Séance du 7 mars 2000







M. le président. La parole est à M. Revol, auteur de la question n° 728, adressée à M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
M. Henri Revol. Madame la ministre, l'Europe a su garantir son autonomie d'accès à l'espace et préserver une pleine souveraineté pour définir sa politique spatiale en s'appuyant sur deux éléments : les lanceurs de la famille Ariane, qui détiennent actuellement plus de 50 % du marché mondial des services de lancement, et la disposibilité du site de lancement le mieux situé du monde, le centre spatial guyanais.
Or, les logiques qui sous-tendent cette conjoncture favorable à l'Europe se modifient profondément depuis quelques années, comme le reflète le processus actuel de regroupement des acteurs industriels autour de quelques pôles tant en Europe qu'aux Etats-Unis.
En effet, liée jusqu'au milieu des années quatre-vingt à des enjeux de souveraineté, l'histoire du transport spatial a connu, au cours des quinze dernières années, des modifications spectaculaires qui ont conduit à la période actuelle, caractérisée à la fois par une grande diversité des besoins du marché et par une surcapacité de l'offre de lanceurs sur chaque segment de ce marché.
En pratique, on compte trois acteurs principaux : tout d'abord Boeing, avec sa gamme de lanceurs Delta II, Delta III et Delta IV et, en coopération avec la Russie, Sea Launch, qui utilise une plate-forme maritime ; par ailleurs, Lockheed Martin, autre américain, qui a créé avec la société russe Krunitchev le consortium ILS proposant les lanceurs américains Atlas II, Atlas III et Atlas V, dont certains utilisent des moteurs russes, et le lanceur russe Proton ; enfin, Arianespace, qui s'est imposée sur le marché commercial avec Ariane 4 et, plus récemment, avec Ariane 5 et qui, à travers Starsem, filiale franco-russe, participe à la commercialisation du lanceur russe Soyouz.
Pour faire face à ce nouvel environnement et à l'évolution du marché, les Etats membres de l'ESA ont décidé d'améliorer Ariane 5, destinée à remplacer Ariane 4 sur le marché des satellites géostationnaires. Par conséquent, à partir de 2002, l'Europe ne disposera plus que d'un lanceur lourd, capable de mettre dix tonnes en orbite de transfert géostationnaire, mais relativement inadapté au lancement des satellites héliosynchrones et des charges utiles petites et moyennes sur des orbites non géostationnaires.
Cette décision signifie aussi que les budgets disponibles vont être désormais durablement affectés à l'amélioration d'Ariane 5 et ne pourront servir à développer un nouveau lanceur moyen, pourtant indispensable, et ce pour au moins deux raisons : d'une part, une raison stratégique, si l'on veut que l'Europe et les Etats membres de l'ESA puissent continuer à développer des programmes, scientifiques ou militaires, dont la masse des satellites est le plus souvent inférieure aux capacités d'Ariane 5 ; d'autre part, une raison commerciale, car les concurrents d'Arianespace - Boeing et ILS - offrent aujourd'hui à leurs clients une gamme diversifiée de lanceurs, ce qui les rend particulièrement attractifs.
Il faut noter, par ailleurs, que la demande des opérateurs de satellites se diversifie. Elle s'oriente notamment sur l'orbite basse, pour les télécommunications et l'observation de la terre. Et nous assistons au lancement de floraisons de satellites.
Dès lors, la flexibilité demandée concerne non plus seulement les délais de mise en orbite, mais également la capacité à effectuer différents types de missions, d'où la nécessité de bénéficier d'une gamme de lanceurs.
La solution la plus raisonnable pour conforter le succès du lanceur européen Ariane ne résiderait-elle pas dans l'agrégation de moyens de lancement déjà existants, autour d'Ariane 5, à Kourou ?
A la veille de la conférence ministérielle de l'Agence spatiale européenne de mai 1999, M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie avait évoqué dans la presse la possibilité d'adjoindre, à Kourou, des lanceurs complémentaires à Ariane 5. L'avantage serait, avec un investissement initial minimal, de réaliser, sur ce site de lancement tout à fait exceptionnel, une synergie en termes de commercialisation et d'exploitation, renforçant les avantages de chacune des composantes de la gamme tout en créant un surcroît de compétitivité par une offre globale.
Cette politique d'ouverture aurait également pour avantage de consolider la stabilité économique du département de la Guyane, ébranlée par l'arrêt d'exploitation d'Ariane 4, et de garantir ainsi plus fortement l'autonomie d'accès à l'espace pour l'Europe.
Qu'en est-il de cette réflexion qui doit déterminer la stratégie de l'Europe dans un avenir proche ?
Des demandes d'accès à la base de Kourou ont-elles déjà été formulées par des sociétés de transport spatial auprès du Gouvernement ?
Tels sont, rapidement exposés, les points sur lesquels je souhaiterais, madame la ministre, que vous précisiez la position du Gouvernement, en indiquant l'éventuel calendrier de son action en ce domaine.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Ségolène Royal, ministre délégué chargé de l'enseignement scolaire. Monsieur le sénateur, je vous prie de bien vouloir excuser Claude Allègre, qui est actuellement à Lisbonne pour une réunion des ministres européens de la recherche. Il m'a chargée de vous dire que la France a en effet été saisie au moins à deux reprises pour étudier l'ouverture du centre spatial guyanais à d'autres lanceurs qu'Ariane. Une première demande en date du 3 septembre 1997 émanait du secrétaire d'Etat allemand et concernait le lanceur Cyclone, projet industriel envisagé à l'époque en commun entre DASA et l'Ukrainien Yujnoye. Une demande formelle émanant de la société franco-russe Starsem a été, par ailleurs, adressée au Centre national d'études spatiales, le CNES, en avril 1999.
Dans les deux cas, les demandes ont été instruites au niveau technique sous l'autorité des services du ministre de la recherche en associant le CNES et les acteurs concernés.
L'importance des enjeux de ce dossier a conduit récemment le Gouvernement à consulter les Etats membres de l'agence spatiale européenne, partenaires de la France pour l'exploitation du site de lancement de Kourou.
Le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie souhaite rappeler à cette occasion que, dans le milieu très concurrentiel des services de lancement, ce site spatial bénéficie d'une localisation équatoriale qui le rend particulièrement compétitif, notamment pour les lancements vers l'orbite de transfert géostationnaire. Le centre spatial guyanais est placé sous souveraineté française, comme vous le savez.
Une décision pourrait être arrêtée à la fin de ce trimestre, après une concertation interministérielle associant les acteurs publics et privés.
Les conséquences politiques, juridiques, industrielles, commerciales et de sécurité d'une éventuelle ouverture de Kourou à des lanceurs autres qu'Ariane sont à prendre en compte dans l'examen du dossier.
Au premier rang des préoccupations de Claude Allègre, chargé de la politique spatiale civile, figure la compétitivité de l'offre des services de lancement européen, face à une concurrence internationale croissante. Arianespace, opérateur de service de transport spatial pour l'Europe, doit donc exprimer sa vision du besoin commercial et de la gamme de lanceurs la mieux à même d'y répondre.
En parallèle, dans le cadre de l'agence spatiale européenne, une stratégie de développement technologique pour préparer l'avenir de la gamme de lanceurs européens est à l'étude. Du point de vue du gouvernement français, la solidarité européenne, garante du succès des programmes Ariane, doit absolument être maintenue.
C'est en tenant compte de cette stratégie de gamme des services de lancement et de lanceurs que le gouvernement français examinera les suites à donner aux demandes d'ouverture de Kourou. Bien évidemment, la représentation nationale sera associée à cette décision.
M. Henri Revol. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Revol.
M. Henri Revol. Madame la ministre, je vous remercie de cette réponse très intéressante, qui traduit la détermination du Gouvernement à étudier de manière approfondie cette question qui se pose de manière urgente.
En effet, comme vous l'avez très bien souligné, la concurrence à l'égard d'Ariane - Ariane 4 qui termine sa vie et Ariane 5 - devient féroce. Il suffit de lire les revues spécialisées pour se rendre compte du développement considérable des consortiums, américains en particulier, que j'évoquais tout à l'heure.
En Europe, nous notons des signes très encourageants puisqu'un regroupement industriel très fort autour du consortium EADS se met en place : c'est le signe économique. Un signe politique est maintenant nécessaire et urgent, et votre réponse, madame la ministre, constitue un encouragement très fort dans la mesure où il montre que le Gouvernement s'y prépare. Si la réunion de l'ESA qui doit se tenir le 20 mars à Kourou pouvait être l'occasion d'une annonce, ce serait, pour la France et pour l'Europe, une avancée considérable.

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