Séance du 18 janvier 2000







M. le président. La parole est à M. About, auteur de la question n° 634, adressée à Mme le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.
M. Nicolas About. Madame le secrétaire d'Etat, notre pays accuse un retard considérable en matière de traitement de la douleur.
Sans doute notre culture judéo-chrétienne, qui considérait la souffrance physique comme une forme de rédemption, n'est pas étrangère à ce phénomène. Mais le corps médical, auquel j'appartiens, a également sa part de responsabilité : enfermé dans une technicité toujours plus poussée, il a négligé la prise en compte des souffrances du malade, occupé qu'il était à soigner les causes du mal plutôt que ses effets. Trop longtemps, la lutte contre la douleur est restée le parent pauvre de la médecine.
Un plan ministériel anti-douleur a été mis en place par votre prédécesseur, M. Kouchner. Ce plan comportait des mesures intéressantes, notamment l'utilisation d'antalgiques puissants à destination des enfants et la disparition du célèbre carnet à souches, qui limitait de manière absurde les prescriptions de certains produits morphiniques par les médecins, lesquels ne pouvaient que craindre de se voir éventuellement mis en cause.
Néanmoins, ce plan triennal fait l'impasse sur le renforcement des moyens actuellement mis à la disposition des services hospitaliers anti-douleur.
Au sein des hôpitaux de l'Assistance publique, ces centres sont encore rattachés aux services d'anesthésie-réanimation. En conséquence, ils ne sont pas prioritaires dans l'affectation des moyens qui sont globalement mis en oeuvre dans ces services. Pourtant, dans certains centres, beaucoup de médecins font preuve d'un très grand dévouement auprès de leurs patients et travaillent sans relâche pour les soulager. Faute de moyens en personnel, il sont aujourd'hui débordés, alors que l'état de leurs patients nécessiterait un examen et des soins approfondis. Est-il normal de faire patienter pendant des heures dans une salle d'attente des personnes, qui souffrent parfois le martyr, pour une simple consultation avec un spécialiste ?
Madame le secrétaire d'Etat, quelles mesures allez-vous prendre pour améliorer les services anti-douleur de l'Assistance publique ? A quand un renforcement de leurs moyens financiers et humains ? A quand une véritable reconnaissance de ces centres spécialisés, qui réalisent un travail remarquable, et souvent méconnu, auprès des malades ?
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale. Monsieur le sénateur, comme vous le rappelez dans votre question, le Gouvernement, conscient du retard pris en matière de lutte contre la douleur dans notre pays, a lancé il y a maintenant deux ans un plan triennal pour y remédier.
Ce plan, annoncé par Bernard Kouchner en mars 1998, était essentiellement composé d'une série de mesures destinées non pas à créer des structures hospitalières spécifiques de lutte contre la douleur, mais à aider l'ensemble des professionnels à modifier leur comportement face à la douleur.
En effet, cette lutte doit être collective. Elle doit d'abord être transversale à toutes les spécialités hospitalières et concerner tous les patients, quelle que soit la pathologie dont ils souffrent : des tout petits enfants jusqu'aux personnes très âgées en passant par les cancéreux, les personnes souffrant de douleurs chroniques rebelles et les personnes en fin de vie. Elle doit mobiliser l'ensemble des professions de santé, médecins hospitaliers, médecins de ville, infirmières bien sûr, qui sont essentielles dans la lutte contre la douleur, aides-soignantes enfin, car c'est souvent à elles que l'on ose dire que l'on a mal.
Il est également apparu important d'informer largement les patients de l'existence de moyens efficaces de lutte contre la douleur : celle-ci n'est plus une fatalité.
Il s'agit donc d'une attitude générale différente face à la douleur que le Gouvernement a cherché à promouvoir à travers ce plan triennal.
Dans ce cadre, il a été demandé aux établissements - par voie de circulaire budgétaire aux agences régionales de l'hospitalisation - d'inscrire la lutte contre la douleur au titre de leurs priorités de santé publique pour 1999, puis à nouveau pour 2000 - j'y ai veillé tout particulièrement -, à charge pour chacun d'eux de définir les moyens d'y parvenir. A cet égard, les efforts faits par l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris - AP-HP -, à propos de laquelle vous m'interrogez plus particulièrement, ont été tout à fait importants, même si ces efforts méritent d'être poursuivis ; du reste le plan triennal n'est pas encore parvenu à son terme.
Selon le dernier recensement disponible, il y a aujourd'hui à l'AP-HP douze consultations, huit unités et quatre centres de lutte contre la douleur chronique rebelle, pour un total, dans la France entière, de quatre-vingt-huit consultations, cinquante-huit unités et vingt-trois centres. Certes, ces structures sont encore fragiles et souvent liées aux services d'anesthésie-réanimation, qui sont les premiers à s'être mobilisés sur cette question. Mais les choses changent puisqu'il apparaît, selon une étude récente, que plus de 50 % des demandes de prise en charge pour douleur à l'AP-HP sont maintenant suivies par des équipes pluridisciplinaires incluant des neurologues, des rhumatologues, des médecins généralistes et des psychiatres.
En fait, l'augmentation notable des moyens médicaux qui ont été redéployés hôpital par hôpital au profit de cette activité - 32,2 médecins équivalents temps plein à la fin de 1998, pour 14,2 en 1992 - montre que la plupart des établissements sont devenus conscients qu'il faut consolider ces structures de lutte contre la douleur.
Par ailleurs, sur quarante et un hôpitaux et centres hospitaliers de l'AP-HP, trente-huit ont décidé, au cours de l'année 1999, de se doter d'un comité de lutte destiné à impulser, orienter, coordonner et suivre les actions menées contre la douleur dans l'établissement.
Ces éléments témoignent de ce que nous sommes parvenus à progresser vers l'objectif qui était le nôtre : que la lutte contre la douleur devienne une préoccupation collective de la communauté médicale plutôt que le combat de quelques-uns. Notre propos n'est pas de faire valoir une reconnaissance particulière à certains centres en tant que centres spécialisés : nous voulons faire en sorte que lutter contre la douleur soit un souci partagé par le plus grand nombre et que le savoir-faire en la matière soit diffusé le plus largement possible à partir de ceux qui le détiennent.
M. Nicolas About. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. About.
M. Nicolas About. Je vous remercie, madame la secrétaire d'Etat, de cette réponse, même si elle se situe essentiellement au niveau des grands principes et de l'intention. Je persiste en effet à considérer que nous accusons un grand retard dans la lutte concrète contre la douleur. Il faut, selon moi, encore accroître les moyens consacrés à la recherche, menée dans le cadre d'équipes pluridisciplinaires, ainsi que ceux de l'enseignement à cet égard.
Par ailleurs, il faut des femmes et des hommes sur le terrain, dans les services d'urgence, dans les consultations, capables de répondre au moment où la souffrance s'exprime, et pas seulement un comité anti-douleur au sein duquel on réfléchit toujours sur ce qu'il convient de faire ; il faut des personnes formées pour répondre directement à la souffrance des malades.
Cela étant, peut-être aujourd'hui a-t-on un peu moins mal qu'avant. Des efforts sont faits, c'est indiscutable, mais il est indispensable qu'ils soient amplifiés.

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