Séance du 3 novembre 1999
M. le président. « Art. 1er. _ I. _ Le premier alinéa de l'article L. 212-1 du code du travail est ainsi rédigé :
« Dans les établissements ou professions mentionnés à l'article L. 200-1, ainsi que dans les établissements artisanaux et coopératifs et leurs dépendances, la durée légale du travail effectif des salariés est fixée à trente-cinq heures par semaine. »
« II. _ La durée prévue à l'article L. 212-1 du code du travail est applicable à compter du 1er janvier 2000 pour les entreprises dont l'effectif à cette date est de plus de vingt salariés ainsi que pour les unités économiques et sociales de plus de vingt salariés reconnues par convention ou par décision de justice. Pour les autres entreprises et unités économiques et sociales, elle est réduite de trente-neuf heures à trente-cinq heures à compter du 1er janvier 2002. L'effectif est apprécié dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article L. 421-1 et à l'article L. 421-2 du même code.
« III. _ L'article L. 212-1 bis du code du travail est abrogé.
« IV. _ Après le premier alinéa de l'article L. 321-4-1 du code du travail, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« L'employeur, préalablement à l'établissement du plan social et à sa communication en application de l'article L. 321-4 aux représentants du personnel, doit avoir conclu un accord de réduction du temps de travail portant la durée collective du travail des salariés de l'entreprise à un niveau égal ou inférieur à trente-cinq heures hebdomadaires ou à 1 600 heures sur l'année, ou, à défaut, avoir engagé sérieusement et loyalement des négociations tendant à la conclusion d'un tel accord. »
Sur l'article, la parole est à M. le président de la commission.
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. Madame le ministre, si nous avions voulu vous jouer un vilain tour, nous aurions voté conforme le projet de loi tel que nous l'a transmis l'Assemblée nationale. Il serait alors devenu immédiatement applicable mais, je le crois, désastreux pour le monde du travail et le Premier ministre en aurait été réduit à demander au Président de la République de ne pas le promulguer afin de permettre une nouvelle délibération au Parlement.
Cette perversité nous a peut-être traversé l'esprit, mais nous n'y avons pas donné suite.
M. Alain Gournac. Dommage !
M. Jean Delaneau, président de la commission. S'agissant des problèmes soulevés par l'application obligatoire des trente-cinq heures, nous avons une conception différente du dialogue social.
L'Assemblée nationale nous a transmis une sorte de machinerie - je n'utiliserai pas les termes qui ont été utilisés précédemment - d'une rare complexité.
M. Alain Gournac. Une machinerie à gaz !
M. Jean Delaneau, président de la commission. En effet, ont été branchés sur le dispositif initial de nombreux accessoires : certains ont greffé un accélérateur supplémentaire, d'autres un deuxième volant, d'autres encore quelques éléments susceptibles d'entraîner l'adhésion finale de certaines composantes de la majorité plurielle.
La majorité des membres de la commission des affaires sociales s'est interrogée sur l'attitude à adopter à l'égard d'un tel texte au lendemain de son adoption par l'Assemblée nationale.
Nous avons envisagé de déposer une exception d'irrecevabilité, procédure assez peu utilisée par notre commission. Aux termes de l'article 44 du règlement du Sénat, nous aurions ainsi reconnu que le texte en discussion est contraire à une disposition constitutionnelle légale ou réglementaire.
J'en reviens, pour expliquer cette position, à nos conceptions respectives du dialogue social.
Tout à l'heure, vous avez dit, madame le ministre, qu'il y avait une certaine contradiction entre deux des critiques qui étaient formulées par la majorité de cette assemblée, à savoir l'autoritarisme et la complexité de ce texte. Mais ces deux critiques sont non pas substitutives, mais cumulatives ! Et c'est parce qu'il est autoritaire et compliqué qu'il laisse finalement extrêmement peu de place, ou une place résiduelle tout à fait minime, au dialogue social.
Permettez-moi, à cet égard, de vous renvoyer au huitième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, annexé à la Constitution de 1958 : « Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises. »
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Jean Delaneau, président de la commission. Nous sommes bien là dans un dispositif ascendant et non pas dans un dispositif imposé, aux termes mêmes de l'un des fondements de la Constitution.
Je me souviens d'un temps pas si éloigné où la loi intervenait pour valider des accords signés entre représentants syndicaux et patronaux. Aujourd'hui, le processus est inversé et M. Fourcade a eu raison de dire tout à l'heure qu'il y avait là un problème difficile à gérer. Evoquant les risques d'inconstitutionnalité, nous nous sommes tournés aussi vers un autre élément de notre dispositif de représentation, à savoir la saisine du Conseil économique et social.
Je sais bien que cette chambre n'a pas de pouvoir législatif, même si Pierre Mendès France, dans la République moderne , voulait lui conférer un rôle plus grand, y compris législatif. Il n'en reste pas moins que le deuxième alinéa de l'article 2 de l'ordonnance du 29 décembre 1958 précise que « le Conseil économique et social est obligatoirement saisi pour avis des projets de lois de programmes ou de plans à caractère économique ou social, à l'exception des lois de finances ».
On peut se demander si une loi rendant obligatoires les trente-cinq heures hebdomadaires et bouleversant d'une façon importante le dispositif social dans lequel nous vivons depuis quelques décennies ne s'apparente pas à un plan à caractère social et s'il n'y avait pas, dans ces conditions, obligation de saisir le Conseil économique et social !
En tout cas, vous aviez la possibilité de le faire - vous avez vous-même considéré qu'il s'agissait d'une grande loi - puisque le troisième alinéa de ce même article 2 indique qu'« il peut être saisi des projets de loi ou de décret ainsi que des propositions de loi entrant dans le domaine de sa compétence ». Je serais curieux de savoir pourquoi vous n'avez pas ouvert le débat au Conseil économique et social...
M. Alain Gournac. A la concertation !
M. Jean Delaneau, président de la commission. ... ou sont représentées les organisations syndicales, les organisations patronales et l'ensemble de la société civile.
Un autre élément qui aurait pu justifier une exception d'irrecevabilité est la procédure qui vous permettait, dans le cadre de ce que vous avez appelé une « contribution conventionnelle », de faire appel aux différentes caisses d'assurance maladie, à l'UNEDIC, à l'AGIRC, et à l'ARRCO.
Le mot « conventionnelle » a, je dois le dire, très rapidement disparu de votre discours, car il s'agissait en réalité d'une imposition dont ni le taux ni l'assiette n'étaient fixés dans la loi. Vous avez renoncé à instaurer cette contribution quand la machine dont je parlais tout à l'heure a « coulé une bielle », c'est-à-dire lors du week-end qui a suivi l'adoption du texte par l'Assemblée nationale. Nous reviendrons sans doute tout à l'heure sur ce par quoi vous l'avez remplacée.
A la suite de cet événement, nous avons renoncé à notre tour à déposer une motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité à votre texte. La commission des affaires sociales du Sénat a élaboré des propositions et si, je le répète, nous sommes favorables à l'instauration progressive, en respectant le dialogue social, d'une réduction du temps de travail - telle était déjà la position du Sénat voilà un an - nous ne voulons pas qu'il s'agisse d'une réduction imposée, et ce pour des raisons que je ne reprendrai pas mais qui ont été développées par différents orateurs au cours de la discussion générale.
Nous proposons tout d'abord de supprimer toutes les dispositions visant à créer une obligation de réduire à trente-cinq heures le temps de travail.
Par ailleurs, nous choisissons de faire confiance à la négociation à l'échelon des entreprises ou des branches, afin de contribuer à relancer le dialogue social, lequel s'était presque éteint, et de lui redonner la place qui n'aurait jamais dû cesser d'être la sienne dans notre pays. C'est pourquoi nous avons déposé l'amendement n° 3, qui rend à supprimer les paragraphes I, II et IV de l'article 1er.
Mme Hélène Luc. Eh bien voilà ! On supprime !
M. le président. La parole est à Mme Printz.
Mme Gisèle Printz. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'article 1er de ce projet de loi est capital, car il vise à officialiser la réduction à trente-cinq heures de la durée légale du travail au 1er janvier 2000 pour les entreprises de plus de vingt salariés et au 1er janvier 2002 pour toutes les autres.
D'aucuns prétendent qu'il ne fallait pas légiférer, mais n'en a-t-il pas toujours été ainsi ? En effet, la réduction du temps de travail est au coeur des grandes luttes sociales de notre pays depuis le XIXe siècle, et c'est à chaque fois d'une loi qu'est venue la solution.
Il est vrai que, dans d'autres pays, en Allemagne notamment, on parvient à réduire le temps de travail sans recourir à la loi. Mais il faut souligner que si le dialogue et la négociation en entreprise portent plus de fruit dans ce pays, c'est parce qu'il y existe un syndicalisme plus fort et un patronat attentif à l'évolution de la société et sachant dialoguer.
En effet, même si beaucoup ne veulent pas l'admettre, la réduction du temps de travail correspond réellement aux besoins de notre société et aux aspirations de nos concitoyens et concitoyennes. J'ai été choquée d'entendre dire, dans les rangs de l'opposition, que le travail n'avait aujourd'hui plus rien à voir avec ce qu'il était au XIXe siècle et que, par conséquent, réduire le temps de travail ne signifiait plus rien.
Certes, le travail est moins pénible aujourd'hui qu'il ne l'était au siècle dernier, mais je rappelle à ceux qui semblent l'oublier qu'il y a encore des ouvriers et des ouvrières travaillant à la chaîne, des travailleurs de force sur les chantiers, des mineurs et des sidérurgistes - notamment dans mon département - pour qui le travail est loin d'être une partie de plaisir. Ceux-là, comme beaucoup d'autres, bénéficieront de davantage de temps libre, qu'ils pourront consacrer à la famille, au bénévolat dans le monde associatif, aux loisirs et à leur épanouissement personnel.
Le travail est une nécessité, à laquelle on se prépare à faire face dès le plus jeune âge, au collège, au lycée, à l'université pour certains.
Il peut être choisi ou subi, mais quoi qu'il en soit, il doit pouvoir être un facteur d'épanouissement. Hélas, ce n'est pas souvent le cas, car les rapports sociaux ne sont pas suffisamment équilibrés. J'ai pu m'en rendre compte lors de ma carrière professionnelle dans la sidérurgie et en tant que syndicaliste.
Ce projet de loi vise à défendre les salariés qui, pour la majorité d'entre eux, aspirent à bénéficier de plus de temps libre pour améliorer leur qualité de vie personnelle et leur qualité de vie au travail. En cela, les accords signés durant la période de transition ont porté leurs fruits, puisqu'une très large majorité des salariés passés aux trente-cinq heures de travail hebdomadaires se déclarent satisfaits de cette évolution.
Défendre les salariés ne signifie pas pour autant pénaliser les entreprises. En effet, les intérêts sont communs. Au sein des entreprises, on pourra, si ce n'est déjà fait, réfléchir collectivement à l'organisation du travail en vue d'aboutir à une plus grande efficacité. Le dialogue social est d'une importance primordiale, et ce texte ne vise qu'à l'encourager. Les chefs d'entreprise déjà engagés dans une démarche de réduction de la durée du travail constatent, pour une large majorité d'entre eux, l'effet positif de la mise en oeuvre des accords sur le fonctionnement de leur entreprise et sur le climat social et s'en déclarent très satisfaits.
Je suis d'autant plus confortée dans mon opinion que la réduction du temps de travail permet de créer des emplois. Ainsi, à ce jour, 125 000 emplois ont été créés ou préservés, ce qui rejoint les hypothèses optimistes énoncées voilà plus d'un an par les conjoncturistes. Il est temps aujourd'hui de montrer ces chiffres aux sceptiques et d'afficher les faits. La réduction à trente-cinq heures du temps de travail amène la création d'emplois et permet d'améliorer la vie des individus. C'est une certitude.
L'Assemblée nationale a fort justement amendé l'article 1er en définissant, notamment, le temps de travail effectif, ainsi que les astreintes, qui entrent dans le calcul de celui-ci. Cette notion est, en effet, déterminante en droit du travail, et il convenait d'être clair au départ sur ce point, afin que sa définition ne soit pas à l'origine de litiges entre employeurs et salariés. L'amendement dit « Michelin », qui subordonne l'élaboration d'un plan social à l'exploration préalable, sincère et loyale de toutes les possibilités liées à la réduction de temps de travail, représente une avancée très importante en matière de dialogue social. Cette disposition était nécessaire, car nous avons tous été choqués par ce triste épisode.
Madame la ministre, grâce à votre détermination et à celle du Gouvernement, nous écrivons aujourd'hui l'une des plus belles pages de l'histoire des avancées sociales de ce siècle. L'article 1er en est le fondement, et nous le voterons avec enthousiasme.
M. le président. La parole est à Mme Luc.
Mme Hélène Luc. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant d'examiner en détail cet article 1er, je souhaiterai au nom du groupe communiste républicain et citoyen, m'arrêter à l'une des attitudes les plus caractéristiques de la majorité sénatoriale dans ce débat.
En effet, la majorité des membres de la commission souhaite la suppression des dispositions introduites dans le projet de loi par le biais de l'amendement dit « Michelin », qui a été voté par l'Assemblée nationale. Or que prévoit celui-ci ? Comme l'a indiqué lui-même M. le rapporteur, l'employeur devra, préalablement à l'établissement d'un plan social, avoir conclu un accord sur la réduction du temps de travail ou, pour le moins, avoir engagé une négociation sur ce thème.
Cette attitude de la majorité sénatoriale, qui s'arc-boute sur la défense des intérêts patronaux, est choquante au regard de la détresse des milliers de salariés victimes de procédures de licenciement massif.
A cet égard, Michelin a été le détonateur d'une prise de conscience au sein de la société française. Comment accepter, en effet, 7 500 suppressions d'emplois, alors que, dans le même temps, 2 milliards de francs de profits sont annoncés ? Comment accepter que, au lendemain de cette décision, le cours des actions de la société Michelin fasse un bond de plus de 12 % ? Ces derniers mois, de nombreuses entreprises comme Alcatel, Epéda ou Wolber, filiale de Michelin, ont choisi l'option ultra-libérale, c'est-à-dire le profit contre l'épanouissement humain.
L'émotion a été très grande, non seulement dans le pays de Clermont, mais dans toute la France. J'ai participé moi-même, avec mon ami Guy Fischer, à la première manifestation des salariés et de la population de Clermont-Ferrand. Il fallait, mesdames, messieurs les membres de la majorité sénatoriale, lire la détresse et la colère sur les visages de ces hommes et de ces femmes confrontés à la violence capitaliste ! Cette colère en disait long. Elle était due bien sûr à l'annonce des licenciements, mais aussi à l'atteinte portée à la dignité des salariés de par la manière dont cette annonce avait été faite, en ignorant complètement le comité d'entreprise ! Elle était due également au fait que les premiers touchés auraient été les jeunes : il n'y a même plus de place pour les jeunes chez Michelin à Clermont-Ferrand !
Heureusement, la réaction a été unanime en France, et la grande manifestation nationale contre les licenciements a juqu'à présent empêché ce mauvais coup.
Mesdames, messieurs les membres de la majorité sénatoriale, quoi de plus logique que de lier la possibilité de licencier à la recherche de solutions permettant d'assurer la sauvegarde de l'emploi, en l'occurrence par la réduction à 35 heures de la durée du travail, qui doit permettre, si les employeurs jouent le jeu, de préserver les emplois et surtout d'en créer ?
Il faut être bien éloigné de ces drames humains pour refuser toujours et encore l'intervention du législateur pour défendre l'emploi. Il faut être sourd à l'exigence qui monte d'une juste redistribution des richesses et d'un effort plus grand en faveur de l'emploi et de la formation pour persévérer, comme vous le faites aujourd'hui, dans une défense inconditionnelle, que je trouve violente, des intérêts patronaux au détriment de l'intérêt général.
La rédaction actuelle du paragraphe IV de l'article 1er ne nous convient pas totalement, et nous nous en sommes expliqués à l'Assemblée nationale. Mais celui-ci constitue sans nul doute - et c'est bien pour cette raison que les députés communistes l'ont voté - une remise en cause du pouvoir tout-puissant du patronat, qui peut décider sans contrôle réel de l'avenir et des conditions de vie des salariés.
Je tenais à prononcer cette intervention, car il s'agit d'un sujet qui nous tient particulièrement à coeur, à moi et aux membres de mon groupe. La réduction à 35 heures du temps de travail peut constituer un moyen formidable pour ramener le véritable plein emploi dans notre pays et de combattre la précarité. Elle peut permettre à nos concitoyens de disposer de plus de temps libre pour leur vie personnelle et familiale.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen s'opposeront avec détermination au coup bas porté par la majorité sénatoriale à la lutte des salariés contre les licenciements. Heureusement, la majorité plurielle de l'Assemblée nationale rétablira les choses. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à Mme Bidard-Reydet.
Mme Danielle Bidard-Reydet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'article 1er délimite le champ d'application de la réduction du temps de travail : les 35 heures seront applicables dès le 1er janvier 2000 pour toutes les entreprises comptant plus de vingt salariés, les autres se voyant accorder un délai courant jusqu'au 1er janvier 2002 pour s'adapter à la législation.
Pourtant, cet article ne fait pas davantage référence que les autres aux 35 heures dans la fonction publique.
M. Alain Vasselle. Ils font déjà moins de 35 heures !
Mme Danielle Bidard-Reydet. Vous parlez de choses que vous ne connaissez pas, monsieur Vasselle, je le crains.
M. Alain Vasselle. Mais si ! La moyenne dans la fonction publique territoriale, c'est 33 heures ! M. le président. Mes chers collègues, laissez parler Mme Bidard-Reydet, je vous prie.
Mme Danielle Bidard-Reydet. Alors que le ministre de la fonction publique engage des discussions avec les organisations syndicales, les élus locaux et leurs associations, nous souhaiterions que cette seconde loi pose, dès à présent et clairement, le principe du passage aux 35 heures au 1er janvier 2000 dans la fonction publique.
Malgré leurs spécificités il n'est pas souhaitable de dissocier radicalement, comme le fait souvent la droite, le service public et les fonctions publiques du secteur marchand.
En termes de finalité et de moyens, ce serait les traiter hors des problématiques générales du développement économique et social, auxquels ils contribuent pourtant très efficacement.
Ce serait également prendre le risque de les soumettre aux politiques de réduction des dépenses publiques, synonyme d'affaiblissement de leurs capacités à répondre aux besoins des usagers et des populations, aussi, en limitant leurs actions d'intérêt général, dans tous les domaines, notamment au plan économique et sur les terrains de l'emploi.
Ce projet de loi doit donc prendre en compte le service public comme facteur essentiel du développement, conjointement et en complémentarité avec le secteur marchand. Il est indispensable de ne pas dissocier les deux logiques mais, au contraire, de considérer que la mixité « public-privé » constitue un élément de cohérence favorable à la croissance économique et au progrès social.
Accompagner avancée sociale et modernisation des services publics n'est pas une aberration. C'est au contraire un véritable progrès économique et social.
M. Zuccarelli, auditionné à la mi-octobre par la commission des affaires sociales, déclarait que la réduction du temps de travail aurait vocation à s'appliquer à la fonction publique et serait l'occasion d'une réflexion visant à l'amélioration du service public, mais n'aurait cependant pas comme objectif la création d'emplois.
Les parlementaires communistes souhaitent l'application des 35 heures dans la fonction publique pour permettre la création d'emplois et d'embauches statutaires, notamment dans les domaines de l'éducation, de la justice, de la police et de la santé.
Nous voulons faire état de nos propositions accompagnées de leurs financements, car, vous le savez, un grand nombre de collectivités locales ont de telles difficultés budgétaires qu'elles ne pourront pas supporter le coût du passage aux 35 heures dans la fonction publique territoriale.
Nous souhaitons que les négociations engagées aboutissent à un accord cadre pour chacune des trois fonctions publiques, établissant les modalités du passage aux 35 heures dans les fonctions publiques d'Etat, territoriales et hospitalières, ainsi que dans les établissements publics à caractère administratif.
Pour les missions comportant des tâches pénibles, dangereuses ou particulières, telles que le travail de nuit et le ramassage des ordures ménagères, la durée hebdomadaire de travail ne devrait-elle pas être plafonnée à 32 heures ?
Nous souhaitons que l'année 2000 soit consacrée aux négociations par établissement et que ces négociations aboutissent à un projet soumis aux comités techniques paritaires.
Ces propositions ont pour objet de contribuer à la mise en oeuvre du programme de réduction de la durée du travail et de recrutement corrélatif lié à une amélioration du service public, comportant notamment le développement de nouvelles activités de ses services et l'amélioration des réponses aux besoins du public, y compris en termes d'implantation sur l'ensemble du territoire.
Pour financer nos propositions, nous suggérons de poser le principe d'un engagement financier de la responsabilité nationale pour des créations d'emplois publics, sur la base de ce qui avait été mis en place en 1982 par l'ordonnance relative aux contrats de solidarité des collectivités locales ; l'Etat prendrait en charge les cotisations de sécurité sociale incombant obligatoirement à la collectivité ou à l'établissement et afférentes à l'emploi de nouveaux personnels recrutés en application de la réduction du temps de travail.
Dans la perspective des négociations engagées par M. le ministre de la fonction publique pour aboutir à un accord cadre, ou à une loi-cadre spécifique aux trois fonctions publiques, il est indispensable, selon nous, que ce projet de loi prenne en compte le service public et ses 4,5 millions de fonctionnaires, dont 1,8 million dans les collectivités locales.
Voilà pourquoi, madame la ministre, nous voulions vous faire part de notre opinion, respectueuse des attentes des salariés ; nous souhaitons qu'elle soit entendue.
M. le président. La parole est à M. Gournac.
M. Alain Gournac. Nous l'avons dit, la manière d'aborder la question des 35 heures relève d'une vision caduque du travail.
Nous ne sommes plus dans la société industrielle du xixe siècle ; nous allons entrer dans le xxie siècle.
M. Jacques Marseille - j'ai utilisé hier un des termes qu'il emploie, ce qui n'a guère fait plaisir - professeur d'histoire économique et sociale rappelait fort justement qu'aujourd'hui, entre l'allongement des études, la retraite à soixante ans, l'allongement de la durée de la vie et les congés payés, nos concitoyens ne travaillent plus en moyenne que 12 % du temps de leur vie éveillée !
Dans le texte qui nous est proposé, ce qui nous semble le plus aberrant est ce découpage du temps de travail obligatoire, et ce quelles que soient les situations et quels que soient les métiers.
En effet, s'il semble possible dans l'industrie de pouvoir les mettre en place, comme cela est-il possible dans d'autres secteurs ?
Dans l'industrie d'ailleurs, madame le ministre, souvent les branches ne vous avaient pas attendu pour réduire la durée du temps de travail. Mais dans les autres secteurs, comment feront-elles ?
Nous vivons aujourd'hui dans une société de services. Qui peut croire que le travail peut se fractionner et se répartir aussi facilement entre les hommes ? Rares sont ceux qui, aujourd'hui, travaillent encore à la chaîne : de plus en plus les hommes - et c'est un bien - suivent l'évolution du produit sur lequel ils travaillent. On ne se contente plus de participer à un petit bout de la chaîne sans chercher à savoir ce qu'il adviendra de ce produit.
Le travail ne se répartit donc pas aussi facilement que vous voulez nous le faire croire. C'est pourquoi les 35 heures ne se traduiront pas par un partage de l'emploi mais, c'est à craindre, par une baisse de l'activité de l'entreprise.
A l'heure de la mondialisation, c'est un coup dur qui est porté à la compétitivité de nos entreprises.
M. Alain Vasselle. Très bien !
M. Alain Gournac. Non seulement aucun emploi ne sera vraiment créé par la mise en oeuvre des 35 heures dans les sociétés de services, mais de surcroît d'autres emplois seront mis en péril par votre loi hasardeuse qui s'inscrit à contre-courant de nos partenaires et de l'évolution de la nature du travail. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle. L'article 1er constitue bien la pierre angulaire du texte du Gouvernement, puisqu'il prévoit de réduire de manière autoritaire de 39 à 35 heures la durée légale du temps de travail.
Quel est l'objectif recherché par le Gouvernement ? M. le Premier ministre et Mme Aubry en particulier l'ont annoncé - et à l'instant Mmes Luc et Bidard-Reydet y ont insisté - il s'agit de favoriser la création de nouveaux emplois, dans le secteur marchand, bien entendu, car Mme Aubry se garde bien de parler du secteur public. Mais Mme Bidard-Reydet s'est chargée de le lui rappeler et d'inciter le Gouvernement à s'intéresser à la fonction publique, tout en contestant quelque peu les intentions de M. Zuccarelli à cet égard.
En ma qualité de président du groupe de travail sur la fonction publique territoriale au sein de l'Association des maires de France, j'ai été reçu avec d'autres élus par M. Zuccarelli. S'agissant de la mise en oeuvre des 35 heures dans la fonction publique, celui-ci a été très clair : oui, mais sans participation de l'Etat, notamment par le biais de la DGF, pour financer le surcoût qui en résulterait. En clair, les collectivités locales devront se débrouiller toutes seules. En outre, M. Zuccarelli nous a dit qu'il n'y aurait pas d'obligation de création d'emplois en contrepartie.
Madame Bidard-Reydet, vous connaissez ainsi la réponse du ministre de la fonction publique. Peut-être Mme Martine Aubry vous la confirmera-t-elle dans un instant, à moins que, à l'instar de ce qui s'est passé à l'Assemblée nationale, le Gouvernement ne recule pour faire plaisir à une composante de sa majorité plurielle, dont il aura besoin lors des prochaines échéances électorales, les élections municipales ou cantonales.
Alors, peut-être le groupe communiste républicain et citoyen du Sénat va-t-il réussir à infléchir la position du Gouvernement quant à ses intentions en la matière.
En tout cas, sur ce sujet délicat et épineux, c'est actuellement le silence radio le plus complet de la part du Gouvernement. Vous avez sans aucun doute bien fait de l'évoquer, madame Bidard-Reydet, et j'écouterai comme vous avec intérêt la réponse que vous apportera Mme Aubry sur ce point.
Ainsi, mes chers collègues, l'objectif est de créer des emplois. Si la solution ce sont les 35 heures, je me demande pourquoi MM. Juppé, Balladur, Rocard, Mauroy ou Mme Cresson n'y ont pas recouru depuis 1981. S'il suffit de diminuer le temps de travail pour créer des emplois, pourquoi ne pas l'avoir fait plus tôt ?
La réduction du temps de travail à 39 heures ne s'est pas traduite par des créations d'emplois. Lorsqu'en 1993 nous sommes revenus au Gouvernement, nous avions hérité d'une situation particulièrement catastrophique sur les plans économique et social, les 39 heures y étaient pour beaucoup.
Madame le ministre, on dit souvent en plaisantant - veuillez m'excuser de cette familiarité - ...
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je vous en prie !
M. Alain Vasselle. ... « Zorro est arrivé ! » Aujourd'hui, « Martine est arrivée » ! (Rires).
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. C'est assez fin, je dois le reconnaître !
M. Alain Vasselle. La solution, on la connaît. Eurekâ !
Monsieur le président, j'ignore si la séance de cet après-midi est retransmise sur la chaîne parlementaire, car je ne tiens pas ces propos tant pour mes collègues, qui connaissent parfaitement le sujet, que pour les téléspectateurs qui nous regardent afin qu'ils se rendent compte si, véritablement, la solution envisagée par le Gouvernement permet de créer des emplois.
Si les créations d'emploi sont proportionnelles à la diminution du temps de travail, il fallait peut-être proposer 30 heures. Tout à l'heure, Mme Bidard-Reydet a proposé 32 heures. Faisons de la démagogie, allons beaucoup plus loin ! Le financement, le Gouvernement l'avait trouvé : il se servait sur l'excédent de la CNAV et de l'UNEDIC pour financer les 35 heures. Mais il a fait marche arrière toute, il est vrai sous la pression d'un certain nombre d'organisations syndicales.
La première loi sur les 35 heures aurait déjà, prétend-on, permis de créer des emplois. Demandez à M. Blondel ce qu'il en pense ! Je ne crois pas qu'il partage l'avis du Gouvernement sur ce sujet.
Les chiffres annoncés par Mme Aubry sont particulièrement contestés par les partenaires sociaux, le MEDEF, bien entendu, mais également les organisations syndicales, et M. Blondel le premier.
Mesdames, messieurs, nous, nous pensons qu'il faut privilégier la voie conventionnelle...
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Ça n'a pas marché !
M. Alain Vasselle. ... et les accords de branche ou d'entreprise. De ce point de vue, la première loi pouvait recueillir pour partie notre assentiment...
M. Guy Fischer. Vous l'avez combattue !
M. Alain Vasselle. ... même si nous considérions que la solution pour l'emploi ce n'était pas les 35 heures. Nous pouvions être en accord sur la forme mais non sur l'objectif et sur le fond de la loi sur les 35 heures.
Aujourd'hui, c'est le bouquet ! On assiste à une levée de boucliers de toutes parts et ceux qui vont le plus souffrir de la situation ce sont non seulement les petites entreprises, mais aussi les salariés eux-mêmes, qui seront les premières victimes de cette loi rendant obligatoire la réduction du temps de travail à 35 heures.
En définitive, ce gouvernement ne réussit à gérer la France que par voie législative ou réglementaire. La libre initiative, le liberté d'entreprendre, la liberté des entreprises, la liberté indidivuelle, il ne connaît pas. Chaque fois qu'il est possible de resserrer le carcan administratif, de gripper les dispositifs qui permettent à cette société de fonctionner, le Gouvernement en rajoute une cuillère, voire une louche. Il suffit pour s'en convaincre de faire une analyse rétrospective de tous les textes qu'il nous a présentés depuis 1997 : chaque fois - la loi d'orientation agricole en est un exemple probant - l'administration vient peser de plus en plus lourd, sans oublier le poids des prélèvements obligatoires. Si l'on suit le groupe communiste citoyen et républicain en ce qui concerne la diminution du temps de travail dans la fonction publique, il faudra bien payer l'addition. Qui la paiera sinon le contribuable ? (Protestations sur les travées socialistes.) Or, en portant atteinte à son pouvoir d'achat, on porte atteinte à l'économie, à la compétitivité des entreprises et la France se retrouvera dans une situation encore plus difficile.
N'oublions pas que l'embellie économique que nous connaissons aujourd'hui est due non pas aux dispositions prises par le Gouvernement, mais à une conjoncture internationale favorable. C'est cela la réalité. Il faut que les Françaises et les Français le sachent.
La voie réglementaire n'a jamais été la solution permettant de régler les problèmes économiques. Voilà pourquoi l'amendement de la commission est pertinent et réaliste. C'est dans cette voie que les Françaises et les Français souhaitent que la France s'engage. Ils ne souhaitent ni la voie réglementaire ni la voie législative.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. La fermeté du ton n'a jamais fait ni la force du propos ni la cohérence, vous nous en avez donné une fois de plus une belle démonstration, monsieur Vasselle.
Vous n'étiez pas présent lorsque j'ai répondu tout à l'heure. Aussi n'avez-vous pas pu entendre que le Gouvernement n'était pas avare de paroles quand il s'agissait de parler de la réduction de la durée du travail dans la fonction publique. J'en ai en effet parlé très longuement tout à l'heure, mais peut-être pas aussi longuement que pour le secteur privé, car j'essaie de me cantonner aux domaines dont j'ai la charge.
Sachez cependant qu'il y a une cohérence dans l'action gouvernementale et que, comme je le dirai plus précisément à Mme Bidard-Reydet, il n'est effectivement pas question de ne pas réduire la durée du temps de travail de la même manière dans le secteur public aussi.
J'ai écouté vos critiques, monsieur Vasselle. Vous avez notamment demandé pourquoi le Gouvernement n'avait pas décidé de réduire plus tôt la durée du travail. Nous avons sans doute tous eu tort de ne pas le faire. Mais nous le faisons maintenant.
Je vous renvoie très volontiers le compliment. Pourquoi n'avez-vous pas décidé une baisse des charges patronales que vous considérez depuis longtemps comme le credo en matière d'emploi ? Si « Martine est arrivée », on ne peut pas en dire autant d'Alain.
Mme Bidard-Reydet, quant à elle, a posé une véritable question en des termes très solides. Nous devons effectivement réduire la durée du temps de travail dans les fonctions publiques où elle est supérieure à 35 heures. (Murmures sur les travées du RPR.)
Voyons, messieurs, critiquer les fonctionnaires, cela a un temps ! En tant que ministre en charge d'une administration, je n'accepte pas de voir traiter ainsi les fonctionnaires. Je suis toujours étonnée que des représentants de la démocratie et de la République traitent les fonctionnaires de cette manière.
En règle générale, ces responsables n'ont pas le courage de prendre les décisions qui conviennent, quand ils sont à la tête des administrations pour faire travailler ceux qui ne travaillent pas, qui sont peu nombreux d'ailleurs.
Je ne connais aucun ministre de l'opposition qui ait pris des sanctions. S'il était vrai que les fonctionnaires ne travaillaient pas, ces ministres n'auraient donc pas rempli leur rôle. Mais je crois que les propos que nous venons d'entendre sont purement démagogiques.
Pour ma part, j'ai une administration qui travaille, beaucoup même. M. Vasselle a d'ailleurs rappelé tout ce que nous avons fait depuis notre arrivée.
Madame le sénateur, comme je le disais, je crois que vous avez raison et qu'il faut engager le mouvement de la réduction du temps de travail dans la fonction publique. Le rapport Roché a dressé un état de la situation, et M. Zuccarelli a déjà reçu les organisations syndicales et patronales, en ce qui concerne la fonction publique d'Etat.
Ce doit être l'occasion pour nous, vous l'avez indiqué à juste titre, de reposer l'ensemble du problème du rôle du service public dans notre pays. Si nous disons aux entreprises de repenser l'organisation du travail, nous devons aussi demander à la fonction publique de s'interroger sur ses missions et sur la manière de faire en sorte que le service public soit mieux organisé pour chacun de ses utilisateurs.
Tel est le réel débat qui apparaît derrière les 35 heures dans la fonction publique. Le rôle de service public, c'est aussi d'être capable de se mettre à la disposition de ceux qui ne viennent pas vers lui, d'assurer des permanences dans des quartiers en difficulté ou dans des zones rurales.
Je suis convaincue que ce débat sur les 35 heures dans la fonction publique, aussi bien nationale que territoriale, nous permettra de progresser.
En ce qui concerne l'hôpital, domaine qui dépend directement de mon ministère, nous travaillons depuis plusieurs mois avec des experts et des représentants du monde hospitalier.
Ma démarche consiste à faire en sorte que, avec la réduction de la durée du travail dans l'hôpital - et je pense que M. Vasselle ne peut pas dire que l'on ne travaille pas à l'hôpital, que les infirmières qui font 39 heures de jour ou 35 heures de nuit... (Protestations sur les travées du RPR.)
M. Alain Vasselle. Monsieur le président, je n'ai jamais dit cela !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je sais que vous ne l'avez pas dit ! Je dis : « M. Vasselle ne pourra pas dire cela. »
M. le président. Madame le ministre, je vous en prie, achevez votre intervention.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Si M. Vasselle ne m'interrompait pas, il me serait plus facile de terminer, monsieur le président.
M. le président. Convenez, madame, que vous venez de le provoquer ! (Protestations sur les travées socialistes.)
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Monsieur le président, si vous pensez que répondre à une intervention revient à provoquer, j'aimerais que vos remarques soient aussi fermes lorsque j'interviens et que j'entends un certain nombre d'insultes à mon égard.
M. le président. Madame, nous sommes au Sénat, et aucune insulte n'est proférée, notamment à votre égard. (M. Mélenchon proteste.)
Monsieur Mélenchon, vous n'avez pas la parole maintenant, mais je vous la donnerai tout à l'heure.
Veuillez poursuivre, madame le ministre.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. M. Vasselle ne pourra pas me contredire - ce n'est ni une insulte ni une provocation, monsieur le président - si je dis que les infirmières travaillent 39 heures de jour et 35 heures de nuit.
M. Alain Gournac. Voire beaucoup plus, nous le savons !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. M. Roché l'a très bien démontré.
A l'hôpital, le débat porte sur des questions essentielles. Comment ouvrir l'hôpital sur la ville ? Comment accueillir les exclus ? Comment décloisonner les services ? Comment améliorer les rapports entre ceux qui travaillent à la base et les professeurs de médecine pour obtenir un service plus efficace, pour mieux recevoir les malades, mieux les accompagner, mieux les servir ? Telles sont les questions que nous allons aborder à l'occasion de la négociation sur les 35 heures.
A l'hôpital, en tout cas, il est bien clair que la réduction du temps de travail doit s'accompagner de créations d'emplois.
Aujourd'hui, cette durée du travail est appliquée. C'est d'ailleurs une durée du travail intense, et chacun sait combien ces métiers sont difficiles.
C'est dans cet état d'esprit que j'engage la négociation sur les 35 heures avec les organisations syndicales et les dirigeants du secteur hospitalier.
M. le président. La parole est à M. Lassourd.
M. Patrick Lassourd. Nous avons déjà exposé longuement, lors de la discussion générale, les raisons pour lesquelles les 35 heures pourraient porter un préjudice grave à nos entreprises.
En cet instant, je tiens à vous en donner trois exemples.
Tout d'abord, dans certains cas, les entreprises à faible valeur ajoutée pourront difficilement respecter les dispositions relatives à la réduction du temps de travail. En effet, des embauches supplémentaires engendrées par cette réduction du temps de travail ne se justifieront pas, elles ne permettront pas de respecter l'équilibre de leur compte d'exploitation.
Voici un deuxième exemple : une entreprise emploie cinq salariés travaillant 39 heures, soit 195 heures par semaine. Avec le passage aux 35 heures, ils travailleront au total 175 heures. Il faudra donc que cette entreprise embauche un salarié supplémentaire, ce qui portera le total des heures à 210 heures, soit une augmentation de 7,6 % de la masse salariale. Cette augmentation sera-t-elle suivie d'une augmentation d'activité, voire de marge brute de 7,6 % ? Je ne le pense pas, et certaines entreprises seront en difficulté.
Mon troisième exemple a trait aux entreprises dont les activités sont contraintes de respecter des horaires précis et spécifiques. Ces entreprises ne pourront pas jouer sur une certaine flexibilité, une certaine modulation du temps de travail dans une journée. Toute réduction du temps de travail leur posera donc des problèmes.
A l'heure actuelle, 89 % des salariés travaillent dans des petites et moyennes entreprises, notamment chez des artisans ; cela signifie que 89 % des salariés seront confrontés aux situations que je viens de décrire. Dans ces conditions, ne croyez-vous pas, madame le ministre, que cette réforme sera sans incidence sur la compétitivité de ces entreprises, voire sur leur survie ? (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Mélenchon.
M. Jean-Luc Mélenchon. Je voudrais en préalable faire état de l'agacement qui règne sur nos bancs lorsque nous devons constater qu'il y aurait ici une espèce de droit naturel au brouhaha dès lors qu'un orateur de gauche vient à répondre à un argument présenté par un orateur de droite !
M. Alain Gournac. Moi aussi, j'ai été interrompu hier 19 fois !
M. Jean-Luc Mélenchon. Eh bien, tant mieux ! Et, en plus, vous avez eu la patience de compter !
Il vous est également arrivé de m'interrompre. Cela fait partie de la vie parlementaire.
Ce qui n'est pas normal, en revanche, c'est de considérer que c'est un droit pour vous seuls. Car, lorsqu'on vous répond, on vous provoquerait.
Je ne crois pas que ce soit de cette manière-là que nous devons mener la discussion.
M. le président. Je vous fais remarquer à cet égard, monsieur Mélenchon, que personne n'a de droit. Chacun a la possibilité d'intervenir, dans la mesure où il s'est inscrit préalablement, comme vous l'avez fait. Il appartient au président - ce que je fais bien volontiers - d'assurer une certaine tenue à nos débats.
Veuillez poursuivre, je vous prie.
M. Jean-Luc Mélenchon. Ma remarque n'était en aucun cas une remarque personnelle, elle ne visait nullement à contester l'autorité de la présidence de cette assemblée.
Je voulais simplement faire cette remarque car, à deux reprises, l'argument a été évoqué, la première fois à mon sujet, ce qui a peut-être réveillé une sensibilité particulière de ma part.
Mais je sais bien que, ici, il vaut mieux mettre les points sur les « i » si l'on ne veut pas avoir à y revenir.
Quant à M. Vasselle, qui n'a pas participé à la discussion générale et qui n'a pas entendu la réponse de Mme la ministre, il nous a imposé un concentré d'arguments que nous avons entendu exposer par d'autres et avec beaucoup plus de talent pendant la discussion générale ! Il est assez insupportable de reprendre la discussion générale, surtout quand des réponses ont déjà été apportées.
J'en viens maintenant au fonds de mon propos.
Monsieur le président de la commission des affaires sociales, si la commission s'oppose à l'article 1er et propose son abrogation, ce n'est pas, selon vous, au nom de son opposition à la réduction du temps du travail. Je suis au regret de vous dire que, malheureusement, je ne vous crois pas. Je pense que les arguments que vous avancez sont des prétextes.
Vous adoptez cette attitude, dites-vous, parce que vous opposez la rigueur de la loi à la souplesse qui serait celle du contrat et de la négociation.
J'ai dit tout à l'heure ce qu'il fallait penser de cet enthousiasme pour la négociation, qui est nouveau dans cette assemblée et que je n'ai pas toujours trouvé dans les débats précédents.
Cependant, pour ne pas en rester à cette seule approche, je veux ajouter que, dans la tradition de gauche, il y a eu des débats, parfois fort longs, sur la part qui doit être réservée à la loi, d'une part, et à la négociation collective et au contrat, d'autre part.
Ces deux approches s'appuient chacune sur une philosophie politique, et chacune a sa légitimité. Elles se rattachent à des philosophies politiques différentes, qui peuvent converger ; elles se rattachent surtout à des histoires nationales différentes.
Par exemple, on ne cesse de dire dans cette enceinte que la question de la négociation et du contrat ne se pose en aucun cas dans les mêmes termes en Allemagne et en France. Nous le savons bien. Cela tient à des événements anciens et marquants de l'histoire sociale et politique de ces deux pays.
Mais, au fond, ce qui a fini chez nous par mettre tout le monde d'accord, ce sont les faits ! Je suis au regret de vous le dire, si nous sommes tous d'accord, aujourd'hui, pour dire, non pas que la réduction du temps de travail est la seule et unique mesure qui permette le retour au plein emploi, mais que c'est une mesure importante, une mesure décisive, si nous le disons tous et depuis si longtemps, si nous convergeons sur la méthode à suivre aujourd'hui, c'est parce que les faits ont mis tout le monde d'accord.
Nonobstant votre enthousiasme nouveau pour la réduction du temps de travail, je suis au regret de vous dire que, depuis 1979, toutes les incitations à la négociation spontanée ont échoué, n'ont débouché sur rien.
En particulier, il a fallu beaucoup de courage à Pierre Mauroy, en 1982, pour imposer la réduction à 39 heures, qui a tout de même permis de créer 70 000 emplois dans un contexte où rien n'avançait...
M. Alain Gournac. Après, il y a eu 3 millions de chômeurs !
M. Jean-Luc Mélenchon. Il est vrai que les 35 heures étaient la vingt et unième des cent dix propositions du programme de François Mitterrand en 1981.
Voilà pourquoi il a fallu la loi. Ce pays est fait de cette manière ! N'ayons pas honte de nos traditions, elles comportent des points forts en matière de rapports sociaux.
M. le président. Il vous faut conclure, monsieur Mélenchon.
M. Jean-Luc Mélenchon. M. Vasselle a mis un peu plus de temps que moi !
M. le président. Un peu !
M. Alain Vasselle. Moins longtemps que Mmes Luc et Bidard-Reydet !
M. Jean-Luc Mélenchon. Je vous remercie de votre indulgence, monsieur le président, et, comme je ne veux pas compliquer votre tâche, j'en viens à ma conclusion.
Voilà pourquoi il a fallu ce mouvement : la loi, la négociation, puis la loi et de nouveau une négociation qui vise à la mettre en oeuvre.
Mais, mes chers collègues, il ne faudrait pas que, dans cet enthousiasme que l'on sent maintenant pour la négociation collective et le contrat, on oublie une notion à laquelle nous sommes nombreux ici à être très attachés : les rapports sociaux ne se négocient pas de gré à gré. (Murmures sur les travées du RPR.)
L'ordre public social est un concept profondément républicain. Dans la convention collective, dans l'accord étendu, on négocie, bien sûr, pour adapter et pour rendre les dispositions compatibles avec l'état de la production ; mais on négocie à partir d'une règle qui est commune pour tous. C'est cela l'esprit républicain ! (Nouvelles protestations sur les travées du RPR.)
L'ordre public social, cela signifie que le travailleur lui-même n'a pas la liberté de négocier de gré à gré des durées de travail supérieures à celles que la loi prévoit ou des conditions d'hygiène et de sécurité moins exigeantes que celles que la loi prévoit.
Donc, il faut la loi : il a fallu la loi pour lancer la négociation, il a fallu la loi - et vous savez que cela a donné lieu à débat entre nous - pour savoir jusqu'à quel point de contrainte nous irions.
Vous savez : mieux vaut pour vous tomber sur Mme Aubry que sur moi (Rires sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants) qui aurais - et je ne suis pas le seul de cet avis - tôt fait de considérer qu'une autre assemblée avait une légitimité suffisante pour décider ! (Protestations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Henri Revol. Quel sectarisme !
M. Hilaire Flandre. Vous voulez faire appel à Jospin ?
M. Alain Vasselle. Vous voulez prendre la place de Strauss-Kahn ?
M. Jean-Luc Mélenchon. Je vous en prie ! La vie politique est ainsi faite...
M. le président. Concluez, monsieur Mélenchon !
M. Jean-Luc Mélenchon. Il y a une légitimité à ce que la loi tranche et arbitre. Je crois que le système qui a été proposé instaure une bonne dynamique entre la loi et la négociation collective ; c'est ce qui va nous permettre, à la fois, d'établir un ordre public social et de le rendre compatible avec les exigences et les contraintes de la production elle-même.
C'est pourquoi je fais le pari que ce dispositif sera gagnant. Je suis sûr qu'à l'avenir c'est une méthode qui se généralisera : on fera la loi, on mènera la négociation, puis on reviendra à la loi. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Sur l'article 1er, je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 3, M. Souvet, au nom de la commission, propose :
A. - De supprimer les paragraphe I, II et IV de cet article.
B. - De complèter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
« V. - Dans l'article 2 de la loi n° 98-461 du 13 juin 1998 précitée, les mots : "à l'article 1er" sont remplacés par les mots : "à l'article 3". »
Par amendement n° 79, M. Machet et les membres du groupe de l'Union centriste proposent de remplacer le texte présenté par le paragraphe I de l'article 1er pour le premier alinéa de l'article L. 212-1 du code du travail par deux alinéas ainsi rédigés :
« Dans les établissements ou les professions mentionnées à l'article L. 200-1, ainsi que dans les établissements artisanaux et coopératifs ou dans leurs dépendances, dont l'effectif est de plus de neuf salariés, ainsi que pour les unités économiques et sociales de plus de neuf salariés reconnues par convention ou décision de justice, la durée légale du travail effectif des salariés est fixée à trente-cinq heures par semaine.
« Pour les autres entreprises et unités économiques et sociales, un accord d'entreprise ou d'établissement détermine les modalités de la réduction du temps de travail de trente-neuf heures à trente-cinq heures par semaine. »
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 3.
M. Louis Souvet, rapporteur. La commission est favorable au principe de la réduction du temps de travail, mais elle désapprouve la méthode retenue par le Gouvernement, c'est-à-dire l'abaissement de la durée légale du travail prévu par cet article 1er, et ce au moins pour trois raisons.
D'abord, elle dessaisit les partenaires sociaux qui sont les acteurs naturels d'une négociation réussie et équilibrée sur la réduction du temps de travail.
Ensuite, elle oblige à l'adoption d'une réglementation complexe, contraignante et source d'insécurité juridique, qui perturbe le fonctionnement des entreprises.
Enfin, elle impose une solution unique à des entreprises qui sont confrontées à des contraintes différentes.
L'efficacité de la baisse de la durée légale du travail pour créer des emplois reste à démontrer. Le coût de ce dispositif promet, quant à lui, d'être important.
En adoptant l'amendement n° 1 tendant à convoquer une conférence nationale sur la négociation collective et l'amendement n° 2 relatif à la validation pour cinq ans des accords, vous avez montré, mes chers collègues, votre préférence pour une démarche volontaire et négociée, proche du terrain et des réalités.
La commission vous propose, en conséquence, de supprimer les dispositions de l'article 1er relatives à l'abaissement de la durée légale du travail et de ne conserver que des dispositions de coordination.
La commission vous propose également de supprimer le paragraphe IV de cet article 1er, qui prévoit qu'un employeur doit, préalablement à l'établissement d'un plan social, avoir engagé une démarche de réduction du temps de travail.
Elle est défavorable à ce dispositif, dénommé « amendement Michelin », pour au moins trois raisons.
Premièrement, il s'agit d'une réponse générale à un fait particulier qui a concerné une entreprise.
Deuxièmement, ce dispositif jette l'opprobre sur l'ensemble des entreprises en laissant penser qu'un chef d'entreprise recourt au plan social systématiquement alors qu'une autre solution aurait été possible.
Troisièmement, une entreprise qui a besoin de se restructurer n'a pas forcément le temps d'engager une négociation sur la réduction du temps de travail,...
Mme Hèlène Luc. Bien sûr, bien sûr !
M. Louis Souvet, rapporteur. ... en particulier dans le cadre d'un climat social ou économique difficile. Je voudrais dire à mes collègues, notamment à vous, madame Luc, que les membres de la commission des affaires sociales du Sénat ne sont ni sourds ni aveugles.
Mme Hélène Luc. Vous êtes contre les 35 heures et vous ne voulez pas le dire !
M. Louis Souvet, rapporteur. Avons-nous le droit dans cette assemblée d'être d'un avis différent du vôtre ? Si oui, laissez-nous nous exprimer.
Mme Hélène Luc. Oui, mais dites-le clairement.
M. le président. Poursuivez, monsieur le rapporteur.
M. Louis Souvet, rapporteur. Nous savons pertinemment qu'un licenciement est un acte de violence. La commision souhaite qu'on légifère autrement que sous le coup de l'émotion et à la veille d'une grande manifestation. Vous savez bien que cette grande manifestation n'est pas pour rien...
Mme Hélène Luc. C'est clair !
M. Louis Souvet, rapporteur. ... dans les décisions de l'Assemblée nationale, dans le fait que le Gouvernement ait lâché prise.
La majorité de l'Assemblée nationale rétablira son texte, avez-vous dit. Nous le savons bien, nous savons dans quel système nous vivons. Mais nous avons le droit de nous exprimer tout en sachant que la majorité aura le dernier mot à l'Assemblée nationale. C'est cela la démocratie !
M. Charles Revet. Très bien, monsieur le rapporteur !
Mme Hélène Luc. Vous vous disqualifiez devant les électeurs !
M. Louis Souvet, rapporteur. Au cours de la discussion, j'ai entendu parler de deux fonctions publiques. Or, dans notre pays, il y a trois fonctions publiques et, madame le ministre, je n'ai pas entendu parler de la fonction publique territoriale. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
Mme Bidard-Reydet a longuement parlé de l'application des 35 heures aux trois fonctions publiques. Sur l'une au moins, les conséquences seront importantes, celle que je connais le mieux, à savoir la fonction publique territoriale.
Depuis l'application de la loi Chevènement sur l'intercommunalité qui a institué les établissements publics de coopération intercommunale, les EPCI, ou les communautés d'agglomération, les maires n'ont plus à leur disposition que les impôts sur les ménages.
Vous avez parlé à l'instant de ce qui a été accompli en 1982. M. Mélenchon a évoqué la création de 70 000 emplois. J'en parle en connaissance de cause. Dans la collectivité dont je suis maire, nous avons participé à ce mouvement. Mais, depuis 1982, nous avons embauché et c'est bien avec les impôts que nous payons ces nouvelles embauches.
Si nous introduisons la règle des 35 heures dans la fonction publique territoriale, les maires n'auront désormais à leur disposition que les impôts sur les ménages, et rien d'autre ; il faudra s'en souvenir.
Pour conclure, j'évoquerai un point qui me tient à coeur, encore que vous ne soyez pas le ministre concerné, madame : il s'agit du problème des sapeurs-pompiers. Ces derniers sont en grève depuis des semaines et nous devons leur apporter une réponse sur la prise en compte du caractère dangereux de leur métier et sur leur demande de retraite à cinquante ans.
Si, un jour, nous leur appliquons la règle des 35 heures, il y aura beaucoup d'embauches à effectuer !
En tout cas, je le répète, les sapeurs-pompiers sont en grève depuis des semaines et il n'est pas normal de laisser ainsi sans réponse un corps auquel tous les Français sont profondément attachés.
M. le président. La parole est à M. Machet, pour défendre l'amendement n° 79.
M. Jacques Machet. Dans les unités économiques et sociales de neuf salariés et moins, le projet de loi n'est pas applicable en l'état car, mathématiquement, à activité égale, seule la réduction du temps de travail de quatre heures appliquée à au moins dix salariés peut théoriquement engendrer la création d'un emploi à temps plein, sans compter que celui-ci devra être polyvalent pour maintenir la capacité productive de chacun des autres postes dont le temps de travail aura été réduit.
Comment un médecin généraliste en milieu rural peut-il créer un poste supplémentaire au sein de son cabinet médical alors que les deux salariés qu'il emploie ne libéreront en tout que huit heures par semaine, soit moins d'un quart-temps, ce qui ne lui permettra même pas de bénéficier du dispositif d'allégement des cotisations patronales prévu par les articles 11 et 12 du présent projet de loi ?
Si l'on exclut de l'obligation de réduction généralisée du temps de travail les entités économiques de neuf salariés et moins, celles-ci ne seront pas liées par l'application de la durée légale du travail effectif à une date butoir, mais auront au contraire toute latitude pour négocier le passage à trente-cinq heures dans le respect de leurs modes de fonctionnement, et cela tout en répondant aux aspirations des salariés. Le système que nous proposons permettra à ces structures, qu'un dispositif légal rigide et uniforme de réduction du temps de travail aurait mises en péril, de maintenir non seulement leurs emplois mais surtout d'en créer.
Afin que ceux qui concourent souvent à l'aménagement du territoire par leur présence en milieu rural puissent maintenir et développer leur activité selon la conjoncture, nous vous demandons, mes chers collègues, de voter cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 79 ?
M. Louis Souvet, rapporteur. Ayant adopté un amendement qui tend à supprimer l'essentiel de l'article 1er relatif à l'abaissement de la durée légale du temps de travail, la commission ne peut être favorable à l'amendement n° 79, qui vise à exclure les entreprises de moins de neuf salariés de l'application des trente-cinq heures, ce qui implique l'application de la règle des trente-cinq heures aux autres entreprises.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 3 et 79 ?
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Comme l'a très bien dit Jean-Luc Mélenchon tout à l'heure, on peut regretter que l'Etat intervienne. Mais la négociation collective n'est pas particulièrement développée dans notre pays, surtout dans les domaines qui touchent à l'organisation du travail et à sa durée.
Je rappellerai que la négociation interprofessionnelle nationale de 1995 avait permis la signature d'un accord qui devait entraîner de nombreux accords de branche. En fait, quarante-quatre accords de branche ont été signés ; cependant, ils ont porté non pas sur la réduction du temps de travail, mais essentiellement sur des éléments mineurs, comme les jours fériés.
Lorsque nous sommes arrivés au pouvoir, la loi Robien, qui avait plus d'un an d'application, s'était traduite par 500 accords. Il a fallu attendre l'annonce de la réduction généralisée du temps de travail pour en accélérer le processus. Je m'en réjouis puisque, lorsqu'elle a été remplacée par la loi de 1998, 2 931 accords étaient intervenus.
On peut souhaiter un monde idéal. Pour ma part, je souhaiterais que les organisations syndicales soient plus fortes et que les chefs d'entreprise acceptent, comme vous l'avez rappelé, monsieur le président de la commission, en citant le préambule de la Constitution, que les salariés participent à la gestion de l'entreprise par la négociation. Mais cette évolution ne s'est pas produite dans notre pays.
Alors, quand le chômage est en train de faire perdre espoir à nombre de nos concitoyens, qu'il menace la cohésion sociale et peut-être même le fonctionnement démocratique de notre société, il est du devoir du Gouvernement de prendre les dispositions qu'il croit bonnes pour réduire ce chômage.
C'est la raison pour laquelle nous souhaitons fixer l'objectif et le calendrier de réalisation de la réduction du temps de travail, tout en n'excluant pas une démarche de négociation.
Le Gouvernement est donc défavorable à l'amendement n° 3. Il l'est également à l'amendement n° 79. J'ai rappelé tout à l'heure combien étaient nombreuses les dispositions d'adaptation de la réduction du temps de travail aux petites entreprises.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 3.
M. Alain Gournac. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Gournac.
M. Alain Gournac. Comme nous l'avons déjà dit, il est salutaire de suivre la commission sur cet amendement de suppression de toutes les dispositions autoritaires relatives à la réduction du temps de travail, réduction qui n'a de négociée que le nom. Je l'avais d'ailleurs dit à Mme le ministre, lors de son audition par la commission des affaires sociales.
Ainsi que l'a justement souligné M. le rapporteur, cet article porte atteinte au dialogue social et à la libre négociation des partenaires sociaux.
Il crée des règles d'une complexité extrême qui seront inapplicables pour nos entreprises et risquent de provoquer en leur sein des dysfonctionnements dommageables à leur compétitivité.
Cette solution unique et autoritaire ne tient absolument pas compte des contraintes différentes qui pèsent sur les entreprises de notre tissu économique.
Pour ces raisons et celles que nous avons déjà précédemment évoquées, nous voterons l'amendement n° 3.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Cet amendement conduit à remettre en cause la réforme proposée et renvoie aux seuls accords de branche l'intégralité de la problèmatique de la réduction du temps de travail.
Ce parti pris a le mérite d'être clair : il consiste à dénier au Gouvernement et au législateur le droit de légiférer sur cette question. Voilà qui ne nous surprend pas. J'entendais ce matin même, sur France Inter, le patron du MEDEF rappeler avec véhémence le peu de considération qu'il avait à l'égard d'une telle intervention. Nous ne sommes donc pas surpris de voir retranscrite dans cet amendement cette conception qui consiste à placer le problème dans le champ exclusif de la négociation collective, sans que l'Etat ait à fixer les grandes orientations.
Entendons-nous bien : nous sommes profondément attachés au développement de la négociation collective ; la loi de 1998 et celle qui sera adoptée à l'issue de nos débats en sont la démonstration puisqu'elles renvoient la mise en place de la réduction du temps de travail à la signature d'accords.
Mais nous devons nous rendre à l'évidence : les négociations collectives qui ont été menées depuis 1979 ne se sont malheureusement pas traduites par les avancées qu'on était en droit d'attendre. L'accord interprofessionnel de 1995 envisageait d'ailleurs l'intervention de la loi en cas d'échec de la négociation et la loi de Robien, elle-même, tirait les conséquences du constat de relatif échec de ces négociations.
C'est pourquoi la loi fixe un cap, les 35 heures hebdomadaires, dont découlent le nouveau régime d'heures supplémentaires et la ou les nouvelles formules de modulation, qui, à l'exception du dispositif prévoyant que la réduction du temps de travail s'effectue sous forme de journée ou de demi-journée, dispositif visé à l'article 4, renvoient systématiquement à l'accord.
Le leitmotiv des élus de l'opposition met en avant l'importance de la démocratie sociale pour justifier le retour à un système reposant sur des accords de branche. Intention fort louable ! On peut toutefois se poser quelques questions quand on constate, au fil des débats à l'Assemblée nationale, que certains amendements déposés par des députés de l'opposition tendaient à limiter les possibilités pour les représentants du personnel de s'opposer à des décisions de l'employeur, notamment quand il s'agit de mettre en place un accord de modulation.
Nous pensons que ce projet de loi va permettre d'amplifier encore le mouvement de négociation ouvert par la loi de 1998 - 15 000 accords signés en dix-huit mois, je le rappelle - tout en définissant les règles les plus élémentaires ; je pense, par exemple, à celles qui entourent le repos hebdomadaire, aux délais de prévenance, aux contreparties auxquelles ont droit les salariés.
L'amendement n° 3 supprime également le paragraphe, ajouté par l'Assemblée nationale, qui subordonne l'élaboration d'un plan social à une négociation préalable sur la réduction du temps de travail, une disposition allant dans le sens de la préservation des emplois.
Nous voterons donc contre cet amendement.
M. Alain Vasselle. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle. Monsieur le président, permettez-moi d'abord de relever une partie des propos de M. Mélenchon. Je regrette qu'il ne soit plus ici, mais j'espère qu'il lira soit le compte rendu analytique, soit le Journal officiel.
M. Mélenchon m'a conduit à faire un complexe d'infériorité vis-à-vis de mes collègues, et surtout vis-à-vis de lui-même. Cependant, j'ai constaté que lui-même n'hésitait pas à nourrir un certain complexe de supériorité, nous expliquant que, s'il était à la place de Mme Aubry dans les fonctions qu'elle exerce aujourd'hui, il administrerait une leçon un peu plus sévère à la majorité sénatoriale pour ses appréciations sur le projet de loi relatif à la réduction du temps de travail et le comportement qu'elle adopte. (Sourires.)
Ma deuxième remarque s'adresse à Mme le ministre. Qu'elle ne voie surtout pas, dans le force du ton que j'emploie et l'élévation de ma voix, une quelconque marque d'agressivité à son égard ou à l'égard du Gouvernement et il est simplement dans mon tempérament ; lorsque je développe une argumentation à laquelle je crois fondamentalement, sur un sujet qui suscite chez moi une certaine irritation, d'élever un peu la voix. En l'occurrence, je suis convaincu que nous ne sommes pas sur le bon chemin pour la France, et je le regrette très sincèrement, viscéralement même.
Que Mme le ministre veuille bien m'excuser si le ton sur lequel j'ai exprimé cette conviction provoque chez elle une forme de stress. (Rires et exclamations.)
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Vous êtes bien présomptueux !
M. Alain Vasselle. Ma troisième remarque porte sur la fonction publique.
Monsieur le rapporteur, vous avez très justement rappelé à Mme Bidard-Reydet et à Mme le ministre qu'il existait trois fonctions publiques : la fonction publique d'Etat, la fonction publique hospitalière - Mme le ministre la connaît plus particulièrement puisqu'elle en a la charge - et la fonction publique territoriale.
Mme le ministre admettra avec moi qu'il y a une certaine divergence de points de vue à l'intérieur du Gouvernement quant à l'attitude à adopter en ce qui concerne les trente-cinq heures dans la fonction publique territoriale, et je remercie Mme Bidard-Reydet d'avoir interpellé le Gouvernement sur ce point.
En effet, les propos qui ont été tenus par M. Zuccarelli ne sont pas du tout conformes à ceux qui sont tenus ce soir par Mme Aubry. On peut, pour s'en convaincre se reporter à des déclarations reprises par la presse et à des comptes rendus d'entretiens entre M. Zuccarelli et des délégations d'élus, notamment des représentants de l'Association des maires de France.
Cela promet sans doute de beaux débats au sein du Gouvernement dans les heures ou dans les jours qui viennent, particulièrement entre Mme Aubry et M. Zuccarelli !
Enfin, madame le ministre, avez-vous mesuré les conséquences des dispositions de votre projet de loi sur le secteur médico-social ?
Déjà l'année dernière, notre collègue Jean Chérioux avait appelé votre attention sur ce point.
Avec les trente-cinq heures, vous tablez notamment sur une amélioration de la productivité au sein de l'entreprise et au sein de la fonction publique. Mme Printz nous a tout à l'heure expliqué que les entreprises avaient tout à gagner à cette réduction du temps de travail puisqu'elles allaient nécessairement voir la productivité s'accroître.
Mais peut-on considérer que, dans le secteur médico-social, notamment dans les CAT, les centres d'aide par le travail, qui accueillent des handicapés, le fait de diminuer le temps de travail puisse permettre de réaliser de tels gains de productivité ?
Et puis, tout cela va avoir un prix ! Le Gouvernement est-il prêt à prévoir, dans les prochaines lois de finances, les moyens qui permettront aux CAT en particulier et au secteur médical-social en général de faire face aux nouvelles contraintes qui résulteront de la loi ?
Ce sont là autant de questions que nous sommes en droit de nous poser et que nous avons le devoir, en notre qualité de parlementaires, de poser au Gouvernement.
Réciproquement, je pense qu'il est de votre devoir, madame le ministre, d'éclairer le Parlement sur ce point et, à travers lui, l'ensemble des responsables du secteur médico-social ainsi que les représentants de nos collectivités territoriales, en particulier ceux des conseils généraux, qui ont à leur charge un important secteur médico-social.
Bien sûr, nous sommes là pour légiférer, mais encore faut-il que les moyens suivent. Les moyens suivront-ils ?
Bien entendu, je voterai l'amendement n° 3, présenté par la commission. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du groupe du RDSE.)
M. Guy Fischer. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. Personne n'en sera surpris, nous voterons contre l'amendement n° 3.
L'article 1er du projet de loi confirme que la durée légale hebdomadaire du travail est fixée à 35 heures au 1er janvier 2000 dans les entreprises de plus de 20 salariés et au 1er janvier 2002 dans les autres.
Lors de l'adoption de la première loi, nous avions eu l'occasion de souligner combien il était important que le Gouvernement ait décidé de proposer au Parlement de légiférer pour généraliser la réduction du temps de travail et fixer une date butoir.
En effet, contrairement à ce qui se passe chez certains de nos voisins européens - je pense particulièrement aux Allemands - en France, le dialogue social n'avait pas, jusqu'alors, permis d'impulser ce mouvement.
Comme dans d'autres domaines - la parité, le PACS, par exemple - la majorité sénatoriale préfère miser sur l'évolution naturelle des choses pour tendre vers une société plus juste.
Considérant que la démarche du Gouvernement est autoritaire, rigide, à l'Assemblée nationale, la droite, unie pour l'occasion, a défendu un amendement de suppression, en prônant le retour à une réduction du temps de travail négociée par les partenaires sociaux, et non imposée par la loi. Elle a ensuite présenté une série d'amendements visant à repousser le délai d'application de la loi à 2005 ou encore à passer d'un seuil de 20 salariés à un seuil de 500. Il s'agit d'une stratégie d'évitement, alors qu'il est nécessaire de débattre des questions de fond intéressant directement les salariés.
Sans surprise, la commission des affaires sociales du Sénat nous propose de supprimer la référence à l'abaissement de la durée légale du travail. De surcroît, qualifiant ce qu'il est convenu d'appeler l'« amendement Michelin » de disposition idéologique, elle fait d'une pierre deux coups et s'apprête à le faire également disparaître.
Apparemment, l'emploi et la lutte contre le chômage ne sont pas des priorités pour tous !
Allez-vous nous dire, comme Mme Bachelot, que « toutes les entreprises ont vocation à mourir » ?
L'annonce faite par le groupe Michelin gêne peut-être certains d'entre vous sur la forme mais, sur le fond, que des salariés soient acculés au chômage, alors que la bourse applaudit quand les entreprises engrangent des aides publiques, restructurent sans consulter ni même informer les syndicats, cela ne semble pas vous déranger. Nous, si !
Je suis conscient que l'obligation faite aux employeurs de conclure un accord sur les 35 heures avant d'annoncer un plan social ou, à défaut, d'avoir engagé sérieusement et loyalement des négociations en vue d'un accord ne va pas ébranler profondément la propension patronale aux suppressions d'emplois. C'est pourquoi mes collègues de l'Assemblée nationale ont souhaité renforcer le caractère normatif de cette disposition.
Toutefois, nous espérons pouvoir nous appuyer sur celle-ci pour faire progresser l'idée selon laquelle il faut agir en amont, ce qui signifie qu'une réforme de la procédure de licenciement économique s'impose.
M. Patrick Lassourd. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Lassourd.
M. Patrick Lassourd. Je voterai, moi, l'amendement proposé par la commission.
A vous entendre tout à l'heure, madame le ministre, ainsi que notre collègue M. Mélenchon, j'ai perçu chez vous une conviction selon laquelle le sens de l'Etat serait de votre côté tandis qu'il serait inexistant du nôtre.
Je ne peux pas accepter une telle insinuation car mes amis et moi-même appartenons à un mouvement politique qui se réclame du gaullisme, et Dieu sait si le sens de l'Etat est fort, chez les gaullistes !
Peut-être n'avons-nous pas, vous et nous, le même sens de l'Etat. Peut-être n'avons-nous pas la même vision des orientations que l'Etat doit donner. Si nous avions été à votre place, nous aurions probablement fixé un cadre général dans lequel les entreprises auraient eu la liberté de négocier. Or, dans cet article 1er comme dans l'ensemble de ce projet de loi, vous précisez tout, jusque dans les plus petits détails, à tel point que les entreprises auront énormément de mal à sortir de ce carcan.
Voilà la différence entre le sens de l'Etat que vous développez et le nôtre. (M. Vasselle applaudit.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?
Je mets aux voix l'amendement n° 3, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'amendement n° 79 n'a plus d'objet.
Par amendement n° 94, M. Fischer, Mme Borvo et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent de compléter l'article 1er par un paragraphe additionnel ainsi rédigé :
« ... L'article L. 321-3 du code du travail est complété par trois alinéas ainsi rédigés :
« En cas de désaccord sur la pertinence du motif économique invoqué par l'employeur, les représentants du personnel ou le syndicat ont la possibilité, au cours de la procédure de licenciement collectif ou à l'issue de celle-ci, de saisir le juge de première instance.
« Le tribunal devra à cette occasion examiner la cause du licenciement économique invoquée par l'employeur et vérifier si celle-ci rend nécessaire la suppression des emplois envisagée.
« Le tribunal devra statuer en la forme des référés dans le délai d'un mois. »
La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Cet amendement se situe dans la logique du paragraphe IV introduit par l'Assemblée nationale au sein de cet article 1er : Il s'agit en effet de conférer des droits nouveaux aux salariés, en donnant à leurs représentants la possibilité d'intervenir en cas de menace de licenciement.
Nous proposons de permettre expressément aux représentants du personnel ou aux syndicats de contester devant la justice de première instance la pertinence du motif économique invoqué par le chef d'entreprise.
Nous savons que, de manière implicite, le droit actuel ouvre des voies de recours. Mais notre objectif est de clarifier le contenu du code du travail.
Par exemple, madame la ministre, existe-t-il, à l'heure actuelle, une possibilité de recours pour les entreprises ne disposant pas de comité d'entreprise ?
Certains pourront affirmer, comme nous l'avons d'ailleurs entendu, que notre proposition sort du cadre précis du projet de loi. Nous ne le pensons pas : n'oublions pas que l'objectif prioritaire visé à travers ce projet est de permettre de créer de nombreux emplois. Pour réussir les 35 heures, il faut donc combattre les mesures de licenciement - en particulier les licenciements massifs - qui sont décidées par le patronat et qui sont évidemment défavorables à l'emploi.
La proposition que nous soumettons aujourd'hui au Sénat a été élaborée par les salariés de l'entreprise Wolber, filiale de Michelin, située à Soissons. Je suis fière de me faire l'interprète de ces salariés. Ce sont 451 salariés dont l'emploi est menacé par la fermeture de cette usine. Comment accepter cette situation, sans donner la possibilité de contester cette décision, notamment sur le plan juridique ?
Il faut donc, comme le prévoit le paragraphe IV de l'article 1er du projet de loi, conditionner l'acceptation du plan social à la négociation sur les 35 heures. Mais nous proposons qu'en amont il soit possible de contester la raison d'être du plan social.
Vous me direz que, s'agissant du cas d'espèce de Wolber, le motif économique existe, puisque le sort de cette entreprise dépend de celui de Michelin.
Cette proposition est préférable. Ce droit de regard doit pouvoir concerner les maisons mères.
Nous estimons que le débat doit avoir lieu sur ce point, dans le cadre de ce projet de loi.
Les 35 heures, mais, plus généralement, la politique de l'emploi du Gouvernement, ne pourront réussir si la politique de licenciement du patronat n'est pas freinée.
La lutte pour les 35 heures et la lutte contre les licenciements, sont, à notre sens, étroitement liées. Tel est l'objet de cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Louis Souvet, rapporteur. Comme le reconnaissent ses auteurs, cet amendement n'a rien à voir avec la réduction du temps de travail ; il s'apparente à ce que l'on appelle communément un cavalier législatif. Il a pour objet de durcir le droit du licenciement en introduisant le juge de première instance au cours de la procédure.
La commission est défavorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Le Gouvernement ne peut que souscrire aux préoccupations visant à renforcer les garanties des salariés menacés d'un licenciement dont le motif économique n'est pas toujours avéré.
Je rappelle que le tribunal de grande instance peut être saisi en référé des litiges d'ordre collectif concernant le licenciement économique, les contentieux individuels en la matière relevant des conseils de prud'hommes. Dans le cadre légal existant, le président du tribunal de grande instance, saisi par le comité d'entreprise, peut d'ores et déjà, et en référé, ordonner la suspension des licenciements, voire annuler la procédure. C'est ce qui s'est fait récemment avec l'arrêt Smaf du 6 juillet 1999 de la Cour de cassation : dans cette affaire, le juge a considéré que le motif économique n'était pas caractérisé.
Par ailleurs, en cas d'absence d'un représentant du personnel, un salarié peut toujours aller devant les conseils de prud'hommes pour contester la validité du plan social et celle du motif économique invoqué par le chef d'entreprise.
Aussi, dans un tel contexte légal et jurisprudentiel, il ne m'apparaît pas souhaitable de compléter l'article L. 321-3 du code du travail.
En revanche, le Gouvernement avait émis un avis favorable sur des dispositions qui viennent d'être annulées par l'adoption de l'amendement n° 3, car celles-ci avaient un lien direct avec le projet de loi, à savoir faire en sorte que la réduction du temps de travail - d'ailleurs, beaucoup d'entreprises l'ont déjà utilisée - permettent de réduire le nombre de licenciements, voire d'annuler le plan social de l'entreprise.
Par conséquent, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix, l'amendement n° 94, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er, modifié.
(L'article 1er est adopté.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante, est reprise à vingt-deux heures.)