Séance du 31 mars 1999
M. le président. « Art. 32. - Après l'article 14 de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 précitée, sont insérés deux articles 14-1 et 14-2 ainsi rédigés :
« Art. 14-1 . - I. - De façon coordonnée et dans le cadre des choix stratégiques d'aménagement et de développement durable du territoire définis par l'article 2 de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire, l'Etat établit selon les modalités prévues par l'article 10 de ladite loi un schéma multimodal de services de transport de voyageurs et un schéma multimodal de services de transport de marchandises. Le schéma multimodal de services de transport de marchandises permet de définir les infrastructures de contournement ou de délestage des noeuds de trafic nécessaires pour fluidifier l'usage des réseaux de transport pour le transport de marchandises.
« Tout grand projet d'infrastructures de transport doit être compatible avec ces schémas.
« II. - La région, dans le respect des compétences des départements, des communes et de leurs groupements, élabore un schéma régional de transport coordonnant un volet "transport de voyageurs" et un volet "transport de marchandises". Celui-ci doit être compatible avec les schémas de services collectifs prévus à l'article 2 de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 précitée. Il constitue le volet "transport" du schéma régional d'aménagement et de développement du territoire prévu à l'article 34 de la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l'Etat.
« III. - Les schémas définis aux I et II précédents ont pour objectif prioritaire d'optimiser l'utilisation des réseaux et équipements existants et de favoriser la complémentarité entre les modes de transport et la coopération entre les opérateurs, en prévoyant, lorsque nécessaire, la réalisation d'infrastructures nouvelles. Dans ce but :
« - ils déterminent, dans une approche multimodale, les différents objectifs de services de transport aux usagers, leurs modalités de mise en oeuvre ainsi que les critères de sélection des actions préconisées, notamment pour assurer la cohérence à long terme entre et à l'intérieur des réseaux définis pour les différents modes de transport et pour fixer leurs priorités en matière d'exploitation, de modernisation, d'adaptation et d'extension ;
« - ils évaluent les évolutions prévisibles de la demande de transport ainsi que celles des besoins liés à la mise en oeuvre du droit au transport tel que défini à l'article 2 et définissent les moyens permettant d'y répondre dans des conditions économiques, sociales et environnementales propres à contribuer au développement durable du territoire, et notamment à la lutte contre l'effet de serre ;
« - ils comprennent notamment une analyse globale des effets des différents modes de transport et, à l'intérieur de chaque mode de transport, des effets des différents équipements, matériels et mesures d'exploitation utilisés sur l'environnement, la sécurité et la santé ;
« - ils récapitulent les principales actions à mettre en oeuvre dans les différents modes de transport pour permettre une meilleure utilisation des réseaux existants, l'amélioration de leurs connexions et de la qualité du matériel et la création d'infrastructures nouvelles. Ils prennent en compte les orientations de l'Union européenne en matière de réseaux de transports.
« A titre transitoire, jusqu'à l'approbation définitive du schéma multimodal de services de transport de voyageurs et du schéma multimodal de services de transport de marchandises, le schéma directeur routier national peut faire l'objet par décret, après consultation des régions directement intéressées, des modifications nécessaires à la réalisation des grands projets d'infrastructures.
« Art. 14-2 . - Les schémas multimodaux de services de transport prévus au I de l'article 14-1 visent à améliorer l'accès aux échanges mondiaux. A cet effet, ils favorisent le développement des liaisons aériennes à partir des aéroports d'importance interrégionale et le renforcement de la compétitivité des ports d'importance internationale.
« Dans les zones concernées, ils développent les possibilités offertes par les transports maritimes.
« Ils visent aussi à poursuivre l'amélioration de l'accès aux diverses parties du territoire français par le développement d'axes reliant les grandes aires urbaines entre elles et aux grands pôles européens et à améliorer les liaisons entre, d'une part, les zones d'accès difficile et, d'autre part, les grandes villes et les réseaux rapides.
« Ils incitent les collectivités territoriales à mettre en oeuvre des services de transport à la demande.
« Ils localisent les principales plates-formes multimodales de voyageurs et de marchandises.
« Dans les grandes aires urbaines, ils favorisent les modes de transport alternatifs à l'automobile, les transports collectifs, l'interconnexion des réseaux, en tenant compte notamment de la desserte des territoires urbains cumulant des handicaps économiques et sociaux et, au besoin, les infrastructures de contournement.
« Dans les zones à environnement fragile, ils peuvent prévoir des orientations particulières pouvant notamment conduire les autorités compétentes à édicter des restrictions d'accès, afin de limiter l'impact des transports. En particulier, les schémas multimodaux de services de transport donnent la priorité au transport ferroviaire pour le transit international franchissant les Alpes et les Pyrénées.
« Ils visent également à améliorer l'accès maritime aux différentes parties du territoire, notamment par le renforcement de l'accessibilité terrestre et maritime des ports d'importance nationale ou régionale. »
Sur l'article, la parole est à M. Teston.
M. Michel Teston. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j'ai noté que deux nouveautés essentielles apparaissent dans cet article 32.
Il s'agit, d'une part, de l'optimisation des réseaux et des équipements existants. En effet, il est souhaitable de réfléchir d'abord à la valorisation de ces équipements, plutôt que de réaliser systématiquement de nouvelles constructions, dont la pertinence, le rapport du coût sur la rentabilité et l'efficacité laissent souvent songeur.
Il s'agit, d'autre part, de la revalorisation du transport ferroviaire. En matière de ferroutage, la France enregistre un retard considérable par rapport à ses partenaires européens. Il est urgent de le combler. J'attire néanmoins l'attention sur le fait que cet engagement devra se traduire par des investissements importants, notamment parce que notre réseau ferroviaire n'est pas adapté à ce mode de transport de fret, par exemple en raison du gabarit de certains tunnels.
Des moyens financiers importants seront nécessaires pour créer des plates-formes de transport combiné, pour créer et améliorer des dessertes régionales, pour électrifier, bien sûr, certaines lignes, pour créer des contournements d'agglomérations, dont les lignes sont souvent saturées, et pour réaliser des corridors de fret européen, de manière à faire en sorte que des corridors de fret ne se développent pas uniquement dans d'autres pays de l'Union européenne.
Les paroles devront être suivies d'actes.
Il faut d'ailleurs noter que la loi de finances pour 1998 a d'ores et déjà prévu une augmentation de plus de 50 % des crédits consacrés au ferroviaire et que, dans le cadre du XIIe Plan, l'Etat a proposé de porter sa participation au financement des investissements ferroviaires à hauteur de 500 millions de francs par an au moins, ce qui représente un doublement de l'engagement précédent. Ces mesures sont très positives et les parlementaires de la majorité nationale ont largement contribué à leur adoption.
Enfin, j'ai pris bonne note de votre volonté, madame la ministre, d'engager un effort tout particulier afin de répondre aux problèmes qui se posent dans les agglomérations et les secteurs urbains.
Néanmoins, il ne faut pas que cet effort se fasse au détriment des zones rurales...
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. Michel Teston... qui, si nous voulons assurer un aménagement équilibré et durable de l'ensemble du territoire français, méritent, elles aussi, d'être accompagnées dans leur effort de développement. Leur désenclavement doit donc rester aussi une priorité.
M. Charles Revet, rapporteur. Très bien !
M. Michel Teston. Pour maintenir des habitants en zone rurale et, pourquoi pas, comme cela se dessine actuellement, en faire venir de nouveaux, nous devons être en mesure de leur proposer des réseaux et des équipements de qualité.
M. Charles Revet, rapporteur. Nous partageons complètement cette opinion !
M. Michel Teston. Nous ne réglerons pas les problèmes qui se posent dans les grandes agglomérations si nous continuons à laisser les zones rurales se dépeupler au profit des zones urbaines. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur certaines travées des Républicains et indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Oudin.
M. Jacques Oudin. Nous allons poursuivre le débat portant sur la suppression des schémas sectoriels et leur remplacement par des schémas de services et, en l'occurrence, par un mot un peu magique que tout le monde met en avant : l'intermodalité.
Selon moi, il n'est pas possible d'harmoniser les services, de mettre en place l'intermodalité s'il n'y a pas des modes à coordonner.
Je viens d'entendre dire que la voie ferrée a été la grande déshéritée des investissements en France par le passé. Au risque de décevoir, j'affirme que c'est en France que le mode ferré est le plus développé. Ainsi, selon les statistiques d'Eurostat 1995, malheureusement en tonnes-kilomètre, et non en valeur ajoutée, dans l'Union européenne 14,4 % des marchandises sont transportées par le rail et 72 % par la route alors que, en France, 23 % sont transportées par le rail, soit pas loin de neuf points de plus, et 63 % par la route.
Je crois donc que c'est une erreur profonde de dire que la France a totalement négligé son réseau ferroviaire, qui comporte des milliers de lignes de kilomètres.
M. Bernard Piras. Sur le fret !
M. Jacques Oudin. Je parle des marchandises, mais on pourrait aussi parler des voyageurs !
Je voudrais très rapidement relever un certain nombre des arguments qui ont été avancés pour, en fait, supprimer les schémas sectoriels, notamment le schéma routier et autoroutier, puisque c'est lui qui est visé.
Tout d'abord, il est totalement incohérent d'oppposer infrastructures et développement durable - M. le président de la commission spéciale l'a fort bien dit - car il n'y a pas de développement économique sans développement des infrastructures et, contrairement à ce que vous pensez, ce n'est pas la politique de l'offre qui fait le développement des infrastructures, c'est la demande.
M. Gayssot a fait apparaître en octobre 1998 un document intitulé : La demande de transport, perspectives d'évolution à l'horizon 2020, que j'ai en main et auquel vous pouvez vous référer. De cette analyse prospective, il ressort que, dans une société de plus en plus motorisée, de plus en plus mobile, la demande d'échange est systématiquement supérieure à la croissance. Cela se double de la construction d'un espace européen qui a pour objectif de multiplier les échanges entre pays européens.
Il existe une conjonction de phénomènes qui vont tous dans le même sens. La croissance intérieure d'un pays entraîne un développement supérieur des échanges ; la construction européenne entraîne un développement supérieur des échanges ; la mondialisation, ne l'oublions pas, entraîne aussi un accroissement supplémentaire des échanges.
Au niveau national, pour 1996-2020, si la croissance augmente de 2,9 % - il y a trois hypothèses : 2,9 %, 2,3 % et 1,9 % - systématiquement le mode routier se développera plus vite. Je veux bien que vous veuillez inverser cette tendance, mais j'aimerais bien aussi que vous m'indiquiez comment ! L'intermodalité ou l'utilisation d'équipements existants ne suffiront pas !
Entre 1970 et 1996, la croissance moyenne du réseau routier national a été de 4,4 % par an, alors que, pour l'ensemble des transports, elle était de 3,6 %. La croissance du trafic des autoroutes s'élevait à 9,7 % et celle du ferroviaire à 1,6 % pour toute cette période.
Pour l'avenir, les mêmes tendances existent. J'en veux pour preuve ces tableaux extrêmement évocateurs publiés par le ministère de l'équipement. Vous voyez que la source est bonne ! Mme la ministre en dispose, ses conseillers aussi ; vous pouvez donc vous les procurer.
Les courbes de croissance, dans les vingt prochaines années, grimperont de façon considérable. Ainsi, pour le trafic de marchandises et le trafic routier, en partant d'un niveau en 1970 de 90 milliards de tonnes kilomètre nous en sommes actuellement à 210, soit 230 % d'augmentation. Quels que soient les rythmes de croissance de notre économie - parce qu'ils influent sur le développement des transports - nous atteindrons en 2020 soit 330, soit 470 millions de tonnes kilomètre.
Nous constaterons des évolutions analogues pour le trafic des passagers : nous passerons de 250 milliards de kilomètres passager à 420 ou à 500.
Quelle sera l'évolution du mode ferroviaire ? Pour les marchandises, elle restera totalement stable ; pour les voyageurs, elle connaîtra une légère augmentation due au trafic urbain.
J'observe donc qu'il n'existe pas d'antinomie entre la politique d'une offre idéale et celle de la demande idéale. L'offre suit la demande. Nous sommes en économie de marché, marché où la demande et l'offre doivent se rencontrer.
Les approximations, les simplifications excessives me paraissent, dans le domaine économique comme dans le domaine financier, extrêmement dangereuses quand il s'agit de l'avenir.
On a dit du réseau autoroutier tout le mal que l'on pouvait en penser, notamment qu'il ne tenait pas compte de l'environnement. N'oublions pas que, dans cette assemblée, nous avons adopté, en 1992, une loi sur l'eau extrêmement contraignante pour l'ensemble des ouvrages publics, qu'ils soient ferroviaires ou routiers, en 1994, une loi sur les paysages et, en 1996, une loi sur l'air. Tous ces textes ont majoré le kilomètre d'autoroute de 40 % en cinq ans.
Un kilomètre d'autoroute coûte à l'heure actuelle 50 millions de francs. Mille kilomètres d'autoroute coûtent donc 50 milliards de francs, soit une année de déficit de la SNCF ! (Applaudissements sur les travées du RPR ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste.)
M. le président. Sur l'article 32, je suis saisi de quatre amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 82, MM. Larcher, Belot et Revet, au nom de la commission spéciale, proposent de supprimer l'article 32.
Les deux amendements suivants sont présentés par M. Le Cam, Mme Beaudeau et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 302 vise à rédiger comme suit le premier alinéa du III du texte présenté par l'article 32 pour l'article 14-1 à insérer dans la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 :
« III. - Les schémas définis aux I et II précédents ont pour objectif prioritaire la desserte et le désenclavement du territoire français en optimisant l'utilisation des réseaux et équipements existants, en favorisant la complémentarité entre les modes de transport et la coopération entre les opérateurs, et en prévoyant la réalisation d'infrastructures nouvelles. Dans ce but : ».
L'amendement n° 303 tend, dans le dernier alinéa du III du texte présenté par l'article 32 pour l'article 14-1 à insérer dans la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982, à remplacer les mots : « des régions directement intéressées » par les mots : « des régions et des départements directement intéressés ».
Par amendement n° 315, MM. Désiré, Larifla et Lise et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent, avant le dernier alinéa du texte présenté par l'article 32 pour l'article 14-2 de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982, d'insérer un nouvel alinéa ainsi rédigé :
« Dans les régions ultrapériphériques françaises, ils tiennent compte de leurs handicaps structurels, à savoir leur éloignement, leur insularité, leur faible superficie, leur relief et leur climat difficiles, ainsi que de leurs pratiques culturelles. Les choix opérés en matière de transport terrestre, maritime et aérien sont établis en fonction de ces particularités. »
La parole est à M. Larcher, rapporteur, pour présenter l'amendement n° 82.
M. Gérard Larcher, rapporteur. L'article 32 détermine le régime juridique des schémas de services collectifs. A côté de l'optimisation de celui qui existe, il nous a paru indispensable d'accroître un certain nombre d'équipements. En effet, nous croyons à l'augmentation de la demande de transport.
Il est nécessaire de conserver, nous semble-t-il, des schémas modaux.
Je rappelle que nous avons adopté le principe de schémas directeurs d'équipements et de services, qui traduisent la cohérence de chaque mode de transport sur le plan national.
Il est souhaitable d'élaborer cinq schémas sectoriels d'équipements et de services : routiers et autoroutiers, ferroviaires, aéroportuaires, fluviaux, maritimes et portuaires. Nous évoquons trop peu ici ce dernier alors que le premier port « français » s'appelle Rotterdam !
Il est nécessaire - je le rappelle parce que j'ai cru entendre certains procès émanant de personnes méconnaissant nos propositions - d'avoir une forte approche multimodale dans une logique de programmation temporelle comme en Allemagne.
Tout à l'heure, M. François-Poncet comparait les 100 milliards de francs cumulés sur un peu plus d'une décennie en Allemagne aux 400 millions de francs par an du FITTVN. Au sein de ce fonds, ce sont 74 millions de francs qui ont été affectés l'an passé aux chantiers de l'intermodalité. Nous sommes réellement loin du compte, quand on sait qu'un certain nombre de chantiers sont déjà saturés, notamment dans le Nord de la France !
Cette approche intermodale est une nécessité que nous inscrivons bien dans nos préoccupations et que nous retrouverons dans nos amendements suivants. Voilà pourquoi nous proposons la suppression de l'article 32.
M. le président. La parole est à M. Fischer, pour défendre les amendements n°s 302 et 303.
M. Guy Fischer. L'amendement n° 302 tend à mieux distinguer, d'une part, l'objectif à atteindre, qui doit être la desserte équilibrée de l'ensemble du territoire français, et, d'autre part, les moyens que l'on se donne pour y parvenir, c'est-à-dire l'optimisation des infrastructures existantes, mais aussi la réalisation d'équipements nouveaux dont notre pays a besoin.
Je pense, pour ma part, qu'il convient d'échapper à deux interprétations des schémas de transport ; la première consiste à annoncer de vastes projets aussi démagogiques qu'impossibles à financer et la seconde se limite à vivre sur nos acquis sans nous donner les moyens d'anticiper sur les nouveaux besoins.
L'objectif prioritaire des futurs schémas multimodaux est donc de faciliter l'accès de tous les citoyens aux voies de communication dans les meilleures conditions. Ce peut être par la création d'une nouvelle route ou bien la réhabilitation d'une voie ferrée délaissée, voire abandonnée.
C'est pourquoi nous estimons préférable de permettre aux populations elles-mêmes et à l'ensemble des acteurs locaux, des élus, d'exprimer quels sont les besoins, quels sont les projets les plus efficaces, voire les plus économes, plutôt que redessiner de façon technocratique les infrastructures sans évaluation préalable de leur utilité sociale et économique ni de leurs effets sur l'environnement et le paysage.
Or le fait de raisonner en termes de schéma directeur imposant d'en haut une carte des infrastructures pensée et mise en oeuvre par quelques technocrates parisiens correspond à une vision passéiste de notre société.
Dans l'agglomération lyonnaise, nous avons un exemple fameux et, je crois, unique à l'heure actuelle de cisaillement à niveau de plusieurs autoroutes, notamment autour de Lyon. C'est certainement le point de circulation le plus dangereux de la région Rhône-Alpes.
Pour nous, une vraie politique d'aménagement du territoire adaptée aux nouvelles exigences quantitatives et qualitatives des populations ne peut plus exclusivement considérer le territoire comme une variable économique sur laquelle on peut agir sans discernement.
L'amendement n° 303 tend uniquement à préciser que les départements, au même titre que la région, seront consultés sur la mise en oeuvre du schéma directeur routier national jusqu'à la mise en place définitive des schémas de services.
M. le président. La parole est à M. Bellanger, pour défendre l'amendement n° 315.
M. Jacques Bellanger. Tel qu'il est rédigé, l'article 32 du projet de loi, qui définit dans la loi d'orientation des transports intérieurs les conditions et les objectifs des schémas de services collectifs des transports, ne fait aucune référence aux régions ultrapériphériques françaises telles que nous les avons redéfinies tout à l'heure, à savoir les DOM, même si certaines des orientations qu'elles ont prises, notamment en matière de transport aérien et de transport maritime, devraient permettre une meilleure desserte de ces régions et, ainsi, participer à leur développement économique.
Cet amendement a donc pour objet de préciser le cadre dans lequel les schémas de services collectifs des transports doivent être élaborés dans les régions ultrapériphériques françaises. Ils devront tenir compte des handicaps structurels de ces régions, à savoir leur éloignement, leur insularité, leur faible superficie, leur relief et leur climat difficiles, ainsi que de leurs pratiques culturelles.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 302, 303 et 315 ?
M. Gérard Larcher, rapporteur. Monsieur Fischer, la commission ayant proposé la suppression de l'article 32, votre préoccupation de desserte et de désenclavement sera satisfaite par nos amendements n°s 83 et 84. La commission est donc défavorable à votre amendement n° 302.
Le dernier alinéa du texte proposé pour l'article 14-1 prévoit qu'à titre transitoire, jusqu'à l'approbation définitive du schéma multimodal de services de transport, les régions intéressées seront consultées. Avec votre amendement n° 303, vous souhaitez étendre la consultation aux départements. L'idée semble intéressante, mais une telle disposition ne peut s'inscrire dans la rédaction que nous proposerons dans un autre article. La commission est donc défavorable à cet amendement, monsieur Fischer.
Monsieur Bellanger, la préoccupation relative aux régions ultrapériphériques exprimée dans l'amendement n° 315 mérite d'être intégrée dans le projet. Mais je vous propose, pour ce faire, de l'introduire sous forme de sous-amendement à notre amendement n° 83, qui sera appelé ultérieurement et qui tend à insérer un article additionnel après l'article 32.
Nous avons déjà abordé cette question des régions ultrapériphériques, et nous sommes convaincus par votre préoccupation. C'est pourquoi, si vous ne le faisiez pas, nous rectifierions nous-mêmes l'amendement n° 83. Mais la commission est défavorable à l'amendement n° 315.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 82, 302, 303 et 315 ?
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. L'amendement n° 82 vise à supprimer l'article qui définit les schémas multimodaux de services de transport. Ces deux schémas ont vocation à se substituer aux cinq schémas sectoriels définis par la loi de 1995 et, plus généralement, au schéma directeur d'infrastructures établi par l'Etat et défini par l'article 14 de la LOTI.
Afin d'assurer la cohérence entre les différents textes législatifs régissant la politique des transports, le Gouvernement a décidé d'en définir le régime juridique et les principaux objectifs territoriaux dans deux nouveaux articles de cette loi, les articles 14-1 et 14-2, proposés par l'article 32 du projet de loi.
La forme de planification retenue par le Gouvernement permettra une évolution substantielle de la planification en matière de transports pour pallier les difficultés rencontrées dans la mise en oeuvre des schémas d'infrastructures de la LOTI : cloisonnement entre les modes pouvant conduire à un empilement des priorités sectorielles ; approche exclusive en termes de projets d'infrastructures, alors que la qualité du service offert est liée à bien d'autres éléments comme les horaires, les fréquences, les correspondances, le suivi logistique ; approche qui privilégie trop le transport des voyageurs alors que voyageurs et marchandises ne procèdent pas exactement des mêmes logiques, même s'ils utilisent les mêmes infrastructures.
Deux éléments forts caractérisent la planification proposée par le Gouvernement.
Elle se caractérise en effet par une approche multimodale, qui avait déjà été introduite dans la loi du 4 février 1995, mais n'avait jamais connu d'application. Il s'agit de privilégier le service rendu, c'est-à-dire le besoin, et non pas les projets d'infrastructures, c'est-à-dire l'offre.
Cette approche permettra une élaboration déconcentrée et concertée régulée par des priorités et des critères de choix.
Ainsi, à partir des orientations générales de l'Etat, elle consiste à identifier sur les différents territoires concernés les axes, liaisons ou pôles de transport pour lesquels une amélioration des services de transport apparaît prioritaire ; à proposer, pour chacun d'entre eux, les objectifs d'amélioration de services de transport souhaitables ; à évaluer les avantages et les inconvénients des différentes actions envisageables pour y répondre et à classer les projets par ordre de priorité.
Deuxième élément : la planification bénéficiera d'un contenu enrichi.
Les deux schémas de services de transport doivent contribuer à la lisibilité de l'action publique en termes d'investissements, mais aussi d'incitation, de régulation et d'accompagnement des initiatives régionales. Ils comporteront, notamment, des cartes indiquant les modalités de développement prévues pour chacun des modes de transport, mais auront une ambition plus large que de simples schémas d'infrastructures, d'une part, en enrichissant le champ des actions dont ils ont vocation à assurer la cohérence et, d'autre part en fixant le cadre et les critères pour les choix ultérieurs, compte tenu des aléas techniques et économiques et des délais d'études préalables et de concertation.
Ainsi, les schémas de services de transport présenteront la stratégie à suivre sur chaque axe, liaison ou pôle, pouvant combiner des mesures de réglementation institutionnelles, réglementaires ou tarifaires ; le lancement d'études de grands projets ou la réservation de leur faisabilité le moment venu, dès lors que celle-ci est conditionnée par l'évolution de la demande ou par une autre évolution du contexte ; des mesures techniques d'exploitation ou d'amélioration des réseaux existants, y compris l'aménagement des infrastructures existantes ; la réalisation d'infrastructures nouvelles jugées nécessaires pour répondre aux besoins à long terme ; enfin, les problèmes qu'il n'est pas indispensable de résoudre dans l'immédiat, mais pour lesquels il faut préparer l'avenir - je pense par exemple à des réservations sur des sites aéroportuaires ou portuaires.
Les études menées sur la liaison voyageurs Lyon-Saint-Etienne, à la suite du CIADT du 15 décembre 1997, préfigurent cette approche.
En effet, nous avons choisi d'étudier les améliorations de service que pouvaient apporter les modes routiers et ferroviaires en portant attention à leur complémentarité. Cela a permis de proposer une stratégie d'action pour l'amélioration des relations entre Lyon et Saint-Etienne, fondée sur une amélioration des services ferroviaires touchant à la fois les infrastructures et les matériels, sur des aménagements de sécurité et de confort sur l'autoroute A 47 existante, enfin sur la création à plus long terme d'une nouvelle infrastructure autoroutière.
Quel a été l'avis de la commission spéciale sur ce projet du Gouvernement ? Il peut se résumer par le titre qu'elle a retenu dans son rapport : « Des infrastructures doivent être réalisées ». Nous en sommes tous d'accord, des infrastructures doivent être réalisées là où elles sont nécessaires. L'exemple que je viens de mentionner entre Lyon et Saint-Etienne le démontre. Mais ce n'est évidemment pas le seul exemple que je pourrais vous citer. J'aurais pu parler du TGV Est, du TGV Rhin - Rhône, des liaisons Perpignan-Barcelone, Lyon-Turin, Bretagne-Pays de la Loire, Paris-Toulouse, Paris-Clermont-Ferrand, Lyon-Clermont-Ferrand, et j'en passe...
Sur la forme que doit revêtir la planification en matière de transport, nous avons choisi deux schémas multimodaux, l'un portant sur les voyageurs, l'autre sur les marchandises.
La commission ne contredit pas cette approche. Elle se dit favorable à une approche multimodale en matière de transports pour favoriser l'intermodalité. Mais, d'un autre côté, elle rétablit des schémas monomodaux qui ne permettront manifestement pas de mettre son souhait en pratique, puisque tous les gouvernements qui se sont succédé depuis trente ans ont agi de même sans jamais réussir à concrétiser l'objectif d'une utilisation optimale de chacun des modes avec une excellente coordination entre les équipements et les infrastructures sur chacun de ces modes.
Pour l'ensemble de ces raisons, le Gouvernement est défavorable à l'amendement n° 82.
L'amendement n° 302 me permettra d'élargir un peu ma réflexion.
En effet, il est mieux rédigé que le texte initial du Gouvernement, mais il utilise un concept que j'appréhende pour ma part avec une extrême prudence.
M. Oudin, tout à fait involontairement sans doute, a tout à l'heure illustré ma démonstration. En effet, les schémas collectifs de transports ont pour objectif prioritaire la desserte du territoire français en optimisant l'utilisation des réseaux. En revanche, le désenclavement est un concept qui me cause quelques inquiétudes.
On l'utilise en général pour insister sur la nécessité de construire rapidement des infrastructures dans une zone a priori considérée comme isolée et enclavée, en faisant le pari que l'arrivée rapide de l'infrastructure est le seul élément sur lequel on pourra fonder le développement économique.
Pourtant, de nombreux exemples montrent qu'une infrastructure de transport ne peut pas tenir lieu de stratégie de développement. C'est un élément d'une stratégie. Si la stratégie de développement fait défaut, l'infrastructure ne désenclave pas, elle désertifie.
M. Adrien Gouteyron. Et inversement !
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Hier, je discutais à voix basse - j'avais tort bien sûr (sourires) - avec M. le rapporteur, qui plaidait pour la prise en compte de son idée de schéma du Grand Bassin parisien. Il disait que, sur les liaisons entre Le Mans et Paris, Lille et Paris, Saint-Pierre-des-Corps et Paris, il y a chaque jour des trains entiers qui circulent dans les deux sens. Mais, M. le rapporteur le sait bien, ces mouvements pendulaires quotidiens permettent en réalité à un plus grand nombre de cadres de prendre le train pour aller travailler à Paris qu'à de chefs d'entreprises de s'installer au Creusot ou à Vendôme.
Les maires des villes TGV en avaient dressé le constat, en soulignant que le développement économique n'avait pas toujours été au rendez-vous. En revanche, ils avaient enregistré le départ de leurs cadres et de leurs jeunes, qui s'intensifiait d'autant plus que les projets de développement n'étaient pas suffisamment séduisants pour fixer ces populations à haut niveau de formation et à haute exigence.
Soyons clairs et évitons de caricaturer ! Je ne prétends absolument pas que le TGV ne sert à rien, loin s'en faut ! Certes, il a été fondamental pour répondre aux besoins de déplacements rapides d'une partie réduite de la population, mais ne nous racontons pas d'histoires ! Comme vous, mesdames et messieurs les sénateurs, quand je voyage en TGV, c'est plutôt en première classe. Or je constate que peu nombreux sont ceux qui paient leur billet dans cette classe. Pour l'essentiel, il s'agit de cadres de sexe masculin. Par conséquent, soyons extrêmement lucides sur l'utilisation de ce type d'infrastructure.
Sans doute a-t-on négligé la desserte des villes moyennes. Le TGV ne s'arrête pas partout et les autoroutes n'ont de sortie que tous les cinquante ou soixante kilomètres, ce qui n'assure pas la desserte des villes moyennes. De ce fait, ont continué à coexister des réseaux nationaux ou départementaux concurrents et le développement économique de ces villes s'en est trouvé handicapé.
Je voudrais que soient bien pris en compte non seulement la réponse aux besoins de déplacements, mais aussi l'impact sur l'aménagement du territoire des régions desservies. Je voudrais être certaine que la desserte à laquelle je tiens ne s'accompagne pas, parce qu'elle aurait été pensée de façon dissociée des autres enjeux du développement économique, d'une désertification.
Je constate d'ailleurs que le problème se pose à peu près dans les mêmes termes dans les zones rurales isolées et dans les quartiers déshérités de nos grandes villes, qui sont, eux aussi, extrêmement mal lotis en matière d'infrastructures.
Je m'en remettrai à la sagesse du Sénat pour l'amendement n° 302, dont le sort me paraît, hélas ! extrêmement sombre, pour des motifs que nous connaissons tous.
J'émets le même avis sur l'amendement n° 303.
Enfin, en ce qui concerne l'amendement n° 315, je partage évidemment le souci qui anime ses auteurs, mais nous étions convenus, avec les députés et certains sénateurs de l'outre-mer, que nous renverrions à l'examen du projet de loi sur l'outre-mer toutes les dispositions spécifiques, afin de ne pas donner l'impression que l'on traite en général d'autres choses et que l'on insère, pour faire plaisir aux intéressés, des mesures qui ne s'inscriraient pas dans une réflexion bien approfondie, transversale et cohérente sur l'ensemble des problèmes de développement posés par ces régions françaises ultrapériphériques.
M. Jean François-Poncet, président de la commission spéciale. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission spéciale.
M. Jean François-Poncet, président de la commission spéciale. Je voudrais revenir brièvement sur l'un des points que Mme le ministre a soulevé et qu'elle avait d'ailleurs déjà abordé auparavant. Je m'étais alors retenu d'intervenir, mais j'espère que vous ne m'en voudrez pas si je ne m'en abstiens pas cette fois-ci.
J'admets tout à fait qu'une infrastructure autoroutière ne suffit pas, à elle seule, à engendrer le développement. Que l'on ne nous fasse surtout pas dire le contraire ! On peut même affirmer qu'il existe probablement des exemples qui montrent que certaines liaisons autoroutières ont l'effet inverse. Je crois, en particulier, que, dans la grande région parisienne, certaines liaisons ferroviaires ou autoroutières peuvent inciter plus les provinciaux à venir vers Paris que les entreprises à aller s'installer où l'on souhaiterait qu'elles s'installent. C'est vrai, je ne conteste pas ce point.
Simplement, le contraire est tout aussi vrai, c'est-à-dire que, sans désenclavement, sans liaisons autoroutières, il n'est pas de projet de développement qui voie le jour. Les deux sont vrais : on a besoin à la fois du désenclavement et d'initiatives qui, s'appuyant sur le désenclavement, engendrent une dynamique de développement.
Dans ma région, toutes les villes moyennes ont connu cela. Pendant assez longtemps, nous avons vécu avec l'autoroute Toulouse - Bordeaux, qui s'est faite « spontanément ». Il était inimaginable que les villes de Toulouse et de Bordeaux ne soient pas reliées par une autoroute - sans qu'il se passe rien parce que, à l'époque avant la décentralisation, les initiatives n'ont pas été prises par les préfets.
Est venue la décentralisation, et nous avons lancé deux réalisations à la sortie de l'autoroute.
La première est un agropôle, qui ne fonctionne que parce qu'il est en liaison avec les installations de recherche et d'enseignement supérieur de Toulouse et de Bordeaux. Il est à l'origine de la création de 600 emplois en sept ans.
La seconde réalisation est un parc récréatif - c'est un Belge qui est venu le créer - qui reçoit 250 000 visiteurs venant pour la moitié de Toulouse, pour l'autre moitié de Bordeaux.
Ces deux investissements, générateurs d'activités et d'emplois, étaient impensables sans autoroute, c'est tout à fait évident. Mais il est vrai que, si nous n'avions pas pris ces deux initiatives, l'autoroute ne nous aurait sans doute rien apporté. Donc, qu'on ne cherche pas à caricaturer la position des uns et des autres.
L'autoroute seule, Mme la ministre a raison, n'engendre pas le développement. Mais, sans autoroute, à peu près aucun développement ne peut avoir lieu. Interrogez les villes moyennes, vous verrez bien !
Mes chers collègues, qui peut citer le nom d'une ville moyenne qui aurait refusé d'être desservie par l'autoroute ? Je suis sûr que vous n'en trouverez aucune.
Il y a des initiatives qu'on ne peut prendre, des services publics qu'on ne peut développer sans infrastructure autoroutière correspondante.
Pour ma part, dans une ville moyenne, j'ai voulu trouver une solution avec l'université thématique. Alors je me suis fait « flinguer » par l'université avant de l'être par le ministre. (Sourires.) Le ministre, en l'occurrence, n'était, c'est vrai, que le porte-parole de l'université ! Donc, il faut chercher autre chose.
C'est ce qu'on est en train de faire dans l'académie de Toulouse, avec la création d'une université en réseau. On peut très bien développer un pôle universitaire entre Périgueux, Bergerac, Agen et Auch, mais à condition que la route soit carrossable. Si elle n'est pas carrossable, ce n'est pas la peine. Or elle ne l'est pas !
M. André Jourdain. Bravo, c'est parfait !
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Monsieur François-Poncet, la démonstration ne manque pas de sel ! Mais il ne faut pas oublier que les étudiants n'ont pas tous une voiture ; bien souvent même, ils n'en ont pas, notamment les plus modestes d'entre eux.
C'est pourquoi il serait préférable de faire en sorte que les pôles universitaires et les villes moyennes soient reliés par des réseaux ferrés de voyageurs, et que les conditions de transport ainsi offertes soient séduisantes, comme elles le sont dans certaines des régions qui se sont livrées à l'expérimentation proposée par la SNCF ; je pense ici notamment à la région Nord - Pas-de-Calais, où a été instauré un abonnement spécial pour les étudiants.
En procédant ainsi, on ferait oeuvre utile à la fois en matière d'environnement, puisqu'on allégerait la circulation routière, et aussi, certainement, en matière sociale parce que de tels abonnements, financièrement très avantageux, s'adressent non seulement aux étudiants qui disposent d'une voiture et qui sont invités à s'en passer, mais également à ceux qui ne peuvent pas s'offrir ce luxe et qui constituent encore une écrasante majorité.
M. Jean François-Poncet, président de la commission spéciale. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission spéciale.
M. Jean François-Poncet, président de la commission spéciale. Je ne suis pas du tout contre de telles liaisons ferroviaires, madame le ministre, surtout si elles permettent de voyager rapidement, confortablement et pour un prix modique. Je ne suis pas a priori pour les autoroutes.
Cela dit, on ne peut pas se voiler la face et ignorer tout ce qui se passe autour de nous. Or, à cet égard, l'expérience de l'Allemagne est très éclairante.
L'Allemagne est, de tous les pays européens, celui qui a fait le plus grand effort d'investissement en faveur du chemin de fer et de la voie fluviale. Elle l'a fait pour une raison très simple : elle a le premier réseau autoroutier d'Europe et il est totalement saturé, de A à Z ! On peut évidemment, dans ces conditions, envisager de se développer autrement. L'Allemagne l'a fait.
L'Allemagne a donc accompli un immense effort en se donnant des objectifs extrêmement ambitieux puisqu'il s'agissait de réduire, et non pas seulement de stabiliser, la part de la route dans le trafic.
Lorsque, quinze ans plus tard, nous sommes venus voir ce qu'il en était de cette expérience, que nous ont dit nos interlocuteurs allemands ? « Avec les énormes efforts que nous avons consentis, avec les investissements massifs que nous avons réalisés, nous avons simplement maintenu au chemin de fer et à la voie fluviale la part qu'ils détenaient auparavant. Nous n'avons rien fait de plus et nous avons dû revoir nos objectifs. »
Par conséquent, à mon avis, il est faux de croire que le chemin de fer désenclavera une région. On a probablement besoin et du fer et de la route, mais ce n'est pas en établissant une liaison ferroviaire, avec l'idée de faire faire des économies aux étudiants, qu'on résoudra le problème du désenclavement. J'en suis d'autant plus persuadé, que le désenclavement doit, selon moi, nous amener beaucoup plus vers le nord et vers le sud.
Par conséquent, essayons de garder les pieds sur terre, essayons de laisser l'idéologie à la porte et regardons ce que les populations demandent !
On nous dit qu'on va prendre en compte les besoins. Qui n'est pas d'accord ? Bien sûr qu'il faut les prendre en compte ! Mais pouvez-vous me dire qui interprète les besoins ? Qui peut dire ce que la population souhaite ? Sont-ce les occupants d'un bureau parisien ou les élus de la base ? Interrogez donc les élus de la base ! Vous allez voir ce qu'ils vont vous dire !
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Je constate que nous sommes vraiment au coeur du débat, et sur un sujet qui intéresse traditionnellement beaucoup les élus. C'est sans doute pourquoi nous avons du mal à avancer.
Ne tombons pas à nouveau dans des simplifications choquantes ! Personne ne prétend ici que la voie ferrée est la panacée. Si elle était la solution miracle, cela fait longtemps que nous l'aurions adoptée !
Nous savons qu'il faudra une action vigoureuse pour améliorer l'offre intermodale, pour établir une tarification équitable, pour moderniser la réglementation sociale du transport routier et, au total, pour espérer maintenir les parts du transport ferroviaire et du transport fluvial.
Au demeurant, tout scénario qui remettrait à sa juste place l'automobile, que ce soit en ville, dans les liaisons interurbaines ou en zone rurale, supposerait, me semble-t-il, un bouleversement des mentalités bien plus encore que des efforts financiers.
En tout cas, nous sommes bien au coeur de la discussion politique. Tant qu'on opposera le rail et la route, on sera inutilement caricatural et on ne dira pas de façon précise à quoi peut idéalement répondre chacun des modes de transport.
Personne n'imagine que l'on va assurer la desserte terminale des marchandises chez les consommateurs à l'aide de conteneurs ferroviaires. Mais personne n'imagine non plus qu'il soit raisonnable de continuer à faire transiter par camion toutes les marchandises à acheminer entre Rotterdam et Naples, en saturant l'axe Nord-Sud.
Il me semble que nous devrions, avec le souci d'« internaliser » les coûts dans l'ensemble des secteurs et de prendre en compte les besoins exprimés par la population - et pas seulement par les élus - nous rapprocher de notre responsabilité, et notre responsabilité consiste à faire des choix.
Je ne crois pas que l'on puisse continuer à faire croire aux élus que l'on va réaliser autant de routes que par le passé et construire, en plus, des voies ferrées régionales ou internationales, encourager le transport maritime, le cabotage, les voies fluviales, les aéroports, les ports, etc. Il convient de faire des choix, de hiérarchiser les priorités, c'est-à-dire de savoir ce qui est le plus utile, en consentant des investissements maîtrisés.
Force m'est de le constater, dès lors qu'il s'agit de formuler des propositions concrètes, nous nous heurtons aux plus grandes difficultés. Comme vous, sur le terrain, j'observe que les élus soutiennent la démarche du développement durable, plaident pour le rail, puis, aussitôt qu'on en vient aux projets concrets qui intéressent leur canton, font très souvent le choix de la route.
Je voudrais donc qu'on soit très rigoureux quant à l'appréciation de l'efficacité économique de différentes solutions.
M. Oudin a longuement parlé tout à l'heure du déficit du système ferroviaire. Je ne partage évidemment pas son analyse concernant les causes, mais je rappelle que la SNCF, puis RFF ont assumé des investissements que la route est loin d'assumer pour son propre compte.
Je précise également que la tarification, sur les autoroutes, est loin de prendre en compte les dégâts causés à la voirie par les camions. Je m'étonne du différentiel touchant les carburants. Je m'interroge sur l'ampleur du déficit des sociétés autoroutières, qui est du même ordre que l'endettement de RFF. Ce sont des endettements monstrueux.
Dans le passé, tous les problèmes de développement étaient résolus par des choix d'instrastructures supplémentaires. Aujourd'hui, nous sommes confrontés - c'est le principe de réalité ! - à des approches plus subtiles, plus intelligentes, plus complexes, peut-être plus difficiles à « vendre » à nos électeurs en période électorale, mais, finalement, nos neurones s'en porteront sans doute bien mieux.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 82.
M. Jacques Oudin. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Oudin.
M. Jacques Oudin. Je crois que, comme l'a dit Mme le ministre, nous sommes au coeur du problème, et la discussion est d'une grande intensité. Je m'en réjouis, car cela témoigne de la qualité des débats qui se déroulent à la Haute Assemblée.
Mais il y a des choses qu'on ne peut laisser dire.
Madame le ministre, vous nous expliquez que vous êtes sidérée devant l'ampleur du déficit du système autoroutier. Quand j'entends cela, les bras m'en tombent ! Voilà en effet le seul système de transport qui soit non seulement équilibré mais excédentaire.
En face de 120 milliards de francs d'emprunts, il y a 27 milliards de francs de recettes annuelles de péage. Le système concédé autoroutier enregistre un trafic moyen de 25 000 véhicules par jour. Or le seuil de rentabilité du système autoroutier se situe à 23 000 véhicules par jour.
Non seulement le système est équilibré, mais il génère en outre 6,2 milliards de francs de recettes pour les caisses de l'Etat, dont 2,2 milliards de francs sont versés au fonds d'intervention des transports terrestres et des voies navigables.
De surcroît, la part de ces prélèvements est passée de 8 % des recettes de péage voilà une dizaine d'années à 23 % aujourd'hui.
Expliquez-moi donc comment un système qui génère 6,2 milliards de francs de recettes au profit de l'Etat pourrait être déficitaire !
Je rappelle en passant que les emprunts du système ferroviaire se montent, eux, à 200 milliards de francs.
Vous dites, madame le ministre, que les deux systèmes ne supportent pas les mêmes charges. Indiquez-moi, alors, en quoi elles différent !
Vous dites également que les poids lourds ne paient pas les infrastructures qu'ils utilisent. Je vous ferai remarquer que la seule infrastructure qui est payée à son coût marginal, c'est l'autoroute.
Après que nous vous eussions entendu tenir toute une série de propos tendant à démontrer la nécessité de réduire la part de la route et d'augmenter celle du rail, - ce qui est certainement tout à fait louable - le président de la commission spéciale, en évoquant l'exemple allemand, a démontré qu'aucun pays développé au monde n'avait réussi à opérer des transferts d'un mode à l'autre, ou du moins à accroître la part du transport ferroviaire. C'est effectivement impossible !
Vous avez alors admis que des infrastructures devaient être réalisées. Fort bien ! Mais permettez-moi de vous indiquer pourquoi il faut que ces infrastructures soient notamment routières ou autoroutières : simplement parce que le développement économique l'impose quasiment.
Vous avez sondé les particuliers et les entreprises pour connaître leurs besoins. Madame la ministre, il n'y a plus une entreprise qui accepte de s'installer ou de se développer en province - et a fortiori en milieu rural - si elle ne trouve pas à proximité une autoroute ou des accès rapides à l'autoroute.
Par ailleurs, le système de production des entreprises a lui-même changé : elles travaillent maintenant à flux tendu.
M. Adrien Gouteyron. Bien sûr !
M. Jacques Oudin. Comme certains économistes l'ont souligné, l'essentiel de la chaîne de production ne se trouve plus dans l'usine, elle est souvent sur l'autoroute. En effet, c'est par celle-ci qu'arrivent les pièces de rechange, les pièces d'assemblage, et par celle-ci que repartent les produits à livrer.
M. François-Poncet parlait tout à l'heure des réseaux. Il est évident que, en raison du développement des réseaux de ville, nous assistons à un accroissement des déplacements entre le domicile et le travail : c'est que les gens qui vont demeurer dans les endroits calmes, en dehors des villes, doivent parfois se rendre dans les villes pour y travailler.
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Elles sont précisément devenues invivables à cause des bagnoles !
M. Jacques Oudin. Les infrastructures, on ne les réalise pour le plaisir de les réaliser. Elles sont avant tout destinées à répondre une demande, celle-ci émanant soit des particuliers, soit des entreprises.
Bien sûr, tout le monde souhaite harmoniser et coordonner les diverses infrastructures de transport. Mais un constat s'impose : aucun mode de transport - et notamment pas le transport ferroviaire - ne sauvera la route. La route se sauvera par elle-même ! Je l'ai dit lors de la discussion générale : seule la route peut sauver la route.
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. La fuite en avant, ce n'est pas se sauver, c'est se tuer !
M. Jacques Oudin. Je sais bien que vous n'aimez pas la route, mais il faudra encore réaliser des infrastructures autoroutières !
Vous dites aussi, madame le ministre, qu'il faut faire des choix. Bien sûr, mais à condition qu'ils soient financièrement supportables !
Sachez que, dans ma région, nous avons essayé de remettre en service une ligne ferroviaire reliant deux petites villes. Nous nous sommes malheureusement aperçus que le coût de fonctionnement de la remise en service de cette ligne entraînait un déficit annuel de 36 millions de francs. Si, pour une même somme, vous pouvez faire un autre investissement, par exemple routier, le choix est relativement vite fait !
Lorsqu'il s'agit, en matière de transport, de peser son choix en termes financiers, il n'y a qu'une question à se poser : avec un million de francs d'investissement, combien d'usagers seront desservis ?
Un jour, le directeur régional de la SNCF nous a proposé un arrêt dans telle ville. Nous avons fait un essai pendant un mois ; chaque jour, à cet arrêt, il est descendu vingt passagers, et il en est monté autant ! Nous avons ainsi constaté qu'il valait mieux songer à un autre type d'infrastructure.
M. Jacques Bellanger. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Bellanger.
M. Jacques Bellanger. Nous ne saurions accepter la suppression de l'article 32. Mon collègue Michel Teston a parfaitement expliqué les raisons pour lesquelles nous sommes très favorables aux schémas de services collectifs multimodaux de transports. Pour nous, c'est fondamental. Nous voterons donc l'amendement n° 82.
Pour ce qui est de notre amendement n° 315, nous préférons le laisser en l'état. La probable adoption de l'amendement n° 82 le rendra, certes, sans objet mais nous pouvons espérer que la suite des travaux parlementaires permettra d'y revenir.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 82, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 32 est supprimé, et les amendements, n°s 302, 303 et 315 n'ont plus d'objet.
Articles additionels après l'article 32