Séance du 5 mai 1999
M. le président. « Art. 4. - Les parts sociales des caisses d'épargne et de prévoyance ne peuvent être détenues que par les groupements locaux d'épargne.
« Les statuts des caisses d'épargne et de prévoyance peuvent prévoir que le nombre de voix dont dispose chaque groupement est fonction du nombre de parts dont il est titulaire. Lorsque la part de capital que détient un groupement local d'épargne dans la caisse d'épargne et de prévoyance à laquelle il est affilié excède 30 % du total des droits de vote, le nombre de voix qu'il lui est attribué est réduit à due concurrence. »
Par amendement n° 3, M. Marini, au nom de la commission, propose de rédiger comme suit cet article :
« Les parts sociales des caisses d'épargne et de prévoyance sont détenues par des sociétaires. Peuvent être sociétaires des caisses d'épargne et de prévoyance les personnes physiques ou morales ayant effectué avec la caisse d'épargne et de prévoyance une des opérations prévues aux articles 1er, 5, 6 et 7 de la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984 précitée, les salariés de cette caisse d'épargne et de prévoyance, les collectivités territoriales et, dans les conditions définies par l'article 3 bis de la loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947 précitée, les autres personnes physiques ou morales mentionnées à cet article. Les collectivités territoriales ne peuvent toutefois pas détenir ensemble plus de 10 % du capital de chacune des caisses d'épargne et de prévoyance. »
Cet amendement est assorti d'un sous-amendement n° 117, présenté par M. Bourdin et les membres du groupe des Républicains et Indépendants, et tendant, après les mots : « dans les conditions définies par l'article 3 bis de la loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947 précitée », à rédiger comme suit la fin de la deuxième phrase du texte présenté par l'amendement n° 3 : « avec l'accord de la caisse d'épargne et de prévoyance et de la Caisse nationale des caisses d'épargne et de prévoyance, les personnes mentionnées à cet article.»
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 3.
M. Philippe Marini, rapporteur. Cet amendement de principe vise à supprimer l'échelon intermédiaire que constituent les groupements locaux d'épargne. Sans répéter ce qui a déjà été dit, je voudrais apporter quelques précisions supplémentaires.
La question de l'organisation interne des caisses a été posée par tous ceux qui sont intervenus sur ce sujet. Je me suis notamment référé, monsieur le ministre, au rapport établi à l'intention de M. le Premier ministre et à la demande de celui-ci par notre collègue député M. Douyère et intitulé : Pour une banque différente - la modernisation des caisses d'épargne. A la page 106 de ce document, sous le titre « Les assemblées locales, modalités de l'expression des sociétaires », M. Douyère évoque - et il a totalement raison - le souci de proximité. Il précise en effet : « Deux réponses peuvent être apportées à ce souci de proximité. La première repose sur l'article 10 de la loi du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération, qui prévoit que les statuts peuvent décider que les sociétaires seront appelés à voter en sections locales. La seconde pourrait être celle de la caisse locale. » Ce sont bien les deux solutions possibles.
La commission des finances préfère, pour des raisons de simplicité, les sections d'assemblée générale sans personnalité morale. Nous considérons que cela suffit pour assurer l'animation du sociétariat et une bonne implantation territoriale et commerciale des établissements.
L'autre solution, ce sont les caisses locales devenues en l'occurrence des groupements locaux d'épargne. A cet égard, je reprends la citation de M. Douyère : « La mise en place des caisses locales serait toutefois une organisation lourde. En effet, celles-ci doivent être dotées de la personnalité morale. Cela suppose que le sociétariat soit institué au niveau de la caisse locale pour dévolution d'une part des fonds propres de la caisse régionale. Si cette attribution de pouvoirs effectifs à un niveau proche et concret a le mérite d'être valorisante et mobilisatrice pour les sociétaires, elle impose un schéma complexe dont il n'est pas certain qu'il soit le mieux à même de garantir le dynamisme et le développement de la caisse régionale. Au demeurant, il présente l'inconvénient de démultiplier le problème de la constitution du sociétariat de départ par le nombre de caisses locales » - groupements locaux d'épargne - « puisque les sociétaires seraient propriétaires des caisses locales qui, elles-mêmes, détiendraient les caisses régionales. La section locale, en revanche - concluait-il - circonscription électorale et lieu de débat, si elle pâtit de l'inconvénient d'une plus grande abstraction quant à l'exercice des pouvoirs du sociétariat, présente en contrepartie l'avantage de sa souplesse et de sa simplicité de mise en oeuvre. Elle correspond, en outre, davantage au souhait de renforcer la dimension régionale des caisses en mettant en évidence la solidarité des sociétaires au sein de la caisse régionale. »
Je ne peux qu'approuver le diagnostic, très objectif, qui me semble avoir été porté par M. Douyère.
Monsieur le ministre, vous avez évoqué tout à l'heure un point technique qui est parfois abordé sur ce sujet et qui porte sur les difficultés qu'aurait un établissement coopératif à capital variable pour émettre des certificats coopératifs d'investissement, des CCI. C'est souvent une objection technique qui est émise à l'égard d'une formulation comme celle que nous défendons en cet instant.
Il faut se souvenir en effet que les groupements locaux d'épargne, dans le dispositif du projet de loi, sont des sociétés coopératives à capital variable et que les caisses d'épargne, toujours dans le dispositif du projet de loi, sont des sociétés coopératives à capital fixe.
Sur le plan juridique, rien ne s'oppose à ce qu'une société coopérative à capital variable émette des certificats coopératifs d'investissement.
Aujourd'hui, dix-huit caisses régionales de Crédit agricole, toutes sociétés coopératives à capital variable, ont pu émettre des certificats coopératifs d'investissement, chacune de ces émissions ayant été visée par la Commission des opérations de bourse.
La loi de 1947 précise simplement, d'une part, que les titulaires de CCI disposent d'un droit dans l'actif net, dans la proportion du capital qu'ils représentent, et, d'autre part, que toute décision modifiant les droits des titulaires de CCI n'est définie qu'après approbation de ces titulaires en assemblée spéciale, dans des conditions fixées par décret. La loi n'impose donc pas la fixité de l'actif net auquel les CCI donnent droit.
Comment les choses se passent-elles en pratique au Crédit agricole ? Je vous l'ai dit, dix-huit caisses ont émis 23,5 millions de certificats coopératifs d'investissement, représentant plus de 10 milliards de francs de capitalisation boursière. Lors de ces émissions, les caisses régionales ont systématiquement pris l'engagement vis-à-vis des investisseurs d'éviter toute dilution des certificats coopératifs d'investissement dans le capital social.
Cet objectif est géré avec souplesse et pragmatisme, à l'aide de différents moyens techniques que je ne détaillerai pas mais qui permettent la réalisation de ces opérations.
Quelles conséquences pouvons-nous en tirer pour les caisses d'épargne ? Il est tout à fait envisageable, mes chers collègues, pour les futures caisses d'épargne coopératives, d'émettre des certificats coopératifs d'investissement sans avoir besoin pour cela d'adopter une structure juridique identique à celle qui est choisie par le Crédit agricole en faisant intervenir des groupements locaux d'épargne à côté des caisses d'épargne locales. Il faut toutefois que leur capital ne fluctue pas excessivement afin de maintenir la part des CCI dans le capital social à un niveau au moins égal à celui qu'elle atteignait à l'émission.
Pour faire en sorte que les entrées et sorties des sociétaires n'aient pas d'impact sur le montant du capital social en cours d'exercice, il suffit de créer des comptes-tampons, en quelque sorte, des comptes de créances permettant de gérer les fluctuations. Ainsi, tout nouveau sociétaire se verrait ouvrir, lors de son adhésion, un compte courant bloqué au sein de la caisse régionale, sur lequel il déposerait un montant équivalant à la valeur de la ou des parts sociales qu'il souscrirait et, à la fin de l'exercice, ce montant serait converti en parts sociales et le capital social augmenté d'autant, l'opération inverse étant effectuée en cas de sortie de sociétaires. La caisse d'épargne serait alors en mesure de prévoir le nombre de certificats qu'il conviendrait d'émettre, si besoin gratuitement, pour maintenir constante la proportion de certificats coopératifs d'investissement au capital social.
Si j'ai donné ces quelques explications détaillées, c'est parce que, au cours des nombreuses auditions auxquelles la commission s'est livrée, ce point a souvent été considéré comme la véritable question sous-tendue par l'existence ou non de groupements locaux d'épargne.
Je crois que des solutions techniques existent ; les spécialistes peuvent vérifier celles que j'ai avancées. La possibilité d'envisager le financement du développement des caisses d'épargne dans des conditions tout à fait satisfaisantes devrait permettre, monsieur le ministre, compte tenu de tout ce qui a été dit au cours de ce débat à propos de ce point de désaccord - que vous avez vous-même qualifié de relativement mineur - de lever les objections qui avaient été faites à l'encontre de la formule des sections locales que nous proposons.
Je vous propose donc de retenir cette architecture et de suivre la position de la commission des finances.
M. le président. La parole est à M. Bourdin, pour défendre le sous-amendement n° 117.
M. Joël Bourdin. L'amendement de la commission reprend le texte de l'article 9 voté par l'Assemblée nationale, qui détermine les différentes catégories de sociétaires, à cette différence près que, pour la commission, il s'agit des sociétaires de la caisse d'épargne, alors que le texte voté par l'Assemblée nationale vise les sociétaires des GLE.
Quatre catégories de sociétaires sont retenues : les personnes physiques ou morales déjà clientes de la caisse d'épargne, les salariés de la caisse d'épargne, les collectivités territoriales et les autres personnes physiques ou morales non coopérateurs relevant de l'article 3 bis de la loi du 10 septembre 1947, c'est-à-dire n'ayant pas vocation à recourir aux services de la caisse d'épargne.
Cette rédaction repose sur une distinction entre les sociétaires déjà clients de la caisse d'épargne et les sociétaires non clients qui n'auraient pas l'intention de recourir aux services de la caisse d'épargne, donc de devenir clients un jour.
Cette distinction concernant les caisses d'épargne est génante à plusieurs points de vue.
L'article 3 bis de la loi de 1947 vise les personnes qui n'ont pas vocation à recourir aux services de la coopérative, et ce en raison de l'objet restreint de la coopérative, qu'il s'agisse d'une coopérative maritime ou rurale, par exemple. Or, dans un établissement de crédit à compétence générale comme les caisses d'épargne, toute personne a vocation à devenir client. C'est évident pour toute personne physique, comme pour la quasi-totalité des personnes morales. Il est même difficile de déterminer quels établissements ne sont pas en mesure de recourir aux services d'une caisse d'épargne.
Enfin, la distinction entre sociétaires clients et sociétaires non clients aurait pour conséquence paradoxale et assez inacceptable de conférer des droits de vote beaucoup plus élevés aux non-clients relevant de l'article 3 bis de la loi de 1947 qu'aux sociétaires clients détenteurs d'une seule voix quelle que soit la fraction du capital détenue.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur le sous-amendement n° 117 ?
M. Philippe Marini, rapporteur. Il serait utile, sur ce point, que nous entendions le Gouvernement, même si j'ai, pour ma part, tendance à penser a priori que cette précision n'est pas absolument nécessaire.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je souhaite revenir brièvement sur les commentaires qu'a formulés M. le rapporteur avant de m'exprimer sur le sous-amendement n° 117.
De manière schématique, deux arguments ont été développés : l'absence de nécessité d'avoir un capital fixe et la référence à ce maître qui nous gouverne tous sur cette affaire - il l'a tant travaillée ! - à savoir M. Raymond Douyère. (Sourires.)
Sur le premier sujet, il est tout à fait exact, je le confirme, qu'il n'est point besoin d'aller chercher des experts pour dire qu'il est légalement possible d'émettre des CCI avec un capital qui n'est pas fixe.
Le problème, c'est que, si vous voulez simplifier, en l'occurrence, vous partez dans la mauvaise direction parce que le dispositif que vous proposez est tellement compliqué que, quand les caisses agricoles auxquelles vous faites allusion l'ont expérimenté dans le début des années 1990, elle s'en sont à tel point mordu les doigts qu'elles n'ont plus jamais recommencé et qu'elles rachètent leurs CCI pour sortir de cette situation.
On peut donc vous suivre, mais c'est atrocement difficile. C'est pourquoi, complication pour complication, je préfère les GLE : capitaux fixes et solution simple.
Quant à votre référence à M. Douyère et à son rapport, vous n'avez pas relaté l'histoire dans son intégralité. Vous vous êtes contenté de citer son rapport au Premier ministre, dans lequel il mentionne effectivement les deux solutions qu'il envisage, mais vous avez passé sous silence un document qui l'emporte en raison de son caractère postérieur : je veux parler de son rapport à l'Assemblée nationale, dans lequel il précise sa préférence pour les GLE. Si vous accordez tant de prix aux écrits de Raymond Douyère, allez donc jusqu'au bout en adoptant sa préférence. (M. Carrère applaudit.)
Dans ces conditions, je suis partisan des groupements locaux d'épargne. Si on les conserve et qu'on rejette votre amendement, le sous-amendement n° 117 n'aura plus d'objet, ce qui me dispense d'émettre une opinion à son sujet.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 117, repoussé par le Gouvernement.
(Le sous-amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 3, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 4 est ainsi rédigé.
Article 5