Séance du 23 mars 1999
PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
vice-président
M. le président.
La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi d'orientation pour
l'aménagement et le développement durable du territoire.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Fatous.
M. Léon Fatous.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, cette année
sera marquée par le débat sur la loi d'orientation pour l'aménagement et le
développement durable du territoire, qui pèsera, entre autres, sur la nouvelle
génération des contrats de plan Etat-région, auxquels nous sommes tous
également fort attachés.
Ce projet de loi d'orientation, déclaré d'urgence par le Gouvernement compte
tenu des contraintes de calendrier, n'opère pas une réécriture de la loi du 4
février 1995.
Je rappelle que, sur les quatre-vingt-huit articles que compte la loi de
février 1995, soixante-huit articles ne sont pas modifiés.
Au nom du groupe socialiste, je voudrais vous dire combien je me félicite que
la notion de développement durable soit érigée en principe fort de
l'aménagement du territoire : ce principe est notamment décliné dans les
articles consacrés à la politique des transports - articles 28, 29, 30 et 32 -
politique à laquelle, vous le savez, j'accorde beaucoup d'intérêt.
Le passage d'une logique d'offre à une logique de service a permis de proposer
huit schémas de service effectifs, parmi lesquels sont dissociés - et c'est
heureux - le schéma multimodal de transport de voyageurs et le schéma
multimodal de transports des marchandises. Ce dernier retiendra plus
particulièrement mon attention.
Il me paraît important de rappeler que ces schémas de service collectifs sont
élaborés dans une perspective à vingt ans et qu'ils prennent en compte les
projets d'aménagement communautaires, ce que la loi Pasqua avait négligé.
Pour m'en tenir aux deux schémas de transport, voyageurs et marchandises,
cette séparation constitue une innovation importante qui traduit la volonté du
Gouvernement de rééquilibrer le transport en faveur du fret, trop longtemps
négligé.
Il faut cependant éviter la mise en concurrence progressive des deux services
et favoriser leur complémentarité : l'un ne doit pas se développer au détriment
de l'autre.
Je sais que cette complémentarité est retenue, en principe, dans la définition
du cahier des charges publié en annexe de la circulaire du 17 juillet 1998
relative à la préparation des contrats de plan, mais je tenais à en rappeler
l'importance.
Cela étant, ma préoccupation porte davantage sur la concurrence route-fer pour
le transport des marchandises et des personnes.
Le déséquilibre accentué depuis dix ans en faveur du fret par voie routière et
autoroutière pose un réel problème pour la sécurité des usagers, pour
l'environnement et pour les finances publiques.
En tant que sénateur du Pas-de-Calais, département traversé par l'autoroute A
1 Lille-Paris, couloir nord-sud des échanges européens actuellement aux limites
de la saturation, je peux en mesurer les effets négatifs.
La modernisation et le développement du transport ferroviaire sont au coeur de
la politique alternative au « tout routier » qui a caractérisé la dernière
décennie.
Pour réussir cette mutation et pour obtenir l'adhésion des usagers et des
partenaires économiques, un certain nombre de conditions doivent être réunies,
qui nécessitent des moyens importants.
Il faut, à la fois, améliorer la qualité du service offert à la clientèle,
requalifier les gares et renforcer les infrastructures pour rendre
techniquement possible l'amélioration de l'offre de transport.
Réussir cette mutation, c'est aussi, en partenariat avec les autorités
organisatrices de transport et les collectivités locales compétentes,
développer l'intermodalité en rendant complémentaires des modes différents de
transport, ce qui nécessite également des équipements spécifiques.
Nous devons cependant garder à l'esprit le souci d'efficacité de la dépense
publique, en optimisant l'utilisation des réseaux et équipements existants.
En terme de stratégie, trois options me paraissent prioritaires.
L'une concerne l'axe nord-sud Lille-Paris-Lyon-Méditerranée, sur lequel il est
impératif de renforcer la fluidité. Pour cela, la suppression des points de
saturation, au niveau notamment de Lyon, de Nîmes et de Montpellier, est
capitale, la seule réponse possible étant d'envisager le contournement de ces
trois agglomérations.
La deuxième est relative à la nécessité d'aménager les axes est-ouest reliant
rapidement la façade Manche-Atlantique aux grands pôles européens.
La troisième concerne plus particulièrement la réalisation rapide de
plates-formes multimodales qui favoriseront la complémentarité et la
coopération entre modes, au niveau tant de l'exploitation des réseaux que de
leur extension.
A ce titre, il serait souhaitable que la plate-forme multimodale de Dourges,
dans le Nord - Pas-de-Calais, se réalise dans les plus brefs délais. Elle
répond, de par son positionnement géographique, à la préoccupation exprimée
dans le projet de loi d'orientation d'inclure la dimension européenne dans
notre réflexion. Elle répond également à une nécessité reconnue par l'ensemble
des collectivités de la région Nord - Pas-de-Calais et par tous les partenaires
économiques afin de permettre un rééquilibrage des modes de transport sur
l'ensemble du territoire national. Enfin, elle correspond parfaitement aux
objectifs visés à la fois dans le schéma régional de transport en cours
d'élaboration et au schéma de service collectif national.
Voilà, madame le ministre, les quelques remarques que je souhaitais présenter
à propos de l'un des aspects du projet de loi.
Pour le groupe socialiste, s'il apparaît nécessaire de poursuivre
l'amélioration du réseau routier et autoroutier, ne serait-ce qu'au titre de la
sécurité des usagers, nous devons rompre avec la logique du « tout routier »
pour le transport du fret. Mais nous devons également éviter que les corridors
européens se mettent en place uniquement par accords entre opérateurs
ferroviaires, ce qui pourrait conduire à ce qu'en 2015 les flux de transport
soient ailleurs que sur notre territoire.
(Applaudissements sur les travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Huchon.
M. Jean Huchon.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis près de
dix ans, la commission des affaires économiques et du Plan, sous l'impulsion de
son président, s'est passionnée pour l'aménagement du territoire.
Bordeaux, Poitiers, le 4 février 1995. Que de souvenirs, que de constats, que
de bonnes intentions exprimées, que de promesses faites, que de travaux
encouragés ; mais, au bout de tout cela, que de faux espoirs et que de
déceptions !
Notre pays, qui dispose d'espaces que beaucoup lui envient, a laissé depuis
quelques décennies se développer une situation aussi tragique que ridicule,
c'est-à-dire un territoire rural qui se désertifie de plus en plus et un tissu
urbain qui se congestionne et se caractérise par une prolifération des zones de
non-droit où a disparu toute vie civique et sociale.
Depuis quelques années, le Sénat a longuement observé cette situation de
fracture qui voit les zones urbaines s'asphyxier dans des problèmes sociaux et
démographiques quasi insolubles et les zones rurales se précipiter vers une
inexorable désertification.
Je souhaite que le texte que vous nous proposez aujourd'hui, madame la
ministre, contribue à inverser la tendance.
La loi de février 1995 était un instrument valable et prometteur, mais
pourquoi a-t-il fallu que les gouvernements successifs aient mis tant de
nonchalance, pour ne pas dire de mauvaise volonté, à appliquer un texte que
nous avions voté et qui nous donnait beaucoup d'espoirs ?
Le territoire est le patrimoine commun de la nation. C'est un bien précieux
que nous avons le devoir de ne pas laisser se dégrader et que nous devons
valoriser. Hélas ! le constat est désolant : 80 % de la population vivent sur
20 % du territoire et, si rien n'est fait, ce sera bien pire dans quelques
années.
Les remèdes, nous les connaissons un peu, mais ils n'ont jamais été appliqués
sérieusement.
Que faut-il pour inverser le processus de dégradation et assurer le retour
vers l'équilibre ?
Je vous propose deux actions de base. Premièrement, que des hommes sur le
terrain reprennent confiance et prennent en main leur avenir. Deuxièmement, que
l'Etat et le Gouvernement les comprennent et les accompagnent en leur donnant
de réels moyens d'actions.
Je reviens donc sur le premier point : les hommes. Disons-le tout net, les
maires et les équipes municipales doivent se sentir les moteurs et les
accompagnateurs du développement.
Bien sûr, la meilleure volonté, la plus grande détermination ne suffisent pas.
Il faut que l'Etat apporte l'organisation structurelle et les moyens
nécessaires à une action efficace.
Force est de constater que l'organisation actuelle de la fiscalité locale est
un frein extraordinaire à l'aménagement du territoire.
Aménager le territoire, c'est assurer l'égalité des chances. Il faut donc que
la participation de l'Etat sur le plan financier soit le plus rigoureusement et
le plus justement répartie sur la totalité de notre territoire. Hélas ! il
suffit d'être mêlé à la gestion locale pour constater qu'il n'en est rien.
Je ne veux pas vous agacer avec des chiffres, mais, pour avoir depuis très
longtemps travaillé abondamment sur ce sujet, sachez qu'ils démontrent de façon
éloquente les disparités énormes qui existent entre petites communes, villes
moyennes et grandes villes.
Ce problème de la fiscalité locale, notamment de la taxe professionnelle,
m'apparaît comme l'action prioritaire à mener. Vous en avez longuement parlé,
madame le ministre, et nos rapporteurs aussi. Je n'insisterai donc pas.
La réforme de la taxe professionnelle, en particulier, est urgente, même si le
lobby de ceux qu'elle favorise est puissant. La solidarité intercommunale n'est
pas forcément une vertu répandue ! Mais il faut que la loi corrige la situation
déséquilibrée que nous connaissons.
La péréquation fiscale prévue dans la loi de 1995 et appliquée chez nos
voisins d'Allemagne fédérale est un exemple dont nous pourrions nous inspirer !
En effet, le louable effort de décentralisation de la loi de 1982 a été
incomplet, car il a conforté les régions riches dans leur richesse et laissé
les régions les moins dotées à leur pauvreté.
La loi du 4 février 1995 avait ébauché timidement une péréquation progressive,
mais celle-ci n'a pas connu un début d'exécution, ce qui est bien dommage. Je
souhaite ardemment que la réforme des finances locales que nous examinerons
sous peu corriger cette situation inadmissible.
L'aménagement du territoire, c'est aussi le drainage de l'ensemble du
territoire par des équipements routiers et ferroviaires dignes d'un grand pays.
L'examen de la carte de notre territoire montre que, partout où le réseau
routier, autoroutier et ferroviaire est moderne, la croissance économique et
démographique suit rapidement. C'est pourquoi nous insistons auprès de vous,
madame la ministre, pour que le programme que vous avez suspendu soit repris.
Les voies de communication sont indispensables. Nombre d'entre elles ont été
réalisées, mais il reste beaucoup à faire.
Aménager le territoire, c'est aussi encourager l'occupation raisonnable et
raisonnée de l'espace ; en un mot, il convient que l'agriculture soit
solidement installée et qu'elle puisse s'exprimer dans des conditions
favorables. A cet égard, la loi d'orientation agricole comporte des éléments
intéressants, mais aussi des insuffisances quant aux moyens mis en oeuvre.
Quant aux négociations sur la PAC, on ne peut qu'être inquiet et redouter un
échec ou un mauvais accord, qui auraient des conséquences dramatiques sur
l'avenir de l'agriculture, et donc sur l'occupation du territoire.
A l'aube du xxie siècle, l'agriculture ne peut, à elle seule, occuper le
territoire ; mais, inversement, un milieu rural vivant et attractif ne peut se
passer d'une agriculture prospère.
Il faut également encourager l'emploi, à travers la création d'entreprises qui
fourniront le travail à une main-d'oeuvre que l'agriculture ne peut plus
utiliser. A ce sujet, des mesures de soutien déjà largement prévues dans la loi
de 1995 doivent être mises en application. Certaines régions françaises donnent
l'exemple. Il faut s'en inspirer, notamment en stimulant l'esprit d'entreprise,
qui n'est pas nécessairement favorisé par certaines méthodes d'assistance qui
anesthésient le goût de l'initiative et du risque.
M. Jacques Machet.
Très bien !
M. Jean Huchon.
Espérons que le nouveau courant qui prévaut à l'éducation nationale, qui
semble entretenir des contacts de plus en plus fréquents avec les entreprises,
redonne à nos jeunes le goût de l'initiative économique.
Une autre action indispensable est le maintien des services publics. On
assiste trop fréquemment à des regroupements vers les centres des équipements
postaux, financiers et, plus récemment, à des gendarmeries. Ce sont de
véritables abandons du territoire. Tout cela est fort mal vécu par la
population, qui se sent frustrée, voire délaissée.
Dans ce domaine du maintien du service public en milieu diffus, madame la
ministre, nous sommes quelquefois traumatisés par des attitudes ou des
règlements qui peuvent paraître secondaires vus de Paris.
A cet égard, permettez-moi de sortir des considérations générales pour évoquer
brièvement un cas pratique d'aménagement, ou plutôt de non-aménagement du
territoire.
Je veux parler du parcours du combattant, des lourdeurs du système
bureaucratique, de la prééminence des intérêts particuliers et catégoriels sur
l'intérêt général qui accompagnent l'installation des pharmacies en milieu
rural.
M. Jacques Machet.
Très bien !
M. Jean Huchon.
Qui oserait contester ici l'importance qui s'attache à garantir le droit égal
de tous les Français à bénéficier de services de santé ? Qui dénierait la
nécessité de leur offrir des services de proximité ?
Or, qu'observe-t-on dans de nombreuses zones rurales marquées par un
développement dynamique de l'activité économique, car cela existe ?
Dans des communes de 1 000 à 2 000 habitants où sont installés des maisons de
retraite, des foyers logement où certains bénéficient du maintien à domicile,
ceux qui n'ont plus les moyens de se déplacer sont obligés de se faire
transporter à plusieurs kilomètres faute d'une pharmacie à proximité.
M. Jacques Machet.
Très bien !
M. Jean Huchon.
Je n'insisterai pas sur l'implantation des pharmacies - la réglementation date
d'ailleurs de Vichy - ni sur les conditions nécessaires à leur ouverture.
L'immense majorité des officines créées dans le cadre de la procédure
dérogatoire accordée par MM. les préfets sont immédiatement l'objet d'un
recours porté devant le tribunal administratif, si bien que ledit tribunal
administratif ordonne, bien sûr, la fermeture de l'officine nouvellement
ouverte.
C'est une situation ridicule dans laquelle seul n'est jamais pris en compte le
service du public, et notamment de ce public fragile, de ces clients
privilégiés que sont les générations qui ne peuvent plus se déplacer.
J'ai suffisamment de bons rapports avec mes nombreux amis pharmaciens, y
compris dans cet hémicycle, pour me permettre de leur dire ce que je pense et
pour leur demander un aménagement de cet énorme privilège corporatiste.
Le
numerus clausus
qui prévaut en France a été supprimé dans de
nombreux pays européens, notamment en Allemagne et en Angleterre, et, après
tout, la liberté qui existe en économie pourrait également exister dans ce
secteur d'activité !
M. Jacques Machet.
Très bien !
M. Jean Huchon.
Madame la ministre, depuis cet après-midi, de nombreux orateurs ont évoqué le
texte de votre projet de loi, qui prend en compte à la fois le dramatique
problème urbain et la déshérence du milieu rural défavorisé.
Je m'associe, bien sûr, aux propos qui ont été tenus. Je partage aussi votre
souci d'un environnement qui a parfois été malmené. Mais, de grâce ! s'il faut
prendre en compte largement la qualité de la vie, il faut aussi qu'une activité
économique digne de ce nom permette aux ruraux de vivre de leur travail.
L'espace français n'a pas vocation à devenir une réserve d'Indiens. De même,
nous devons tout faire pour que nos banlieues à problèmes redeviennent vivables
et humaines.
Vous prévoyez, pour asseoir votre loi, d'utiliser la structure régionale ;
c'est en effet le rôle de cette dernière de participer largement à la fonction
d'aménagement du territoire.
Vous attribuez, semble-t-il, au département un rôle plus réduit. Je crois que
c'est un tort, et nombre de mes collègues vous ont déjà dit ce qu'ils en
pensaient.
Vous voulez donner un rôle fondamental aux pays, et vous avez raison. J'en ai
fait l'expérience depuis vingt ans puisque, dans mon département, des élus
locaux et nationaux clairvoyants ont encouragé et provoqué la constitution, par
bassins d'emplois et par affinités, de regroupements spontanés qui sont devenus
de réels pays, c'est-à-dire des lieux de réflexion et d'élaboration de projets
débouchant sur des contrats.
Nous n'avons pas fait une structure supplémentaire. L'expérience des pays qui
a été la mienne m'a apporté la preuve que l'action a été fondamentale pour
fédérer les hommes et les structures. La réflexion qui a été menée par tous les
élus avec les divers échelons administratifs - Etat, région, département et,
éventuellement, Europe - pour faire une politique contractuelle imaginative et
novatrice a considérablement facilité l'intercommunalité.
Provoquer l'action volontariste des hommes sur le terrain est un premier
résultat. Mais il faut aussi, j'y reviens, que l'Etat accorde les moyens
nécessaires à une action significative.
Je vous ai dit, il y a quelques instants, tout le mal qu'on pouvait penser de
la fiscalité locale telle que nous la subissons.
J'aurais voulu que mon pays, dont j'étais le président, et qui compte 100 000
habitants, puisse disposer des mêmes possibilités financières qu'une ville de
100 000 habitants. Hélas ! ce n'était pas le cas, et ce n'est toujours pas le
cas. Le coefficient va de un à quatre, et c'est intenable.
C'est pourquoi il faut une remise à plat de la fiscalité locale, notamment de
la taxe professionnelle, dont on dit toujours le plus grand mal, mais qui
perdure allègrement en favorisant énormément ceux qui la perçoivent. La
prochaine loi sur les finances des collectivités locales est donc attendue avec
une grande impatience.
L'aménagement du territoire, il en a été tellement question, ces dernières
années, qu'après tant de discours, de promesses non tenues, de lois non
appliquées, le doute s'installe dans l'esprit de nos concitoyens.
La commission spéciale, qui a, hélas ! travaillé dans la précipitation pour
enrichir le texte qui nous est proposé, aurait souhaité une plus grande
sérénité et un peu plus de temps pour réfléchir et proposer des mesures qui
vont conditionner l'avenir des dix ou vingt prochaines années.
Nos trois amis rapporteurs, Gérard Larcher, Claude Belot et Charles Revet,
ont, avec leur connaissance du dossier et leur volonté de défendre l'intérêt
supérieur du pays, élaboré des amendements substantiels qui vont, nous
l'espérons tous, mettre en place un instrument législatif efficace. Qu'ils en
soient félicités et remerciés.
Espérons que la France, après avoir retrouvé un équilibre qu'elle n'a plus,
puisse tenir sa place dans une Europe digne de ce nom !
(Applaudissements
sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et
Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Raffarin.
M. Jean-Pierre Raffarin.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je veux, moi
aussi, remercier le président de la commission spéciale, MM. Jean
François-Poncet, et nos trois rapporteurs, Gérard Larcher, Claude Belot et
Charles Revet, de nous avoir permis de faire un travail important dans
d'excellentes conditions.
Ce travail a également été passionnant, et ce sur un texte, madame la
ministre, qui, à vrai dire, est quelque peu déroutant. Dans le pays, souvent, à
son propos, on s'inquiète. Mais quand on y regarde de près, on se rend compte
que c'est principalement une affaire de sémantique.
Depuis la création de la DATAR, en 1963, depuis Olivier Guichard, on était un
peu habitué au vocabulaire « Guichard ». Au fond, c'est peut-être votre mérite
- de votre point de vue, pas du mien ! - de faire entrer le discours écologiste
dans les textes législatifs.
Votre victoire sur tous vos partenaires est donc sémantique. Il est clair que
le développement ne peut être que durable et que l'ensemble de la thématique
écologiste est présente dans ce texte d'un bout à l'autre. Comprenez, dès lors,
que l'on soit quelque peu dérouté !
Mais au fond, à y regarder de près, là encore, ce n'est pas si méchant qu'il y
paraît.
Ainsi, il est un certain nombre de points positifs, d'avancées significatives
que je veux relever parce que c'est, me semble-t-il, l'occasion de faire
progresser notre réflexion.
J'ai beaucoup apprécié, presque plus, d'ailleurs, dans votre discours
liminaire que dans votre texte, le fait que vous abordiez le débat en termes de
justice.
C'est vrai - vous l'avez souligné - c'est à l'intérieur d'un même territoire
que la problématique de la justice se pose, tant il est vrai qu'il ne faut pas
avoir cette vision sommaire qui consiste à opposer les territoires les uns aux
autres : les riches ont leurs pauvres, mais les pauvres ont leurs riches. Et
c'est à l'échelle du pays tout entier qu'il faut, à l'évidence, raisonner en
termes de justice.
Moi qui suis dans le camp des humanistes libéraux, j'apprécie que vous
répondiez à cette nécessité de justice par un besoin de liberté : vous
souhaitez libérer les énergies et vous faites de l'aménagement une liberté pour
atteindre la justice. Il y a là des points intéressants que je veux
souligner.
Il est en effet important de faire du développement la priorité. Dans le
concept d'aménagement du territoire, le développement venait en second, après
l'aménagement, bien sûr. Or, on voit bien aujourd'hui, que, dans un territoire
qui connaît des difficultés, qui a ses pauvres, qui a ses riches, il faut
absolument libérer le développement local, le développement endogène, l'énergie
locale, car c'est là le premier moteur de l'aménagement du territoire ; sans
développement, il ne peut pas y avoir d'aménagement. Il est donc important, je
le répète, d'accorder cette priorité au développement.
Quant à savoir si ce développement est durable - je rejoins, à cet égard, les
propos de M. Jean François-Poncet - si l'on peut vous faire plaisir en disant
qu'il l'est, disons-le : nous sommes contre le développement non durable !
Deuxième point très important : la logique du contrat. L'évolution
apparaissait déjà dans le texte de MM. Pasqua et Hoeffel, voire dans les
contrats de plan, depuis 1984.
Le contrat est l'outil majeur de l'aménagement du territoire, comme il l'a
été, il y a déjà quelques années, de la politique des entreprises face à la
compétition des pouvoirs : les arbitrages ont été rendus grâce à la politique
contractuelle.
Le contrat est le lieu de l'équilibre, le lieu où les volontés s'articulent.
Notamment dans ce pays, il est l'occasion pour l'Etat d'affirmer la cohérence
dont il est en charge et de s'adresser aux territoires pour les écouter et
faire en sorte qu'ils puissent libérer leur énergie.
Il est primordial de placer le contrat au coeur même des discussions. Nous
avons beaucoup travaillé cette question, et l'accord auquel nous sommes
parvenus - M. le président Jean François-Poncet a dit que c'était quasiment un
miracle - entre l'association des maires de France, l'assemblée des présidents
de conseils généraux et l'association des régions de France est, en fait, le
fruit du bons sens. Nous avons fait du contrat l'outil d'aménagement du
territoire.
Mais pour que le contrat soit transparent - car on voit bien que la faiblesse
du contrat, c'est l'opacité : qui fait quoi ? - il faut faire en sorte qu'il
soit lisible, et donc qu'il y ait un chef de file pour le citoyen et pour les
autres.
La définition du chef de file me paraît raisonnable. Tout le monde peut y
trouver son compte, et c'est pour le citoyen le moyen de voir que les
collectivités territoriales, les acteurs locaux, travaillent ensemble dans la
bonne direction et que chacun assume sa responsabilité vis-à-vis des autres.
La troisième avancée significative, c'est l'avenir du pays.
Sur le pays, on a entendu dire beaucoup de choses et, notamment, dans cette
assemblée, qu'il fragiliserait les départements. En fait, le pays ne fragilise
que les départements qui ne s'intéressent pas à lui. Quand un département
s'intéresse au pays, le pays renforce le département.
Il est clair que le pays est un espace de projet, un espace de dynamique.
Quand le département assume son rôle de cohérence - et il peut très bien le
faire ! - il n'a pas à avoir de complexes par rapport à la région. M. Belot l'a
dit et il l'a prouvé sur le terrain.
De très nombreux exemples montrent que, naturellement, si les pays sont
abandonnés, ils se tournent vers ceux qui s'intéressent à eux. C'est pourquoi
nous avons fait en sorte, au travers de nos amendements, que, à chaque fois que
le département veut jouer la carte de la cohérence avec les pays sur son
espace, il ait les possibilités juridiques de le faire.
Priorité au développement, logique de contrats, avenir du pays, mais aussi -
c'est très important - la région comme pivot de contractualisation.
Je suis bien obligé, dans cette assemblée, de dire un mot des régions, car, si
je ne le fais pas, je crains que personne n'en parle.
Je veux simplement souligner brièvement le fait que la région est un pivot de
la contractualisation ; mais la région à la française, c'est-à-dire une région
qui est à la fois décentralisation et déconcentration, qui est un espace de
négociation à l'intérieur duquel des partenariats clairs s'établissent.
Je crois que nous avons montré, madame la ministre, dans ce texte, et
probablement pour la première fois, que la guerre département-région n'aura pas
lieu parce qu'elle est absurde. Le talent consiste à mettre tout le monde en
spirale positive et donc à trouver les moyens d'un partenariat intelligent.
C'est ce que nous voulons faire à travers les amendements proposés par nos
rapporteurs.
Voilà donc les quatre avancées significatives.
Votre texte n'attend pas tout à fait la perfection, madame la ministre, mais
il pourrait s'en approcher si vous nous suiviez dans trois directions, qui sont
autant de progrès.
Premier progrès : élaborons, nous en avons déjà parlé, un projet français pour
l'aménagement de l'espace européen ; c'est très important.
Nous ne pouvons pas nous contenter de dire que l'aménagement du territoire
n'est pas une compétence européenne, donc que cela ne nous regarde pas, et,
ainsi, ne pas élaborer une stragégie.
Au contraire, nous devons concevoir une stratégie française de l'espace
européen ; nous devons définir la perception que nous en avons, notamment en
intégrant des périphéricités en Europe, car la cohésion économique et sociale
est aussi territoriale.
Nous devons trouver des alliés au sud comme au nord, et dans les pays qui sont
eux-mêmes périphériques à l'est. Il y a là une logique à définir. Il nous faut
une vision - je ne sais, madame la ministre, comment elle peut être intégrée
dans le projet de loi, mais vous avez défini quelques avancées - et trouver une
formule pour bien montrer que la France se doit d'assumer la cohérence entre
son aménagement du territoire et le SDEC, les bases ayant été brillamment
jetées par M. Hoeffel lors d'un sommet des ministres de l'aménagement du
territoire qui s'est tenu à Strasbourg.
Le deuxième progrès, c'est le schéma de synthèse. Nous n'en sommes pas très
loin. Certes, se déroule un débat théorique sur l'existence ou non d'un schéma
national. Vous, vous parlez de schéma de services. Nous, nous parlons de schéma
directeur. Vous avez une vision de la France à l'horizon 2020. Si nous
réunissons tous ces éléments, si nous en débattons au Parlement, nous ne sommes
pas très loin d'un schéma national.
Faisons la synthèse des outils existants. Débattons de la France à l'horizon
2020. Il est important de fixer des objectifs lointains. Faisons en sorte que
ce schéma de synthèse soit débattu au Parlement. Le CNADT ne peut pas être le
seul outil de concertation. Certes, il s'agit d'un club sympathique réunissant
des personnes très compétentes, mais il faut quand même que, sur un certain
nombre de dossiers - nous l'avons vu récemment avec la consultation sur la PAC
et les cartes d'aménagement du territoire - les élus soient consultés dans la
transparence et non pas au sein de comités qui sont créés et dans lesquels
toutes les forces ne sont guère représentées de manière équitable. Il est
important, je le répète, d'avoir un débat au Parlement sur ce schéma de
synthèse.
J'en arrive au troisième progrès à réaliser. Vous parlez de développement.
Comment fait-on aujourd'hui essentiellement du développement ? Comment
crée-t-on principalement de l'emploi ? On crée de l'emploi en créant des
entreprises. Les véritables emplois sont créés par les véritables entreprises.
Il ne peut y avoir d'aménagement du territoire sans création et développement
d'entreprises.
Sur ce point, votre texte pèche par sa faiblesse et des avancées s'imposent.
Ce serait un signal fort ; hors des débats idéologiques, cela montrerait que
nous comprenons que l'aménagement du territoire consiste à libérer des
énergies, notamment en créant des entreprises.
Nous proposons un volet relatif au développement économique avec des mesures
précises, concrètes, étudiées et expérimentées dans d'autres pays.
Nous souhaitons favoriser le capital de proximité, par le biais notamment de
fonds communs de placement de proximité sur la base des FCPI qui existent déjà,
de manière qu'une épargne puisse être collectée au niveau d'un territoire, d'un
département, d'une région pour être réinjectée dans des zones difficiles. A tel
endroit on a besoin de capital risque, à tel autre, de moyens financiers. Il ne
s'agit pas d'aller chercher la charité au bout du monde mais à l'intérieur du
territoire, de faire en sorte que ceux qui ont quelques moyens participent à la
vie de leur propre territoire et à l'oxygénation du développement local.
Nous proposerons également, par amendement, de développer les groupements
d'employeurs, les réseaux d'entreprises, etc. On sait bien, selon les grands et
beaux rapports de la DATAR, que la logique des districts et un certain nombre
d'autres logiques se développent aujourd'hui partout dans le monde.
Créons des réseaux d'entreprises, comme les groupements d'employeurs qui
permettent à des artisans, à des petites et moyennes entreprises de faire
preuve, en se regroupant, de solidarité active, fertile. Alors, les petits
artisans arriveront à échanger des heures, disposeront de salariés en commun ;
ils utiliseront cette souplesse dont ils ont besoin.
Le texte de MM. Pasqua et Hoeffel proposait un certain nombre d'avancées en
matière d'aides économiques que l'on pourrait essayer de développer.
Je sais bien que tout cela est difficile. J'avais, avec l'aide de la banque de
développement des PME, lancé une initiative importante sur les territoires qui
avait apporté de l'oxygène aux petites et moyennes entreprises.
Mais il y a sans doute encore d'autres mesures à développer. Avec Francis
Grignon et un certain nombre d'autres collègues, nous avons constitué un groupe
de travail auprès de Jean François-Poncet, pour mobiliser des idées. Nous
serons, au cours de ce débat, madame la ministre, à la disposition de tous pour
essayer de renforcer cette fertilité économique.
Mon dernier message sera pour vous demander - mais je sais que vous en êtes
capable - d'avoir vis-à-vis de la ruralité cette reconnaissance, cette
considération dont la ruralité a besoin, qui n'a rien à voir avec une charité
ou le sentiment que la ruralité est l'obsession des sénateurs, qui, parce
qu'ils représenteraient la France profonde et lointaine, n'ont que ce mot-là à
la bouche quand ils sont réunis.
Non, madame la ministre, sur ce terrain, nous voyons bien aujourd'hui une
reconnaissance rurale se développer, avec une vraie dynamique, de vraies idées,
de vrais réseaux Internet, de nouvelles technologies.
La ruralité est d'avant-garde aujourd'hui parce qu'elle est humaine, qu'elle
respecte les relations humaines, la convivialité.
Au fond, nous pensons qu'il y a sans doute, pour le prochain siècle, qui
cherche la place de l'homme dans ces espaces-là, peut-être quelques lignes
d'espoir à tirer.
Alors, madame la ministre, vous verrez que votre texte pourra faire en sorte
que la logique de développement l'emporte sur la logique de conservation.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà, quatre
ans, nous avons discuté d'une loi importante, sur laquelle j'avais émis
quelques réserves.
Madame la ministre, au-delà d'une observation liminaire, que je me permettrai
de vous livrer, je vous poserai une question et, à la limite, je vous ferai une
objurgation.
Mon observation de départ, c'est que notre pays présente une caractéristique
au sein de l'Europe occidentale, à savoir une certaine faiblesse de sa
population ramenée au kilomètre carré par rapport à celle de ses voisins.
De ce fait, les raisonnements fondés sur la taille de nos villes, les
considérant comme un éventuel réservoir de population au profit de nos
campagnes, risquent de trouver très rapidement leurs limites, car nos villes ne
sont pas si nombreuses et pas si grandes que cela.
Ainsi, l'agglomération parisienne, malgré l'hypertrophie qu'elle représente
par rapport à notre territoire et notre population, telle qu'elle est répartie,
n'est pas en soi totalement anormale par rapport aux autres grandes métropoles
européennes ou internationales.
Force est donc de constater que nous ne pouvons pas espérer revitaliser notre
territoire rural en dévitalisant nos villes, parce qu'elles ne sont déjà pas si
nombreuses et si grandes, et parce que leur caractéristique c'est d'être
géographiquement éloignées les unes des autres. Dans ces conditions, leur mise
en réseau n'est pas aussi simple à réaliser qu'à concevoir en théorie. Même à
l'heure de l'Internet, les choses ne sont pas évidentes.
Je n'ai pas senti, madame la ministre, dans votre texte, dans les
préoccupations qu'il exprime dans son exposé des motifs, ni même dans votre
discours, la prise en compte de cette caractéristique particulière de notre
territoire qui est à la source d'une grande partie des difficultés liées à son
aménagement, ne serait-ce que par le poids que représentent nos infrastructures
de communication par rapport à notre produit intérieur brut, et par rapport au
fait qu'il nous est plus difficile qu'à d'autres d'organiser les transports en
commun. En effet, nous avons besoin de répondre à des besoins de transports
individuels sur un tissu extraordinairement diffus. Par conséquent, les
réponses collectives ne sont pas aussi simples à mettre en place qu'on le
croit. C'était une observation générale.
Une question maintenant, madame le ministre : où est la cohérence dans
l'avalanche de textes qui nous arrivent et qui concernent tous, plus ou moins
directement ou indirectement, l'aménagement du territoire et la vie de nos
collectivités territoriales, dont nous sommes ici les représentants
constitutionnels ?
Je vise votre texte, tous les projets de M. Chevènement et le projet de
réforme de la taxe professionnelle. Où est la cohérence entre les uns qui
poussent vers une organisation fondée sur la taxe professionnelle et les autres
qui détruisent, limitent ou handicapent à terme l'efficacité de cet impôt ? Que
penser de vos propres orientations qui tendent à rassembler autour des villes
une ruralité dont on espère qu'elle sera complémentaire avec elles sans qu'on
discerne exactement quels sont les critères de rassemblement tels que vous les
souhaitez et quels sont les espaces ?
Vous avez dit tout à l'heure que l'aménagement du territoire ne se réduit pas
à la mutualisation de la taxe professionnelle. Mais c'est quand même cela
aussi. On ne peut pas à la fois vouloir une chose et son contraire. Il y a dans
tout cela une incohérence globale qui désoriente nombre d'entre nous.
J'en viens enfin à mon objurgation, qui tourne autour de la notion de pays.
Je ne suis certainement ni le premier, ni le dernier à le dire : madame la
ministre, le pays, dans une nation comme la nôtre, avec une population diffuse,
ne peut exister que s'il s'adapte sur le plan concret aux réalités locales, qui
sont extraordinairement diverses, c'est-à-dire s'il se met en place autour
d'initiatives voulues par les acteurs locaux, dans leur diversité.
Or je constate, dans le texte qu'a adopté l'Assemblée nationale et que vous
avez assez largement inspiré, une vue extraordinairement encadrée, juridique,
contraignante de la notion de pays, y compris avec la mise en place d'un
conseil de développement qu'il faudra consulter tout le temps, sans que l'on
sache exactement quelle est la structure adéquate, et qui est présenté comme
étant le point de passage obligé d'une contractualisation avec l'Etat. De
celle-ci, on ne nous dit pas quels sont les avantages, on ne voit pas très bien
quelles sont les contraintes, mais on sent très bien que tout cela sera
déterminé par une autorité dite supérieure et qui est, en l'espèce, celle des
préfets et des préfets de région.
Tout cela manque de souplesse et va à l'inverse de la vie réelle, vécue sur le
territoire. Nous n'arriverons à développer le territoire que si les initiatives
locales, les initiatives d'entrepreneurs, les initiatives de citoyens peuvent
se développer librement.
Votre texte, madame la ministre, compte tenu de vos familles de pensée,
m'étonne quelque peu. Vous avez une formation biologique ; j'en ai une moi
aussi. Nous savons tous deux que la biologie n'est pas contrôlable
a priori,
que la vie surgit là où on ne l'attend pas, qu'elle disparaît là où on ne
craignait même pas qu'elle s'en aille.
Laissons les initiatives locales se développer librement ! Confions les
structures informelles à celui qui sera le véritable porteur d'un projet, le
maître d'ouvrage ; maintenons la possibilité de contractualiser sous la
surveillance de l'administration, mais ne créons pas des échelons
supplémentaires nouveaux. L'organisation de notre territoire est déjà trop
complexe et trop riche en systèmes juridiques qui, en définitive, sont des
systèmes bloquants. Je crains que votre texte ne pèche par l'excès dans cette
direction, surtout en ce qui concerne l'article 19.
Pardonnez-moi d'avoir été un peu critique, mais je crois très honnêtement que,
si vous voulez contribuer au développement équilibré de notre territoire, il
est nécessaire de réintroduire énormément de souplesse à ce niveau-là. Dans le
cas contraire, nous allons vers du juridisme supplémentaire, des procès
supplémentaires, des difficultés supplémentaires et vraisemblablement des
stérilisations supplémentaires.
(Applaudissements sur les travées du RDSE,
de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Joyandet.
M. Alain Joyandet.
Madame la ministre, vous avez, avec ce texte, l'ambition louable d'aménager
durablement le territoire français de façon à corriger les déséquilibres qui,
depuis des années, ont conduit à la situation actuelle - laquelle a d'ailleurs
été dénoncée précédemment par d'autres orateurs - à savoir que 80 % de la
population occupent seulement 20 % du territoire.
Les récentes manifestations de violence dans les banlieues ont rappelé, s'il
en était encore besoin, le désespoir dans lequel se trouve une grande partie de
notre jeunesse, concentrée dans les villes, sans perspective de travail ni
d'avenir.
Pourquoi en arrive-t-on à cette situation ? Pourquoi la délinquance nous
semble-t-elle accrue aujourd'hui par rapport à hier ? Pourquoi feignons-nous la
surprise alors que, depuis des dizaines d'années, des signaux d'alarme ont été
tirés, émanant de tous les bords politiques, et que rien n'a pu enrayer ce
phénomène croissant de concentration urbaine et de désertification rurale ?
Je n'ai pas, bien sûr, de réponse à ces interrogations, et je ne pense pas que
qui que ce soit puisse en apporter une de façon définitive. Je crois cependant
que des erreurs ont été commises, qui consistent à toujours penser qu'il faut
privilégier les zones de forte concentration de population, les villes et les
départements les plus peuplés au détriment des campagnes et des départements
les moins peuplés.
Or, madame le ministre - ce n'est pas l'élue franc-comtoise qui me contredira
- on vit bien mieux dans le reste de la France que dans les grandes villes,
notamment à Paris !
La loi du 4 février 1995 avait pour objet de tenter de remédier au
déséquilibre français grâce à l'élaboration d'un plan ambitieux d'aménagement
du territoire. Toutes les solutions qui, à l'époque, avaient été adoptées -
notamment grâce à l'excellent travail de notre Haute Assemblée - n'ont pas
porté leurs fruits. Mais peut-on rendre la loi responsable alors qu'on on ne
lui a pas laissé beaucoup le temps de prouver la pertinence des solutions
qu'elle apportait ?
Faisant table rase du passé, votre gouvernement souhaite réorienter
l'aménagement du territoire, et ce de façon durable. Vous avez eu raison,
madame le ministre, de le préciser car, à l'examen des dispositions contenues
dans votre projet de loi, on peut en effet se poser la question de la
durabilité.
En supprimant le schéma directeur national en matière d'infrastructures, en
voulant privilégier le transport multimodal sans pour autant prendre de
décision forte en ce domaine, en gelant les 1 500 kilomètres d'autoroutes
restant à construire, dont un barreau que vous connaissez bien, madame le
ministre, le Gouvernement va pénaliser durablement de nombreuses régions
françaises.
Je ne vois pas dans votre projet d'orientations fortes et nouvelles permettant
aux habitants des départements enclavés d'espérer des jours meilleurs. C'est
pourquoi je me permets d'insister sur l'urgence qu'il y a à définir de nouveaux
objectifs pour notre territoire et à donner des impulsions fortes, notamment en
direction de notre jeunesse. En effet, celle-ci aurait beaucoup à gagner à
vivre sur l'ensemble du territoire plutôt qu'à se concentrer dans les grandes
agglomérations. Il me semble qu'il manque notamment dans votre projet une
réelle volonté en matière de nouvelles technologies d'information et de
communication,...
M. Pierre Laffitte.
C'est vrai !
M. Alain Joyandet.
... phénomène historique et élément désormais incontournable du développement
du territoire.
Beaucoup de choses ayant été dites, et ne voulant pas me répéter, c'est
surtout sur cette question des nouvelles technologies que je me permettrai
d'insister. A plusieurs occasions, notamment lors de son discours prononcé à
Hourtin, M. Jospin s'est montré particulièrement volontaire dans ce domaine.
Le texte que vous nous présentez ne me semble malheureusement pas traduire ce
volontarisme. Il nous apparaît même un peu trop timoré. Aujourd'hui, il est
pourtant vital de réfléchir aux erreurs qui ont été commises dans le passé afin
de ne pas les reproduire. Aux régions qui ont été exclues du schéma directeur
national et qui se sont trouvées enclavées du fait de l'absence de dessertes
nationales satisfaisantes - et là je parle des autoroutes traditionnelles et
non plus des autoroutes de l'information - il faut aujourd'hui offrir une
seconde chance avec ces autoroutes de l'information, qui doivent passer
partout, madame le ministre, notamment dans les départements qui ne sont pas
desservis par les autoroutes terrestres. C'est dans cet esprit que nous serons
amenés à soutenir des amendements visant à donner à notre pays un plan
ambitieux en matière de nouvelles technologies d'information et de
communication.
Il ne s'agit nullement d'élaborer un second plan câble à l'échelle nationale.
Compte tenu de la rapidité avec laquelle les techniques évoluent, celui-ci
serait obsolète avant même d'avoir vu le jour. Il s'agit, au contraire, d'aider
à se connecter les collectivités qui sont restées en retrait des autoroutes de
l'information et de prendre des initiatives dans ce secteur.
La loi Fillon, qui autorise des expérimentations, a été une première ouverture
en matière de nouvelles technologies puisqu'elle a permis à un certain nombre
de projets de voir le jour et a favorisé le développement d'opérations très
intéressantes.
Cela dit, très peu nombreuses sont les collectivités qui ont eu les moyens
d'être des précurseurs dans ce domaine. Il nous semble qu'il est donc du rôle
de l'Etat de favoriser le développement des NTIC sur l'ensemble du
territoire.
Je voudrais attirer votre attention, madame le ministre, sur un point
particulièrement important : l'action des seules entreprises privées s'arrête
avec la rentabilité. Mes propos ne seront pas très libéraux, mais, lorsque
l'Etat abandonne aux grandes entreprises privées l'aménagement du territoire en
matière de NTIC, le résultat est le même que pour les autoroutes
traditionnelles ! C'est en tout cas ce que j'ai constaté sur le terrain.
Dans certains départements, on peut se connecter à Internet en quelques
instants grâce à des moyens tout à fait exceptionnels. Dans le même temps, dans
d'autres départements de France, il n'est toujours pas possible d'utiliser le
téléphone mobile. Pour des raisons de rentabilité, on installe les réseaux à
haut débit dans les départements à population dense. Dans les autres, hélas !
nous n'en sommes ni à Internet à haut débit, ni au téléphone mobile, ni même,
parfois encore, à la chaîne de télévision publique régionale !
Si l'Etat ne s'intéresse pas à ce phénomène, comme ce fut le cas pour les
voies de communication traditionnelles dans le cadre de l'aménagement du
territoire, nous assisterons au même phénomène pour les autoroutes de
l'information. Ainsi, dans un certain nombre de régions, qui sont pourtant
fantastiques et dans lesquelles il fait bon vivre, alors que les autoroutes de
l'information pourraient être, en quelque sorte, une seconde chance de
développement, nous assistons à une confirmation d'un aménagement du territoire
à deux vitesses !
Nous ne demandons pas tout à l'Etat, madame le ministre, d'autant qu'en la
matière les initiatives locales sont très nombreuses. Nous demandons simplement
davantage de souplesse et de transparence. Il faut donner à notre pays les
moyens d'affronter ces défis de demain, notamment en assouplissant la
réglementation existante.
Cet enjeu, qui est de taille, doit être évalué à sa juste mesure. Il y va de
l'avenir de notre jeunesse et de notre pays. On ne peut donc pas y rester
insensible. C'est pourquoi j'espère que vous saurez mesurer l'importance des
perspectives qui s'offrent à nous dans cette voie de la modernisation de notre
territoire et que vous prendrez les mesures qui permettront à certaines de nos
régions de saisir cette nouvelle chance.
Il faut rapidement inverser cette tendance fâcheuse qui conduit à privilégier
toujours les mêmes zones du territoire au détriment de toutes les autres, y
compris s'agissant des équipements de communication électronique. Madame le
ministre, j'espère que vous pourrez accueillir favorablement un certain nombre
des amendements que nous proposerons et que nous défendrons.
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Très bien !
M. Alain Joyandet.
Nous devons prendre rapidement les décisions qui s'imposent afin de ne pas
perdre de temps - c'est urgent - et de ne pas rester en marge de ces autoroutes
de l'information. L'aménagement du territoire ne doit plus seulement se penser
en termes locaux, régionaux, voire nationaux. Il doit se concevoir beaucoup
plus largement, dans l'optique de la mondialisation des échanges. Ces nouvelles
technologies en sont un vecteur désormais incontournable. Nous devons donc
mettre à la disposition de nos concitoyens ces outils performants qui leur
permettront d'accéder au savoir, à l'information, et donc au développement
économique, et ce de n'importe quel point de notre pays.
(Applaudissements
sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union
centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Miquel.
M. Gérard Miquel.
En vous écoutant, madame la ministre, je me suis senti conforté dans mon
engagement militant au service du développement local.
Votre projet de loi s'inscrit aujourd'hui dans un vaste ensemble de réformes
qui, de manière directe ou indirecte, touchent à l'aménagement du
territoire.
Ces réformes, qui traduisent une volonté de développement durable, concourent
à la mise en oeuvre des priorités gouvernementales : l'emploi, la justice
sociale et la réduction des inégalités territoriales.
Pour atteindre ces objectifs, ce projet repose sur quatre choix stratégiques
d'aménagement durable au travers d'un maillage nouveau et plus pertinent : le
renforcement des pôles de développement à vocations européenne et
internationale ; le développement local des territoires au sein des pays ;
l'organisation d'agglomérations participant au développement des bassins de vie
et d'emploi ; enfin, le soutien aux territoires en difficulté.
Pour mettre en oeuvre ces orientations, huit schémas de services collectifs
constituant une part significative de l'ossature des futurs contrats de plan
Etat-région devront être adoptés. Ils seront définis selon des critères de
dimension structurante pour les territoires, de hiérarchisation territoriale
des interventions publiques et de cohérence avec les thèmes développés dans le
schéma de l'espace communautaire.
Je me bornerai, dans mon intervention, à ne traiter que des nouveaux
territoires de projets que sont les pays.
Les pays sont avant tout des territoires pertinents pour bâtir et faire
émerger des projets cohérents. Ils doivent reposer sur une forte participation
des acteurs locaux.
A ce stade de mon propos, je tiens à vous faire part de mon expérience
personnelle.
J'ai, depuis quatre ans, présidé aux destinées d'un pays regroupant 60
communes et 20 000 habitants, de sa phase de réflexion et d'émergence jusqu'à
sa mise en oeuvre opérationnelle et à sa structuration en syndicat mixte. Cette
démarche devrait nous permettre, notamment, de contractualiser dans le cadre du
prochain contrat de plan Etat-région 2000-2006.
Cette expérience confirme à mes yeux l'importance de la mise en place des
pays. Ils constituent des lieux privilégiés de démocratie participative et
favorisent l'expression de la créativité, de l'initiative, du dynamisme et de
la solidarité de nos concitoyens.
Les pays doivent être des structures souples où peuvent s'élaborer des projets
collectifs, individuels, intéressant tant le secteur public que le secteur
privé.
L'intérêt de cette démarche réside dans deux aspects essentiels.
Tout d'abord, la mobilisation des acteurs locaux dans l'élaboration du projet
global aboutit à l'appropriation du projet par l'ensemble du territoire. C'est
ce qui conditionne sa réussite.
Au cours de la période d'émergence du projet, plus de 400 acteurs locaux ont
participé à la définition et à l'enrichissement du contenu de notre charte de
développement. Cette phase de réflexion et d'animation préalable a été, pour
moi, un grand moment de satisfaction. J'ai vu des gens qui s'ignoraient
travailler ensemble et constater que, après tout, ce qui pouvait les opposer
était bien moins important que ce qui devait les réunir, c'est-à-dire un projet
de développement durable commun.
C'est cette approche collective et participative en amont de la mise en oeuvre
d'un pays qui fait qu'un territoire qui se dote d'un tel projet s'approprie
celui-ci et forge son identité et sa dynamique territoriale, et cela bien plus
que tel ou tel découpage autoritaire.
Le deuxième aspect essentiel de cette démarche réside, grâce à l'émergence du
pays, dans la création d'une structure souple - je l'ai déjà évoquée - qui doit
nous permettre de transgresser un certain nombre de lourdeurs et de rigidités,
tant administratives que politiques, qui freinent les actions de nos
territoires les moins organisés.
Je me félicite que, dans la procédure de reconnaissance des pays, l'Assemblée
nationale ait réaffirmé la nécessité de recueillir non seulement l'avis des
conseillers régionaux - dont l'aménagement du territoire est la vocation
première - mais aussi celui des conseillers généraux.
Le conseil général me semble, en effet, la collectivité locale de proximité la
mieux placée pour réfléchir, coordonner et animer la démarche territoriale des
pays. Sa place est prépondérante dans cette nouvelle organisation du
développement local dans nos campagnes. Son rôle est important dans la mise en
place des pays tant en matière de délimitation que dans l'organisation de la
démarche, mais aussi dans l'aide à l'émergence des structures maîtres
d'ouvrage.
Comme je l'ai dit précédemment, il est nécessaire de prendre en compte dans
ces structures les acteurs locaux, dont la présence aux côtés des élus est
nécessaire à la réussite d'un projet collectif.
Les conseils généraux, s'ils savent être les garants de cette nouvelle
organisation, devront également mettre en place des outils de niveau
départemental pouvant servir l'ensemble de ces territoires de projets. C'est
seulement à cette condition et avec cette volonté d'accompagner au plus près du
terrain l'émergence de ces pays que les conseils généraux prendront
naturellement leur place et qu'ils pourront mener une politique efficace
d'aménagement de leurs territoires.
Enfin, il me semble nécessaire de souligner que les opérations élaborées et
menées sur ces territoires sont et devront être transversales.
Le développement est économique, social et culturel, et ne peut être envisagé
que dans une vision globale.
Pour réussir notre grand projet d'aménagement du territoire, il faut bien sûr
des moyens et une volonté politique forte. Vous l'avez, madame la ministre, et
vous savez nous la faire partager.
Au demeurant, ces conditions sont nécessaires mais non suffisantes. Tout
repose sur notre capacité à mobiliser les femmes et les hommes de nos
territoires, seuls porteurs de dynamique et de progrès.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Hérisson.
M. Pierre Hérisson.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, toute
politique d'aménagement du territoire est un enjeu majeur, tant sur le plan
économique que sur le plan social. Elle procède d'une démarche volontariste de
reconquête et de développement équilibré et harmonieux du territoire. Elle ne
peut être conduite que de façon concertée entre l'Etat et toutes les
collectivités territoriales.
Le Sénat, représentant constitutionnel de ces collectivités, doit donc être
pour le Gouvernement, non pas un opposant sectaire, mais un véritable
partenaire. Ce partenariat impose une réalité : les orientations de la
politique d'aménagement du territoire ne peuvent pas être modifiées de manière
unilatérale par le Gouvernement.
En imposant au Parlement la procédure d'urgence, vous avez limité
volontairement le dialogue entre les deux chambres et lésé manifestement les
droits du Parlement, plus particulièrement ceux du Sénat, grand conseil des
communes de France.
Depuis des années, le Sénat s'efforce de contribuer à la cohésion territoriale
dans la mesure où il refuse l'opposition manichéenne entre le monde urbain et
le monde rural. Cette opposition, malheureusement, votre projet, madame la
ministre la pousse juqu'à la caricature. Oui, madame la ministre, nous sommes
loin de ce que nous pouvions imaginer comme mise en oeuvre de la loi de 1995
!
En ce qui nous concerne, nous sommes pour la parité villes-campagnes. Vous
semblez ignorer ce que tout le monde sait ici : le développement des espaces
ruraux est complémentaire du développement urbain. Le progrès et l'innovation
ne viennent pas forcément de la ville. Ne voir dans la société de demain que
l'incarnation et l'accomplissement d'une société urbaine est une dérive contre
laquelle le Sénat oppose depuis longtemps la vision d'un développement du
territoire plus équilibré.
Les espaces ruraux ont une potentialité de développement accentuée par
l'émergence des nouvelles technologies de l'information et de la communication.
Notre objectif est bien de renverser une tendance dont les dysfonctionnements
vont croissant et sont de moins en moins bien maîtrisés. La concentration
urbaine montre aujourd'hui sa fragilité et ses limites. Trop souvent, la ville
garde son attrait et son éclat, et la civilisation semble s'arrêter sitôt qu'en
sont franchies les portes. C'est une fatalité à laquelle nous ne nous
abandonnerons pas.
Comment gérer excès de concentration urbaine et excès de consommation du
territoire ? Comment gérer l'avenir de l'espace rural à proximité des grandes
agglomérations qui considèrent ce dernier comme la réserve foncière de leur
développement ? Voilà deux grandes interrogations auxquelles vous ne répondez
pas dans votre projet.
Je suis convaincu que, par ses capacités d'expertise, la Haute Assemblée peut
contribuer à rééquilibrer le texte que vous nous soumettez. En effet, plus
qu'un projet affichant des orientations nouvelles, il démantèle les principes
affirmés en 1995. Il supprime les éléments permettant de renforcer la cohésion
du territoire. Il privilégie les zones urbaines au détriment des espaces ruraux
considérés comme des handicaps. Il ignore le département comme étant un acteur
privilégié de l'aménagement du territoire. Il ignore également le Parlement,
qui ne sera plus consulté sur l'élaboration des schémas. Enfin, il nie la
dimension européenne de l'aménagement du territoire, comme un certain nombre de
nos collègues l'ont souligné. Or, même s'il ne s'agit pas d'une compétence
européenne, je pense qu'il nous faut montrer qu'il ne peut y avoir aujourd'hui
de schémas sérieux sans que cette dimension soit prise en compte.
Enfin, je regrette que vous n'ayez pas laissé suffisamment de temps pour que
se concrétisent les objectifs ambitieux de la loi d'orientation de 1995. En
effet, vous ne vous bornez pas à effectuer une modification des orientations du
texte de 1995, vous bouleversez l'organisation territoriale en conférant à de
nouvelles structures que sont les pays et les agglomérations des missions
stratégiques d'aménagement et de développement local, et cela sans tenir compte
ni du partage des compétences ni des finances locales.
Je soutiens les orientations générales de la commission spéciale au sein de
laquelle j'ai l'honneur de sièger. Je profite de l'occasion qui m'est donnée
pour féliciter et remercier nos collègues Gérard Larcher, Claude Belot et
Charles Revet, qui, sous la présidence de M. Jean François-Poncet, ont conduit
une réflexion empreinte de réalisme et de bon sens, deux éléments qui manquent
cruellement dans votre texte, madame la ministre.
Malgré le temps limité qui lui a été laissé pour étudier le projet de loi et
pour formuler des propositions, cette commission a fait preuve d'une parfaite
maîtrise des enjeux de la politique d'aménagement et de développement du
territoire. Ainsi, la réintroduction du Parlement dans l'élaboration des
documents d'aménagement du territoire, le renforcement de la dimension
européenne du texte, la définition législative du rôle de la collectivité chef
de file, la volonté de mieux adapter l'approche des pays et des agglomérations
aux réalités locales, la protection des espaces périurbains et la lutte contre
la césure entre villes et campagnes sont autant de directions auxquelles je
souscris totalement.
Une carence du projet de loi me semble particulièrement critiquable, à savoir
l'absence de la dimension économique. Cela révèle, à mon sens, une conception
très limitée de l'aménagement du territoire. La croissance n'est-elle pas
essentielle à la création d'emplois ? Pourquoi ne pas avoir érigé cette
dernière au rang des priorités ? Fort heureusement, la commission spéciale
propose d'insérer dans le projet de loi un volet additionnel consacré au
développement économique des territoires.
Ainsi, j'approuve sans réserve les propositions de nos rapporteurs visant à
créer des fonds communs de placement de proximité afin de drainer l'épargne des
particuliers vers les entreprises installées dans les zones fragiles ou
incitant à la mise en réseau des entreprises au sein des territoires.
De la même façon, votre projet de loi, madame la ministre, oublie le rôle
moteur des technologies de l'information et des télécommunications dans
l'aménagement des territoires, plus particulièrement dans les secteurs
défavorisés. En plus des propositions de nos rapporteurs, je défendrai, dans la
discussion des articles, un amendement visant à permettre aux collectivités
locales d'assurer, avec une meilleure sécurité juridique, la mise à disposition
d'infrastructures câblées aux opérateurs de télécommunications. Il est tout à
fait essentiel que ces collectivités puissent être présentes dans ce domaine,
investir et offrir des services capables d'accroître ou d'accompagner leur
développement économique. Cette disposition s'inscrit dans le droit-fil de la
loi de réglementation des télécommunications. Elle va dans le sens d'une
ouverture de la concurrence et du respect du service public voulu par le
législateur.
Par ailleurs, j'approuve totalement la décision de la commission spéciale de
supprimer la transposition hâtive de la directive postale dans le projet de
loi. La Poste assume plus en France qu'ailleurs en Europe un rôle majeur de
service public, tant en ce qui concerne l'aménagement du territoire que
l'égalité d'accès de tous au service du courrier, et ce via une péréquation
tarifaire qui repose pour l'essentiel sur le marché des entreprises.
Toucher dès maintenant à cet équilibre risquerait d'aboutir à déplacer la
charge du service universel sur d'autres acteurs : collectivités locales et
contribuables. C'est pourquoi il semble indispensable de traiter ce problème de
manière séparée et sans précipitation afin de définir une vision stratégique
pour La Poste. Le choix du dépôt d'un projet de loi d'orientation postale dans
les six mois à compter de la promulgation du présent texte me paraît répondre à
cet impératif.
L'aménagement du territoire, madame la ministre, ne s'improvise pas. Le
remarquable travail de nos rapporteurs le démontre, si besoin en était. Je
voterai, bien entendu, le texte tel que propose de le modifier la commission
spéciale, en espérant que la voie de la sagesse et de la compétence l'emportera
sur celle de l'idéologie et d'une conception de la protection qui se ferait au
détriment d'un véritable développement durable.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Puech.
M. Jean Puech.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je
souhaiterais tout d'abord saluer à mon tour le travail de très grande qualité
réalisé par les rapporteurs, Gérard Larcher, Claude Belot et Charles Revet,
dans le cadre de la commission spéciale et sous la conduite du président de
celle-ci, Jean François-Poncet.
En effet, la volonté permanente qu'ils ont manifestée d'engager le Sénat dans
une démarche constructive et le caractère innovant de certaines de leurs
propositions nous permettent d'aborder la discussion au fond de ce projet de
loi dans les meilleures conditions.
Je les remercie également d'avoir voulu s'assurer, tout au long des travaux
préparatoires, d'un échange constant avec les principales associations d'élus
représentatives des trois niveaux de collectivités territoriales de plein
exercice : les régions, les départements et les communes. Qu'ils en soient
vivement remerciés. J'y ai été, personnellement, particulièrement sensible.
Une politique d'aménagement du territoire se définit au niveau national. Il
est certes essentiel que l'Etat témoigne, par des décisions fortes, d'une
volonté de s'engager pleinement et sur le long terme. Mais cette politique ne
peut évidemment, pour réussir, se priver de la force de l'implication des
acteurs locaux, qu'ils appartiennent au monde économique, social, associatif ou
qu'il s'agisse des acteurs publics, services de l'Etat, élus locaux et
collectivités territoriales.
Madame la ministre, vous avez voulu, dans votre projet de loi, fixer de
grandes orientations à une politique d'aménagement et de développement durable
du territoire avec des schémas de services collectifs. Parallèlement, vous avez
souhaité promouvoir une nouvelle organisation territoriale autour du concept
général de « territoires pertinents » - je vous cite avec les pays et les
agglomérations.
Dans cette organisation territoriale, vous n'aviez pas souhaité, dans un
premier temps, reconnaître de missions particulières aux départements. On vous
l'a beaucoup reproché, ici même, lors du débat du 10 décembre dernier, mais
aussi à l'Assemblée nationale. Vous avez été attentive à ces observations et
avez accepté que le texte soit rééquilibré. En effet, comment aurait-on pu
ignorer une réalité sociale, culturelle et économique forgée par 200 ans
d'histoire ?
Les députés ont voulu faire évoluer le texte pour tenir compte de la réalité
départementale. Je m'en suis félicité. La commission spéciale va plus loin en
proposant un mode opératoire permettant une répartition des rôles entre les
échelons régionaux, départementaux et communaux autour de la notion de
collectivité chef de file.
Cela traduit une réalité qui doit avoir aujourd'hui sa définition juridique.
J'y souscris chaleureusement avec mes collègues Jean-Pierre Raffarin et
Jean-Paul Delevoye.
En effet, de la même manière qu'on ne peut opposer ville et campagne pour
parvenir à plus de cohésion territoriale, on ne peut non plus opposer les
échelons territoriaux entre eux. Je sais gré aux rapporteurs d'avoir préféré
avancer sur le terrain de la complémentarité de nos actions. Les départements
sont des acteurs incontournables de l'aménagement du territoire, ils l'ont
montré et ils le montreront encore dans le cadre des prochains contrats de plan
et des projets qui seront engagés avec le soutien européen.
De nouveaux territoires sont donc promus : les agglomérations et les pays. Ils
se voient confier des missions d'aménagement du territoire et de développement
local. Au rang d'espaces de projets, voire de programmation, ils devront
s'assurer d'une démarche globale de l'ensembe des forces vives.
Concernant les agglomérations, chacun, je crois, reconnaît le caractère
structurant des villes, des aires urbaines. Chacun s'accorde sur la nécessité
de privilégier une approche globale au niveau d'une agglomération sur les plans
tant économique et social qu'institutionnel, car il faut pouvoir répondre au
phénomène d'exclusion et de ségrégation engendré par la conjugaison de facteurs
démographiques, économiques et sociaux. A cet égard les évolutions proposées en
matière d'intercommunalité urbaine vont, à mon avis, dans le bon sens, sous
réserve qu'elles soient bien précisées, c'est-à-dire bien maîtrisées.
De la même manière, la volonté de M. le ministre de la ville, que j'ai
rencontré encore ce matin, d'ouvrir la politique de la ville à de nouveaux
acteurs comme les conseils généraux pour y adosser de manière complémentaire
les politiques de droit commun et de repenser les échelles d'intervention à
trois niveaux - agglomérations, communes et quartiers - sont des orientations
tout à fait recevables. A partir des premières remontées que nous avons du
terrain, je crois pouvoir dire que les conseils généraux sont prêts à s'engager
activement dans cette voie. Ils sont d'autant plus prêts à le faire qu'ils y
sont déjà largement engagés.
Relever le défi d'une urbanisation jusqu'alors non maîtrisée et rendre
cohérente la politique de la ville sont deux objectifs qu'on doit soutenir.
Attelons-nous déjà à ces tâches essentielles avant de penser que, demain, la
ville, qu'on imagine pouvoir durablement féconder l'espace rural, assurera la
cohésion territoriale qui manquerait à notre pays !
On ne peut miser sur le seul effet de la métropolisation, vous l'avez bien
compris : ce serait admettre que nos espaces ruraux, qui représentent 80 % de
notre territoire, ne peuvent être reconquis. Plus on considérera que
l'urbanisation est partout inéluctable, plus elle sera difficile à maîtriser.
Or, comme l'ont bien démontré nos rapporteurs, le milieu rural est, au même
titre que l'aire urbaine, un lieu d'attractivité et de compétitivité. Encore
faut-il lui laisser la capacité de défendre et de promouvoir son territoire. En
assurant la complémentarité entre l'urbain, le périurbain et le rural, on
permet à l'espace rural de constituer une véritable alternative.
Dans cette complémentarité nécessaire apparaît le pays.
Le pays, dans lequel peut cohabiter une aire urbaine et des espaces ruraux,
doit demeurer un espace de projet. Il doit également être la résultante d'une
volonté partagée des élus locaux et promouvoir un projet de développement.
A cet égard, j'attire à nouveau votre attention, madame la ministre, sur les
tentations - c'est un euphémisme ! - de l'administration et des services de
l'Etat de se substituer à l'imagination des élus locaux pour l'émergence de ces
pays.
Le fait de vouloir donner corps au volet territorial du prochain contrat de
plan et d'instaurer une sorte de prime à l'organisation n'interdit pas, bien
entendu, aux services de l'Etat d'avoir de bonnes idées ! Pour autant, ce sont
les collectivités locales de plein exercice qui assureront, demain, la maîtrise
d'ouvrage de la plupart des projets ainsi que leur financement ; en outre, leur
mise en oeuvre se fera avec leurs élus locaux. Laissons donc les acteurs locaux
prendre les initiatives qui conviennent à la promotion de leur territoire. Ils
en sont pleinement capables.
Le pays trouvera son plein essor en restant ce qu'il doit être, c'est-à-dire
un espace de projet, et à condition que l'on évite de confondre les
responsabilités et les rôles de chacun des acteurs ; autrement dit, le pays ne
doit pas se substituer aux élus et aux acteurs locaux.
Madame la ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs mois, les acteurs
locaux ont engagé une réflexion et un dialogue sur les contrats de plan. L'Etat
fait débattre les collectivités sur un projet de l'Etat en région. Les régions
préparent leurs orientations le plus souvent en liaison avec les autres
collectivités locales et les forces vives locales.
Il est essentiel d'admettre que les grandes collectivités infrarégionales
entendent participer à cette réflexion et contribuer à l'animation du projet
régional pour les prochaines années. Les départements assumeront, aux côtés des
régions, leur part de soutien au développement local et à l'action économique.
Cette implication est admise dans de nombreuses régions. Je souhaite que ce
principe soit généralisé.
A cet égard, la proposition de la commission spéciale tendant à donner une
traduction législative à la notion de « collectivité chef de file » ne peut que
favoriser cette généralisation.
Une autre proposition de la commission spéciale va également dans le bon sens,
celle qui vise à instituer dans les conférences régionales un collège « maîtres
d'ouvrages » à côté d'un collège consultatif représenté par les forces vives
locales ; j'y souscris pleinement.
En ce qui concerne l'activité économique, vouloir privilégier l'emploi dans
les prochains contrats de plan est un objectif que nos collectivités locales
partagent déjà depuis longtemps, voire depuis toujours, et l'évolution de leurs
budgets le montre bien. Elles orientent leurs actions vers des investissements
qui favorisent les activités créatrices d'emplois et l'innovation. Elles
assurent également la majeure partie du financement des équipements
indispensables à la vie sociale, économique, touristique et culturelle.
Aussi les propositions de la commission spéciale concernant l'activité
économique complètent-elles à mon avis très heureusement ce projet de loi.
Ayant à l'esprit la nécessité de favoriser l'émergence de projets plus
importants, je dirai quelques mots du renforcement de
l'interdépartementalité.
Pour ma part, je souhaiterais que le Sénat examine favorablement l'idée de
promouvoir une plus grande interdépartementalité, au service d'une cohésion
régionale renforcée.
L'interdépartementalité existe dans les textes. Dans les faits, elle est le
plus souvent limitée à des actions très ponctuelles. Or, pour favoriser une
plus grande culture de la coordination et donner une base véritable à une
complémentarité des politiques locales, il me paraît essentiel de relancer ce
concept d'interdépartementalité.
La possibilité qui serait offerte aux conseils généraux d'élaborer des schémas
interdépartementaux d'aménagement du territoire, en veillant à ce que ceux-ci
soient bien entendu en cohérence avec les schémas régionaux et interégionaux
existants, me paraît susceptible de favoriser la complémentarité des rôles et
des actions de nos collectivités.
Je souhaiterais aborder à mon tour la question de la nécessaire cohérence des
schémas de services collectifs que notre commission spéciale propose de
transformer en schémas d'équipements et de services.
Du fait de l'abandon d'un schéma national d'aménagement du territoire, il me
paraît délicat de laisser les huit schémas de services collectifs être décidés
par décret par les administrations centrales, fût-ce après une phase de
consultation régionale.
Pourquoi priver la représentation nationale d'une analyse globale et d'un
débat sur des orientations fixées pour l'horizon 2020, orientations qui vont
par ailleurs servir de cadre à la planification régionale et aux contrats de
plan ?
La capacité de l'Etat à organiser une lecture transversale et globale de
schémas est-elle le gage de leur pertinence ? Qui jugera, au niveau national,
de la qualité et des conditions du débat qui aura été organisé au niveau
régional ? Comment seront intégrés, à l'échelon national, les résultats de
cette consultation ? Qui en fera la synthèse ?
Voilà autant de questions que l'on peut poser, qui vous ont d'ailleurs déjà
été posées à l'Assemblée nationale et qui légitiment pleinement les
propositions de la commission spéciale en faveur d'une implication démocratique
du Parlement.
Enfin, permettez-moi, madame la ministre, pour conclure, d'évoquer la réforme
des fonds structurels, qui aura évidemment des conséquences très importantes en
termes d'aménagement du territoire.
Ce dossier est actuellement au centre de discussions européennes qui dépassent
évidemment le strict cadre de l'aménagement du territoire. Pour autant, nos
collectivités locales, vous le savez, ont besoin de beaucoup plus de
lisibilité.
Pensez-vous que les nouveaux programmes pourront effectivement démarrer au 1er
janvier 2000 ? Je le souhaite, mais cela me paraît bien incertain.
Par ailleurs, le Gouvernement ayant toujours misé sur une concomitance des
contrats de plan et des fonds structurels, comment comptez-vous pallier la
difficulté qui se présente ?
Telles sont, madame la ministre, les quelques réflexions que je souhaitais
vous livrer. Je vous remercie par avance des réponses que vous voudrez bien y
apporter.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Vallet.
M. André Vallet.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les élus que
nous sommes, à 800 cents kilomètres de Paris, sont souvent étonnés des
décisions contradictoires prises par nos divers gouvernements.
Le schéma national d'aménagement du territoire devait être, selon la loi de
1995, le socle de la politique d'aménagement du territoire, définissant ses
orientations pour les vingt années à venir. Mais voilà que, arguant du fait que
ce schéma n'a pas pu être élaboré, le ministère décide de le remplacer par huit
schémas sectoriels !
Le schéma national qui avait été approuvé pour vingt ans par la représentation
nationale aura duré à peine quatre ans ! Il y a là quelque chose qu'il est
difficile d'expliquer aux élus locaux.
Ce schéma national avait fait l'objet d'une très large concertation avec
l'ensemble des élus locaux. Le moins qu'on puisse dire est que tel n'est pas le
cas de votre texte, madame la ministre : la plupart des élus locaux le
connaissent mal, voire ne le connaissent pas du tout.
Notre collègue Jean Puech a fait part tout à l'heure de son souhait de voir la
représentation nationale associée à la mise en place des schémas sectoriels.
Allant plus loin, je souhaite, pour ma part, que l'ensemble des élus locaux de
notre pays puissent faire valoir leur point de vue. Les maires peuvent
s'appuyer sur leur légitimité démocratique sur leur connaissance de la réalité
et des hommes pour conduire les actions réparatrices, prévenir les risques de
ségrégation, favoriser la mixité sociale et culturelle.
Il me semble aujourd'hui bien illusoire de croire en la réussite d'une
politique d'aménagement du territoire élaborée sans une réelle participation de
ceux qui sont, pour une large part, chargés de l'appliquer.
Je voudrais maintenant, madame la ministre, attirer votre attention sur le
problème des villes moyennes.
Pour peu que ces villes moyennes aient un passé, une histoire, une vie
antérieure, on sait quel attrait elles exercent sur la population. Aujourd'hui,
la plupart d'entre elles sont plébicitées.
Je suis de ceux qui regrettent que l'Etat supprime peu à peu les services
publics de ces villes moyennes. Voilà quelques années, a été conduite une
véritable politique de décentralisation de l'enseignement supérieur ; nous en
parlerons à nouveau lorsque le schéma sectoriel sera mis en place. Aujourd'hui,
cette politique semble abandonnée ou, tout au moins, largement freinée. Il
semble que l'on veuille concentrer sur les grandes métropoles l'ensemble de
l'enseignement supérieur dans notre pays.
Les petits hôpitaux des villes moyennes rencontrent également des difficultés.
Pourtant, l'hôpital public est une structure de proximité qui constitue l'un
des éléments majeurs d'une politique d'aménagement du territoire.
En qualité de présidents des structures hospitalières, les maires souhaitent
bénéficier d'une plus grande autonomie et qu'il soit procédé à des
consultations préalables par les agences régionales hospitalières, qui,
aujourd'hui, ne s'intéressent que très peu à leur point de vue.
Par ailleurs, les villes moyennes sont insuffisamment équipées en moyens de
transport ; elles sont trop souvent enclavées. Il est absolument nécessaire de
réaliser un effort d'aménagement.
S'agissant de la sécurité, de nombreux maires ont vu, avec stupéfaction, les
forces de sécurité de leur commune réduites au profit de plus grands centres.
Le Gouvernement est revenu, en partie, sur sa décision, mais je peux vous
assurer que cela demeure l'une des préoccupations importantes de l'aménagement
du territoire.
Un autre problème se pose. Il est peut-être moins important, mais il peut
avoir des conséquences très fortes pour les villes moyennes : il s'agit de la
diminution progressive de l'activité de ces succursales de la Banque de France.
Cela a des effets sur l'ensemble du système bancaire de ces villes et je
souhaite que l'on revienne sur un certain nombre de projets qui tendraient à
réduire fortement l'activité de ces succursales.
Je ne terminerai pas mon propos, madame la ministre, sans évoquer le cas de ma
région. Puisque je me trouve en face du ministre de l'aménagement du
territoire, je tiens à lui dire que, chez nous, nous ne sommes pas très
contents des décisions qui ont été prises concernant la Provence.
Nous considérons, en effet, que, peu à peu, on veut enclaver notre région. On
veut faire de Lyon le sud de la France, au détriment de tout le reste. En
supprimant le canal Rhin-Rhône, en arrêtant l'autoroute des Alpes, en
supprimant les percées alpines, on veut, semble-t-il, consciemment ou
inconsciemment - j'ose espérer que c'est inconscient ! - isoler complètement
une région.
J'ajouterai que l'aire marseillaise ne dispose aujourd'hui d'aucun schéma de
transport cohérent qui puisse être comparé avec celui dont bénéficie la région
parisienne. En matière culturelle, l'aide de l'Etat est des plus réduites pour
notre région ; chacun sait pourtant ce qu'elle représente pour notre pays.
Madame la ministre, nous vivons très mal l'isolement de notre région et un bon
aménagement du territoire ne peut oublier la région provençale.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Ostermann.
M. Joseph Ostermann.
En janvier dernier, à l'Assemblée nationale, madame la ministre, vous
reprochiez à la loi de 1995 son caractère à la fois partiel et politiquement
orienté, deux défauts que votre projet de loi est censé corriger.
Or il me semble que ces deux défauts peuvent précisément être associés au
texte qui nous est proposé aujourd'hui, défauts qui conduisent à s'interroger
sur l'utilité de soumettre au Parlement un nouveau projet de loi.
Je bornerai mon propos à l'évocation de la politique d'aménagement de l'espace
rural qui constitue, à mon sens, une bonne illustration de ces deux
reproches.
Les mesures que vous proposez dans ce domaine sont, d'abord, politiquement
orientées.
Vous accusez la loi de 1995 d'être trop « ruraliste ». Ce jugement dépasse
sans doute la réalité. Mais, pis encore, vous tombez vous-même dans l'excès
inverse : votre politique est délibérément tournée vers les zones urbaines.
Ainsi, vous proposez de mettre l'accent sur les seules agglomérations et,
parallèlement, de supprimer l'article 61 de la loi de 1995 qui prévoyait une
loi spécifique pour le développement des zones rurales.
La logique qui vous anime est incompréhensible. S'il est certes temps
d'accorder toute leur place aux zones urbaines, qui accueillent 80 % de la
population, l'aménagement du territoire n'a-t-il pas toutefois pour objectif de
remédier aux déséquilibres, que ce soit à l'intérieur des agglomérations ou
entre zones rurales et urbaines ? Il n'est pas question d'opposer les unes aux
autres !
Il est, en effet, primordial de redynamiser nos campagnes, afin de limiter
l'exode rural et d'éviter ainsi une aggravation des difficultés liées au
développement urbain. C'est une question de bon sens !
Malheureusement, force est de constater que vous ne proposez aucune solution
précise ni au problème des banlieues ni aux faiblesses du monde rural.
La vision de l'homme, affirmée voilà quelques instants par notre excellent
rapporteur de la commission spéciale, M. Gérard Larcher, ne se retrouve point
dans ce texte.
La loi de 1995, complétée par le CIADT d'Auch, me paraissait plus équilibrée
sur ce point. Par conséquent, n'aurait-il été préférable d'appliquer la loi
Pasqua-Hoeffel et de mettre en oeuvre les objectifs d'Auch, plutôt que de
présenter un nouveau projet ? D'autant que notre pays doit tenir une position
forte et enracinée dans le temps pour faire face aux enjeux européens.
Faut-il rappeler que la réforme de la PAC et des fonds structurels risque de
nous conduire à une forte réduction des aides !
Refondre notre politique d'aménagement du territoire à un moment aussi crucial
ne me paraît donc nullement raisonnable, ce d'autant plus que vous le faites
dans la précipitation et, pis encore, sans concertation.
Une fois de plus, vous nous imposez une procédure d'urgence et vous nous
mettez devant le fait accompli, alors qu'il s'agit d'un texte qui devrait
conditionner l'aménagement du territoire pour vingt années.
Le Conseil national de l'aménagement et du développement du territoire
n'a-t-il pas commencé à travailler à l'élaboration des schémas des services
collectifs en juin dernier ?
Le caractère hâtif et non concerté du projet de loi vous conduit à avoir une
vision partielle de l'aménagement de l'espace rural. En effet, par idéologie,
vous proposez non pas l'aménagement de l'espace rural, mais la protection et la
conservation des espaces naturels, au risque de sanctuariser le territoire.
Votre schéma des services collectifs des espaces naturels et ruraux ne vise
qu'à contrôler l'activité humaine, à l'encadrer et à la soumettre à des
objectifs de protection de la nature, alors que, pour lutter contre la
désertification, il convient au contraire de maintenir et de développer les
activités économiques et les services et de mener une véritable politique du
logement. Cela n'est pas incompatible, je l'affirme, avec la protection de la
nature.
L'espace rural ne doit pas devenir, à terme, un immense parc naturel
national.
Volontairement, par manque de temps, je n'aborderai ni le développement de
l'espace européen ni les politiques transfrontalières en zone rurale.
Vous oubliez trois composantes fondamentales de toute politique de
développement et d'aménagement de l'espace rural digne de ce nom.
Premièrement, le maintien des services, qu'ils soient publics ou privés, est
indispensable pour préserver et créer des activités, donc des emplois. C'est
pourquoi la suppression du moratoire sur la fermeture des services publics me
paraît regrettable. Demain, on assistera à la fermeture d'une classe, d'une
école. Ensuite, viendra la disparition du bureau de poste. Les établissements
financiers et l'épicerie sont déjà partis.
Vous enfoncez ainsi encore un peu plus les territoires ruraux en difficulté et
découragez les élus locaux, qui sont bien souvent contraints de pallier le
désengagement de l'Etat dans ce domaine.
La deuxième lacune du texte réside dans le fait qu'aucune mesure n'est prévue
en faveur de l'activité économique.
La campagne n'est pas seulement le territoire des agriculteurs. Pour lui
permettre de rester attractive, les collectivités locales se battent pour
attirer, mais aussi maintenir les entreprises sur leur territoire. Elles
gagneraient à être davantage soutenues. Peut-être la loi Zuccarelli nous
apportera-t-elle des réponses à cet égard.
Par ailleurs, le développement de l'activité et de l'emploi en milieu rural
passe également par le développement touristique. Le tourisme est et demeure,
en effet, l'un des rares secteurs dans lesquels les perspectives en matière
d'emploi sont plus qu'encourageantes : il crée ainsi 12 000 emplois par an et
pourrait en créer 30 000.
Le tourisme rural connaît en France un véritable engouement, mais, faute
d'adaptation, notre pays risque de perdre des parts de marché. Il convient donc
de rester vigilant et d'engager rapidement un effort de réhabilitation du parc
immobilier touristique rural et des établissements
d'hôtellerie-restauration.
Le dernier aspect du développement rural que je souhaite aborder est le
logement. Pour lutter contre sa désertification et préserver son attractivité
et son dynamisme économique, l'espace rural doit assurer pleinement sa fonction
résidentielle.
Or c'est souvent là que le bât blesse. Le milieu rural souffre d'un problème
de vacances de logements, de dégradation du bâti et d'inadaptation aux besoins.
Certes, des efforts financiers sont accomplis pour aider les propriétaires à
remettre leur logement sur le marché, mais ils sont malheureusement encore bien
trop faibles, notamment en ce qui concerne l'Agence nationale pour
l'amélioration de l'habitat, l'ANAH, afin de faire face aux besoins.
La clé du problème est non seulement d'ordre financier, mais aussi, et
surtout, d'ordre juridique.
Le droit de propriété doit être garanti par l'Etat. Or force est de constater
que c'est de moins en moins le cas, ce qui conduit les bailleurs à s'entourer
de précautions supplémentaires avant de louer leur bien. D'ailleurs, la récente
loi sur les exclusions ne va pas arranger les choses. La sélection se fait
ainsi, bien souvent, au détriment des plus démunis.
Permettez-moi, enfin, de regretter, en tant qu'élu alsacien, votre décision
d'abandonner officiellement le projet du canal Rhin-Rhône.
On ne peut, sans se contredire, à la fois limiter la construction de routes,
ne pas transférer le fret sur la voie d'eau et obliger parallèlement les
collectivités locales à financer partiellement les trains à grande vitesse. Les
contradictions sont trop flagrantes.
Par rapport aux différents points évoqués, votre projet de loi doit
évoluer.
En résumé, madame la ministre, en l'état, votre projet de loi n'est pas
acceptable. Par conséquent, je ne pourrai le voter que sous réserve de
l'acceptation par le Gouvernement des améliorations proposées par la commission
spéciale, dont je tiens à saluer l'excellent travail.
(Applaudissements sur
les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste,
ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme Boyer.
Mme Yolande Boyer.
Madame la ministre, mon intervention portera sur trois aspects de votre projet
de loi.
Le premier aspect concerne le contexte dans lequel vous nous présentez cette
loi et la méthode que vous avez utilisée. Cette dernière me paraît
intéressante, car vous n'avez pas considéré que la loi Pasqua était bonne à
jeter aux orties. Vous avez adopté une attitude constructive en conservant
soixante-huit des quatre-vingt-huit articles qui la composaient.
Votre loi est significative mais, seule, elle n'a pas vraiment tout son
intérêt. Elle est au coeur d'un dispositif beaucoup plus vaste voulu par le
Premier ministre et affirmé dans sa déclaration de politique générale en juin
1997.
On retrouve, dans ce dispositif, plusieurs lois.
On y trouve d'abord la loi d'orientation agricole qui, par son innovation
majeure, le contrat territorial d'exploitation, manifeste la volonté de
protéger les territoires. Elle le fait sur la base d'un développement durable
et de démarches contractuelles directes entre les agriculteurs et l'Etat.
On y trouve aussi la loi sur les relations entre les citoyens et leurs
administrations, et la loi Zuccarelli à venir sur l'intervention économique des
collectivités locales.
Parallèlement, ce texte s'inscrit dans la discussion sur la nouvelle
génération des contrats de plan pour les années 2000-2006 et la réforme des
fonds européens. Contrairement à la loi Pasqua qui faisait l'impasse à cet
égard, elle s'inscrit également dans la dimension européenne.
Si j'ai pris le temps de citer cet ensemble de textes, c'est parce que je
considère, contrairement à M. Paul Girod qui s'est exprimé tout à l'heure, que
dix-sept ans après les lois de 1982, il s'agit d'une nouvelle étape
significative de la décentralisation.
Le deuxième aspect que je souhaite évoquer concerne la philosophie de ce
projet de loi à travers les principes qui le sous-tendent.
Je citerai rapidement quelques-uns de ces principes : la notion de
développement durable, la mise en place de nouveaux outils de planification, à
travers les schémas de services collectifs, la promotion des « pays » et des «
agglomérations » qui font vivre la solidarité entre territoires, et ce sans
remettre en cause le rôle des différentes collectivités et enfin, le
renforcement de la démocratie participative avec, notamment, la création du
conseil de développement.
J'ai rappelé que votre loi se trouve au coeur d'un dispositif. Mais au coeur
de votre loi se trouve l'article 19 qui crée la nouvelle organisation
territoriale, à travers les « agglomérations » et les « pays ».
C'est à cette dernière notion que je m'attacherai plus particulièrement dans
le troisième aspect de mon intervention en parlant des pays.
Dans le langage courant, le terme « pays » n'est pas neutre. En effet, on
parle de son pays lorsque l'on évoque sa région, sa commune, son département.
On est d'un terroir.
Même si cela peut paraître banal, je veux souligner que l'aménagement du
territoire et la construction d'un pays se font à partir et pour les hommes et
les femmes qui y vivent, à partir de leurs savoir-faire, de leur intelligence
et de leur expérience.
Une politique d'aménagement ne se résume pas à des découpages technocratiques
ou à des réflexions techniques. Elle doit être l'émanation des hommes et des
femmes qui vivent sur un territoire ayant son identité, sa langue parfois - et
en Bretagne, cela compte - et sa culture.
M. Pierre-Yvon Trémel.
Très bien !
Mme Yolande Boyer.
Le triptyque projet, périmètre, partenariat me semble adapté pour parler des
pays.
Passer d'une traditionnelle politique de guichet à une politique de projet est
une démarche essentielle. La richesse de la France réside dans la variété de
ses territoires ; il serait dangereux d'imaginer les futurs pays à l'image du
territoire où chacun d'entre nous vit, et de vouloir en faire un exemple pour
tous les autres. L'intérêt de la démarche, c'est bien cela : sur un territoire
pertinent, les acteurs concernés - élus, bien sûr, mais aussi représentants du
monde socioculturel, économique, associatif - créent leur projet de
développement.
Rappelons aussi que le pays n'est qu'un outil : il permet de concrétiser des
projets en respectant les divers échelons.
Certains ont parlé du département, d'autres de la région. Personnellement, je
souhaite évoquer la commune, qui demeure un milieu de vie irremplaçable, un
échelon de base de l'identité et de la citoyenneté, le premier relais de
l'appareil administratif, le lieu d'intégration et d'animation de la vie
collective.
Les élus et les acteurs du développement ont bien montré qu'ils savaient
s'organiser, et ce depuis de nombreuses années. J'en veux pour preuve la
création de structures telles que les parcs naturels régionaux, dont les
projets de développement sont fondés sur la valorisation et la protection du
patrimoine. Ils sont des outils d'aménagement et de développement durable du
territoire.
Je veux aussi évoquer les pays d'accueil touristique, structures qui me
tiennent particulièrement à coeur dans la mesure où j'en préside une dans ma
région.
Créés voilà plus de vingt ans, ces pays ont fait la preuve de leur efficacité.
Au nombre de 650, ils sont aujourd'hui, en France, une force qui compte plus de
6 500 communes, représentant plus de 6 millions d'habitants.
Utilisons ces savoir-faire, cette capacité de mobilisation des professionnels,
des associations, des chambres consulaires autour de l'économie touristique.
Prenons garde de ne pas détruire les dynamiques locales enclenchées depuis de
nombreuses années. Je me demande ce que deviendront ces pays d'accueil
lorsqu'ils ne correspondront pas au périmètre du nouveau pays. Ils ont parfois,
il est vrai, une dimension plus restreinte, mais qui correspond bien à une
entité de promotion touristique garante de leur efficacité.
Nous proposerons d'ailleurs un amendement visant à prendre en compte les
acquis des pays d'accueil touristique.
Enfin, je parlerai de ma région, la Bretagne, qui, comme les autres, a ses
spécificités. Son problème majeur est son éloignement des centres de décision,
sa position excentrée en Europe. Comme c'est le cas dans d'autres régions,
certains de ses territoires sont en voie de désertification. Ses spécificités,
y compris sa langue, doivent être prises en compte dans une politique
d'aménagement du territoire solidaire. Elus et acteurs du développement ont su
d'ores et déjà s'organiser en intercommunalité, en pays qui s'étendent sur
plusieurs départements, voire sur deux régions.
L'organisation du territoire doit se réaliser en garantissant l'égalité des
chances dans le respect des valeurs de la République.
Je dirai, pour conclure, que développement rural et développement urbain sont
une nécessité. Le Sénat représente les collectivités territoriales dans leur
ensemble. Il serait dangereux d'opposer villes et campagnes et d'oublier que
notre pays est constitué de territoires pour les hommes et les femmes qui y
vivent. Dans le débat qui s'ouvre, ayons toujours en tête que, au coeur du
projet que nous voulons construire, il y a l'être humain.
(Applaudissements
sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Richert.
M. Philippe Richert.
A cette heure avancée de la nuit, je voudrais vous demander de m'excuser,
madame le ministre, si je n'analyse pas votre texte avec toutes les nuances qui
conviendraient et si je ne relève pas tous les points qui nous donnent
satisfaction.
J'apprécie l'évolution quant au ton et même quant au fond de vos derniers
propos par rapport à ceux que nous avions pu entendre avant l'examen de ce
texte par le Sénat. Ainsi, la disparition des diatribes contre les départements
ainsi qu'un certain nombre d'orientations nous font plutôt plaisir.
Si ce texte est certes porteur d'améliorations sensibles, que la commission va
essayer d'accentuer encore, il prête toutefois à la critique.
Depuis des décennies, notre pays affiche une politique d'aménagement du
territoire qui se veut l'outil essentiel pour remédier aux déséquilibres et
compenser, voire inverser, les tendances naturelles observées, ces dernières
étant, d'un côté, la concentration, de l'autre, la dévitalisation.
De longue date, la lutte à la fois contre cette concentration excessive des
activités, des moyens et des hommes autour de certains pôles et contre la
dévitalisation récurrente d'espaces entiers de notre territoire est une
priorité régulièrement affichée. Un organisme prestigieux, la DATAR, a même été
créé dans notre pays à cette fin et propose régulièrement des remèdes.
Or, regardons lucidement ce qui s'est produit et qui, d'ailleurs, se poursuit
: les territoires attractifs, en particulier l'Ile-de-France, accentuent encore
davantage la concentration démographique et celle des richesses. Par ailleurs,
la désertification de régions entières continue.
A partir de là, on peut se demander si cette tendance naturelle à la
concentration, d'un côté, et à la dévitalisation, de l'autre, peut être
enrayée.
En observant ce qui se passe dans d'autres pays, en particulier en Allemagne,
je répondrai par l'affirmative, mais à quatre conditions.
Première condition, il faut continuer à garder comme objectif l'équilibre du
territoire, et donc essayer d'offrir à tous ces pays et à leurs populations des
raisons d'espérer. La politique d'aménagement du territoire était le seul moyen
de s'opposer, de contrer la logique de concentration.
Or, si j'en crois ce projet de loi et, surtout, les commentaires qui ont
accompagné sa préparation, puis sa présentation devant les deux assemblées, le
Gouvernement a sonné la fin du temps où l'aménagement du territoire traitait
des grandes infrastructures et de la désertification rurale.
J'ai entendu de hauts responsables, évoquant ce projet de loi, dire que,
dorénavant, il s'agirait non plus de préparer à long terme d'hypothétiques
orientations en fonction de grandes infrastructures à mettre en place, mais de
répondre aux besoins immédiats, c'est-à-dire au déséquilibre, en particulier
dans les pourtours des villes, dans les quartiers sensibles.
Si je comprends ce besoin de s'occuper des difficultés des villes, en
particulier des quartiers sensibles, je crois cependant que le fait de
consacrer nos seuls moyens au rééquilibrage du territoire dans les zones
urbaines aboutirait à accentuer inéluctablement les déséquilibres déjà
constatés.
Je dis donc oui à la ville, mais à condition que les interventions qui s'y
font n'aboutissent pas à mettre à mal le milieu rural que je ne peux pas
considérer comme un simple interstice dévitalisé entre les zones urbaines,
entre les agglomérations.
Deuxième condition, il ne faut pas changer de cap tous les trois ou quatre
ans. Nous avions voté, voilà quelques années, une loi qui devait s'appliquer
pendant vingt ou vingt-cinq ans. Il nous est aujourd'hui proposé de voter une
nouvelle loi devant également s'appliquer pendant vingt ou vingt-cinq ans.
Si l'Allemagne, par exemple, comprend un maillage équilibré entre les grandes
villes, les grandes agglomérations dynamiques, les villes moyennes et le
territoire rural, c'est parce que, depuis des siècles, elle a fait preuve d'une
volonté d'aménager le territoire et n'a pas régulièrement changé d'option. En
opérant ce transfert, en réorientant notre philosophie, je crains que nous ne
portions préjudice à cette politique, qui, sans avoir donné tous ses fruits,
laissait espérer un nouvel équilibre.
Troisième condition, la politique d'aménagement du territoire ne suffit pas à
elle seule à instaurer les équilibres. Il est indispensable que toutes les
politiques contribuent à cet objectif, qu'il s'agisse, bien sûr, de la
fiscalité ou des infrastructures. Il est inconcevable de parler d'aménagement
du territoire sans évoquer les infrastructures qui permettent le désenclavement
- et que l'on ne nous dise pas le contraire ! - mais aussi la modernité, les
technologies modernes.
Je prendrai l'exemple de la recherche : durant les dix dernières années, un
rééquilibrage s'est opéré à cet égard entre Paris et un certain nombre de
régions françaises. On a constaté que, en Provence-Alpes-Côte d'Azur, en
Rhône-Alpes, voire en Alsace, la recherche avait été consolidée et que des
centres reconnus existaient maintenant. Or, que venons-nous d'entendre ? Le
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie nous a
expliqué que, pour la prochaine période, la priorité serait de nouveau accordée
à Paris, au bassin parisien, en raison du risque d'appauvrissement de la
recherche en Ile-de-France. Pourtant, nous savons bien que Paris continue de
concentrer la moitié de la recherche de notre pays.
Par conséquent, madame le ministre, à quoi bon discuter dans cette enceinte
d'aménagement du territoire si vos collègues font l'inverse dans les domaines
qui les concernent ? Il faut donc mener une politique cohérente.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
J'en viens à la quatrième condition. La politique d'aménagement du territoire
doit pouvoir aussi répondre au déséquilibre à l'intérieur d'un même
département, d'une même région, car il n'existe pas de région ou de département
totalement homogène. Je prendrai un exemple concret à cet égard.
On constate, en lisant la carte publiée par
Le Monde
, que le
département du Bas-Rhin est entouré d'un certain nombre de zones connaissant
des handicaps et correspondant au massif vosgien. Ce dernier, d'un côté, donne
sur l'Alsace, en particulier sur le Bas-Rhin. Comment pouvons-nous expliquer
que, demain, une politique d'aménagement du territoire, en particulier la prime
d'aménagement du territoire, bénéficie à nos départements voisins dans le
massif vosgien mais qu'aucune mesure ne soit disponible pour la partie se
trouvant du côté alsacien ? Il me paraît évident de pouvoir prendre en compte
cette spécificité. Nous devons donc regarder au plus près ce qui se passe à
l'intérieur d'un département ou d'une région.
Deux autres critères, que j'évoquerai très brièvement, me paraissent devoir
être pris en compte.
Premièrement, une telle politique, pour être efficace, doit bénéficier d'un
large consensus. A cet égard, j'apprécie l'approche de la commission spéciale,
qui n'a pas souhaité rejeter le texte du Gouvernement mais qui a cherché à
l'améliorer. Mais je vous remercie aussi, madame le ministre : si vous
souhaitez aller dans le même sens, vous nous trouverez tout à fait disposés à
conforter cette démarche.
Deuxièmement, la réforme des niveaux de collectivités d'administration est
indispensable pour que l'on puisse en obtenir les pleins effets.
En conclusion, nous sommes, sur ces travées, nombreux à estimer que l'Etat
doit arrêter sa politique d'intervention tous azimuts. Mais, s'il est un
secteur où l'interventionnisme doit être de règle, c'est bien l'aménagement du
territoire : nous devons être conscients que des enjeux majeurs sont en cause
et que la seule façon de relever les défis qui s'imposent à nous est d'agir
tous ensemble, de concentrer l'essentiel de nos forces là où nous en avons le
plus besoin.
Oui, la politique de l'Etat en matière d'aménagement du territoire doit être
une politique interventionniste. Nous comptons sur vous, madame la ministre,
pour accentuer les efforts dont ce texte est porteur. Vous pouvez compter sur
le Sénat pour vous aider à trouver les voies et moyens !
(Applaudissements
sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et
Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Laffitte.
M. Pierre Laffitte.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'aménagement
et le développement durable du territoire que souhaitent la plupart des
Français, c'est indiscutablement un équilibre entre, d'une part, les centres
urbains - et plus particulièrement les centres urbains de taille humaine - et,
d'autre part, un espace rural vivant et actif.
L'avenir de nos grandes villes serait préoccupant s'il s'apparentait, même de
très loin, à ce qui s'est produit, par exemple, au Caire, à Lagos ou à Mexico,
où, dans des quartiers périphériques, au mieux construits à la hâte,
éventuellement pas construits du tout, se sont concentrées des populations
déracinées et vouées à l'exclusion.
Les villes ont besoin de qualité, de sécurité et d'attractivité, mais pas de
croissance incontrôlée. A cet égard, ma thèse personnelle est que l'avenir de
la ville est à la campagne, au moins pour partie.
Voilà quelques heures, se tenait, à l'Assemblée nationale, un débat sur un
thème évocateur : « Les villages à la conquête du monde ». Le délégué général
de la DATAR y déclarait avec conviction : « Nous avons la volonté et les moyens
d'aller dans ce sens. »
Depuis trente ans, personnellement, je suis passionné par le développement
local. J'y travaille avec un objectif important, la création de la croissance.
C'est ainsi que nous avons fait de Sophia-Antipolis un village à la conquête du
monde. Nous avons réussi, avec les forces vives des Alpes-Maritimes et l'appui
de la DATAR, à conjuguer dans une zone rurale écologie et haute technologie,
développement économique durable et qualité de vie. Demeuré agreste, le site
compte parmi les plus attractifs d'Europe. Notre village est à la conquête du
monde et veut continuer à l'être. Qui plus est, il génère environ 25 milliards
de francs de produit intérieur brut, dont 10 milliards de francs - et même un
peu plus - vont à l'Etat, aux collectivités locales et à la sécurité sociale,
ce qui n'est pas négligeable puisque cela représente quasiment la moitié de
l'économie des Alpes-Maritimes.
Voilà qui démontre que, si on le veut avec ténacité et continuité, on peut
faire des choses à l'extérieur des grandes villes.
Aujourd'hui, il est devenu plus facile, grâce aux progrès des techniques de la
communication, de développer une population active hors des grandes villes.
Cette évolution est nécessaire et c'est en ce sens que je dis que, comme le
souhaitent souvent les Français, l'avenir des villes est à la campagne, ainsi
que cela se fait ailleurs : aux Etats-Unis, par exemple, la population active
s'accroît plus vite en dehors des grandes villes et de leur banlieue qu'à
l'intérieur de celles-ci, notamment avec le télétravail, grâce au réseau de
télécommunications terrestes ou satellitaires.
Grâce aux nouvelles technologies, il est désormais possible de travailler
partout, de s'éduquer, de se distraire, et cette tendance se développe tous les
mois. L'extraordinaire capacité des nouvelles technologies permet ainsi, dans
chacun des grands colloques ou dans les grandes foires mondiales, de
s'apercevoir qu'un pas supplémentaire a encore été franchi : par exemple, les
petits téléphones portables pourront même intégrer des téléviseurs.
La reconquête de l'espace rural a lieu aussi en Grande-Bretagne, en Allemagne,
en Italie du nord, où les districts ruraux abritent des groupements de petites
entreprises qui attaquent avec succès le marché mondial.
Il est étonnant, au lendemain de la fête de l'Internet, qui s'est ouverte par
un discours du Premier ministre, de ne pas trouver dans ce projet de loi les
mesures concrètes d'appui qui s'imposent, par exemple pour inciter les
entreprises et les administrations à faciliter le télétravail de leurs employés
: une grande partie d'entre eux passent souvent 90 % de leur temps de travail
devant un ordinateur, ce qu'ils pourraient faire à distance.
Le projet de loi n'évoque pas non plus la téléformation ni la large diffusion
de la culture par les autoroutes de l'information, pas plus que la priorité
qu'il faudrait pourtant donner à l'implantation de logements d'actifs dans les
bourgs et les villages.
Mon département prépare actuellement une directive territoriale d'aménagement
et j'ai demandé que l'on introduise cette notion, car c'est un des handicaps au
développement du télétravail actuel et futur. Il faudrait donc mener une
réflexion intelligente pour que soient construites des habitations à loyer
modéré en dehors des quartiers périphériques des grandes villes. Cela
permettrait probablement d'éviter l'hyperconcentration et toutes ses
conséquences désagréables.
Au mépris d'une décision formelle prise par la commission supérieure du
service public des postes et télécommunications, il est question d'acter dans
la loi une certaine régression des fonctions postales en milieu rural pour
tenir compter d'une directive européenne. Je m'associe, puisque je fais partie
de cette commission, à cette décision formelle, qui a été évoquée auparavant à
cette tribune. En effet, je considère qu'au contraire les postiers pourraient
contribuer au nécessaire développement d'Internet en France, en se faisant les
ambassadeurs du développement des messageries électroniques pour tous. La
Poste, qui gère déjà les adresses postales de chacun, pourrait gérer des
adresses électroniques !
Pour synthétiser et caricaturer ma position, je crains que la loi n'admette un
scénario de l'inacceptable. Je crains que ne soit considéré comme prévisible et
normal le fait que des mégapoles avec leurs banlieues, où vivraient 80 % au
moins des habitants de notre pays, soient juxtaposées aux 80 %, restants du
territoire qui seraient transformés en une sorte de réserve naturelle pour les
populations autochtones. Je me souviens ainsi que, voilà quinze ans, à
l'occasion de l'un de mes premiers discours prononcé dans une petite bourgade
du haut pays des Alpes-Maritimes, le maire me demandait ce que serait l'avenir,
car il craignait que son territoire ne devienne une réserve d'Indiens. C'est
une question que se posent beaucoup de maires de régions rurales en
dévitalisation !
Nous ne pouvons pas admettre de ne pas leur donner au moins un espoir. Madame
la ministre, j'espère que vous contribuerez à leur donner cet espoir !
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Legendre.
M. Jacques Legendre.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voici une
nouvelle fois amenés à débattre de l'aménagement du territoire.
Pourquoi ce nouveau débat ? Nous parlons cette fois-ci de développement «
durable » du territoire. Mais croyez-vous, madame la ministre, que votre
prédécesseur, M. Pasqua, ne se préoccupait pas lui aussi du développement
durable alors qu'il avait prévu de redessiner la France à l'horizon 2015 ?
Plutôt que d'affirmer ici une évidence - la nécessité d'un développement
durable -, vous auriez rendu, me semble-t-il, un plus grand service au pays en
garantissant le caractère durable de la grande loi Pasqua-Hoeffel.
Je ne suis pas original en exprimant ici ma désapprobation de la suppression
du schéma national d'aménagement du territoire mis en place par la loi de 1995
: vous lui avez préféré des schémas de service collectif.
Quelle que soit la qualité des travaux préparatoires à l'adoption de ces
schémas, chacun d'entre eux sera d'abord porteur de sa propre cohérence, de
celle de l'administration qui l'aura inspiré, même si les élus, les
collectivités ont, à un moment ou à un autre, l'occasion de donner leur
sentiment sur ces schémas.
Mais comment parvenir à la cohérence d'ensemble qui seule peut garantir un
aménagement du territoire harmonieux et porteur d'une volonté forte ? Je
l'avoue, j'ai là une inquiétude.
Je voudrais ici apporter un témoignage et faire preuve de préoccupations
concrètes. Elles sont celles d'un élu du plus peuplé des départements français,
le Nord, qui compte 2 500 000 habitants. J'y suis le rapporteur général de la
commission de coopération intercommunale et, de surcroît, président de la
première communauté de villes créée en France dès 1992.
Parlons d'abord des rapports entre l'urbain et le rural.
Il paraît que vous avez qualifié la loi précédente de « ruralo-ruraliste ». La
préoccupation portée au monde rural honore ses auteurs, et jamais le
qualificatif de « ruraliste » ne pourra me paraître offensant car, dans un pays
où 80 % de la population vivent sur 20 % du territoire, il y a fatalement des
zones peu peuplées qui appellent un traitement particulier, privilégié, une «
discrimination positive », comme on dit aujourd'hui.
Certains de mes collègues des départements les plus ruraux s'inquiètent du
manque de prise en compte de leurs difficultés dans votre texte. Je crois en
effet qu'ils ont raison.
Encore faut-il s'entendre sur le terme de « rural ». Il y a ce qu'on appelle
parfois le « rural profond », il y a aussi un monde rural proche de la ville,
vivant en symbiose avec elle, ce monde que les géographes appellent d'un mot
bien symbolique, le monde « rurbain. »
C'est ainsi que, dans ma communauté de villes qui rassemble dix-sept communes
dans une même structure, on trouve une ville de 34 000 habitants, mais aussi
dix communes authentiquement rurales de moins de 500 habitants, et que nous
faisons actuellement adopter simultanément un contrat d'agglomération et un
contrat de développement rural qui répondent ensemble aux besoins d'un
territoire mi-urbain mi-rural, mais lié par des solidarités fortes et
reconnues.
Il est vrai que les villes, les pôles urbains sont souvent des moteurs du
développement au service des territoires environnants. Nous le savons depuis
longtemps puisque nos «
pagus
», nos pays traditionnels, portent très
souvent un nom qui leur vient de leur ville centre, et ce tout naturellement
depuis des siècles.
Il faut donc non pas opposer la ville, son agglomération et le pays qu'elle
commande, mais, au contraire, construire le développement sur des bassins de
vie reconnus par la population, qui sait toujours, elle, quelle est la ville
qui rythme sa vie.
Vous avez raison d'insister sur la structuration des solidarités
d'agglomération. Nous en reparlerons bientôt, lors de l'examen du texte de M.
Chevènement.
Vous redécouvrez les vertus du pays, toujours très présent, sauf dans les très
grandes agglomérations. Mais pourquoi en faire le territoire d'un projet,
seulement le territoire d'un moment ? Ne serait-il pas plutôt l'esquisse d'une
organisation future qui se cherche encore ? Sa légitimité démocratique, il la
devra à la reconnaissance par la population de sa pertinence géographique et
des élus qui en ont la responsabilité. Pourquoi, en face de ces élus, hésiter à
affirmer qu'il pourra y avoir place dans l'avenir, pour un échelon déconcentré
des administrations de l'Etat ?
Vous ne parlez guère du département, non plus que de l'arrondissement, cette
entité profondément ressentie dans le milieu rural. Ils furent inventés,
définis, à la fin du xviiie siècle, de manière empirique. Laissez empiriquement
apparaître les entités administatives pertinentes du début du xixe siècle !
Donnez-vous dix ans, donnez-leur dix ans pour faire leurs preuves, pour
s'affirmer ! Osez le droit à l'expérimentation ! Dans ce domaine, votre texte
me semble singulièrement frileux, car trop respectueux des empilements
administratifs traditionnels.
Qui dit aménagement dit aussi traitement différencié, discrimination positive,
pour corriger les fractures dont est naturellement porteur le cours des
choses.
Le monde rural profond est fragile. Les banlieues s'embrasent. Mais l'avenir
n'est pas assuré non plus pour nos agglomérations moyennes.
L'avenir, c'est le tertiaire, dit-on souvent. J'habite dans une ville qui perd
ses emplois secondaires mais aussi ses emplois tertiaires parce que la
décroissance de la population ne favorise pas le développement du commerce,
parce que, dans une zone remarquablement desservie par les autoroutes mais mal
desservie par le TGV, celui qui ne bénéficie pas de la même qualité de desserte
est victime d'un handicap presque insurmontable. Pour desservir ladite zone, la
SNCF majore alors ses tarifs et, par conséquent, perd des clients. Les banques,
les administrations, les tribunaux, chacun avec sa logique, avec ses bonnes
raisons, veulent se concentrer, se réorganiser... ailleurs.
Comment vos schémas de services collectifs peuvent-ils rendre compte de cette
accumulation de décisions individuellement justifiées et collectivement
désastreuses ?
Je ne prétends pas lire dans l'avenir, mais je ne pense pas, madame le
ministre, que votre texte puisse être autre chose qu'une étape, à moins que
vous n'ayez la volonté de tenir le plus grand compte du remarquable travail qui
a été celui de la commission spéciale créée par le Sénat, qui a démontré, une
fois de plus - il convient de le souligner - la qualité de ses analyses et de
ses travaux.
Madame le ministre, je souhaite que nos débats aient un avenir, qu'ils servent
à quelque chose, qu'ils soient durables et que, grâce à l'apport du Sénat, nous
n'ayons pas bientôt à revenir sur votre loi.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Cazeau.
M. Bernard Cazeau.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de
loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire
était incontestablement un texte attendu ; non pas en raison du débat qu'il a
pu susciter préalablement à travers certains de ses objectifs, qui ont pu, un
temps, relancer la polémique entre monde urbain et monde rural, voire entre
régionalistes et départementalistes, mais parce qu'il fallait un complément
indispensable au grand mouvement de décentralisation lancé par les textes
fondateurs de 1982.
La loi Pasqua - on l'a rappelé ici - avait posé un certain nombre de
fondations, mais elle avait également - il faut bien le dire aussi - suscité,
dans sa mise en oeuvre, un certain nombre de déceptions, lenteur d'application
ou manque de moyens financiers ne paraissant pas être les seules raisons de sa
révision.
Aujourd'hui, vous nous présentez, madame la ministre, un projet de loi qui
constitue la colonne vertébrale d'un dispositif plus vaste qui, de l'Europe au
plus profond du monde rural, témoigne d'une volonté cohérente d'aménagement du
territoire à travers les différents textes qui nous sont proposés, ou qui vont
l'être dans les prochaines semaines, et qui vont de l'évolution de
l'intercommunalité aux zonages issus des fonds structurels européens.
Grâce à cette approche, grâce aussi à la qualité du travail fait par
l'Assemblée nationale, le texte que nous discutons aujourd'hui apparaît, sur
bien des points, équilibré et innovant.
Parce que nous sommes pour la plupart, ici, des élus locaux, nous savons à
quel point la réussite d'une politique de développement d'un territoire tient
au bon équilibre que l'on parvient à établir entre les différents ingrédients
de ce développement. Or, c'est sur le chemin de cet équilibre que la loi nous
invite à marcher.
L'équilibre institutionnel, tout d'abord.
On sait comment, en matière de gestion du territoire, peuvent s'opposer, par
tradition, les jacobins et les girondins. La loi nous invite à dépasser cette
opposition.
Elle réaffirme, tout d'abord, le rôle déterminant de la puissance publique,
qu'il s'agisse de l'Etat ou des collectivités locales, en matière d'aménagement
du territoire, et elle reconnaît à chaque échelon administratif un rôle
spécifique.
Elle va toutefois plus loin, car elle ouvre désormais le champ des projets de
développement local à l'ensemble des acteurs et, au-delà des élus, à la société
civile.
C'est ainsi qu'il faut comprendre le rôle dévolu aux pays et, à travers eux,
au conseil de développement - je regrette que celui-ci ait disparu dans les
propositions de la commission spéciale - qui, par leur réflexion et par la
concertation qu'ils permettent, viendront enrichir l'action des collectivités
publiques.
A l'équilibre institutionnel s'ajoute un équilibre dans la prise en compte des
facteurs du développement que sont l'économique, le social et
l'environnemental.
A cet égard, le projet de loi nous fait franchir un cap en ne s'en tenant plus
au seul objectif de la compétitivité économique.
Dans tout projet de développement, il convient désormais de prendre également
en compte la dimension sociale des problèmes - le développement ne vaut et ne
tient que s'il est partagé - ainsi que la dimension environnementale - le
développement ne vaut et ne tient que s'il ne conduit pas à la disparition des
ressources naturelles.
C'est donc à travers une grille complète et non pas uniquement marchande que
la loi d'orientation nous propose d'examiner les projets destinés à
l'enrichissement et à la croissance. Gageons que c'est là une condition
supplémentaire de réussite.
Ma seconde observation a trait au caractère novateur de cette loi. A nos yeux,
l'essentiel est là : la loi qui nous est proposée aborde la question de
l'aménagement du territoire sous un angle neuf et moderne. L'aménagement
durable, c'est, comme vous l'avez dit, madame la ministre, l'aménagement
réalisable, viable dans le temps et intégré à l'espace.
L'innovation présentée ne se résume pas à la méthode qu'elle propose ; elle
tient aussi aux objectifs qu'elle nous fixe. Elle ouvre, en particulier, une
nouvelle période de la programmation des investissements en nous faisant passer
de l'époque des structures à celle des services.
Nous sommes, aujourd'hui, sortis de la reconstruction, voire de la
modernisation sans discernement ; notre philosophie ne peut plus être celle des
seuls équipements.
Il faut, dans une vision beaucoup plus large, partir des besoins humains, qui
se sont complexifiés, et se demander de quels services autant que de quels
équipements nos concitoyens ont besoin.
Ce sera l'occasion de se préoccuper de la nécessité qu'il y a, pour réussir un
aménagement harmonieux du territoire, à construire des équipements, des routes,
mais aussi à développer des politiques actives en matière de culture, de santé,
d'enseignement supérieur, de recherche, etc., qui donnent tout leur sens aux
schémas de services collectifs, qui doivent déterminer les équipements.
Vous nous avez assuré, madame la ministre, que le Parlement serait associé à
la réflexion. Il lui reviendra aussi de vérifier que les engagements qui seront
pris seront compatibles avec les crédits que nous votons dans les lois de
finances.
Voilà ! Le projet de loi nous invite à réfléchir à un aménagement durable de
nos territoires. Mais parce qu'il s'agit d'une loi d'orientation, il faudra que
notre vigilance elle-même soit tout aussi durable.
C'est seulement à cette condition que nous redonnerons à notre politique
d'aménagement du territoire les moyens dont elle a parfois cruellement manqué :
les moyens matériels, certes - la péréquation des richesses ne sera pas l'un
des moindres - mais aussi les moyens humains, tant intellectuels que sociaux,
sans lesquels vous le savez bien -, toute entreprise, dans le monde
d'aujourd'hui, reste sans objet.
(Applaudissements sur les travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Franchis.
M. Serge Franchis.
Madame la ministre, alors que la loi de février 1995 d'orientation pour
l'aménagement du territoire n'a pas été totalement appliquée, loin de là, vous
croyez devoir remettre en cause son architecture trop « ruraliste », en mettant
plus particulièrement l'accent, dans votre texte, sur le renforcement des pôles
urbains et sur l'organisation des agglomérations.
Une telle approche devrait
a priori
séduire l'élu urbain que je suis.
Les difficultés sociales que connaissent près de 250 quartiers de nos villes
sont effectivement très préoccupantes. Elles ne nous autorisent pas, pour
autant, à laisser à l'abandon des pans entiers de notre territoire rural, en le
considérant essentiellement comme un patrimoine naturel à protéger.
Cette vision urbano-écologiste de l'aménagement du territoire va, en réalité,
à l'encontre d'un développement équilibré, alors que 425 cantons ruraux sont en
voie de désertification, et ce au moment où la réforme des fonds structurels
européens risque d'être moins favorable à la France que le régime qui lui est
actuellement appliqué. Le Gouvernement est peu disert sur ce sujet...
Certaines régions ne bénéficieront plus des crédits de l'objectif 1. D'autres,
comme le département de l'Yonne, en Puisaye-Forterre notamment, qui étaient
jusqu'alors éligibles à l'objectif 5 b, vont-elles bien, madame la ministre,
pouvoir bénéficier des volets agricole et industriel de l'objectif 2 ? Je
m'interroge à ce sujet.
En effet, selon le groupe d'études et de réflexion interrégional, la France
perdrait cinq milliards de francs par an de crédits des fonds structurels
européens, ce qui est considérable.
A cette inquiétude s'en ajoute une autre : comme l'a récemment souligné un
rapport de notre collègue Jean-Pierre Raffarin, certaines mesures envisagées
par la Commission de l'Union européenne, en entravant la liberté de choix des
zones de l'objectif 2 par les Etats membres, risquent de réduire la carte des
primes d'aménagement du territoire alors que cette carte est déjà très
sélective.
Quant à la loi spécifique au développement des zones rurales prévue en 1995,
elle ne verra pas le jour ; votre texte ne prévoit pas de véritable cadre de
développement pour les zones de revitalisation rurale ; le fonds de gestion de
l'espace rural n'est pratiquement plus doté financièrement ; les services
publics en milieu rural risquent d'être progressivement fermés et nous sommes
actuellement confrontés dans de nombreuses régions à des fermetures de classes.
Bref nos campagnes resteront sans doute belles, mais seront-elles encore
habitées et animées ?
N'oublions pas que si 80 % de la population est urbaine, 80 % du territoire
français demeure rural : nier cette réalité, ce serait mettre en place un
aménagement du territoire à deux vitesses, ce qui ne serait pas acceptable.
Ce qui m'a frappé aussi en examinant votre projet de loi est de voir à quel
point l'accent y est mis sur le rôle moteur de l'Etat en matière d'aménagement
du territoire, les collectivités territoriales étant reléguées à un simple rôle
d'accompagnement, alors qu'elles contribuent pourtant à la moitié du
financement des contrats de plan.
Ce retour en force de l'Etat est-il compatible avec l'esprit des lois de
décentralisation ?
Dans votre texte, la définition et la réalisation des choix statégiques en
matière d'aménagement du territoire relèveront, au premier chef, de l'Etat.
L'expérience nous prouve que, lorsque l'Etat veut s'occuper de tout, il s'en
occupe mal. De ce point de vue, je suis inquiet de constater à quel point son
rôle paraît prééminent dans la mise en oeuvre des huit schémas de services
collectifs, dans la préparation des contrats de plan Etat-régions et dans la
mise en oeuvre des directives territoriales d'aménagement.
Parmi les autres innovations de votre projet de loi figurent la consécration
des pays judicieusement créés par la loi de 1995, ainsi que le rôle essentiel
dévolu aux agglomérations. En effet, les communautés d'agglomérations
constituent, par ailleurs, la pierre angulaire du projet de loi sur
l'intercommunalité que le Sénat examinera prochainement.
Les pays pourraient donc désormais signer des contrats dans le cadre des
contrats de plan Etat-région mais à condition qu'ils s'organisent en syndicats
mixtes ou en établissements publics de coopération intercommunale.
Ainsi, à côté de nos 36 000 communes, des SIVU, des SIVOM, des communautés de
communes, des communautés d'agglomérations, des communautés urbaines, des
départements, des régions et de l'Etat, nous trouverons désormais des pays,
établissements publics, chaque échelon disposant de son administration, souvent
de sa fiscalité, de compétences propres et de la capacité à contracter avec les
autres, pour concourir, notamment, à des financements croisés.
Tout le monde se mêle à tout ! Cette énumération a de quoi donner le
tournis.
On ne peut donc que regretter que votre texte, plutôt que de favoriser une
clarification du rôle, du financement et des compétences des collectivités
territoriales, aille dans le sens d'un plus grand empilement administratif.
Pour toutes ces raisons, je ne saurais m'associer à votre projet de loi,
madame la ministre, que lorsqu'il aura été profondément enrichi et remanié -
avec votre compréhension - selon les propositions de la commission spéciale,
qui a effectué un excellent travail et qui a bien perçu l'essentiel des
problèmes évoqués à cette tribune.
(Applaudissements sur les travées de
l'Union centriste et du RPR.)
Demande de priorités et de réserve