Séance du 3 février 2000
M. le président. Par amendement n° 65, MM. Braye, Doublet, Gérard, Gournac, Goulet, Larcher, Lassourd, Murat, Peyrat et Darniche proposent d'insérer, après l'article 9, un article additionnel ainsi rédigé :
« Le droit au logement n'autorise pas une occupation illicite de terrains ou la construction d'habitations hors des zones prévues à cet effet par le plan d'occupation des sols. »
La parole est à M. Braye.
M. Dominique Braye. Alors que l'on assiste à la sédentarisation d'une partie des gens du voyage, il est inacceptable que certains d'entre eux construisent des habitations de fortune sur des terrains agricoles, donc en zone non constructible, faisant fi non seulement du plan d'occupation des sols mais aussi des règles d'urbanisme, qui veulent, nous le savons tous, qu'on ne construise qu'en zone constructible et après obtention d'un permis de construire délivré par le maire.
Les maires, contraints ainsi d'aller en justice pour faire respecter le droit, se voient parfois déboutés par application d'une jurisprudence qui donne raison aux gens du voyage au nom du droit au logement.
C'est le cas, par exemple, d'un arrêt de la Cour de cassation du 28 mai 1997, qui a confirmé l'arrêt de la cour d'appel de Versailles, en reconnaissant coupables du délit de construction illégale des familles de gens du voyage qui avaient construit en zone agricole et en zone de servitude publique, en bordure de l'A 13, des cabanons qui sont devenus au fil du temps de belles propriétés, mais en les autorisant à se maintenir dans ceux-ci.
Cette décision pour le moins perverse, qui remet en cause les pouvoirs du maire en matière d'urbanisme, se fonde sur l'argument suivant : le droit au logement est une norme juridique supérieure au plan d'occupation des sols.
Cet arrêt, profondément incohérent, introduit un grave déséquilibre dans la hiérarchie des normes juridiques et est porteur d'une jurisprudence dangereuse. Comment nos concitoyens pourraient-ils d'ailleurs le comprendre et l'admettre, eux qui, quand ils veulent ajouter un Velux ou une terrasse à leur maison, doivent demander au maire un permis de construire qu'ils peuvent se voir refuser ?
Pourquoi la loi s'appliquerait-elle avec toute sa rigueur au commun des citoyens et non à une certaine catégorie de citoyens qui a décidé de pratiquer la politique du fait accompli ?
Une telle jurisprudence, née d'ailleurs d'une confusion des normes introduite par l'article 28 de la loi Besson, qui mettait en place le droit au logement, doit manifestement être corrigée, car elle menace l'équilibre juridique de notre pays.
C'est inadmissible. Nos concitoyens ne comprennent plus que l'on puisse ainsi appliquer la loi de façon différenciée et les élus locaux ne supportent plus de voir ainsi leur autorité quotidiennement bafouée.
C'est la raison pour laquelle, mes chers collègues, je vous demande d'adopter cet amendement. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. Je remercie M. Braye d'avoir soulevé cette question. Je constate cependant qu'il a satisfaction puisque, à l'article 8, nous avons voté un amendement selon lequel toutes les dispositions des documents d'urbanisme s'imposent, notamment à l'aménagement des terrains familiaux.
Par conséquent, je souhaite que M. Braye retire son amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement. Le Gouvernement émet le même avis que la commission.
J'ajouterai seulement que le droit au logement est reconnu comme étant un droit à valeur constitutionnelle et que le vote éventuel d'une disposition de ce type n'altérerait pas ce droit.
La jurisprudence, quand elle a abouti à ce qui peut apparaître à certains comme une tolérance, a toujours été légitimée par les juridictions comme étant une prise en compte de l'état de nécessité.
D'où l'intérêt que tous les moyens de cette loi soient utilisés pour rendre les capacités d'accueil suffisantes et faire en sorte que cet état de nécessité résultant d'un défaut de capacité d'accueil ne puisse plus être constaté par les juridictions. Seule cette voie est de nature à répondre au problème qui a été soulevé.
M. le président. L'amendement est-il maintenu, monsieur Braye ?
M. Dominique Braye. Je vais le retirer, non sans avoir dit auparavant à M. le secrétaire d'Etat que sa réponse ne me satisfait pas. Il s'agit en effet de personnes en voie de sédentarisation qui ne demandent aucunement une aire d'accueil.
Le prix du terrain étant manifestement moins cher en zone non constructible, ils achètent un terrain en zone agricole, y construisent un petit cabanon qu'ils « solidifient », comme on dit dans les départements d'outre-mer, pour en faire de belles propriétés qui se trouvent ainsi construites illégalement en zone agricole, mais que manifestement la Constitution - M. le secrétaire d'Etat vient de le dire - leur permet de conserver.
Il suffirait de donner ce « tuyau » à l'ensemble de nos concitoyens, et ainsi les règles d'urbanisme ne serviraient plus à rien !
M. Jean-Pierre Schosteck. C'est très dangereux !
M. Jacques Legendre. C'est un vrai problème !
M. le président. L'amendement n° 65 est retiré.
Par amendement n° 66, MM. Lassourd, Braye, Le Grand et Bizet proposent d'insérer, après l'article 9, un article additionnel ainsi rédigé :
« En cas de stationnement illicite sur le domaine public appartenant à l'Etat, notamment le domaine maritime, le préfet, se saisissant lui-même, ou alerté par les maires des communes riveraines, prononce l'expulsion, et assure l'exécution de son arrêté d'expulsion. »
La parole est à M. Braye.
M. Dominique Braye. Cet amendement vise essentiellement à permettre au préfet, sur proposition du maire, d'expulser des gens du voyage qui se seraient installés sur le domaine maritime et dans les zones protégées, y provoquant des dégâts importants.
C'est, je crois, Mme Boyer qui a dit, hier, qu'il serait souhaitable que le préfet puisse très rapidement mettre fin à cette occupation dans les zones protégées.
Quant à vous, monsieur le président, vous êtes bien placé pour savoir qu'il faut parfois des dizaines d'années pour faire repousser une végétation sur le domaine maritime. Or, huit jours d'occupation par les gens du voyage peuvent réduire à néant tous les efforts consentis, souvent à grands frais.
C'est donc pour permettre au préfet, face à de telles situations, de prononcer l'expulsion sans attendre le temps que nécessite la voie juridique que je propose cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. M. Braye pose un problème qui a souvent été évoqué au cours de ce débat. Il est vrai que, sur le plan juridique, l'intervention du juge semble s'imposer.
M. Jean-Jacques Hyest. Oui !
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. Mais, comme nous avons donné satisfaction à M. About en adoptant le sous-amendement n° 30 rectifié, qui procédait du même esprit, la commission s'en remet à la sagesse du Sénat.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement est irréductiblement attaché au respect du principe fondamental de l'intervention d'une décision de justice préalable à l'expulsion.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 66.
M. Jean-Jacques Hyest. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Je comprends bien les réactions des élus qui sont confrontés à certaines difficultés. Cela vaut aussi pour les chefs d'entreprise visés par le sous-amendement de notre ami M. About, pour les agriculteurs, pour toutes sortes de gens.
Mais on nous dit par ailleurs que le préfet n'exécute pas les décisions de justice, ce dont, bien souvent, nous nous plaignons amèrement.
On peut essayer d'accélérer les procédures, mais cela nous renvoie à un autre débat, celui sur la justice.
Si l'on donne à l'autorité administrative le pouvoir de prendre des décisions d'expulsion et d'exécuter ses propres décisions, outre, bien entendu, le contentieux administratif qui en naîtra, car il faudra apprécier si c'est utile, si c'est nécessaire, etc., on entre dans une voie quelque peu délicate.
Cela étant, je comprends parfaitement qu'ayant accepté le sous-amendement de M. About visant des terrains privés la majorité au Sénat en accepte un autre qui concerne des terrains qui appartiennent au domaine maritime ou au domaine lacustre. C'est logique.
Simplement, je la mets en garde, au nom du respect d'un certain nombre de principes, notamment celui de la séparation des pouvoirs, et de ce qui fait la légalité des décisions en droit français.
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. Je veux simplement dire à M. le secrétaire d'Etat que nous attendons de la navette des réponses très concrètes aux problèmes que posent ces amendements.
M. le secrétaire d'Etat a fait beaucoup de propositions en la matière. Mettons à profit la navette pour approfondir le sujet !
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Je remercie M. le rapporteur, qui vient de confirmer la clarté des engagements que j'ai eu l'occasion de prendre au nom du Gouvernement.
Le Gouvernement a déploré l'adoption du sous-amendement de M. About, car il constitue une entorse à un principe fondamental que le Gouvernement souhaite défendre. Il ne peut pas, dans ces conditions, avoir une attitude différente sur l'amendement n° 66, qui serait une répétition de cette entorse à un principe fondamental.
Que l'on me permette toutefois de soulever une certaine contradiction dans l'analyse des auteurs de l'amendement. Je les ai en effet entendus expliquer que l'une des difficultés majeures - nous nous efforçons de la surmonter - était que, certes, il y avait bien des décisions de justice, mais que les préfets ne les faisaient pas appliquer. Et voilà que maintenant on aurait confiance dans l'application d'une décision qui émanerait non pas de la justice mais du préfet lui-même ! Le corps préfectoral sera sans doute sensible à cet élan tardif de confiance qui prend la forme d'un rattrapage à la fin de l'examen du texte. Moi, j'y vois un paradoxe que je ne pouvais pas ne pas souligner.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, de suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Nous sommes confrontés à une difficulté juridique. Cette difficulté, à l'heure actuelle, ni la décision de justice ni l'intervention du préfet ne nous permettent de la surmonter, nous le constatons.
Monsieur le secrétaire d'Etat, concevez que, dans l'état actuel des choses, un texte de cette nature, qui soulève sur la totalité du territoire, et peut-être davantage encore dans certaines portions de ce territoire, les problèmes que vous savez, ne puisse pas passer sous silence ce sentiment d'exaspération et ne pas tenir compte de la nécessité d'y répondre par des mesures concrètes.
Enfin, je veux attirer votre attention sur le fait que, si le préfet ne faisait pas ce que l'on lui enjoindrait de faire par cet article, la responsabilité de l'Etat serait susceptible d'être mise en cause.
M. le président. L'amendement n° 66 est-il maintenu, monsieur Braye ?
M. Dominique Braye. Oui, monsieur le président.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 66, repoussé par le Gouvernement et pour lequel la commission s'en remet à la sagesse du Sénat.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 9.
Article 9 bis