Séance du 26 mai 1999
M. le président. « Art. 36. _ Les articles 1er, 2 et 4 de la loi n° 80-3 du 4 janvier 1980 relative à la Compagnie nationale du Rhône sont abrogés à compter du 1er janvier 1999. »
Par amendement n° 71, MM. Gérard Larcher, Belot et Revet, au nom de la commission spéciale, proposent de supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Gérard Larcher, rapporteur. Il s'agit là d'un débat important de 1994, d'une décision univoque prise par M. le Premier ministre dans son discours de politique générale et d'une volonté du Sénat, je veux parler de la liaison Saône-Rhin.
Aujourd'hui, la carte fluviale en Europe fait bien apparaître qu'aucun de nos ports ne sera relié à l'hinterland. Aussi le Sénat a-t-il souhaité réaffirmer la nécessité d'une vraie politique fluviale, politique qui ne saurait être « balayée » par une décision politique !
M. Emmanuel Hamel. Il a eu raison : c'est fondamental !
M. Gérard Larcher, rapporteur. C'est la raison pour laquelle la commission propose de supprimer l'article 36, car elle souhaite que les articles 1er, 2 et 4 de la loi du 4 janvier 1980 soient maintenus dans la rédaction que nous avions adoptée.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Je n'ai pas l'intention de refaire la démonstration complète ni l'historique de ce dossier. Je sais que M. Hoeffel, presque pour mémoire et de façon rituelle, reviendra sur les divergences qu'il peut avoir avec le Gouvernement.
Je formulerai simplement une brève remarque à l'intention de M. le rapporteur.
Aucun de nos ports ne sera relié à l'hinterland, a-t-il souligné. Je lui rappellerai que le projet de canal Rhin-Rhône à grand gabarit n'avait pas pour objet de relier des ports à leur hinterland, puisqu'il s'agissait de relier entre eux des ports, et non chacun des ports à son arrière-pays.
Je voudrais vous rassurer à cet égard, monsieur le rapporteur. Marseille est bien relié par voie fluviale à Lyon, qui peut être considérée d'une façon large comme son hinterland. De même, Rouen et Le Havre sont reliés à Paris, par la Seine. Aussi, je ne crois pas que vous puissiez avancer un tel argument dans ce débat.
En revanche, je le répète, l'importance des atteintes directes et irréversibles portées au patrimoine naturel et au cadre de vie des régions traversées n'était pas compensée par l'intérêt intrinsèque d'un projet dont le coût d'investissement et le déficit prévisionnel de fonctionnement étaient élevés.
C'est une démonstration qui est valable pour d'autres pays européens puisque, vous le savez, le nombre de péniches qui circulent au-delà du Rhin, qui est une voie naturellement à grand gabarit, sur la portion du Main et du Danube portée à grand gabarit, est très faible.
Enfin, je vous rappelle que de nombreux sénateurs partageaient cet avis. Je ne rappellerai pas les éléments apportés par le groupe que M. François-Poncet avait piloté s'agissant des suites de la loi du 4 février 1995.
M. le président. Cependant, madame la ministre, quand la région Provence-Alpes-Côte d'Azur a financé les investissements du port d'Arles, c'était bien en deçà de Marseille et dans l'hinterland ! Mais à la place qui est la mienne en cet instant, je ne peux dialoguer avec vous.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 71.
M. Daniel Hoeffel. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, mon intervention, peut-être rituelle, est avant tout fondée sur une conviction forte. Elle n'a pas pour objet de rouvrir le débat sur cette question à laquelle nous avons consacré des heures à l'Assemblée nationale et au Sénat, à la fois en 1994 et au début de cette année.
Je tiens simplement à formuler l'espoir que l'adoption de l'amendement présenté par M. Gérard Larcher, au nom de la commission spéciale, ne soit pas un chant du cygne, et que cette disposition ait des vertus prémonitoires quant à la réalisation inévitable d'une liaison indispensable pour la bonne insertion de notre territoire national dans l'espace européen environnant.
M. Emmanuel Hamel. Très bien ! C'est la vérité !
M. Charles Descours. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Descours.
M. Charles Descours. Je soutiens, bien sûr, l'amendement présenté par M. le rapporteur et l'intervention de M. Hoeffel.
Personnellement, je voudrais dénoncer l'attitude du Gouvernement devant l'envahissement de nos routes et autoroutes par les camions.
Comme vous le savez, le tunnel du Mont-Blanc est fermé. Au cours de la conférence de presse tenue ce midi par M. Gayssot, on aurait pu s'attendre à l'annonce de crédits pour le développement du transport fluvial ou du ferroutage. Eh bien non ! On augmente le péage sur les autoroutes pour les camions et l'on crée un grand parking d'attente en bas de l'autoroute de la Maurienne pour les camions qui doivent attendre plusieurs heures avant de franchir le tunnel du Fréjus. Il s'agit là non pas d'une politique, mais d'un cautère sur une jambe de bois !
En revanche, des investissements importants, comme le canal Rhin-Rhône ou le développement du ferroutage, auraient permis d'éviter la marée des camions sur nos liaisons routières. Le Gouvernement a tourné le dos à cette politique. Je le déplore !
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Ce serait bien si nous pouvions, un jour, parler de cette question de façon dépassionnée, rigoureuse et rationnelle.
Comment prétendre que le choix de réaliser, pour un montant de trente milliards de francs, 150 kilomètres de canal à grand gabarit aurait pu constituer en quoi que ce soit un élément de réponse au problème majeur que pose aujourd'hui le franchissement, par des chenilles processionnaires de camions, des grands massifs montagneux que sont les Alpes et les Pyrénées ?
M. Charles Descours. La vallée du Rhône est également concernée !
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Nous poursuivons le travail que les gouvernements précédents avaient engagé avec le gouvernement italien afin de faire avancer un dossier dont vous connaissez, comme moi, le coût extravagant, le projet de franchissement des Alpes grâce à la liaison Lyon-Turin.
En première lecture, vous avez souhaité supprimer du présent projet de loi la priorité donnée au ferroviaire pour le franchissement des massifs montagneux. Or, aujourd'hui, vous venez me dire qu'il faudrait trouver des solutions, dans l'urgence, et à l'occasion d'une communication gouvernementale qui a pour objet de traiter un problème particulier. Ce n'est pas sérieux ! M. Jean-Claude Gayssot traite aujourd'hui un problème précis, limité, à savoir comment répondre aux transporteurs routiers qui sont coincés devant le tunnel du Fréjus.
M. Charles Descours. J'espère qu'ils vous répondront !
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. C'est un problème ponctuel. Cela ne nous empêche pas de renforcer notre réflexion sur le transfert modal des marchandises. C'est d'ailleurs dans cet esprit que M. Gayssot travaille depuis bientôt deux ans. En effet, les mesures qui ont été annoncées et visant à renforcer le Fonds d'intervention des transports terrestres et des voies navigables, le FITTVN, font une part plus belle que par le passé au rail et au transport fluvial ; d'ailleurs, des engagements tout à fait significatifs ont déjà été pris à cet égard.
Il n'y a pas que le grand gabarit à 4 000 tonnes ; il y a aussi la nécessité de réhabiliter le réseau Freycinet et de développer le gabarit européen de 1 350 tonnes sur certains axes qui le méritent. Je pense notamment à la liaison Seine-Nord. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur certaines travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Gérard Larcher, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Gérard Larcher, rapporteur. Cette carte est suffisamment claire (M. le rapporteur montre un document) pour que nous puissions parler de vicinal français et de réseau fluvial européen entièrement consacré à l'Europe du Nord.
Certes, la réalité géographique joue en faveur de l'Europe du Nord. Cependant, puisque vous êtes, dites-vous, préoccupée par la multimodalité, je vous livrerai une réflexion : ce sont les pays ayant fait un effort en faveur du transport fluvial qui ont pu le mieux résister à la concurrence de la route.
En effet, l'analyse de la répartition des parts modales dans les principaux Etats européens - je vous renvoie à cet égard à l'excellent rapport, paru l'an dernier, de la commission d'enquête présidée par M. Jean François-Poncet, aidé modestement par votre serviteur - montre bien que les Pays-Bas, la Belgique et l'Allemagne ont singulièrement mieux résisté, au travers du transport fluvial, à la part incessamment croissante de la route. (Mme le ministre s'exclame.)
Un sénateur du RPR. C'est évident !
M. Gérard Larcher, rapporteur. Par ailleurs, madame le ministre, si nous n'avons jamais refusé les moyens de mener une politique ferroviaire, je voudrais néanmoins exprimer mon inquiétude sur la situation financière du transport ferroviaire.
En effet, pour 1998, les comptes provisoires de la SNCF, entreprise à laquelle je suis attaché, montrent une contribution financière de l'Etat et des collectivités publiques s'élevant, au travers de la SNCF et de Réseau ferré de France, à 62 milliards de francs, contre 57 milliards de francs en 1997, et un résultat net négatif de 649 millions de francs pour la SNCF et de 13 716 millions de francs pour Réseau ferré de France. Madame le ministre, quelle politique ferroviaire pouvons-nous mener avec une telle situation financière ?
Certains nous ont accusés de porter de mauvais coups à la SNCF. Or, si nous voulons une politique alternative à la route qui passe par le rail, il faudra, mes chers collègues, engager de véritables moyens, non pour boucher des trous, mais pour définir des projets tant à la SNCF qu'à Réseau ferré de France. Voilà la vérité ! Ne dites pas, madame le ministre, que le Sénat est défavorable à la traversée alpine pour laquelle il faudrait dégager 60 milliards de francs, ce qui représente la contribution financière annuelle de l'Etat et des collectivités publiques au transport ferroviaire.
Je suis personnellement attaché à l'intermodalité et au rail. Tout le rapport que je viens d'évoquer en porte témoignage puisque nous nous sommes battus pour créer ce que nous avons appelé un « Rhin-Rhône d'acier », à l'instar de Betuwelijn ou de ce qui a été prévu pour le port d'Anvers. La situation de notre entreprise nationale et de Réseau ferré de France nécessite une véritable politique et l'examen des réalités financières.
Alors, madame le ministre, ne jetez pas au visage du sénateur Charles Descours je ne sais quel abandon ! Aujourd'hui, on nous promet des parkings d'attente mais non une politique de transport intermodale. Telle est la réalité à ce moment du débat.
Par-delà la liaison Rhin-Rhône, c'est bien le problème de l'intermodalité qui est posé, problème auquel il n'est pas apporté de réponse autre qu'incantatoire dans le texte qui nous vient de l'Assemblée nationale. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.) Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Monsieur le rapporteur, vous me permettrez peut-être, sur un ton un peu plus modéré que le vôtre, d'identifier un terrain sur lequel nous pourrions nous mettre d'accord.
Les choix du passé, qui faisaient la part un peu trop belle à des équipements séduisants du point de vue technologique et du service rendu - je pense bien sûr au TGV - ont été réalisés au détriment d'une vraie politique de transport ferroviaire des marchandises. C'est sur ce point que nous devrions travailler avec le souci de bien articuler les ports dont nous disposons avec les outils ferroviaires. C'est l'esprit du travail réalisé par la SNCF avec la mise en place de corridors dédiés au transport des marchandises. C'est, me semble-t-il, l'une des priorités qu'étudie avec beaucoup de constance M. Gayssot.
Je ne verrais pour ma part que des avantages à ce que l'Etat et les collectivités locales, décidant ensemble que, puisque l'on ne peut pas tout faire, le moment est venu de donner priorité au rail pour le transport longue distance des marchandises, traduisent cela par des choix budgétaires à la hauteur de l'enjeu. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Emmanuel Hamel. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Hamel.
M. Emmanuel Hamel. Les propos les plus brefs sont peut-être ceux que l'on retient le mieux !
Avec le respect que je porte à vos fonctions et à votre personne, j'ose affirmer, Madame la ministre - l'Histoire le confirmera - que votre refus de l'achèvement de la liaison Rhin-Rhône à grand gabarit est une faute grave contre l'intérêt national ! Vous en portez la responsabilité ! Avec votre entêtement, vous nuisez à l'ensemble du Gouvernement. En effet, lorsque l'on fera le bilan de votre action, cette décision apparaîtra dans une perspective historique et géographique comme l'une des fautes les plus graves commises contre l'intérêt national ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 71, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 36 est supprimé.
Article 37