Séance du 23 mars 1999
AMÉNAGEMENT ET DÉVELOPPEMENT
DURABLE DU TERRITOIRE
Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 203, 1998-1999)
d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire et
portant modification de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour
l'aménagement et le développement du territoire, adopté par l'Assemblée
nationale, après déclaration d'urgence. [Rapport n° 272 (1998-1999).]
Mes chers collègues, au début de l'examen du projet de loi d'orientation,
d'aménagement et de développement durable du territoire, vous me permettrez de
marquer que, sur 320 amendements déposés, 206, soit les deux tiers, ont été
transmis au service de la séance par la voie électronique, que ce soit par
e-mail ou par notre réseau informatique.
Je tiens à remercier tout particulièrement les groupes qui, à l'instar du
service des commissions, ont bien voulu prêter leur concours à la modernisation
de nos méthodes de travail.
Il faut s'en féliciter. A quelques mois de l'an 2000, l'informatisation de la
chaîne des amendements est en bonne voie, et je souhaite que cet effort se
poursuive, pour la modernisation du fonctionnement de notre institution, bien
sûr, mais aussi pour démontrer à ceux qui pourraient en douter que le Sénat est
à la pointe du progrès.
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le ministre.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
Mme Dominique Voynet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
Monsieur
le président, mesdames, messieurs les sénateurs, M. le Premier ministre avait
indiqué dans son discours de politique générale, le 19 juin 1997, que son
Gouvernement préparait un projet de loi visant à réformer la loi du 4 février
1995 afin de renouveler le cadre de la politique d'aménagement du territoire de
notre pays. Le projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le
développement durable du territoire que j'ai l'honneur de vous présenter
aujourd'hui concrétise cet engagement.
J'ai conscience, en venant présenter ce texte devant votre assemblée, de
m'adresser à un auditoire passionné, extrêmement averti de toutes les questions
qui touchent à l'aménagement du territoire. J'en tire la conviction que nos
débats seront exigeants et de qualité, animés par la volonté que nous avons
tous de donner à notre pays le cadre législatif dont il a besoin.
Le projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable
du territoire sur lequel vous allez délibérer est un cadre dans lequel
viendront s'inscrire deux autres textes de loi qui vous seront présentés par M.
Chevènement et M. Zuccarelli, chacun traduisant les orientations que je vais
développer devant vous dans son domaine de compétences.
Avec le projet de loi d'orientation agricole que vous avez examiné il y a
quelques semaines, ces textes forment un ensemble cohérent. La loi
d'orientation agricole permettra une réorientatioon de la politique agricole
pour que celle-ci s'intéresse aux agriculteurs et aux territoires qu'ils
mettent en valeur et non plus seulement à la croissance du volume de la
production.
Le projet de loi de M. Chevènement fixera les modalités du développement de
l'intercommunalité en simplifiant le cadre existant et en donnant des moyens
renforcés aux communes et à leurs groupements.
Le projet de loi présenté par M. Emile Zuccarelli précisera les conditions de
l'intervention économique des collectivités locales.
Le projet de loi que je vous présente aujourd'hui définit, quant à lui, les
orientations de la politique d'aménagement et de développement durable du
territoire ainsi que la stratégie et les moyens de la mise en oeuvre de cette
politique.
J'en viens au premier sujet : les objectifs de la politique d'aménagement et
de développement durable du territoire.
Toutes les politiques publiques ont un impact sur l'aménagement du territoire,
qu'elles portent sur la fiscalité, les transports, l'organisation des postes et
télécommunications, le logement, l'agriculture, l'environnement, la culture,
les aides au développement économique des entreprises, et j'en passe. Chaque
décision prise dans ces différents domaines conduit à un certain type
d'organisation du territoire.
Pourtant, le ministère dont j'ai la charge n'a pas vocation à corriger les
effets négatifs des autres politiques pour le développement du territoire. S'il
n'était que cela, sa mission serait dérisoire, tant les moyens financiers dont
il dispose sont limités au regard de la tâche à accomplir.
La politique d'aménagement du territoire, c'est d'abord un combat de tous les
jours pour mettre en cohérence toutes les politiques publiques au service d'un
développement réfléchi, maîtrisé, équilibré, de notre pays. Ce n'est donc
évidemment pas seulement à l'aune des crédits accordés par le Fonds national
d'aménagement du territoire ou de l'importance des primes d'aménagement du
territoire qu'il faut juger la politique du Gouvernement dans ce domaine. Ces
outils financiers ont bien sûr un rôle incitatif, mais ils sont de peu de poids
face à l'impact des décisions prises dans les autres domaines que je viens
d'évoquer.
La première responsabilité du Gouvernement est de mettre en cohérence
l'ensemble des politiques publiques qu'il maîtrise avec celles des
collectivités locales pour les faire converger vers les objectifs fixés
conjointement.
Il lui faut aussi avoir le souci d'assurer la cohérence entre les actions
nationales, qu'elles soient menées par l'Etat ou les collectivités
territoriales, et les politiques communautaires, qui représentent des
financements considérables et dont les réglementations ont un impact chaque
jour plus important sur notre vie quotidienne.
A quoi peut servir par exemple l'effort de tel ou tel Gouvernement pour
revitaliser les campagnes si, dans le même temps, la politique agricole
commune, avec des moyens financiers beaucoup plus importants, contribue à vider
celles-ci ?
C'est dire que l'aménagement du territoire est l'une des actions publiques les
plus difficiles à conduire, mais aussi l'une des plus nécessaires. Elle oblige
à évaluer en permanence la pertinence de l'action sectorielle de chacune des
administrations publiques en regard des objectifs politiques généraux
poursuivis par le Gouvernement.
Quels sont ces objectifs ? Il s'agit, tout d'abord, de travailler à une
société plus juste et plus solidaire. La politique d'aménagement et de
développement durable du territoire doit contribuer au renforcement de la
cohésion sociale, à la réduction des inégalités, à la lutte contre l'exclusion,
à l'intégration. De ce point de vue, je ne peux que partager l'affirmation de
votre commission spéciale qui, dans son rapport, affirme que l'être humain doit
être au coeur des préoccupations des politiques publiques.
Cela me conduit à faire une remarque : on ne peut pas tout attendre de la
politique d'aménagement du territoire. Les inégalités sont sociales avant
d'être territoriales. L'inégalité dans la répartition des revenus et du
patrimoine est du même ordre à Paris, à Guéret, à Lyon ou à Limoges.
Les problèmes rencontrés sur le territoire ne font souvent que traduire cette
inégalité sociale. Je prends un exemple : si le prix d'achat de l'immobilier
varie de 23 700 francs en moyenne pour un mètre carré dans le VIIe
arrondissement à Paris à 4 200 francs à Clichy-sous-Bois, et si les catégories
sociales qui habitent dans l'un ou l'autre endroit sont très différentes, cela
n'est dû principalement ni aux potentialités initiales intrinsèques de ces deux
territoires ni à leur ou plus ou moins grande proximité des zones de
prospérité.
La façon dont une société choisit de répartir la richesse entre les individus
qui la composent reste donc un des sujets politiques majeurs auxquels nous
sommes confrontés. La politique d'aménagement du territoire ne peut répondre
que de façon marginale à cette question.
Il s'agit cependant de tout faire pour ne pas ajouter l'inégalité territoriale
à l'inégalité sociale. L'inégalité entre les territoires est au coeur des
réflexions et des déclarations sur l'aménagement du territoire. Pourtant, la
réalité de cette inégalité n'est pas aussi simple à mesurer qu'il y paraît.
C'est pourtant bien de là qu'il faut partir si l'on veut agir.
Je vous propose d'examiner quelques outils qui pourraient nous permettre
d'appréhender de façon plus fine cette inégalité.
Si l'on mesure la situation respective des territoires à l'aune de leur
potentiel fiscal, les inégalités les plus fortes sont non pas entre les
régions, mais entre les communes. Le potentiel fiscal varie en effet de un à
vingt entre les communes. Cette situation est imputable à l'importance de la
taxe professionnelle dans les ressources fiscales des collectivités locales,
taxe qui représente en moyenne 50 % de l'ensemble des ressources fiscales
directes des collectivités.
La base moyenne de la taxe professionnelle était de 10 742 francs par habitant
en 1995, mais la moitié des communes françaises avaient une base inférieure à 2
000 francs par habitant.
Dix-sept départements concentrent la moitié des bases de taxe professionnelle.
Cette taxe expliquerait donc à elle seule 75 % des inégalités.
Face à cela, le Fonds national de péréquation de la taxe professionnelle, le
FNPTP, représente moins de 5 % du produit de cette taxe et la dotation de
solidarité urbaine, à peine 2 %.
Les quatre taxes perçues par les collectivités locales ne représentent
toutefois que la moitié de leurs ressources, les autres étant largement des
ressources de transfert, au premier rang desquelles la dotation globale de
fonctionnement, la DGF, qui est le principal outil de péréquation entre les
communes riches et les communes pauvres. La part des dotations de péréquation
dans la DGF est passée de 6,3 milliards de francs en 1994 à 9,2 milliards en
1998.
La constitution des communautés d'agglomération mettant en commun leurs
ressources de taxe professionnelle pour traiter les problèmes des zones
urbaines à l'échelle qui convient sera un pas majeur dans la « péréquation
fiscale ».
Les inégalités de potentiel fiscal sont moins importantes à mesure que l'on
s'éloigne de l'échelon communal. Le potentiel fiscal entre les départements
varie de 1 à 6, celui des régions de 1 à 2,5.
Cette mesure de l'inégalité entre les territoires ne donne cependant qu'une
image imparfaite de la réalité. Il faudrait pouvoir mettre en regard des
ressources des collectivités locales les charges qu'elles supportent et
traduire cela dans un indice synthétique que tout le monde souhaite, mais qui
s'avère redoutablement complexe à bâtir.
Nous devons nous interroger sur la pertinence de cette approche des disparités
territoriales par la fiscalité. En effet, d'autres critères d'évaluation
éclairent ces disparités sous un jour différent.
Les inégalités de revenu disponible brut des ménages sont beaucoup moins
importantes que celles du potentiel fiscal. Ce revenu disponible brut des
ménages en Ile-de-France était supérieur de 26 % au reste du pays en 1996, et
l'écart entre les régions les plus riches et les régions les plus pauvres hors
Ile-de-France était de 19 %. Les transferts sociaux, notamment les retraites et
les minima sociaux, assurent le lissage des revenus entre les régions. Ils
représentent 30 % du revenu disponible brut des ménages en Ile-de-France, 44 %
dans le Limousin, 43 % en Languedoc-Roussillon ou 47 % en Corse.
Si l'on considère le PIB régional, c'est-à-dire la création de richesse, les
écarts sont alors plus importants. Quatre régions - Ile-de-France, Rhône-Alpes,
Provence-Alpes-Côte d'Azur et Nord - Pas-de-Calais - soit 40 % de la population
française, produisent 51 % du PIB national. Le PIB par habitant est supérieur
de 53 % en Ile-de-France à ce qu'il est dans le reste du pays.
En résumé, les écarts régionaux de revenu disponible brut des ménages se
réduisent, alors que les écarts dans la production de richesse et dans la
répartition des emplois stratégiques s'accentuent.
Une des responsabilités majeures de la politique d'aménagement du territoire
réside dans sa capacité à réduire ces inégalités économiques, et pas seulement
sociales, entre les territoires. La politique d'aménagement du territoire doit
permettre la mise en oeuvre d'actions structurelles en faveur des économies
régionales afin d'en améliorer la compétitivité et le dynamisme. Elle ne
saurait donc se résumer à la compensation des handicaps par le biais de
péréquation fiscale, ni au maintien des services publics dans les zones
difficiles. J'y reviendrai.
Le deuxième objectif est l'emploi.
L'efficacité de toutes les politiques publiques en fonction de la contribution
qu'elles apportent à la lutte contre le chômage est devenue un des critères
majeurs d'appréciation dans le choix des investissements publics.
La politique d'aménagement du territoire doit encourager la création d'emplois
sur tout le territoire et éviter la concentration et la spécialisation
excessive des zones d'emploi dans un certain type d'activité. Certaines régions
de tradition industrielle lourde semblent vouées à la reconversion dans des
activiés également fragiles et, pendant ce temps, d'autres bénéficient de la
localisation de la plupart des emplois très qualifiés.
Cette spécialisation apparaît destructrice non seulement pour les régions qui
sembleraient vouées à des activités vieillissantes, mais également pour celles
d'entre elles qui ne seraient pas bénéficiaires de cette polarisation des
emplois qualifiés.
De 1982 à 1990, l'agglomération parisienne a gagné 87 % des emplois dits «
stratégiques », ingénieurs et cadres dans les secteurs de pointe en
développement. Dans le même temps, 14 autres villes françaises ont connu une
augmentation de ce type d'emplois, tandis que 226 villes françaises en
perdaient. Or on sait que les avantages comparatifs des territoires dans nos
sociétés résident moins dans le coût de la main-d'oeuvre ou des matières
premières que dans leur capacité à élaborer des produits à haute valeur
ajoutée.
C'est donc en définitive le degré de qualification de la main-d'oeuvre, la
densité des réseaux d'échanges commerciaux - tant avec les clients qu'avec les
sous-traitants - et intellectuels - en termes de recherche et de promotion -
qui déterminent la position relative d'une région. Dire cela, c'est aussi dire
à quoi nous devrons nous attacher, Etat et collectivités territoriales, dans
les prochains contrats de plan.
La responsabilité de la politique d'aménagement et de développement durable du
territoire en matière d'emploi, c'est aussi de considérer qu'aucun espace n'est
condamné, et d'y encourager le développement local non seulement en instaurant
des discriminations positives liées à tel ou tel zonage, mais aussi en
finançant l'ingénierie des projets et en veillant à ce que les financements
croisés ne conduisent pas à diriger les financements de l'Etat prioritairement
vers les collectivités les plus riches.
C'est encore anticiper sur les évolutions économiques, l'explosion des
services du secteur des nouvelles technologies de l'information et de la
communication ou des biotechnologies, l'émergence des emplois dans les secteurs
liés à la sécurité des personnes et des biens. La qualité de l'environnement,
la qualité de la vie en général, doit être prise en compte. Nous devons nous y
préparer, mettre en place des dispositifs d'intelligence économique et sociale,
préparer un ancrage plus solide des activités sur un territoire mieux en phase
non seulement avec les potentialités de ce territoire, mais aussi avec les
attentes et les compétences des hommes et des femmes qui y vivent.
C'est, enfin, mettre en place une politique et un dispositif institutionnel
qui permettent d'attirer les investissements étrangers en France et de faire en
sorte qu'ils soient source de création d'emplois sur tout le territoire.
Troisième objectif : l'aménagement du territoire doit s'inscrire dans une
perspective de développement durable.
Tout le monde, bien sûr, est favorable au développement durable. C'est même
devenu un thème à la mode. La France a pris des engagements dans ce domaine à
l'occasion de diverses grandes conférences internationales. Mais, au fond,
qu'est-ce que cela veut dire ?
Commençons par évacuer les faux débats. Mon projet de loi ne vise pas à
défendre la « nature naturelle » - que vos rapporteurs ont apparemment cherchée
sans la trouver - contre « l'homme », dont nul n'a songé à oublier qu'il était
à la fois le sujet et l'objet de toute politique. Cette opposition abstraite et
artificielle entre l'homme et la nature a été dépassée depuis bien longtemps,
et tout le monde sait aujourd'hui que, depuis son apparition sur cette planète,
l'homme, qui est à bien des égards l'une des espèces vivantes les plus
inadaptées à la « nature naturelle » à laquelle il appartient pourtant, agit
pour maîtriser cette dernière et se transforme en la transformant.
Le développement durable ne se réduit pas à l'environnement, qui n'en
constitue qu'une des dimensions.
Le développement durable, c'est d'abord une conception patrimoniale du monde
dans lequel nous vivons. Un patrimoine collectif, ça s'utilise, ça se préserve,
ça se partage et ça se transmet dans des conditions qui permettent que la
nécessaire satisfaction de nos besoins d'aujourd'hui ne compromette pas celle
des générations futures. Cela est vrai pour l'eau, l'air, les sols, les
paysages et tout ce qui constitue non pas seulement notre « cadre de vie »,
mais en réalité les conditions mêmes de notre vie.
Mais c'est aussi à la durabilité de nos économies qu'il faut penser. Une
croissance économique qui ne permettrait pas de réduire les phénomènes
d'exclusion sociale, la concentration des richesses et des activités, et la
suppression des emplois peut-elle réellement être considérée comme durable ?
Le développement durable, c'est un mode de croissance de la société qui
garantisse à la fois les progrès économique, social et environnemental de la
société. Pour traduire ces préoccupations, il me semble qu'il faut adopter dans
l'ensemble de nos régions, à l'occasion de la négociation des prochains
contrats de plan, une méthode commune d'évaluation de la qualité des projets à
l'aune de ces trois préoccupations, ce qui nous amènera à privilégier des
projets plus riches d'utilité sociale que ceux que nous retenons
traditionnellement. Les projets d'investissement, la création de telle ou telle
infrastructure ne doivent pas être retenus sans un examen
a priori
des
alternatives possibles. Je dis bien examen
a priori,
car trop souvent la
concertation se limite à demander l'avis de la population après que les
décisions ont été réellement prises.
Il faut aussi recourir plus qu'on ne le fait aujourd'hui à l'expertise
contradictoire. L'avis des techniciens, des administrations en charge des
dossiers est bien entendu important, mais il doit être confronté à celui des
experts indépendants qui contribuent à éclairer les décideurs sur tous les
aspects des projets en cause.
Et puis, si l'on veut que la référence au développement durable ne soit pas
qu'une clause de style, il faut définir, en même temps que les projets, les
modalités d'évaluation et de suivi qui les accompagneront. Cette évaluation, ce
suivi doivent porter sur l'ensemble des domaines économique, social et
environnemental, et permettre une mise en oeuvre effective des principes de
précaution, de prévention et de responsabilité qui doivent s'imposer dans
toutes les prises de décision des pouvoirs publics.
Je suis convaincue que cette méthode et ces principes seront mis en oeuvre
avec d'autant plus de succès que les représentants de l'Etat dans les régions
auront à coeur d'organiser les débats publics nécessaires et d'associer les
citoyens, sous des formes adaptées, aux prises de décisions.
Quatrième objectif : la politique d'aménagement du territoire doit favoriser
l'émergence et la concrétisation de projets fondés sur la valorisation des
ressources plutôt que la compensation de handicaps.
La philosophie de l'aménagement du territoire a été longtemps dominée par les
idées de compensation entre zones riches et zones pauvres, de péréquations,
d'implantations autoritaires d'infrastructures ou d'équipements dans des
régions réputées « défavorisées ». C'est aussi l'idée qui domine à Bruxelles et
qui est traduite par les différents zonages avec lesquels vous avez dû vous
habituer à vivre.
Je ne conteste pas la nécessité de ce rééquilibrage entre les moyens des uns
et des autres. Mais si le rééquilibrage, notamment fiscal, est nécessaire, il
n'est pas suffisant. Une conception de l'aménagement du territoire qui s'en
tiendrait à ce seul principe conduirait à installer des zones entières dans ce
que j'appellerai « la culture du handicap ».
L'histoire nous a appris que le caractère favorisé ou handicapé d'une région
était relatif et pouvait évoluer dans le temps. Telle région hier prospère
grâce à ses mines de charbon s'est trouvée soudain handicapée et contrainte à
de douloureux efforts de reconversion, alors que des zones réputées enclavées
ont bénéficié de l'explosion du tourisme et se sont enrichies.
C'est pourquoi aucune région ne peut concevoir que son avenir réside
durablement dans des ressources provenant de la péréquation entre régions. Le
zonage du territoire communautaire ne constitue pas une fin en soi, pas plus
que le fait pour une région d'être incluse dans une zone ou plusieurs zones. La
délimitation de zones n'a d'intérêt que si elle permet pendant une période de
temps limitée d'accorder des moyens publics spécifiques pour mettre en place
les conditions d'un développement autonome des régions considérées. Dès lors
qu'un zonage recouvre une part trop importante du territoire, ou qu'il devient
pérenne, il manque son objectif.
C'est avec cette compréhension des choses que nous abordons les négociations
européennes sur la réforme des fonds structurels et la réforme des zonages qui
l'accompagnera. C'est aussi avec le souci de bien distinguer ce qui doit
relever de la nécessaire solidarité européenne, et ce qui incombe aux
solidarités nationales et locales. Nous ne pouvons pas tout attendre des
transferts nationaux ou communautaires ; ils sont là pour accompagner des
démarches, mais ils ne peuvent remplacer la prise en charge, par tous les
niveaux de décision, des responsabilités qui leur reviennent.
L'idée qui sous-tend le projet du Gouvernement est que l'Etat aidera
prioritairement ceux qui s'organisent pour élaborer un projet. L'Etat
récompensera le dynamisme, parce que, en faisant cela, les dépenses publiques
contribueront effectivement au développement de la richesse produite, à
l'occupation équilibrée du territoire, et pas simplement à la compensation de
retard de développement.
Je suis consciente que la capacité de mobilisation peut dépendre aussi des
moyens initiaux dont on dispose. C'est pourquoi le Gouvernement a décidé, lors
du dernier comité interministériel de l'aménagement du développement du
territoire, le CIADT, de créer une section spéciale du Fonds national
d'aménagement et de développement du territoire destinée au financement de
l'ingénierie de projets.
Le cinquième et dernier objectif vise à favoriser l'intégration de la France
dans une Europe élargie.
La construction européenne, au-delà des péripéties qui peuvent l'affecter, est
riche non seulement d'opportunités, mais aussi de menaces pour notre pays.
S'agissant des opportunités, celle de participer à la construction d'un
ensemble économique et politique qui compte parmi les plus puissants et les
plus stables du monde constitue une chance appréciable.
Mais cet ensemble évolue, son centre de gravité économique et politique se
déplace vers « l'Europe médiane », et notre pays doit veiller tous spécialement
à ne pas être marginalisé dans le processus de croissance à venir. Nos régions
atlantiques et méditerranéennes doivent être des atouts dans une stratégie de
croissance française pensée à l'échelle internationale.
J'ai noté avec satisfaction que la commission proposait un certain nombre
d'amendements qui vont à la rencontre de ces préoccupations.
Ce projet de loi d'orientation doit être l'occasion d'affirmer nos ambitions
dans ce domaine, à quelques semaines du conseil informel des ministres chargés
de l'aménagement du territoire de l'Union européenne, qui devrait adopter le
schéma de développement des espaces communautaires.
L'aménagement du territoire n'étant pas une compétence communautaire, ce
schéma de développement ne sera qu'un cadre de référence, mais son adoption
devrait être suivie de rencontres régulières des ministres concernés par
l'aménagement du territoire pour évaluer la prise en compte de ces orientations
dans les politiques nationales, développer les coopérations interrégionales et
transfrontières, échanger les expériences.
Il ne suffit pas de fixer des objectifs, il faut aussi indiquer le chemin pour
y parvenir et les moyens à mettre en oeuvre.
Il s'agira de favoriser la coopération de tous les acteurs autour de
l'élaboration et de la mise en oeuvre de projets qui définissent un
territoire.
Je ne vous propose pas de bouleverser l'organisation administrative du pays,
de supprimer tel ou tel type de collectivité locale ou de redéfinir leurs
compétences respectives. Certains le regretteront, d'autres trouveront que ce
projet de loi va déjà trop loin. Quoi qu'il en soit, ce choix doit être
justifié.
La méthode que je vous propose avec ce projet de loi d'orientation repose sur
le triptyque suivant : un projet, un territoire, un contrat.
Un projet partagé est à l'origine de tout, parce que je suis convaincue que
l'aménagement du territoire ne se décrète pas, que le développement n'existe
pas sans volonté locale, que tout ne s'organise pas autour des principes
décidés par une autorité centrale.
C'est autour de ce projet, traduit dans une charte, de pays ou
d'agglomération, que s'organiseront les nouveaux espaces de l'action locale,
que se développeront les dynamiques territoriales. Ici également, je préfère
l'incitation à l'affirmation déclamatoire ou aux démarches technocratiques. Les
pays et les agglomérations naîtront des projets élaborés par des acteurs locaux
ayant envie de travailler ensemble, du contrat qu'ils passeront entre eux et
avec l'Etat et non de découpages administratifs établis sur des bases
statistiques.
Enfin, un contrat, signé dans le cadre des contrats de plan Etat-régions,
organisera l'action coordonnée entre les partenaires et définira les moyens à
mettre en oeuvre pour que le projet devienne réalité.
Tout cela, vous le voyez, se fera sans réforme institutionnelle majeure, les
pays et les agglomérations constituant non pas de nouvelles collectivités
territoriales, mais des espaces de projets, définis comme je viens de le faire,
avec une structuration un peu plus contraignante s'agissant des communautés
d'agglomérations.
Ce dispositif me semble adapté à la situation de nos institutions
aujourd'hui.
Il n'y a pas, contrairement à ce que l'on dit souvent, d'exception française
dans ce domaine. Tous les pays comparables de l'Union européenne comptent trois
niveaux d'administration territoriale. L'Allemagne compte 16 Lander, 452 Kreise
et 16 068 communes ; l'Italie est organisée en 20 régions, 95 provinces et 8
074 communes ; l'Espagne en 17 communautés autonomes, 50 provinces et 8 082
communes ; la Belgique, pourtant beaucoup plus petite, est divisée en 3
régions, 9 provinces et 596 communes.
Au fond, la spécificité de la situation françaie réside : dans l'émiettement
du tissu communal avec ses conséquences fiscales dont j'ai parlé tout à l'heure
; dans l'absence de hiérarchisation entre les différents niveaux
d'administration territoriale, le refus de toute tutelle d'une collectivité
locale sur une autre paraissant intangible ; dans le principe d'uniformité dans
les compétences et le statut des collectivités locales de même rang ; enfin,
dans le maintien d'une forte administration de l'Etat au niveau local,
corollaire des budgets relativement faibles des collectivités territoriales et
de leur faible liberté d'auto-organisation, mais aussi témoignage du rôle
important qu'il conserve, garant de la cohérence et de l'équité des priorités
retenues en matière d'aménagement du territoire.
Les schémas de services collectifs et les schémas régionaux d'aménagement du
territoire permettront de définir les stratégies communes des différents
acteurs dans les domaines où ils agissent en commun. Les contrats de plan
traduiront ces orientations dans des programmes d'action sur sept ans. Les
contrats de pays et d'agglomération permettront de surmonter les difficultés
liées à la trop petite taille de nos communes, et ce de façon librement
consentie, dans l'action et non au terme d'une démarche administrative.
Fallait-il aller plus loin et redéfinir les compétences respectives des
différentes collectivités territoriales ? C'est une question qui est posée en
permanence depuis les débuts de la décentralisation en 1982-1983. Le principe
posé, dès cette époque, était celui des « blocs de compétences ». Mais sitôt
posé, ce principe a peiné à se concrétiser et l'on a assisté à la segmentation
des compétences plutôt qu'à leur répartition en blocs. Au fond, cela n'est
peut-être pas le fruit du hasard, cela traduit simplement le fait qu'un même
sujet peut soulever des questions d'intérêt purement local, régional ou
national, suivant le cas. C'est typiquemenet le cas lorsqu'il est question
d'intervention économique.
Le rôle du Parlement n'est pas oublié. Le débat que nous ouvrons aujourd'hui
est un débat d'orientation sur la politique d'aménagement du territoire. Il
porte sur les objectifs et les méthodes, et ses conclusions seront traduites
dans les prochains contrats de plan. Le projet de loi tel qu'il vous est
présenté, amendé par l'Assemblée nationale, donne au Parlement un pouvoir de
contrôle et d'orientation de la politique d'aménagement du territoire comme il
n'en n'a encore jamais connu. Je dis cela pour m'en féliciter. Mais j'ajoute
immédiatement qu'il ne me paraît pas souhaitable d'aller au-delà, c'est-à-dire
jusqu'au vote des schémas des services collectifs par le Parlement. S'il
revient au Parlement de fixer les principes et les orientations comme vous
allez le faire et serez appelés à le faire de nouveau avant le renouvellement
des contrats de plan, il est, en revanche, de la compétence du Gouvernement de
mettre en oeuvre ces orientations.
Je propose un cadre favorable à l'élaboration et au développement des projets
que je viens d'évoquer : ce cadre, c'est celui des pays et des
agglomérations.
Les pays peuvent être définis très simplement comme des territoires de projet.
Il ne s'agit donc pas - je le redis - d'un nouvel échelon d'administration
territoriale ni d'une nouvelle collectivité locale. Ce qui définit le pays,
c'est bien son projet, traduit par une charte acceptée et signée par l'ensemble
des partenaires.
C'est donc un cadre très souple permettant d'unir des volontés sur des
territoires qui sont considérés par les acteurs eux-mêmes comme ayant une
cohérence suffisante. Ces projets, ces territoires et la concrétisation de leur
volonté seront accompagnés par l'Etat dans le cadre des contrats de plan
Etat-régions.
Le Gouvernement souhaite encourager le développement des pays sans faire
preuve du moindre dogmatisme. Je n'ai pas en tête un quadrillage de la France
en pays aux frontières établies. En revanche, je souhaite favoriser et
accompagner la création de pays, notamment en finançant l'ingénierie nécessaire
à l'élaboration de projets pour que nous passions de la phase expérimentale
ouverte par la loi Pasqua à « l'âge adulte » des pays, qui constitueront, dans
de nombreuses parties de notre territoire, l'outil permettant de traiter les
problèmes à la bonne échelle.
Les agglomérations correspondent à un niveau d'exigence supérieur. Elles ne
pourront être constituées que pour autant qu'il existe, dans un cadre
territorial donné, une agglomération centre de plus de 15 000 habitants et un
ensemble de communes avoisinantes qui, au total, regrouperont une population de
50 000 habitants au moins, dotées d'une taxe professionnelle unique dans le
cadre d'un établissement public de coopération intercommunale.
Ces agglomérations, elles aussi, auront la possibilité de passer des contrats
avec l'Etat en vue de la réalisation des objectifs qu'elles se seront fixés. Le
Gouvernement voit dans ces communautés d'agglomérations le cadre qui permettra
réellement de développer la politique de la ville dont nous avons besoin pour
faire face aux difficultés graves qui sont nées de l'urbanisation croissante
des populations. Ce que l'on baptise hâtivement « crise des banlieues » est, en
effet, une crise du développement urbain. On ne pourra la traiter qu'en
appréhendant cette réalité dans sa totalité, dans sa complexité, et en faisant
jouer effectivement les solidarités locales de projet dont je parlais tout à
l'heure.
Or, si l'intercommunalité s'est développée dans le monde rural, elle reste
embryonnaire dans les aires urbaines. Il est urgent de donner l'impulsion qui
permettra la mise en place de ces structures, indispensables à la maîtrise de
la croissance urbaine.
Les pays et les agglomérations seront, avec les régions, partenaires des
contrats de plan.
C'est une des principales novations introduites dans la négociation des
prochains contrats. Elle fait suite au rapport élaboré par M. Chérèque à la
demande du Gouvernement.
Les futurs contrats de plan Etat-régions comprendront donc deux volets : un
volet régional, qui touchera essentiellement aux infrastructures et aux
équipements d'intérêt régional, ainsi qu'aux projets dont la taille intéresse
l'ensemble de la région ; un volet territorial, qui visera à encourager le
développement et la concrétisation des projets des pays, des agglomérations et
des parcs naturels régionaux.
Cette conception des futurs contrats de plan découle très naturellement de ce
que j'ai dit tout à l'heure de la volonté du Gouvernement d'encourager le
développement local et la prise en main par les citoyens eux-mêmes des projets
qui assureront durablement l'existence et le développement des territoires
qu'ils occupent. La construction d'infrastructures est indispensable, mais elle
ne suffira pas demain, pas plus qu'elle n'a suffi hier à assurer le
développement harmonieux de tout le territoire. C'est pourquoi ce second volet,
le volet territorial des contrats de plan, est aussi important à mes yeux pour
les contrats à venir.
Pour qu'ils puissent voir le jour, encore faut-il laisser aux pays et aux
agglomérations le temps de se constituer et de travailler ; c'est pourquoi ils
disposeront de trois années pour élaborer leur projet et ils pourront signer
avec l'Etat des contrats de plan jusqu'en 2003.
Les schémas de services collectifs contribuent aussi à renouveler le cadre de
la planification territoriale à moyen terme.
Ces huit schémas de services remplaceront le schéma national d'aménagement du
territoire et les schémas sectoriels prévus par la loi du 4 février 1995.
Avec cette notion de « services collectifs », le Gouvernement veut inciter ses
administrations et l'ensemble de ses interlocuteurs à une réflexion autour des
huit grands thèmes retenus, en faisant en sorte qu'elle ne se limite pas à
l'examen des possibilités d'équipement en infrastructures de transport ou de
communication.
En défendant les schémas de services collectifs, le Gouvernement ne veut pas
dire que les infrastructures ne sont pas nécessaires ou que tous les besoins de
notre pays sont satisfaits ; ce serait là une présentation réductrice des
choses.
M. Gérard Larcher,
rapporteur de la commission spéciale.
C'est vrai !
Mme Dominique Voynet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
La
philosophie, pour reprendre le mot de la commission spéciale, des schémas de
services collectifs, c'est de commencer par favoriser l'expression des besoins
de la population par une concertation aussi large que possible. Cela fait, il
faudra hiérarchiser les besoins qui paraissent les plus prioritaires et
envisager les différents moyens de les satisfaire.
Il existe rarement une réponse unique à une situation donnée. C'est d'ailleurs
le rôle et la dignité du politique que d'effectuer des choix et de les assumer.
Encore faut-il que ces choix aient été faits après examen de toutes les
solutions possibles.
En d'autres termes, il ne s'agit pas de plaquer des solutions toutes faites,
qui ont été utilisées dans le passé pour répondre à des situations
particulières, il s'agit de dialoguer et d'innover. L'équation :
infrastructures de transport égale désenclavement, égale développement
économique est faussement rassurante. On pourrait citer de nombreux exemples de
zones à faible dynamisme démographique et économique bien que traversées par
des infrastructures de transport très complètes et très modernes ; je pense aux
plateaux de Bourgogne ou à la périphérie sud du Bassin parisien.
Inversement, on trouve des zones où population et activités sont dynamiques en
l'absence de métropole de proximité et de grandes infrastructures de transport.
La relation n'est donc pas aussi simple et beaucoup d'autres facteurs -
historiques, sociologiques, économiques - entrent en ligne de compte.
Il ne s'agit donc pas d'être pour ou contre les infrastructures ; il s'agit de
raisonner sur les investissements en fonction de leur interaction avec
l'environnement économique et humain, en prenant en compte tous les besoins à
satisfaire, tous les impacts des équipements projetés.
Le terrible bilan des accidents de la route en France en 1998 doit, par
exemple, nous conduire à nous interroger. Notre bilan dans ce domaine est
beaucoup plus mauvais que celui de nos partenaires européens d'importance
comparable, l'Allemagne, la Grande-Bretagne notamment. L'équipement autoroutier
étant au moins équivalent, voire meilleur en France, ce n'est pas dans la
transformation de l'ensemble des routes en autoroutes que se trouve la
réponse.
(Murmures sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de
l'Union centriste.)
Il faut prévoir un ensemble de mesures allant des
équipements de sécurisation du réseau, qui ne sont pas toujours synonyme de
doublement des voies, mais peuvent être des chicanes et autres ralentisseurs
sur les points noirs, à l'action sur la vitesse des véhicules et le
comportement des automobilistes. La pondération entre les moyens attribués à
ces différentes actions est une question éminemment politique.
Les huit schémas de services collectifs prévus par le texte correspondent aux
domaines priviliégiés d'action conjointe entre l'Etat et les collectivités
locales. Ils correspondent également à des domaines d'intervention qui
nécessitent une collaboration interrégionale et une prise en compte des
politiques européennes.
Ces schémas de services seront élaborés dans le cadre d'un va-et-vient entre
l'échelon central et l'échelon décentralisé, de façon à permettre l'expression
la plus large des préoccupations et des besoins de la population française.
Le projet de loi d'orientation, d'aménagement et de développement durable du
territoire fixe également le cadre de l'évolution des services publics sur le
territoire dans les années qui viennent.
La répartition des services publics sur le territoire constitue bien entendu
un élément important de la politique d'aménagement du territoire, et l'Etat a
une responsabilité particulière en ce domaine.
Chacun en conviendra aisément, le « moratoire » décidé par le gouvernement de
M. Balladur ne pouvait constituer une réponse définitive aux questions
relatives à l'évolution des services publics sur notre territoire. Il
permettait, certes, d'éviter des décisions aux conséquences susceptibles d'être
difficilement réparables, pendant une période de réflexion. Mais il fallait, un
jour ou l'autre, aller plus loin.
C'est pourquoi la loi Pasqua avait prévu un certain nombre de dispositions
pour organiser la sortie du moratoire dans les départements. Nombre de ces
dispositions sont restées lettre morte, notamment celle qui prévoyait
l'élaboration de schémas départementaux d'évolution des services publics.
Les décisions du CIADT du mois de décembre et le projet de loi que je vous
soumets fixent les règles de cette évolution future. Les administrations
devront élaborer des plans pluriannuels d'évolution de leurs services. Elles
transmettront ces plans à la DATAR, qui les examinera et en vérifiera la
cohérence.
La DATAR conduira la concertation avec les préfets et vérifiera avec eux les
conséquences des programmes qui lui sont présentés dans l'ensemble des
départements. Les préfets, quant à eux, seront responsables de la conduite de
la concertation au niveau local sur les évolutions souhaitables du service
public.
Aucun service ne pourra être supprimé sans une étude d'impact préalable. Si un
désaccord apparaît entre une administration et les collectivités territoriales,
le préfet aura la possibilité d'introduire un recours suspensif auprès du
ministre concerné, après une phase de négociation, pour trouver une solution
satisfaisante pour tous.
Dans le même temps, je vous propose de retenir un certain nombre de
dispositions permettant de constituer des maisons de services publics, qui
pourront être un cadre satisfaisant permettant d'offrir un service de qualité
sur l'ensemble du territoire. Les conditions d'organisation de ces maisons de
services publics seront déterminées par voie conventionnelle, avec les
collectivités locales intéressées.
Le Gouvernement a également choisi de transposer partiellement, sans attendre,
la directive communautaire relative au service postal. S'il l'a fait, ce n'est
pas pour priver le Parlement d'un débat sur l'avenir de La Poste : celui-ci
aura lieu à l'occasion de la transposition de l'ensemble des dispositions de
cette directive. Mais il fallait fixer aussi vite que possible dans une loi les
dispositions permettant de préserver le rôle de La Poste dans l'exercice du
service public postal. Eu égard à l'importance de ce service dans l'aménagement
du territoire, ces dispositions trouvent ici légitimement leur place.
En conclusion, le Gouvernement vous demande d'approuver avec ce texte tendant
à réviser la loi du 4 février 1995, une réorientation de la politique
d'aménagement du territoire. La politique qui vous est proposée vise à
promouvoir le développement durable de tous les territoires. Elle est
sous-tendue par une vision renouvelée de l'action en faveur de l'égalité des
chances entre les territoires, qui ne passe pas exclusivement par la
péréquation de la fiscalité locale. Elle fait de l'emploi et du développement
local des priorités.
Parce qu'il ne suffit pas de proclamer des objectifs pour les concrétiser, je
vous propose une méthode : la mobilisation de toutes les énergies autour de
projets de territoire, l'engagement de chacun pour la réalisation de ces
projets étant précisé dans des contrats.
Le projet de loi que je vous présente aujourd'hui sera, j'en suis sûre,
discuté avec passion dans cette assemblée. Il s'agit en effet d'un enjeu
essentiel pour notre société et d'une préoccupation quotidienne pour les élus
que vous êtes.
Ce projet ouvre la voie à une nouvelle méthode de planification et de
programmation de l'aménagement du territoire. C'est finalement dans une
conception plus démocratique, plus participative et plus ouverte de la société
qu'il faut chercher les innovations dont il est porteur.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission spéciale.
M. Jean François-Poncet,
président de la commission spéciale.
Monsieur le président, madame la
ministre, mes chers collègues, voilà quatre ans, le Sénat votait une loi qui
jetait, pour vingt-cinq ans, les bases d'une grande politique d'aménagement et
de développement du territoire. C'était la loi Pasqua, ou plus exactement la
loi Pasqua-Hoeffel. Ses principales dispositions - à défaut du texte tout
entier - furent adoptées à l'unanimité par notre assemblée.
Comme toute loi-cadre, elle était tributaire, pour son application, d'un
impressionnant arsenal de décrets et de circulaires. Il fallut deux années et
toute la persévérance de notre collègue Jean-Claude Gaudin pour mener la tâche
à bien. Et, comme les crédits nécessaires à une politique d'envergure ne furent
pas au rendez-vous, ce texte fondateur ne bénéficia ni du temps ni des moyens
qui lui auraient permis de marquer le territoire de son empreinte.
Vint 1997 : un gouvernement de gauche pouvait-il s'accommoder, dans un domaine
aussi important, d'un texte qu'il suffisait d'appliquer mais dont il n'avait
pas pris l'initiative ?
M. Gérard Delfau.
Il fallait le faire avant !
M. Jean François-Poncet,
président de la commission spéciale.
Impensable ! Nouvelle majorité,
nouvelle loi !
Nous voici donc, aujourd'hui, deux ans plus tard, saisis d'un nouveau texte,
texte d'orientation lui aussi - mais on pourrait presque dire : d'intention -
qui exigera, pour être appliqué, le même nombre de décrets et de circulaires,
lesquels mettront le même laps de temps à voir le jour, tant est immuable le
cheminement des textes à travers les arcanes de notre bureaucratie
interministérielle.
M. Josselin de Rohan.
Nous les remplacerons avant !
M. Jean François-Poncet,
président de la commission spéciale.
Rendons-nous à l'évidence : ce n'est
pas en votant tous les cinq ans une grande loi conçue pour vingt ans, mais
jamais appliquée, qu'on fera bouger les choses.
(Très bien ! sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
Sur le
terrain, personne n'y croit plus. L'opinion est fatiguée de voir les majorités
se succéder et s'écrier, comme à l'opéra : « Marchons, marchons », alors que,
sur la scène, personne n'avance !
MM. Louis Souvet et Hilaire Flandre.
Très bien !
M. Jean François-Poncet,
président de la commission spéciale.
Voilà pourquoi la commission
spéciale s'est refusé à faire oeuvre partisane. Elle n'a pas cherché à revenir
au texte de 1995, quels que soient pourtant ses mérites. Le texte dont nous
allons débattre ne sera utile que s'il dure. Et il ne sera durable, madame la
ministre, que si le Sénat, l'Assemblée nationale et le Gouvernement parviennent
à une rédaction commune. La commission spéciale le souhaite, dans l'intérêt de
l'aménagement du territoire. Ses amendements vont dans ce sens. Encore faut-il
que la loi fasse droit à des impératifs approuvés par tous : réduire les écarts
territoriaux, valoriser la situation centrale de la France en Europe
occidentale, faciliter la création d'emplois, accélérer la croissance.
Durable : j'ai lâché le mot ! C'est celui que vous avez entendu, madame la
ministre, inscrire au fronton de ce texte. La commission spéciale ne le récuse
pas. Bien au contraire, nous le faisons nôtre, et ce d'autant plus volontiers
que, de mémoire d'homme, aucun sénateur n'a jamais plaidé pour un développement
non durable.
M. Jacques Oudin.
Très bien !
M. Jean François-Poncet,
président de la commission spéciale.
De même avez-vous entendu faire des
« pays », lancés par la loi de 1995, un des piliers de l'aménagement durable du
territoire de demain. Ces « pays » n'ont pas soulevé la moindre objection de
principe de la part de la commission. Au demeurant, nombre d'entre nous n'ont
attendu ni la loi de 1995 ni celle d'aujourd'hui pour en créer dans leur
département.
Quant à la suppression du schéma national d'aménagement du territoire, prévu
par le texte de 1995, nous la regrettons. Le schéma avait l'immense mérite
d'associer le Parlement à l'aménagement du territoire autrement qu'à travers
des déclarations d'intention. Mais la commission spéciale, dans un esprit de
conciliation, n'en proposera pas le rétablissement.
Enfin, la commission spéciale a reconnu que la notion de « service » pouvait
heureusement compléter celle de « schéma directeur ». Elle met, en effet,
utilement l'accent sur la finalité - transports, santé, culture, éducation -
des schémas directeurs et sur la nécessité - que personne ne contestera - de
veiller avant de créer des infrastructures nouvelles à la meilleure utilisation
des équipements existants.
Mes chers collègues, je devine votre inquiétude : peut-être vous demandez-vous
si la commission spéciale s'est contentée d'approuver le texte qui lui était
soumis.
M. Gérard Miquel.
Il n'y a aucun risque !
M. Jean François-Poncet,
président de la commission spéciale.
Rassurez-vous ! En examinant les 85
amendements qu'elle a élaborés et en prenant connaissance des amendements
extérieurs qu'elle approuvera sans doute demain matin, vous constaterez que la
commission spéciale a considérablement enrichi et réorienté, quand cela était
nécessaire, le projet du Gouvernement amendé par l'Assemblée nationale.
Les trois rapporteurs de la commission spéciale, MM. Gérard Larcher, Claude
Belot et Charles Revet, vous exposeront dans un instant le contenu et la portée
de ces amendements. Je tiens à rendre hommage à leur remarquable travail, un
travail d'autant plus méritoire qu'ils n'ont disposé pour le réaliser que de
quelques jours, du fait du recours à la procédure d'urgence, malencontreusement
imposée par le Gouvernement pour un texte qui, plus que tout autre, exigeait
étude et réflexion. Je veux aussi remercier les administratrices et les
administrateurs qui les ont très efficacement assistés.
Les uns et les autres n'y seraient d'ailleurs pas arrivés si le Sénat n'avait,
depuis près de dix ans, peu à peu exploré tous les compartiments de ce vaste et
complexe sujet qu'est l'aménagement du territoire. Ce faisant, notre assemblée
a, petit à petit, constitué un important réservoir de données et de
propositions qui ont guidé les rapporteurs dans le choix de leurs
amendements.
Ces amendements, mes chers collègues, répondent principalement à deux grands
objectifs : équilibrer le texte qui nous est proposé et l'enrichir de
propositions concrètes.
Il s'agit d'abord d'établir un équilibre entre espace rural et espace
urbain.
Le Sénat, je tiens à le souligner, contrairement à certaines caricatures
malveillantes, n'est nullement l'apôtre d'un ruralisme dépassé.
M. Jean-Pierre Raffarin.
Très bien !
M. Jean François-Poncet,
président de la commission spéciale.
Mais le fait est que témoignages et
enquêtes l'ont convaincu que la « métropolisation », dont certains font la
tarte à la crème de l'aménagement du territoire, est un concept en voie d'être
dépassé dans les pays les plus avancés.
Tant aux Etats-Unis que chez nos voisins européens, l'espace rural fait de
plus en plus figure non pas de chef-d'oeuvre en péril, à sauver par affection
ou dévouement, mais de lieux d'une nouvelle modernité. Il s'agit non plus
seulement de protéger les espaces naturels, mais de développer les
potentialités nouvelles que leur ouvrent les technologies de communication et
les aspirations de la société post-industrielle.
L'équilibre est tout aussi nécessaire entre l'environnement et les
infrastructures, à commencer par les infrastructures de communication qui ont,
ici ou là, mauvaise réputation.
La commission s'est demandée si la France avait encore besoin de construire
des autoroutes. La réponse du directeur des routes, entendu par la commission,
a été sans ambiguïté : le trafic routier, qui a augmenté de 230 % au cours des
vingt-cinq dernières années, connaîtra une augmentation du même ordre, même si
elle est marginalement plus faible, au cours des vingt-cinq prochaines
années.
Quant aux efforts qu'il est impératif de consentir en faveur du transport
ferroviaire et de la navigation fluviale, qu'il faut, l'un et l'autre,
développer peut-être de façon prioritaire, ils permettront au mieux, en France
comme dans le reste de l'Europe, de conserver à ces modes la part de marché qui
est la leur aujourd'hui.
Un nouveau schéma autoroutier est-il finançable ? La réponse est, là aussi,
sans grande ambiguïté. Notre collègue Jacques Oudin vous le dira : le système
autoroutier peut générer, en son propre sein, les moyens nécessaires à son
développement, pour peu que les contraintes qui lui sont actuellement imposées
soient revues et mises en conformité avec les règles de concurrence européennes
et que des autoroutes a spécifications simplifiées - je me permets d'y insister
- soient mises en chantier pour assurer le désenclavement des espaces à faible
circulation.
Enfin, un équilibre doit être recherché entre le Gouvernement et le Parlement.
Il serait inacceptable que la représentation nationale ne soit appelée à se
prononcer que sur de grandes orientations, alors que les collectivités
territoriales seraient consultées sur l'application concrète des schémas
directeurs. Gérard Larcher proposera au Sénat de combler les lacunes du projet
de loi sur ce point.
Ce projet de loi ne répondra aux attentes qu'il suscite que s'il est très
largement complété.
La commission spéciale vous proposera une batterie de mesures nouvelles en
faveur de la création et de la transmission d'entreprises, dont les zones
fragiles dépendent, plus que tout autre, pour leur développement. A cet égard,
nous sommes reconnaissants à notre collègue Jean-Pierre Raffarin du travail
qu'il a réalisé avec d'autres collègues sénateurs.
La commission vous proposera également un dispositif relatif aux zones
périurbaines, oubliées de l'aménagement du territoire, bien qu'elles
accueillent 15 % de nos concitoyens.
Elle vous soumettra aussi une rédaction clarifiant les rôles respectifs du
département et de la région dans le domaine de l'économie, rédaction sur
laquelle se sont entendus, ô miracle ! nos collègues MM. Puech, Raffarin et
Delevoye, qui font tous les trois partie de la commission spéciale. Il s'agit,
me semble-t-il, d'un véritable pas en avant.
En revanche, la commission ne vous présentera aucun amendement sur le sujet,
pourtant central, de la péréquation entre collectivités riches et pauvres. Ne
vous en étonnez pas. Les dispositions passablement révolutionnaires contenues
dans le texte de 1995 ont été intégralement maintenues dans le projet de loi
qui nous est soumis. Cela me conduit, madame la ministre, à vous interroger sur
les intentions du Gouvernement : entend-il laisser ces dispositions au
frigidaire où elles gisent depuis 1995...
M. Gérard Delfau.
Comme le précédent gouvernement !
M. Jean François-Poncet,
président de la commission spéciale.
... ou bien les mettra-t-il en
oeuvre ? Ces mesures ont-elles échappé à son couperet parce qu'elles sont en
harmonie avec ses convictions ou parce que la péréquation est un sujet dans
lequel il a choisi de ne pas s'aventurer ? Je pose la question, je n'y réponds
pas.
J'ai bien entendu, madame la ministre, ce que vous avez dit tout à l'heure.
Certes, la péréquation ne représente pas la solution à tous les problèmes de
l'aménagement du territoire, pas plus que les infrastructures. Le problème est
de savoir s'il peut y avoir aménagement du territoire sans infrastructures et
sans péréquation. Pour ma part, j'affirme que ce n'est pas possible.
(Bravo ! et applaudissements sur les travées du RDSE et de l'Union centriste,
ainsi que sur certaines travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
Mes chers collègues, les meilleures lois ne valent que par les moyens
dégagés pour les mettre en oeuvre. Dans les années soixante, l'effort consenti,
sur instruction du général de Gaulle, donna à l'aménagement du territoire une
impulsion qu'il n'a, depuis lors, jamais retrouvée.
L'aménagement du territoire constituera-t-il, demain, pour le Gouvernement
actuel et pour ceux qui lui succéderont, une réelle priorité ou restera-t-il,
comme ce fut souvent le cas dans le passé, un thème de discours dominicaux ?
L'avenir le dira ! Ce qui est certain, c'est que le destin de la France en
Europe dépendra pour beaucoup de la prise de conscience par nos concitoyens
eux-mêmes de l'atout que représente pour notre pays la possession du territoire
le plus vaste, le plus beau et le mieux situé mais, hélas ! le plus négligé, de
l'Union européenne.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Gérard Larcher, rapporteur.
M. Gérard Larcher,
rapporteur de la commission spéciale.
Monsieur le président, madame le
ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous sommes appelés à
discuter aujourd'hui se situe dans le fil de la loi Pasqua-Hoeffel que le Sénat
a adoptée voilà près de cinq ans. Ce texte doit donc s'inscrire dans la
continuité. La « durabilité » de nos lois est à ce prix. Ne doit-elle pas, elle
aussi, constituer un objectif permanent pour le législateur ?
Le texte qui nous est soumis aujourd'hui modifie partiellement la loi
d'orientation, reconnaissant que nombre de ses dispositions demeurent toujours
d'actualité.
Permettez-moi tout d'abord de rendre hommage à ceux qui ont contribué à
l'élaboration de cet texte fondateur, tout particulièrement à Charles Pasqua et
à Daniel Hoeffel.
(Très bien ! sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
Votre projet de loi, madame le ministre, vise à réviser sur certains
points, à compléter sur d'autres, le texte de 1995. Cette réforme aurait pu
répondre aux attentes liées à l'application de la loi Pasqua-Hoeffel. Pourtant,
si ce texte satisfait certaines de ces attentes, il ne laisse pas de susciter
un certain nombre de regrets.
Tout d'abord, je regrette, comme le président de la commission spéciale, la
procédure d'urgence retenue par le Gouvernement pour un projet de loi
enregistré au mois de juillet 1998 et inscrit six mois plus tard à l'ordre du
jour du Parlement, qui n'a disposé que d'un délai de deux mois pour en débattre
alors que ses effets portent sur vingt ans.
Je regrette ensuite de voir le dialogue des deux assemblées « bridé » par le
Gouvernement, en raison peut-être de cette tendance générale à la
précipitation, que relève le dernier rapport du Conseil d'Etat.
Je sais que c'est une tentation assez généralement partagée par les diverses
sensibilités de notre pays, mais l'aménagement de notre territoire et le tracé
de ses perspectives d'évolution à vingt ans méritaient, à mon sens, qu'on donne
un peu de temps au temps.
Il est également regrettable que le Gouvernement ait jugé bon de transformer,
lors des comités interministériels pour l'aménagement et le développement du
territoire, les CIADT, de 1997 et 1998, les axes de la politique d'aménagement
du territoire, avant même d'avoir modifié la loi qui en fixe les principes. Ce
faisant, le Gouvernement n'aurait-il pas préjugé la décision du législateur
?
Je ne m'étendrai pas ici sur le contenu même du projet de loi qui nous est
soumis, ni sur le sens des amendements que vous soumettra la commission
spéciale et que son président vient de développer. Le rapport écrit qu'elle a
publié vous a, je l'espère, éclairé sur ces points.
A ce propos, permettez-moi de remercier, pour leur apport à ce travail, mes
collègues de la commission spéciale, tout particulièrement Jean
François-Poncet, président, Claude Belot, rapporteur, avec lequel nous avons
déjà beaucoup travaillé en 1994, et Charles Revet, rapporteur pour la première
fois dans cette assemblée et dont l'expérience nous a été fort utile.
Je m'attacherai, pour l'essentiel, à exposer les principes qui ont conduit les
réflexions de la commission spéciale et inspiré ses positions. Je mettrai tout
particulièrement en exergue l'importance des enjeux politiques que recèle
l'aménagement du territoire.
Pourquoi, en effet, les textes qui interviennent en ce domaine suscitent-ils
un tel intérêt et - vous l'avez dit, madame le ministre - une telle passion,
parfois, au Sénat ?
Selon moi, deux raisons en sont la cause : tout d'abord, ces textes se situent
directement au coeur du grand débat républicain sur l'égalité, débat qui est
cher aux Français ; ensuite, l'aménagement et le développement du territoire
suscitent beaucoup d'espoirs chez les citoyens et les élus locaux, espoirs
parfois déçus, le président de la commission le rappelait tout à l'heure.
Ces sujets d'importance méritent, en conséquence, un débat clair et serein.
C'est ce débat que nous souhaitons aujourd'hui pour le Sénat.
L'aménagement du territoire est au coeur du débat républicain sur l'égalité.
Pour fixer le cadre de notre discussion, il faut rappeler avec force cette
vérité parfois occultée.
Pourquoi l'aménagement du territoire suscite-t-il tant d'attentes ?
L'unité territoriale de la France constitue l'un des fondements de la
République. Rassemblé, sous la féodalité, par des allégeances personnelles au
suzerain, divisé, sous la monarchie absolue, par des droits divers et des
coutumes disparates, le territoire n'est réellement unifié que par les premiers
régimes constitutionnels et républicains.
Il est bel et bien le socle de l'Etat, l'une des composantes essentielles de
la République. Celle-ci entretient donc une relation particulièrement étroite
avec son territoire.
La Constitution du 3 septembre 1791 disposait d'ailleurs : « Le royaume est
indivisible, son territoire est distribué en départements. » Le terme «
distribué » a une importance fondamentale car il s'oppose au mot « divisé »,
qui aurait supposé une forme de fédéralisme. La France se conçoit elle-même non
pas comme un agrégat de « peuples » ou de territoires disparates, mais comme
une nation dont l'Hexagone et les départements et territoires d'outre-mer sont
le foyer.
Le général de Gaulle, qui s'est affirmé sur la grande scène de l'Histoire en
appelant à la reconquête physique du territoire national, a ensuite
profondément contribué à enraciner cette longue tradition dans les institutions
mêmes de la Ve République.
La contrepartie de cette indivisibilité de la République est la nécessaire
solidarité territoriale. On peut débattre de l'étendue et de la forme de cette
solidarité. Mais son principe ne peut être contesté sans toucher aux fondements
mêmes de l'Etat républicain, sans attenter aux valeurs qui fondent l'engagement
politique de la plupart des membres de notre Haute Assemblée.
« La France se nomme diversité » et toute la difficulté d'une politique
efficace d'aménagement du territoire est de conjuguer harmonieusement cette
pluralité, source de richesses et de dynamisme, avec la légitime aspiration des
citoyens et des territoires à une plus grande égalité des chances. Madame le
ministre, vous citiez tout à l'heure les différences de potentiel fiscal et
certains écarts qui s'accroissent : 1 à 20 entre les communes, 1 à 6 entre les
départements et 1 à 2,5 entre les régions.
La diversité des attentes des territoires est patente. D'ailleurs, pourrait-il
en être autrement dans un pays dont la densité de population varie de 5 à 500,
dont l'altitude va de 0 mètre à 4 807 mètres, dont le climat va du climat
atlantique au climat continental ?
Oui, cette diversité s'exprime aussi bien dans l'opinion publique qu'au
Parlement.
Dans l'opinion publique, les attentes des citoyens s'expriment vis-à-vis de
l'Etat, garant de la solidarité entre les territoires. Pour s'en convaincre, il
n'est que de voir les réactions au quotidien de nos concitoyens lorsque l'Etat
s'avère incapable de garantir la sûreté des biens et des personnes pour cause
de violences urbaines, voire la sécurité sur les routes nationales en raison de
chutes de rochers.
Au Parlement, les débats sur l'aménagement du territoire doivent traduire les
attentes de la population. Les travaux du Sénat ont d'ailleurs été l'une des
caisses de résonance de ces préoccupations. Je citerai quelques dates clés :
1991, la loi d'orientation pour la ville ; 1992, le rapport de la mission sur
l'espace rural, présidée déjà par M. Jean François-Poncet ; 1994, la mission
sur l'aménagement du territoire « Refaire la France » ; enfin, 1996, ici même,
le pacte de relance pour la ville. Tout cela, c'est aussi notre banque de
données, à partir de laquelle nous avons travaillé au cours de ce mois.
Dans ce débat, le Sénat, auquel l'article 24 de la Constitution a confié le
rôle de représenter les collectivités territoriales - monsieur le président du
Sénat, vous y faites ô combien ! référence - a pris et doit prendre une part
essentielle.
Je souhaite, ici, réaffirmer solennellement que c'est au Parlement que doit se
dérouler le débat sur l'aménagement du territoire. Votre commission spéciale,
mes chers collègues, vous proposera de réaffirmer son rôle et d'en tirer les
conséquences dans d'importants amendements.
Comment ne pas être choqué en voyant, dans un journal paraissant cet
après-midi même, la carte sur les zones éligibles à la prime d'aménagement du
territoire qu'on nous a refusée la semaine dernière et que l'on a montrée en
secret au Conseil national d'aménagement et de développement du territoire la
semaine dernière ?
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Philippe Richert.
Eh oui !
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
N'est-ce pas mépriser la commission spéciale, n'est-ce pas
mépriser le Parlement que d'avoir à ouvrir un journal paraissant l'après-midi
pour recevoir enfin ce que nous demandions, ce qui me paraît, monsieur le
président du Sénat, un droit essentiel du Parlement : être informé par
l'exécutif quand celui-ci prépare un texte aussi important ?
(Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certains travées du
RDSE.)
Oui, le débat sur l'aménagement du territoire est, mes chers collègues,
une expression du débat français autour de l'égalité.
L'égalité est un objectif à atteindre bien plus qu'un acquis. C'est notre
débat national permanent, qui parfois nous oppose.
Cette aspiration à l'égalité est exprimée par nos concitoyens.
Elle se reflète dans l'aspiration des Français à bénéficier de services
publics dans des conditions égales sur tout le territoire. Les services publics
constituent, en effet, un des volets de la réponse de l'Etat républicain aux
aspirations égalitaires de nos concitoyens. Les services publics sont au coeur
de l'économie et des valeurs humanistes d'un dispositif qui assure une
cohérence territoriale reflétant l'unité du territoire et, au-delà, une
solidarité sociale sur laquelle se fonde la permanence de l'idée nationale.
Cette ambition se traduit tout particulièrement au niveau des moyens de
communication. Je ferai un peu d'histoire. La « postalisation » du territoire,
dans la première moitié du xixe siècle, en unifiant le tarif du timbre poste
avait pour objet de faciliter les échanges mais aussi de supprimer les
discriminations entre Français. Les chemins de fer qui ont facilité les
déplacements, les autoroutes qui ont amélioré le maillage en réseaux de
transports, la péréquation géographique des tarifs de télécommunications
participent de la même ambition et de la même nécessité.
Les décisions de maintien des services publics en zone rurale ou les
initiatives en faveur des services publics dans les quartiers en difficulté
traduisent la même quête de l'égalité. L'accès de tous aux services collectifs
doit demeurer une priorité, même si les conditions de cet accès doivent être
définies en fonction des réalités technologiques nouvelles. Telle est la
conviction de la commission spéciale.
Le Sénat a toujours eu une vision dynamique de la recherche de l'égalité.
C'est au Sénat, madame le ministre, qu'a été créé le concept, validé par le
Conseil constitutionnel, d'une « discrimination territoriale positive », en
refusant la fatalité de l'inégalité et en insistant, en la fondant sur la
péréquation, notamment financière. Il s'est aussi toujours refusé à opposer
ville et campagne, commune et agglomération, région et département, Europe et
nation. Il s'est toujours refusé à accepter la métropolisation qui serait
inéluctable et la désertification qui serait fatalité.
Il a, au contraire, constamment cherché à organiser leur complémentarité et
leur synergie.
Toutefois, cette aspiration à l'égalité n'est pas uniquement citoyenne : elle
s'exprime également parmi les collectivités territoriales.
Les rédacteurs des lois de décentralisation ont voulu que les collectivités
territoriales soient réellement indépendantes et que l'une d'entre elle ne
puisse exercer de tutelle sur une autre. Nous sommes d'ailleurs attachés à ce
principe qui trouve une nouvelle expression dans la notion de « collectivité
chef de file ».
Au Sénat plus qu'ailleurs, les revendications des collectivités pour davantage
d'égalité se sont fait sentir.
L'objectif de péréquation et de réduction des écarts de ressources manifeste
cette nécessité d'un équilibre entre les communes, les départements et les
régions, et c'est un Francilien qui vous parle.
Cette aspiration à l'égalité s'affirme enfin au niveau des territoires
eux-mêmes.
La diversité de la France justifie que l'on cherche à organiser un équilibre
dynamique entre les espaces eux-mêmes.
Cette recherche doit prioritairement viser à unir les territoires urbains et
les territoires ruraux, les territoires de montagne et les territoires
littoraux, la France métropolitaine et la France d'outre-mer, mais aussi les
régions en reconversion industrielles et les régions plus prospères.
La volonté de ces territoires de trouver de nouvelles formes d'organisation,
qui correspondent d'abord à des territoires de projet, se traduit aussi
aujourd'hui par la constitution des « agglomérations » et des « pays »,
lesquels permettent de créer de nouvelles formes de solidarité et de
complémentarité. Elle s'exprime par le tryptique « schémas, contrat, projet »,
cher au président Jean-Pierre Raffarin.
Vous avez souhaité, madame le ministre, prendre la mesure des attentes de la
population. Mais, pardonnez-moi de le dire, qui mieux que le Parlement est
fondé à exprimer ces besoins, sur lesquels je souhaite insister à présent ?
M. Jacques Oudin.
Très bien !
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
La protection et le développement du territoire doivent
répondre aux attentes des citoyens, relayées par leurs élus, car la protection
et le développement du territoire peuvent aller de pair.
Oui, le territoire est le bien commun de la nation.
Le territoire est « le patrimoine commun de la nation » dont les collectivités
publiques sont, je le rappelle, « les gestionnaires et les garantes ». Cette
formule est déjà, en elle-même, une invitation à la « durabilité », puisqu'elle
mentionne la nation qui, élément intemporel, réunit les citoyens passés,
présents et futurs dans une communauté de destin.
C'est pourquoi la commission spéciale proposera d'inscrire dans la loi une
définition de la durabilité qui met en valeur l'équilibre dynamique entre la
préservation des ressources que nous avons reçues et que nous devrons
transmettre et la satisfaction des besoins actuels des citoyens.
De même, la commission spéciale a voulu compléter la notion de « schéma de
services » - M. le président Jean François-Poncet a évoqué ce point - par celle
« d'équipements » dont les besoins se font toujours sentir, notamment dans le
domaine des infrastructures, pour permettre à la fois le désenclavement de
territoires en difficulté et notre nécessaire cohésion avec l'Union européenne,
élément également essentiel de notre débat.
Madame le ministre, si l'on connaît des territoires - vous en avez cité, mais
il en est d'autres - traversés par des infrastructures qui ont peu ou n'ont pas
de développement économique, on n'en connaît pas vraiment qui ont une réelle
vitalité et qui restent enclavés !
La protection du territoire est, finalement, indissociable de sa mise en
valeur et de son développement. D'aucuns seraient-ils tentés d'opposer la
protection du territoire à sa mise en valeur et au développement ? Je suis
heureux de vous avoir entendue nous dire tout à l'heure qu'aucun territoire
n'était condamné à mort.
M. Paul Masson.
Bonne nouvelle !
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Céder à la tentation serait commettre une erreur de méthode :
la protection et le développement vont de pair car, sans richesse, le
territoire périclite et, sans territoire, la richesse n'existe pas. Le
développement rural, comme la protection de l'environnement ont, d'ailleurs,
trop souvent pâti de la dissociation de ces deux exigences.
C'est pourquoi la commission spéciale a eu à coeur d'associer le développement
économique et la protection de l'environnement afin de favoriser l'activité
humaine dans les territoires ruraux et les espaces naturels.
Elle considère les territoires ruraux et les espaces naturels comme les deux
faces de la même médaille. L'un et l'autre sont à la fois distincts et
complémentaires.
Distincts, car les territoires ruraux sont des lieux de production et ont
vocation à un développement. Ils sont la source de richesse et d'activités. Une
des raisons d'être de la politique d'aménagement du territoire est, à cet
égard, précisément, d'éviter que la désertification de certaines campagnes ne
les conduise à redevenir des espaces dits naturels, non par ambition, mais par
abandon !
Complémentaires, car les espaces naturels sont l'un des atouts de l'espace
rural.
La commission spéciale estime, en effet, que la protection de l'environnement
peut être un facteur de développement même pour les territoires ruraux. Il est
d'ailleurs révélateur que, selon une étude de la Caisse des dépôts et
consignations, les parcs naturels régionaux aient été, dans les région rurales
où ils existent, à la source d'un certain nombre de créations d'emplois.
Oui, toutes les parties du territoire sont également dignes d'être protégées,
embellies mais aussi requalifées lorsque la négligence des hommes ou les
nécessités économiques d'une époque - je pense aux charbonnages - les ont
endommagées. Les zones urbaines, périurbaines ou rurales méritent une même
attention. Gardons-nous de ne penser qu'aux zones « naturelles » et
reconstruisons l'équilibre des zones « dénaturées » par les hommes
eux-mêmes.
De ce point de vue, il y avait un oubli dans le projet de loi initial que le
Sénat a souhaité réparer en créant un dispositif spécifique pour protéger les
espaces soumis à une forte pression foncière, notamment à proximité des villes,
et souvent abandonnés au laid et au précaire : combien d'entrées de villes -
notre collègue Ambroise Dupont nous l'a montré - ont-elles ainsi été sacrifiées
?
Enfin, je dirai un mot sur les attentes de nos citoyens, qui me paraissent à
la fois nombreuses et parfois contradictoires.
La politique d'aménagement du territoire repose avant tout sur une certaine
vision de l'homme, cher Charles Revet, comme fin ultime de toutes les
politiques publiques. C'est d'ailleurs l'objet de notre premier amendement que
de le situer au coeur du territoire.
A côté d'aspirations générales et légitimes à la protection ou au respect de
l'environnement, les Français manifestent le désir de trouver, où qu'ils soient
sur le territoire, un emploi, un logement, des réseaux de communication
routière, ferrée, téléphonique, un approvisionnement en eau et en énergie. En
bref, la possibilité de se déplacer comme ils le souhaitent, d'exercer leur
liberté de mouvement et de vivre à leur guise fait partie de la conception
qu'ils ont de leur liberté individuelle.
Nos concitoyens sont-ils assez sensibles aux sacrifices que la satisfaction de
ces besoins implique ? Le rôle de leurs représentants est de leur faire
comprendre la nécessité de réaliser des arbitrages, dans le cadre du principe
de « réalité ». Il revient au Parlement, dans son dialogue avec le
Gouvernement, d'opérer ces arbitrages. En effet, la « durabilité » n'est pas la
consécration de l'immobilisme ou l'institutionnalisation d'une certaine forme
de malthusianisme.
Dans une société aujourd'hui majoritairement urbaine, il faut montrer aux
Français que l'espace rural est non pas seulement un « paysage » en un lieu que
les urbains s'approprieraient pour se « recréer », mais aussi un lieu de vie et
de production. La forêt elle-même a été modelée et souvent sauvée par l'homme
alors que, « pour trop d'observateurs rétrospectifs, elle semble un don
spontané de la nature... »
M. Jean-Louis Carrère.
Songeons aux Landes !
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
« ... ce qui n'est vrai qu'à moitié. La relative fixité des
lisières forestières de Louis XIV à nos jours risque d'être trompeuse ; rien
n'est immobile dans la longue durée ».
Je terminerai cette intervention en évoquant les élus locaux, qui, à mes yeux,
sont les médiateurs naturels de cette politique d'aménagement du territoire.
Dans un monde dont toutes les parties sont en concurrence, le territoire ne
saurait vivre si les hommes et les femmes qui y sont installés ne cherchent pas
à le développer. Dans ce combat permanent, les entreprises, l'Etat, ont un rôle
majeur à jouer.
Cependant, tout autant décisive pour l'avenir d'un territoire, d'un village ou
d'une ville m'apparaît l'action de ce demi-million de cadres-citoyens que sont
les élus locaux. S'ils ne se lèvent pas, les entreprises et les administrations
risquent fort de rester indifférentes aux réalités concrètes observées sur le
terrain. Les élus locaux sont les véritables entrepreneurs du territoire. C'est
pourquoi les périmètres géographiques dans lesquels les élus interviennent
doivent être adaptés aux exigences d'aujourd'hui et de demain. Faute de cela,
ces périmètres sans substance deviendraient une source de faiblesse. Je tiens,
sur ce sujet, à souligner une fois de plus l'apport de nos collègues Charles
Revet et Claude Belot, qui se sont montrés très attentifs à ces principes de
réalité et à cette question centrale, au cours de nos travaux.
Dans un monde où tout bouge, la compétition entre les Etats se jouera sur ce
qui bouge le moins : le territoire et les systèmes de solidarité collective
dont dépend la qualité du tissu social. Là sera aussi la force des nations du
xxie siècle.
C'est pour cette raison, mes chers collègues, que la politique d'aménagement
du territoire constitue - il faut toujours garder cette vérité présente à
l'esprit - l'un des facteurs déterminants de la compétitivité économique du
pays et le gage de son rayonnement. Le territoire est l'un des « avantages
comparatifs » de la France en Europe.
Alors que se constitue, peu à peu, un marché unique européen, cette politique
d'aménagement et de développement durable du territoire doit permettre de mieux
insérer notre économie dans les grands courants d'échanges transcontinentaux.
Elle doit faciliter les liaisons aussi bien avec le pôle méditerranéen, qui est
notre chance - nous oublions trop souvent notre lien avec le Sud - qu'avec
l'Europe lotharingienne de Francfort, Bâle et Milan ou qu'avec Saragosse et
Turin.
Le Gouvernement doit placer l'aménagement du territoire au coeur des
politiques publiques et poursuivre l'effort de désenclavement et d'équipement
du territoire français ainsi que celui qui est engagé en faveur des villes. Il
doit également veiller à préserver, dans ce domaine, le rôle du Parlement,
enceinte où doivent se décider, en concertation avec le Gouvernement, les
grands choix qui engageront la France pour les vingt ans à venir.
Que l'on prenne surtout garde à ne pas négliger d'associer à cette politique
tous les élus qui sont également les représentants de la démocratie. Il nous
revient de représenter de façon équitable chacune des sensibilités qu'ils
expriment. Tel est le fondement même de notre légitimité.
Qui pourrait croire en la France et à sa place en Europe sans avoir foi dans
sa diversité ? Qui pourrait croire au regain du territoire sans s'appuyer sur
le Sénat, qui en est l'expression naturelle ?
M. le président.
Veuillez conclure, monsieur le rapporteur.
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
J'en terminerai, monsieur le président, en empruntant à
Fernand Braudel cette citation : « La France aura vécu sans fin, elle vit
encore entre le pluriel et le singulier : son pluriel, sa diversité vivace
comme le chiendent ; son singulier, sa tendance à l'unité, à la fois
spontanéité et volonté réfléchie. » Puissent la spontanéité et notre volonté
réfléchie contribuer à l'aménagement du territoire !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Belot, rapporteur.
M. Claude Belot,
rapporteur de la commission spéciale.
Quel bonheur de rajeunir de
quelques années
(sourires),
de se rappeler l'adoption à l'unanimité du texte ayant donné
naissance à la loi du 4 février 1995, après des jours et des nuits de
discussion, et de se retrouver, ardents, pleins d'espoir, madame le ministre,
en la cause que vous êtes aujourd'hui chargée de défendre ! Comme vous l'avez
compris en entendant les propos de Jean François-Poncet et de Gérard Larcher,
le Sénat n'entend en effet pas combattre vos intentions.
Vous avez sans doute bien fait de mettre au goût du jour un certain nombre de
concepts qui, lors des discussions ayant abouti au vote de la loi de 1995,
n'étaient pas encore adaptés. Nous avions alors fait émerger les pays, nous
raisonnions encore en termes d'infrastructures et non de schémas de services
collectifs, même si cette notion est sans doute un plus.
Dans cette réflexion et dans ce combat pour la France, j'avais la
responsabilité des affaires financières, dont je me permettrai de rappeler
l'enjeu.
Madame le ministre, vous nous avez dit tout à l'heure - c'est du moins ce que
j'ai cru comprendre - que la cause que vous défendiez était importante, mais
non fondamentale. Soyez assurée qu'elle est vraiment fondamentale.
En termes financiers, il nous faut avoir conscience du fait que notre pays est
l'un des rares à connaître une juxtaposition du vide et du trop-plein.
La France du vide coûte cher dans un pays fort heureusement attaché à la
notion du service public, à l'égalité des prix ; le Gouvernement et l'Etat ont
le devoir de faire fonctionner cette France du vide, même si les voitures
circulant sur les routes et les plis à distribuer sont peu nombreux. Certes,
les élus locaux se lamentent parfois sur la fermeture de telle ou telle école.
Mais, dans l'ensemble, cette France du vide fonctionne.
La France du trop-plein, celle des banlieues, coûte aussi très cher, car l'on
n'arrive pas à régler tous les problèmes sociaux que vous avez fort justement
évoqués, madame le ministre.
Le déséquilibre du territoire - j'en ai la conviction absolue et nous devons
tous en avoir conscience - explique à lui seul plusieurs points de prélèvements
obligatoires ; cela doit être évidemment corrigé. Un pays moderne a donc besoin
de mécanismes de correction. Rééquilibrer le territoire signifie non pas
uniquement mettre davantage de vie en Lozère et un peu moins dans Paris
intra-muros, mais aussi régler le problème des banlieues, qui, parisien à
l'origine, touche maintenant toutes les métropoles dès lors qu'elles atteignent
une certaine dimension.
Voilà l'enjeu ! Il n'est pas mince, d'autant plus que prospèrent sur ce
terreau certains ferments qui pourraient mettre en péril la démocratie. Il ne
faut donc pas plaisanter avec ce sujet. Vous défendez, madame le ministre, une
grande cause à laquelle il vous faut croire !
Pour ce qui est des affaires strictement financières, je rappellerai
simplement les propositions formulées par la commission voilà environ cinq
ans.
Elle avait affirmé, sur l'initiative de M. François-Poncet, un principe
fondateur, qui n'est pas dans les usages français, mais auquel elle avait
essayé de trouver une première application pour les régions : la péréquation.
Compte tenu du faible nombre des régions et du fait que la correction n'était
pas très importante, comme vous l'avez très justement rappelé, c'était ce qu'il
y avait de plus simple à faire. D'ailleurs, depuis, le dispositif ainsi
expérimenté fonctionne bien.
Le principe de la péréquation était le suivant : au terme de vingt ans - voyez
à quel point nous avions été prudents - il ne devait pas y avoir dans les
ressources des collectivités publiques de rapport supérieur à plus ou moins 20
%, ce qui signifie que tout le monde, au terme de ce délai, devait s'inscrire
dans le même ordre de grandeur, au même niveau.
Ce rapport est de 1 à 20 pour les communes, hélas ! ; il est de 2,5 pour les
régions ; pour les départements, c'est à peu près la même chose.
Je me permettrai de dire que vous avez semblé sous-estimer le problème des
régions, madame le ministre. En effet, celles qui sont à 2,5 au-dessus des
autres sont aussi celles qui ne paient pas leurs universités, leur TGV, leurs
routes. C'est encore un facteur aggravant, car les autres, quant à elles,
devront bien y passer ! Mais peu importe.
Depuis l'acte fondateur de la loi de 1995, personne n'a fait quoi que ce soit
en termes de péréquation. Ce matin, Jean-Pierre Chevènement, auditionné par la
commission des finances du Sénat, a expliqué qu'il y avait la dotation de
solidarité urbaine, la DSU, et la dotation de solidarité rurale, la DSR. C'est
un geste de bonne volonté, mais - il faut bien avoir le courage de le
reconnaître - ce n'est pas grand-chose !
Par conséquent, la péréquation est une intention. Vous nous répéterez sans
doute au cours du débat - vous l'avez déjà dit dans votre discours liminaire -
que vous êtes favorable à ce principe. Mais ce qu'il faut, madame le ministre,
c'est passer aux actes et mettre en place la péréquation.
Certes, nous avons conscience de l'ampleur de la tâche et de la difficulté de
votre combat à l'intérieur de certaines citadelles.
(Mme le ministre sourit.)
Tout cela est vrai. Nous avions rencontré les
responsables dans ces domaines lors de la préparation de la loi de 1995, et
avions constaté la difficulté à les amener à changer de logiciel de
fonctionnement.
Mais nous avons également observé les effets du mécanisme péréquateur mis en
place en Allemagne après l'unification de cette dernière : les régions
allemandes riches, notamment la Bavière et la Rhénanie, ont financé un fonds de
péréquation, ce qui a permis aux
Länder
de l'Est de bénéficier d'un
effort d'équipement considérable ; et, même si le processus n'est pas terminé,
cette mécanique en route aboutira, dans dix ans, à la disparition, en
Allemagne, de différences de revenus entre les principaux territoires, alors
que, à l'origine, les écarts de richesses étaient colossaux.
Madame le ministre, si la France, sous votre autorité, adoptait la même
attitude, nous ferions alors oeuvre utile, en changeant beaucoup de choses, non
seulement dans les territoires, sans doute, mais aussi dans la société
française, ce qui est notre objectif à tous.
Enfin, nous ne vous proposerons pas la création de nouveaux fonds, mais nous
vous demanderons seulement de faire fonctionner ceux qui existent.
Il faut souligner d'emblée que l'ensemble de ces fonds représentent
approximativement 1/2000e du PNB français. C'est certes mieux que rien, mais on
admettra que, pour un effort de développement et de rééquilibrage du territoire
- et de la société, vous avez eu raison d'introduire cette dimension - 1/2000e,
ce n'est pas grand-chose, et que d'autres choix seraient sans doute
possibles.
Le principal d'entre eux, qui représente l'essentiel - pratiquement 80 % des
crédits d'aménagement du territoire, soit approximativement 4 milliards de
francs - c'est le fonds d'intervention pour les transports terrestres et les
voies navigables. Toutefois, je vous mets en garde, madame le ministre, contre
une ambiguïté. Selon le directeur des routes, en effet, Bruxelles exige que
chaque autoroute ait sa propre rentabilité. Dans le cas inverse, il doit y
avoir ou subvention ou interdiction. Si vous suivez cette logique, madame le
ministre, vous ne pourrez donc plus prendre l'argent dans la caisse des
sociétés autoroutières sur les tronçons rentables pour le transposer sur le TGV
ou sur les voies navigables, alors que le TGV Est, notamment, est déjà assis,
précisément, sur une participation de ce fonds.
Donc, optons pour un discours clair : ou l'Europe dit blanc et il faut faire
blanc dans la loi, ou l'Europe dit noir et il faut faire noir, mais il ne faut
surtout pas utiliser le discours à sa guise, uniquement de la façon dont cela
vous arrange.
Ce que je vous dis là est très important car, si votre interprétation de la
pensée européenne est la bonne, le risque que je décris est plus que
sérieux.
Pour le reste, le Fonds national d'aménagement et de développement du
territoire, le FNADT, fonctionne avec une dotation d'un peu plus de 1 milliard
de francs en investissements. S'il avait davantage, ce serait parfait, mais il
fonctionne, il fait partie de ces dispositifs qui ont connu un début
d'application, même si le fonds des transports terrestres et des voies
navigables - j'y reviens - est utilisé pour des liaisons qui ne nous
paraissaient pas prioritaires et s'il s'est pratiquement dilué dans le budget
du ministère de l'équipement et des transports.
Pour ce qui est des autres fonds, force est de constater qu'ils ne
fonctionnent pas.
Le fonds de gestion de l'espace rural, le FGER, auquel sont consacrés des
chapitres très importants du projet de loi, n'est pas du tout alimenté cette
année. Et, les années précédentes, il n'a pas fonctionné, tout simplement parce
qu'il y a eu une dérive : ce fonds a été affecté - ce qui n'était pas du tout
dans l'esprit ni dans la lettre de son texte créateur - à des opérations menées
par les chambres d'agriculture, alors qu'il était théoriquement ouvert aux
collectivités locales. Dans ces conditions, comme les crédits n'étaient pas
consommés en fin d'année, on a supprimé ceux de l'année suivante et on en est
arrivé aujourd'hui à un fonctionnement nul.
Pour ce qui est du fonds de péréquation des transports aériens, le FPTA, le
système n'a pas fonctionné, alors qu'il était simple à mettre en oeuvre. Mais,
à partir du moment où l'on a voulu faire venir à Orly des lignes à faible
trafic - c'était structurel - dans une période où le créneau à Orly était un
bien rare, il a fallu faire des appels d'offres européens. La conséquence a été
immédiate : pas d'appel d'offres européen, pas d'éligibilité au fonds de
péréquation des transports aériens, ce qui signifie que l'on n'a pas changé
grand-chose. Ce système n'a pas fonctionné tout simplement parce que le pouvoir
réglementaire a formulé des demandes lourdes de conséquences, trop lourdes pour
que l'on se permette de renoncer à des lignes. Le choix s'est alors porté vers
le maintien des lignes vers La Rochelle, Chambéry ou d'autres lieux. On a
préféré préserver des lignes chères plutôt que de renoncer au transport
aérien.
Vous me permettrez d'ajouter que, dans la loi de finances pour 1999, on est
allé beaucoup plus loin, allant ainsi à l'encontre de l'esprit de la loi et du
souhait qui, je crois, vous anime : les passagers qui embarquaient dans les
petits aéroports ont été pénalisés, alors que ceux qui embarquaient dans les
grands aéroports ont été favorisés.
Il faut le savoir aussi, le Fonds national des entreprises n'a jamais été doté
à hauteur des problèmes qu'il avait à résoudre, et il n'a jamais eu aucune
efficacité : 200 millions de francs de dotation en cinq ans, c'est-à-dire rien.
Et, cette année, rien non plus.
Voilà. On pourrait écheniller tout le dispositif, mettre en exergue les
inquiétudes et les éléments décourageants, nous ne trouverions en tout cas
aucune trace de cette ardeur qui nous animait il y a cinq ans : cette ardeur,
nous ne l'avons pas trouvée dans l'administration française - ni la vôtre,
madame le ministre, ni la précédente, je le dis très honnêtement - pour
appliquer l'esprit des textes.
Je le répète, nous ne toucherons pas aux fonds, nous vous demanderons
seulement de les faire fonctionner, d'introduire quelques dispositions pour les
territoires fragiles. Dans certains cas, des législations exceptionnelles sont
en effet nécessaires, ne serait-ce que pour pouvoir bénéficier des mêmes
possibilités qu'ailleurs. Tel sera l'esprit des amendements qu'a déposés
Jean-Pierre Raffarin sur le capital-risque dans des zones fragiles, sur la
possibilité de mobilisation de l'épargne locale : tout cela nous semble bel et
bon et nous paraît utile.
Vous avez, par ailleurs, beaucoup évoqué la notion de pays, madame le
ministre, et vous avez eu raison.
Comme quelques autres ici, notamment le président François-Poncet, je suis
fondateur d'un pays. C'était en 1975 ! Au fil des années, nous avons amélioré
le système et, aujourd'hui, le département dont je préside le conseil général
est totalement couvert en pays. Cela fonctionne bien et nous essayons de mettre
en oeuvre des projets. C'est pourquoi, lorsque vous nous demandez de faire du
pays un territoire de projets, je pense qu'il s'agit d'une bonne idée et que
celle-ci est applicable. Et, à nos collègues qui pourraient être réticents, je
dis qu'ils ont bien tort.
Encore faut-il que la loi et les règlements ne contiennent pas de dispositions
qui empêchent l'optimisation de l'outil qui devra automatiquement supporter un
pays, qu'il s'agisse d'un syndicat mixte, d'une communauté de communes ou d'une
autre structure. Quoi qu'il en soit, dans cette France si diverse, avec
certains départements comptant 60 000 habitants quand d'autres en dénombrent
plusieurs millions, il est évident qu'on ne peut pas appliquer la même norme
partout. Ainsi, dire qu'un pays doit compter au maximum 60 000 habitants -
c'est ce que prévoit le texte pour le versement de la dotation de développement
rural - cela a du sens dans certaines zones, mais strictement aucun dans
d'autres. Cela oblige, au demeurant, les acteurs à des contorsions, à des «
saucissonnages » et à des pertes de temps et d'argent, ce qui n'est pas
l'objectif visé ici.
Madame le ministre, l'ardeur et l'espoir nous animent toujours autant. Ce que
nous attendons de vous, c'est que vous fassiez vivre cette politique
d'aménagement du territoire. Permettez-moi de vous dire en conclusion que c'est
possible, et que cela dépend en grande partie de vous.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et
Indépendants et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Revet, rapporteur.
M. Charles Revet,
rapporteur de la commission spéciale.
Madame le ministre, vous soumettez
aujourd'hui à l'examen du Parlement - aujourd'hui du Sénat - un projet de loi
intitulé : « Projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le développement
durable du territoire ». Vous nous indiquez que cette démarche s'inscrit dans
une perspective à vingt ans, soit l'équivalent d'une génération. C'est dire,
s'il en était besoin, l'importance des décisions que nous allons prendre.
Un tel enjeu eût mérité plus de temps aux yeux de votre commission spéciale et
de vos rapporteurs : je pense spécialement à mes collègues Gérard Larcher, qui
a été le principal acteur de nos travaux, et Claude Belot, tout autant qu'aux
services de la commission, qui nous ont apporté un précieux concours.
Je tiens à dire ma satisfaction d'avoir participé aux travaux de cette
commission spéciale, monsieur le président François-Poncet, et à souligner le
travail constructif qui a été réalisé. J'en remercie particulièrement, encore
une fois, M. Gérard Larcher.
Nous discuterons, au fur et à mesure de l'examen des articles, des schémas que
vous nous proposez, madame le ministre, notamment pour la préparation des
futurs contrats de plan. Je pense, bien sûr, aux agglomérations et aux pays,
qui constituent pour vous aussi, je l'ai bien noté, des espaces de réflexion et
de projets. Cela sous-tend que les pays n'ont pas
a priori
vocation à
s'organiser pour assumer des maîtrises d'ouvrage ni à devenir un échelon
territorial supplémentaire.
S'agissant du projet de loi que vous nous soumettez, la première question que
l'on doit se poser, me semble-t-il, est la suivante : pour quoi et pour qui
aménager le territoire ?
Pour ma part, je préférerais inverser ces termes. En effet, si le « pour quoi
» est le constat qui justifie la démarche que l'on engage et le cahier des
charges à prendre en compte, le « pour qui » est la finalité que l'on donne à
l'action.
Le constat, il s'impose à nous : 80 % de la population vivent sur 20 % du
territoire. Dans le même temps, des pans entiers du territoire se
désertifient.
Mais le constat, c'est surtout une urbanisation où l'on a trop souvent oublié
ce qui aurait pourtant dû être la priorité : la place de l'homme. A cet égard,
je suis un peu surpris, je vous ne le cache pas, de constater que, dans votre
exposé des motifs, vous faites bien peu référence à cette finalité qu'est
l'homme. Mais vous venez, il est vrai, de l'évoquer voilà quelques instants
dans votre intervention.
Oui, madame le ministre, il faut réaménager le territoire, car le fait que 80
% de la population vivent sur 20 % du territoire, ce n'est pas une fatalité.
Que bientôt 10 % de la population soient au-dessous du niveau de pauvreté, ce
n'est pas une fatalité. La délinquance, la violence qui sont les conséquences
tout à la fois du chômage et de la « guettoïsation », ce n'est pas une
fatalité.
Bien sûr, dans la démarche que nous engageons, il faut prendre en compte ce
que j'appelle le cahier des charges, dans lequel nous devons inscrire la
mondialisation de l'économie et la construction de l'Europe. A cet égard,
madame le ministre, nous vous proposerons d'élargir les possibilités de
coopération transfrontalière.
Nous devons aussi prendre en compte la préservation de la faune et de la flore
et, dans cet esprit, les espaces naturels qui la conditionnent. Trouver un bon
équilibre entre le milieu urbain, le territoire rural et les espaces naturels,
tel est l'objectif que nous devons nous fixer.
Il me paraît important de réaffirmer qu'il n'y a pas incompatibilité entre la
présence de l'humain et la préservation de la nature. L'orientation que
voudraient certains consistant à agglomérer les hommes sur un espace réduit en
leur permettant d'aller s'oxygéner le temps des vacances ou le week-end n'est
pas la perspective que bon nombre d'entre nous envisagent.
A un moment où, tous, nous recherchons des axes de développement générateurs
d'emploi, une démarche volontariste de reconquête du territoire peut constituer
un enjeu tout à la fois économique, social et environnemental. Pour cela, il
faut de la volonté, et certainement du courage.
Une politique, cela se conduit ou se subit. La subir nous a menés à la
situation que nous connaissons ; la conduire, c'est offrir des perspectives
nouvelles à celles et à ceux qui nous en ont confié la mission.
Il y a, de la part de nos concitoyens, une aspiration forte à vivre autrement.
Je suis, madame le ministre, président de l'office public d'aménagement et de
construction de mon département qui gère 27 000 logements. Le constat est
simple : alors que j'ai des listes d'attente que je ne sais résorber dans les
villes moyennes, dans les bourgs ou dans les communes rurales, il existe, dans
certaines banlieues, des immeubles où l'on constate un taux de vacance
supérieur à 30 %.
Il faut que nous nous donnions les moyens de répondre aux attentes, en
restructurant en profondeur certains quartiers. Il faut, en quelque sorte,
recréer le village à la ville, ce qui implique de fortes restructurations. Dans
cet esprit, nous proposons d'ouvrir la possibilité de mettre en place, chaque
fois que nécessaire, des établissements publics fonciers nationaux, opérateurs
fonciers pour le compte des collectivités locales.
Dans le même temps, il faut que nous réfléchissions à la mise en place
d'outils plus adaptés en matière d'urbanisme. La commission créée à cet effet
par M. le président François-Poncet, et que préside notre collègue Pierre
Hérisson, fera, le moment venu, des propositions allant, je l'espère, dans le
sens d'une simplification.
Combien de fois les maires de nos communes sont-ils, pour quelques
constructions chaque année, confrontés à des blocages et à des interdictions
sur le bien-fondé desquels on est en droit de s'interroger ?
Engager une politique forte en matière de réhabilitation, de construction ou
de reconstruction de logements aura, bien sûr, une répercussion en matière
d'emploi.
Il faut aussi, dans cette démarche, prendre en compte l'aspiration de bon
nombre de nos concitoyens à accéder à la propriété.
Une politique de reconquête du territoire implique le maintien ou la
réimplantation des services de proximité publics ou privés, voire des deux
conjugués, mais aussi la revitalisation, chaque fois que possible, du transport
collectif. Combien de villes qui disposaient de lignes de tramway ou de
trolleybus les ont vu disparaître pour les recréer aujourd'hui sous une forme
plus moderne ! Un système similaire peut être imaginé en d'autres lieux du
territoire en s'appuyant sur des axes existants abandonnés, mais qui peuvent à
moindre coût être réactivés. Il est important de disposer de TGV et
d'autoroutes pour des déplacements rapides, mais les lignes secondaires, sous
des formes d'utilisation modernisées, de type navette, peuvent permettre un bon
maillage du territoire.
Enjeu économique, mais aussi enjeu social : il est évident qu'en créant un
cadre de vie différent on contribue à résoudre nombre de problèmes sociaux.
Reste l'environnement, dont nous savons qu'il vous est cher, madame le
ministre. Nous en sommes, croyez-le bien, tout autant préoccupés que vous.
La France est le pays du monde qui accueille le plus grand nombre de
touristes. Qu'est-ce qui attire autant les étrangers, sinon la richesse de ses
paysages, ses monuments, ses villes et ses villages où l'on retrouve tant de
diversité ? C'est l'oeuvre des hommes. Ce que nos aînés ont fait hier, nos
concitoyens sont capables de le préserver et de l'enrichir.
Madame le ministre, ce projet d'aménagement et de développement durable du
territoire que vous nous proposez, il nous faut, bien sûr, l'inscrire dans le
phénomène de mondialisation de l'économie, et il faut le faire en cohérence
avec la politique de construction de l'Europe.
Il nous faut concevoir des agglomérations structurées, prendre en compte les
territoires ruraux - l'agriculture, qui y est un acteur essentiel, mais aussi
tout ce qui fait le milieu rural - préserver les espaces naturels
indispensables pour un bon équilibre ; mais n'oublions pas, n'oublions jamais,
qu'aménager le territoire, c'est créer un cadre qui permet l'épanouissement de
l'homme.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
(M. Jacques Valade remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
vice-président
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 74 minutes ;
Groupe socialiste, 62 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 48 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 46 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 32 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 29 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe,
9 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Le Cam.
M. Gérard Le Cam.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en examinant
aujourd'hui le projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le
développement durable du territoire, puis, ultérieurement, le projet de loi sur
l'organisation urbaine et la simplification de la coopération intercommunale
et, enfin, celui sur l'intervention économique des collectivités locales, nous
ouvrons le champ d'une profonde recomposition, pour les vingt prochaines
années, de notre paysage institutionnel territorial.
Votre projet de loi, madame la ministre, s'il se limite à une révision
partielle de la loi du 4 février 1995, révèle néanmoins une nouvelle conception
de la politique d'aménagement du territoire : moins centralisée, moins
dirigiste et plus soucieuse d'intégrer les variables sociales et
environnementales dans le développement économique de l'ensemble du territoire
national.
A cet égard, notre groupe ne peut qu'approuver la volonté du Gouvernement de
remettre sur le métier, sans plus attendre, une loi comprenant de nombreuses
lacunes et incapable de répondre en des termes nouveaux aux exigences et aux
besoins des populations.
Il est vrai que cette loi n'avait été que très partiellement appliquée,
notamment le schéma national d'aménagement et de développement du territoire,
resté lettre morte, alors qu'il était présenté comme le dispositif central de
la réforme.
Dès lors, mes chers collègues, peut-on reprocher à ce même gouvernement de ne
pas avoir mis en oeuvre ce texte, combattu en son temps par la gauche, alors
que le gouvernement de M. Juppé n'a pas su, ou pas voulu, le faire ?
Mme Hélène Luc.
Eh oui !
M. Gérard Le Cam.
Le principal reproche que notre groupe formulait à l'encontre de la loi dite «
Pasqua » est qu'elle se fondait sur une approche libérale de la politique
d'aménagement du territoire, celle qui consiste à distribuer d'en haut, de
façon autoritaire, des points de croissance à telle ou telle partie du
territoire selon les retards de développement observés ou selon les stratégies
de compétition internationale.
De ce point de vue, à l'évidence, la loi de 1995 n'a pas su rompre avec une
approche pyramidale, sectorialisée et dirigiste de l'aménagement du territoire,
orientée de surcroît dans une optique de rendement maximal des territoires au
mépris de leurs spécificités, et des exigences nouvelles qui se manifestent en
termes de sécurité de l'emploi, de qualité de vie et de préservation des
équilibres écologiques et environnementaux.
Pour autant, l'Etat ne doit pas déserter le terrain de la gestion des espaces
et des projets locaux ; bien au contraire, il doit le réinvestir dans sa
globalité, dans le respect des compétences de nos institutions
territoriales.
Comment pourrions-nous, en effet, nous satisfaire d'une propension croissante
de l'Etat à se délester de plus en plus sur les collectivités locales,
abandonnées à leur propre sort, et n'intervenant que de façon ponctuelle dans
des situations d'urgence pour voler au secours des régions dévastées par les
restructurations industrielles, la désertification rurale ou la fermeture de
services publics de proximité ?
D'un Etat jadis omnipotent, décidant à la place des acteurs et des élus locaux
sans concertation ni consultation, nous serions passés à un Etat alibi d'un
système économique inscrit dans une logique libérale qui délocalise les
activités productives, accroît les inégalités sociales et, finalement,
assujettit les hommes et les décideurs locaux aux aléas de la mondialisation
financière.
A mon sens, la puissance publique, sans être le moteur de toute politique
d'aménagement du territoire, ne saurait se réduire à être la roue de secours
d'une machine sans conducteur lancée dans une course effrénée à la productivité
et la compétitivité internationale.
C'est pourquoi la mise en oeuvre d'une politique nationale d'aménagement et de
développement du territoire est indissociable de politiques publiques fortes,
ambitieuses pour notre pays et génératrices d'emplois, d'activités et de
cohésion sociale.
A cet égard, madame la ministre, ce projet de loi reste muet sur les moyens
que l'Etat devra mobiliser pour assurer la réalisation des schémas de services
collectifs et atteindre les objectifs ambitieux que vous vous êtes fixés.
Or, force est de constater que les collectivités locales n'auront pas, seules,
les moyens de leurs projets, si l'on ne prévoit pas d'engagement financier
supplémentaire.
Le principe de la création de fonds régionaux pour l'emploi et le
développement, adopté par l'Assemblée nationale sur l'initiative des députés
communistes, doit vous aider à poursuivre une vaste réforme des aides publiques
en faveur de la création d'emplois et des transferts de technologie vers les
petites entreprises, qui contribuent directement au développement économique
des territoires.
La mobilisation du système bancaire est nécessaire pour réorienter la
politique du crédit vers les investissements réellement productifs, sur la base
de projets de développement durable.
Aussi, ce que nous préconisons, c'est une logique inverse de celle qui a mené
notre pays à un vaste mouvement de privatisations et de resserrement des
crédits, qui n'a fait qu'accroître les déséquilibres socio-économiques et ce
que l'on nomme pudiquement la « fracture territoriale ».
C'est pourquoi, mes chers collègues, j'avoue m'interroger lorsque j'entends
certains de vos amis gloser sur le renoncement à toute stratégie nationale qui
caractériserait ce texte via l'abandon du schéma national d'aménagement et de
développement du territoire, le SNADT, alors que vous n'avez cessé d'organiser
le démantèlement de la maîtrise nationale de notre potentiel industriel et
commercial, et soutenu les abandons successifs de souveraineté.
Le remplacement du schéma national par les schémas de services collectifs
marque la volonté de ce gouvernement de mieux prendre en compte les besoins des
populations en valorisant les initiatives locales plutôt qu'une logique d'offre
centralisée qui répond davantage aux exigences des firmes multinationales qu'à
celles d'une réelle ambition d'occupation harmonieuse et équilibrée du
territoire.
A titre d'exemple, la stratégie du tout-TGV, dès lors qu'elle n'était pas
accompagnée des moyens de modernisation et de développement des lignes
classiques, a eu pour conséquence majeure de segmenter le territoire et de
marginaliser des régions entières.
Pour autant, la suppression du schéma national n'exclut pas la nécessité d'une
cohérence nationale entre les schémas de services collectifs et de leur
articulation avec les schémas régionaux.
A défaut d'être le seul et unique inspirateur de la politique d'aménagement du
territoire, l'Etat est seul à même de garantir l'unité nationale et l'égalité
des citoyens sur le territoire.
Cela passe par de nouvelles péréquations interrégionales mais aussi
intrarégionales permettant de réduire les écarts de richesse sur le territoire.
Cela passe aussi par la modernisation des services publics, accessibles à tous,
notamment aux plus défavorisés, et par une relance judicieuse et circonstanciée
des investissements publics, dans le cadre, notamment, des contrats de plan
Etat-régions.
De toute évidence, vingt-deux politiques régionales d'aménagement ne feront
jamais une politique nationale s'il n'existe pas une régulation et une mise en
cohérence des choix locaux, non pour brider les initiatives particulières, mais
pour valoriser et promouvoir les atouts de nos régions.
Cette nécessaire cohérence suppose, enfin, que le Parlement soit plus
étroitement associé aux projets de schémas de services collectifs.
A l'évidence, le texte initial méritait d'être remanié sur ce point, notamment
par l'examen d'un projet de loi fixant les orientations de la politique
d'aménagement du territoire et les conditions de leur mise en oeuvre dans les
schémas de services collectifs deux ans avant l'échéance des contrats de plan
Etat-régions.
Cependant, les premiers décrets d'application devant être adoptés avant le 31
décembre 1999, il me paraît difficile d'admettre que l'expression parlementaire
soit, en quelque sorte, mise entre parenthèses d'ici à 2004, dans le seul souci
d'accélérer la mise en oeuvre de ces schémas en articulation avec la nouvelle
génération de contrats de plan à partir de l'an 2000 jusqu'à 2006.
C'est pourquoi nous proposerons qu'une loi soit soumise au Parlement avant la
fin de l'année, sans ignorer cependant les difficultés de calendrier que cela
posera à notre administration.
La représentation nationale doit être en mesure de veiller à un meilleur
contrôle de la politique engagée par le Gouvernement sur des choix qui engagent
notre pays sur plusieurs décennies.
L'existence d'un cadre national cohérent quant à l'application des grands
choix stratégiques en matière d'occupation de l'espace suppose, enfin, que les
schémas de services ne préfigurent pas, à plus long terme, une intégration au
futur schéma de développement de l'espace communautaire, le SDEC.
Le respect du principe de subsidiarité est d'autant plus justifié dans ce
domaine que l'aménagement du territoire ne fait pas partie des compétences de
l'Union européenne.
Or, l'article 1er précise que la politique nationale d'aménagement du
territoire « participe à la construction de l'Union européenne » et l'article
2, que l'Etat est chargé d'assurer « la mise en cohérence de la politique
nationale d'aménagement du territoire avec celle mise en oeuvre dans le cadre
européen ».
S'il s'agit d'orienter nos territoires vers la prise en compte des options
libérales et fédérales de Bruxelles, nous ne pourrons souscrire à une telle
approche. Auquel cas, il nous faudrait assister à une recentralisation des
compétences vers la Commission de Bruxelles, engagée elle-même dans un dialogue
direct avec les exécutifs régionaux.
Sur ce point, madame la ministre, le texte est par trop ambigu et laisse
planer l'idée d'une Europe des régions, les régions étant elles-mêmes fédérées
en pays et en agglomérations.
D'aucuns rêvent ici d'une Europe intégrée dans laquelle des structures jugées
archaïques, tels le département, la commune, seraient vouées à disparaître pour
laisser place à des entités agglomérées dépourvues de tout contrôle
démocratique et taillées sur mesure pour affronter la compétition économique
mondialisée.
A la concentration des activités économiques viendraient se joindre, pour
mieux la servir, la concentration des pouvoirs politiques entre les mains de
quelques potentats locaux sans légitimité populaire réelle.
Le rôle pivot, désormais reconnu dans ce texte aux régions, ne doit pas
évincer le département qui contribue à l'aménagement du territoire en
favorisant la coopération entre collectivités communales et en assurant la
pérennité du lien social.
La structure départementale doit, à notre sens, être associée plus étroitement
à l'élaboration et à la mise en oeuvre des projets locaux.
A ce sujet, je me félicite des modifications apportées par l'Assemblée
nationale qui contribuent, bien qu'insuffisamment, à redonner sa place au
département.
S'agissant plus précisément des pays, il doit être possible de conforter
davantage encore l'implication des représentants du département pour ne pas
laisser au seul préfet de région le soin d'assurer la tutelle administrative de
ce qui doit demeurer, à nos yeux, un espace de réflexions et de projets aux
contours souples et évolutifs.
Certes, madame la ministre, ce texte n'affecte aucunement les prérogatives des
départements, mais en confortant le rôle de la région, d'une part, pour en
faire un véritable « chef de file » de la politique d'aménagement du
territoire, et en valorisant des structures supracommunales telles que les pays
ou les agglomérations, d'autre part, nul doute que cette institution issue de
deux siècles d'histoire sera marginalisée et cantonnée à un strict rôle social,
et, pour tout dire, humanitaire.
Comprenons-nous bien, il ne s'agit pas pour nous de défendre les départements
par archaïsme ou je ne sais quelle nostalgie ; si nous sommes tant attachés à
cette structure, c'est aussi parce qu'elle représente pour la plupart de nos
concitoyens un espace démocratique dans lequel ils se retrouvent et
s'identifient.
Si le département ne dispose pas du monopole de la pertinence en matière
d'aménagement du territoire, il n'en demeure pas moins vrai qu'il dispose
d'atouts incomparables dans la capacité à apporter des réponses adaptées aux
besoins des populations. Ce qu'il faut craindre, ce n'est pas tant de nouvelles
formes de coopération et de mise en commun des moyens et des objectifs entre
collectivités locales, mais bien plutôt la dilution des assemblées
démocratiquement élues au profit de structures intermédiaires dotées de
compétences sans cesse croissantes et sans que les citoyens n'aient de prise
réelle sur les choix qui leur seront imposés.
Là où votre texte, madame la ministre, semble quelque peu minorer le rôle et
les missions du département dans l'aménagement du territoire, le projet de loi
de M. Chevènement paraît, quant à lui, « resituer » la place de la commune.
C'est pourquoi le pays suscite dans nos rangs les plus vives inquiétudes s'il
devait être conçu comme le vecteur de regroupement des communes pour constituer
à terme une structure intercommunale à fiscalité propre et devenir un échelon
administratif supplémentaire, une pompe à compétences venant se substituer aux
échelons traditionnels et démocratiques.
Que dire par ailleurs des communautés d'agglomérations assimilées à de
véritables carcans administratifs qui contraignent plus qu'elles ne favorisent
une démarche volontaire et solidaire de coopération de la part des communes
?
Un empilement excessif de strates institutionnelles ne peut que contribuer à
éloigner les citoyens des décisions qui les concernent à un moment où le
désintéressement vis-à-vis de la chose publique s'accentue.
Il ne s'agit pas nécessairement d'avoir à choisir entre telle ou telle
institution. Nous n'échapperons pas en revanche à une clarification des
compétences et des prérogatives entre les instances élues qui organisent et
décident des projets à mettre en oeuvre et des structures intermédiaires
chargées de l'élaboration et du suivi de projets ciblés.
C'est dans un cadre constitué autour de la commune, du département et de la
région, à la fois stable et équilibré, que les projets de développement portés
au sein de pays ou d'agglomérations doivent se concevoir et se réaliser. C'est
cette conception que notre groupe défendra au cours de ces prochains jours.
Enfin, nous ne pouvons que regretter qu'un sort meilleur n'ait pas été réservé
aux services publics dans le cadre des schémas de services d'une part et parmi
les objectifs de la politique nationale d'aménagement du territoire, d'autre
part.
Je crois pourtant qu'un véritable débat aurait été nécessaire sur la place et
les missions des services publics qui, loin d'être une charge pour la société,
constituent des éléments structurants et novateurs dans le développement des
activités économiques en France.
Encore faut-il sortir d'une approche strictement comptable en ne laissant
d'autre alternative qu'entre le dépérissement des services publics ou la fuite
en avant vers les privatisations, comme le suggère d'ailleurs un amendement de
la commission spéciale qui vise ni plus ni moins à ouvrir au privé la gestion
des maisons de services publics.
Sur ce dernier point, M. Zuccarelli s'était engagé devant le Sénat, lors de
l'exeman du projet de loi relatif aux relations des citoyens avec les
administrations, sur l'absence de coût supplémentaire pesant sur les
collectivités locales, ainsi que sur la garantie de statut des agents mis à
disposition.
Il s'agit donc de traduire ces engagements dans l'article 22. Tel est le sens
des amendements que nous défendrons.
Dans le prolongement de la loi de lutte contre les exclusions, les maisons de
services publics doivent être considérées comme un complément, un « plus » pour
les usagers, notamment les plus défavorisés dont il convient de faciliter les
démarches. En aucun cas, ces maisons ne doivent venir se substituer aux
services existants avec des suppressions de postes et de crédits à la clé.
Compte tenu des contraintes budgétaires auxquelles sont soumises bon nombre de
collectivités locales, l'Etat doit s'engager, sur la base d'une convention
conclue avec les établissements publics concernés et les collectivités, à
compenser les charges résultant de la constitution de maisons de services
publics.
M. Gérard Delfau.
Très bien !
M. Gérard Le Cam.
Les services publics tiennent en France un rôle majeur, qu'il nous faut
garantir et amplifier si nous ne voulons pas que cette loi reste à l'état de
projet.
Aussi, la suppression d'un service public de proximité dans un village ou dans
un quartier urbain n'est pas seulement l'aveu d'un échec de notre société ;
c'est surtout une hypothèque sur l'avenir et le développement futur des zones
en voie de désertification ou d'isolement. En effet, ce sont bien souvent, mes
chers collègues, les investissements publics qui entraînent les investissements
privés et la création d'un service public qui amorce le redémarrage de
l'activité économique et de la création d'emplois. A cet égard, les services
publics jouent un rôle pilote dans l'intégration et l'unité du territoire.
Que l'on réfléchisse à de nouvelles formes de modernisation et d'adaptation
des services publics est certes nécessaire, si toutefois on ne remet pas en
cause les principes républicains et démocratiques qui caractérisent le service
public à la française.
La référence faite dans ce texte, à plusieurs reprises, à la notion diffuse de
« service universel » est, à tout point de vue, source d'inquiétude, dans la
mesure où cette conception, étrangère à notre droit, correspond à une vision
minimaliste et quasi résiduelle de la notion de service public.
L'introduction d'une partie de la directive postale européenne n'est pas
acceptable.
Un projet de loi de transposition de la directive était annoncé pour les mois
à venir. Nous demandons solennellement au Gouvernement de reporter l'examen de
cette disposition inscrite à l'article 15
bis.
M. Gérard Delfau.
Très bien !
M. Gérard Le Cam.
La précipitation dans ce domaine ne saurait nous exonérer d'une réflexion
approfondie et concertée sur l'avenir de La Poste à l'aube du prochain
siècle.
Les Français ne comprendraient pas qu'on décide, au détour d'un amendement, de
la définition d'un « service universel postal » dans le plus grand secret, sans
que les usagers ni même les salariés aient été tenus informés.
Nous proposerons, en conséquence, la suppression de cet article, qui ignore
par ailleurs - c'est un comble dans un texte de cette nature ! - la prise en
compte des territoires et des besoins des usagers.
Quel sera l'impact de cette loi d'aménagement durable du territoire, madame la
ministre, si chaque jour, chaque semaine, chaque mois, nos concitoyens
constatent le déménagement ? En Côtes-d'Armor, comme dans l'ensemble de la
Bretagne, les exemples ne manquent pas : fermeture de postes d'enseignants,
transformation des ZEP en REP en milieu rural, fermeture du centre de
télécommunications spatiales de Pleumeur-Bodou, fermeture de maternités,
restructuration des hôpitaux, généraux et psychiatriques, délocalisation de
l'aviculture... Je m'arrête là et reste persuadé qu'ailleurs c'est
identique.
M. Josselin de Rohan.
Est-ce le Gouvernement actuel qui fait tout cela ? C'est un affreux
Gouvernement !
(Sourires.)
M. Charles Revet,
rapporteur.
Quelle catastrophe ! Mais c'est l'expression de la vérité.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Cela ne nous empêche pas de dire ce que nous avons à dire !
M. Gérard Le Cam.
N'y aurait-il plus d'argent dans ce pays ? Ou plutôt, ces milliards de francs,
qui devraient servir à l'aménagement du territoire, s'en vont au service d'une
mondialisation toujours plus boulimique.
L'efficacité de cette loi et la confiance qu'elle pourra inspirer ne vaudront
que par le concret et le constatable ; il m'apparaît donc indispensable que les
tendances actuelles au déménagement par le vide que je viens de décrire soient
stoppées et inversées.
Le passage au Sénat de votre projet de loi, madame la ministre, doit nous
donner l'occasion d'approfondir et de compléter utilement les propositions
adoptées par les députés.
Cependant, au regard de certains amendements déposés par la commission
spéciale, il est à craindre un retour à la loi de 1995 sous une forme, certes
plus sophistiquée, mais inscrite dans une logique dirigiste et verticale fondée
sur une conception de l'aménagement du territoire assurant d'abord la
satisfaction des exigences économiques européennes et internationales au
détriment des considérations locales, sociales et environnementales.
En conclusion, notre groupe se situe dans une démarche constructive prenant
acte des avancées issues des travaux de l'Assemblée nationale, conscient aussi
des imperfections qui restent et des dérives possibles. Nous formulerons des
propositions cohérentes dans le souci d'améliorer le texte.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
Mme Hélène Luc.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. Bellanger.
M. Jacques Bellanger.
Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les rapporteurs, mes
chers collègues, la politique d'aménagement du territoire n'est pas une
novation dans notre pays. Très centralisée dès l'origine, à l'image des
structures administratives de la France, elle s'est affirmée par un
volontarisme très net et des étapes successives parfois contradictoires.
Dans un premier temps, priorité a été donnée à la reconstruction pour résoudre
la crise du logement née après la guerre, d'une progression de la démographie,
de l'industrialisation et de l'exode rural, et qui est à l'origine des
déséquilibres urbains unanimement dénoncés aujourd'hui.
Puis, il y eut une maîtrise de l'accroissement excessif de la région
parisienne et des grandes métropoles avec, à la fois, la création de villes
nouvelles et la déconcentration industrielle autoritaire menée par la DATAR.
La politique d'aménagement du territoire a marqué le pas vers le milieu de la
décennie soixante-dix avec le début de la crise économique et de la
paupérisation de l'Etat.
Enfin, elle a tenté de mieux prendre en compte, dans la dernière décennie, les
notions de qualité de vie, de développement équilibré de l'ensemble du
territoire, essayant, mais timidement, de replacer l'homme au centre des
dispositifs.
Les socialistes ont été des moteurs dans cette évolution. Les lois de
décentralisation ont transféré vers les collectivités locales une partie des
pouvoirs de l'Etat. Elles ont maintenu nos 36 000 communes,...
M. Charles Revet,
rapporteur.
C'est un bien !
M. Jacques Bellanger.
... ce qui fait de la France un cas particulier en Europe de l'Ouest.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Il faut le conserver !
M. Jacques Bellanger.
Les régions se sont vu reconnaître un rôle moteur dans l'aménagement du
territoire. La loi électorale a été modifiée pour les communes d'une certaine
importance, leur assurant ainsi la stabilité de gestion nécessaire à l'exercice
de leurs nouveaux pouvoirs tout en permettant la représentation des minorités.
Et ce n'est pas de notre fait si la même réforme n'a pu encore se faire à
l'échelon des régions où l'absence de majorité est parfois un élément
paralysant de l'aménagement du territoire. Enfin, les contrats de plan mis en
place par Michel Rocard ont institué la contractualisation des engagements de
l'Etat et des collectivités territoriales et une harmonisation dans le temps de
leurs projets.
Nous sommes fiers de ce bilan. Dans cette assemblée qui se veut à la fois
représentative du territoire et grand Conseil des communes de France, nous
avons la certitude d'avoir été acteurs de la politique d'aménagement du
territoire, mais, pour autant, cela ne signifie pas qu'il ne soit pas
aujourd'hui nécessaire de l'adapter, de la réformer, de progresser en fonction
de l'expérience et des nouvelles donnes nationales et internationales.
En 1995, le Sénat adoptait une nouvelle loi d'aménagement du territoire assez
éloignée, en matière de péréquation financière, des propositions de la mission
d'information du Sénat. De nombreux textes d'application n'ont pas été publiés
ou n'ont pas eu de suite. Nous avons eu l'occasion, le 10 décembre dernier, de
nous expliquer sur ce sujet. Je n'y reviendrai donc pas, sauf pour constater
avec satisfaction une tonalité assez différente dans les expressions de la
majorité sénatoriale.
Il était urgent de remodeler un dispositif législatif dont les dispositions
essentielles n'avaient pu être mises en oeuvre. Cela ne résulte pas de la
volonté des gouvernements de MM. Balladur ou Juppé ; ce n'est pas parce que le
texte de 1995 n'était pas l'oeuvre de sa majorité que le gouvernement de Lionel
Jospin nous propose non pas un texte nouveau, mais un texte amendé, mais tout
simplement, monsieur le président de la commission spéciale, parce que certains
choix ne pouvaient être mis en oeuvre.
Le Gouvernement a choisi d'en affirmer les principes dans le texte que nous
examinons aujourd'hui et de les décliner dans différents projets de loi que
nous aurons par la suite à examiner.
Il fallait affirmer, en premier lieu, la prise en compte de la dimension
européenne.
La nécessaire connexion de nos voies de communication est une évidence.
L'importance des fonds structurels européens dans les contrats de plan implique
une cohérence des zonages. L'introduction du concept européen de zonages
prioritaire ultra-périphérique doit prendre en compte les spécificités des
départements d'outre-mer. Les conséquences de l'environnement économique
international nous imposent de fonder notre réflexion sur un rééquilibrage des
territoires dans un cadre plus vaste que celui de notre pays.
En deuxième lieu, il fallait définir les territoires qui vont structurer la
vie des Français.
Les métropoles, d'abord, sont déjà les lieux inévitables de création des
nouvelles activités et des nouveaux services. Elles doivent pouvoir s'affirmer
pour structurer de façon équitable le territoire en dehors de l'agglomération
parisienne.
Les agglomérations regroupent déjà 80 % de la population et subissent
aujourd'hui de plein fouet la crise industrielle et la mutation vers une
société de services.
Enfin, les pays, dont la notion a été introduite par la loi de 1995, doivent
être précisées pour devenir de vrais territoires de projets. Ils pourront
maintenant contracter.
Cette notion de pays a été perçue par certains comme un échelon administratif
supplémentaire. C'est une erreur ! Nous n'envisageons même pas que le pays
puisse servir de base, comme dans la loi de 1995, à une nouvelle définition des
arrondissements.
Le pays est un espace de projet, proche du citoyen, particulièrement adapté
aux initiatives et aux réalités locales. Il ne pourra se développer utilement
qu'en accord avec les départements et les régions et, en tout cas, jamais
contre eux. La remise en cause des structures départementales et régionales
n'est pas à l'ordre du jour, pas plus d'ailleurs qu'une nouvelle définition de
leurs compétences.
En troisième lieu, il fallait affirmer une meilleure prise en compte des
besoins des collectivités locales et des citoyens.
Je répète une nouvelle fois que si le schéma national prévu par la loi de 1995
n'a pu voir le jour dans les délais prévus, c'est parce que la méthodologie de
son élaboration n'était pas tenable et qu'il ne fixait pas de priorité. Il
était trop éloigné de la réalité en voulant prendre en compte des demandes tous
azimuts non cadrées par des options stratégiques cohérentes.
Voilà pourquoi ce schéma est aujourd'hui remplacé par huit schémas de services
collectifs fixant les orientations stratégiques de l'Etat qui s'imposeront,
dans la concertation, aux schémas régionaux d'aménagement et de développement
du territoire et qui seront périodiquement déclinés dans les contrats de plan.
Cette proposition est l'un des éléments majeurs du projet de loi.
J'ajoute que la proposition avancée par la commission spéciale, et consistant
en fait à reprendre les cinq schémas modaux des transports de la loi de 1995,
nous paraît remettre en cause l'intermodalité des deux schémas de transport,
l'un pour les voyageurs et l'autre pour les marchandises. Et je suis étonné
que, sur ce point, le rapport de la commission suggère un tel retour en
arrière.
En ce qui concerne la notion de développement durable, nous savons aujourd'hui
qu'un développement économique sans contrôle peut compromettre le devenir de
nos sociétés. Il s'agit non pas d'une déification de la nature, mais tout
simplement de la reconnaissance d'un équilibre naturel difficile, que la
science elle-même a quelque difficulté à cerner.
Le principe de précaution doit donc être respecté, comme nous nous y sommes
d'ailleurs engagés, en particulier à l'échelon européen. C'est non pas une
politique de sanctuaire qui est proposée, mais la recherche d'un équilibre de
développement.
L'exemple de certains parcs naturels a d'ailleurs prouvé que des espaces en
difficulté pouvaient y trouver de nouvelles chances de développement
économique. Nous avons pris note du fait qu'en ce domaine la commission
spéciale supprime toute référence directe au développement durable dans
l'article 2 et, à l'article 20, les références au programme « Actions 21 »
adopté par la communauté internationale à Rio de Janeiro en 1992. Cela n'est
évidemment pas neutre.
Enfin, s'agissant de la démocratie représentative, nous sommes
particulièrement attachés à l'association des Français aux prises de décision
les concernant directement, ce qui est bien le cas de l'aménagement du
territoire. Voilà pourquoi l'association aux élus des partenaires sociaux et
des acteurs culturels et environnementaux nous paraît nécessaire. Nous sommes
donc satisfaits par les compositions du Conseil national d'aménagement du
territoire, des conférences régionales d'aménagement du territoire et des
conseils de développement des pays.
Là encore, les propositions de la commission nous paraissent plutôt
rétrogrades puisqu'elles suppriment carrément les conseils de développement et
rejettent les représentants associatifs dans un deuxième collège, ce qui ne
facilitera ni le dialogue ni le consensus.
M. Gérard Delfau.
Très bien !
M. Jacques Bellanger.
Nous notons qu'un sort particulier est réservé aux chambres consulaires !
M. Gérard Delfau.
Eh oui !
M. Jacques Bellanger.
L'Assemblée nationale a enrichi et clarifié le projet du Gouvernement. J'ai
parfois entendu critiquer la déclaration d'urgence qui affecte ce texte.
Pourtant, la majorité sénatoriale a pu prendre connaissance du projet de loi du
Gouvernement dès le 29 juillet 1998, et des modifications de l'Assemblée
nationale, le 9 février dernier. En revanche, nous n'avons été au courant des
amendements des rapporteurs que mercredi dernier. Cela ne nous a donc laissé
qu'un délai assez court pour étudier des textes dont nous nous ne nions ni le
sérieux ni la continuité idéologiques, ce qui nous inquiète d'ailleurs.
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
C'est de la mauvaise foi !
M. Jacques Bellanger.
De prime abord ces propositions traduisent la volonté de revenir à l'esprit de
la loi de 1995 sans tenir compte des difficultés, voire des impossibilités
d'application de ce texte.
L'amendement présenté à l'article 10 et prévoyant l'adoption par la loi, sous
la forme d'un rapport annexé pouvant être amendé par le Parlement, des schémas
de services collectifs ensuite mis en oeuvre par décret du Gouvernement est un
bel exemple d'un type de mariage inédit ! La démocratie virtuelle est
instituée, puisque le Parlement pourra y présenter des demandes tous azimuts
dans un rapport annexé, qui n'a pas de force normative, mais que le
Gouvernement sera chargé de mettre en forme par décret. Voilà un très bon
exemple de responsabilité parlementaire !...
Comme nous sommes attachés aux principes posés par le projet de loi, nous
craignons de ne pouvoir accepter que très peu des modifications proposées. Nous
seront amenés à préciser nos positions lors de la discussion des articles.
Tout à l'heure, M. Belot a attiré notre attention sur le fait que nous aurions
des difficultés à poursuivre les constructions d'autoroutes du fait de la
disparition du système de l'adossement. Ma mémoire n'est pas excellente mais
sans doute pourrez-vous, madame la ministre, préciser quel gouvernement a
accepté, au niveau européen, ce nouveau système !
(Rires et applaudissements sur les travées socialistes, sur certaines travées
du RDSE, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la loi du 4
février 1995 n'était probablement pas parfaite, mais elle présentait quatre
mérites.
Tout d'abord, elle exprimait une politique volontariste, voulue par notre
collègue M. Charles Pasqua.
Ensuite, elle était fondée sur l'écoute du Parlement puisque ce texte n'avait
pas été déclaré d'urgence. Et comment ne pas rappeler, en cet instant, le rôle
considérable du Sénat qui a alors enrichi le projet de loi qui lui était soumis
?
Par ailleurs, cette loi était fondée sur une consultation approfondie de notre
pays, que nous avions sillonné, région par région.
Enfin, elle traçait des orientations cohérentes, je crois, et pour vingt ans,
de la politique d'aménagement du territoire.
Ce rappel étant fait, ma prise de position ne sera ni nostalgique ni négative,
l'important étant que la France définisse rapidement sa politique d'aménagement
du territoire pour les vingt ans à venir vis-à-vis de ses partenaires
européens.
Dans cet esprit, j'approuve la position de la commission spéciale du Sénat. Je
tiens, à cet égard, à rendre hommage à l'action et au volontarisme de nos
collègues MM. Gérard Larcher, Claude Belot et Charles Revet.
Le caractère constructif de leur proposition, leur volonté de trouver ensemble
les voies et moyens d'une politique nouvelle dans laquelle le Parlement serait
un partenaire à part entière constituent un élément important. En effet, on ne
peut pas façonner une politique d'aménagement du territoire sans y associer
réellement le Parlement.
En cet instant, je me bornerai à insister seulement sur trois aspects, à
savoir l'équilibre d'une politique d'aménagement du territoire, sa dimension
européenne et le rôle des collectivités territoriales.
Il convient tout d'abord de rechercher l'équilibre entre trois nécessités : le
développement économique, une politique dynamique de voies de communications et
le respect de l'environnement. Omettre l'un de ces trois facteurs porterait un
coup fatal à une politique réaliste de l'aménagement du territoire.
Viser le développement économique et améliorer les infrastructures sans
prendre en considération la donnée environnementale correspond à une vision
passéiste. Les collectivités territoriales démontrent d'ailleurs jour après
jour leur aptitude à insérer les grands équipements du territoire dans le
respect des données environnementales.
A contrario,
mener une politique de l'environnement sans développement
serait condamner le pays au déclin, y compris et surtout sur le plan de
l'emploi.
A ce propos, je voudrais insister sur les voies de communication.
Le schéma des services de transport doit être autre chose que la simple
consolidation de ce qui existe. Il faut créer les maillons manquants au niveau
européen s'agissant des autoroutes, du TVG, du réseau ferroviaire classique,
mais aussi des voies fluviales.
M. Charles Revet,
rapporteur.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel.
L'arc atlantique et la façade méditerranéenne doivent être solidement amarrés
à l'espace européen. Ils ne doivent pas risquer d'être marginalisés.
M. Charles Revet,
rapporteur.
Tout à fait !
M. Daniel Hoeffel.
Les façades est et nord mais aussi sud-ouest de la France constituent des
zones de jonction qui ne doivent pas perdre le contact avec le centre de
gravité de l'Europe, centre qui se déplace de plus en plus vert l'Est.
Madame la ministre, j'ajouterai une remarque particulière à propos de la voie
fluviale, une remarque qui ne vous étonnera pas. Je respecte votre conception,
mais je tiens essentiellement à la mienne...
(Mme la ministre sourit.)
M. Charles Revet,
rapporteur.
C'est très bien !
M. Daniel Hoeffel.
... et je regrette que la voie fluviale soit mal aimée en France. Or, je suis
persuadé qu'elle n'est pas désuète et que plus l'espace de l'Union européenne
s'élargira, moins elle sera désuète.
Nous constatons que la liaison Rhin - Main - Danube dépasse les prévisions les
plus optimistes.
L'Allemagne est en train de mettre à grand gabarit la liaison Rhin - Elbe -
Oder. Lorsque l'on sait que les quantités de marchandises transportées, selon
des experts sérieux, doubleront dans les vingt à trente années à venir, il est
impensable qu'elles ne le soient que par la voie ferroviaire ou, surtout, que
par la voie routière ou autoroutière. La voie fluviale doit tenir sa place,
toute sa place, dans le développement de l'espace de notre pays.
M. Gérard Braun.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel.
Dans le domaine du transport, l'Europe occidentale ne pourra devenir un marché
unifié de marchandises et de services que si elle dispose de meilleures
liaisons internationales.
Ma seconde observation concerne l'insertion dans l'espace européen.
Vous avez évoqué, madame la ministre, la prochaine réunion des ministres de
l'aménagement du territoire pour élaborer le schéma de développement de
l'espace communautaire. C'est un élément important.
Un autre élément considérable est la politique régionale. Les fonds
structurels de l'Europe ont été un facteur important du développement
économique de nombreuses zones de notre pays. Leur rôle va encore s'accroître.
Aussi, dans la négociation difficile qui se déroulera cette année, je souhaite
que la France joue un rôle moteur.
Pour toutes ces raisons, notre politique d'aménagement du territoire doit
intégrer de plus en plus une vision européenne, et cela n'a rien à voir avec un
débat doctrinal sur la conception de l'Union européenne. C'est tout simplement
une réalité qui s'impose à nous.
Hier, l'Union européenne allait jusqu'à l'Elbe. Aujourd'hui, elle s'étend
jusqu'à l'Oder. Demain, elle jouxtera la Russie.
La France, qui était hier, avec le sillon rhénan, naturellement partie
prenante du développement de l'Europe occidentale, doit, grâce à une politique
dynamique de l'aménagement du territoire, rester en contact avec cet espace qui
s'élargit vers l'Est. Au sein de cet ensemble, les zones frontalières jouent et
joueront un rôle important.
A l'occasion de la discussion de la loi de 1995, nous avions eu, tant à
l'Assemblée nationale qu'au Sénat, un grand débat sur les atteintes éventuelles
d'une politique transfrontalière sur la souveraineté nationale. Heureusement,
la majorité des deux assemblées a su surmonter cet obstacle.
Ce n'est pas un problème de doctrine. C'est une réalité imposée par la
géographie et par la nature. Des voies ferrées ou des routes transfrontalières,
l'implantation de zones d'activité le long des frontières, la pollution qui ne
connaît pas de frontières sont autant d'éléments qui imposent que l'on porte
une attention réelle à la poursuite et au développement d'une politique
transfrontalière. A travers les programmes INTERREG, la politique des fonds
structurels peut donner un fondement concret à une telle politique
transfrontalière.
Je terminerai par les collectivités locales.
L'aménagement du territoire suppose l'intervention de l'Etat. Au passage, je
regrette que le schéma national d'aménagement et de développement du territoire
ait été supprimé. Il suppose une intervention tant des collectivités
territoriales que des acteurs économiques et sociaux.
Les collectivités territoriales - nous le savons, nous le vivons
quotidiennement - sont des cofinanceurs importants, en particulier les régions,
et plus encore les départements ! Elles doivent être aussi codécideurs. En
disant cela, je pense particulièrement au schéma de services collectifs de
l'enseignement supérieur et de la recherche.
Il faut cependant éviter toute confusion. Aussi est-il bon, madame la
ministre, que vous ayez repris l'idée de la collectivité chef de file pour
mettre un peu d'ordre dans un domaine où les financements croisés sont tels
qu'on ne sait plus, parfois, qui fait quoi !
Nous avions prévu la collectivité chef de file en 1995. Mais, depuis cette
date, nous avons attendu que cette notion soit précisée. Puisse cette
réanimation de la collectivité chef de file nous faire avancer sur la voie de
sa concrétisation.
Toujours à propos des collectivités, vous me permettrez un dernier mot sur les
pays. Tous ensemble, nous les avons voulus en 1995. Aujourd'hui, je dis oui au
pays espace de solidarité, mais non au pays amorce de collectivités
territoriales !
M. Charles Revet,
rapporteur.
Très bien ! Il faut le réaffirmer.
M. Daniel Hoeffel.
Il faut que les choses soient claires au départ afin d'éviter toute confusion.
Il est aussi nécessaire d'avoir une bonne coordination et une bonne
complémentarité entre le projet de loi que nous défendons aujourd'hui et le
projet de loi relatif à l'intercommunalité, qui viendra en discussion devant le
Sénat la semaine prochaine.
Là où le pays coïncide avec un établissement public de coopération
intercommunale, un EPCI, il n'y a évidemment pas de problème. Mais si le pays
s'intercale entre un EPCI et le département, veillons à ce qu'il ne porte pas,
du point de vue territorial, les germes d'un désordre structurel dont notre
pays n'a pas besoin !
C'est dans cet esprit que j'approuve les conclusions de la commission
spéciale. A travers ce débat, il s'agit pour l'essentiel de dégager les
fondements solides d'une politique d'aménagement du territoire stable,
échappant désormais aux fluctuations de tout genre, une politique qui intègre
la France dans son espace européen sans la marginaliser, une politique qui
associe les zones urbaines, périurbaines et rurales à cet effort. C'est cela la
vraie solidarité pour l'aménagement du territoire !
Le temps où s'opposaient une vision urbaine prétendument moderne et une vision
rurale prétendument passéiste est révolu ! Les anciens et les modernes sont
partout, mais pas forcément là où on le croit. Puissions-nous, enfin, tracer,
et cette fois-ci pour vingt ans, les contours d'une politique française
d'aménagement permettant à notre pays de tenir toute sa place au sein d'une
Europe en mouvement et d'y jouer, si possible, un rôle moteur, y compris en
matière d'aménagement du territoire.
(Très bien ! et applaudissements sur
les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants,
ainsi que sur certaines travées socialistes et du RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme Bardou.
Mme Janine Bardou.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pour le Sénat
représentant les collectivités territoriales, l'aménagement du territoire est
une préoccupation majeure. La Haute Assemblée s'était d'ailleurs très largement
exprimée lors du vote de la loi Pasqua, nourrie des réflexions de la mission
sénatoriale que conduisait Jean François-Poncet ; je tenais à le rappeler
ici.
Aujourd'hui, votre Gouvernement, madame la ministre, a pris le parti de
réviser cette loi de 1995.
A notre avis, les modifications apportées en changent profondément l'esprit,
car ce sont à la fois une nouvelle organisation territoriale, comme l'affirme
le Gouvernement dans l'exposé des motifs, et une nouvelle vision du monde et de
la société qui nous sont proposées. Nous en prenons donc acte.
M'exprimant au nom du groupe des Républicains et Indépendants, je voudrais
vous faire part des interrogations et inquiétudes que suscite ce texte qui, à
notre avis, révèle une vision idéologique et inadaptée de l'aménagement de
notre territoire national.
Pour mener une bonne politique dans ce domaine, il ne faut pas recourir à une
approche trop théorique. Il faut prendre en compte tous les éléments
caractérisant notre territoire : l'espace, la diversité géographique, la
densité démographique et le nombre des communes.
La loi Pasqua-Hoeffel, lancée à l'occasion du CIAT de Mende en 1993 - je
tenais à le rappeler aussi - ne méritait certes pas les critiques qui lui ont
été adressées. Jugée trop « ruraliste » par certains, elle exprimait pourtant
une véritable philosophie politique qui était celle de la « reconquête du
territoire ». Née d'une démarche concertée, redonnant confiance à l'ensemble
des acteurs du territoire, elle était dépourvue de cette arrogance habituelle
de la technocratie d'Etat. Malheureusement, cela ne transparaît pas tout à fait
dans votre texte.
Votre projet traduit les orientations politiques tracées par les CIADT de
décembre 1997 et décembre 1998.
Les choix stratégiques retenus sont en rupture avec la politique précédente.
Cela est vrai sur plusieurs points.
Vous souhaitez ainsi consolider les systèmes urbains à vocation
internationale. Vous persistez à affirmer la prééminence du fait urbain au
détriment de la ruralité.
Nous ne constestons pas l'importance pour la France d'avoir, dans un ensemble
européen équilibré, des pôles urbains dynamiques et attractifs sur le plan
économique, notamment pour l'implantation des entreprises et le développement
des échanges. Il ne faudrait cependant pas que cela se fasse dans l'oubli du
reste du territoire.
Je sais bien que, pour vous, abandonner le Plan pour les espaces ruraux
signifie « dépasser les oppositions traditionnelles entre l'urbain et le rural,
le centre et la périphérie », qui ne rendraient plus compte des enjeux actuels
de proximité, de quotidienneté, de cohésion sociale. Je m'interroge à ce sujet
sur la capacité de votre nouvelle organisation à remplir de tels objectifs.
Vous faites confiance, pour y parvenir, à la nouvelle communauté
d'agglomération et au « pays ».
Ainsi, pour vous, le paysage administratif de l'aménagement du territoire
s'articule autour de l'Etat, de la région, de la communauté d'agglomération et
du pays.
Vous y voyez le moyen de « passer d'une logique de guichet à une logique de
projet ». Mais vous semblez surtout attachée à nier le fait communal et le fait
départemental dans leurs spécificités françaises. Cela ne nous semble pas
correspondre à la sociologie de notre pays.
Les faits sont souvent têtus et, comme l'a dit très justement à cette tribune
M. Pierre Mauroy lors d'un débat sur la décentralisation en novembre dernier :
« Le Premier ministre qui fera disparaître les conseil généraux n'est pas
encore né. » Nous en sommes bien sûr convaincus. Mais cela peut-il nous
rassurer pour autant ?
Votre méthode, en effet, nous inquiète. Les critiques sont d'ailleurs
nombreuses.
Fallait-il réviser aussi vite la loi Pasqua-Hoeffel ? Il convient d'être juste
sur son application, correctement réalisée dans la période qui a suivi sa
promulgation, compte tenu des circonstances politiques diverses des années 1995
à 1997.
Vos choix stratégiques se retrouvant dans plusieurs projets de loi présentant
une cohérence d'ensemble, certaines dispositions se complètent. Il nous est
donc difficile de légiférer dans de bonnes conditions.
Des textes complexes et importants pour notre vie locale, tels que les projets
relatifs aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations
ou à l'intercommunalité, sont examinés dans l'urgence, intercalés avec des
textes politiquement majeurs relatifs aux problèmes de société, tels que les
projets relatifs à la parité et au PACS.
Comment ainsi appréhender tous les effets de la loi ? Comment, par exemple, le
fait d'instituer des maisons de services publics ne revient-il pas à transférer
encore des charges sur les collectivités locales ?
Comment nier que le pays pourra devenir un jour un échelon administratif si on
lui donne les moyens de le devenir ? N'avez-vous pas vous-même affirmé, madame
la ministre, que ce n'était qu'un premier pas vers une expression plus
démocratique de ces communautés ? Cela me semble tout simplement constituer, à
terme, une discrète révolution institutionnelle en douceur.
A tout cela s'ajoute une méthode critiquable consistant à faire, sur le
terrain, comme si la loi était déjà votée. Nier l'utilité du Parlement me
semble très dangereux.
Enfin, notre position, expression d'une réflexion menée collectivement,
rejoint parfaitement les conclusions de notre commission spéciale sur de
nombreux points.
Je souhaite bien entendu, au nom de mon groupe, saluer l'excellent travail
effectué par nos trois rapporteurs, MM. Gérard Larcher, Charles Revet et Claude
Belot. Le choix de la commission spéciale, prôné par le président Jean
François-Poncet, a permis une vision transversale utile dans la continuité avec
la méthode antérieure retenue par le Sénat.
Nous nous réjouissons ainsi que le contrôle du Parlement sur la politique
d'aménagement du territoire ait pu être renforcé dans ce texte. La délégation
parlementaire est une heureuse initiative et nous approuvons l'élargissement de
ses possibilités d'action.
Il convient cependant de bien indiquer dans la loi que ses attributions
portent sur tous les schémas directeurs.
Nous sommes nombreux à déplorer l'abandon du plan pour le monde rural.
L'option retenue par le projet de loi de prévoir un schéma des espaces
naturels et ruraux nous semble dangereuse.
Elle concrétise en effet une confusion regrettable entre espaces naturels et
espaces ruraux, qui peut à terme aller à l'encontre du développement du monde
rural et de la reconquête du territoire national. Il nous paraît indispensable
de revenir à une conception plus dynamique et équilibrée de l'espace rural, qui
ne doit pas être réduit à des fonctions récréatives ou, comme je l'ai appris
grâce aux travaux de votre ministère, à des « lieux de production d'aménités
récréatives ».
(Sourires.)
J'avoue que je ne connaissais pas ce terme. Je suppose que
c'est la conception nouvelle de la récréation !
(Nouveaux sourires.)
Cet espace rural doit cependant pouvoir bénéficier de politiques de
développement économique.
Nous avions donc prôné l'inscription dans la loi d'un schéma spécifique pour
l'espace rural, reprenant les grands axes du plan préparé par notre collègue et
ami, l'ancien ministre Jean-Claude Gaudin. L'option finalement retenue par la
commission spéciale, mettant bien en exergue un schéma des territoires ruraux
et des espaces naturels, nous satisfait à la fois dans la méthode et dans le
contenu.
Nous restons en outre attachés à un schéma national de synthèse, comme
l'exposera plus en détail notre collègue Jean-Pierre Raffarin.
Etablir des schémas directeurs et de services, maintenir la loi sur les zones
de revitalisation rurale, favoriser l'implantation des entreprises dans
l'ensemble des territoires, tout cela concourt bien à la reconquête du
territoire que nous appelons de nos voeux.
Celle-ci passe aussi par la péréquation financière, principe que la commission
spéciale réaffirme avec vigueur et que le maintien de l'article 68 de la loi
Pasqua-Hoeffel conforte. Nous souhaiterions à cet égard, madame la ministre,
que vos services travaillent à la mise en oeuvre effective de cet article 68 et
que le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie et celui de
l'intérieur établissent les simulations nécessaires.
Nous soutenons également les propositions de la commission spéciale sur la
notion de collectivité chef de file. Nous nous félicitons de l'accord obtenu
par nos collègues représentant les principales associations d'élus. C'est là un
bon travail à mettre au crédit de la Haute Assemblée.
S'agissant du pays, nous restons plus partagés, comme le souligneront quelques
amendements et interventions de mes collègues. Certains veulent des pays plus
forts, d'autres souhaiteraient conserver la plus grande souplesse possible, ce
qui pourrait passer en particulier par la simple association.
Les pays constitués depuis 1995 l'ont été avec l'accord, l'appui, la volonté
des partenaires institutionnels « traditionnels » que sont les communes, les
départements et les régions. Cette donnée demeurera. Le pays doit rester un
espace de projets, un creuset des initiatives locales.
S'agissant des transports, conserver l'idée de la loi de 1995 selon laquelle
aucune partie du territoire ne doit être située à plus de cinquante kilomètres
ou de quarante-cinq minutes d'automobile des infrastructures est indispensable
pour le désenclavement. Nous la soutiendrons avec force.
Nous défendrons également la place du département dans les procédures. Nous
veillerons à rappeler l'importance des compétences transférées par la
décentralisation, même si nous ne sommes pas hostiles à l'engagement d'une
réflexion tendant à revoir certaines répartitions. Sur ce point, notre mission
d'information sur la décentralisation nous aidera à y voir plus clair. Nous
insisterons enfin sur la nécessité de parfaire la déconcentration des services
de l'Etat, qui a malheureusement trop tendance à être oubliée.
Permettez-moi maintenant, madame la ministre, de dire quelques mots sur les
zones les plus fragiles de notre espace rural, y compris bien entendu les zones
de montagne, bien oubliées dans votre projet de loi, sinon pour souligner
l'intérêt que présentent leurs espaces naturels.
Loin de nous l'idée d'opposer la ville à la campagne, lieux d'échanges et de
solidarité qu'il faut sans doute conforter ; mais attendre de la ville qu'elle
féconde ces espaces me semble irréaliste.
La ville n'est pas seule à créer des richesses. Prédéterminer la place de
chacun, c'est ne pas laisser de place à la liberté d'entreprendre. Il est du
devoir de l'Etat d'y veiller. Pour ce faire, il faut réduire les inégalités les
plus profondes en garantissant la cohésion. C'est cette démarche qui manque à
votre projet et je le regrette.
Parler de handicap n'a jamais voulu dire manquer d'esprit d'imagination et
d'innovation. Nier cette réalité, c'est refuser de reconnaître l'utilité de ces
espaces dans leur réalité économique.
Quel que soit le territoire de notre pays, il doit avoir son propre
développement, sa propre dynamique, qui, même dans des zones de sous-densité,
enrichissent l'ensemble de notre communauté.
C'est dire l'inquiétude qu'a suscitée chez nous le schéma des espaces naturels
et ruraux dont j'ai eu l'occasion de parler il y a quelques instants !
Enfin, en conclusion, je dirai que, dans ce monde en pleine évolution, nous
avons conscience que notre société va vivre dans les prochaines années une
profonde mutation, que l'aménagement du territoire doit résolument prendre en
compte.
Aménager le territoire, c'est respecter les hommes, respecter leur choix de
vivre et de travailler sur le territoire qu'ils ont choisi, qu'il soit urbain
ou rural, et leur en donner les moyens.
Dans toutes les décisions d'organisation du territoire, qui concernent,
rappelons-le, l'ensemble des ministères, nous devons toujours avoir à l'esprit
que l'homme doit rester, comme l'a dit notre collègue Charles Revet, au centre
de cet aménagement et y trouver sa juste place.
(Applaudissements sur les
travées des Républicains et Indépendants, du RPR, de l'Union centriste, ainsi
que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. André Boyer.
M. André Boyer.
Vous nous proposez aujourd'hui, madame la ministre, une révision de la loi du
4 février 1995 qui se fonde sur une autre vision de l'aménagement et du
développement du territoire.
Recherche d'un nouvel équilibre entre l'Etat et les autres acteurs de
l'aménagement du territoire, préservation des espaces, nécessité de constituer
des territoires pertinents autour de projets, tels ont été les principes qui
ont guidé votre réflexion.
Les dispositions contenues dans ce projet de loi d'orientation couvrent un
champ très large. Je n'entrerai pas dans le détail de vos propositions -
d'autres le feront - souhaitant axer mon intervention sur la politique des
pays.
Votre texte, madame la ministre, contient beaucoup de mots aimables, de
concepts attachants et presque enjôleurs : le « projet », la « charte », la «
maison » et, pour n'en retenir qu'un, le « pays ».
Si présent dans la chanson française - « Cher pays de mon enfance ! »,
« O
mon païs ! » -
dépassant la réalité géographique de son origine bas latine
et grandissant dans nos coeurs lorsqu'on s'en éloigne, le pays exprime une
valeur identitaire forte. Qui ne se reconnaît dans un pays ? Qui ne retrouve
sans plaisir son « pays », sa « payse » ? Qui n'a pas dans sa cave son petit
vin de pays ? Pays de cocagne bien sûr, que l'on veut de connaissances et non
pas de chimères.
Ce mot-là, comme les autres, vous ne l'avez pas inventé, madame la ministre.
La loi du 4 février 1995 a habilement donné une existence légale à ces
territoires identitaires qui forment la France « plurielle » décrite par
Fernand Braudel. « La France est diversifiée, triomphe du pluriel, de
l'hétérogène, du jamais tout à fait semblable, du jamais tout à fait vu
ailleurs », écrivait-il dans son ouvrage
l'Identité de la France
. Nous
partageons de bonnes lectures, monsieur le rapporteur !
Ce concept a suscité l'intérêt, sinon l'enthousiasme, des élus locaux. Mais,
aujourd'hui, pays, comme d'autres mots en grammaire, fait un peu figure de faux
ami. Il nous rassure, certes ; il nous permet de dépasser l'esprit de clocher
et les rivalités entre communes, encore vivaces il n'y a pas si longtemps. Mais
l'imprécision des rôles, des méthodes et des financements engendre des doutes,
des craintes, voire des oppositions.
Nous sommes sur le terrain, entre communes, regroupements de communes et
contrôle de légalité préfectoral, confrontés à des difficultés de plus en plus
nombreuses. Le citoyen, comme l'élu, a besoin de voir clair dans la répartition
des compétences et des rôles exercés par les uns et les autres.
Sans modifier la philosophie générale de la politique des pays prévue par la
loi de 1995, votre projet de loi essaie d'apporter des éléments concrets pour
avancer, dans le cadre d'un territoire de projets, en introduisant la notion de
charte et de contractualisation.
Mais il reste de nombreuses interrogations. Dans un souci de clarification,
permettez-moi de vous poser quelques questions brèves et simples.
Les contrats de plan s'élaborent actuellement entre l'Etat et la région pour
la période 2000-2006. Dans la région Midi-Pyrénées, on nous dit que ce contrat
devrait être « bouclé » dans les trois mois. Comment alors les pays qui ne sont
pas encore constitués, et rares sont ceux qui sont déjà reconnus, pourront-ils
y inscrire leurs projets ?
Madame la ministre, peut-être pourrez-vous préciser ce que vous avez dit dans
votre propos introductif à ce sujet.
Dans l'hypothèse où il recouvre une entité géographique à cheval sur plusieurs
départements et même plusieurs régions, le pays pourra-t-il prétendre à
l'inscription de son projet aux contrats de plan de deux régions différentes
pour obtenir des financements ?
Quelle sera la place respective des pays et des agglomérations ? Le texte est
à cet égard extrêmement flou. Sans doute faut-il considérer les deux démarches
comme complémentaires, mais il faudra, à l'évidence, éviter que les
agglomérations n'étouffent les pays.
Si j'ai bien compris, le pays est un espace d'identité et de programmation
dessinant une supracommunalité et fédérant les EPCI - établissements publics de
coopération intercommunale - sur des projets transversaux. Comment va
s'organiser l'harmonisation des compétences entre des structures à vocation
aussi diverses que des SIVOM - syndicats intercommunaux à vocation multiple -,
des districts ou des communautés de communes ?
Cette dernière réflexion m'amène à poser une autre question : j'entendis dire
que le pays a vocation à faire faire ; si ce n'est donc le groupement d'intérêt
public ou le syndicat mixte constitué, qui assurera la maîtrise d'ourage des
projets définis en commun ?
Enfin, ma dernière question touche à l'ouverture du partenariat à la société
civile. Souhaitable et nécessaire, cette ouverture rencontre dans les faits de
nombreuses réticences. Divers arguments viennent, avec plus ou moins de
bonheur, conforter cette attitude de recul : l'absence de représentativité
élective des partenaires, hors les représentants consulaires, la règle du « qui
paye décide »...
Le projet de loi instaure un conseil de développement dans chaque pays. Quel
sera le mode de désignation ou d'élection de ce conseil ? Quelle sera la place
du monde socioprofessionnel et associatif dans le collège des élus ?
Je connais, madame la ministre, un pays en quête de reconnaissance et de label
depuis deux ans déjà. Vous l'avez célébré vous-même, l'an passé, comme faisant
partie de cette Mecanic Valley riche en entreprises de la machine-outil, du
façonnage des métaux et de la sous-traitance automobile et aéronautique. S'y
trouvent également un des premiers confituriers d'Europe et un autre, parmi les
plus grands. Voilà une illustration éloquente d'un développement économique
performant dans une zone rurale !
Ce pays réunit cinq cantons qui appartiennent depuis 1792 à un même district
regroupant 38 000 habitants au passé historique et culturel commun. Ses
collectivités locales - il y a un établissement public de coopération
intercommunale par canton - évoluent depuis trois ans dans un contrat de
terroir en partenariat avec la région et le conseil général. La charte de pays
a été rédigée. Je veux parler du pays de la vallée de la Dordogne lotoise,
entre le Causse à l'herbe rare et parfumée et l'Auvergne aux riches
frondaisons, dont Henry Miller disait : « Rien ne m'empêchera de croire que
cette grande et pacifique région est destinée à demeurer éternellement un lieu
saint pour l'homme et, lorsque la grand ville aura fini d'exterminer les
poètes, leurs successeurs trouveront ici refuge et berceau. Il se peut qu'un
jour la France cesse d'exister mais la Dordogne survivra comme les rêves dont
se nourrit l'âme humaine. »
(Très bien ! sur les travées socialistes, ainsi
que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Ce pays est beau, et nous le protégeons. Mais il n'est pas seulement figé en
des paysages et des châteaux ; il est aussi actif, vivant, porteur de projets
et d'actions. Donnez-nous les moyens de l'efficacité afin que nous puissions
continuer à y vivre en travaillant.
Ce pays, vous l'avez deviné, madame la ministre, c'est le mien. En y
retournant, après avoir bien sûr voté les textes proposés par vous-même, par M.
Emile Zuccarelli et par M. Jean-Pierre Chevènement, j'irai, comme beaucoup
d'entre nous, devant des maires pour leur en expliquer la portée. Je souhaite
pouvoir leur dire que nous avons forgé, au terme de nos discussions, avec cette
loi, un outil bien conçu, maniable et suffisamment précis, qui les aidera à
faire vivre notre territoire.
(Applaudissements sur les travées du RDSE
ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Oudin.
M. Jacques Oudin.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, quatre ans
après la loi du 4 février 1995, était-il vraiment nécessaire de modifier
profondément notre approche de l'aménagement du territoire ?
Le texte de 1995 avait été élaboré après une concertation approfondie et il
avait fait l'objet d'un vaste consensus, comme l'a rappelé M. le président de
la commission spéciale.
Mais, dès l'été 1997, madame le ministre, vous estimiez que, si les Français
avaient changé de majorité politique, c'était bien pour changer de politique et
que l'aménagement du territoire n'échapperait pas à ce vent du changement.
Si l'on fait abstraction des déclarations d'intention et des dispositions
d'ordre secondaire, votre projet de loi modifie un aspect essentiel de notre
politique d'aménagement du territoire : il s'agit de la suppression des schémas
sectoriels, c'est-à-dire de ces politiques d'équipement dont la France s'est
dotée depuis plusieurs décennies.
Dans le domaine des infrastructures, notamment de transport, la réussite de
toute politique dépend de la pérennité de l'action, du maillage cohérent des
différents réseaux et de la pertinence de modalités de financement adaptées à
la lourdeur de ces investissements.
Que vous l'admettiez ou non, la demande de transport de notre société croît de
façon inéluctable.
L'échange est à la base même du développement économique et social : des
siècles d'histoire nous l'ont montré ; les décennies passées et toutes les
projections futures ont confirmé ces tendances profondes.
Le taux de croissance des échanges de personnes et de marchandises est
toujours supérieur à celui de la richesse nationale. La mondialisation n'a fait
qu'accentuer ce phénomène. La construction de l'espace européen a multiplié les
échanges entre nations voisines, et la France en a bénéficié plus que d'autres,
car elle se trouve située au coeur du dispositif des transports européens, à
quelques exceptions près.
Dès votre arrivée aux affaires, vous avez suspendu la réalisation du canal
Rhin-Rhône. Vous avez appelé de vos voeux un moratoire autoroutier, qui ne vous
a pas été accordé, mais qui se traduit par le gel ou le report de la
réalisation de plus de 1 200 kilomètres de liaisons autoroutières.
Le Sénat s'était ému de ce changement brutal et profond : l'excellent rapport
de notre commission d'enquête, remis en juin 1998, a fait une analyse
approfondie des secteurs autoroutier, ferroviaire et fluvial, en soulignant
l'impérieuse nécessité de poursuivre, quitte à l'adapter, une politique qui
répond à des besoins urgents. Cela, à l'évidence, ne vous a pas convaincue.
Ainsi, les schémas sectoriels concernant les routes et autoroutes, le réseau
ferré, le réseau fluvial, les ports et les aéroports seront remplacés par des
schémas dits « de services » dont, malheureusement, personne ne sait au juste
ce qu'ils recouvriront ni ce qu'ils comporteront.
A juste titre, la commission spéciale propose de réintroduire le mot «
équipements » dans la dénomination de ces schémas.
Il est certain qu'une meilleure utilisation des infrastructures existantes est
indispensable, mais il est également indéniable que nous avons besoin
d'équipements et d'aménagements nouveaux dans tous les domaines
d'infrastructures de transports.
Il est certain que notre préoccupation est de répondre au mieux à la demande
de la population et des agents économiques, mais il est inexact de dire que la
politique menée jusqu'à présent n'a été qu'une politique de l'offre éloignée
des besoins réels.
Il est certain qu'une meilleure coordination intermodale est un impératif,
mais il est illusoire de penser que l'intermodalité éliminera, comme par magie,
les insuffisances de capacité et pourra nous dispenser de poursuivre nos
efforts d'équipement.
Il est certain, enfin, qu'une meilleure insertion de tous ces aménagements
dans notre environnement correspond à une aspiration profonde de nos
concitoyens, mais il serait contraire à la vérité de ne pas mentionner les
efforts considérables engagés depuis une dizaine d'années pour mieux concilier
équipement et environnement.
A cet effet, nous avons voté la loi sur les paysages, la loi sur l'eau et la
loi sur l'air, pour ne citer que ces trois textes. Les contraintes que nous
avons imposées ont eu pour effet de majorer le coût de certains équipements :
par exemple, celui du kilomètre d'autoroute a augmenté de 40 % en cinq ans. Une
telle croissance était le prix à payer pour que nos concitoyens acceptent la
poursuite de notre effort d'équipement.
Nous n'y reviendrons pas, mais cette évolution me permet de souligner
l'incohérence qu'il y a à vouloir opposer « développement durable » et «
infrastructures d'équipement ». Ces infrastructures sont par nature durables et
soutiennent le développement. En revanche, il faut, c'est vrai, les rendre
supportables et acceptables par la population.
Une politique dynamique et cohérente d'infrastructures de transport est donc
indispensable. Elle doit s'appuyer sur une analyse sectorielle et mettre en
place, en même temps, une action intermodale, car chaque mode de transports
correspond à un besoin spécifique. Quoi que vous disiez, le chemin de fer ne
remplacera jamais la route en matière de liaisons interurbaines.
J'approuve donc les conclusions de la commission spéciale quand elle estime
qu'il convient de revenir aux schémas sectoriels, même si on les appelle
désormais « schémas d'équipements et de services ».
La France a besoin d'avoir une politique portuaire, car l'ensemble des ports
français n'atteint pas le tonnage du port de Rotterdam.
La France doit avoir des plates-formes aéroportuaires qui se situent aux
premières places du classement mondial.
La France ne saurait se désintéresser, comme l'a rappelé notre collègue Daniel
Hoeffel, de son réseau fluvial, même si son importance dans le système de
transport est faible.
La France, enfin, de par sa position géographique, est au coeur de l'Europe
des transports, plus particulièrement en ce qui concerne les liaisons
ferroviaires et autoroutières.
Cela dit, compte tenu de la croissance et de l'urgence des besoins, je
souhaiterais mettre l'accent sur l'impérieuse nécessité d'une politique
autoroutière audacieuse. Une telle politique n'aurait aucune justification si
elle n'était pas fondée sur des besoins évidents et croissants. Or telle est
bien la situation que nous connaissons, en France comme dans toute l'Europe.
La croissance du trafic routier, cela a été rappelé par le président Jean
François-Poncet, a augmenté de 230 % en vingt-cinq ans ; les taux
correspondants pour les quinze prochaines années varient entre 50 % et 100 %,
que ce soit pour les voyageurs ou les marchandises. Ces chiffres émanent des
études prospectives actuellement menées par la direction des routes. Ces études
font apparaître que la demande en matière de transport routier sera, quelles
que soient les hypothèses retenues, supérieure à la croissance, que, parmi les
modes de transport, la route en général a le plus fort taux d'augmentation,
tant pour les voyageurs que pour les marchandises, et enfin que, au sein de
l'ensemble routier, le taux de croissance du trafic des autoroutes concédées
sera le plus fort.
Il se trouve que, dans le domaine économique, les faits et les chiffres sont
têtus. Vous ne pouvez ni les ignorer ni les modifier. A la limite, on peut
seulement envisager d'infléchir les tendances. Mais, dans aucun pays développé,
la croissance du trafic routier n'a pu être ni ralentie ni inversée par le
développement d'autres modes de transport. La route est condamnée à sauver
seule la route.
Certes, il s'agit non pas d'engorger les agglomérations par un trafic routier
inutile, mais de les relier entre elles et de prévoir des voies de
contournement. A l'intérieur de celles-ci, comme pour certaines liaisons de
voyageurs à moyenne distance, le trafic ferré a un rôle majeur à jouer.
Nous sommes donc conduits à mener une politique active de développement de nos
infrastructures routières et autoroutières pour cinq raisons essentielles : la
mobilité accrue et la motorisation croissante de notre société ; les besoins
des entreprises, dont les modes de production développent les flux tendus ; la
volonté de nos régions d'être désenclavées et reliées aux principaux pôles
urbains ; l'aménagement d'un maillage autoroutier européen, car la France est
une des principales plaques tournantes autoroutières de l'Europe, les poids
lourds étrangers représentant 20 % de notre trafic autoroutier.
La cinquième raison est peut-être encore plus déterminante : c'est la
nécessité de renforcer la sécurité des usagers de la route, car le réseau
autoroutier, qui draine 18 % du trafic total, génère moins de 3 % des 8 000
tués constatés sur nos routes.
Nous ne pouvons pas prendre de décision à long terme dans ce domaine sans nous
rappeler constamment que des kilomètres d'autoroutes en moins, ce sont
malheureusement des morts en plus.
Dès votre arrivée aux affaires, vous avez commencé à critiquer notre système
autoroutier pour justifier les mesures de freinage engagées par le
Gouvernement.
Vous avez indiqué que la France était saturée d'autoroutes et que le trafic ne
justifiait plus d'investissements nouveaux : cela est inexact, puisque nous
sommes derrière l'Allemagne, l'Italie, le Benelux et que nous allons bientôt
être dépassés par l'Espagne, qui met actuellement en service 500 kilomètres
d'autoroutes par an.
Vous avez estimé que le système autoroutier était dans une situation
financière critique, alors que notre réseau concédé est non seulement équilibré
mais excédentaire de près de huit milliards de francs, avec un trafic moyen de
24 000 véhicules par jour, c'est-à-dire au-delà du point d'équilibre, qui se
situe à 23 000 véhicules par jour. Si la situation financière était celle que
vous décrivez, comment le système autoroutier pourrait-il financer le fonds
d'investissement des transports terrestres et des voies navigables, le FITTVN,
et, par son intermédiaire, la voie ferrée et les voies navigables ?
Vous avez, enfin, dit que les réglementations européennes nous interdisaient
de maintenir le système actuel de concessions autoroutières. Il est exact qu'à
travers l'Europe nous avons voulu introduire davantage de transparence, de
concurrence et de clarté. Ces règles sont saines et il nous faut nous y
conformer. Cela nous imposera des changements. C'est pourquoi, pour ma part, je
proposerai, au cours de ce débat, une mutation profonde de notre dispositif
autoroutier.
En qualité de membre de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, je me
suis rendu trois fois à Bruxelles. J'y ai trouvé des interlocuteurs extrêmement
intéressés par le modèle autoroutier français, car il permet l'application du
principe de l'« utilisateur-payeur ». D'ailleurs, les autorités communautaires
étudient la possibilité de développer le péage électronique pour une meilleure
application de cette règle.
Pour ce qui est du fameux problème de l'adossement et de l'octroi des
nouvelles concessions, soyons clairs. Il faut que les conditions de concurrence
soient connues et affichées. Il faut que l'appréciation des différentes offres
puisse se faire dans la transparence. L'allongement éventuel d'une concession
doit pouvoir être comparé à une subvention équivalente. Mais il est
parfaitement possible que le système autoroutier puisse autofinancer les
avances remboursables nécessaires pour faire face au déséquilibre financier
temporaire de certaines sections nouvelles.
Puisque nous en sommes au chapitre financier, je voudrais attirer votre
attention et celle de mes collègues sur l'importance qui s'attache à une
définition précise des conditions de financement de nos grandes infrastructures
de transport.
Le principe de l'« utilisateur-payeur » doit être complété, dans le domaine de
l'aménagement du territoire, par celui de la solidarité nationale. Pour une
juste appréciation et des comparaisons exactes, il est cependant préférable de
connaître les ordres de grandeur et de les mesurer. A titre d'exemple, si un
kilomètre d'autoroute interurbaine coûte environ 50 millions de francs, 1 000
kilomètres reviennent donc à 50 milliards de francs, ce qui représente la
subvention annuelle de la collectivité nationale à l'ensemble du réseau
ferroviaire français.
L'enjeu du système de transport pour notre aménagement du territoire est
essentiel. Il en est de même pour les autres schémas. Dans ces conditions,
chacun comprendra que le Parlement ne saurait être exclu ni des débats ni des
décisions qui seront prises dans ce domaine. Les grands schémas d'aménagement
du territoire, quel que soit le nom qui leur sera donné, doivent être votés par
le Parlement et non pas décidés et modifiés par de simples décrets.
Nous avons attendu des années avant qu'une réforme de la Constitution permette
au Parlement de voter les lois de financement de la sécurité sociale. Il a
fallu des années avant que le Parlement, par le biais de l'article 88-4 de la
Constitution, puisse émettre des avis sur les actes communautaires à caractère
législatif.
Nous demandons donc dès maintenant que le Parlement puisse remplir pleinement
son rôle dans le domaine de l'aménagement et du développement de notre
territoire en débattant et en approuvant les schémas de services et
d'équipements. Ce sera la grande avancée démocratique que nous appelons de nos
voeux.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c'est un débat
utile, nécessaire même, que nous entamons aujourd'hui. Il permettra
d'actualiser la loi de 1995 sur l'aménagement et le développement du territoire
et de confirmer quelques-unes des innovations que celle-ci a introduites, comme
la notion de pays ou les schémas régionaux de services collectifs.
Ce débat a aussi le mérite de mettre au coeur de notre projet de civilisation
le concept de développement durable. Il s'agit là, certes, d'un concept encore
flou, mais qui ouvre des perspectives dans un monde où la croissance
démographique et les dégâts dus à l'activité humaine, notamment dans les pays
riches, risquent à terme de poser la question de la survie de l'humanité. C'est
à ce niveau-là aussi que le Sénat doit se situer.
Cette approbation générale de votre démarche, madame la ministre, se traduira
par les votes favorables que j'émettrai au fil de la discussion. Cependant,
elle n'exclut pas de solides réserves, que je voudrais maintenant esquisser.
S'agissant d'abord de la forme, le fait que le Gouvernement recoure à la
procédure d'urgence sur un texte relatif à l'aménagement du territoire est
étonnant. En effet, s'il est un sujet sur lequel il faut que le débat
parlementaire prenne son temps et multiplie les navettes, sans parler d'une
large concertation en amont, c'est bien celui-là. D'autant que l'on aborde, à
cette occasion, des domaines sensibles aux yeux des élus nationaux et locaux,
tels que l'organisation de la coopération intercommunale avec les pays et les
communautés d'agglomération et la place des services publics.
Ce texte touche à l'équilibre entre l'Etat et les collectivités territoriales,
sujet qui, depuis l'entrée en vigueur des lois de décentralisation, a suscité,
à bon droit, controverses et passion.
Oui, il fallait prendre son temps, et ce pour deux raisons.
D'abord, le texte qui nous arrive de l'Assemblée nationale est truffé de
surcharges et de pétitions de principe. C'est tout sauf un texte de loi concis,
précis, aisément transposable en décrets. Précisément, il manquera le système
des navettes pour lui donner densité et justesse.
Ensuite, je ne me retrouve pas vraiment dans l'hymne à la civilisation urbaine
que sous-tendent quelques-uns des principaux articles, pas plus que je ne me
retrouve dans une forme de ruralisme que cultive la majorité du Sénat.
Le rural n'est plus, sauf exception, cette zone agricole touchée par la
déprise et les friches, minée par le vieillissement de la population. Mais
l'urbain, c'est aussi les quartiers périphériques générateurs de violence, où
se perd l'état de droit ; ce sont les centres-villes qui se dépeuplent.
Beaucoup d'experts, de hauts fonctionnaires et quelques hommes politiques
croient s'en tirer en assénant que 80% de la population vivent dans les villes,
alors que cette assertion repose sur une interprétation contestable des
critères techniques de l'INSEE appliqués au recensement : est réputée urbaine
toute agglomération qui compte plus de 2000 habitants.
Ce faux débat occulte un fait que le recensement va confirmer : nos
concitoyens plébiscitent désormais un mode de vie urbain, dans un cadre de vie
rural ou de petites villes. Bref, on est loin du débat traditionnel qui tient
lieu de pensée unique en matière d'aménagement du territoire.
Telle est mon objection sur la forme ; vous voyez qu'elle débouche sur le
fond.
S'agissant de quelques-uns des choix concrets que vous nous proposez, mon
jugement sera beaucoup plus favorable. J'approuve votre conception des pays et
je regrette que l'Assemblée nationale l'ait rendue confuse et inutilement
compliquée. En revanche, je ne peux accepter que nos collègues de la majorité
du Sénat veuillent supprimer le « conseil de développement ».
Je me suis assez battu, y compris dans le débat sur la loi Pasqua ou à la tête
des comités de bassin d'emploi, afin que les partenaires socio-économiques et
la société civile soient associés à tout projet de développement territorial
pour ne pas me réjouir de cette avancée considérable que vous nous proposez,
madame la ministre. Il n'y aura pas de mobilisation de la population sans
l'instauration de cette forme de démocratie participative.
Je souhaite néanmoins que vous nous rassuriez, une fois encore, sur la nature
de l'intervention de l'Etat dans la mise en place de ces nouvelles formes de
solidarité à l'échelle d'une petite région. Confirmez-nous qu'il n'y a pas de «
découpage » préétabli dans les cartons de la DATAR et que le rôle du préfet se
bornera à « constater » la volonté de travailler ensemble des acteurs de
terrain. Tout autre démarche visant à forcer l'allure se retournerait contre
l'objectif poursuivi et constituerait une atteinte aux libertés communales, que
nous ne pourrions accepter.
S'agissant de l'épineux problème des schémas de services collectifs, vous
n'avez pas tort de souligner que le précédent gouvernement n'a pas su ou n'a
pas voulu mettre en place l'ambitieux « schéma national » prévu par la loi
Pasqua. Fallait-il pour autant en abandonner l'idée ? Faut-il, en outre,
écarter le Parlement de ce débat fondamental qu'est l'implantation de ces
services dont la nation attend une répartition équilibrée?
Je vois bien les risques de surenchères que vous redoutez. Pourtant, comment
expliquer la disparition de l'alinéa 2 de l'article 29 de la loi de 1995, qui
prévoyait une « compensation » financière du budget général aux missions fixées
par l'Etat aux entreprises publiques ? Vous connaissez mon engagement en faveur
des services publics et vous ne serez pas étonnée, madame la ministre, si je ne
vote pas, en l'état, ce texte.
Je suis également en désaccord s'agissant d'une « verrue », l'article 15
bis,
qui traite du « service universel postal ». Mais il est vrai que
cela ne relève pas de votre responsabilité.
Si n'est pas confirmé l'engagement de présenter très rapidement une loi
d'orientation sur le service public postal, je réitérerai mon incompréhension.
La Poste est en danger, et je connais trop les médecines ultralibérales que
certains préparent, y compris dans notre Haute Assemblée, pour ne pas prendre à
cette occasion toutes mes responsabilités.
Enfin, pour ce qui est des conditions financières du développement économique
équilibré des territoires, cette fois, mon avis est partagé. Mes collègues de
la majorité sénatoriale s'émeuvent de la minceur des propositions en la
matière. Mais ce sont eux qui ont accepté de fondre six fonds sectoriels en un
seul, le FNADT, dans la loi de 1995. Et ils s'étonnent aujourd'hui que Bercy
ait profité de leur naïveté pour obtenir des contractions de crédits.
D'ailleurs, depuis votre arrivée, au Gouvernement, est intervenu un
redressement, il faut vous en donner acte.
En outre, ils n'ont pu obtenir de leurs gouvernements la mise en place du
fonds destiné à la création d'entreprises dans les cantons ruraux en déclin,
malgré le vote du Parlement voilà quatre ans. Et ils voudraient aujourd'hui
remédier à ces carences en reprenant une partie des dispositifs prévus par la
proposition de loi Raffarin.
Si j'approuve l'intention et, pour partie, les idées, je m'interroge sur la
méthode. Ces dispositifs sont délicats à mettre en oeuvre ; leur compatibilité
avec les règles concernant la concurrence n'est pas facile ; leur insertion
dans les circuits de financement bancaire est problématique, sans parler de
l'effort de formation des hommes ou des femmes que cela suppose.
Bref, s'il est nécessaire de légiférer, il faut élaborer un texte spécifique.
Il appartient au Gouvernement de choisir la voie et le moment. D'ici là, le
débat qui aura lieu, et c'est heureux, dans notre assemblée aura éclairé son
opinion.
Je formulerai la même remarque à propos des articles traitant pêle-mêle du
POS, des chemins ruraux, voire des agences d'urbanisme, autant de sujets
sérieux qu'il faut traiter sérieusement.
En revanche, j'apprécie beaucoup la confirmation législative des « maisons des
services publics », auxquelles je crois.
Je constate également avec plaisir la disparition de la notion d'agence
postale communale, destinée à masquer un transfert indû de charges sur les
petites communes.
Je suis, surtout, très satisfait des articles qui rétablissent le lien entre
le schéma des transports de voyageurs et celui des transports de marchandises.
A cette occasion, la notion de « multimodal » devient l'orientation majeure, et
c'est un progrès considérable. C'est l'un des points sur lesquels le projet de
loi est le plus porteur d'avenir. Je formulerai la même approbation sur le
schéma de l'énergie qui ouvre la voie à des évolutions, fussent-elles
lentes.
Il reste le délicat problème de la péréquation et de la réduction des
inégalités territoriales. J'entends avec intérêt mes collègues de la majorité
sénatoriale regretter bruyamment le dispositif imaginé en 1995, sur proposition
du président François-Poncet. Mais c'est aux deux précédents gouvernements que
le reproche s'adresse.
Plus fondamentalement, ce qui compte, ce sont les mesures effectives de
péréquation des ressources, tout particulièrement pour ce qui est de la taxe
professionnelle. Sur ce sujet brûlant, je trouve les mêmes moins allant.
Pourtant, la question reste posée : le dispositif de la loi de finances de 1999
sur l'exonération de la part salariale, par ses effets indirects, ou la taxe
unique d'agglomération ne corrigera qu'à la longue des disparités choquantes
actuelles, et le temps presse.
Puisque s'exprime aujourd'hui à la tribune un miraculeux consensus, il vous
revient de pousser les feux, madame la ministre : il est urgent de remédier aux
inégalités criantes qui s'aggravent entre le bassin parisien et le reste de la
France et, au sein même de l'Ile-de-France, entre l'Est et l'Ouest, si vous me
permettez cette simplification un peu hâtive.
Proposez, par exemple, d'accroître la part du fonds de péréquation de la taxe
professionnelle dans le reversement aux collectivités territoriales, dont les
ressources sont inférieures à la moyenne nationale. Vous comblerez les voeux de
la commission spéciale et vous appliquerez l'esprit de la loi de 1995.
Comme vous le voyez, j'aborde ce débat sans
a priori
ni dogmatisme,
dans un état d'esprit globalement favorable. J'espère que de notre échange, au
sein de notre assemblée, sortira un texte dépouillé et plus net encore dans ses
orientations. Je soutiendrai, tout au long de ce débat, les orientations que
vous nous aurez données.
(Applaudissements sur les travées socialistes,
ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans
l'aménagement du territoire, la région d'Ile-de-France occupe une place
importante et souvent première. Il est vrai que, pour beaucoup de Français,
l'Ile-de-France serait riche, privilégiée, tentaculaire, focalisatrice de
talents, de modernité, de progression de population, et tout cela grâce à un
soutien excessif de l'Etat et au détriment des autres régions françaises.
Implicitement ou explicitement, cette vision a été celle des gouvernements qui
se sont succédé depuis la restructuration de la région parisienne, en 1967, en
huit départements. Elle a conduit au schéma directeur de la région
d'Ile-de-France, le SDRIF, aujourd'hui devenu archaïque, inadapté, constituant
un carcan au développement de l'Ile-de-France et privant le pays dans son
ensemble d'une partie de son savoir-faire et de l'activité qu'elle génère.
Ce SDRIF prévoyait un arrêt du développement démographique et organisait la
désindustrialisation, aidé en cela par la DATAR.
Les orientations retenues conduisaient à un transfert financier vers les
autres régions de France. Le montant des transferts sociaux de l'Ile-de-France
vers la province s'élève à plus de 150 milliards de francs par an.
L'Ile-de-France contribuait, à hauteur de 28 %, aux recettes de l'Etat, ne
recevant en retour que 19 % des investissements publics.
Madame la ministre, le SDRIF proposé par Michel Rocard en 1994 doit être
profondément modifié, pour éviter que la politique actuelle ne fasse régresser
l'Ile-de-France, avec le basculement de territoires dans la pauvreté et le
retard des institutions.
Ce danger est-il réel ? Notre analyse est-elle sérieuse ? Je souhaite
m'appuyer, précisément, sur l'analyse de M. Duport, préfet de région, qui prône
une stratégie radicalement nouvelle, avis que nous partageons, et que nous
retrouvons dans le document « Stratégie de l'Etat en Ile-de-France ».
Nous ne fondons pas notre position sur le but poursuivi : faire de
l'Ile-de-France la capitale ouest de l'Europe. Notre analyse s'attache, en
priorité, aux besoins de vie des onze millions de Franciliens.
Mais M. le préfet de région a raison lorsque ; constatant une forte croissance
du chômage, de la précarité et des disparités de revenus, l'existence de 1,5
million d'exclus, générant une dualisation territoriale renforcée, alarmante,
devenant le problème numéro un de l'Ile-de-France, il écrit ceci : « Cette
dualisation sociale est aggravée par une ségrégation résidentielle croissante
qui entraîne, sur l'ensemble de la région, l'apparition de poches localisées de
pauvreté, mais surtout qui provoque le décrochage de territoires dépassant de
loin l'échelle des cités et englobant le nord et l'est de l'agglomération et
les quartiers du centre et de l'est de Paris.
« Ces territoires, fortement touchés par la désindustrialisation et parfois
enclavés, présentent un tissu urbain dégradé, marqué par les friches
industrielles, la brutalité du paysage, la juxtaposition de zones
pavillonnaires et de grands ensembles, et les coupures urbaines dues aux
nombreuses infrastructures de transport mal insérées dans leur environnement.
»
Vous le noterez, nous ne sommes plus à constater l'existence de cités, de
villes, de quartiers marqués par le rejet, l'exclusion, le non-droit. Nous
définissons des territoires qui représentent le nord et l'est de
l'Ile-de-France, mais aussi - et c'est nouveau ! -, les quartiers du centre et
de l'est de Paris.
Cet ensemble de territoires représente près du quart de l'Ile-de-France.
Les communistes, qui se sont réunis le 11 décembre 1998 pour en débattre, ont
constaté que, en Ile-de-France, se côtoient la richesse la plus insolente, le
record de France d'assujettis à l'impôt sur les grandes fortunes et une
pauvreté insoutenable, le record du nombre des chômeurs, des précaires, des
RMIstes ».
C'est ce que constate également, madame la ministre, l'article 35 du projet de
loi qui nous est soumis, sur lequel nous reviendrons lors de la discussion des
articles en en proposant une autre rédaction.
Le deuxième alinéa de cet article dispose : « A titre transitoire, ces
nouvelles dispositions ne prendront effet qu'à la prochaine révision du schéma
directeur de la région d'Ile-de-France selon les modalités prévues au huitième
alinéa du présent article. »
Les objectifs que l'on cherche à atteindre sont donc de trois types : d'abord,
croissance urbaine et démographique ; ensuite, correction des disparités
spaciales, sociales et économiques, et nous ajoutons « culturelles », avec
coordination des offres de développement ; enfin, développement durable de la
région.
Mes chers collègues, en clair, cela signifie qu'il ne faut plus s'opposer à
l'accroissement de la population qui, par le jeu du renouvellement des
générations, pourra atteindre 14 millions d'habitants.
Cela signifie que la DATAR doit cesser d'organiser le départ des entreprises
des huit départements et de Paris.
Le nombre de chômeurs est de 580 000, dont 40 % se trouvent en
Seine-Saint-Denis et à Paris. Le nombre de salariés dans l'industrie s'élève à
747 000. Pour ne plus voir ces deux indicateurs se rapprocher, il convient de
conserver à l'Ile-de-France ses 62 000 établissements industriels, qui
représentent encore 15 % de l'emploi francilien, pourcentage qui ne doit plus
décroître.
Fabrication d'équipements électriques, électroniques, imprimerie,
aéronautique, chimie et métallurgie sont des branches à redévelopper ; il faut
aussi reconvertir l'armement et moderniser la recherche. Je voudrais insister
sur ce dernier point. Le rapport « SDRIF et université » visait à réduire la
part francilienne du nombre d'étudiants en France, objectif atteint,
pouvons-nous dire, puisque l'Ile-de-France accueille 25 % des étudiants
français contre 33 % en 1982. Entre 1985 et 1996, le nombre d'étudiants s'est
accru de 51 % en France et de 27 % en Ile-de-France. Depuis dix ans, les
universités de Paris et de la petite couronne ont été délaissées.
L'effort qui doit être accompli pour répondre à votre politique, madame la
ministre, est important, car les deux tiers du parc parisien sont à revoir.
Restaurants et logements universitaires, locaux sportifs, espaces culturels
appellent de sérieux investissements. Dans ce domaine également, il convient de
faire reculer les inégalités. Je pense notamment, à cet égard, aux universités
du Val-de-Marne, de la Seine-Saint-Denis et du centre de Paris qui accueillent
les étudiants vivant en zone urbaine sensible. J'en veux pour preuve le taux de
réussite au baccalauréat de l'académie de Créteil, qui est le plus faible de
France.
Quant à la recherche, l'Ile-de-France conserve encore un taux de 45 % de
l'activité française, mais sa part dans les brevets européens a diminué de 14 %
de 1990 à 1996.
On assiste à un vieillissement des équipes de recherche et des équipements. Le
pôle scientifique d'Orsay rencontre, vous le savez, des difficultés de
fonctionnement.
Je profite de ce constat pour noter que la part de la province ne bénéficie
nullement de cette baisse francilienne. La part des brevets de province a
baissé également de 3%. C'est donc bien la France tout entière qui est
pénalisée par la baisse de la recherche et de l'université franciliennes.
Emplois industriels, enseignement supérieur et recherche sont deux pôles
d'intervention pour regagner de nombreuses pertes et reculs économiques et
sociaux.
Mais la redynamique francilienne passe également par une politique nouvelle en
matière de transports collectifs et de logement.
En matière de logement, l'Ile-de-France est au premier rang des régions à
difficulté, avec 400 000 inscrits au fichier de ce que l'on appelle les «
cumuls/logements » ; 280 000 logements sont à réhabiliter, dont 118 000 à
Paris.
M. le préfet de région a raison de dire que la crise du logement est
l'obstacle majeur du développement de l'Ile-de-France.
Le SDRIF constituait un obstacle à la construction, à la réhabilitation de
logements. Il a été facteur d'aggravation de la situation : il a augmenté le
retard dans la constitution de 100 000 logements ; il a accentué les
déséquilibres, certaines communes ayant 70 % de résidence HLM, alors que
d'autres, comme les Hauts-de-Seine, en ont moins de 5 % ; l'Ile-de-France
compte 174 zones urbaines sensibles dégradées, parfois - vous le savez -
marginalisées ; les grands ensembles construits à partir des années cinquante
ont vieilli, sont partis parfois à la dérive, prêts à basculer dans la grande
pauvreté. Ils sont situés pour 52 % en petite couronne et pour 45 % en grande
couronne.
Mais, madame la ministre, l'évolution majeure est que le parc HLM est passé,
en vingt ans, du logement des salariés au logement des plus pauvres.
La résorption des zones d'habitats dégradés s'étendant sur de véritables
territoires est certainement le premier remède à trouver pour une
transformation urbaine où le logement social de qualité et accessible
retrouvera toute sa place, permettant ainsi la mixité.
L'Etat doit retrouver la voie du financement social alors même que l'Etat est
financé, pourrions-nous dire, par le logement social : 80 % des sommes payées
par les locataires servent à payer les emprunts, les taxes et les impôts.
Les transports collectifs, vous le savez, constituent un autre axe majeur
d'interventions. Leur amélioration appelle de nouveaux investissements dans les
domaines ferré, fluvial, et routier. La convergence sur Paris doit
s'accompagner de voies transversales de banlieue à banlieue. Des réalisations
comme l'Orbitale et les tangentielles sont des exemples de transports
circulaires à développer. Des financements nouveaux s'imposent, avec la réforme
du syndicat des transports parisiens, devenu archaïque et inefficace. La
solution réside non pas, comme certains le proposent, dans la mise en place
d'une vignette supplémentaire payée par les automobilistes, mais plutôt dans la
participation renforcée des entreprises à des investissements dont elles
profitent largement. Nous proposons aussi de supprimer les péages dans
l'ensemble des territoires franciliens.
L'article 35 du projet de loi évoque la nécessaire coordination ; cette
dernière doit s'opérer, selon nous, par la mise en place d'un plan de
transports urbains audacieux. Elle est nécessaire, tout comme la réduction du
coût des transports pour les usagers les plus fragilisés, tels les chômeurs.
Mes chers collègues, j'en viens à un point qui peut susciter un débat au
Sénat. Nous entendons dire parfois que le développement francilien pourrait se
faire au détriment du reste du territoire.
Je partage l'avis du Gouvernement : il faut effectivement équilibrer, enrichir
et développer l'Ile-de-France, mais - et j'apporterai une nuance à cet égard -
non pas exclusivement pour en faire la capitale de l'ouest de l'Europe, mais
bien plutôt parce qu'il s'agit d'un atout pour les Franciliens, pour la France,
et donc pour toutes les régions françaises, pour l'Europe et pour le monde.
Monsieur Gérard Larcher, je ne partage pas vos motivations d'élargissement du
territoire francilien au Bassin parisien. Personne ne conteste l'existence d'un
Bassin parisien en termes géographiques. Mais de là à lui donner un schéma
directeur, coordonnant les schémas départementaux directeurs de la Bourgogne,
du Centre, de la Champagne, des Ardennes, de la Haute-Normandie et de la
Picardie, c'est un pas que nous ne franchirons pas.
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Vous avez tort !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Les réalités de vie, d'environnement, de priorités et de développement
demeurent spécifiques dans le cadre d'une politique nationale. Nous ne sommes
pas partisans d'une hypertrophie francilienne éloignant élus et collectivités
locales des secteurs d'analyse et du pouvoir de décision. Ce serait alors -
nous en sommes certains - au détriment des régions concernées.
Je rappelle qu'un meilleur équilibre territorial passe par une valorisation,
un épanouissement des atouts et des richesses de chaque région et de chaque
département. Une valorisation de chaque région suppose un développement
endogène, une rupture des oppositions entre une concentration de plus en plus
forte des parties urbaines et la désertification des campagnes.
Chaque région avec ses propres atouts doit s'épanouir et non devenir un simple
appendice marginalisé, servant de faire-valoir à l'Ile-de-France.
Je me demande d'ailleurs ce qu'en pensent les collègues de ces régions et
s'ils souhaitent une intégration francilienne.
Le développement de l'Ile-de-France doit être un atout pour les Franciliens ;
le refus de donner au SDRIF les moyens de développement a entraîné, c'est
certain, un affaiblissement de la région parisienne. La renforcer alors qu'elle
transfère une part de ses richesses vers le reste de la France ne peut que
servir les régions limitrophes mais aussi le reste de la France. J'ai noté
qu'un affaiblissement de la recherche francilienne s'est traduit par un
affaiblissement de la recherche française en général.
Madame la ministre, je voudrais également m'étonner de vos hésitations à
mettre en révision le SDRIF. Pourquoi attendre ? Surtout, pourquoi reporter à
vingt ans l'objectif d'un nouveau SDRIF, comme vous me l'avez indiqué ?
Le Gouvernement n'a pas donné, en 1994, les moyens nécessaires au SDRIF. Vous
le reconnaissez. Les effets ont alors conduit à cette évolution négative,
ségrégative de l'Ile-de-France au point d'en compromettre équilibre et
richesse.
Le SDRIF insuffisant, inadapté, a provoqué globalement un recul de
l'Ile-de-France. Une révision s'impose. Si l'on veut corriger ce recul, cette
révision est d'autant plus nécessaire que ce SDRIF inefficace avait été
repoussé par nombre d'entre nous. Les schémas locaux ont d'ailleurs tous en
commun l'objectif de pouvoir le contourner. Il faut savoir tirer au plus vite
les conclusions d'un échec évident.
Cette révision est complémentaire de l'aménagement que vous nous proposez,
madame la ministre. Son refus rendrait votre projet de loi sans aucun intérêt
pour l'Ile-de-France.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste
républicain et citoyen.)
M. le président.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les
reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante-cinq, est reprise à
vingt-deux heures, sous la présidence de M. Jean Faure.)