Séance du 8 décembre 1999
M. le président. Nous poursuivons l'examen des dispositions du projet de loi de finances concernant la défense.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 42 minutes ;
Groupe socialiste, 36 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 27 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 25 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 18 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 15 minutes.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. de Gaulle.
M. Philippe de Gaulle. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de budget qui nous est présenté par le Gouvernement n'est pas crédible dans ses recettes, qui sont minorées, dans une conjoncture pourtant favorable, ni dans ses dépenses sociales, insuffisamment orientées au bénéfice des familles et des contribuables français.
Selon le graphique en volume fourni par le ministère de la défense lui-même, depuis dix ans, le produit intérieur brut monte selon une courbe moyenne de 30 %, tandis que la chute du budget de la défense accuse une pente de 45 %.
Le budget d'équipement militaire sera diminué de 9,3 milliards de francs en 1999, a confirmé le 25 novembre dernier le porte-parole du ministère de la défense, en soulignant toutefois que cette amputation de 12 % serait « sans impact immédiat » sur les programmes d'armement engagés.
Je comprends que 4,5 milliards de francs devront être soustraits du titre V pour les munitions et du titre III pour le reste, en paiement des interventions extérieures. Dès lors que des Français ne sont pas menacés, je suis d'avis de réduire ces interventions au minimum symbolique ou, mieux, de ne pas y participer. Les conflits locaux sont continuels dans le monde. Il vaut mieux ne pas les internationaliser. Le temps est venu de nous concentrer sur l'essentiel de notre défense et de ne plus disperser nos moyens militaires.
Je ne reviens pas sur les chiffres du budget. D'autres collègues en traitent excellemment dans les détails pour chaque armée. Permettez-moi, en qualité d'officier général de marine, de centrer mon intervention sur certains aspects concernant cette dernière.
La marine a joué un rôle important dans le conflit du Kosovo. Son aéronautique navale a assumé sans erreur 40 % des objectifs et un de ses sous-marins nucléaires d'attaque a bloqué la flotte yougoslave dans ses ports durant toute la durée des opérations.
Le budget de la marine ne représente pourtant que 17,5 % du budget des armées, avec une chute des autorisations de programme de 22 % et des crédits de paiement diminués d'un milliard de francs.
Mille postes d'officiers mariniers sont supprimés et 330 postes tenus par des officiers mariniers seront désormais tenus par des quartiers-maîtres et marins.
Faute de crédits, l'industrialisation de l'hélicoptère est reportée. Le quatrième sous-marin lance-missiles est retardé, ainsi que la mise en chantier d'un nouveau transport de chalands de débarquement. La construction de la sixième frégate du type La Fayette est annulée.
Procédé étonnant dans l'histoire des budgets militaires, pour relancer le programme de la frégate Horizon la marine se voit prêter 2 milliards de francs par l'armée de l'air, qui n'a, finalement, plus commandé d'appareils neufs depuis neuf ans et qui voit son budget régresser de 3,6 %, régression qui va retarder d'un an la commande de douze Rafale.
Je comprends tout à fait qu'on doive limiter les budgets à l'essentiel, mais la défense de la France doit être axée sur deux pôles stratégiques.
D'abord et toujours, le nucléaire.
Ce siècle est nucléaire, comme le sera le prochain. Il est vain de vouloir esquiver cette évidence. Bien plus, il est à prévoir qu'on trouvera, dans les décennies à venir, encore autre chose de plus performant que le thermonucléaire tel que nous le connaissons. De gré ou de force, il nous faudra entrer dans cette évolution sous peine de sous-développement, d'autant que la miniaturisation permet de vérifier ce que l'on sait déjà, mais pas de découvrir du nouveau.
A ce propos, c'est une tromperie d'avoir fait signer aux Français un prétendu traité d'interdiction des essais nucléaires alors que le Sénat américain le refuse toujours, pour ne pas parler de la Russie, de la Chine, de l'Inde, du Pakistan, de l'Iran...
C'est une erreur de démonter l'usine de recherche de Creys-Malville, démontage qui coûtera d'ailleurs largement le prix de deux porte-avions nucléaires ! La France renonce ainsi à faire des recherches et, par conséquent, des progrès dans le domaine nucléaire, ce qui diminue d'autant notre perfectionnement de la sécurité, soit dit en passant, et elle montre cette renonciation, aux yeux du monde, ce qui est le contraire de la dissuasion.
Dans le domaine concret de la défense, cette conjoncture, qui est nucléaire, que nous le voulions ou non, nous oblige à la priorité, sur tout autre moyen, des sous-marins lance-missiles, sans lesquels la France n'aurait pas grand-chose à dire stratégiquement. Elle ne serait même plus capable non seulement de répondre au braquage d'une puissance, même du tiers monde, où beaucoup de pays disposent déjà de cette arme, mais d'obliger nos bons alliés à intervenir pour nous secourir avant deux ou trois ans, comme précédemment.
Les sous-marins sont, avec les missiles, les armes du pauvre, celles des puissances qui ne peuvent pas acquérir ou conserver la maîtrise de la mer et de l'air. Le sous-marin - et il ne peut être que nucléaire - c'est la dernière arme que nous puissions abandonner.
Comme vous le savez, il est impératif que nous en conservions quatre - et c'est bien juste : on devrait dire cinq - pour pouvoir en maintenir au moins deux en permanence opérationnels. L'un de mes excellents collègues de l'Assemblée nationale, M. Galy-Dejean, a cru bon de proposer récemment qu'on retarde la construction du quatrième sous-marin en chantier, afin de pouvoir commencer un deuxième porte-avions alternatif au Charles-de-Gaulle . Mais hélas ! le budget qui nous est présenté retarde d'ores et déjà ce quatrième sous-marin, sans autre avis !
Le deuxième pôle stratégique de la défense de la France est le porte-avions. La décision de mettre en chantier celui que nous avons déjà, le Charles-de-Gaulle , remonte à près de vingt ans - c'était sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing - avec les surcoûts que comprend ce record historique des retards de constructions navales.
En 1981, sous la présidence de François Mitterrand, le gouvernement de M. Pierre Mauroy a confirmé ce chantier. Le nouveau porte-avions est propulsé par deux chaudières nucléaires du même type que celles qui ont déjà été bien expérimentées sur nos sous-marins.
J'ai parlé de porte-avions, que nous sommes les seuls à mettre en oeuvre avec les Américains, et non pas de porte-aéronefs, comme ceux à propulsion dite classique des Anglais, des Russes, des Espagnols, etc., qui n'utilisent que des hélicoptères ou des aéronefs à décollage vertical, inférieurs aux véritables avions de combat.
C'est dire que le deuxième porte-avions, comme les sous-marins, et, à l'avenir, tout bâtiment devant porter rapidement des armes de valeur ne pourra être qu'à propulsion nucléaire, le mazout apparaîtra bientôt aussi périmé que le charbon.
Son coût, à condition d'être mis en chantier dans les deux ans qui viennent et sous réserve que sa construction ne dure pas plus de cinq ou six ans, sera d'environ 16 milliards de francs, pour une durée prévisible de quarante ans de service.
Un porte-avions à propulsion classique, dont le carburant propre ne peut pas durer cinq ans comme le carburant nucléaire, obligerait d'ailleurs à construire en même temps un grand pétrolier d'accompagnement. Il faut savoir en effet que, parti en vitesse de croisière rapide de Brest, par exemple, à destination de la Méditerranée ou des Antilles pour y intervenir, un porte-avions à propulsion au mazout devra ravitailler avant d'arriver en zone opérationnelle. C'est dire que la propulsion classique serait le contraire d'une simplification et d'une économie, accroîtrait la vulnérabilité et serait le contraire de la rapidité de manoeuvre qui permet de gagner.
Le gouvernement auquel appartient le ministre de la défense le met en grande difficulté. Il est contraint de retarder les programmes minimaux des sous-marins, des frégates, des hélicoptères et du porte-avions de complément. Il lui faut accepter des entraves nuisibles à nos développements, dans le domaine de la recherche et, partant, de la sécurité, mais aussi du progrès économique, technologique et de défense. Il lui faut enfin admettre que c'est à la seule défense nationale qu'on impose de servir de caisse de compensation budgétaire aux surcroîts de dépenses des autres, et jamais l'inverse.
Aussi, quelles que soient les qualités du ministre qui sont incontestables et que beaucoup qui appartiennent aux armées ou qui, comme moi, en sont toujours proches, n'ont pas manqué de remarquer, comment faire, mes chers collègues, pour approuver le budget qu'il est forcé de nous présenter ? (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Lefebvre.
M. Pierre Lefebvre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'examen des crédits du ministère de la défense constitue un moment privilégié pour faire le point sur la politique de sécurité de notre pays, à l'intérieur de nos frontières comme à l'extérieur.
Je tiens d'emblée à affirmer notre désaccord sur la démarche qui prévaut actuellement en Europe en matière de défense.
Cette démarche, c'est celle de l'intervention militaire, du déplacement sur les lieux de conflits pour les résoudre par la force. Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen estiment au contraire que la priorité doit aller à la construction d'une politique de sécurité collective fondée sur la prévention.
Le volet militaire, nécessaire, ne doit constituer qu'un élément de cette politique, au côté, notamment, de la diplomatie.
Il s'agit pour moi non pas de masquer la réalité d'un monde où, malheureusement, l'utilisation de la force n'a pas reculé, loin s'en faut, mais de souligner, à quelques jours de l'an 2000, que les peuples, notamment la jeunesse et les enfants, aspirent à un monde sans guerre, à un monde de paix. Cela mérite d'être dit avant d'examiner ce projet de budget.
La guerre au Kosovo a montré toutes les limites d'une politique de sécurité axée principalement sur la force. Certains ont souligné un aspect essentiel pour eux, le suivisme de l'Europe à l'égard des Etats-Unis. C'est une réalité. Mais la solution ne réside certainement pas dans une nouvelle course aux armements, totalement illusoire étant donné la puissance américaine.
Le récent rapport publié par l'organisation pour la sécurité et la coopération en Europe sur les violences terribles subies par les populations civiles du Kosovo, dont le déchaînement a été noté après le début de l'intervention de l'OTAN, ne confirme-t-il pas l'évidente nécessité de placer la prévention des conflits au centre d'une politique de sécurité collective en phase avec les aspirations de l'humanité du xxie siècle.
A notre sens, il faut travailler pour redonner tout le poids nécessaire aux institutions internationales, pour permettre une meilleure anticipation des crises. L'ONU et l'OSCE, sur le plan européen, doivent être réformées pour être valorisées, pour contribuer à la mise en place d'une politique de défense au service des droits de l'homme et de la paix dans le monde.
Dans ce cadre, nous estimons que l'idée d'une politique de coopération en Europe en matière de défense est intéressante. La mise en commun de nos moyens militaires pour des opérations de paix et de défense des droits de l'homme sont acceptables sous l'égide d'une ONU rénovée.
Si nous ne respectons pas une telle attitude, nous nous dirigeons vers un monde de potentats contrôlés par la puissance des Etats-Unis.
Alors que l'ONU a décidé de consacrer l'année 2000 à la culture de la paix, les événements du Kosovo, de la Tchétchénie, de l'Inde et du Pakistan, pour ne prendre que quelques exemples, montrent qu'il reste beaucoup de chemin à parcourir et m'amènent à évoquer brièvement la question du désarmement nucléaire.
Quelle initiative entendez-vous proposer pour notre pays, monsieur le ministre, afin de relancer le processus de désarmement ?
Il faut, à notre sens, faire face à l'attitude des Etats-Unis qui, puissance globale, ont, d'une part, refusé, par le vote du Sénat, la ratification du traité d'interdiction des essais nucléaires et, d'autre part, remis en selle leur projet de bouclier antimissile.
Le projet de budget dont nous discutons aujourd'hui, au-delà des améliorations ponctuelles qui sont apportées s'inscrit dans la mise en oeuvre de la loi de programmation militaire votée en 1996, que nous avions rejetée, pour notre part. Il se fonde par ailleurs sur les orientations stratégiques du Président de la République, qui, du fait de ses prérogatives constitutionnelles, conserve en ce domaine un rôle essentiel. Or la clé de voûte de ces orientations est la professionnalisation des armées et la projection de nos forces à l'extérieur, dans une logique que je viens de critiquer.
Pour nous, ce qui doit constituer la priorité de notre politique de défense, c'est la défense du territoire national. Comme je l'ai déjà dit, il n'est pas question, au nom d'une Europe de la défense, de nous lancer, soit dans une course aux armements avec les Etats-Unis, soit dans la construction de l'un des bras armés de la puissance précitée, soit les deux à la fois, au grand bonheur des multinationales de l'armement.
Avant d'entrer dans le vif du budget, et pour conclure sur les axes généraux de notre politique de défense, je souhaite réaffirmer nos fortes interrogations et réserves sur l'abandon pur et simple du service national, sans réflexion aucune sur une nouvelle formule permettant de maintenir un lien civique fort entre la jeunesse et la nation.
Cet abandon s'est effectué au profit d'une vision politique qui faisait peu de cas du rapport du peuple à son armée. Bien entendu, le service national était inadapté aux attentes des jeunes. Fallait-il pour autant tirer un trait sur la recherche d'un moment privilégié entre la jeunesse et la société ? Je ne le crois pas. Je souhaiterais, monsieur le ministre, connaître votre analyse sur ce point.
Je tiens à souligner l'impact important de la réforme du service national sur le budget, puisque la disparition du corps des appelés du contingent réduit l'ensemble des emplois militaires de 36 269 postes.
Du projet de budget de la défense dépendent des dizaines de milliers d'emplois. Il ne faut jamais oublier, en effet, qu'avec les industries d'armement, outre la question première de la maîtrise de notre approvisionnement, c'est l'avenir de régions entières qui est en cause ainsi que le devenir de bassins d'emplois.
Ces industries sont confrontées au défi de la coopération déjà évoqué.
A l'occasion du récent débat sur l'OCCAR, M. Jean-Luc Bécart, déclarait : « Nous ne voulons pas que l'OCCAR s'inscrive dans une logique ultralibérale, logique au nom de laquelle ne devraient subsister en Europe que deux ou trois grands groupes privés transnationaux, capables d'être compétitifs vis-à-vis des Américains. Au regard des privatisations et fusions intervenues dernièrement, cette crainte est justifiée. Si l'OCCAR est marquée par cette logique, alors l'avenir déjà incertain de nos arsenaux et établissements d'Etat se bouchera un peu plus et le maintien, à brève échéance, du statut de la DCN et de GIAT-Industries sera impossible à tenir. »
Or, monsieur le ministre, le budget doit justement permettre, à notre sens, de concilier l'effort de coopération nécessaire et la préservation d'un secteur public industriel efficace et solide sur lequel la France doit pouvoir s'appuyer.
Nous avons noté avec intérêt, monsieur le ministre, vos déclarations concernant l'application des 35 heures dans nos industries d'armement et votre volonté de réduire le nombre de suppressions de postes de travail. A quel niveau estimez-vous aujourd'hui les conséquences du passage aux 35 heures sur les effectifs salariés ?
La création de 250 emplois d'ouvriers d'Etat et de 50 emplois de fonctionnaires va dans ce sens.
Nous avons également noté avec intérêt les engagements pris quant à la participation du GIAT dans la production du VCI. Les confirmez-vous ici, au Sénat, monsieur le ministre ? Cofirmez-vous également que le GIAT-Bourges restera un pôle national d'intégration pour les armes de moyen et gros calibres.
La commande de cinq CAESAR sur camion est elle aussi intéressante.
Pour ce qui concerne la DCN, nous estimons qu'il est important de préserver, pour cet établissement, l'entretien des sous-marins nucléaires au-delà de 2003. Cela nécessite de bien maîtriser, pour l'avenir, le plan de charge du site toulonnais.
Nous sommes, par ailleurs, étonnés de la baisse des crédits destinés à l'espace.
Je note, par exemple, que les crédits du chapitre Espace sont réduits de plus de 276 millions de francs. Est-ce ainsi que nous pourrons confirmer notre volonté affichée d'autonomie vis-à-vis des Etats-Unis ? J'en doute fort et nous risquons, à l'avenir, d'être totalement tributaire du parapluie américian en ce domaine.
Les sénateurs communistes estiment que le budget doit constituer un moyen d'envoyer un signe en matière de désarmement nucléaire.
Bien entendu, alors que la France consacre encore 2 milliards de francs pour les essais en laboratoire, nous n'en demandons pas un arrêt unilatéral. Mais, monsieur le ministre, ne pourrions-nous pas envisager des économies soit sur le nouveau sous-marin nucléaire, soit sur le M51 ?
Je le répète, ces mesures devraient accompagner une grande initiative de la France en faveur de la ratification du traité sur l'interdiction des essais nucléaires.
Mme Hélène Luc. Très bien !
M. Pierre Lefebvre. Monsieur le ministre, comme je l'ai indiqué à plusieurs reprises, nous ne partageons pas les options stratégiques de l'exécutif en matière de défense. Pour autant, nous nous soucions fortement de l'état de nos armées et de leur caractère opérationnel. Pouvez-vous à cet égard nous confirmer et nous informer des difficultés d'approvisionnement internes lors du récent conflit du Kosovo, difficultés telles que nous avons dû demander l'assistance des Etats-Unis sur ce point.
La discussion de ce projet de budget se situe, monsieur le ministre, à l'orée de la prochaine loi de programmation militaire qui, je l'espère, permettra de mettre en harmonie la politique de défense de notre pays, qui est marquée aujourd'hui par des choix anciens, avec la volonté de changement exprimée en juin 1997.
Cette volonté de changement est axée, notamment, sur un rapprochement entre les citoyens et leurs institutions.
Ce qui est vrai pour la justice, la police, les institutions politiques, l'est aussi, à notre sens, pour l'armée.
Cette loi de programmation future devra permettre un débat réel et approfondi sur l'Europe de la défense, sur ce que l'on entend par coopération et sur la place de nos industries d'armement du secteur public face à la vague ultralibérale. Nous sommes demandeurs, conjointement avec les députés communistes, d'un débat sur l'avenir de nos industries d'armement, après un travail de préparation citoyen, avec les élus locaux, les syndicats et les responsables des armées.
Au regard de cet ensemble de remarques, composées de réserves fortes sur les fondements de notre politique de défense, mais aussi d'une appréciation positive de la prise en compte des remarques des syndicalistes, des élus locaux, et des points de vue de la majorité plurielle, y compris les nôtres, notamment sur les industries d'armement, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen s'abstiendront sur ce projet de budget. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le budget de la défense qu'il nous est demandé d'examiner aujourd'hui ne s'illustre pas par des choix clairs, à l'exception d'une mesure relative à l'organisation des services.
Je me réjouis à ce titre que l'administration du secrétariat d'Etat aux anciens combattants puisse être intégrée à celle du ministère de la défense, comme le montrent les 949 millions de francs transférés sur le budget du ministère de la défense. J'espère que cette volonté de rationalisation, que l'on aurait mauvaise grâce à critiquer, n'affectera pas notre devoir de mémoire et la reconnaissance que nous devons manifester à ceux qui se sont battus pour notre pays.
Je souhaite que la création de la nouvelle direction de la mémoire et du patrimoine soit particulièrement orientée vers la sensibilisation des citoyens les plus jeunes. Nous pouvons tous nous réjouir de l'esprit de concorde qui a permis la reconnaissance officielle de la qualification de la guerre d'Algérie et des combats en Afrique du Nord cette année. Cette levée des ambiguïtés facilitera sans nul doute une approche objective des faits.
Deux décisions majeures devaient être arrêtées dans les années quatre-vingt-dix : la fin du service national, donc la professionnalisation qui a été mise en place par le précédent gouvernement, l'intégration ou non dans une défense européenne commune, qui doit être clairement exprimée.
Deux options s'ouvrent à nous : ou bien la France se considère encore comme une grande puissance militaire, auquel cas le budget actuel est très largement insuffisant pour envisager une action individuelle, ou bien elle se considère comme une puissance moyenne, et elle envisage de renforcer sa coopération européenne de manière significative, notamment par une mise en commun de ses moyens avec ses partenaires de l'Union.
Examinons tour à tour ces deux propositions.
Dans la première hypothèse, la défense française ne doit compter que sur elle-même. C'est toute l'illusion des « souverainistes », « un bien joli mot pour des thèses dépassées », comme disait tout récemment M. Giscard d'Estaing.
Les conséquences budgétaires d'un tel choix sont lourdes. Les 2,5 % de notre produit intérieur brut utilisés pour la défense seront bien insuffisants. Qui, aujourd'hui, peut sérieusement prétendre que la France peut intervenir seule, de sa propre autorité et où elle veut ? Les Français seront-ils prêts à faire cet effort financier ?
Le coût des matériels de défense a suivi une progression exponentielle. Il est évident que l'opinion publique n'accepterait pas que celle-ci soit répercutée sur le budget de la défense. Mais nous n'avons pas le courage, toutes tendances confondues, de reconnaître que nous ne sommes plus une grande puissance militaire.
Alors nous cherchons à masquer cet état de fait en amputant, de-ci de-là, de quelques points, certaines lignes budgétaires, quitte à faire passer des investissements concernés sous le seuil opérationnel.
Cette première hypothèse se heurte également à une insuffisance technologique induite par le budget, comme le montre le récent rapport sur les « Enseignements du Kosovo ». Celui-ci a souligné les lacunes françaises, notamment en matière d'exploitation du renseignement en temps réel, des systèmes de guidage de bombes par satellites, des capacités de pénétration des défenses aériennes et de l'évaluation des dommages.
La seconde hypothèse s'appuie sur une vision réaliste des grands équilibres mondiaux et souligne la nécessité d'une véritable mise en place de la politique étrangère et de sécurité commune.
La PESC nécessite, elle aussi, des efforts financiers, mais surtout des efforts de coordination. Si les dépenses militaires de l'ensemble des membres de l'Union s'élèvent environ à 60 % du budget militaire américain, leur capacité de projection n'est que de 10 % de celle des Etats-Unis ! Il y a une perte en ligne considérable due à une quasi-absence de coordination.
Par ailleurs, dans le domaine de la recherche et du développement, le fossé s'élargit sans cesse entre les Etats-Unis et l'Europe : les budgets recherche-développement consacrés à la défense sont dotés de 36 milliards de dollars par an aux Etats-Unis alors que les dix-huit autres alliés de l'OTAN y consacrent dix milliards de dollars, sans coordination !
Dans la présentation écrite de votre budget, vous écriviez : « Aujourd'hui, devant l'évidence des nouveaux conflits et la nécessité politique d'y faire face, plusieurs pays européens choisissent de réorganiser leur défense selon des principes voisins des nôtres. Cela influera positivement sur la capacité de l'Europe à prendre collectivement ses responsabilités. Cela nous confirme dans nos options. »
C'est vrai, mais, hélas ! la volonté politique n'est pas assez fortement soulignée. Que n'avez-vous affirmé sans restriction votre choix d'une option véritablement européenne ! On comprend combien il peut être difficile de reconnaître la nécessité de s'intégrer dans une défense dont nous n'aurons qu'une partie du contrôle, mais votre déclaration est trop circonstanciée pour être mobilisatrice et gommer les hésitations.
L'idée de défense européenne s'est pourtant développée et affirmée tout au long de l'année 1999. Mais elle semblait davantage être la conséquence d'un constat, notre incapacité à agir seuls les uns et les autres, que l'expression d'une volonté européenne à mettre en place une défense digne de ce nom.
Sur le terrain, l'expérience du Kosovo a bien marqué la faiblesse européenne et la nécessité de se renforcer.
Sur le plan des intentions, il y a, certes, une évolution politique. Le sommet franco-britannique de Saint-Malo en décembre 1998 a bien marqué une inflexion positive. L'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam a rappelé l'engagement européen sur les missions dites de Petersberg. Le Conseil européen de Cologne, début juin, a fixé pour objectif la mise en place, d'ici à la fin de l'an 2000, d'un dispositif de gestion de crise, comprenant les moyens militaires nécessaires, conduit par l'Union.
Plus récemment, le 15 novembre 1999, votre présence au Conseil « Affaires générales » était un signe fort de l'importance accordée par l'Union au sujet. A ce propos, la France soutiendra-t-elle l'instauration rapide d'un conseil des ministres européens de la défense ?
La nomination d'un Monsieur PESC, en la personne de Javier Solana, est une décision concrète. Ses anciennes responsabilités à la tête de l'OTAN garantissent ses aptitudes et en font un symbole des bonnes relations entre les Etats-Unis et l'Europe. Cela pourrait être aussi une faiblesse. Il est donc indispensable qu'il sache affirmer l'autonomie de décision de l'Europe, en sachant parfois déplaire à notre partenaire outre-Atlantique.
De manière pragmatique, cette Europe de la défense passera par des achats communs de matériel ; l'exemple de la commande globale de 160 hélicoptères Tigre , 80 pour l'Allemagne, 80 pour la France en juillet dernier, est positif. Ces achats groupés devraient permettre de substantielles économies. L'Europe de la défense passe également par des fusions européenne réussies.
La création de l'Europe de la défense figure en tête de l'ordre du jour du Conseil européen d'Helsinki, qui se déroulera les 10 et 11 décembre prochain. Monsieur le ministre, aborderez-vous la question des Etats neutres au sein de l'Union européenne ? Cette neutralité est inacceptable, car elle est en contradiction avec le traité de Maastricht. Les Etats qui étaient neutres doivent respecter leur signature.
Pour être concrets et pragmatiques, nous devons aussi absolument définir les territoires sur lesquels notre capacité de défense doit s'exercer : l'Europe, bien sûr ; la Méditerranée, sans doute ; l'Afrique, en tout cas pour une partie ; pour ce qui est du reste de notre planète, certainement pas !
Ainsi, avec un budget européen de la défense atteignant la moitié de celui des Etats-Unis, nous pouvons faire beaucoup mieux qu'eux dans le périmètre défini.
Si les Américains veulent être les gendarmes du monde, cela leur coûtera très cher et cela leur vaudra des problèmes politiques nombreux, car ils auront toujours tendance à s'ingérer dans les affaires intérieures des autres pays.
Monsieur le ministre, votre Gouvernement a-t-il la volonté politique de faire de la défense européenne un axe prioritaire durant la présidence française de l'Union européenne ?
Pensez-vous que la mise en place de critères de convergence de chacune des armées des Etats membres soit une méthode qui puisse s'appliquer à la défense, qui, comme la monnaie, est au coeur de l'Etat ?
Soyons ambitieux ! Ne succombons pas à la « tentation suisse » en matière de défense, pour reprendre la mise en garde de l'ambassadeur Bernard de Montferrand : n'acceptons pas que la meilleure manière de s'entendre soit de « rester au plus petit commun dénominateur, à une sorte de "neutralité" qui limiterait la solidarité au minimum favorable de bien-être » !
Monsieur le ministre, je serai très attentif à vos réponses, en particulier sur le calendrier d'une défense européenne.
La majorité de mes collègues du groupe du Rassemblement démocratique social et européen suivra l'avis de la commission. (Applaudissements sur la travées du RDSE, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Delanoë.
M. Bertrand Delanoë. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quels que soient les commentaires entendus depuis le début de ce débat, le projet de budget que nous examinons aujourd'hui répond aux besoins de nos armées. S'il n'est pas aussi élevé que nous aurions pu l'espérer, il s'inscrit toutefois dans la fidélité aux principes de la revue des programmes et tient compte des contraintes imposées par la professionnalisation. Il permet également à la France d'assumer ses ambitions européennes. C'est là l'essentiel, selon moi.
Bien sûr, il comporte des imperfections et fait naître certaines inquiétudes. Je crois cependant qu'il fait l'objet de critiques injustifiées, ou pour le moins exagérées.
Si les crédits d'équipements diminuent cette année, cette baisse replacée dans le contexte général n'est pas aussi préoccupante que certains ont pu le dire. Notre pays conserve le deuxième budget européen de défense, puisqu'il y consacre 2,5 points de son PIB, quand nos partenaires européens y consacrent en moyenne 1,5 point.
Je fais remarquer, par ailleurs, que le pouvoir d'achat de nos armées reste le même. En effet, l'effort de rationalisation de nos acquisitions d'armement a permis de réaliser près de 10 % d'économies. Il est donc logique que cette baisse du coût des matériels influe sur la part du budget qui leur est affectée.
J'irai même plus loin : je vois dans ce budget un réel progrès car, pour la première fois cette année, il n'y aura ni décalage, ni suspension, ni annulation de programmes. Plusieurs rapporteurs le reconnaissent d'ailleurs, notamment vous, monsieur Vinçon.
Des efforts ont donc été accomplis pour assainir les procédures financières et améliorer la gestion des crédits du ministère de la défense. L'accélération du rythme de consommation des autorisations de programme en est un bon exemple.
Certains rapports de la commission font état de préoccupations liées aux crédits de fonctionnement courants. L'effort est reconnu, mais il est généralement qualifié d'insuffisant. Pourtant, l'essentiel est préservé : les crédits du titre III sont en hausse et permettent aux armées de poursuivre de façon satisfaisante le processus de professionnalisation. J'en déduis donc que ces rapports mettent en cause à demi-mot les conséquences budgétaires de la professionnalisation. Si tel est le cas, alors je joins ma voix aux vôtres, puisque, dès l'élaboration de la réforme, je m'étais permis de vous alerter sur cette évidence.
En revanche, ce qui me préoccupe davantage, monsieur le ministre, c'est le collectif budgétaire de fin d'année, qui prévoit le redéploiement de plus de 9 milliards de francs au sein du budget de la défense. Après un premier transfert de 4 milliards de francs du titre V au titre III, les crédits d'équipement seront à nouveau mis à contribution pour financer les opérations extérieures. Je crois qu'il est plus que temps de créer une nouvelle méthode - et votre expérience permettra certainement d'être créatif - susceptible de mettre un terme à cette mauvaise, mais ancienne habitude.
La réduction du format des armées se poursuit conformément aux prévisions. Les propos du chef d'état major des armées dans ce domaine sont rassurants. Il estime que « la mutation profonde des forces armées françaises liée à la professionnalisation est sur de bons rails ». Il ajoute même : « J'ai une complète confiance dans sa réussite ».
Néanmoins, je partage la crainte de notre collègue Serge Vinçon pour ce qui concerne le déficit en personnels civils qui frappe principalement l'armée de terre. D'évidence, il faut obtenir plus de souplesse dans le recrutement. D'ailleurs, monsieur le ministre, vous aviez ouvert plusieurs pistes à l'Assemblée nationale : peut-être pourrez-vous aujourd'hui apporter de nouvelles précisions sur ce sujet.
Ce projet de budget laisse également planer quelques incertitudes sur l'avenir de programmes essentiels à la cohésion de notre modèle d'armée. Je pense ici à l'ATF ou à l'hélicoptère NH 90. Bien entendu, nous serons donc attentifs à ce qu'ils puissent bénéficier des crédits nécessaires au financement des futures commandes.
Mais mon principal sujet d'inquiétude concerne nos capacités dans le domaine spatial, et tout particulièrement en matière de renseignement. Les crédits de paiement, comme les autorisations de programme, connaissent une forte baisse. Je sais bien, monsieur le ministre, qu'elle est en grande partie liée au retrait de nos partenaires européens de programmes menés en coopération. Il n'en reste pas moins qu'elle demeure préoccupante pour nos capacités satellitaires et pour l'avenir de l'Europe de la défense. Il faudra donc trouver de nouvelles voies de coopération pour mener à bien ces programmes essentiels à l'indépendance stratégique européenne. L'arrangement administratif conclu avec l'Allemagne pour le satellite Syracuse III en est d'ailleurs une première illustration.
Je voudrais justement saisir l'occasion que nous offre l'examen de ce budget pour faire le point sur l'évolution industrielle et politique de la construction d'une défense européenne.
En facilitant la fusion Aerospatiale-Matra, puis la constitution d'EADS, le Gouvernement a permis de jeter les bases d'une industrie européenne de la défense. Avec la naissance de cette société commune une étape décisive de l'intégration de l'industrie aéronautique européenne, civile et militaire, a été franchie. L'Europe dispose désormais de deux groupes capables de rivaliser avec les géants américains Boeing et Loockheed Martin. C'est à mettre au crédit de ce Gouvernement puisque cela n'avait pas été fait auparavant.
Autre avancée majeure : l'adoption de la convention portant création de l'OCCAR.
Trop longtemps, nous avons négligé l'exigence du débat lié à l'émergence d'une véritable identité européenne de défense. Que ce soit en matière d'armement, de technologie ou d'exploitation, l'OCCAR répond à cette attente, en offrant un cadre de coopération concret.
Notre pays a joué un rôle politique essentiel au cours des sommets franco-britannique de Saint-Malo et franco-allemand de Toulouse. Le Conseil européen de Cologne et les récents sommets entre Français, Britanniques et Allemands en ont donné une nouvelle illustration en décidant de « doter l'Union européenne d'une capacité d'action autonome soutenue par des forces militaires crédibles ».
Des progrès ont également été accomplis au niveau institutionnel. La nomination d'un « Monsieur PESC » chargé du secrétariat général de l'Union de l'Europe occidentale participe de cette démarche. Elle témoigne de la volonté de donner à l'Union européenne les moyens institutionnels et les capacités militaires lui permettant d'agir chaque fois que nécessaire.
La première réunion des quinze ministres de la défense et des affaires étrangères a apporté une nouvelle impulsion au projet politique de sécurité commune. Cette démarche pragmatique avec les échéances et les objectifs que vous avez fixés, monsieur le ministre, préparent l'Europe à assumer sans tarder l'exécution des missions de Petersberg. Autant de signes encourageants survenus cette année !
Pour autant, je pense, comme M. le Premier ministre, que nous devons aller plus loin encore et que, à l'occasion de la préparation de la prochaine loi de programmation militaire, il faudra construire « une programmation qui donne corps à nos priorités nationales tout en contribuant à la construction d'un outil de défense européen ».
Le temps est en effet venu d'engager une réflexion collective et, plus encore, de tirer les conséquences, en termes d'équipements et de budget, qui en découlent, de notre volonté de bâtir une identité européenne de défense.
Cela passe notamment par une meilleure coopération sur les programmes. Disons-le franchement, aucun pays n'a aujourd'hui les moyens de développer seul l'ensemble des systèmes d'armes qui lui sont utiles ni même de financer la recherche et le développement.
Il est donc nécessaire de réfléchir ensemble, et le plus tôt possible, sur les prochains programmes.
Cette observation fait naître chez moi plusieurs interrogations. Ne devrait-on pas raisonner en termes de capacités européennes et non plus de capacité nationale ? L'éventuel second porte-avions ne devrait-il pas alors être élaboré dans ce cadre ?
Enfin, et j'ai posé la question à plusieurs reprises dans cette enceinte, ne faudrait-il pas envisager l'élaboration d'un livre blanc européen de la défense ?
Je conclurai mon intervention en reprenant les propos du chef d'état-major des armées : « Aux deux tiers du parcours, le processus de la professionnalisation est positif et, malgré quelques insuffisances, le projet de budget 2000 n'entraîne pas de ruptures dans le domaine de la politique d'équipement, qui conserve sa cohérence. »
L'action que mène le Gouvernement illustre en effet une cohérence et une régularité qui dessinent des perspectives encourageantes, notamment pour la poursuite de la modernisation des forces armées. C'est pourquoi, monsieur le ministre, nous voterons le budget que vous nous présentez. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
(M. Jacques Valade remplace M. Jean-Claude Gaudin au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
vice-président
M. le président.
La parole est à M. Plasait.
M. Bernard Plasait.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous vivons
des années budgétaires le plus souvent déprimantes. Le moins mauvais alterne
avec le pire et le budget de la défense que vous nous présentez confirme la
tendance de fond à la baisse.
L'embellie d'hier n'était donc qu'un leurre. C'est une déception. J'espérais
que votre conviction, que votre pugnacité, monsieur le ministre, vous
permettraient d'obtenir davantage. Hélas, comme aurait pu dire le slogan
publicitaire d'un fabricant de jeux vidéo : « Bercy, c'est plus fort que toi !
»
Avec un montant global de 242,8 milliards de francs, le projet de budget que
vous nous présentez, monsieur le ministre, pour l'année 2000 est en recul de
1,1 % par rapport à celui de 1999. En francs constants, les crédits du titre
III diminuent de 0,4 % alors que ceux des titres V et IV s'effondrent de 4,4
%.
La restriction des crédits de paiement affecte toutes nos armées, à
l'exception de la gendarmerie : l'armée de terre - moins 3,6 % - l'armée de
l'air - moins 6,92 % - et la marine - moins 4,37 % - voient leurs moyens très
largement amputés par rapport à 1999.
La recherche ne bénéficie toujours pas de moyens supplémentaires. Le domaine
spatial, pourtant le plus porteur, est profondément affecté par la diminution
des crédits. J'observe également, dans le domaine de la dissuasion nucléaire,
une baisse des crédits de paiement de 4,6 % par rapport à 1999.
Je n'entrerai pas davantage dans les détails des affectations, ils nous ont
été excellemment exposés par les rapporteurs.
Mais que penser de ce budget quand on se souvient des expériences passées, et
plus encore des engagements pris par le Gouvernement ?
Ainsi que l'a rappelé notre excellent collègue Jean Faure, le Premier ministre
s'était engagé, le 3 avril 1998, à maintenir les crédits d'équipement de la
défense à 85 milliards de francs constants 1998 pour les quatre prochaines
annuités de la programmation. Vous-même, monsieur le ministre, aviez affirmé,
le 2 décembre 1998, lors de la discussion budgétaire, « la volonté politique de
poursuivre la programmation de nos équipements de défense sur la base de 85
milliards de francs annuels », afin de rétablir « une continuité et une
visibilité de la politique d'équipement militaire, qui est indispensable à tous
les partenaires et qui garantit la crédibilité de notre effort de défense ».
Vous parliez d'or.
Mais par quel sortilège en un vil plomb l'or pur s'est-il changé ?
Le compte n'y est pas. Compte tenu de l'inflation, les seuls crédits
d'équipement devraient s'élever à 86,7 milliards de francs en 2000.
Cette nouvelle entaille est d'autant plus préoccupante que les engagements
pris par le Gouvernement constituaient la contrepartie de la révision à la
baisse de la loi de programmation décidée à l'issue de la « revue de programme
».
Elle est encore plus inquiétante si l'on considère le contexte économique et
financier actuel, qui est des plus favorables. L'excédent prévisible des
recettes de l'Etat pour 1999, sans doute de 40 milliards de francs, aurait dû
être massivement affecté à la baisse du déficit budgétaire ; il aurait aussi
pu, et dû, servir à rattraper le retard en matière d'équipement de notre
défense.
Non seulement ce n'est pas le cas, mais, plus grave encore, nos armées font
aujourd'hui les frais des errements de la politique économique et sociale du
Gouvernement.
Il faut bien financer les emplois-jeunes et les 35 heures !
On ne peut qu'être inquiet pour l'avenir, pour le moment où ces deux grands
chantiers gouvernementaux pèseront de tout leur poids sur les finances
publiques. Au rythme où vont les choses, dans peu de temps notre outil de
défense sera exsangue.
Et, je n'ose même pas imaginer, monsieur le ministre, les effets qu'aurait sur
votre budget un renversement de conjoncture !
Aussi, je partage pleinement les craintes déjà exprimées par les rapporteurs,
d'autant qu'il est urgent de tirer les enseignements de notre engagement récent
au Kosovo.
Bien évidemment, à cette occasion, je m'associe à l'hommage rendu à nos
soldats. C'est bien le moins. Mais je tiens à dire plus. Ces jeunes Français
ont fait preuve de courage et de caractère dans des missions particulièrement
difficiles, que d'autres ne savaient pas accomplir. Ils vivent leur métier
comme une vocation avec un très grand savoir-faire, un sens de l'initiative et
de l'innovation qui, je le sais, ont accru l'efficacité de leur mission. Voilà
une jeunesse qui porte haut les couleurs de notre pays ; c'est une belle
promesse pour notre avenir. Les Français doivent éprouver pour ces jeunes la
même fierté que nous.
Mais il nous faut aujourd'hui bien percevoir que, dans un monde où les
échanges s'intensifient chaque jour davantage, les risques ne cessent de
s'accroître, comme augmentent les occasions de conflits locaux ou régionaux.
Dans ces conditions, il est primordial que nos forces disposent des moyens
adéquats de projection et de combat. L'opération « Force alliée » au Kosovo a
mis en évidence le rôle essentiel de l'armée de l'air, qui a été à la pointe de
l'action conduite par l'OTAN. Pendant 78 jours ont été déployés 98 aéronefs,
dont 76 avions de combat, soutenus par moins d'un millier d'hommes.
Outre les prouesses réalisées, il importe de rappeler que, pour mener à bien
ses missions, l'armée de l'air a été contrainte de demander en urgence
l'accélération de certains programmes précédemment retardés pour des raisons
budgétaires. De même, de sérieuses insuffisances quantitatives sont apparues en
ce qui concerne tant les ravitailleurs en vol que les hélicoptères spécialisés
dans la récupération d'équipages abattus dans les lignes adverses, sans parler
des munitions, puisque nous avons été obligés de recourir à des achats aux
Etats-Unis pour compléter nos stocks.
Je souscris aux propos de notre excellent collègue Jean-Claude Gaudin quant à
la nécessité d'intensifier nos efforts en matière de renseignement et
d'accélérer les deux grands programmes d'équipement qui conditionnent l'avenir
de l'armée de l'air : le Rafale et l'avion de transport futur, l'ATF.
Concernant ce dernier, dont l'importance cruciale n'est plus à démontrer, je
souhaiterais plus particulièrement savoir, monsieur le ministre, quels moyens
exceptionnels vous comptez y consacrer, étant entendu qu'aucune dotation n'est
prévue pour l'année 2000 alors que la décision définitive est imminente.
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Il n'était pas prévu non plus dans la loi de
programmation, comme vous le savez !
M. Bernard Plasait.
Bien que son budget d'équipement progresse de 5,3 %, la gendarmerie ne voit
pas pour autant tous ses problèmes résolus, loin s'en faut !
Aussi, je ne peux qu'insister sur la nécessité de respecter le calendrier
prévu pour l'acquisition et la livraison des hélicoptères biturbines que les
normes européennes rendent indispensables pour le survol des zones urbaines ou
de montagne. Tout retard ne pourrait qu'acccroître les tensions, déjà
existantes, dans les conditions d'exercice de la sécurité du territoire.
De plus, un effort soutenu devra être consenti, dans les années à venir, pour
la modernisation du parc immobilier de la gendarmerie. Le redéploiement des
brigades et la transformation des logements des gendarmes auxiliaires en
logements de gendarmes adjoints le rendent des plus nécessaires.
En outre, cette augmentation des crédits d'équipement ne parvient pas à
masquer les tensions prévisibles sur les moyens de fonctionnement des
unités.
Alors que ce budget est marqué par la création de 577 nouveaux emplois, les
crédits de fonctionnement ne progressent pas en conséquence. Cela est d'autant
plus regrettable que de nouvelles charges sont transférées à la gendarmerie. La
restriction de ses moyens peut également conduire à une démobilisation des
personnels, dont les qualités seraient appréciées en fonction des économies
réalisées et non plus des résultats obtenus en matière de sécurité publique.
D'ailleurs, telle n'est pas la vocation de la gendarmerie. A cet égard, il
importe de lever au plus vite les interrogations qui pèsent sur les missions de
l'arme. Notre collègue Paul Masson a très justement insisté sur les ambiguïtés
actuelles, notamment quant aux missions assignées aux escadrons de gendarmerie
mobiles « fidélisés ».
Si l'on peut comprendre les besoins en effectifs expérimentés dans le zones
sensibles, on ne peut que s'interroger sur l'engagement de ces personnels pour
des missions de sécurisation permanente qui n'entrent pas dans leur vocation
initiale.
Les risques de dérive des missions existent. Il importe de les prévenir, comme
il importe de veiller à la disponibilité d'ensemble des forces mobiles et à
leur formation permanente, qui doit rester une priorité.
Enfin, le redéploiement des forces de sécurité sur le territoire devra être
repris sur des bases entièrement nouvelles, telles que celles que notre
rapporteur a indiquées. Le souci de la concertation, associé à celui de
l'efficacité en termes de sécurité des populations, doit prévaloir.
Je vous l'ai dit sans ambages, monsieur le ministre, je suis déçu par ce
budget qui, me semble-t-il, ne prépare pas l'avenir. Au contraire, il
l'hypothèque, et gravement à mes yeux, au moment même où la France devrait tout
mettre en oeuvre pour apparaître comme le promoteur actif et ambitieux d'une
défense européenne dotée de capacités militaires renforcées.
Ce n'est pas un bon signal politique à l'adresse de nos partenaires européens
alors que s'ouvre le sommet d'Helsinki.
Je suis plein d'admiration devant la performance de notre collègue Bertrand
Delanoë,...
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Vous avez bien raison ! Et il vous étonnera
encore !
M. Bernard Plasait.
... qui, il y a un instant, réussissait à trouver un progrès dans ce
budget.
Pour ma part, ce budget, je le trouve si peu ambitieux qu'il me paraît de
nature à entamer la crédibilité de notre pays et, donc, à affaiblir sa position
dans les négociations sur la défense européenne. Je le déplore, et je regrette
beaucoup de ne pas pouvoir voter ce budget.
(Applaudissements sur les
travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union
centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Vinçon.
M. Serge Vinçon.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le budget de
la défense pour 2000 paraît marquer un nouveau recul dans les priorités
gouvernementales, dans la mesure où il passe du deuxième au troisième rang des
budgets de la nation.
Il révèle la contradiction du Gouvernement en matière de politique de défense,
tant est patente la distorsion entre les propos tenus et la pratique. Certes,
la nécessité d'accentuer l'effort dans le domaine de la défense apparaît
clairement dans tous les discours, mais les moyens financiers qui y sont
affectés démontrent que les intentions ne sont pas suivies d'actes.
Ainsi, en dépit d'un environnement économique marqué par la croissance, la
dotation des armées pour 2000 constitue bien une nouvelle encoche dans la loi
de programmation militaire. Cette première contradiction nous conduit au plus
grand scepticisme lorsque nous entendons qu'est envisagée l'instauration par
les Européens d'un critère de l'ordre de 0,7 % à 0,8 % du produit intérieur
brut pour les dépenses d'équipement militaire, alors que la part relative du
budget de la défense ne cesse de décroître, pour ne représenter que 2,04 % du
PIB en 2000.
A notre sens, les fruits de la croissance auraient pu profiter aux armées, qui
ont accepté de faire une véritable révolution culturelle, compte tenu de la
réforme indispensable engagée par le Président de la République. Il est
inacceptable qu'elles ne puissent obtenir, en contrepartie, les moyens de
renouveler et de moderniser leurs équipements.
On nous annonce un taux de croissance de 2,7 % pour 1999 et nous entendons que
le Gouvernement pense pouvoir dégager 115 milliards de francs pour financer les
35 heures. Mais nous constatons que le budget total alloué à la défense est en
baisse de 1,3 %. Comment pouvons-nous, dès lors, croire que la défense est une
priorité gouvernementale ?
Etait-il réellement inconcevable, par exemple, d'engager 15 milliards de
francs sur plusieurs années en faveur du programme du deuxième porte-avions ?
Sa construction s'impose tant sur le plan opérationnel que sur celui de la
souveraineté ; à défaut, nous serons incapables d'aligner à l'avenir un groupe
aéronaval.
Une autre contradiction nous apparaît. La revue de programmes avait conduit le
Gouvernement à augmenter l'enveloppe du titre V, la faisant passer de 81
milliards à 86 milliards de francs.
L'an dernier, le Premier ministre s'était engagé à maintenir à un niveau
constant les crédits d'équipement des armées durant les quatre dernières années
de la programmation. Tel n'est pas le cas dans la mesure où ils s'élèvent à
82,9 milliards de francs en 2000, accusant un recul de 4 % par rapport à
l'annuité fixée par la loi de programmation.
Vous avez déclaré, monsieur le ministre, que la diminution des crédits de
paiement résultait de la faiblesse des engagements opérés lors des années
antérieures. Le délégué général pour l'armement annonce pourtant que le taux
d'exécution budgétaire du titre V pour 1999 sera, comme l'année précédente, de
96 %.
Vous comptez par ailleurs que les reports de crédits de l'année 1999, qui
devraient, estime-t-on, se situer entre 5 milliards et 6 milliards de francs,
seront mis à la disposition de votre ministère dès la fin du premier trimestre
2000. Nous sommes dubitatifs.
En juin dernier, en effet, vous avez obtenu une somme équivalente de reports
de crédits de l'exercice 1998 qui ont, en réalité, financé des opérations
extérieures, contrairement aux engagements. Nous décelons là une autre
contradiction puisque le conflit au Kosovo a coûté 1,6 milliard de francs au
titre V.
Ensuite, pour expliquer le faible montant alloué au titre V, vous mettez en
avant l'augmentation de 1,7 % des autorisations de programme, qui devrait
permettre de poursuivre la politique de commandes globales pluriannuelles. Si
les autorisations de programme excèdent, il est vrai, de 4,5 milliards de
francs les crédits de paiement, nous n'ignorons pas qu'ils restent insuffisants
pour lancer l'ensemble des commandes globales prévues.
Ils ne permettront pas de couvrir les engagements au titre des programmes de
missile M 51 et d'hélicoptère NH 90. Faut-il rappeler que la commande globale
de 80 hélicoptères Tigre n'a pu être passée en juin dernier qu'au prix
d'importants transferts ? En définitive, je crains que le projet de budget pour
2000 ne permette de passer qu'une seule commande globale, celle du missile
antichar de troisième génération à moyenne portée, déjà décalée cette année.
La baisse des crédits du titre V est inquiétante, tant il est vrai que le
paiement des factures est,
in fine,
la traduction comptable du niveau
d'équipement de nos armées. Mais elle devient alarmante lorsque le manque à
gagner de ce poste est évalué à 59 milliards de francs, soit 11 % du montant
des dotations d'équipement initialement prévu par la loi de programmation.
Si le Gouvernement n'a pas tenu les engagements qu'il a pris dans le cadre de
la revue de programmes, il n'a pas davantage tenu compte des enseignements de
la guerre du Kosovo, qui ont pourtant mis en lumière certaines limitations.
Nous soulignons cette nouvelle contradiction, qui se décline en trois points
principaux : l'espace, l'aviation et la simulation.
Alors que tous les experts ont mis en exergue des insuffisances en matière de
renseignement satellitaire, nous constatons que le budget de l'espace est en
chute libre, avec une dotation de 2,3 milliards de francs, soit une baisse de
15,3 % par rapport à 1999. Nous notons surtout le décalage du programme Hélios
II et le quasi-arrêt du programme devant succéder à Syracuse II.
L'insuffisance de la coopération européenne dans le domaine de l'espace
militaire ne peut nous satisfaire. Elle nous oblige en effet à recourir aux
moyens que les Etats-Unis veulent bien mettre à notre disposition au moment où
ils affichent l'ambition de dominer tous les créneaux du domaine spatial.
Par ailleurs, l'importance de l'aviation dans les conflits modernes ne fait de
doute pour personne. Néanmoins, alors que l'armée de l'air a été chaudement
félicitée pour la place qu'elle a tenue dans la résolution de la crise au
Kosovo, elle accuse une chute des dépenses d'équipement notable, avec une
baisse de 6,9 % en crédits de paiement.
Pour la huitième année consécutive, elle ne commandera aucun appareil neuf.
Cette baisse des crédits va bien évidemment se traduire par des retards dans le
développement de certains programmes.
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
C'est totalement inexact.
M. Serge Vinçon.
Que dire de l'avion de transport futur ?
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Ce que l'on peut en dire, c'est qu'il n'était pas
dans la loi de programmation !
M. Serge Vinçon.
C'est vrai, mais nous intervenons souvent pour des opérations extérieures et
nous avons besoin, vous le savez bien, de renouveler notre parc d'avions
Transall et Hercules. Ce renouvellement s'impose pour garantir notre capacité
de projection, c'est évident.
Là encore, l'écart continue de se creuser entre la France et les deux
principales puissances aériennes occidentales, les Etats-Unis et la
Grande-Bretagne. En effet, sur la base du projet de budget pour 2000, la part
des crédits d'équipement et de recherche consacrés à l'aviation n'est plus que
de 24 %, alors qu'elle demeure supérieure à 30 % dans les deux autres pays.
Un dernier point nous préoccupe pour ce qui est du titre V : il s'agit du vote
négatif du Sénat américain sur le traité d'interdiction complète des essais
nucléaires. Bien que le maintien de notre capacité de dissuasion passe par la
simulation, qui doit se substituer aux essais nucléaires, le budget
correspondant est en régression de 3,5 %, avec une dotation de 1,7 milliard de
francs.
Face à une telle réalité, nous affirmons que la cohérence est menacée et que
la rupture de la politique d'équipement est d'ores et déjà annoncée.
Pour terminer, il nous faut évoquer la gendarmerie, dont la capacité
opérationnelle risque d'être altérée par une insuffisance constatée de 420
millions de francs sur le titre III en fin d'année, sans amélioration pour
2000.
Cette nouvelle encoche dans la loi de programmation est inacceptable au moment
où nos armées relèvent le défi de la professionnalisation, où nos industries de
défense s'allient avec des partenaires européens, où l'Europe de la défense
doit se mettre en place.
Nous le savons, la défense détermine la position de la France sur la scène
internationale et, par là même, le rang qu'elle tient dans la résolution des
conflits. Peut-elle rester une puissance respectée si elle ne dispose pas
d'équipements militaires adaptés aux enjeux de la défense ?
Les hommes et les femmes qui font nos armées ont démontré, s'il en était
besoin, les qualités qui sont les leurs lors du dernier conflit. Il est de
notre devoir de leur exprimer notre gratitude en appelant le Gouvernement à
mener, en matière de défense, une politique budgétaire cohérente.
Pour toutes ces raisons nous voterons contre ce budget.
(Applaudissements
sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union
centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Rouvière.
M. André Rouvière.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon propos
se limitera au budget de la gendarmerie.
Il est facile de constater que les problèmes de sécurité sont partout
présents, même s'ils ne se posent pas partout avec la même acuité, c'est
évident. Dans une commune rurale de 100 habitants, les agressions ne peuvent
pas atteindre l'ampleur que l'on constate dans des villes ou des banlieues
regroupant plusieurs milliers d'habitants.
Cependant, à l'échelle de l'individu, la différence entre milieu rural et
milieu urbain disparaît, car chacun a droit à la sécurité. C'est ainsi que le
sentiment d'insécurité peut être aussi fort dans une commune rurale que dans
une grande ville. Il est même parfois plus fort dans le monde rural, quand il
n'y a ni police ni gendarmerie à proximité.
J'évoquerai le cas de la commune d'Alzon, dans le Gard, commune rurale des
Cévennes comptant 208 habitants. Sa brigade de gendarmerie a été supprimée
voilà quelques années. Ainsi, ce canton de moins de 1 000 habitants n'a plus de
brigade de gendarmerie. Il est rattaché à la brigade du Vigan. Dans ces
conditions, il n'est pas évident que les gendarmes, à moins d'avoir des
qualités de pilote de rallye, puissent intervenir en moins de trente minutes.
Certes, ils n'ont que dix-sept à vingt kilomètres à parcourir, mais la route a
de nombreux virages et, en hiver, le trajet peut se révéler très délicat.
C'était jadis un canton tranquille. Si tranquille que sa brigade a été
supprimée ! Mais le vide laissé par les gendarmes a vite été comblé par les
fauteurs de violence et les délinquants, si bien que, voilà quelques semaines,
la quasi-totalité de la population d'Alzon a signé une pétition intitulée : «
L'insécurité à Alzon : trop c'est trop ! » et énumérant la liste des agressions
subies.
A partir de cet exemple regrettable, je formulerai plusieurs remarques.
Tout d'abord, déshabiller Pierre pour habiller Paul serait une très grave
erreur. Cette pratique ne résout pas les problèmes; elle ne fait que les
déplacer. La gendarmerie doit conserver son maillage territorial. En effet, dès
qu'elle quitte un canton, l'espace libéré devient, comme à Alzon, une zone
d'insécurité.
Le redéploiement, qu'avait accentué ce que j'appellerai le « phénomène Alzon
», a mobilisé les élus. Ils se sont adressés à vous, monsieur le ministre. Vous
les avez écoutés, vous les avez entendus : vous avez stoppé le redéploiement
des brigades. C'est bien ! Les élus ruraux vous en félicitent et vous en
remercient.
Ces élus ruraux sont attachés à leur brigade de gendarmerie, car ils savent,
par expérience, que c'est sa présence qui assure la sécurité : si elle
disparaît, l'insécurité s'installe.
Mais ces maires, ces conseillers généraux, ces élus ruraux veulent une brigade
avec des gendarmes. Ce serait une grave erreur, à plusieurs titres, de laisser
des brigades sans gendarmes. Quand je dis « sans gendarmes », j'exagère, mais,
de six, il ne faudrait pas tomber à cinq, à quatre ou à trois. Une coquille
vide serait pire qu'une suppression de brigade.
Ma deuxième remarque porte sur l'évolution du travail des gendarmes.
Je tiens à rendre hommage à leur dévouement et à leur efficacité. Trop
souvent, hélas ! leur efficacité est jugée sur les résultats constatables,
c'est-à-dire, par exemple, le nombre d'affaires éclaircies, le nombre
d'arrestations effectuées ou le nombre de procès verbaux dressés. Mais on
oublie les résultats, difficiles à évaluer, de la prévention.
Pis encore, lorsque la prévention assure la tranquillité, on a tendance à dire
que le gendarme et sa brigade ne servent à rien : il n'ont rien à faire
puisqu'il ne se passe rien... la brigade ne dresse que quelques procès-verbaux
dans l'année. C'est la situation qu'a connue Alzon : il ne s'y passait rien,
tant que les gendarmes étaient présents.
Monsieur le ministre, je vous suggère de ne pas ignorer la valeur
irremplaçable d'une prévention efficace, notamment dans le monde rural.
Ma troisième remarque découle des deux précédentes.
Le budget de la défense, parce qu'il est un élément essentiel de la sécurité
des Françaises et des Français, intéresse tout le monde, aussi bien les ruraux
que les urbains. Il est donc important d'en souligner les aspects
essentiels.
Premièrement, c'est un budget en augmentation - je n'y insisterai pas trop,
certains l'ont dit, même si, ensuite, ils l'ont critiqué et proposé de le
rejeter - de 2,30 %, ses crédits passant de 22,65 milliards de francs à 23,17
milliards de francs, comme il est indiqué à la page 4 du rapport de M. Masson.
Ce budget témoigne ainsi éloquemment et concrètement de la volonté du
Gouvernement d'aborder les problèmes de sécurité avec des moyens accrus et
adaptés à l'évolution non seulement de la gendarmerie, mais également de la
société.
Deuxièmement, c'est un budget qui respecte la loi de programmation militaire,
et ce n'est pas facile ! En effet, je ne suis pas convaincu que les auteurs de
cette loi aient bien évalué
a priori
le coût financier de la disparition
progressive des appelés du contingent.
Troisièmement, c'est un budget qui progresse dans d'autres domaines, par
exemple celui de l'équipement : plus 5,2 % au titre des crédits de paiement.
D'ailleurs, dans son rapport écrit, M. Masson juge cette progression
globalement satisfaisante.
Quatrièmement, en ce qui concerne les réserves, la provision prévue permet,
précisément, à M. le rapporteur pour avis de souligner qu'il s'agit là d'un
effort particulier.
Cinquièmement, c'est un budget complexe, car il doit répondre à de nombreuses
exigences qui ne sont pas toujours faciles à concilier. Le coût de la loi de
programmation militaire est lourd. Les missions des gendarmes se diversifient
et s'étendent à de nouveaux secteurs géographiques. Il est donc probable que
l'acroissement de 1,06 % des crédits de fonctionnement soit un peu juste.
Pourriez-vous nous préciser, monsieur le ministre, si cette augmentation sera
suffisante, par exemple pour répondre à nos engagements à l'étranger et pour
assurer le succès des nouvelles mesures que vous mettez en place, notamment la
fidélisation ?
M. Masson s'est montré critique et sceptique quant à l'efficacité de la
fidélisation. Il est un peu trop tôt, me semble-t-il, pour porter un jugement
objectif. En revanche, il n'est pas prématuré, monsieur le ministre, de vous
féliciter de votre esprit innovant dans un domaine où le poids de la tradition
rend l'exercice difficile.
Vos propositions budgétaires pour la gendarmerie sont, globalement, très
positives. Certes, votre projet de budget n'est pas parfait. J'ai moi-même
formulé quelques interrogations. Mais qui pourrait raisonnablement vous
reprocher, monsieur le ministre, de ne pas présenter aujourd'hui quelque chose
qui n'existe pas ? Les budgets parfaits existent-ils ? Qui peut prétendre en
avoir un jour rencontré ?
Il faut donc faire la part des interrogations et des mesures concrètes et
positives. Objectivement, ces dernières l'emportent. Malgré cela, la majorité
du Sénat fait preuve de sévérité et d'injustice envers votre budget et envers
vous-même.
Elle fait preuve de sévérité, car, dans un passé qui n'est pas très éloigné,
la majorité sénatoriale a soutenu et voté des budgets moins positifs que le
vôtre, monsieur le ministre.
Elle fait également preuve d'injustice. En effet, d'abord la majorité
sénatoriale refuse d'adopter un budget dont M. le rapporteur pour avis, à
plusieurs reprises dans son rapport écrit, a justement souligné les avancées -
je relève d'ailleurs la contradiction qu'il y a entre l'exposé et la conclusion
- ensuite, elle condamne un comportement qui vous honore, monsieur le ministre.
En effet, lors du redéploiement, vous avez su remettre en cause votre décision.
C'est non pas une faiblesse, mais, au contraire, la marque d'une préoccupation
démocratique.
Nous avons tous connu des ministres soutenus hier par la majorité sénatoriale
pour qui toute prise en compte de l'opinion des élus du terrain semblait
équivaloir à un reniement, à une sorte de hara-kiri politique. Je regrette, je
déplore, je condamne cette attitude, que je juge partisane, car elle ne permet
pas d'avoir l'objectivité indispensable pour reconnaître les mérites d'un
budget de la gendarmerie maîtrisé et en augmentation importante.
Vos initiatives, vos propositions budgétaires, monsieur le ministre, montrent
votre volonté d'adapter la gendarmerie à une société en perpétuel changement.
Voilà qui mérite d'être soutenu et encouragé. C'est la raison pour laquelle le
groupe socialiste votera votre budget.
(Applaudissements sur les travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Husson.
M. Roger Husson.
Monsieur le ministre, le projet de budget de la défense que vous nous proposez
respecte, mais avec retard par rapport aux besoins, la loi de programmation
militaire pour les années 1997-2002.
Ce projet de budget représente, hors transfert des crédits destinés au
secrétaire d'Etat à la défense chargé des anciens combattants et hors pensions,
187,4 milliards de francs répartis entre 104,5 milliards de francs pour le
titre III - fonctionnement - et 82,9 milliards de francs pour le titre V -
équipement - soit une baisse de 1,3 % par rapport à 1999. Certes, cette
diminution n'est pas encore dramatique. Mais si ce budget n'est pas notablement
relevé dès 2001, nous irons droit vers l'incohérence stratégique et
opérationnelle.
Par ailleurs, si, dans cette quatrième année d'application de la loi de
programmation, les engagements relatifs à la professionnalisation sont
globalement respectés, on ne peut en dire autant de la politique d'équipement.
En effet, la subtilité est grande entre des crédits de paiement qui diminuent
fortement - moins 3,6 % - et grèvent ainsi la dotation des armées, et des
autorisations de programme qui augmentent - plus 1,6 % - mais qui ne sont pas
destinées aux domaines qui en auraient besoin, à savoir les moyens classiques
et les capacités de renseignement.
Pour la première fois depuis 1992, la dotation en autorisations de programme
est supérieure à celle des crédits de paiement. Or il faut savoir que, pour
l'année budgétaire, ce sont bien les crédits de paiement qui comptent, car ils
permettent aux armées de gérer leurs moyens.
De plus, la non-adéquation entre autorisations de programme et crédits de
paiement risque de provoquer, à terme, des retards dans le déroulement des
programmes.
Enfin, le niveau des autorisations de programme, tout en étant supérieur à
celui des crédits de paiement, reste insuffisant pour relancer l'ensemble des
commandes globales prévues telles que le missile M 51, l'hélicoptère NH 90 et
le Rafale.
Je constate donc que le titre V est sérieusement amputé par rapport à l'année
dernière et que, dans toutes les autres armées, en dehors de la gendarmerie qui
voit ses moyens réellement augmenter, les équipements sont sacrifiés.
Après cette brève analyse, je souhaite formuler trois remarques principales
sur le bugdet de l'armée de terre et une observation sur celui de l'espace, de
la communication et du renseignement.
S'agissant de l'armée de terre, la première remarque porte sur les titres III
et V.
Si le titre III du budget 2000 de l'armée de terre est en légère progression,
ce qui permettra une augmentation des jours d'entraînement, en revanche, le
titre V est en diminution de 3,8 % en crédits de paiement, ce qui sera de
nature à fragiliser notre industrie d'armement terrestre.
La deuxième remarque concerne les blindés. Le programme du char Leclerc se
poursuit normalement. La cible de quatre cent six chars reste, pour le moment,
inchangée et je m'en félicite. En effet, utilisé pour la première fois de
manière opérationnelle au Kosovo, ce blindé a montré son efficacité.
Avec la livraison de vingt-deux chars prévue en 2000, l'arme blindée cavalerie
pourra aligner deux cent trente-trois chars au 1er janvier 2001. Cependant,
leur déploiement nécessite leur accompagnement par des véhicules blindés de
combat d'infanterie, les VBCI, ce qui préoccupe au plus haut point les généraux
de l'armée de terre.
En effet, sans revenir sur l'historique de l'échec des tentatives de
coopération européenne, je rappelle qu'un appel d'offres, lancé en décembre
1998 par la Délégation générale à l'armement, est actuellement en cours. Un
choix définitif ne devrait pas intervenir avant le début du printemps
prochain.
Or le fabricant du char Leclerc, Giat Industries, et celui du véhicule blindé
léger, Panhard-Levassor, qui ont fait leurs preuves depuis longtemps en matière
de blindés, sont les entreprises les mieux placées pour enlever ce marché. De
plus, elles sont complémentaires. Leur qualité est donc un atout à utiliser et
c'est le moment de leur donner le coup de pouce industriel nécessaire, y
compris en anticipant, par exemple, des commandes pour le char Leclerc et le
VBL.
Ma troisième et dernière remarque a trait à l'aéromobilité.
La commande de cent soixante hélicoptères Tigre pour l'aviation légère de
l'armée de terre et la
Bundeswehr
est satisfaisante, mais l'absence
d'autorisations de programme pour la fabrication et la commercialisation de
l'hélicoptère de transport NH 90 suscite des interrogations, car il n'est pas
certain que le blocage allemand soit seul en cause. Quatre prototypes de ce
matériel existent ; le NH 90 est donc prêt.
Pourtant, lors du salon du Bourget, en juin dernier, aucune vente n'a été
enregistrée. Si, comme il se dit dans les milieux avisés, ce programme est
reporté à 2011, le risque de décourager nos partenaires italiens et néerlandais
est évident. Je souhaite, monsieur le ministre, avoir des précisions sur ce
dossier.
J'en viens maintenant au budget de l'espace, de la communication et du
renseignement.
Le conflit du Kosovo a montré que l'utilisation de l'espace, des
communications et du renseignement était indispensable à l'efficacité de nos
forces. Ce conflit a validé la pertinence des choix d'équipements effectués
depuis plus de dix ans. Il s'agit des programmes de satellites d'observation
Hélios I et II, et du programme de télécommunication spatiale Syracuse II.
Or cet enseignement ne reçoit, cette année, aucune traduction budgétaire. En
effet, je constate que le budget de l'espace est le plus touché par les
restrictions : sa dotation chute de 15,25 %.
D'autre part, je note une réduction des dépenses pour Hélios I, qui sera
remplacé par Hélios I B et, surtout, le décalage d'Hélios II, dont le lancement
n'est prévu qu'en 2003.
Enfin, je découvre que le programme devant succéder à Syracuse II est presque
arrêté.
Je veux bien admettre que l'abandon du projet de satellite d'observation radar
Horus, qui devait être mené avec l'Allemagne, explique en partie la diminution
des crédits consacrés à l'espace, mais cette situation n'est pas satisfaisante,
car elle oblige nos forces armées, lors d'opérations extérieures, à recourir
aux moyens que les Américains veulent bien mettre à leur disposition. Ce fut le
cas, d'ailleurs, au Kosovo, où un satellite d'observation Horus a manqué.
Enfin, je regrette que l'effort budgétaire pour la recherche-développement sur
les drones soit modeste au regard de leur potentiel. Quant au remplacement des
cinq drones perdus au Kosovo, je m'inquiète qu'il ne soit pas prévu dans ce
budget.
Avant de conclure, je souhaiterais dire quelques mots sur l'armée de l'air,
dont la situation se dégrade et dont la part dans le budget ne cesse de
diminuer.
A un moment où l'arme aérienne apparaît comme l'outil de gestion des crises et
des conflits, votre gouvernement, monsieur le ministre, lui alloue 34,5
milliards de francs, soit une diminution de 3,6 % par rapport au budget de l'an
dernier.
L'armée de l'air accuse donc une chute des dépenses d'équipement notable, avec
une baisse de 6,9 % de ses crédits de paiement et de 10,3 % de ses
autorisations de programme.
Certes, seize avions - un Rafale, douze Mirage 2000-D et trois Mirage 2000-5 -
seront livrés à l'armée de l'air en 2000, mais, pour la huitième année
consécutive, celle-ci ne commandera aucun appareil neuf.
Par ailleurs, la diminution des autorisations de programme a obligé à reporter
en 2001 la deuxième commande groupée de douze avions Rafale.
Quant à l'indispensable avion de transport futur, l'ATF, aucune commande n'est
prévue avant 2002, et ce malgré l'usure constatée de notre flotte de
Transall.
Enfin, les capacités d'entraînement de nos pilotes pourraient connaître une
nouvelle dégradation, compte tenu du calcul de la dotation de carburant.
Aux deux tiers de la loi de programmation, l'armée de l'air française alignera
donc quatre-vingt-dix avions de combat nouvelle génération sur les trois cents
prévus, et il en sera de même en 2002. Il faudra attendre la fin de 2005 pour
que l'armée de l'air constitue son premier escadron opérationnel de vingt
Rafale, portant ainsi sa force aérienne de combat à cent dix appareils de la
dernière génération sur les trois cents prévus.
Face à cette situation, je me demande quelles pourront être sa place et ses
missions dans une éventuelle défense européenne si elle doit s'y associer avec
des moyens aussi limités.
Bien entendu, j'espère que les travaux de préparation de la nouvelle loi de
programmation militaire comporteront une réflexion d'ensemble sur le rôle
actuel et futur de l'arme aérienne d'où devront découler la définition et le
volume des équipements nécessaires.
En conclusion, je dirai que ce budget est lourd de menaces pour l'avenir et
que vous avez du mérite, monsieur le ministre, de le défendre !
Compte tenu d'une croissance économique exceptionnelle, il aurait dû être
celui du rattrapage. Il marque au contraire une étape supplémentaire dans un
processus d'affaiblissement de nos forces armées et constitue donc une nouvelle
encoche à la loi de programmation militaire.
Cette encoche, d'environ 3 milliards de francs, est d'ailleurs en flagrante
contradiction avec l'engagement pris, l'année dernière, par le Premier ministre
de maintenir jusqu'en 2002 à 86 milliards de francs le montant des crédits
d'équipement. Déjà, en 1998, l'encoche avait fait chuter le titre V à 81
milliards de francs.
La France peut-elle rester une grande puissance respectée si elle ne dispose
pas d'équipements militaires neufs, performants et adaptés aux nouveaux enjeux
de la défense ?
Pour toutes ces raisons, vous comprendrez, monsieur le ministre, que je ne
vote pas ce budget.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Penne.
M. Guy Penne.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat
budgétaire me donne l'occasion d'intervenir sur un sujet d'une très grande
actualité, en sachant que je prends le risque d'être peut-être dépassé au
moment même où je parle par des événements qui se succèdent à très grande
vitesse. Ce sujet, vous l'aurez deviné, c'est la défense européenne.
Il est heureux que notre débat ait lieu aujourd'hui. Il nous permet de vous
interroger, monsieur le ministre, sur les propositions françaises que vous
formulerez lors du sommet d'Helsinki, qui aura lieu les 10 et 11 décembre.
Un consensus certain existe pour signaler que l'instauration d'une paix
durable sur le continent européen est l'un des fondements de la construction
politique européenne. Et, en effet, dans ce sens, ce projet politique a été une
réussite. Depuis 1945, les pays de l'Union européenne vivent en paix. On ne le
répétera jamais assez !
Cependant, l'effondrement et la disparition du bloc soviétique, les tensions
sociales et politiques accumulées autour de notre continent, à l'Est et au Sud,
peuvent nous poser des problèmes de sécurité. Les conflits dans les Balkans et
la situation actuelle dans le Caucase nous incitent à la vigilance.
Or disposer des moyens adaptés pour ces crises éventuelles ou probables est
une nécessité inéluctable pour une Europe qui se veut active dans un monde
incertain. D'ailleurs, la prévention des conflits et la gestion des crises sont
inscrites dans le traité d'Amsterdam.
Les crises récentes ont renforcé notre conviction que les nations européennes
doivent accroître leurs capacités de défense leur permettant de conduire des
opérations dirigées par l'Union européenne de manière efficace ou de jouer
pleinement leur rôle dans les opérations de l'Alliance. L'énorme changement
réside dans le fait que les Européens semblent être disposés à agir d'une façon
autonome, avec ou sans l'Alliance atlantique, en fonction des circonstances.
Saint-Malo, Toulouse, Cologne, Londres, Paris, depuis un an les déclarations
se suivent et les actes commencent à prendre forme. C'est une accélération
bienvenue après les événements que nous avons connus ces dix dernières années
sur notre continent !
Aujourd'hui, un noyau dur des pays européens, dont la France, a décidé de
prendre ce problème récurrent à bras-le-corps.
D'abord, félicitons le Gouvernement, qui a su faire oeuvre de réalisme et de
patience là où d'autres avaient, encore récemment, échoué. La méthode choisie
depuis 1997, qui mêle pragmatisme, persuasion, volonté politique ferme et
clairement affichée, donne aujourd'hui ses premiers fruits.
Il y a deux ans, il était impensable d'espérer des résultats comme ceux que
l'on attend du Conseil européen d'Helsinki. Les récents sommets
franco-britannique et franco-allemand ont permis de peaufiner les propositions
qui seront discutées lors de ce Conseil européen.
Le constat a déjà été établi à maintes reprises : en Europe, il y a un million
de soldats, mais nous n'avons pas été capables d'en mobiliser 40 000 dans les
Balkans !
L'UEO s'est livrée à la confection d'un audit des capacités européennes
actuelles. Le résultat de cet utile inventaire montre que les Européens
possèdent, en principe, les niveaux de forces et de ressources nécessaires pour
préparer et mettre en oeuvre des opérations militaires sur tout l'éventail des
missions de Petersberg, c'est-à-dire des missions humanitaires et d'évacuation
de ressortissants, des missions de maintien de la paix et des missions de
forces de combat pour la gestion des crises, y compris des opérations de
rétablissement de la paix.
L'UEO a aussi précisé les domaines sur lesquels doivent porter les efforts les
plus urgents : le renseignement stratégique ; la planification stratégique ; la
disponibilité et la mobilité des forces, leur interopérabilité et la nécessité
d'états-majors multinationaux interarmées.
Selon cette étude, les forces armées des pays européens souffrent d'un manque
de déploiement rapide ainsi que de lacunes en matière de renseignement, de
transport aérien et naval et de structures de commandement. Les pays européens
ont des carences, l'audit l'a montré, mais il a aussi montré l'existence de
capacités dont les pays concernés ne sont pas tous conscients. Il s'agit, et ce
n'est pas simple, de mettre en place des politiques communes pour profiter des
capacités et des compétences aujourd'hui éparpillées. Voilà l'enjeu du prochain
sommet d'Helsinki et des mois à venir !
Or les décisions déjà prises à Cologne ne peuvent être mises en oeuvre que si
les mécanismes de décision politique se fondent sur un dispositif d'expertise
et sur des moyens militaires crédibles.
Je prends l'exemple du renforcement des capacités européennes de transport
stratégique aérien qui apparaît comme une nécessité majeure.
Ce constat s'accompagne bien évidemment de son corollaire opérationnel et
industriel : il existe un besoin commun européen d'un nouvel avion de
transport. Cet avion, l'ATF, intéresse au plus haut point l'industrie
aéronautique européenne, et sa fabrication aurait des retombées très
importantes pour notre pays, d'autant qu'il s'agit d'un projet sur lequel la
nouvelle société EADS pourrait montrer tout son savoir-faire, et faire ainsi la
preuve de la pertinence de sa création.
En effet, et c'est un autre aspect de la construction d'une identité
européenne de défense, le rapprochement de nos industries d'armement s'est
soldé, au moins provisoirement, par la création de la nouvelle EADS. La fusion
de Aérospatiale-Matra et de DASA devrait faciliter les coopérations autour de
programmes communs.
Pour parachever cet aspect de la construction européenne, il serait nécessaire
d'harmoniser les besoins futurs des pays concernés. Concrètement, et je pense
que c'est un point très positif, nos amis britanniques et allemands semblent
d'accord pour que cette harmonisation puisse se faire sur le renforcement des
capacités de renseignement, le renforcement de la mobilité stratégique et le
renforcement des capacités de commandement et de communications.
Les leçons de la crise et du conflit du Kosovo avaient conclu à la nécessité
d'apporter des solutions sur ces trois aspects. Ainsi, le développement de nos
capacités militaires dans ces domaines pourrait se faire dorénavant dans un
cadre industriel plus européen.
Monsieur le ministre, les mesures comprises dans le « plan de travail »
proposé par la France aux partenaires de l'Union européenne conjuguent une
approche pragmatique avec une attitude très ambitieuse sur le fond.
Je retiendrai deux éléments qui prouvent, à mon sens, cette orientation.
Tout d'abord, il est notamment proposé, au niveau stratégique et opératif, que
les Etats disposant de structures de commandement interarmées adaptées puissent
permettre une utilisation de ces structures par l'Union européenne. Le maintien
intégral, à tout moment, des capacités nationales de commandement sera
strictement assuré. Voilà pour l'aspect pragmatique.
Voyons maintenant un aspect très ambitieux de ce plan de travail - mais ce
n'est pas le seul.
A court terme, c'est-à-dire d'ici à 2002, « nous devons être en mesure de
déployer, sur une durée au moins égale à un an et hors le territoire de
l'Union, une force terrestre de réaction rapide avec un accompagnement
permettant d'obtenir la maîtrise de l'espace aérien et une force navale
comprenant à la fois un groupe aéronaval et un groupe amphibie. En termes de
volume, cela devrait représenter l'équivalent d'un corps d'armée de 50 000 à 60
000 hommes, 300 à 500 avions, dont 150 de combat, et une quinzaine de grands
bâtiments de combat. »
Toutefois, il faut constater aujourd'hui l'écart existant entre Etats
européens, en ce qui concerne aussi bien leurs budgets militaires que leurs
capacités opérationnelles. Certains Etats dépensent très peu pour leur
sécurité, dans la mesure où ils se reposent sur la puissance américaine.
Or nous savons bien qu'il est illusoire d'augmenter les ressources et de faire
croître les dépenses de défense des pays membres - la tendance va dans le sens
contraire - et qu'il s'agit plutôt d'utiliser les ressources existantes, avec
davantage de bon sens, et de rationaliser les dépenses. Je crois que c'est ce
que vous pensez aussi, monsieur le ministre.
Alors, comment va-t-on faire pour donner un caractère cohérent et homogène aux
contributions des pays membres et, surtout, quel devra être l'apport de chacun
?
Un constat s'impose : l'Europe ne deviendra une véritable puissance autonome
que lorsqu'elle disposera des moyens, notamment militaires, de faire respecter
ses valeurs et ses intérêts. La décision de développer des capacités militaires
sera une étape importante, en phase avec le rôle croissant de l'Europe dans le
monde. Il est évident que l'élaboration d'une politique européenne de sécurité
et de défense renforcera l'aptitude de l'Europe à influer sur le cours des
événements et à devenir, dans tous les domaines, un acteur d'envergure
mondiale, capable de diffuser et de faire respecter les valeurs qui nous sont
chères, en tout cas à nous, Français.
Votre projet de budget représente pour la France un effort souvent supérieur à
ceux de bien d'autres pays. Aussi, pour mener la politique qui convient à la
France, au nom du groupe socialiste, je vous apporte notre confiance.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis de
ceux qui auraient aimé voter le budget de la défense, et ce pour plusieurs
raisons. Certaines tiennent à votre personne, monsieur le ministre, à l'amitié
que nous vous vouons, au respect que nous avons pour la manière dont vous
assumez, non sans difficulté, nous le savons, les tâches qui sont les vôtres.
Mais vous êtes enfermé dans un système global qui s'appelle le Gouvernement,
lequel vous impose probablement quelques contraintes sur le plan des
équipements comme du fonctionnement.
C'est pourquoi je suis bien sûr amené à m'associer à la décision des deux
commissions compétentes en la matière, qui, l'une et l'autre, ont conclu que,
malgré vos qualités et votre dévouement, le présent projet de budget n'était
pas acceptable en l'état. Je le regrette, d'autant que j'ai le sentiment que,
sur un certain nombre de points, nous partageons les mêmes préoccupations.
Le 13 octobre dernier, lors de l'examen du projet de loi sur l'organisation de
la réserve militaire et du service de défense, je suis intervenu car j'ai
quelques responsabilités en matière de défense civile. S'agissant de
l'organisation générale de nos réserves, j'ai alors rappelé - M. Serge Vinçon,
qui rapportait le texte, s'en souvient - que, compte tenu des dangers auxquels
notre pays est exposé, de manière évidente ou subreptice, la notion de réserve
militaire et la notion de défense civile ne peuvent être dissociées, et qu'il
convient de préparer une réserve civile pouvant, à la limite, être mobilisée à
côté ou avec la réserve militaire.
Depuis, la situation a évolué et un certain nombre de faits ont été exposés
sur la place publique. Je pense, en particulier, à l'incidence de la réforme du
service militaire sur les deux grands corps de protection civile que sont le
bataillon des marins-pompiers de Marseille et la brigade des sapeurs-pompiers
de Paris. La disparition des appelés du contingent conduira à une modification
de fond du recrutement de ces deux corps, et donc à une modification du coût
réel de la protection de la population.
Il convient tout de même de rappeler que, entre Paris et la petite couronne,
d'une part, Marseille et son environnement, d'autre part, cela concerne, si mes
souvenirs sont exacts, quelque 9 millions d'habitants, en tout cas sûrement
plus de 6 millions, soit une partie importante de la population de notre pays.
Alors que nous examinons le projet de budget de la défense, on ne peut pas ne
pas rappeler qu'il y a là un problème.
Je n'ai pas le sentiment d'avoir trouvé, où que ce soit dans les bleus
budgétaires, l'amorce d'une solution au problème financier qui ne manquera pas
de se poser aux collectivités territoriales qui bénéficient de ce service
assuré par un corps militaire, mais dont elles remboursent les dépenses de
fonctionnement. Je le répète : je n'ai pas vu, ni dans votre projet de budget,
ni dans celui du ministère de l'intérieur, la réponse à une préoccupation que
je sens monter chez les responsables de ces deux grandes collectivités
urbaines.
J'en viens au deuxième point de mon intervention.
Le 13 octobre dernier, vous m'avez répondu d'une manière qui m'a satisfait
s'agissant de votre souci d'ouvrir les préoccupations de votre ministère à
celles du ministère de l'intérieur en matière de préparation de réserves
civiles. J'en prends acte. Comment ont évolué depuis cette date la réflexion et
les propositions du Gouvernement ?
A cette occasion, je voudrais attirer votre attention sur un point. Entre les
préoccupations de défense civile ou de protection civile telles qu'on les
connaît - mais se pose également le problème des unités d'intervention de
sécurité civile - et la réalité du mode d'action des armées, il y a une très
grande différence s'agissant de la préparation de l'intervention. Aussi, je
voudrais savoir si vous avez eu un dialogue sur ce sujet avec votre collègue de
l'intérieur.
Je m'explique. Lorsque, pour une raison ou pour une autre, les militaires
montent un exercice, ils le font en secret et avec le souci de créer une
difficulté événementielle pour celui qui sera chargé de mener l'exercice. Il
n'en va pas de même lorsqu'il s'agit d'exercices de défense civile, du moins
tels qu'ils sont actuellement menés par le ministère de l'intérieur. Or, vous
allez être amenés, à un moment ou à un autre, à réunir vos préoccupations et
vos forces. A cet égard, j'ai des lettres fort intéressantes de M. le
secrétaire général de la défense nationale dans lesquelles il suggère, sur ce
point précis, un certain nombre de pistes. Aussi, je souhaiterais savoir si
vous avez eu des échanges suffisamment complets avec votre collègue de
l'intérieur pour que, dans ce type d'exercices, l'événement intervienne sans
préparation.
Je sais bien que cela pose des problèmes plus difficiles qu'avec les
militaires. En effet, quand un événement inattendu se produit au cours d'un
exercice civil, on risque d'affoler la population. Cependant, la déclinaison,
pendant toute une journée, de documents préparés à l'avance sur des événements
pratiquement connus par les intervenants avant même qu'ils ne soient proposés à
leur sagacité est un système qui, me semble-t-il, ne prépare pas notre pays
comme il convient. C'est pourquoi je souhaiterais connaître les
complémentarités que vous envisagez de mettre en place entre l'expérience qu'a
votre ministère et les soucis de bonne éducation que peut avoir le ministère de
l'intérieur sur un sujet aussi sensible.
(Applaudissements sur les travées
du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Peyrat.
M. Jacques Peyrat.
Monsieur le ministre, je suis le dix-neuvième et avant-dernier orateur. J'ai
entendu certains exprimer leur inquiétude et leur morosité, adoptant parfois
une attitude un peu dure à l'égard de votre budget. D'autres, au contraire,
paraissaient se réjouir, estimant qu'il s'agissait d'un bon budget. Certains
semblaient penser que vous alliez même un peu fort.
De quoi s'agit-il, disait le maréchal Foch ?
En 1996, le Président de la République a eu le courage de décider le passage à
une véritable armée de métier et de penser parallèlement une nouvelle doctrine
de défense mieux adaptée à l'évolution internationale et conférant un rôle
majeur, à côté de la dissuasion, au principe de projection des forces, et de
forces professionnelles. Notre devoir est donc de mener à son terme cette
professionnalisation, qui constitue pour l'armée française une véritable
révolution culturelle, qu'elle a d'ailleurs acceptée.
Monsieur le ministre, je me place tout simplement dans la position d'un
observateur.
Pour réussir une armée de métier, il est nécessaire de réunir trois
conditions.
D'abord, il faut des effectifs militaires et civils en nombre suffisant.
Est-ce le cas ? Non ! Ensuite il faut des crédits de fonctionnement suffisants
pour permettre à tout le moins l'entraînement optimal des forces. Est-ce le cas
? Non plus ! Enfin, il faut des équipements modernes qui permettent à la France
de tenir son rang dans le concert international. Là encore, ce n'est pas le cas
!
J'examinerai d'abord les effectifs.
Ce budget, comme le précédent d'ailleurs, fragilise la marche vers la
professionnalisation puisque plus de 5 000 postes de civils ne sont toujours
pas pourvus dans les armées. Aussi, ce sont les militaires du rang qui sont
affectés à ces postes, et donc autant d'emplois de combattant qui ne sont plus
tenus. En l'occurrence, la loi de programmation militaire n'est pas respectée.
La conséquence directe de cette situation est une charge de travail accrue pour
les militaires en place et une moindre capacité d'action des unités. La marche
vers la professionnalisation est donc rendue incertaine.
C'est également vrai du fait de l'insuffisance des crédits de fonctionnement
et de la part toujours plus importante des crédits de rémunération, qui
dépassent, pour la première fois, 80 % du titre III. Cela signifie que les
crédits affectés à l'entraînement de nos forces sont bien insuffisants et,
surtout, très en deçà des normes d'une armée professionnelle.
Les crédits de carburant, il y a été fait allusion, sont en diminution. Ils
ont été évalués sur la base d'un certain coût du baril et d'un certain taux de
change du dollar. Or, le coût du baril et le cours du dollar ont évolué à la
hausse. Aussi, le maintien ou l'accentuation de cette différence reviendrait à
ponctionner les volumes, et donc à réduire l'activité des forces.
Il en va de même, cela a également été dit, pour le stock de munitions, qui a
été considérablement diminué après l'opération du Kosovo, même si
l'augmentation des crédits correspondants devrait permettre sa
reconstitution.
A ce sujet, il faut d'ailleurs regretter que le titre V serve de variable
d'ajustement au gré des impondérables pour payer la consommation importante de
munitions due aux opérations extérieures.
La dernière preuve de la fragilisation de la marche vers la
professionnalisation des troupes, c'est la réduction des activités et de
l'entraînement des forces.
En effet, si l'activité de l'armée de terre augmentera légèrement, selon vos
prévisions, pour passer de soixante-dix jours sur le terrain à soixante-treize
jours, on est loin encore des cent jours qui sont considérés comme la norme des
taux d'activité des armées professionnelles.
Il en va de même dans la marine et dans l'armée de l'air, où le nombre moyen
de jours de mer ou d'heures de vol est très inférieur à celui des marins et des
pilotes britanniques et américains.
Monsieur le ministre, c'est un peu comme si un avocat d'assises désertait les
prétoires et ne parlait plus suffisamment dans l'année, comme si un médecin
généraliste ne recevait plus de malades, ne faisait plus de visites à
l'hôpital, ou comme si un chirurgien ou un pianiste renonçait à s'entraîner
quotidiennement pour mieux opérer ou jouer Bach ou Mozart. C'est ça, en
réalité, l'entraînement, et les professionnels quels qu'ils soient ne peuvent
exercer que grâce à celui-ci.
Les effectifs des civils et des appelés ne sont pas assez nombreux pour
permettre aux militaires du rang d'être opérationnels en nombre suffisant. Les
crédits de fonctionnement, qu'il s'agisse du carburant ou des munitions, sont
insuffisants pour permettre l'entraînement optimal des forces.
Qu'en est-il des crédits d'équipement ?
On constate toujours la même insuffisance, ce qui obère notre capacité de
projection, fragilise notre autonomie d'action et menace la cohérence de notre
politique de défense.
Tout le monde semble s'accorder pour dire que le montant des crédits manquants
par rapport à ce qui était prévu dans la loi de programmation militaire s'élève
à plus de 50 milliards de francs, un orateur a même parlé de 59 milliards de
francs.
Or, 50 milliards de francs, c'est le prix de trois porte-avions
Charles-de-Gaulle
, alors qu'un seul porte-avions supplémentaire
suffirait pour que le groupe aéronaval, sur lequel repose toute la stratégie de
projection des forces, soit opérationnel douze mois sur douze, ce qui n'est pas
le cas aujourd'hui avec le seul
Charles-de-Gaulle
.
Avec ces 50 milliards de francs, nous n'aurions pas non plus à arbitrer, par
exemple, entre ce deuxième porte-avions et un quatrième sous-marin lanceur
d'engins, comme l'envisageait, tout à l'heure, l'amiral Philippe de Gaulle.
Nous pourrions également enfin engager ce projet indispensable de l'Avion de
transport futur, dont nous avons tant besoin. Voilà treize ans que nous en
parlons, tantôt avec les Espagnols, tantôt avec les Allemands. Ni ceux qui vous
ont précédé ni vous-même, semble-t-il, n'ont résolu ce problème.
Pour s'en persuader, il n'est que de constater le nombre de jours qui a été
nécessaire à nos pauvres Hercules C 130 pour rallier le Timor à partir
d'Orléans, en étant obligés de faire cinq escales. Pour l'opération de Kolwesi,
il avait fallu faire appel à des avions de ligne et nos parachutistes du 2e REP
avaient dû sauter avec des brellages plus ou moins défectueux, ce que
l'inspection du travail aurait certainement condamné !
En matière d'équipement, tous les budgets sont donc en baisse, la palme, si
j'ose dire, revenant au budget de l'espace, dont les crédits sont en chute
libre.
Cette baisse est d'autant plus incompréhensible qu'elle est en complète
contradiction avec les besoins mis en lumière par le conflit du Kosovo.
Elle entraîne - cela a été souligné - le report ou l'arrêt de la réalisation
de certains programmes, comme Hélios II, dont le lancement n'est prévu qu'en
2003, ou celui du satellite devant succéder à Syracuse II.
Comme à toute chose malheur est bon, pourquoi ne pas profiter de cette pause
forcée pour réfléchir à la construction de petits satellites radars, efficaces
par tout temps et qui ont la préférence, semble-t-il, de nos voisins italiens,
espagnols et allemands ?
Enfin, je ne voudrais pas conclure mon intervention sans évoquer les crédits
consacrés à la dissuasion, notamment cette baisse inquiétante du budget alloué
au projet « simulation », laquelle n'est pas encore opérationnelle et doit donc
demeurer une priorité.
Ce serait une faute grave que de baisser la garde et de relâcher notre effort
dans ce domaine à l'heure où les Etats-Unis, en refusant de signer le traité
d'interdiction des essais nucléaires et en reprenant leur projet de « guerre
des étoiles », risquent de relancer la course à l'armement.
Monsieur le ministre, passer à une armée de métier, équipée d'armes modernes,
composée d'hommes aguerris, entraînés et « projetables » sur des théâtres
d'opération éloignés, cela à un coût, j'en conviens, sûrement plus important
que celui qui était prévu initialement. Mais c'est le prix à payer pour
préserver l'indépendance de la France, maintenir son rang sur la scène
internationale et, par là même, lui conserver la place qu'elle tient dans la
résolution des conflits. Y renoncer serait une erreur, mais pis encore serait
d'y renoncer tout en continuant d'affirmer que la défense est une priorité
gouvernementale, alors que, hélas ! tel n'est pas le cas.
(Applaudissements
sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union
centriste.)
(M. Paul Girod remplace M. Jacques Valade au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD
vice-président
M. le président.
La parole est à M. Legendre.
M. Jacques Legendre.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis le
dernier orateur à intervenir dans ce débat. Disposant de peu de temps, je dois
donc aller à l'essentiel.
La France est encore un acteur important dans les affaires du monde. Elle est
encore une puissance, et nous entendons qu'elle le reste. Or le débat
budgétaire est l'occasion de vérifier que nous conservons un instrument
militaire digne d'une puissance.
Notre pays est-il toujours capable d'assurer par lui-même son ultime
protection en cas de menace vitale, grâce à la dissuasion ? A cette question,
vous répondez, monsieur le ministre, qu'il en est bien ainsi, et quand je vous
ai interrogé, au nom du groupe du Rassemblement pour la République, vous nous
avez donné en outre des garanties quant à la réalisation du laser Mégajoule,
qui est indispensable pour assurer la mise à niveau et l'avenir de notre
dissuasion.
Si j'insiste sur ce point, c'est parce que des voix s'élèvent, ici et là, pour
remettre en cause la nécessité de cette réalisation ou pour réclamer un
moratoire. Ceux qui réclament un moratoire dissimulent mal leur dessein
permanent : priver la France de sa capacité de dissuasion nucléaire. Au moment
où le Sénat des Etats-Unis refuse de ratifier le traité sur l'interdiction des
essais nucléaires, nous ne saurions en aucun cas accepter que l'adaptation de
notre force de dissuasion soit rendue impossible. Tant que ce sera nécessaire,
la France doit rester une puissance nucléaire.
Notre pays doit aussi être capable de mener, seul ou avec des alliés, les
opérations qu'il estime conformes à ses intérêts et à ses engagements.
Or, comment ne pas être encore sous le choc, monsieur le ministre, de
l'humiliation, de l'extraordinaire aveu d'impuissance que représente l'affaire
du Kosovo ?
Ainsi donc, pour mettre un terme aux exactions commises sur un territoire de
moins de deux millions d'habitants inclus dans un pays de dix millions
d'habitants, la France, la Grande-Bretagne, l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne,
associées à bien d'autres pays européens, n'ont pas suffi ? Il a fallu faire
appel aux Etats-Unis d'Amérique, qui ont apporté l'essentiel des moyens et
assumé la plus grande part des opérations. Quel aveu d'impuissance !
Imagine-t-on le président Clinton demandant à l'Europe d'intervenir pour lui
permettre de rétablir la démocratie au Nicaragua ?
Impuissance collective de l'Europe, et donc impuissance de chaque Etat
européen, y compris le nôtre... Quelle révélation de l'ampleur de l'écart qui
se creuse entre les Etats-Unis d'Amérique et une Europe aux visées confuses et
à l'organisation militaire embryonnaire !
Depuis cet événement, l'idée de défense européenne progresse, les gestes se
multiplient : déclaration franco-anglaise de Saint-Malo, échanges
franco-allemands, nomination de l'ancien secrétaire général de l'OTAN au poste
de responsable de la politique étrangère et de sécurité commune de l'Union
européenne, mais aussi à celui de secrétaire général de l'Union de l'Europe
occidentale... Fort bien ! Les Européens, dont nous-mêmes, s'agitent et
parlent. Mais la réalité est dans les chiffres.
Les budgets militaires des Etats européens ne traduisent pas la nécessité d'un
effort, et l'un des grands pays de l'Union européenne, l'Allemagne, réduit
fortement le sien.
La réalité, c'est lord George Robertson, le nouveau secrétaire général de
l'OTAN, qui l'évoquait en disant qu'ensemble les pays européens membres de
l'OTAN dépensent l'équivalent des deux tiers du budget américain de la défense
mais que l'affaire du Kosovo a démontré qu'ils étaient loin de disposer des
deux tiers des capacités américaines actuelles.
Alors, comment être crédibles ? Comment obtenir des Etats-Unis que les Etats
européens, rassemblés dans le pilier européen de l'OTAN ou dans l'UEO, soient
considérés comme une véritable puissance, si la contribution financière de
chacun de nos pays ne se hisse pas à la hauteur, en pourcentage, de l'effort
américain ? Notre ministre des affaires étrangères, M. Hubert Védrine, a
déclaré à juste titre que le renforcement des capacités militaires de l'Europe
doit s'accompagner d'un partage effectif de la décision. Mais comment
pouvons-nous justifier cette revendication sans consentir en même temps un
effort budgétaire suffisant ? L'histoire nous apprend que les politiques
proclamées doivent se fonder sur la réalité d'un effort consenti.
Ce budget aurait dû marquer le début d'un effort militaire qui nous rende plus
crédibles et nous permette d'être un exemple pour les pays européens et de nous
montrer plus exigeants vis-à-vis des Etats-Unis. Il n'en est pas ainsi, et
c'est pourquoi je voterai aujourd'hui contre ces crédits.
(Applaudissements
sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union
centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, la discussion des crédits du ministère de la défense inscrits au
projet de loi de finances pour 2000 intervient, plusieurs orateurs l'ont
souligné, à mi-chemin de l'exécution de la loi de programmation militaire, qui
sous-tend la transformation en profondeur de notre outil de défense. Le moment
est donc bien choisi, me semble-t-il, pour dresser un bilan venant compléter
les informations contenues dans le rapport qui a été remis au Parlement à la
fin du mois d'octobre.
Je tiens tout d'abord à réaffirmer que les engagements pris seront tenus.
Comme le Premier ministre l'a confirmé, le 22 octobre dernier, à l'Institut des
hautes études de défense nationale « l'exécution de la programmation en cours
et la professionnalisation des armées seront conduites dans les conditions et
selon le calendrier retenus ».
J'observe d'ailleurs que ce sera la première fois depuis bien longtemps que
l'exécution d'une loi de programmation sera menée à son terme, ce qui permet
peut-être de relativiser la pertinence des discussions pointilleuses à propos
d'un milliard de francs ici ou là, sur une masse totale de 500 milliards de
francs. En effet, point n'est besoin de remonter très loin dans le passé pour
retrouver la trace de certaines annulations de 20 milliards de francs de
crédits par rapport à ce qui avait été prévu par la loi de programmation alors
en vigueur et de l'interruption avant terme de l'exécution de plus de la moitié
des lois de programmation votées par le Parlement au cours des deux dernières
décennies !
L'adaptation de notre outil de défense est rendue nécessaire par l'évolution
du contexte géopolitique.
Pour cette année 1999, notre environnement international aura été
particulièrement marqué par deux faits majeurs : la crise du Kosovo, d'une
part, et la convergence des politiques européennes de défense, d'autre part.
Ces deux événements, qui confortent les choix que notre pays a opérés depuis
plusieurs années, depuis la parution du Livre blanc de 1994, confirment donc
une orientation qui dépasse, bien entendu, l'horizon de l'exercice en cours,
celui du projet de loi de finances pour 2000, et même celui de l'actuelle loi
de programmation. Il s'agit d'un engagement à long terme, qui ne néglige
absolument pas, monsieur Lefebvre, les efforts de prévention et
d'accompagnement politique et civil des conflits. Cependant, une puissance
pacifique et une puissance incapable d'agir, ce n'est pas la même chose ! Je
crois que nous pouvons tomber d'accord sur le fait que notre dispositif de
défense a vocation, dans l'avenir, à rester pleinement cohérent avec une
orientation politico-stratégique approuvée d'ailleurs par la grande majorité
des membres de cette assemblée.
Je voudrais revenir d'un mot sur la récente crise du Kosovo.
Les enseignements qui en ont été tirés ont permis de dégager des motifs de
satisfaction, très loyalement rappelés par nombre d'intervenants, mais
également d'identifier les efforts qui restent à fournir.
Ce conflit a confirmé le bien-fondé de nos principaux choix en matière de
défense, qui trouvent leur traduction dans l'actuelle loi de programmation : la
professionnalisation de nos forces, l'effort porté sur le renseignement et
l'accent mis sur les capacités et les moyens de projection.
Nous sommes aujourd'hui réunis pour la première discussion budgétaire suivant
cette opération, qui a vu l'engagement résolu de nos forces et de nos
personnels. Je crois donc l'heure bien choisie pour exprimer notre satisfaction
que notre pays ait pris une part significative dans l'action des alliés et
qu'il ait été le premier, et de loin, des contributeurs européens aux
opérations aériennes, qui ont été décisives. Aujourd'hui encore, nous tenons
une place tout à fait déterminante dans le dispositif terrestre, qui est
constitué aux trois quarts par des Européens solidaires. Cela a été souligné
par certains orateurs, mais peut-être pas autant que je l'aurais souhaité.
Certes, des lacunes ont été constatées, qui concernent certaines de nos
capacités techniques. Bien plus encore, nous ne disposons pas de certains
matériels en quantité suffisante. Cela nous conduit à déterminer quelles seront
nos priorités dans l'avenir, mais, pour l'essentiel, nos choix antérieurs se
trouvent confortés.
Mais le conflit a également démontré une fois de plus - nous le savions de
longue date, monsieur Legendre, et si des mesures avaient été prises plus tôt
dans ce domaine, nous ne serions pas en train d'en débattre aujourd'hui - que
l'Europe doit se doter de capacités stratégiques conjointes, que nous devrons
définir ensemble.
Je remarque d'ailleurs la diversité des opinions qui se sont exprimées
aujourd'hui : certains orateurs se sont montrés très soucieux de la cohésion
européenne en matière de défense, d'autres pas du tout. Il me semble donc que,
sur un sujet comme celui-ci, l'opposition républicaine est largement aussi
plurielle que la majorité !
En ce qui concerne la politique du Gouvernement, nous estimons être entrés,
depuis le sommet de Saint-Malo de l'année dernière et, pour l'ensemble de
l'Union européenne, depuis le sommet de Cologne du mois de juin, dans une phase
fondamentalement nouvelle de l'édification de l'Europe de la défense et de la
sécurité qui avait été permise par certaines clauses - pourtant critiquées à
l'époque - du traité d'Amsterdam.
Concrètement, afin de renforcer l'influence de la politique étrangère et de
sécurité commune sur la scène internationale, nous engageons l'Union européenne
à se doter d'une capacité d'action autonome, soutenue par des forces militaires
crédibles.
Je ne reviendrai pas sur la succession de rencontres internationales de ce
dernier mois, qui s'achèvera dès demain avec le sommet des chefs d'Etat et de
gouvernement d'Helsinki. Mais j'appelle l'attention du Sénat sur l'élément tout
à fait considérable que constitue le rapport de la présidence finlandaise qui
sera présenté à cette occasion. Ce rapport montre en effet que l'élan imprimé
par le conseil européen de Cologne porte ses fruits et que l'Union européenne
va se doter d'outils de décision politiques et militaires, ainsi que des
capacités correspondantes, en vue de pouvoir mener, si nécessaire, des actions
autonomes pour le maintien de la paix en Europe.
Certes - plusieurs orateurs m'ont, de façon judicieuse, interrogé sur ce point
- des nuances subsistent entre certains des partenaires européens. Le débat
sera donc riche à cet égard après-demain à Helsinki. Mais le document qui a été
préparé et approuvé lors de la dernière réunion des ministres des affaires
étrangères avant-hier, ainsi que les prises de position très convergentes de
beaucoup de gouvernements européens qui étaient jusqu'à présent partagés, nous
montrent que l'élan imprimé il y un an par l'initiative franco-britannique est
déjà significatif et que, très vraisemblablement - j'en apporte en tout cas
l'augure au Sénat ce soir - la réunion d'Helsinki préparera pour l'année 2000
tout un mandat de travail dont la présidence portugaise puis la présidence
française auront ensuite à réaliser les étapes.
Il est clair - M. le Premier ministre l'a dit, et j'avais personnellement
souhaité que cela soit exprimé officiellement - que cette dimension européenne
et ses répercussions en termes de capacités militaires aussi interopérables et
modulables que possible au sein de forces multinationales seront prises en
compte dans la future loi de programmation, que j'ai l'intention de préparer en
dialogue avec mes collègues des principales nations européennes.
Avant d'évoquer le projet de loi de finances pour 2000, je souhaiterais
revenir brièvement - vous me pardonnerez d'être sommaire puisque notre temps
est compté - sur l'exécution du budget de 1999, qui a subi, bien sûr,
l'influence des engagements internationaux que je viens de rappeler.
A cet effet, des apports complémentaires en titre III ont été nécessaires : 4
milliards de francs ont été dégagés cet été grâce à un décret d'avances et 800
millions de francs vont être ouverts dans la loi de finances rectificative qui
est en discussion aujourd'hui même à l'Assemblée nationale, afin de poursuivre
l'apurement de la situation financière du ministère. Nous achèverons ainsi
cette année 1999 avec les reports de dépenses sur l'année suivante les plus
faibles de la décennie.
Ces apports ont, certes, été gagés par le titre V en crédits de paiement - j'y
reviendrai - mais pas en autorisations de programme, cela aussi pour la
deuxième fois seulement de la décennie.
La capacité d'engagement et de réalisation des programmes des budgets de la
défense dans le cadre de la présente loi de programmation n'est pas entamée. Au
demeurant, ma tâche serait plus facile s'il en avait été ainsi au cours des
lois de programmation précédentes !
Les mesures prises en cours d'année ont été décidées avec le souci de ne pas
perturber la gestion en cours et, surtout, de ne pas obérer notre capacité à
engager les programmes et opérations nécessaires.
J'ajoute, sans entrer dans le détail de dispositions qui sont assez techniques
- mais les sénateurs qui examinent de près la gestion financière des 190
milliards de francs de mon ministère le savent - que les services du ministère,
mon équipe et moi-même apportons un soin tout particulier à rendre beaucoup
plus lisibles nos outils de gestion, à en faire un moyen de dialogue avec le
Parlement mais aussi de comparaison avec nos partenaires européens.
Nous essayons aussi d'améliorer nos procédures financières, comme cela a été à
nouveau recommandé par plusieurs orateurs, de manière, en particulier, à
assurer un partenariat efficace avec l'industrie.
Une nouvelle fois, les reports de charges seront réduits et le montant des
intérêts moratoires atteindra un nouveau record minimal de la décennie, ce qui
n'a pas toujours été le cas antérieurement.
J'en viens au projet de loi de finances pour 2000, au travers duquel nous nous
attachons à poursuivre la réalisation de la loi de programmation, dans les
conditions redéfinies par la revue de programmes. Il vise donc à financer la
nouvelle défense professionnelle et la modernisation de ses équipements.
L'adaptation de notre système de défense concerne d'abord les hommes, et je
remercie les nombreux sénateurs qui, dans leurs interventions, positives ou
critiques, ont souligné l'engagement, le dévouement, le professionnalisme des
personnels militaires et civils de la défense qui, aujourd'hui, contribuent à
la réussite de cette transformation profonde, démontrent leur motivation comme
ils ont démontré, lorsqu'il a fallu les engager au combat, leur courage et leur
esprit de service.
Le chemin parcouru depuis trois ans nous permettra, grâce au budget proposé,
d'atteindre les objectifs de la programmation. L'évolution du nombre d'appelés
mais aussi d'officiers et de sous-officiers est conforme à la programmation.
Par ailleurs, les départs de cadres s'effectuent dans de bonnes conditions, sur
la base du volontariat, grâce aux moyens financiers qui ont été prévus.
Chacun a à l'esprit qu'une professionnalisation réussie ne doit pas
s'accompagner d'un vieillissement des effectifs et qu'il faut pouvoir - la
situation du marché du travail nous facilite d'ailleurs la tâche - inciter les
professionnels à partir en cours de carrière afin de maintenir une pyramide des
âges équilibrée.
La professionnalisation est également conditionnée par la montée en puissance
des effectifs de militaires du rang engagés et de volontaires. Les effectifs
d'engagés augmentent, au titre de cette loi de finances, de 8 500 postes. Nous
atteindrons ainsi, en conformité avec la loi de programmation, l'objectif de 76
340 militaires du rang engagés en 2000.
Comme l'ont souligné plusieurs intervenants, les recrutements se déroulent
dans de bonnes conditions. Les objectifs pour 1999 ont ainsi été atteints à 100
% dès le mois d'octobre dernier.
Pour ce qui est de la réalisation des effectifs de personnel civil, qui sont
essentiels afin de réaliser le recentrage de chaque catégorie de personnels de
défense sur ses métiers fondamentaux, je note avec intérêt que leur accueil
dans les unités se déroule dans d'excellentes conditions, alors que c'était
auparavant une vraie révolution. Chacun a le souci de comprendre l'autre et
d'aménager, dans le respect des missions et des droits des uns et des autres,
la collaboration.
Se pose cependant la question du nombre d'emplois non pas créés mais pourvus
en personnels civils. Nous nous sommes déjà expliqués sur ce point lors de
discussions précédentes : il est légitime de demander au ministère de la
défense, qui enregistre des sureffectifs de personnels civils dans un certain
nombre de spécialités et d'établissements, de s'efforcer de les reclasser, de
les reconvertir. Mais cela demande du temps ! C'est la cause principale, chacun
le comprend, de la proportion, légèrement inférieure à 10 %, des postes civils
aujourd'hui non encore pourvus.
Cette proportion va être réduite en 2000 grâce à l'intensification des
recrutements de fonctionnaires parmi les personnels civils. Ainsi, 4 300 postes
vont être mis au recrutement au cours des premières semaines de l'année 2000,
et l'effort en matière d'organisation des concours est maximal.
Il existe toutefois des facteurs de rigidité, dont certains correspondent à
des pesanteurs sociales, aux droits statutaires des personnels concernés, et,
pour organiser une mobilité qui impose à la fois des déplacements géographiques
et des changements de spécialité professionnelle, nous devons prendre des
mesures de transition.
C'est la raison pour laquelle j'ai décidé de consacrer une partie des sommes
rendues disponibles par les emplois non pourvus à des postes de sous-traitance,
qui représentent au moins l'équivalent de mille emplois supplémentaires. Ces
postes permettront une adaptation plus rapide des recrutements locaux et
complèteront les mesures de dégel des recrutements que j'ai pu annoncer à
l'Assemblée nationale voilà quelques semaines représentent trois cents postes
pour la fin de cette année.
La situation au regard des postes non pourvus de personnels civils est donc en
voie d'amélioration. Je remercie d'ailleurs ceux d'entre vous qui ont souligné
cette difficulté, car ce n'est pas parce que nous sommes en train, globalement,
de réussir la professionnalisation qu'il ne faut pas examiner avec beaucoup de
soin et de rigueur les points qui sont encore difficiles.
J'ajoute, en ce qui concerne la préparation de nos forces, qu'un autre volet
est aujourd'hui finalisé au plan législatif : je veux parler du dispositif des
réserves, qui a été adopté par les deux chambres du Parlement au cours des
dernières semaines et qui est entré dans sa phase de mise en oeuvre,
bénéficiant à cet effet de nouveaux crédits complémentaires. La dotation totale
de fonctionnement des réserves s'établira ainsi à 350 millions de francs pour
l'année 2000.
En matière de fonctionnement, à la suite de la « revue du titre III » qui a
été conduite au sein du ministère au cours des premiers mois de cette année,
des marges de manoeuvre ont été dégagées : elles permettent d'abonder les
dotations d'alimentation et de fonctionnement courant.
Le projet de loi de finances pour 2000 prévoit ainsi une forte augmentation
des crédits de fonctionnement de l'armée de l'air et de la marine : 21,4 % pour
la marine, 14,8 % pour l'armée de l'air.
L'armée de terre, dont les effectifs sont en baisse compte tenu du processus
de professionnalisation et des restructurations d'unités, voit malgré tout sa
dotation de fonctionnement stabilisée, ce qui, compte tenu de ses nouveaux
effectifs, lui permettra d'élever son taux d'activité dès l'année 2000 de
soixante-dix jours à soixante-treize jours.
En ce qui concerne les temps d'activité ou d'entraînement au sein de l'armée
de l'air - sujet évoqué par plusieurs d'entre vous - je voudrais rappeler que
le bilan est le suivant : les heures d'activité prévues étaient de 315 000 en
1998, dont 308 000, c'est-à-dire 98 %, ont été réalisées. En 1999, le nombre
d'heures prévues était également de 315 000, et il sera réalisé. En 2000, les
crédits prévus permettront de passer le nombre d'heures à 317 000. Il n'y a
donc pas d'altération de la capacité d'entraînement de l'armée de l'air. Et,
puisque des comparaisons internationales ont été esquissées par certains
d'entre vous, je rappelle que la norme d'entraînement des pilotes pour les
avions de combat français est de 180 heures annuelles par pilote - ce
contingent d'heures est réalisé - tandis que cette même norme est de 190 heures
aux Etats-Unis, soit un niveau extrêmement comparable, et de 146 heures en
Allemagne fédérale.
J'en viens aux équipements.
Le budget pour 2000 garantit la modernisation des équipements de nos forces
tout en tenant compte des enseignements de la gestion des années
antérieures.
Ainsi, la dotation en autorisations de programme - 87,5 milliards de francs -
sera, en 2000, supérieure à ce qu'elle a été en 1998 et en 1999. Cela nous
permet de poursuivre l'effort accompli depuis plus de deux ans pour moderniser
notre politique d'acquisition et, en particulier, pour mettre en oeuvre les
commandes globales pluriannuelles qui étaient souhaitées depuis bien des années
sur toutes les travées de cette assemblée et qui sont maintenant une
réalité.
Vous avez pu me faire la remarque que cette politique de commandes
pluriannuelles, entamée dans les derniers mois de 1997, avait démarré avec une
certaine modestie. A ce jour, depuis la fin 1997, en 1998 et en 1999, nous
avons engagé au total plus de 45 milliards de francs à cette fin. De plus, nous
allons engager de l'ordre de 15 milliards de francs supplémentaires au cours de
l'année 2000, dont 7 milliards de francs pour le programme de missiles M 51.
Par conséquent, en trois ans et demi, 60 milliards de francs auront été
engagés sur des commandes pluriannuelles. C'est une ponction importante sur nos
disponibilités en autorisations de programme, puisque nous avons anticipé -
cela a été le cas avec le marché du
Tigre,
dont plusieurs intervenants
ont bien voulu saluer la signature au cours de l'année 1999 - sur des crédits
de paiement qui vont parfois s'étaler sur sept, huit ou dix ans. Quoi qu'il en
soit, cet effort budgétaire important a été accompli.
La dotation en crédits de paiement a été calculée en fonction des engagements
qui ont pu être réalisés au cours des années précédentes, car il ne suffit pas
d'inscrire des autorisations de programme dans le document budgétaire le jour
où celui-ci est soumis à l'approbation du Parlement, encore faut-il être
capable de conclure des engagements avec l'industrie sur la base de programmes
véritablement aboutis et permettant d'en faire démarrer l'application.
A cet égard, que s'est-il passé ? Les exercices 1995 et surtout 1996, où moins
de 70 milliards de francs ont pu être engagés, nous ont handicapés dans la
réalisation de programmes que nous avons dû engager plus tard parce qu'ils ne
l'étaient pas.
En revanche, au cours des deux années 1997 et 1998, près de 90 milliards de
francs ont été engagés et ce niveau sera dépassé au cours de l'exercice 1999.
Les autorisations de programme disponibles depuis tant d'années parce que du
retard avait été pris sont donc aujourd'hui mieux consommées. Chacune de ces
trois dernières années, le Gouvernement aura ainsi réellement engagé, pour des
programmes débouchant sur des réalisations d'équipements militaires, des sommes
plus importantes que celles dont il disposait en autorisations des programme
pour l'année considérée.
Vous pouvez être assurés que cet effort de rattrapage qui a, là encore, dû
être fait parce qu'il était à faire, aboutira au cours des années qui viennent
à une remontée de niveau des crédits de paiement consommés. Il n'aurait pas été
de bonne gestion financière d'inscrire dans la loi de finances pour 2000 des
crédits de paiement correspondant à un montant supérieur à ce que nous savons
pouvoir consommer.
Malgré les propos sympathiques qui ont été tenus par certains, mais qui
tendaient à me ramener au statut de chèvre de M. Séguin, condamnée à être
dévorée par le loup de Bercy au petit matin
(Sourires),
j'assume
pleinement le niveau des crédits de paiement pour l'année 2000, qui me semble
correspondre à un choix judicieux en matière de gestion financière et qui sera
complété, chacun le sait ici, par des reports de crédits qui seront encore
relativement importants à l'issue de l'exécution de 1999.
Je me réjouis d'avance des bilans que nous pourrons tirer, lors de la
discussion du projet de loi de finances pour 2001, des résultats pratiques qui
seront issus de ce choix d'inscriptions budgétaires.
Je ferai maintenant quelques constats sur les principaux grands programmes.
Dans le domaine de la dissuasion, les dotations prévues permettent la
poursuite des grands programmes tels qu'ils ont été définis par la loi
elle-même et après la revue de programmes de 1998. Sont ainsi prévues en 2000
la commande du quatrième sous-marin nucléaire de nouvelle génération, la
poursuite des travaux, avec un engagement majeur, sur les programmes de
missiles M 51 et ASMP-A, dont les mises en service restent prévues aux dates
programmées. Nos engagements en matière de dissuasion sont donc pleinement
respectés.
Dans le domaine spatial, avec la même volonté, nous mettons l'accent sur
l'étude des nouvelles technologies. A cet égard, la diminution en 2000 des
crédits de paiement consacrés aux programmes spatiaux résulte de deux faits
déjà connus de tous.
D'une part, les dépenses de maintien en condition opérationnelle du deuxième
satellite de la série Hélios I ne sont plus nécessaires, puisque, comme vous
avez pu vous en réjouir avec moi, nous avons salué vendredi dernier la réussite
de son lancement. Par définition, il n'est donc plus besoin d'un centime pour
assurer son maintien en position de disponibilité au cours de l'année 2000.
D'autre part, nous avons dû tirer les conséquences de la renonciation, que
j'espère temporaire, de nos amis allemands à une coopération sur le programme
de satellite radar, ainsi que de la renonciation, indéniablement définitive, de
nos amis britanniques à un programme commun en matière de télécommunications
spatiales.
Il reste qu'un travail est en cours pour compenser ces deux lacunes, qui ne
sont pas de notre fait.
Comme Bertrand Delanoë l'a fort justement remarqué tout à l'heure, nous
venons, lors du sommet franco-allemand, de signer un accord de coopération sur
la reprise du programme Syracuse III de télécommunications par satellite. C'est
une avancée importante et nos amis allemands prennent leurs responsabilités sur
ce choix financier majeur, qui se répercutera sur les lois de finances à
venir.
En ce qui concerne les matériels d'observation radar des perspectives restent
ouvertes avec certains partenaires européens. Je ne souhaite pas vous en dire
plus car nous en sommes encore aux phases exploratoires. Mais, indéniablement,
au terme de contacts entre les services et entre les gouvernements concernés,
les réflexions induites par la crise du Kosovo et par les insuffisances
reconnues entre Européens en matière de capacité autonome d'observation ont
amené plusieurs gouvernements européens à envisager une approche différente,
d'autant que la nouvelle technologie des petits satellites laisse entrevoir la
possibilité de développer un matériel d'observation radar à un coût nettement
inférieur à celui qui était envisagé dans le programme Horus.
J'en viens aux matériels classiques.
Avec la dissuasion et l'espace, les matériels classiques constituent le
troisième axe de modernisation de l'équipement de nos forces. L'acquisition de
ces matériels se poursuit conformément à la loi de programmation militaire en
vigueur.
En ce qui concerne l'armée de terre, les autorisations de programme, comme a
bien voulu le souligner M. Husson tout à l'heure, seront consacrées à la
commande de 44 chars Leclerc, mais également à la modernisation des réseaux de
transmissions et à l'achat de munitions qui permettront de rétablir nos
stocks.
En outre, les programmes de valorisation des systèmes sol-air Roland de
l'armée de terre et des véhicules AMX 10 RC débuteront également au cours de
cette année.
S'agissant de l'armée de l'air, le budget 2000, contrairement à une analyse
que je continue à ne pas comprendre et qui a été encore reprise dans cet
hémicycle cet après-midi, prévoit la livraison de seize avions de combat neufs
au cours de l'année 2000 - c'est une réalité, monsieur Blin ! - dont douze
Mirage 2000 D et les trois derniers Mirage 2000-5, en plus d'un Rafale.
Je suis un peu surpris, ayant entendu plusieurs intervenants évoquer l'absence
de commandes au cours des huit dernières années, qu'ait échappé à leur
attention la signature cette année de la commande de 48 Rafale ! Mais vous
a-t-elle vraiment échappé ?... Cette commande est financée par un montant
respectable d'autorisations de programme sur l'année 1999 ; elles font partie
des 45 milliards d'autorisations de programme que nous avons consommées.
J'ajoute qu'il était entendu, dès la signature du contrat, que la deuxième
tranche de cette livraison de 48 appareils serait à financer sur l'année 2001.
Il n'est donc pas exact de dire que cette tranche a été retardée : elle viendra
exactement à l'heure prévue aux termes du contrat signé avec la société
Dassault, c'est-à-dire au début de l'année 2001. N'ayez donc aucun souci : il y
a bien cohérence entre la place, d'ailleurs déjà tout à fait appréciable, qui a
été celle de notre armée de l'air, avec son équipement actuel, dans le conflit
du Kosovo et les perspectives d'équipement qui sont les siennes.
Je voudrais d'ailleurs souligner qu'aussi bien en ce qui concerne - M. Husson
l'a dit tout à l'heure - les chars Leclerc qui sont aujourd'hui en opération au
Kosovo qu'en ce qui concerne nos matériels aériens pendant la phase des frappes
aériennes, les conditions de maintenance et les niveaux de disponibilité de nos
matériels ont retenu l'intérêt de nos partenaires européens : ils sont très
nettement supérieurs à la moyenne des leurs.
S'agissant de la marine, l'année 2000 - plusieurs intervenants l'ont dit -
verra l'admission au service actif du porte-avion
Charles-de-Gaulle
et
le lancement de la réalisation de la première frégate
Horizon.
A cet égard, permettez-moi de souligner que ce n'est pas tant en fonction d'un
choix gouvernemental de nos partenaires britanniques que la frégate
Horizon
est une coopération seulement bilatérale avec l'Italie et non
pas une coopération trilatérale France-Grande-Bretagne-Italie. La preuve en est
que notre partenaire britannique a décidé de s'engager dans une coopération
trilatérale sur le système d'arme des frégates
Horizon
, qui représente,
à lui seul, 35 % de la valeur des bâtiments.
En revanche, il est vrai - je reviendrai sur ce point dans un instant - que la
réorganisation industrielle a abouti en Grande-Bretagne à une firme très
intégrée dans la compétition mondiale : BAe, aujourd'hui BAe System. Cette
dernière a posé des conditions à la coopération industrielle avec les firmes
françaises et italiennes qui n'ont pas paru réalistes aux autres partenaires
européens. C'est donc en fonction d'un choix d'entreprise et non pas d'un choix
politique que cette coopération a été ramenée à une coopération partielle à
trois et globale à deux partenaires seulement.
Je vous apporterai maintenant quelques précisions sur l'équipement de la
gendarmerie nationale et je ferai quelques commentaires sur le fonctionnement
de cette arme au cours de l'année 1999 et pour l'année 2000.
Les moyens d'équipement de la gendarmerie nationale permettent, comme c'était
prévu, la mise en place totale du réseau de transmission RUBIS entièrement
modernisé au cours de l'année 2000, ainsi que le développement de l'équipement,
notamment en matière bureautique, des unités périurbaines qui sont en cours de
développement, conformément aux décision du conseil de sécurité intérieure.
La politique de redéploiement, comme l'ont souligné MM. Masson et Rouvière, a
été « réinfléchie », « réanalysée » compte tenu des observations et des
objections qui ont été faites par les élus locaux. Cette politique nous a
permis d'aligner, en 1999, 700 militaires supplémentaires dans les zones
prioritaires. Cela s'est traduit par le renforcement de plusieurs dizaines de
postes, représentant souvent 10 % des effectifs du groupement dans les
départements les plus chargés.
Cette politique pourra être poursuivie. Elle nous épargne le risque de devoir
aligner, dans les zones les plus chargées ou les plus soumises à la pression,
les jeunes les plus récemment recrutés. Nous pouvons les affecter dans les
brigades les moins chargées et ainsi nommer des sous-officiers expérimentés
dans les zones les plus difficiles.
Monsieur Masson, l'expérience de fidélisation est encadrée par un protocole
conclu entre les deux institutions, police nationale et gendarmerie nationale,
sous la signature de M. Jean-Pierre Chevènement et de la mienne.
Les missions imparties aux unités mobiles stabilisées auprès des
circonscriptions de sécurité publique pendant une période de six mois sont
définies par les textes. Elles sont maintenant formalisées dans un décret.
Les conditions de commandement ne rompent pas la cohérence du commandement par
la gendarmerie nationale. Le mécanisme de coordination est en voie d'être testé
puisque les unités « fidélisées » sont sur le terrain depuis à peu près deux
mois. Il est convenu avec le ministère de l'intérieur de faire un bilan au
cours de l'année 2000.
Il s'agit là d'un effort supplémentaire, qui a permis de déployer, au service
des circonscriptions de sécurité publique où les besoins sont les plus forts,
plus de 1 500 personnels supplémentaires, et ce en quelques mois, du début à la
fin de l'année 1999. Cet effort sera poursuivi.
La fidélisation réduit-elle à l'excès la disponibillité des forces mobiles
?
D'une part - et le choix heureux du terme « fidélisation » appartient à M.
Jean-Pierre Chevènement - il s'agit non pas d'une sortie des forces mobiles
mais d'une affectation temporaire de six mois. Pendant les six autres mois de
l'année, ces unités continuent à s'entraîner et à intervenir en tant que forces
mobiles.
D'autre part, le constat objectif de l'emploi de ces forces ces dernières
années montre que - heureusement, au fond, pour le signe de santé que cela
représente pour notre société - les besoins en emplois pour le maintien de
l'ordre s'étaient tout de même allégés. Nous pouvions donc faire, pour une
fraction d'ailleurs limitée de l'effectif des forces mobiles, ce choix de
nouvelle affectation qui, j'y insiste, n'est pas irréversible.
Je voudrais enfin aborder brièvement un dernier aspect de ce projet de loi de
finances dont plusieurs orateurs ont relevé l'importance au cours de cette
année 1999, c'est celui des transformations de notre outil économique et
industriel, lequel est l'une des bases indispensables de notre système de
défense.
Dans le contexte très mobile où les chefs d'Etat et de gouvernement de la
Grande-Bretagne, de la France et de l'Allemagne s'étaient exprimés en décembre
1997 pour souhaiter des regroupements européens, nous avons, au cours de cette
année 1999, obtenu des accomplissements importants. Le groupe EADS, issu du
regroupement d'Aérospatiale-Matra et de DASA, récemment rejoints par l'Espagnol
CASA, constitue maintenant un des éléments majeurs du paysage industriel
mondial en matière d'aéronautique et de défense.
Nous avons également achevé la constitution d'un pôle électronique
professionnel et de défense, possédant lui aussi un potentiel de rayonnement
mondial, avec Thomson-CSF, ayant, aux côtés de l'Etat, le groupe Alcatel comme
premier actionnaire privé ; ce pôle permet de réaliser une synergie de plus de
27 milliards de francs annuels d'investissement, de recherche et
d'innovation.
J'ajoute que, de son côté, l'ensemble industriel britannique qui a été
constitué avec BAe System complète la structuration nouvelle du paysage
industriel européen.
Bien entendu, force est de constater qu'il existe aujourd'hui une forme de «
duopôle » dans l'industrie de défense européenne. Je pense que la taille et le
niveau technologique de nos industries justifient pleinement la présence de ces
deux grands groupes, qui sont en situation de collaborer.
J'attire votre attention sur le fait que, compte tenu des engagements dans des
groupements déjà constitués que sont Airbus ou encore Matra-BAe Dynamics, en
réalité, sur le chiffre d'affaires d'EADS, plus des deux tiers du chiffre
d'affaires d'EADS sont réalisés en collaboration avec BAe System.
De manière pragmatique, en préservant un certain potentiel de compétition qui
est naturellement utile pour stimuler l'innovation sur le territoire européen,
nous avons eu, en deux ans, une recomposition du paysage industriel de défense
sur lequel, je crois, bien peu auraient fait des paris voilà un an ou un an et
demi.
Nous devons continuer à travailler pour les industries d'armement nationales,
dont M. Lefebvre a rappelé l'importance.
Pour ce qui concerne la DCN, les réflexions menées ont permis au Gouvernement
de l'engager sur la voie de la modernisation, avec sa transformation en service
à compétence nationale. En effet, les mesures prises dans le cadre du plan
d'entreprise vont permettre à la DCN de répondre durablement aux besoins de la
marine nationale dans des conditions satisfaisantes de prix, de délai, de
performances et de qualité, grâce, en particulier, à la rénovation en
profondeur de son système de gestion. Ainsi, la DCN se place désormais dans une
logique d'opérateur industriel, qui, j'en suis convaincu, lui permettra de
nouer des partenariats porteurs d'avenir.
De même, GIAT Industries poursuit sa restructuration dans le cadre du plan
stratégique, économique et social, qui s'opére de façon satisfaisante.
La réponse à l'appel d'offres sur le véhicule de combat d'infanterie est en
cours de dépouillement, avec la diligence nécessaire. Le choix de ce matériel
devrait intervenir dans quelques semaines, et l'industrie française de
l'armement terrestre aura, bien entendu, une part majeure dans ce programme.
Pour soutenir les efforts du GIAT CAESAR à l'export sur ce programme
prometteur qu'est le canon automoteur, la décision de commander de cinq à dix
de ces équipements en faveur de l'armée de terre a été prise.
Le Sénat s'intéresse de très près aux impacts territoriaux de toutes ces
transformations. L'accompagnement de ces restructurations reste une priorité
pour le ministère ; j'en veux pour preuve l'augmentation des crédits consacrés
au fonds pour les restructurations de la défense, qui finance les mesures de
reconversion.
Il va de soi que le contexte économique que nous connaissons aujourd'hui et
auquel bon nombre d'orateurs de l'opposition ont peut-être naïvement rendu
hommage en soulignant à de multiples reprises le taux de croissance de notre
pays cette année et celui qui est prévu pour l'année prochaine - ce dont nous
ne pouvons que nous réjouir - ce contexte facilite naturellement les
reconversions auxquelles nous devons encore procéder et limite les impacts
douloureux dans les bassins d'emploi les plus concernés.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j'avais indiqué, l'an dernier dans cette
enceinte, qu'il était de notre devoir de rénover en profondeur l'outil de
défense de notre pays afin de l'adapter aux exigences des temps futurs, qui ne
seront pas nécessairement aussi calmes que nous le souhaiterions. Nous devons
poursuivre aujourd'hui notre effort. Tel est l'objectif du budget qui vous est
présenté. Le mouvement de rénovation est inscrit dans la durée.
Nous voulons donner à cet outil de défense, qui sera appelé, demain, à jouer
un rôle essentiel au coeur de l'Europe de la défense, des fondements solides et
durables.
Je sais que certains groupes, compte tenu de leur orientation politique, que
je respecte, souhaitent voter contre ce budget. J'ai cru percevoir dans les
motivations qu'ils ont affichées un effet de ricochet, puisqu'ils mettaient en
avant le contraste entre les bons résultats économiques de notre pays, dont
nous pouvons tous nous réjouir, je le répète et qui sont quelque peu dus à la
politique économique menée par ce gouvernement depuis deux ans - en tout cas,
si c'était le contraire, tout le monde serait d'accord pour établir un lien de
causalité - et les priorités politiques retenues par le Gouvernement en faveur
de la solidarité sociale.
Permettez-moi de penser que ces deux orientations ne sont pas sans rapport et
qu'une bonne politique de solidarité sociale nourrit et consolide la
croissance. Beaucoup d'économistes sont arrivés à cette conclusion, notamment
après l'observation des orientations de politique économique qui avaient marqué
la législature précédente en France.
Je constate en tout cas que ceux qui ont l'intention de voter contre comme
ceux qui ont l'intention de voter pour partagent des préoccupations légitimes
de priorité nationale et la volonté de faire jouer à notre pays le rôle qui
doit être le sien en Europe et dans le monde.
Quelle que soit l'issue de ce scrutin, naturellement influencé par des
considérations de politique générale qui sont parfaitement respectables, je
suis convaincu que le Gouvernement et le Sénat continueront à développer un
dialogue constructif et positif en faveur de la modernisation de notre outil de
défense et de l'accomplissement de nos intérêts stratégiques, ce dont je veux,
mesdames, messieurs les sénateurs, vous remercier.
(Applaudissements sur les
travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen,
ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l'Union centriste.)
(M. Jean Faure remplace M. Paul Girod au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
vice-président
M. le président.
Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits concernant le ministère
de la défense et figurant aux articles 40 et 41.
Article 40