Séance du 3 mars 1999
CONVENTION SUR LES PRIVILÈGES
ET IMMUNITÉS
DES INSTITUTIONS SPÉCIALISÉES
Adoption d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 62, 1998-1999)
autorisant l'adhésion de la République française à la convention sur les
privilèges et immunités des institutions spécialisées approuvée par l'assemblée
générale des Nations unies le 21 novembre 1947 (ensemble dix-sept annexes
approuvées par les institutions spécialisées). [Rapport n° 169 (1998-1999)].
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Charles Josselin,
ministre délégué à la coopération et à la francophonie.
Monsieur le
président, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi qui vous est
présenté a pour objet l'adhésion de la France à la convention du 21 novembre
1947 sur les privilèges et immunités des institutions spécialisées.
Les institutions spécialisées sont ces organisations intergouvernementales,
reliées aux Nations unies, qui mènent des actions internationales dans
différents domaines intéressant l'humanité. Parmi elles figurent, par exemple,
l'Organisation internationale du travail ou l'Organisation mondiale de la santé
et, plus près de nous, puisque son siège est à Paris, l'UNESCO. Dix-sept
organisations au total ont adhéré à ce texte depuis son adoption.
La convention qui vous est soumise a été élaborée par les Etats membres des
institutions spécialisées des Nations unies, au rang desquels figure la France.
Ce texte définit les privilèges et immunités de ces organisations
internationales, des représentants des Etats membres participant aux réunions
qu'elles organisent, ainsi que des fonctionnaires internationaux qu'elles
emploient. De cette manière, l'accomplissement des missions qui leur sont
confiées est facilité et assuré dans les mêmes conditions sur le territoire de
tous les membres.
Les dispositions sont de facture classique, voisines de celles de la
convention de 1946 sur l'organisation des Nations unies elle-même, à laquelle
la France a adhéré.
Les institutions bénéficient ainsi d'immunités de juridiction pour leurs
biens, fonds et avoirs, ainsi que de privilèges fiscaux et douaniers. Leurs
locaux sont inviolables et l'exemption de toute contrainte exécutive s'ajoute à
ces protections.
Les représentants des Etats membres invités à des réunions disposent d'une
protection comparable à celle des envoyés diplomatiques, de même que le
dirigeant de l'organisation.
Les fonctionnaires internationaux de ces institutions, dans le cadre de leurs
fonctions et pour en faciliter l'exercice, bénéficient d'immunités de
juridiction, de privilèges fiscaux et de modalités facilitant leur libre
circulation.
La convention prévoit également dans quelle mesure de nouvelles institutions
peuvent adhérer à ce texte et les conditions dans lesquelles les Etats membres
acceptent de leur reconnaître les privilèges et immunités. Il n'y a en effet
pas d'obligation pour un membre de reconnaître ou d'agréer toutes les
institutions. La France, dans la mesure où elle est membre de toutes les
institutions spécialisées, n'est, pour sa part, pas confrontée à ce genre de
choix.
S'agissant de la démarche qui a abouti à la présentation de ce projet de loi,
il est difficile, cinquante ans après, d'identifier les motifs pour lesquels
cet accord n'a pas été soumis, à l'époque, à l'approbation du parlement
français.
Cependant, les privilèges et immunités ont été accordés de fait : il était
naturel pour les pouvoirs publics français d'accepter les contreparties
qu'implique le statut de membre des institutions spécialisées.
Cette situation a été grandement facilitée par le fait que, sur cette longue
période, aucun litige susceptible de remettre en cause les immunités n'a été
relevé. De même, les protections et avantages se sont résumés, pour
l'essentiel, à la fiscalité des personnels résidents de France. En effet, de
toutes les institutions, une seule, l'UNESCO, a son siège sur le territoire
national, et son régime est réglé par un accord bilatéral.
La situation aurait ainsi pu perdurer si un débat, ouvert au début des années
quatre-vingt-dix, n'était venu démontrer la nécessité juridique et pratique
d'une adhésion de la France à la convention de 1947.
La nécessité juridique est évidente. J'ai souligné la qualité des relations
avec les institutions spécialisées, qui n'ont pas généré de contentieux
notable. Il n'en demeure pas moins que, si un incident devait survenir, le
champ diplomatique et juridictionnel devrait être clairement défini pour ne pas
devoir faire face à une situation confuse.
Par ailleurs, différents litiges fiscaux opposent des personnes employées par
les institutions spécialisées à l'administration française. Lorsque ces
différends débouchent sur des procédures contentieuses, l'absence de
ratification de la convention, et donc d'une base légale définissant les
privilèges et immunités des intéressés, pose régulièrement un problème de
forme.
La nécessité pratique est également patente. Je ne citerai, pour illustrer mon
propos, que l'exemple révélateur de la place de Genève, où sont installées des
organisations relevant de trois régimes distincts mais comparables : l'ONU, qui
relève de la convention du 13 février 1946, l'Organisation mondiale du
commerce, créée par l'accord de Marrakech en 1994, et les institutions
spécialisées.
Près de 30 % à 40 % des personnels résident en France et franchissent chaque
jour la frontière pour aller travailler. Tant que la convention de 1947 n'aura
pas été ratifiée, les fonctionnaires qu'elle régit n'auront pas les mêmes
droits que les autres, même si ces droits leur sont accordés dans la
pratique.
Cette multiplicité de situations n'est susceptible que de compliquer la
mission de certaines administrations - douanes, gendarmerie, police - alors
qu'un cadre juridique est prévu et qu'il suffit de le valider pour tout
régulariser.
Pour ces raisons, le Gouvernement avait décidé, en 1994, de présenter au
Parlement un projet de loi autorisant l'adhésion de la France à la convention
de 1947. Cette décision a été officiellement annoncée le 6 avril 1995 par le
Premier ministre au secrétaire général de l'ONU.
Je suis heureux, aujourd'hui, de prolonger l'action entreprise par mes
prédécesseurs et de contribuer à concrétiser un engagement pris par les
pouvoirs publics français.
Je sais également que nombre d'entre vous ont suivi ce dossier avec attention,
qu'ils se sont souciés de son évolution, et je tiens à les en remercier.
Telles sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les
principales observations qu'appelle la convention de 1947 sur les privilèges et
immunités des institutions spécialisées, qui fait l'objet du projet de loi
présenté aujourd'hui à votre approbation.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. André Dulait,
rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers
collègues, nous allons vivre, ce soir, un grand moment : en effet, si le Sénat
adopte le présent projet de loi, nous mettrons un terme à une curiosité
juridique vieille de plus de cinquante ans puisque remontant au 21 novembre
1947.
La France participe activement aux travaux des institutions spécialisées des
Nations unies, telles que le Bureau international du travail, le BIT, ou
l'Organisation mondiale de la santé, l'OMS, sans pour autant avoir formellement
ratifié l'instrument leur conférant les privilèges et immunités reconnus, à des
degrés divers, à toute organisation internationale. Parmi ces institutions,
seule l'UNESCO, installée à Paris, bénéficie d'une pleine reconnaissance
juridique de notre pays, dans le cadre de l'accord de siège de 1954.
A vrai dire, la commission des affaires étrangères s'est longuement interrogée
sur les raisons juridiques, diplomatiques, politiques ou financières qui
auraient pu justifier la non-adhésion à la convention du 21 novembre 1947. Ses
recherches sont restées vaines. Un projet de loi de ratification, strictement
identique à celui dont nous discutons ce soir, avait même été déposé en 1957
par le Gouvernement de M. Bourgès-Maunoury. Sans doute aurait-il été adopté
sans difficulté par le Parlement si les turbulences de la fin de la IVe
République n'avaient fait passer d'autres sujets au premier plan de l'ordre du
jour.
Si aucune raison précise n'est avancée pour justifier l'ajournement, durant
plusieurs décennies, de la ratification de ce texte, beaucoup plus clair est,
en revanche, le motif de son inscription à nos travaux de la présente
session.
En effet, il s'agit aujourd'hui de clore définitivement un débat de nature
fiscale engagé en 1992 et de prévenir l'apparition de tout nouveau contentieux
avec les organisations concernées et leurs personnels.
Vous trouverez dans mon rapport écrit les tenants et les aboutissants de la
controverse qui a opposé, il y a quelques années, nos services fiscaux et un
certain nombre de fonctionnaires internationaux résidant en France mais
travaillant pour des institutions spécialisées situées à Genève. Je rappellerai
simplement que l'administration fiscale, se fondant sur l'absence de
ratification de la convention, avait remis en cause le statut fiscal accordé
de facto
à ces fonctionnaires, sur la base d'une simple pratique, durant
plusieurs dizaines d'années.
La commission des affaires étrangères a considéré qu'en annonçant, en avril
1995, l'adhésion de la France à la convention du 21 novembre 1947 le
Gouvernement de M. Balladur avait choisi la voie la plus logique et la plus
juste pour sortir de cette difficulté.
Une clarification juridique s'imposait et il n'était pas imaginable qu'elle
s'opère autrement que par une reconnaisance des privilèges et immunités établis
par la convention, car rien ne peut justifier que la France applique à l'OMS ou
au BIT un traitement différent de celui qu'elle réserve à l'UNESCO, à
l'Organisation mondiale du commerce et à l'ONU elle-même.
Une telle distorsion de traitement, par ses implications fiscales, aurait, en
outre, pour effet de faire obstacle à l'établissement dans nos départements
frontaliers de fonctionnaires internationaux relevant des institutions
spécialisées des Nations unies ; près de 2 500 d'entre eux résident déjà en
France sans qu'il y ait lieu, nous semble-t-il, d'en négliger les
implications.
Pour cet ensemble de raisons, la commission des affaires étrangères et de la
défense, unanime, vous demande, mes chers collègues, d'adopter le présent
projet de loi.
(Applaudissements.)
M. le président.
Personne ne demande la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
«
Article unique.
- Est autorisée l'adhésion de la République française
à la convention sur les privilèges et immunités des institutions spécialisées
approuvée par l'assemblée générale des Nations unies le 21 novembre 1947
(ensemble dix-sept annexes approuvées par les institutions spécialisées), et
dont le texte est annexé à la présente loi. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
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