Séance du 9 mars 2000
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi organique, je donne la parole à M. Lagauche, pour explication de vote.
M. Serge Lagauche. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la proposition de loi organique qui nous est soumise traduit assurément le souci des sénateurs de répondre à l'inquiétude des nombreuses communes forestières qui ont subi de graves dommages à la suite des tempêtes du mois de décembre 1999.
Cependant, devant l'ampleur des dommages, le Gouvernement a déjà procédé en urgence à des redéploiements de crédits visant à financer des actions touchant tant aux dépenses de fonctionnement qu'aux dépenses d'investissement des communes sinistrées.
Par ailleurs, il a annoncé un plan national pour la forêt visant à mettre en place un dispositif alliant prêts bonifiés, subventions de fonctionnement et possibilité de placer en valeurs d'Etat les fonds provenant de la vente des chablis.
Dans l'attente de l'annonce officielle, précise et détaillée des mesures préparées par le Gouvernement en faveur des communes forestières, serait-il opportun de permettre à ces dernières de placer des fonds libres issus de la vente de bois chablis sur le marché privé, certes plus rémunérateur, en général, que les bons du Trésor ?
Les circonstances exceptionnelles que nous connaissons justifieraient-elles qu'une dérogation soit apportée au principe posé par le décret impérial du 27 février 1811 et repris par l'ordonnance du 2 janvier 1959 selon lequel les collectivités territoriales doivent déposer toutes leurs disponibilités au Trésor ? Le groupe socialiste ne le pense pas.
Nous estimons qu'il n'est pas opportun, sous la pression d'événements certes terribles mais contingents, d'allonger la liste des dérogations admises par le ministère des finances à cette obligation de dépôt des fonds libres des collectivités locales. D'une part, il n'est pas bon de multiplier à l'envi les dérogations à un principe, sous peine de risquer de vider ledit principe de sa substance ; d'autre part, il ne serait pas bon que les citoyens puissent ne serait-ce que suspecter des maires de spéculer, aussi peu que ce soit, avec de l'argent public.
Ce précédent ne risquerait-il pas, en outre, d'ouvrir une voie aussi facile que dangereuse non seulement au jeu financier avec ledit argent public, mais encore à un début de démantèlement d'un système éminemment républicain qui, assurant la trésorerie de l'Etat, minimise les frais financiers dont il est redevable et, par conséquent, est gage de bonne et saine gestion de l'argent des citoyens ?
En conséquence, monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le groupe socialiste votera contre la proposition de loi organique qui nous est soumise, tout en manifestant la plus grande attention, croyez-le bien, aux préoccupations des communes forestières, qui méritent de bénéficier de la solidarité nationale. A cet égard, l'exposé de Mme la secrétaire d'Etat sur le dispositif mis en place par le Gouvernement me paraît aller dans le bons sens.
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la discussion de ces deux propositions de loi organique qui, après les travaux de la commission des finances, n'en sont finalement devenues qu'une seule, vient de montrer, s'il en était encore besoin, de quelle manière certains des élus de notre Haute Assemblée tentent de détourner les interrogations et les aspirations des élus locaux pour servir des intérêts qui ne sont pas ceux de leurs mandants et de la forêt française, ouvrant ainsi, par la petite porte, le champ de la déréglementation financière et budgétaire des finances locales, que n'avaient admise ni l'article 15 de l'ordonnance de 1959 ni les gouvernements successifs, de de Gaulle à Jospin.
Notre pays a, en effet, deux spécificités qu'il importe, encore et toujours, de rappeler et de mettre en évidence.
La première, c'est de compter un nombre de collectivités locales plus important que nos autres partenaires, fruit d'une riche histoire et des conditions particulières de constitution de notre territoire.
La seconde, c'est d'avoir sorti, pour l'essentiel, les finances locales - dont on ne doit jamais oublier qu'elles ont la qualité de fonds publics et que nos compatriotes en sont, de par nos principes démocratiques, juges - de la seule logique du marché en confiant au Trésor public le soin d'assurer le recouvrement des fonds concernés et de favoriser leur juste allocation.
Dans les faits, que le travail de la commission des finances ait, d'une certaine manière, consisté à masquer l'objectif initial des deux propositions de loi organique ne doit pas tromper.
Certaines des mesures contenues dans le rapport de la commission sont, de notre point de vue, tout à fait estimables.
M. Alain Lambert, président de la commission. Ah !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Avec mes collègues du groupe communiste républicain et citoyen, je ne suis pas convaincue, cependant, qu'il faille, pour atteindre les objectifs fixés, passer par une navette parlementaire dont l'organisation s'avère assez incertaine, alors même que tout porte à croire que certaines des dispositions concernées soit sont déjà prises, soit feront l'objet d'articles du prochain collectif budgétaire - Mme la secrétaire d'Etat s'y est engagée -, compte tenu de la sensible amélioration des comptes publics liée à la croissance.
Que les choses soient claires : que les fruits de cette croissance, judicieusement utilisés, permettent de faire jouer la solidarité nationale en direction des communes forestières frappées par les pertes liées aux intempéries de la fin de l'année 1999 nous paraît tout à fait légitime.
Monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, que ce débat, nécessaire et qui en appelle d'autres sur la modification des rapports entre l'Etat et les collectivités locales, offre à certains l'opportunité de proposer aux élus locaux de se soumettre un peu plus à la logique des marchés financiers ne nous paraît pas acceptable.
Nous ne voterons donc pas les conclusions de la commission des finances sur ces deux propositions de loi organique rassemblées en un texte unique.
M. le président. La parole est à M. Hérisson.
M. Pierre Hérisson. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, au terme de cette discussion, je ne reviendrai pas sur la situation financière, la gestion de la ressource des propriétaires, l'état de surproduction, la chute des cours, tous problèmes qui ont déjà largement été évoqués, sinon pour ajouter, en tant qu'élu d'un département savoyard, que le bilan définitif est bien loin d'être connu puisqu'il faudra, dans nos régions, attendre la fonte des neiges pour apprécier l'étendue précise des dégâts.
Mme Beaudeau a fait tout à l'heure un lapsus tout à fait révélateur lorsqu'elle a parlé d'« écosystème financier ». A nos yeux, il s'agit d'une situation exceptionnelle résultant d'une catastrophe naturelle et à laquelle il convient de faire face en adoptant des dispositions exceptionnelles, et tel est bien le sens de la proposition de loi organique.
Je veux souligner ici l'excellent travail du président de la commission des finances, de son rapporteur et de l'ensemble de nos collègues qui ont participé à ces travaux pour prendre en compte, au nom du Grand Conseil des communes de France, les difficultés que rencontrent les collectivités locales.
Tout à l'heure, l'un de nos collègues a rappelé que les sénateurs effectuaient des stages en entreprise ; peut-être conviendrait-il également que les fonctionnaires de Bercy effectuent de temps à autre un stage dans les collectivités locales pour voir les difficultés que nous rencontrons dans la gestion du quotidien lorsque nous sommes placés dans une telle situation !
Madame le secrétaire d'Etat, le groupe de l'Union centriste votera donc cette proposition de loi organique, et il le fera aussi pour deux raisons supplémentaires de nature politique.
Tout d'abord, les discussions que nous avons eues ce matin ici même nous ont permis de progresser avec un peu plus de cohérence vers la décentralisation, qui a encore beaucoup de chemin à faire dans notre pays.
Ensuite, pour appartenir à cette assemblée depuis quelques années, j'ai eu le sentiment, ce matin, qu'un petit coin de ciel bleu éclairait la Haute Assemblée dans la mesure où, grâce à l'adoption d'une proposition de loi organique, nous rétablissions un certain rapport de forces dans une démocratie parlementaire qui souffre cruellement d'un déséquilibre chronique.
M. Alain Lambert, président de la commission. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Alain Lambert, président de la commission. Au fond, la question qui était posée ce matin était de savoir si les effets de la tempête qui s'est produite le 26 décembre dernier méritaient d'être traités au Parlement.
J'ai cru comprendre que le ministère des finances pensait que, de Bercy, on voyait les effets de cette tempête mieux que de nos départements.
M. Louis Moinard. Tout à fait !
M. Alain Lambert, président de la commission. Au Sénat, on pense le contraire.
M. Philippe Nogrix. Absolument !
M. Alain Lambert, président de la commission. On pense que, finalement, il vaut mieux que le Parlement se saisisse de ce sujet et essaie de trouver les solutions les plus rapides possibles pour faire face à la situation dramatique que nous vivons tous les jours dans nos départements.
Aussi, je demande instamment au Gouvernement de laisser le Parlement s'exprimer sur ces sujets et formuler des propositions, qu'il pourra ensuite apprécier et juger.
Après tout, les Français ont désigné des représentants pour parler et traiter en leur nom des difficultés qu'ils rencontrent, et il ne faut pas que les gouvernements pensent, les uns après les autres, qu'ils savent mieux que nous répondre au souci de nos concitoyens !
Quelle déviation de notre démocratie ! Voilà des gouvernements qui se piquent de connaître la réalité des difficultés des Français mieux que leurs représentants !
Donc, mes chers collègues, chaque fois que vous prendrez en compte les préoccupations pratiques, quotidiennes, douloureusement vécues par les Français, vous serez dans votre rôle, et vous aurez raison de ramener le Gouvernement à la réalité de tous les jours.
Chers collègues de gauche, j'ai compris que l'ordonnance organique était votre référence (Sourires), j'ai compris que c'était votre livre de chevet, que c'était le monument de la France auquel vous teniez le plus.
Je vous donne rendez-vous pour les discussions budgétaires qui viennent. Lorsque vous nous direz, madame Beaudeau, que les géniales propositions du groupe communiste ne peuvent pas aboutir à cause de l'ordonnance organique, je vous rappellerai notre débat de ce matin.
Non, l'ordonnance organique mérite d'être revue ! J'avais d'ailleurs compris que tout le monde était d'accord sur ce point. Que nous le fassions sous cette forme...
Mme Marie-Claude Beaudeau. Voilà !
M. Alain Lambert, président de la commission. Sans doute peut-on faire mieux ; nous y sommes prêts et nous donnons rendez-vous au Gouvernement pour ce faire. J'aimerais d'ailleurs être sûr que le Gouvernement est lui-même impatient de remettre l'ouvrage sur le métier pour qu'enfin le Parlement ne soit pas condamné à voter le budget de la France comme il est.
Quelle est en effet la réalité, mes chers collègues ? En vertu de cette ordonnance organique si admirée par nos collègues de gauche, le Parlement est condamné à voter 97 % des dépenses en un seul article, dépenses sur lesquelles il ne peut émettre aucun avis, car, s'il rejette cet article, la discusion s'arrête.
Voilà les conditions dans lesquelles nous travaillons depuis quarante ans, voilà les conditions dont nous devrions dire ce matin qu'elles sont bonnes. Eh bien non, elles ne sont pas bonnes !
A quoi ont-elles conduit ? Au déficit invraisemblable que nous constatons encore en cette période de croissance,...
M. Philippe Nogrix. C'est exact !
M. Alain Lambert, président de la commission. ... à une explosion incroyable de la dette.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, n'ayez aucun regret : vous avez fait votre devoir, ce matin, en vous préoccupant de la situation des communes forestières, et vous avez bien fait de penser que vous connaissiez mieux le sujet qu'on ne le connaît rue de Bercy.
Voilà pourquoi la commission des finances vous invite à voter le présent texte. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Monsieur le président de la commission, par votre expression et votre gestuelle, vous laissiez penser qu'en vous adressant à vos collègues de gauche vous leur disiez : « Je vous ai compris » ! (Sourires.)
La parole est à M. Gaillard.
M. Yann Gaillard. J'aurais mauvaise grâce à ajouter quoi que ce soit à l'admirable exercice oratoire qu'a présenté en notre nom M. le président de la commission des finances. Je joins ma voix à la sienne - et par la mienne, c'est un peu la fédération des communes forestières de France qui s'exprime - pour lui dire que lesdites communes forestières seront reconnaissantes au Sénat, même si sa proposition de loi n'aboutit pas, d'avoir, au cours de ce débat très intéressant, examiné leurs problèmes, et ce quoi qu'ait pu dire Mme le secrétaire d'Etat, dont l'expression a peut-être dépassé la pensée.
Nous voterons, bien entendu, cette proposition de loi organique. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les conclusions du rapport de la commission des finances sur les deux propositions de loi organique n°s 179 et 225 (1999-2000).
Je rappelle qu'en application de l'article 59 du règlement le scrutin public est de droit.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 39:
Nombre de votants | 290 |
Nombre de suffrages exprimés | 290 |
Majorité absolue des suffrages | 146 |
Pour l'adoption | 196 |
Contre | 94 |
3