvrer pour
le bien-être de nos semblables. Nous savons alors que cette petite goutte d'eau
que nous versons dans l'océan de l'Univers, au nom de la paix et de la
fraternité, essaimera de toutes parts.
C'est un tel sentiment qui m'anime aujourd'hui, et je suis persuadé que les
générations futures nous seront reconnaissantes de ce que nous avons
accompli.
Les Calédoniens auront la lourde responsabilité de faire vivre, au quotidien
et pendant vingt ans, les nouvelles institutions, ô combien nécessaires, pour
consolider cette « communauté de destin ».
Le résultat n'est certes pas acquis : l'ampleur de la tâche est à l'image du
formidable défi que nous voulons relever, qui est de faire de la
Nouvelle-Calédonie une terre de paix et de progrès. Nous savons toutefois que
nous pourrons atteindre cet objectif, car nous avons, nous Calédoniens, deux
grands atouts : le soutien de la France et, aussi, l'espérance.
Permettez-moi de terminer mon propos par cette citation de Bernanos : «
L'espérance est un risque à courir, c'est même le risque des risques.
L'espérance n'est pas une complaisance envers soi-même, elle est la plus grande
et la plus difficile victoire qu'un homme puisse remporter sur soi-même ».
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer.
Monsieur le président, mesdames,
messieurs les sénateurs, M. Loueckhote vient de rendre compte des travaux
positifs de la commission mixte paritaire, qui ont permis d'aboutir à ce texte,
adopté à l'unanimité par l'Assemblée nationale la semaine dernière et qui vous
est aujourd'hui soumis.
Je voudrais saluer le travail qui a été accompli par votre commission des
lois, son président et son rapporteur dans un temps très bref, d'abord avec les
membres de la commission, puis en séance publique.
Les deux projets de loi ont été examinés, améliorés et ils deviendront demain,
après leur examen par le Conseil constitutionnel, une loi de grande qualité
élaborée dans un esprit de consensus.
Comme l'avait souhaité le Premier ministre lors de la réunion du Parlement en
Congrès à Versailles, le Gouvernement et le Parlement ont veillé à appliquer
l'accord de Nouméa totalement et loyalement, dans la lettre et dans
l'esprit.
Ces deux textes constituent le nouveau statut de la Nouvelle-Calédonie.
Celle-ci cesse d'être un territoire d'outre-mer au sens du titre XII et de
l'article 74 de la Constitution pour devenir la Nouvelle-Calédonie,
c'est-à-dire une collectivité particulière au sens du titre XIII nouveau et de
l'article 77 nouveau de la Constitution.
Il faut souligner l'originalité de cette construction juridique sans
précédent, qui détermine des rapports renouvelés entre la République et la
Nouvelle-Calédonie. J'en rappelle les points forts.
La pleine reconnaissance de l'identité kanak conduit, pour la première fois
dans le droit français, à préciser le statut civil coutumier, ainsi que ses
rapports avec le statut civil de droit commun, sur une base d'égalité.
Le texte prévoit les conditions dans lesquelles les Kanaks, qui n'en
bénéficieraient pas, peuvent obtenir le statut civil coutumier. Ainsi, ce
statut est à la fois l'héritier et le prolongement du statut personnel de
l'article 75 de la Constitution.
La nouvelle répartition des compétences se traduit par d'importants transferts
de l'Etat, à l'exception des pouvoirs régaliens, au bénéfice de la
Nouvelle-Calédonie. La compétence de droit commun reste dévolue aux provinces.
En conséquence, l'Etat et la Nouvelle-Calédonie disposeront des compétences
d'attribution énumérées par la loi organique. Les compétences que l'Etat
transfère sont définies en application de l'accord de Nouméa. Ces transferts de
compétences seront progressifs et irréversibles. L'Etat compensera
intégralement les charges correspondant à l'exercice des compétences nouvelles.
Certaines compétences feront l'objet d'un dialogue entre l'Etat et la
Nouvelle-Calédonie, ou seront exercées en association.
Un point particulier mérite des précisions : le projet de loi organique donne
compétence au congrès pour l'accès à l'emploi des citoyens de la
Nouvelle-Calédonie et des personnes justifiant d'une durée suffisante de
résidence.
L'Assemblée nationale et le Sénat ont amélioré la rédaction de cet article 23,
qui est maintenant plus claire. C'est un élément essentiel de l'accord de
Nouméa. Il est l'un de ceux qui ont nécessité la révision constitutionnelle.
En application de cette révision constitutionnelle, la loi organique détermine
le cadre à l'intérieur duquel, comme le dit l'accord de Nouméa, « la
Nouvelle-Calédonie mettra en place, en liaison avec l'Etat, des mesures
destinées à offrir des garanties particulières pour le droit à l'emploi de ses
habitants ».
La compétence appartient donc bien à la Nouvelle-Calédonie. La loi organique
fixe l'objectif et les bénéficiaires : l'objectif, c'est la promotion de
l'emploi local, élément du développement de la Nouvelle-Calédonie ; les
bénéficiaires, ce sont les citoyens de la Nouvelle-Calédonie et les personnes
qui justifient d'une durée suffisante de résidence.
Les mesures peuvent concerner l'emploi salarié, la fonction publique ou les
professions libérales. Elles seront prises par des lois du pays qui définissent
la durée d'application et les modalités de ces mesures.
Parmi ces modalités, il y a la durée de résidence requise en
Nouvelle-Calédonie. Elle pourra varier selon les emplois concernés. Elle pourra
être fixée en nombre d'années de résidence, étant entendu que, comme le
mentionne l'accord de Nouméa au point 2, la citoyenneté sera « une référence
pour la mise au point des dispositions ». Le congrès décidera au cas par cas
sous le contrôle du juge constitutionnel.
Le dispositif s'accompagnera d'une révision du traité sur l'Union européenne,
s'agissant des liens entre la Nouvelle-Calédonie et l'Europe. Des discussions
sont d'ailleurs engagées avec les autorités de la Commission de Bruxelles.
Autre élément novateur, le projet de loi organique introduit une nouvelle
norme juridique : « les lois du pays ». Elles seront votées par le congrès à la
majorité des membres qui le composent et auront valeur législative. Leur champ
sera limité à des domaines essentiels de l'activité normative du congrès. Les
projets et propositions de loi du pays seront soumis, avant leur adoption, à
l'avis du Conseil d'Etat afin de leur assurer la meilleure expertise juridique
possible.
Ces textes pourront, avant leur promulgation, être soumis à une seconde
lecture puis au contrôle du Conseil constitutionnel.
En matière institutionnelle, l'exécutif sera transféré à un gouvernement élu
au scrutin de liste à la représentation proportionnelle par le congrès.
La responsabilité du gouvernement pourra être mise en cause par le congrès par
le vote d'une motion de censure.
Le haut-commissaire, représentant de l'Etat, assistera de plein droit aux
réunions du Gouvernement.
Le régime électoral pour les élections aux assemblées de province, et donc au
congrès, est un autre point clé de l'accord de Nouméa.
Aux termes de l'article 177, peuvent participer à l'élection des assemblées de
province les personnes qui remplissaient les conditions pour voter lors de la
consultation du 8 novembre 1998, c'est-à-dire le référendum auquel M.
Loueckhote faisait référence, et celles qui, inscrites au tableau annexe du 8
novembre 1998, auront, au jour du scrutin provincial, rempli la condition de
dix ans de résidence, ainsi que les jeunes majeurs dont l'un des parents
remplissait l'une ou l'autre condition et résidant eux-mêmes en
Nouvelle-Calédonie depuis dix ans à la date de l'élection.
A mesure qu'elles rempliront la condition de résidence entre 1998 et 2008,
ces personnes pourront voter à l'élection aux assemblées de province.
Un amendement du rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale
a permis de revenir à une rédaction meilleure, évitant une ambiguïté. Il a été
accepté par le Sénat.
L'accord de Nouméa ne peut en effet être interprété que d'une seule manière.
Que ce soit pour les adultes ou pour les jeunes majeurs, il pose une double
condition : l'inscription au tableau annexe du 8 novembre 1998 et la résidence
depuis dix ans.
L'accord de Nouméa, sur ce point, a fait l'objet de négociations longues et
difficiles, aboutissant à un texte précis où chaque mot compte. Quoique
complexe, la rédaction de l'article 177 est la seule qui soit exactement
cohérente avec l'accord, et qui respecte ainsi la volonté clairement affirmée
du législateur constituant.
Ainsi est créée la citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie dont on a vu qu'elle
s'applique à un seul autre domaine : l'accès à l'emploi. Les prochaines
élections de province et au congrès devraient avoir lieu en mai prochain afin
que les nouvelles institutions soient en place dans les meilleurs délais.
La consultation sur l'accession à la pleine souveraineté sera organisée à une
date fixée, soit au cours du mandat du congrès, qui commencera en 2014 et par
délibération du congrès, soit au terme de ce mandat, en 2019, et par l'Etat.
Elle portera sur le transfert à la Nouvelle-Calédonie des compétences
régaliennes.
Les modalités d'organisation de cette consultation sont déterminées avec
précision par le projet de loi organique.
L'accord de Nouméa rend possibles trois consultations successives pour
franchir l'étape ultime de l'accession à la pleine souveraineté. Avant la
troisième consultation, le comité des signataires responsable du suivi de
l'accord de Nouméa devra se réunir. Cette rédaction résulte de la discussion
entre les partenaires calédoniens.
Par ailleurs, l'accord de Nouméa a prévu que, pour pouvoir se prononcer lors
de cette consultation, l'électeur devra justifier de vingt ans de résidence. Là
encore, le texte de l'accord est clair : il fait référence à ce référendum en
définissant strictement le corps électoral.
L'Etat s'est engagé à favoriser le développement économique de la
Nouvelle-Calédonie dans sa démarche d'émancipation : ce sera l'objet des
contrats pluriannuels de développement entre l'Etat, la Nouvelle-Calédonie et
les provinces, ainsi que du contrôle des outils du développement.
Au titre de cet engagement, un important accord est intervenu, jeudi 11
février, sur les modalités de l'entrée de la Nouvelle-Calédonie au capital des
deux sociétés, la société SLN, société le Nickel, et la société ERAMET.
Le nickel est, chacun le sait, la principale richesse naturelle de l'île. Il y
a un an, l'accord de Bercy permettait l'échange de massifs miniers et créait
les conditions pour la réalisation d'une deuxième usine de transformation dans
le nord de la Nouvelle-Calédonie. Ce projet, évoqué depuis plus de trente ans,
pourra devenir réalité.
Dans le même esprit, le Gouvernement a voulu que les Calédoniens soient
présents au sein de la SLN et d'ERAMET pour être les acteurs de la mise en
valeur de leurs richesses. La SLN est aujourd'hui la seule entreprise
métallurgique implantée en Nouvelle-Calédonie et le premier employeur privé.
Son capital est détenu à 90 % par ERAMET, elle-même majoritairement contrôlée
par l'ERAP, établissement public d'Etat. Une structure publique calédonienne
créée à cet effet par les trois provinces va donc recevoir 30 % du capital de
la SLN et 8 % de celui d'ERAMET.
C'est la principale raison de la restructuration du capital de ces deux
sociétés à dominante publique.
Cette entrée de la Nouvelle-Calédonie dans leur capital à un niveau
significatif s'inscrit pleinement dans la démarche de l'accord de Nouméa.
L'émancipation économique va de pair avec l'évolution politique. En transférant
des participations importantes dans le capital de ces deux sociétés, l'Etat
assure un juste retour des richesses vers la Nouvelle-Calédonie. Celle-ci, par
ses représentants, pourra intervenir dans les décisions qui concernent sa
propre économie. Cette entrée dans le capital est, par ailleurs, cohérente avec
les orientations stratégiques du groupe visant à conforter son assise
industrielle et à améliorer ses positions dans la compétition
internationale.
En matière économique comme sur le plan institutionnel, l'Etat a donc tenu
parole.
L'accord de Nouméa signé le 5 mai 1998, qui jette les bases d'un partage des
responsabilités, est le résultat d'un consensus entre des partenaires qui ont
consenti des concessions équilibrées. La population calédonienne, consultée par
référendum, a largement approuvé cette démarche.
Au cours de ces négociations et du processus politique engagé il y a un an,
les Calédoniens ont su rapprocher leurs points de vue sans renier leurs
convictions. Les différentes composantes qui vivent sur cette terre ont su
trouver, avec le concours de la République, les voies et les gestes qui
permettaient d'inventer une démarche commune. Dans un monde marqué par des
conflits dramatiques et par le recours à la violence, il faut saluer
l'intelligence politique d'une telle démarche.
Le Parlement a pleinement joué son rôle dans cette démarche ; il l'a comprise,
l'a rendue possible par les missions, les auditions et les débats en profondeur
qui ont accompagné la discussion des différents projets de loi.
Au cours du processus engagé, chacun a accepté de modifier le regard qu'il
porte sur l'autre. Désormais, avec ces textes, les fondations sont là. Aux
Calédoniens, maintenant, de continuer la construction et de la rendre solide.
La République continuera d'être à leurs côtés pour construire cet avenir
partagé.
(Applaudissements sur les travées socialistes, sur certaines
travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, monsieur le rapporteur,
mes chers collègues, le Parlement a pleinement joué son rôle dans l'évolution
institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie. La volonté d'aboutir dans le strict
respect des accords conclus entre le RPCR et le FNLKS a constamment éclairé et
guidé nos travaux.
J'ai eu l'occasion de dire qu'en la circonstance le Parlement faisait un
travail de dentelière car, pour respecter strictement ces accords, il fallait
avoir constamment présent à l'esprit le fait que nous devions rester dans les
limites qui avaient été fixées par les deux forces politiques présentes en
Nouvelle-Calédonie.
Les deux rapporteurs, celui de l'Assemblée nationale et celui du Sénat, y ont
pris une très large part ; je veux les remercier et les féliciter une fois
encore.
Et puis, mes chers collègues, nous avons coutume de dire quelquefois que la
politique est faite de symboles. En ce jour, à cette heure-ci, le Sénat marque
avec un symbole fort cet accord conclu, accord qui a abouti à ce que nous avons
aujourd'hui, puisque, en la circonstance et pour quelques heures, c'est l'un de
nos compatriotes Simon Loueckhote, de Nouvelle-Calédonie, qui est le rapporteur
final de ces travaux. Je veux m'en réjouir et dire que le Sénat s'est montré à
la hauteur de ce qu'attend la République.
(Applaudissements.)
M. Emmanuel Hamel.
Simon Loueckhote est un homme éminent, c'est une certitude !
M. Guy Allouche.
Je ne peux que vous approuver, mon cher collègue !
En la circonstance, l'urgence déclarée s'imposait. Elle a été parfaitement
comprise et admise. L'accord trouvé en commission mixte paritaire a
particulièrement mis en lumière la qualité du travail accompli par le Sénat.
Les deux principales formations politiques calédoniennes ainsi que les forces
vives du territoire ont approuvé et signé, le 5 mai 1998, en présence du
Premier ministre, M. Lionel Jospin, l'accord de Nouméa.
Réuni le 6 juillet 1998, le Congrès du Parlement approuvait très
majoritairement la modification constitutionnelle indispensable à l'application
de l'accord de Nouméa.
Le 8 novembre 1998, les électeurs de Nouvelle-Calédonie ont exprimé
massivement leur pleine adhésion au contenu de cet accord.
Le 12 novembre 1998, enfin, le congrès de Nouvelle-Calédonie émettait un avis
favorable aux projets de loi organique et ordinaire.
Après tant d'approbation, il eût été inconcevable, voire irresponsable, que le
Parlement n'aboutisse pas à son tour à un accord sur ces deux projets.
Tous ces événements positifs de l'année 1998, ainsi rappelés, participeront,
sans aucun doute, à la nécessaire cicatrisation des blessures du passé, mais
également des blessures qui ont été provoquées par les affrontements sanglants
de ces dernières années. Ils éclairent et consacrent le courage politique, la
vision pacifique de l'avenir, le souhait d'une paix harmonieuse entre les
communautés, la persévérance et le grand sens des responsabilités de tous les
acteurs du dossier calédonien.
Mes chers collègues, cet accord est le plus solennel et vibrant hommage que la
République française puisse rendre à l'homme exceptionnel que fut Jean-Marie
Tjibaou. C'est aussi la reconnaissance on ne peut plus officielle des qualités
personnelles et politiques de M. Jacques Lafleur, qui a compris bien plus vite
que d'autres que l'avenir de la Nouvelle-Calédonie devait se construire par la
main sincère que l'on tend, par la compréhension des exigences du FLNKS, et non
pas par des mots meurtriers, qui sifflent souvent comme des balles.
M. Jean-Pierre Plancade.
Très bien !
M. Guy Allouche.
Cet accord est aussi un honneur pour la République qui sait accompagner
l'évolution institutionnelle d'un territoire, son émancipation, et peut-être
même son indépendance si, le moment venu, la population le décide librement et
démocratiquement.
M. Emmanuel Hamel.
Vous le reconnaissez, hélas !
M. Guy Allouche.
Je tiens également à souligner que l'adoption de ces deux projets de lois
consacre le succès de la méthode du Gouvernement qui a vite compris que le
référendum « couperet » prévu par les accords de Matignon ne règlerait rien,
bien au contraire !
Dès le mois de juin 1997, le Premier ministre, M. Lionel Jospin, a déclaré
qu'il s'occuperait personnellement du dossier calédonien, et vous, monsieur le
secrétaire d'Etat à l'outre-mer, qui avez travaillé sans relâche à la
préparation et à l'aboutissement de ces accords, vous avez su respecter chacun
des partenaires, les écouter, les entendre, leur proposer des solutions
débouchant sur le consensus. Et j'aurais mauvaise conscience si j'oubliais de
rendre un hommage particulier et sincère à l'action de tous vos collaborateurs,
monsieur le secrétaire d'Etat.
L'histoire retiendra que ce sont les deux gouvernements en place, celui de
Michel Rocard en 1988 avec l'accord passé entre Jacques Lafleur et Jean-Marie
Tjibaou, et celui de Lionel Jospin en 1998 avec l'accord passé entre Jacques
Lafleur et Roch Wamytan, en liaison étroite avec tous les acteurs locaux -
parmi lesquels Simon Loueckhote figure au premier plan - dont on ne soulignera
jamais assez combien il leur aura fallu de courage et de clairvoyance, qui ont
fait évoluer très positivement le dossier calédonien et cette communauté de
destins acceptée par tous.
Dans quelques semaines, les Néo-Calédoniens éliront démocratiquement et
souverainement leurs nouvelles instances. Les nombreuses innovations juridiques
très spécifiques à la Nouvelle-Calédonie s'inscrivent dans un processus
d'émancipation et peut-être, à terme, de plein accès à la souveraineté. Ces
deux projets de loi constituent le socle sur lequel la Calédonie nouvelle - et
j'emploie à dessein ces termes de Calédonie nouvelle - se bâtira dans les
années à venir. L'esprit qui les caractérise est celui du partage et du
rééquilibrage. Le nouveau statut très particulier de la Nouvelle-Calédonie
appellera inévitablement - permettez-moi d'y insister, monsieur le secrétaire
d'Etat, mes chers collègues - une réflexion d'ensemble sur l'outre-mer
français.
Mme Lucette Michaux-Chevry.
Ne parlez pas pour moi !
M. Guy Allouche.
Je parle en mon nom, ma chère collègue. C'est ma conviction profonde.
Cependant, il serait hasardeux de prétendre que ce statut est transposable,
même si nous reconnaissons l'impérieuse nécessité de prendre en considération
l'évolution des territoires et des départements d'outre mer.
M. Christian de La Malène.
Voilà !
M. Guy Allouche.
Tirons les uns et les autres, à l'aube du prochain millénaire, les
enseignements de ce qui a été fait par la France dans d'autres conditions - et
dans quelles conditions ! - au cours de ces dernières décennies. Il appartient
désormais aux Néo-Calédoniens de faire vivre dans la paix et l'harmonie cette
communauté de destin qu'ils ont appelée de leur voeux.
Notre vote, mes chers collègues, sera un vote éminemment positif : nous
voterons « oui » sur ces deux textes, avec ferveur et avec satisfaction au
regard de l'importance du contenu de cet accord et de ces deux projets de
loi.
Monsieur le rapporteur, cher Simon Loueckhote, en conclusion, vous avez cité
Bernanos en disant que l'espérance est le risque des risques. Nous savons
depuis la nuit des temps que tout peuple a besoin d'espoir et d'espérance.
C'est ce que nous souhaitons à nos compatriotes néo-calédoniens, auxquels, au
nom du groupe socialiste, je dis bonne chance.
(Applaudissements sur les
travées socialistes ainsi que sur certaines travées du RPR.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
La discussion générale commune est close.
PROJET DE LOI ORGANIQUE RELATIF
À LA NOUVELLE-CALÉDONIE