Séance du 11 mai 1999
M. le président. La parole est à M. Darcos, auteur de la question n° 482, adressée à M. le secrétaire à la santé et à l'action sociale.
M. Xavier Darcos. Monsieur le secrétaire d'Etat, en France, entre 500 000 et 650 000 personnes seraient infectées actuellement par le virus de l'hépatite C, le VHC.
L'hépatite C pose un problème de santé publique majeur à l'échelle planétaire : plus de 170 millions de personnes seraient touchées dans le monde, dont 4 millions aux Etats-Unis et entre 2,4 millions et 5 millions au sein de la Communauté européenne.
Aux Etats-Unis, d'après les sources statistiques de la Liver Foundation , sur 4 millions de personnes infectées par le VHC, 300 000 l'ont été par transfusion effectuée avant 1992. Pour l'essentiel, il s'agit de personnes âgées de trente à quarante-neuf ans, et l'on estime l'augmentation du taux de mortalité de ces personnes à 300 % au cours des dix à vingt prochaines années.
S'agissant des personnes infectées par le VHC en France, il est avéré que à peine moins de 10 % des sujets ont été dépistés et que 5 % seulement sont dans le circuit des soins hospitaliers, et ce, en moyenne, dix ans après la contamination.
Les principales causes de contamination potentielle qui m'ont été fournies par la division des études du Sénat - laquelle, je tiens à le faire observer, a entrepris un travail de recherche considérable de plusieurs mois sur le VHC - sont les suivantes : premièrement, les contaminations par transfusion de produits sanguins et de leurs dérivés, soit 37 % des cas, sont actuellement en diminution ; deuxièmement, les contaminations du fait de la toxicomanie intraveineuse, soit 23 % des cas, connaissent une forte progression.
Je développerai ici la question de l'indemnisation des personnes transfusées avec des produits sanguins avant 1991, c'est-à-dire avant la maîtrise du risque transfusionnel. Mais l'indemnisation est indissociable du dépistage et de l'information, et il s'agit d'un point sur lequel je souhaite beaucoup insister.
Monsieur le secrétaire d'Etat, dans la loi de finances pour 1999, 16 millions de francs ont été affectés au programme national de lutte contre l'hépatite C : prévention, dépistage et surveillance épidémiologique. Ce chiffre est dérisoire, compte tenu de la gravité de la situation.
Je me permettrai non pas de juger, mais seulement d'alerter : seulement 10 % des sujets infectés par le VHC ont été dépistés ; c'est très insuffisant.
L'Association nationale pour l'information sur l'hépatite C m'a adressé une note que je me dois de livrer à votre réflexion : « Dans environ un tiers des cas d'hépatite C, soit environ 200 000 personnes, aucun facteur de transmission connu n'est retrouvé. Avec un bon tiers de causes inconnues, un dépistage très élargi s'impose si l'on a réellement la volonté d'éradiquer le virus, ainsi que la volonté de soigner. »
Certes, l'article 32 du projet de loi portant création de la couverture maladie universelle élargit les missions des consultations de dépistage anonyme et gratuit en faveur de personnes particulièrement vulnérables. Monsieur le secrétaire d'Etat, ne croyez-vous pas qu'il faille aller beaucoup plus loin, compte tenu du développement du virus de l'hépatite C ? La direction générale de la santé publique a-t-elle envisagé de rendre obligatoire le dépistage sur tout sujet qui a fait l'objet d'une intervention chirurgicale et a été en contact avec un produit sanguin ?
J'en viens maintenant à l'information. Les sujets atteints du virus de l'hépatite C sont tenus à un parcours du combattant interminable pour faire valoir des droits légitimes et conserver leur dignité.
La maladie n'étant pas reconnue invalidante et étant fort peu médiatisée, contrairement au virus du sida, par exemple, de nombreux sujets infectés se battent seuls ou, parfois, avec l'aide d'associations exemplaires, pour préserver des conditions matérielles qui, je dois l'avouer, sont effroyables. Dans bien des cas, ces sujets ne peuvent faire face aux difficultés et ils finissent par se suicider.
Je viens d'évoquer le problème du dépistage obligatoire. Je souhaiterais à cet égard que vous me fassiez part de votre opinion sur un numéro vert qui, comme pour les malades atteints du sida, serait mis à la disposition des sujets atteints du virus de l'hépatite C, dont les effets s'étalent sur plusieurs années, une dizaine d'années. Ces sujets doivent être informés et sécurisés.
Je voudrais également que vous précisiez quel est actuellement l'état d'avancement des travaux visant à reconnaître l'hépatite C comme maladie invalidante. Il s'agit là aussi d'une question essentielle. La direction générale de la santé a-t-elle rédigé un projet de décret ?
S'agissant de l'indemnisation des personnes contaminées par le virus de l'hépatite C post-transfusionnelle, je refuse de me livrer à toute démarche démagogique, tant ce sujet est complexe et financièrement lourd de conséquences pour le budget de l'Etat. Mais, comme vous l'avez déclaré vous-même au journal Le Monde le 21 octobre 1997 : « Il nous faut réfléchir à la création d'un fonds spécifique, en sachant que les sommes en jeu sont considérables. »
Dans son dernier rapport public, le Conseil d'Etat s'est prononcé sans ambiguïté, comme vous, en faveur d'une indemnisation pour les personnes contaminées par le VHC. « Lorsqu'une affection frappe un grand nombre de personnes - ce qu'on appelle le risque sériel dont l'exemple est celui de l'hépatite C - sans qu'aucune faute soit imputable à quiconque, il paraît souhaitable que l'indemnisation soit prise en charge au nom du principe de solidarité qui est du ressort du législateur, de préférence au principe de responsabilité qui est de celui du juge. »
La jurisprudence de l'arrêt Bianchi de 1993 est essentielle, car elle permet d'engager la responsabilité sans faute de l'hôpital public. Toutefois, comme l'a souligné l'auteur de cet arrêt : « Il est improbable que le progrès que nous vous proposons puisse améliorer sensiblement le sort des victimes de transfusions sanguines contaminées par le virus de l'hépatite C dans la mesure où la responsabilité sans faute doit être engagée à quatre conditions : lien direct de cause, préjudice anormal, préjudice hors du commun, préjudice spécial, c'est-à-dire supporté par un nombre infime de personnes. »
Le recours au législateur est donc indispensable pour indemniser les nombreuses victimes de transfusions sanguines.
Plusieurs parlementaires sont à l'origine de propositions de loi portant sur l'indemnisation des risques sanitaires, telles MM. Evin, Dubernard ou Poniatowski. Le Parlement devrait donc être saisi d'un projet de loi sur l'indemnisation du risque thérapeutique.
Pourriez-vous préciser, monsieur le secrétaire d'Etat, dans quel délai l'inscription à l'ordre du jour d'un tel texte est envisagée et confirmer que des dispositions ont bien été prévues pour indemniser les victimes contaminées par le virus de l'hépatite C à la suite d'une transfusion sanguine ?
En ce domaine, il existe des pays leaders qui, outre la Nouvelle-Zélande, sont essentiellement des pays nordiques, la Finlande et surtout la Suède.
La France, à laquelle il est souvent fait référence lorsqu'il s'agit d'atténuer les souffrances morales et physiques de milliers de victimes innocentes, suivra-t-elle l'exemple de la Nouvelle-Zélande, qui a institué, en 1975, un fonds public d'indemnisation pour les victimes de la responsabilité sans faute en matière médicale, ou même celui de la Suède ou de la Finlande, qui ont prévu des droits à réparation pour prises de risques nécessaires ?
Peut-être pourrez-vous, monsieur le secrétaire d'Etat, nous apporter des éclaircissements sur ce problème majeur et douloureux de la santé publique : « Chaque fois qu'il y a une volonté, il y a un chemin. »
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale. Monsieur le sénateur, je vous félicite. Non seulement votre question est pertinente, mais elle prouve que vous êtes informé, et vous l'avez d'ailleurs posée avec un luxe de détails qui témoignent de votre érudition en la matière.
Vous répondre n'est pas simple, car votre question contient au moins deux grandes parties.
La première concerne le dépistage. Qui est porteur du virus de l'hépatite C ? Quelles en sont les conséquences ? Doit-on envisager un dépistage systématique ?
La seconde partie, beaucoup plus législative, tient à l'indemnisation.
Pardonnez-moi, de relever un manque, le seul, dans votre question : j'ai été le premier à déposer, en 1993, un projet de loi sur l'aléa thérapeutique et l'éventuelle indemnisation. Je suis donc, en cette matière, un partisan des pas en avant. Mais lesquels ?
Doit-on envisager un dépistage systématique ? Vous avez cité des chiffres pertinents ; 150 000 personnes environ connaissent leur statut sérologique.
Que doit-on faire pour les autres ? Tous les experts indiquent qu'il faut faire porter notre effort sur les groupes à risque et informer le public, afin que le plus grand nombre possible de nos concitoyens se fassent dépister.
Vous avez eu raison de le dire, dans le projet de loi sur la couverture maladie universelle - il n'y avait en effet pas de projet de loi portant diverses mesures d'ordre social en perspective, ce que je regrette - nous avons, parce qu'il y a urgence introduit, lors de l'examen en première lecture, une disposition élargissant les missions de consultation de dépistage anonyme et gratuit du virus du sida à l'hépatite C, disposition qui a fait l'unanimité.
Est-ce suffisant ? L'expérience nous l'apprendra. Que peut-on faire de plus ? Envisager un dépistage systématique de la population ? Aucun expert à l'intérieur des groupes ne l'a proposé. Dois-je aller plus loin ? J'avoue que j'y réfléchis. Selon les meilleurs virologues et épidémiologistes, cela suffit. D'ailleurs, un dépistage à l'échelle du pays coûterait horriblement cher. On pourrait me répondre, il est vrai, que l'argent public sert après tout à cela ! Pour le moment, nous en sommes donc à un dépistage des groupes ciblés. A l'heure actuelle, 150 000 personnes connaissent leur statut. Mais on pense que de 500 000 à 650 000 personnes sont porteuses du virus ! Vous avez cité, monsieur le sénateur, d'excellents chiffres à propos de la contamination par transfusion et de la contamination par la toxicomanie et l'usage intraveineux de produits toxiques. Mais il ne faut pas oublier, c'est très lourd - je parle avec précaution, car la presse se fait à chaque fois l'écho d'un certain nombre de mes déclarations -, les infections nosocomiales. Mais je n'en dis pas plus.
Nous avons mis en place une mission. Je sais que les charges hospitalières sont extrêmement importantes ; et là je parle devant M. Chérioux, qui connaît très bien la question. Il n'empêche que de 25 % à 30 % des cas de contamination n'ont pas d'explication. Il faudra bien en trouver une.
C'est une préoccupation essentielle. La stérilisation des matériels doit être mieux assurée.
J'en viens à l'aléa thérapeutique et à l'indemnisation, sujet sur lequel je pourrais parler pendant des heures ! Nous remettrons avant la fin de l'année au Parlement un rapport relatif à l'indemnisation pour l'hépatite C.
Doit-on l'élargir aux autres aléas ?
Les textes auxquels vous avez fait allusion traitent de la faute avec responsabilité - soit du praticien, soit de l'hôpital -, de la faute sans responsabilité, dite faute statistique - par exemple les incidents anesthésiques -, et de l'aléa par a-connaissance et non par méconnaissance, puisque l'état de la science à ce moment-là était insuffisant pour nous alerter.
Sur cette question de l'hépatite C, devons-nous parler d'un fonds d'indemnisation ou de différents moyens pour indemniser ?
Avec Mme Martine Aubry et Mme Elisabeth Guigou, nous avons donc lancé une mission de l'IGAS. Vous aurez connaissance du rapport avant la fin de cette année.
Que faut-il faire par la suite ? Comme je vous l'ai dit, j'ai été l'auteur d'un premier projet de loi en 1993 faisant référence à un fonds d'indemnisation. Doit-on s'orienter dans ce sens ou, au contraire, comme l'avait fait Mme Simone Veil, laisser ce parcours du combattant et l'indemnisation à la charge de l'assurance en matière de contamination par transfusion sanguine seulement ? Pour le reste, nous sommes assez désarmés.
Telles sont les grandes questions !
Personnellement, j'ai une opinion, mais à titre à la fois personnel et ô combien individuel, puisque ce projet de loi en 1993 n'a pas été soumis au Parlement pour des raisons politiques dont vous vous souvenez. Je pense qu'il faut considérer l'ensemble des aléas, des risques.
Avant de terminer, permettez-moi de vous faire une confidence. Bien sûr, et je ne le dirais pas devant vous si je n'y croyais pas, la politique de prévention des risques est essentielle. N'oublions pas non plus la médecine. La santé, ce n'est pas seulement la prise en charge du risque. Le risque fait aussi partie de la vie, mais n'oublions pas l'indemnisation qui n'en est pas moins importante.
M. Xavier Darcos. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Darcos.
M. Xavier Darcos. Je remercie vivement M. le secrétaire d'Etat de sa réponse et je lui donne acte du fait qu'il a manifesté bien avant moi, à l'occasion de différentes compétences qui furent les siennes, la préoccupation que nous partageons.
Je reste cependant assez préoccupé par le problème du dépistage. Lorsque j'étais dans d'autres fonctions, à propos de l'éducation nationale, on s'était demandé si c'était possible de le faire au moment des visites médicales.
Je rappelle en effet que l'infection est asymptomatique dans 90 % des cas. Etant donné qu'elle est tout de même transmissible, le non-dépistage systématique entraînera peut-être, à moyen terme, des indemnisations plus importantes encore !
J'attendai le rapport de l'IGAS, dont nous disposerons à la rentrée, et je vous remercie de votre réponse, monsieur le secrétaire d'Etat.
COMMERCIALISATION DES PRODUITS ISSUS DU LAIT CRU
ET PROTECTION DU CONSOMMATEUR