Séance du 31 mars 1999
M. le président. Par amendement n° 85, MM. Larcher, Belot et Revet, au nom de la commission spéciale, proposent d'insérer, après l'article 32, un article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article 18 de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire, sont insérés une division et un intitulé ainsi rédigés :
« Section 5
« Des schémas directeurs d'équipements et de services de transports. »
La parole est à M. Larcher, rapporteur.
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
L'insertion de deux nouveaux schémas directeurs d'équipements
et de services nous conduit à créer une section 5 dans les schémas de transport
antérieurement visés à la sous-section 1 de la section 3.
Tel est l'objet du présent amendement qui n'est qu'un texte de coordination
par rapport à la rédaction que nous proposons.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Dominique Voynet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
Le
Gouvernement est défavorable à cet amendement pour les motifs que j'ai déjà
longuement expliqués la semaine dernière.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 85, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet
de loi, après l'article 32.
Par amendement n° 83 rectifié, MM. Larcher, Belot et Revet, au nom de la
commission spéciale, proposent d'insérer, après l'article 32, un article
additionnel ainsi rédigé :
« L'article 19 de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 est ainsi rédigé :
«
Art. 19-I.
- En 2020, aucune partie du territoire français
métropolitain continental ne sera située à plus de cinquante kilomètres ou de
quarante-cinq minutes d'automobile soit d'une autoroute ou d'une route expresse
à deux fois deux voies en continuité avec le réseau national, soit d'une gare
desservie par le réseau ferroviaire à grande vitesse.
« II. - Dans un délai de dix-huit mois à compter de la publication de la
présente loi, sont établis à l'échéance de 2020 : un schéma directeur
d'équipements et de services routiers, un schéma directeur d'équipements et de
services fluviaux, un schéma directeur d'équipements et de services
ferroviaires, un schéma directeur d'équipements et de services maritimes et un
schéma directeur d'équipements et de services aéroportuaires.
« III. - Les schémas directeurs d'équipements et de services visés au II
prennent en compte les choix stratégiques visés à l'article 2, les trafics
constatés n'étant pas le seul critère de choix. Ils prennent en compte les
orientations des schémas européens d'infrastructures et l'objectif
d'établissement de liaisons européennes à travers le territoire français.
« Ces schémas veillent notamment à poursuivre l'amélioration de
l'accessibilité à toute partie du territoire français, particulièrement dans
les zones d'accès difficile. Ils devront notamment prévoir des modes de
transport adaptés pour le trafic des marchandises dans les zones à
l'environnement fragile.
« Ces schémas favorisent une approche intermodale, intégrant le mode étudié
dans une chaîne de transport et prenant en compte les capacités retenues pour
les autres modes de transport.
« Ils se composent d'une carte définissant la nature et la localisation des
travaux d'entretien, d'extension ou de création des équipements et d'un
échéancier qui précise le montant des investissements et leurs modalités de
financement.
« IV. - Ces schémas tiennent compte des handicaps structurels, des
spécificités telles que l'éloignement, l'insularité, la superficie, le relief
et le climat dans les départements d'outre-mer - régions ultrapériphériques
françaises. »
La parole est à M. Larcher, rapporteur.
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Nous avons recti- fié notre amendement n° 83 après avoir
entendu M. Bellanger. En effet, face à la logique de l'offre, il y a celle du
flux.
Cet amendement a pour objet de fixer le régime juridique des schémas
directeurs d'équipements et de services des transports. Il reprend le texte de
l'article 17 de la loi du 4 février 1995 tout en opérant plusieurs
changements.
Il modifie, tout d'abord, le nom des schémas visés à cet article. Ce nouvel
intitulé traduit la volonté de voir prises en compte tant la notion
d'équipement que celle de service.
Il remplace la référence aux « orientations nationales de développement du
territoire » par une référence aux « choix stratégiques » visés à l'article
2.
Il reporte à 2020 l'échéance de ces schémas et souligne que ceux-ci favorisent
une approche « intermodale ».
Enfin, en retenant l'une des conclusions du rapport de la commission d'enquête
Fleuve, Rail, Route,
il ajoute au III de cet article un quatrième et
dernier alinéa qui précise que ces schémas se composent, d'une part, d'une
carte définissant la nature et la localisation des travaux d'entretien,
d'extension ou de création des équipements et, d'autre part, d'un échéancier
qui précise le montant des investissements et leurs modalités de financement.
Ces dispositions s'inspirent directement, je le rappelle, de celles qui sont en
vigueur en Allemagne.
Nous avons eu tout à l'heure un débat fort riche. Mais je ne voudrais pas que
l'on caricature la position de la commission en laissant croire qu'elle serait
plus favorable à un mode de transport qu'à un autre.
Comme nous l'avons déjà dit, il est nécessaire d'avoir une approche à la fois
« multimodale » et « intermodale » de l'ensemble des modes de transport. Cette
approche nécessite des choix en matière d'investissement qui permettent de
remédier à un certain nombre de déséquilibres introduits dans notre pays.
Comme l'a rappelé M. François-Poncet, nos voisins allemands ont évité, en
quinze ans, la dégradation de la part du rail sans pour autant empêcher la
croissance de la part de la route. Si nous voulons que le rail reconquière des
parts de marché, il faut réaliser des investissements dans ce secteur. Dans
notre rapport, comme dans notre amendement n° 84, nous soulignons d'ailleurs la
nécessité d'investir à des horizons pas trop lointains.
Madame le ministre, vous évoquiez le contournement de Lyon. Je rappelle que
le pont Saint-Jean à Bordeaux nécessite un milliard de francs. N'oublions pas
non plus, alors qu'on parle d'ancrage dans l'Union européenne, le problème posé
par la liaison ferroviaire le long de la côte languedocienne ainsi que le
contournement de Paris pour redonner des chances au Havre par rapport à
Rotterdam.
M. Charles Revet,
rapporteur.
Absolument !
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Ces réalités-là, nous les avons définies comme des priorités.
Par conséquent, laisser accroire que la commission spéciale aurait fait le
choix d'un mode de transport plutôt qu'un autre serait inexact.
Par ailleurs, nous avons travaillé à partir d'un rapport en date de 1994
intitulé
Réseau routier transeuropéen
sur le développement spatial,
régional et économique. Nous nous sommes d'ailleurs demandé en février dernier
s'il était toujours considéré comme valable à l'échelon européen. Toute ville
moyenne, dont la définition varie selon le pays concerné, devrait être située à
trente minutes au maximum d'un point d'entrée sur le réseau routier
transeuropéen.
Par ailleurs, madame le ministre, si le même groupe de travail reconnaît que
ce n'est pas l'infrastructure qui, à elle seule, crée l'activité, il considère,
lui aussi, qu'une bonne accessibilité aux espaces ruraux est la seule manière
de permettre le repeuplement des campagnes, donc leur revitalisation. Je vous
renvoie, à cet égard, à la page 23 du rapport. Si la condition n'est pas
suffisante, elle paraît nécessaire. Voilà pourquoi nous nous inscrivons dans
une logique d'équipement du territoire qui ne doit pas nous conduire à des
affrontements idéologiques sur ce sujet. Nous devons raisonner en termes de
complémentarité d'équipement.
Si nous prenons comme référence la France et l'Allemagne, nous voyons bien que
le rail et les voies navigables ont, par exemple, des valeurs « tutélaires »
moyennes en général sept fois inférieures en termes de pollution atmosphérique
à celles de la route.
M. Roland Courteau.
C'est vrai !
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Mais nous savons aussi qu'il y a la réalité. Le combat pour
améliorer les caractéristiques techniques des moteurs à explosion, notamment en
matière de rejet de CO2, de CO et de SO2, est l'une de nos préoccupations.
L'approche intermodale et multimodale fait partie des réalités de l'aménagement
et du développement du territoire.
Permettez-moi de rappeler que l'expérimentation de la régionalisation des
transports ferroviaires est une initiative due à M. Haenel et non à la SNCF,
car l'aménagement du territoire fait partie des préoccupations de cette
assemblée.
M. Alain Gournac.
Un peu beaucoup !
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 83 rectifié ?
Mme Dominique Voynet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
Le
Gouvernement en pense beaucoup de mal, monsieur le président !
M. le président.
Tel était mon sentiment, madame la ministre, mais je préférais vous l'entendre
dire !
M. Charles Revet,
rapporteur.
Mais non ! Cet amendement est très bon !
Mme Dominique Voynet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
Je me suis
exprimée déjà longuement à l'occasion de l'examen de l'article 32 sur l'intérêt
que présentent, pour la planification à long terme des transports, les deux
schémas de services multimodaux que le Gouvernement propose. Je me limiterai
donc à commenter deux points particuliers, à savoir, d'une part, le
rétablissement de la règle des cinquante kilomètres ou des quarante-cinq
minutes et, d'autre part, l'introduction d'une programmation au sein de ces
schémas.
Le Gouvernement partage bien évidemment l'objectif d'améliorer la desserte des
zones d'accès difficile ou de moindre densité démographique dans un but de
développement local et de rapprochement de nos concitoyens des services qui se
trouvent, pour nombre d'entre eux, dans les villes.
Le Gouvernement a ainsi souhaité que cet objectif soit mentionné dès l'article
3 de la LOTI, article fondateur de la politique des transports. Je n'ai pas eu
l'occasion de souligner à quel point cette loi était et reste une grande loi.
En effet, en cherchant à la « toiletter » dix-sept ans plus tard, on se rend
compte que presque toutes les dispositions qu'elle contient sont bonnes. Il n'y
a pas grand-chose à jeter, tout au plus certaines dispositions doivent être
rénovées.
De même, cet objectif est également clairement mentionné dans le cahier des
charges des schémas de service de transports aux articles 14-1 et 14-2 de la
LOTI. En tout cas, tel serait le cas si M. le rapporteur n'avait pas souhaité
la suppression de cet objectif.
Fallait-il pour autant maintenir la règle des cinquante kilomètres ou des
quarante-cinq minutes telle qu'elle figure dans la loi de 1995 ?
Est-il sérieux de promettre de réaliser partout en montagne des équipements
autoroutiers à 120 millions de francs le kilomètre, pour desservir quelques
centaines ou quelques milliers d'habitants ? Ce n'est pas faire insulte au
monde rural que de dire qu'une telle règle est un mythe, une vue de l'esprit,
une façon un peu chaotique et rigide de manifester son intérêt pour la desserte
de ces populations ou un pari sinon sur l'éternité, du moins sur un avenir non
prévisible.
Cette disposition pèche non seulement par irréalisme, mais aussi par rigidité.
La commission spéciale s'est élevée contre cette accusation d'irréalisme, et
pourtant elle interprète cette obligation législative comme « un objectif à
atteindre, indiquant le sens de l'évolution graduelle que le législateur
entendait voir suivre ». On ne peut qu'être surpris d'une telle interprétation
lorsqu'on connaît l'importance que le Sénat attache à la rigueur des textes
législatifs. La langue française offre pourtant bien des possibilités pour
exprimer ces nuances.
On les comprend mieux quelques pages plus loin, lorsque la commission spéciale
propose de reconduire cette obligation en repoussant son échéance à 2020. Cinq
années après le vote de la loi, la commission spéciale propose donc de
repousser cette échéance de cinq années. Ainsi, plus de 80 milliards de francs
dépensés en travaux autoroutiers et plus de 1 000 kilomètres d'autoroutes
ouverts de 1995 à 1999 n'auraient pas permis de se rapprocher de l'objectif !
Quelle meilleure preuve donner à l'irréalisme de l'article adopté en 1995 ?
Est-on au moins certain que, pour cette seconde tentative, l'échéance avancée
est crédible ? On peut en douter quand on se souvient que la directive
européenne « Travaux » et la loi Sapin ont modifié fondamentalement les règles
de fonctionnement du système de concession des nouvelles sections
autoroutières, amenant l'Etat et les collectivités territoriales à payer de
fait la majeure partie du coût d'infrastructures à faible trafic. Je pense que
nous y reviendrons, monsieur Oudin.
M. Jacques Oudin.
Certainement, madame le ministre.
Mme Dominique Voynet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
Mais il ne
s'agit pas simplement d'une question d'échéance calendaire. Une règle aussi
rigide me paraît dangereuse par ses effets pervers. En effet, la planification
qui en résulterait accumulerait les projets en zones rurales, pour répondre aux
critères législatifs, et les projets en zones urbaines, pour répondre aux
besoins qui s'y font sentir en raison, notamment, de la saturation des grands
itinéraires, sans aucun rapport avec les moyens que l'Etat est en mesure de
consacrer à leur réalisation, lui laissant donc toute liberté de piocher dans
un stock irréalisable de projets, au gré des opportunités politiques ou
financières.
Une telle planification reviendrait à un non-choix, alors que le Gouvernement
entend bien définir une politique des transports arrêtant des priorités
concertées.
Enfin, un tel critère part de l'hypothèse que l'amélioration de la desserte
des zones d'accès difficile ou de faible densité démographique passe
nécessairement par la réalisation d'autoroutes ou de routes express à deux fois
deux voies, excluant, par exemple, les nouveaux projets routiers que le rapport
que vous avez cité tout à l'heure appelait de ses voeux pour les liaisons à
plus faible trafic.
Nous devons ici faire preuve de pragmatisme. Sur certaines liaisons,
l'amélioration de la desserte passera par la création d'infrastructures
nouvelles, mais pas forcément d'une autoroute ; sur d'autres, il s'agira
d'améliorer la sécurité, la qualité du service offert en période hivernale ou
la fréquence et le confort des transports en commun. Il ne peut y avoir, en la
matière, une règle générale. Nous devons examiner, liaison par liaison, en
fonction des besoins réels, des coûts et du contexte géographique, ce qui est
nécessaire et possible.
J'en viens à la distinction que vous opérez entre la planification et la
programmation.
J'ai bien compris qu'il s'agissait de corriger en partie l'effet pervers
induit par l'exercice que j'ai précédemment décortiqué. Je ne peux que partager
ce souci de voir une planification régulée par les contraintes budgétaires qui
s'imposent à tous. Cette nécessité est affirmée dans les documents de cadrage
national qui serviront de guide à l'élaboration des schémas. Elle passe
également par la hiérarchisation des priorités d'action. Faut-il aller plus
loin ? Faut-il pour autant que la planification s'accompagne de cartes et
d'échéanciers définissant la nature et la localisation des travaux d'entretien,
d'extension ou de création ainsi que des modalités de financement de ces
opérations ? Mener un tel exercice à un horizon de vingt ans relève de la
gageure et dépasse de beaucoup l'exemple allemand qui inspire l'amendement.
Le Gouvernement préfère, quant à lui, s'attacher à un horizon de programmation
réaliste, celui des contrats de plan. La négociation de ces derniers lui paraît
l'occasion privilégiée non seulement pour discuter de la programmation des
opérations qui devront figurer au contrat, mais plus généralement pour préciser
la programmation de l'ensemble des opérations qui, même si elles ne figurent
pas au contrat, en constituent la toile de fond.
Je vous propose, puisque j'ai omis de le faire, de consulter un document,
émanant de la direction des routes ainsi que de la direction de la sécurité
routière, de la circulation intitulé « Services offerts par le réseau routier
national ». Il illustre bien la difficulté de respecter des dispositions
prévoyant la construction d'autoroutes pour desservir toutes les communes
situées à plus de quarante-cinq minutes ou à plus de cinquante kilomètres d'un
échangeur.
Ce document comporte des éléments intéressants, notamment une carte qui permet
de se rendre compte que même les zones qui ne sont pas actuellement desservies
par une autoroute le sont par des routes nationales très modernes. C'est
notamment le cas des zones qui ne sont pas situées en haute montagne.
En revanche, si on exclut ces routes nationales qui ont un gabarit très
satisfaisant et qui ont été régulièrement entretenues et améliorées, je pense
par exemple à toutes les routes nationales qui desservent le grand Sud-Ouest ou
la Bretagne, on est confronté à une difficulté particulière. En effet, les
zones qui sont concernées par cet amendement, monsieur le rapporteur, sont des
zones de haute montagne ou de très haute montagne. Aussi, le montant que j'ai
cité tout à l'heure, à savoir 120 millions de francs par kilomètre, est sans
doute très en deçà de la réalité.
Enfin, je dirai quelques mots sur les caractéristiques des véhicules. Vous me
faites plaisir. En effet, le Gouvernement a dynamisé fortement la réflexion du
Conseil européen qui concernait les directives « auto-oil », lesquelles
prévoient l'amélioration des caractéristiques techniques des moteurs et des
caractérisitiques des carburants. On devrait ainsi réduire d'un tiers la
pollution pour les véhicules neufs en 2000 et d'un autre tiers en 2005 ; c'est
considérable !
Cela ne résoudra pas, hélas ! les problèmes liés à l'engorgement urbain et aux
accidents de la route. Il me semble donc nécessaire de réaffirmer que nos choix
devraient en priorité s'attacher à la maîtrise de la circulation automobile en
ville. C'était l'un des enjeux des plans de déplacement urbain, dont j'ai cru
comprendre, hier, que vous souteniez le principe.
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Larcher, rapporteur.
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Madame le ministre, nous partageons les préoccupations liées
aux phénomènes de pollution mais vos propositions manquent singulièrement
d'ambition.
Je m'étonne que nous ayons moins d'ambition que l'Irlande, la Grèce ou le
Portugal en matière de desserte, par rapport à ce que ces pays ont décidé
depuis en termes de proximité.
Je rappelle que ce principe existe aux Etats-Unis depuis la seconde moitié des
années cinquante. Le plan présenté par le président Eisenhower a permis de
relier chaque pôle rassemblant 50 000 habitants, et a joué un rôle dans la
relance du territoire.
Tous ces éléments ont été repris. On ne mène pas de politique d'aménagement et
de développement du territoire sans une certaine ambition, une ambition
réaliste : c'est l'objet de notre amendement.
Enfin, madame le ministre, vous nous demandez de regarder le territoire à une
perspective de vingt ans, mais vous nous proposez une programmation
d'équipement à cinq ans : là aussi, nous tirons à courte vue. Les Allemands ont
une programmation à dix-neuf ans. En l'occurrence, nous ferions bien de nous
inspirer de cette perspective, pas simplement dans l'article 1er ou l'article 2
du texte, mais aussi lorsque nous abordons concrètement les schémas directeurs
d'équipements et de services.
Voilà pourquoi je souhaite que vous souteniez cet amendement, mes chers
collègues. Cet amendement n'est pas un rêve ; il repose sur ce qui pourra
devenir une réalité, à condition que nous le voulions.
(Applaudissements sur
les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Alain Gournac.
Voilà !
M. Charles Revet,
rapporteur.
C'est une volonté ! Or, c'est ce qui manque le plus !
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 83 rectifié.
M. Jacques Bellanger.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Bellanger.
M. Jacques Bellanger.
Dans un premier temps, il nous a semblé que la Haute Assemblée voulait adopter
une attitude constructive sur ce projet de loi,...
M. Charles Revet,
rapporteur.
Nous ne faisons que cela !
M. Jacques Bellanger.
... en souhaitant donner plus de corps à un texte déjà bien charpenté par
l'Assemblée nationale.
Or, au fil de la discussion, qui s'achèvera peut-être bientôt, le Sénat,
article après article, procède méthodiquement à la destruction du texte, de ses
innovations les plus majeures. Que nous propose-t-il en remplacement ? En
l'occurrence, un retour à la loi de 1995, c'est-à-dire à un texte qui n'a même
pas pu être appliqué par la majorité qui l'avait voté.
M. Roland Courteau.
C'est exact !
M. Jacques Bellanger.
Cela étant dit, je veux expliquer clairement les raisons de fond sur
lesquelles reposent notre position. Des raisons de fond, ce n'est déshonorant
ni pour les uns ni pour les autres. De plus, si on les qualifie d'«
idéologiques », c'est un compliment. Nous avons le droit, les uns et les
autres, d'avoir des opinions auxquelles nous croyons.
M. Charles Revet,
rapporteur.
Heureusement !
M. Jacques Bellanger.
J'expliquerai donc clairement les raisons de fond pour lesquelles nous sommes
résolument opposés au rétablissement des cinq schémas unimodaux de la loi
Pasqua, même légèrement modifiés.
Tout d'abord, parce qu'il s'agit de schémas unimodaux. Ces schémas sont
aujourd'hui révolus. Ils correspondent à une vision passée, je dirai même
passéiste de l'aménagement du territoire : l'époque où les grands corps de
l'Etat, les grands services de l'équipement faisaient la loi, au sens le plus
littéral du terme ; l'époque où la politique d'aménagement du territoire était
déterminée d'en haut.
Cette logique, une logique de l'offre, une logique « équipementière », le
Gouvernement et sa majorité ont voulu la casser pour lui substituer une logique
de la demande, une logique qui part de l'analyse des besoins exprimés,
notamment sur le plan régional. Je m'étonne que notre assemblée refuse cette
démarche, pourtant plus conforme à l'esprit de la décentralisation.
Je crois qu'en revenant aux schémas unimodaux nous allons droit dans le
mur.
Droit dans le mur, parce que nous n'avons pas les moyens pour réaliser tous
les projets énoncés dans les actuels schémas directeurs.
Si mes souvenirs sont exacts, la commission thématique « Réseaux et
territoires », chargée de réfléchir au contenu du schéma national d'aménagement
du territoire prévu par la loi Pasqua, reconnaissait, en 1996, que les mesures
déjà arrêtées en matière de réalisation d'infrastructures, si elles n'étaient
pas remises en cause, ne laisseraient aucune marge de manoeuvre dans les choix
d'ici à 2005 ! Parallèlement, et malgré cette contrainte, cette même loi,
posait comme principe qu'en 2015, soit dix ans plus tard, aucune partie du
territoire ne serait située à plus de 50 kilomètres ou de 45 minutes
d'automobile soit d'une autoroute ou d'une voie expresse à deux fois deux
voies, soit d'une gare TGV. Qui pourrait être contre ? Mais est-ce bien
raisonnable ? Est-ce ainsi que nous allons crédibiliser l'action publique ?
Droit dans le mur aussi, parce que la démarche que vous proposez ne présente
pas une vision cohérente, une conception d'ensemble de l'organisation des
déplacements des hommes et des marchandises.
Nous voulons, pour notre part, mener une politique responsable et réaliste en
matière de transports. Cela ne signifie pas, comme vous tentez de le faire
croire, que nous refusons toute construction de nouvelles infrastructures. Nous
voulons simplement que cette solution soit envisagée seulement dès lors que
toutes les autres alternatives d'amélioration du service à rendre à l'usager -
car c'est bien en termes de service que nous voulons agir - ont été étudiées au
regard de trois objectifs : le développement durable, la rentabilité économique
et sociale et le gain pour l'usager. Je prendrai un seul exemple : le TGV Est.
Nous avons pris la décision de le réaliser, mais nous nous sommes assurés que
nous en avions les moyens. Bref, nous voulons placer l'homme au coeur de nos
projets.
(Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Jean Chérioux.
D'autres l'ont dit avant vous !
M. Gérard Le Cam.
Les communistes !
M. Jacques Bellanger.
Il est vrai que nous voulons clairement créer une alternative à la politique
du tout-routier qui a sévi jusqu'à présent, avec les conséquences que l'on
sait. C'est une alternative responsable : il ne s'agit pas de repousser toute
politique routière ; il s'agit d'opérer un rééquilibrage.
Je crois sincèrement que vos options ne le permettent pas. Vous prônez la
multimodalité mais, en réalité, vous refusez de la mettre en oeuvre, en
maintenant les schémas sectoriels.
Nous voterons donc contre cet amendement, mais aussi contre les autres
amendements que vous nous proposez et qui visent à insérer des articles
additionnels après l'article 32.
(Applaudissements sur les travées
socialistes.)
M. Alain Gournac.
Très belle déclaration !
(Sourires.)
M. Serge Lagauche.
Vous le reconnaissez !
Mme Odette Terrade.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à Mme Terrade.
Mme Odette Terrade.
Prétendre qu'en 2015, voire en 2020, aucune partie du territoire français ne
serait située à plus de cinquante kilomètres ou quarante-cinq minutes
d'automobile d'une autoroute, d'une route à deux fois deux voies ou d'une gare
desservie par le TGV est certes un objectif louable, mais c'est ignorer
complètement les particularismes de nos territoires et les besoins réels de la
population.
En outre, un tel projet n'a de véritable signification qu'à la mesure des
moyens financiers et humains que l'on déploie pour le mettre en oeuvre.
Or, de ce point de vue, la loi Pasqua est restée muette et les gouvernements
Balladur et Juppé n'ont eu de cesse, entre 1993 et 1997, de diminuer sans
retenue les crédits d'équipements pour se conformer aux critères de Maastricht
et ont procédé à des réductions de personnels, que ce soit à la SNCF ou dans
les services déconcentrés de l'équipement, en prévoyant notamment un plan
triennal de 1 000 suppressions d'emplois par an dans les directions
départementales de l'équipement.
Dès lors, que la majorité sénatoriale, qui fustige par ailleurs sans cesse les
dépenses excessives de l'Etat, nous explique avec quel argent elle veut
financer les projets qu'elle défend aujourd'hui !
Faut-il rappeler, mes chers collègues, que la majorité sénatoriale a amputé le
budget de l'équipement pour 1999 de 100 millions de francs et le budget des
transports de près de 600 millions de francs ?
M. Roland Courteau.
Eh oui !
Mme Odette Terrade.
Peut-on, dès lors, mes chers collègues, vouloir équiper le pays et se priver
des moyens de le faire ?
Lors de la discussion du prochain projet de loi de finances, j'ose espérer que
vous n'aurez pas oublié vos promesses d'aujourd'hui. En tout cas, vous pourrez
compter sur nous pour vous les rappeler le moment venu.
Pour l'heure, nous voterons contre les amendements n°s 83 rectifié à 87.
M. Jacques Oudin.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Oudin.
M. Jacques Oudin.
Comme l'a pertinemment rappelé M. le rapporteur, l'une des grandes avancées de
la loi Pasqua est précisément la notion selon laquelle aucune partie du
territoire ne doit être éloignée d'un grand équipement de transport. Cette
grande avancée a été réalisée après une consultation qui a duré deux ans. Le
Premier ministre et le ministre de l'aménagement du territoire se sont rendus
dans toutes les régions pour consulter les professionnels, les élus et les
usagers.
Je rappelle que la loi du 4 février 1995 a été votée à la quasi-unanimité par
le Parlement. Aujourd'hui, vous argumentez sur le fait qu'elle a été votée par
notre majorité ou par l'ancienne majorité. Examinez le décompte des voix de
l'époque : ce texte a bien été voté à la quasi-unanimité du Parlement, après
une consultation qui a duré deux ans.
Mme Odette Terrade.
C'est la droite qui réduit les crédits !
M. Jacques Oudin.
J'entends certains collègues dire que cette loi est rétrograde. J'en prends
note mais je ne partage pas leur appréciation car vouloir remplacer un schéma
de structures par un schéma de services dont personne n'est en mesure de nous
donner le contenu exact, c'est regarder l'avenir dans le rétroviseur !
Aucun pays industriel n'a renoncé à disposer de schémas de structures, que ce
soit pour les routes, les autoroutes, les ports, les aéroports, les chemins de
fer, les voies fluviales, etc. Nous serions les seuls à vouloir innover en la
matière.
J'ai entendu des propos quelque peu caricaturaux. On nous dit qu'il faut
rompre avec une logique de l'offre. On évoque une logique de l'offre qui ne
correspondrait pas à des besoins. Il faudrait rompre avec une logique
équipementière. Ce sont des mots. La réalité, s'agissant du développement
économique et social, c'est que les individus ont besoin de se déplacer et ils
doivent pouvoir disposer d'équipements adaptés à cet effet.
On a parlé de rééquilibrage. A cet égard, je voudrais revenir sur ce que j'ai
déjà eu l'occasion de dire à votre collègue ministre de l'équipement, des
transports et du logement. Nous disposons de routes nationales qui sont
parfaites et qui desservent certains points du territoire, avez-vous dit,
madame la ministre. Certes, mais une route nationale est cinq fois plus
dangereuse qu'une autoroute !
M. Jean Chérioux.
Eh oui !
M. Jacques Oudin.
Vous avez réduit nos ambitions autoroutières de 1 500 kilomètres. Or, en
termes de sécurité routière, et ce pour la première fois depuis des années,
1998 a, hélas ! été une année catastrophique. En effet, le nombre de tués a
augmenté de 5 %, le nombre de blessés également, puisqu'il est passé de 8 000 à
plus de 8 400.
Je le répète : on est responsable de ce que l'on fait, mais également de ce
que l'on ne fait pas. Tout kilomètre d'autoroute en moins, ce sont des morts en
plus ! Chacun prendra ses responsabilités !
(Applaudissements sur les
travées du RPR. - Exclamations sur les travées socialistes.)
M. Serge Lagauche.
C'est honteux !
Mme Dominique Voynet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
Je demande
la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Dominique Voynet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
Vous
devriez faire attention à ne pas aller trop loin, monsieur Oudin. Je ne pense
pas que vous puissiez imputer à qui que ce soit ici la responsabilité des
milliers de morts sur la route. On n'a pas dit un mot de l'alcoolisme, de la
vitesse, de l'entretien des véhicules, des défauts de formation de certains
trop jeunes conducteurs. Imputer au Gouvernement, qui aurait pris des décisions
actives de suppression d'infrastructures, des milliers de morts, c'est
scandaleux !
(Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Jean Chérioux.
Votre propos est un peu excessif ! C'est une déformation de ce que M. Oudin a
dit !
Mme Dominique Voynet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
S'il est
une chose à laquelle je tiens, c'est à une politique qui « colle » autant que
possible avec les actes que l'on est capable d'assumer sur le terrain. Je ne
veux pas une fois de plus faire de la politique bavarde et impuissante, dont
j'ai des dizaines d'exemples à votre disposition !
Voilà peu de temps, j'ai été auditionnée par un groupe de parlementaires du
Massif central qui me sommaient de réaliser dans les meilleurs délais les
équipements dont ils avaient absolument besoin sur le court terme, en tout cas
avant la fin du prochain contrat de plan : deux autoroutes verticales, trois
autoroutes horizontales, l'aménagement, évidemment, de la route Centre
Europe-Atlantique, de la RN 88, et j'en passe.
Je me suis rendu compte qu'il s'agissait, très précisément, du projet de
premier plan pour le Massif central proposé par Valéry Giscard d'Estaing en
1976.
Vingt-trois ans plus tard, on en est toujours au même point, malgré des
discours guerriers, virils, conquérants ! Cela n'a pas été fait !
M. Jean-Pierre Raffarin.
Valéry Giscard d'Estaing a fait l'autoroute !
Mme Dominique Voynet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
Ce que
deux présidents de la République directement concernés par ces régions, plus un
troisième qui n'y était pas indifférent - vous pouvez en convenir avec moi -
n'ont pas fait
(M. Raffarin s'exclame),
va-t-on véritablement le
réaliser simplement parce qu'il aura été affirmé dans un projet de loi que
c'est la priorité du court terme, pour répondre aux besoins des populations
?
Je souhaite que l'on soit lucide, que l'on me dise quelles sont les priorités,
que l'on ne renouvelle pas ce qui s'est fait trop souvent dans le passé, à
savoir du consensus politique par addition des projets de chacun, et que l'on
dise vraiment ce que l'on souhaite.
Aujourd'hui, la priorité des priorités, c'est non pas le discours sur
l'aménagement du territoire, mais le développement local et la création
d'emplois. J'entends bien, dans les contrats de plan, m'en tenir aux
équipements et aux infrastructures qui seront riches en emplois et qui
permettront d'entraîner, d'accompagner, de stimuler le développement
économique.
Je ne nie pas l'intérêt des infrastructures, monsieur Oudin, mais j'aimerais
que l'on dépasse ces accusations de principe.
Je suis consciente d'être allée un peu au-delà du ton qu'il aurait fallu
adopter ici, mais j'ai été très choquée de vous entendre recourir à l'argument
des accidents de la route et accuser le Gouvernement d'être responsable de ce
qui s'est passé cette année sur les routes.
(Applaudissements sur les
travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 83 rectifié.
M. Adrien Gouteyron.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Gouteyron.
M. Adrien Gouteyron.
Madame la ministre, je voudrais dire qu'à mon tour je suis choqué par votre
ton et par le contenu de votre discours.
(Protestations sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen.)
Vous avez pris l'exemple d'un
groupe de parlementaires du Massif central qui venaient, légitimement sans
doute, défendre leurs dossiers. Vous avez cité l'ancien Président de la
République à qui, implicitement, et même explicitement d'ailleurs, vous
reprochez de n'avoir pas respecté les objectifs qu'il s'était fixés.
Mme Dominique Voynet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
Je ne lui
ai pas reproché !
M. Adrien Gouteyron.
Madame la ministre, si vous venez un jour sur le terrain
(M. Lejeune
s'exclame),
vous constaterez alors que l'autoroute A 75 entre Paris et
Clermont-Ferrand est construite et que la réalisation du tronçon reliant
Clermont-Ferrand à la Méditerranée est plus qu'annoncée. Vous constaterez que
cette autoroute est un atout pour notre région et vous verrez que la RN 88 que
vous avez bien voulu citer - apparemment, les demandes faites à cet égard vous
ont choquée ou blessée - est absolument nécessaire dans le département que Guy
Vissac et moi-même représentons, et que, pourtant, les travaux sur cette route
nationale ont été singulièrement ralentis depuis quelque temps.
Permettez-moi de vous dire que la baisse des crédits routiers qui, cette
année, devrait être supérieure à 10 %, nous inquiète beaucoup.
Madame la ministre, vous avez déclaré ne pas vouloir d'un consensus par
addition des demandes. Nous, nous ne voulons pas d'un consensus par réduction
des ambitions, dangereux pour notre pays et pour les territoires concernés.
Nous ne pouvons pas accepter que l'idéologie et la politique s'introduisent
dans des dossiers aussi sérieux que l'équipement de nos régions et de nos
départements !
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains
et Indépendants.)
Mme Dominique Voynet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
On a fait
cela tout l'après-midi !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 83 rectifié, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet
de loi, après l'article 32.
Article additionnel après l'article 32
ou après l'article 33