Séance du 11 mai 1999






CHÈQUES-VACANCES

Adoption d'un projet de loi en deuxième lecture

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi (n° 275, 1998-1999), modifié par l'Assemblée nationale, modifiant l'ordonnance n° 82-283 du 26 mars 1982 portant création des chèques-vacances. [Rapport n° 296 (1998-1999).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Michelle Demessine, secrétaire d'Etat au tourisme. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, pour ouvrir le débat en deuxième lecture de ce projet de loi concernant l'élargissement de l'attribution du chèque-vacances, je souhaite brièvement rappeler le dessein du Gouvernement.
S'appuyant sur le rôle joué par le chèque-vacances depuis sa création, en 1982, pour l'accès de tous aux vacances, le Gouvernement a souhaité élargir le champ des bénéficiaires de cette mesure aux salariés des entreprises de moins de cinquante salariés, qui en étaient écartés. C'est en effet dans ce secteur que l'on retrouve les salaires les plus modestes et un grand nombre de non-partants.
En premier lieu, il s'agit bien de répondre à une question de justice sociale. Cette question fut d'ailleurs mise en exergue par un rapport de 1998 de la section des affaires sociales du Conseil national du tourisme. Il notait que le taux de départ augmente en moyenne avec les revenus des ménages et qu'ainsi les ouvriers non qualifiés et les retraités partent douze fois moins que les cadres et les professions libérales. Cette étude relevait aussi que ce sont les ouvriers - 56 % - et les employés - 51 % - qui sont le moins partis en vacances pour des raisons économiques.
C'est donc ancré sur la volonté d'offrir le bénéfice de la mesure à tous les salariés, quels que soient l'entreprise dans laquelle ils travaillent, la taille de celle-ci et le secteur d'activité, que le Gouvernement présente ce projet de loi s'adressant aux salariés des PME-PMI, qui, je le rappelle, sont aujourd'hui plus de 7 millions et demi.
Le Gouvernement, monsieur le rapporteur, n'a pas, comme je l'ai relevé dans votre rapport, une position ambiguë qui entretiendrait la confusion.
Il existe, je le rappelle, deux voies d'accès au chèque-vacances. La première, prévue par l'article 1er de l'ordonnance et qui est de droit commun, est la mise en place directe du chèque-vacances par l'entreprise. Dans ce cadre, la contribution de l'employeur est soumise à cotisation sociale.
La seconde voie apparaît au travers de l'article 6, qui donne la possibilité aux organismes sociaux, aux comités d'entreprises et, pour la fonction publique, à la mutualité fonction publique, d'accéder au dispositif dans le cadre d'activités sociales elles-mêmes non soumises à cotisation sociale.
La voie prévue par l'article 6 s'est développée beaucoup plus fortement grâce à l'initiative des comités d'entreprise ou, dans la fonction publique, de la mutualité fonction publique.
En effet, je le rappelle, 95 % de la diffusion du chèque-vacances s'est faite par leur biais, ces comités ayant vu dans le chèque-vacances un moyen de développer une politique sociale en faveur des salariés au travers de leur budget d'activités sociales.
Les salariés des petites et moyennes entreprises de moins de cinquante salariés non pourvues par la loi d'un comité d'entreprise étaient privées de ce moyen d'accès. Le projet de loi qui vous est présenté vise à développer la mise en place du chèque-vacances dans ces entreprises par l'article 1er, en les exonérant de cotisations sociales sous réserve de la conclusion d'un accord d'entreprise.
Les débats lors de la première lecture dans les assemblées ont suscité un besoin de clarification sur le champ d'attribution autant que sur l'élargissement du chèque-vacances, ce que je trouve d'ailleurs parfaitement légitime.
Je serai amenée à proposer un amendement à l'article 6 qui permettra d'ouvrir plus largement à tous les organismes sociaux l'accès au chèque-vacances et d'éviter à cet effet une énumération exhaustive des bénéficiaires dans l'article 1er, dont la fonction essentielle est de définir une relation contractuelle individuelle entre le salarié et l'employeur.
Malgré cela, je le sais, des divergences subsistent sur ce projet de loi. Elles tiennent au fait de visions très différentes sur les finalités du chèque-vacances.
Ainsi, la diffusion d'un plus grand nombre de chèques-vacances ne saurait être un but en soi. Mon objectif est de permettre à des centaines de milliers de familles de pouvoir enfin partir en vacances.
C'est pourquoi, je le rappelle, l'accès au chèque-vacances est soumis à un plafond de ressources.
D'ailleurs, je note avec intérêt, monsieur le rapporteur, que vous avez intégré la notion de revenu fiscal de référence. Toutefois, je constate que les montants proposés par le biais d'un amendement de la commission édulcorent le caractère social de cette mesure.
Permettez moi d'appeler votre attention sur l'étude que le ministère de l'économie et des finances a réalisée à cet effet : elle montre que le revenu fiscal de référence retenu dans le projet de loi couvre 75 % des salariés, soit dix-sept millions de personnes.
Malgré la prise en considération de la situation familiale dans le revenu fiscal de référence retenue dans le projet de loi, la commission renouvelle ses amendements sur la majoration pour enfants à charge.
Permettez moi de préciser que l'on ne saurait résumer toute la politique familiale à travers le chèque-vacances. Disant cela, je ne suis pas moins attachée que vous au départ des familles en vacances ; en témoigne la tenue la semaine dernière, sur mon initiative, des états généraux du tourisme social et associatif, rassemblant près de mille participants où ces questions ont été largement débattues.
Par ailleurs, j'ai souhaité que, dans le cadre du travail de la délégation interministérielle à la famille qu'anime ma collègue Martine Aubry, les vacances retrouvent toute leur place dans la politique familiale.
Pour ce faire, un groupe de travail, placé sous ma présidence et intitulé « Vacances et politique familiale » vient d'être mis en place. Y sont associés la Caisse nationale des allocations familiales, le ministère de l'emploi et de la solidarité, le ministère de la jeunesse et des sports, l'Union nationale des associations familiales, et la délégation interministérielle à la famille.
Ce groupe de travail présentera des réflexions et propositions dans les semaines et mois qui viennent au Premier ministre pour permettre un réel accès des familles aux vacances.
Un amendement de la commission modifie les modalités de mise en place du chèque-vacances et les conditions de négociations dans l'entreprise.
Mettre en place le chèque-vacances dans des entreprises, fussent-elles de petite dimension, est un moment important du dialogue social que j'entends favoriser. En témoigne d'ailleurs la mise en oeuvre de la loi sur les trente-cinq heures à propos de laquelle, comme je vous l'avais précédemment indiqué, nombre d'accords sont conclus par les salariés mandatés.
Votre proposition, monsieur le rapporteur, me semble remettre en cause cette démarche.
Venons-en maintenant au partenariat que vous voulez voir inscrire dans la loi entre l'ANCV et d'autres établissements.
Soyez assurés que le projet de loi qui vous est présenté ne s'arrêtera pas au vote de la loi. Mon ambition est de voir se développer rapidement et largement le chèque-vacances pour que cette loi entre effectivement dans la vie des salariés des petites et moyennes entreprises.
Tous les dispositifs techniques, commerciaux et relationnels allant dans ce sens doivent être explorés. C'est pourquoi j'ai demandé au président-directeur général de l'ANCV, l'agence nationale pour les chèques-vacances, de me proposer une nouvelle stratégie de diffusion du chèque-vacances, s'appuyant sur des nouveaux partenariats que ce soit avec l'économie sociale ou d'autres acteurs.
Le partenariat que vous proposez relève, quant à lui, de la gestion de l'agence nationale pour les chèques-vacances et non d'une disposition législative.
Enfin, je voudrais vous réaffirmer que le chèque-vacances n'est pas un titre-service. Outil d'aide au départ, il doit en effet garder son rôle social. Celui-ci s'exprime, je vous le rappelle, au travers de son mode d'attribution qui est soumis à conditions de ressources. Il s'exprime aussi par le caractère non lucratif de la structure en charge de sa diffusion et de sa gestion dont les excédents contribuent à une politique sociale.
Ces excédents de gestion ont en effet permis de subventionner, entre 1994 et 1998, à hauteur de 82 millions de francs, des villages de vacances, la petite hôtellerie, des terrains de camping et des maisons familiales de vacances. Ils ont par ailleurs aidé au départ des jeunes et des familles, à concurrence de plusieurs millions de francs par an.
Le débat parlementaire en première lecture a permis un approfondissement du texte que je propose d'acter au travers de deux amendements au cours de cette deuxième lecture.
Le premier amendement vise à insérer un troisième alinéa à l'article 6. Cette nouvelle rédaction aura l'avantage de confirmer que diverses catégories sociales salariées ou non salariées peuvent accéder au chèque-vacances au titre de l'article 6. Elle évite de fait, comme je l'ai dit précédemment, une énumération hasardeuse des bénéficiaires, et elle permet de surcroît, par sa simplification, une clarification de l'article 1er.
Le second amendement concerne l'extension de l'utilisation du chèque-vacances au territoire des Etats membres de la Communauté européenne.
Ici même, le 2 mars dernier, j'avais demandé à M. Fischer, présent dans l'hémicycle, de bien vouloir retirer l'amendement déposé par le groupe communiste républicain et citoyen dans l'attente des résultats d'une évaluation interministérielle sur ce sujet.
Il se révèle que ces travaux ont pu aboutir positivement. Leurs conclusions se retrouvent dans l'amendement déposé par le Gouvernement sur l'article 1er.
Cet amendement s'inscrit dans la logique de construction de l'Europe sociale. Il correspond aux aspirations légitimes de nos concitoyens à voyager en Europe. Il anticipe enfin sur le libellé des chèques-vacances en euro.
De plus, l'ouverture proposée, dont les conditions seront fixées par décret afin d'en maîtriser toutes les conséquences, peut être un point d'appui pour la création et le développement du chèque-vacances dans d'autres pays d'Europe.
Un pays réceptif comme le nôtre en matière touristique devrait dans l'avenir, au travers des réciprocités, y trouver avantage !
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, des éléments nouveaux sur ce projet de loi qui, je le souhaite, répondront aux attentes de la représentation nationale et permettront ainsi d'aller le plus rapidement possible vers la mise en oeuvre de l'élargissement de l'attribution du chèque-vacances aux familles qui attendent ce nouveau droit. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Blanc, rapporteur de la commission, des affaires sociales. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, lors de l'examen en première lecture de ce projet de loi, le Sénat avait adopté un dispositif important d'amendements visant à assurer une portée réelle à cette réforme du chèque-vacances.
Notre assemblée rejoignait le Gouvernement dans un « diagnostic partagé » sur deux points. Le chèque-vacances, en s'inscrivant dans une logique de participation à forte dimension sociale, peut constituer une aide tout à fait efficace pour permettre aux familles de partir en vacances. Mais la législation actuelle est trop restrictive pour permettre à ce dispositif de jouer à plein, ce qui explique son bilan en demi-teinte.
Pourtant, si le diagnostic est partagé, les conclusions à en tirer divergent.
Il nous a en effet semblé que le projet de loi initial comportait plusieurs insuffisances qui ne permettraient pas d'assurer une plus large distribution du chèque-vacances.
Ce projet était d'abord peu incitatif. Certes, il proposait deux nouvelles voies de distribution des chèques, soit par le biais des organismes paritaires de gestion d'activités sociales, soit par l'exonération de charges sociales au titre de la contribution de l'employeur dans les petites et moyennes entreprises. Mais ces voies restaient très étroites : dans le premier cas, le coût du financement des organismes paritaires est loin d'être négligeable ; dans le second cas, l'incitation financière est faible.
Ce projet était également une nouvelle source de complexité pour les entreprises. Ainsi, il ne rétablissait pas la neutralité fiscale et sociale entre les deux circuits de distribution. Bien au contraire, il instituait un troisième circuit spécifique aux petites et moyennes entreprises, avec des modalités à la fois lourdes et restreintes de mise en place des chèques-vacances. Or, d'après un sondage commandé par l'agence nationale pour les chèques-vacances, 29 % des dirigeants de PME considèrent que la complexité administrative est un frein au développement des chèques-vacances.
Ce projet manquait aussi d'imagination. Il ne cherchait pas à moderniser et à rendre plus efficace l'agence nationale pour les chèques-vacances en permettant à celle-ci de passer des conventions avec les organismes pouvant permettre d'assurer une plus large distribution du chèque, vous y avez fait allusion, madame le secrétaire d'Etat. En outre, alors que toutes les réformes précédentes du chèque-vacances avaient permis une revalorisation sensible du plafond de ressources, celui-ci demeurait inchangé.
Ce projet ne comportait, enfin, aucune disposition en faveur des familles. Or le succès du chèque-vacances passe nécessairement par une meilleure prise en compte des charges de famille, le coût des vacances croissant à l'évidence avec le nombre des enfants.
La commission ne peut que regretter une telle lacune au moment où vous semblez pourtant, madame le secrétaire d'Etat - et vous nous l'avez confirmé tout à l'heure - partager ce constat, comme en témoigne votre décision de créer, le 8 avril dernier, un groupe de travail interministériel « Vacances et politique familiale » chargé de faire des propositions, afin de développer l'accès des familles aux vacances. Parmi ces propositions, vous pouvez retenir celle que vous fait la commission en ce qui concerne la majoration de 10 %.
La commission apportera donc sa contribution à ce travail en proposant de mieux prendre en compte la situation des familles pour l'attribution du chèque-vacances.
Dans ces conditions, le Sénat avait sensiblement modifié, en première lecture, le texte initial pour adopter un dispositif à la fois pragmatique et équilibré visant à assurer un développement plus important et plus rapide du chèque-vacances, pour un coût nul pour les finances publiques, une étude de l'observatoire français des conjonctures économiques ayant montré que le développement de cet outil était favorable à l'emploi et à la croissance ; vous l'avez vous-même reconnu à plusieurs reprises, madame le secrétaire d'Etat.
Mais, en première lecture, l'Assemblée nationale a globalement rétabli le texte du projet de loi initial, en supprimant la plupart des apports introduits par le Sénat.
Un seul article - l'article 6 - a été adopté conforme ; cet article réaffirmait le monopole d'émission de l'ANCV.
Deux dispositions introduites par le Sénat ont été maintenues, bien que légèrement modifiées. D'abord, l'Assemblée nationale a accepté de limiter à 2 % du SMIC le montant minimal du versement mensuel du salarié, mais elle a maintenu la durée minimale à quatre mois alors que nous proposions de la ramener à trois mois. Ensuite, l'Assemblée nationale a retenu l'idée de la publication d'un rapport annuel faisant le bilan économique et social de l'utilisation du chèque-vacances, mais elle a chargé le ministre du tourisme, et non l'ANCV, de le rédiger.
La commission ne peut que regretter ce manque d'ouverture de l'Assemblée nationale sur un sujet important qui aurait, à l'évidence, nécessité une approche plus consensuelle. Il me semble cependant que les critiques formulées contre les propositions du Sénat témoignent en réalité de l'incompréhension de la démarche qui a été la nôtre. Notre assemblée s'est inscrite dans une logique exclusivement pragmatique qui visait à donner au texte proposé les moyens de son ambition.
Mais si l'Assemblée nationale n'a pas jugé bon de reprendre les améliorations apportées par le Sénat, elle a en revanche introduit certaines modifications par rapport au texte initial du Gouvernement. Or ces modifications se révèlent bien hasardeuses et témoignent d'une évidente confusion.
Les premières modifications, aux articles 1er et 6 du projet de loi, portent sur l'accès de certains publics au chèque-vacances. Lors de l'examen du texte en première lecture, la commission des affaires sociales s'était inquiétée des difficultés rencontrées par plusieurs catégories de personnes pour bénéficier du chèque-vacances. Ces difficultés touchent avant tout deux types de personnes.
Elles concernent d'abord les salariés sous statut particulier : « emplois-jeunes », contrats emploi-solidarité, contrats emploi consolidé, agents contractuels des fonctions publiques. Elles touchent aussi les non-salariés, qu'il s'agisse des travailleurs indépendants, des retraités ou des préretraités.
Il n'existe pourtant aucun obstacle législatif pour qu'ils puissent bénéficier des chèques-vacances.
Les premiers, même s'ils relèvent d'un statut spécifique, restent avant tout des salariés. Ils peuvent donc bénéficier du chèque-vacances dans les conditions de droit commun.
En pratique cependant, l'accès aux chèques-vacances reste difficile pour les agents de droit privé employés par l'Etat. La raison en est simple : les circulaires définissant le champ des bénéficiaires potentiels des chèques-vacances, sur la base de l'article 6 de l'ordonnance, ne les prennent pas en considération. Il appartient donc à l'Etat employeur de faire respecter l'esprit de la loi.
Vous nous aviez annoncé en première lecture, madame le secrétaire d'Etat, qu'une négociation était en cours pour résoudre ce problème. Je pense qu'il est désormais réglé, sans doute pourrez-vous nous le confirmer.
S'agissant des non-salariés, ils peuvent en théorie bénéficier des chèques-vacances sur la base de l'article 6 de l'ordonnance, la difficulté étant bien entendu de trouver un organisme abondeur.
En tout état de cause, des voies législatives d'accès aux chèques-vacances existent déjà, mais elles ne sont pas mises en pratique par les employeurs ou par les organismes sociaux. Ce sont donc les comportements et non le droit qu'il faut faire évoluer.
L'Assemblée nationale a pourtant estimé qu'il était souhaitable d'introduire de nouvelles dispositions dans le projet de loi, rappelant que différents publics peuvent acquérir des chèques-vacances : emploi-jeunes, contrats emploi consolidé, préretraités, agents non titulaires des fonctions publiques, retraités.
Or, ces dispositions sont dépourvues de toute portée normative et elles n'amélioreront en rien la situation des personnes visées. Bien au contraire, elles risquent d'avoir des effets pervers en fermant, pour ces personnes, le circuit de distribution « employeur » et ne font finalement qu'obscurcir plus encore le débat.
Conscient des limites de ces dispositions, le président de la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale a d'ailleurs décidé, au cours de la discussion, de créer un groupe de travail chargé de faire le point sur l'accès de ces catégories aux chèques-vacances et a demandé aux parlementaires de retirer leurs amendements sur ces dispositions dans l'attente des conclusions du groupe de travail.
D'autres modifications apportées par l'Assemblée nationale paraissent également contestables. J'aurai l'occasion d'y revenir lors de la présentation des amendements de la commission.
Au total, le texte qui nous est soumis en deuxième lecture ne fait que renforcer cette impression d'« occasion manquée » que constitue ce projet de loi. Tant le Gouvernement que l'Assemblée nationale ont en effet opposé une fin de non-recevoir aux propositions du Sénat, accentuant ainsi le risque de limiter la portée du texte à la portion congrue.
Dans ces conditions, la commission vous proposera de rétablir la plupart des orientations adoptées par la Haute Assemblée en première lecture. Toutefois, dans le souci de permettre la reprise du dialogue entre les dex chambres du Parlement, elle vous proposera d'apporter certaines inflexions au texte voté en première lecture.
Ainsi, elle propose d'accepter le changement du critère d'appréciation des ressources et d'adopter, comme le prévoit le projet de loi initial, le critère du revenu fiscal de référence, Mme le secrétaire d'Etat s'étant engagée, en première lecture et encore tout à l'heure, à résoudre la question de la diffusion de données fiscales personnelles dans l'entreprise. La commission propose également une revalorisation du plafond de ressources plus faible que celle qui a été adoptée en première lecture, mais qui prend mieux en compte la situation de famille que le projet initial.
La commission demande également de limiter à 30 % du SMIC - et non à 40 %, comme le Sénat l'avait voté en première lecture - le montant de la contribution de l'employeur pouvant être exonérée de charges sociales. En revanche, elle propose de maintenir la majoration de ce taux de dix points par enfant à charge, ainsi que l'obligation de modulation de cette contribution en fonction du nombre d'enfants à charge. Il est en effet indispensable de mieux intégrer la dimension familiale dans le dispositif du chèque-vacances.
Elle vous demande en conséquence, mes chers collègues, de revenir sur la suppression du plafonnement global des sommes consacrées par l'employeur aux chèques-vacances - c'est l'article 3 de l'ordonnance - qui avait été adoptée en première lecture.
Enfin, la commission, en première lecture, avait proposé de permettre à l'agence nationale de prospecter à l'étranger afin d'ouvrir à des étrangers la possibilité d'utiliser le chèque-vacances comme moyen de financement de leurs dépenses de vacances en France. Il s'agissait, pour nous, de prendre une « longueur d'avance » dans la perspective d'un chèque-vacances européen. Les débats parlementaires ont cependant montré qu'un tel projet n'était pas mûr, la France étant le seul pays de l'Union européenne à avoir institué un tel dispositif, comme vous l'avez rappelé, madame le secrétaire d'Etat.
De la même manière, il nous a semblé qu'il était prématuré d'autoriser l'utilisation du chèque-vacances par les Français sur le territoire des autres Etats de l'Union européenne, en l'absence de réciprocité. Prévoir une telle situation avant le lancement d'une future négociation sur le chèque-vacances européen contribuerait à fragiliser la position française dans la négociation. A l'issue de celle-ci, il sera toujours temps d'adopter une telle disposition dans un texte portant diverses mesures d'ordre social.
En outre, madame le secrétaire d'Etat, vous aviez à juste titre insisté, au cours du débat en première lecture, sur le rôle économique du chèque-vacances, qui, selon vos propres termes, « constitue un véritable outil de développement du tourisme dans notre pays » et qui contribue à créer des emplois. Dans ces conditions, il serait regrettable de fragiliser cet instrument qui doit, dans la situation actuelle, garder sa cohérence et conserver son rôle : aider à financer les vacances en France.
C'est donc une démarche constructive, une démarche qui préserve les apports essentiels adoptés par le Sénat en première lecture que propose la commission. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Domeizel.
M. Claude Domeizel. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi tel qu'il revient devant le Sénat ce soir nous convient. En effet, la majorité de l'Assemblée nationale a permis, par ses amendements, de revenir à la philosophie du texte initial, qui est aussi la nôtre.
La majorité sénatoriale avait détourné l'orientation du chèque-vacances vers une conception de placement financier et de complément salarial exonéré de charges sociales patronales.
M. Paul Blanc, rapporteur. Mais non !
M. Claude Domeizel. La majorité de gauche de l'Assemblée nationale a resitué le chèque-vacances dans une perspective de progrès social, comme la grande mesure du droit aux vacances pour les personnes aux revenus modestes et leur famille.
M. Hilaire Flandre. C'est n'importe quoi !
M. Claude Domeizel. C'est pourquoi nous nous réjouissons de la suppression par l'Assemblée nationale de l'article 7, que la majorité sénatoriale avait inséré dans le texte et qui aurait permis toutes les dérives par le passage aux mains de grandes sociétés privées de la diffusion du chèque-vacances.
De même, nous considérons qu'il est indispensable d'en revenir au revenu fiscal de référence, en tant que critère d'appréciation des ressources. Nous constatons que la majorité de la commission s'y est finalement ralliée, mais seulement sur le principe, puisqu'elle nous propose dans le même temps un amendement qui revalorise plus que substantiellement la majoration par demi-part supplémentaire. L'adoption de cet amendement modifierait la nature du chèque-vacances, qui deviendrai ainsi plus un instrument supplémentaire en faveur de la politique familiale pour les classes moyennes qu'une mesure sociale.
M. Hilaire Flandre. Dites-le, que vous n'aimez pas la famille !
M. Claude Domeizel. L'objet du chèque-vacances n'est pas d'aider à partir en vacances des salariés qui peuvent largement le faire avec leurs propres ressources, comme ce serait le cas avec le plafond de 25 000 francs par demi-part que le Sénat proposait. Il est de permettre l'exercice du droit aux vacances et aux loisirs par des personnes qui en sont empêchées en raison de leur situation économique.
Au demeurant, 75 % des salariés ont vocation à avoir accès au chèque-vacances.
Ce vaste champ d'application du chèque-vacances a été encore élargi en première lecture à l'Assemblée nationale, qui a pris en compte nos préoccupations.
Ainsi, au-delà des salariés des petites entreprises, sont, en effet, intégrées des catégories sur lesquelles nous avions déjà attiré votre attention, madame la secrétaire d'Etat. Je pense aux contractuels de la fonction publique, aux emplois-jeunes, aux bénéficiaires de contrats emplois consolidés, puisque la durée de leur contrat de travail le permet et, enfin, aux préretraités conservant un lien juridique avec l'employeur.
C'est une première étape que vous n'hésitez pas à doubler en quelque sorte avec l'amendement n° 14 que vous avez déposé à l'article 5 et sur lequel je dirai quelques mots dès à présent.
Nous sommes particulièrement satisfaits de cet amendement, qui répond de façon claire et ouverte aux demandes émanant de diverses catégories socio-professionnelles. Grâce à l'ouverture, par les organismes sociaux, d'une seconde entrée dans le dispositif, les personnes ayant de faibles ressources, salariées ou non, pourront, dès lors que leur branche d'activité sera organisée à cette fin, accéder aux chèques-vacances.
Cette disposition est particulièrement importante pour les agriculteurs, les commerçants et les artisans qui ne disposent que de faibles ressources et qui ne peuvent aujourd'hui partir en vacances. C'est reconnaître l'évolution de notre société que de permettre à ces catégories, souvent tout aussi maltraitées par la politique des grands groupes que les salariés, de bénéficier d'un avantage social. Il leur appartient maintenant de mettre en oeuvre ce nouveau droit par le biais, par exemple, de la mutualité sociale agricole, la MSA, des mutuelles ou d'autres organismes qui devront être interpellés.
S'agissant des salariés, nous constatons avec satisfaction que le seuil minimal d'épargne demeure à 2 % du SMIC mensuel, ce qui correspond, malheureusement, à la capacité réelle d'épargne de nombreuses familles. Il est positif que notre commission tire les conséquences de cette évolution et ne propose pas à nouveau le blocage de ces sommes très modiques dans un plan d'épargne.
Je dirai, pour terminer, un mot de l'ouverture à l'Europe que le Gouvernement accepte de réaliser. Comme vous le savez, madame la secrétaire d'Etat - nous en avions déjà parlé en première lecture - nous sommes soucieux de ne pas pénaliser les personnes modestes qui, jusqu'à présent, ne peuvent utiliser leurs chèques-vacances pour découvrir d'autres horizons et d'autres cultures. Cela revient à les priver d'un facteur d'enrichissement personnel et d'ouverture aux autres.
Vous nous aviez alors répondu que le Gouvernement souhaitait prolonger son expertise sur ce point, étudier les possibilités d'agrément hors territoire national et d'accords de réciprocité. Nous avions bien volontiers accepté vos remarques. Nous en sommes, en quelque sorte, récompensés, puisque vous nous proposez aujourd'hui un texte qui reprend d'ailleurs la formulation suggérée par notre collègue Guy Fischer.
Il est important que la France, qui, la première, a mis en oeuvre ce dispositif, en propose maintenant l'extension aux autres Etats de l'Union européenne. L'harmonisation en matière sociale doit se faire par le haut. Nous avons souvent l'occasion de nous en inquiéter. C'est une perspective réjouissante que de voir le Gouvernement aller dans cette direction. Nous suivrons avec attention la préparation du décret, dans un délai que nous espérons raisonnable, afin que cette disposition puisse entrer en application dès le troisième millénaire.
Au total, madame la ministre, nous sommes satisfaits du texte tel qu'il nous parvient de l'Assemblée nationale, clarifié et enrichi par vos soins. Demeurant en l'état, nous le voterions bien volontiers. Néanmoins, la majorité sénatoriale a choisi de revenir pour l'essentiel, et comme les amendements qu'elle s'apprête à adopter l'indiquent, à son texte premier.
Plusieurs de ces propositions font avec nos propres conceptions l'objet d'un désaccord de fond, qu'il s'agisse du plafond de revenu, qui, trop élevé, aboutit à dénaturer l'objet du texte, de l'ouverture en direction des grandes sociétés privées ou de la décision patronale après simple consultation des salariés dans les entreprises de moins de cinquante salariés encore dépourvues de délégués du personnel. Il est fondamental que le chèque-vacances soit mis en place après un accord, alors qu'il servirait ici à ébrécher les modalités de la représentation collective.
Enfin, le chèque-vacances - transformé par la majorité sénatoriale en une sorte de traveller's check - ne doit pas servir non plus de prétexte à de nouvelles exonérations de charges patronales. Il n'y a ainsi pas lieu de majorer de dix points par enfant à charge le montant de la contribution de l'employeur donnant lieu à exonération. De même, le paiement de la CSG doit être maintenu.
C'est pourquoi le groupe socialiste, tout en vous faisant part de son accord sur votre projet de loi, se trouvera conduit, après l'adoption de ses amendements par la majorité sénatoriale, à voter contre le texte profondément dénaturé. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues. Le projet de loi qui nous est soumis procède à une actualisation rendue aujourd'hui nécessaire de l'ordonnance du 26 mars 1982 portant création des chèques-vacances.
Les dix-sept années qui séparent la création du dispositif chèques-vacances du projet de loi que nous examinons sont marquées, c'est une évidence, par une remise en cause insidieuse, mais bien réelle, du droit aux vacances.
Qui contestera que les notions de temps libre et de société des loisirs, vantées encore en 1982, sont aujourd'hui loin du réel de nos compatriotes ?
Au-delà des chiffres, nombre de familles ayant plus de trois enfants sont privées du droit aux vacances parce qu'elles n'ont pas les moyens financiers de partir. En outre, nos compatriotes partent moins nombreux et pour des durées inférieures à ce qu'elles étaient par le passé.
De fait, d'année en année, le modèle économique toujours plus libéral érode les droits essentiels des salariés, à commencer par le droit aux vacances.
Nous comprenons dès lors, madame la secrétaire d'Etat, que vous ayez décidé prioritairement de rénover le dispositif chèques-vacances afin de le rendre plus attractif, tout en élargissant l'éventail des publics auxquels il est destiné.
Encore cet élargissement ne doit-il pas conduire à une dénaturation de ce dispositif.
Comme l'indiquait en première lecture mon amie Odette Terrade, ce dispositif doit continuer de s'adresser au premier chef aux plus défavorisés.
Le système original de cogestion entre les employeurs et les salariés doit être préservé et étendu aux entreprises qui étaient, par leur taille, exclues des négociations sur les chèques-vacances.
Enfin, le cartactère public de l'agence nationale pour les chèques-vacances est un atout à conserver.
Que l'importance des sommes collectées dans le cadre de l'application de l'ordonnance de 1982 suscite quelques appétits financiers, cela va sans dire.
Pour autant, nous avons à coeur, madame la secrétaire d'Etat, de défendre les chèques-vacances dans le prolongement des trois axes que je viens de citer.
En méconnaissant délibérément l'esprit de l'ordonnance de 1982 en première lecture, la majorité de la Haute Assemblée remettait en cause les principes fondamentaux de celle-ci.
Nous souhaitons, pour notre part, revenir à un débat plus serein, permettant aux salariés les plus défavorisés, et quelles que soient les formes de leur contrat de travail, de retrouver le droit essentiel aux loisirs et aux vacances.
Les chèques-vacances ne doivent pas conduire à consentir un avantage fiscal supplémentaire aux entreprises.
Tout au mieux s'agit-il d'adapter les mécanismes contributifs afin de les rendre plus incitatifs que ceux qui existent pour permettre aux salariés des PME-PMI de bénéficier des chèques-vacances, afin d'élargir encore les catégories des salariés susceptibles de bénéficier d'un tel dispositif.
L'ensemble de ces motifs nous conduit donc à la plus extrême vigilance pour ce qui relève de la nature des amendements déposés par la majorité sénatoriale.
L'empressement, par exemple, à vouloir grossir les rangs, non sans arrière-pensée, des salariés pouvant bénéficier du dispositif, s'il peut paraître de prime abord louable, surprend quand il est à l'initiative de ceux pour qui les salariés sont toujours trop rémunérés. (Scandaleux ! sur les travées du RPR.)
De la même façon, les accords de branche dénatureraient-ils dans un sens conforme aux intérêts des salariés le dispositif des chèques-vacances ?
La possibilité pour l'agence nationale des chèques-vacances de confier une partie de ses missions à des entreprises privées prestataires ne constituerait-elle pas une remise en cause essentielle du caractère public de cette dernière ?
Ces questions, que nous posions déjà en première lecture, reviennent à nouveau occuper le devant de la scène dans un débat que nous souhaiterions pour notre part tout occupé par le droit fondamental des salariés aux vacances.
Aussi, du texte que nous examinons à la version adoptée en deuxième lecture par la Haute Assemblée, et donc de sa conformité aux intérêts des salariés, dépendra l'issue finale de notre vote. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle qu'aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets de loi, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du Parlement n'ont pas encore adopté un texte identique.

Article 1er