Séance du 4 avril 2000
VALIDATION LÉGISLATIVE
Adoption d'une proposition de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi (n° 245,
1999-2000) adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la validation
législative d'un examen professionnel d'accès au grade de premier surveillant
des services extérieurs de l'administration pénitentiaire. (Rapport n° 288
[1999-2000].)
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, le texte soumis à votre examen a été voté à
l'unanimité par l'Assemblée nationale. Je remercie votre commission des lois,
son président, Jacques Larché, et son rapporteur, M. Georges Othily, de vous
proposer de l'adopter sans modification.
Je vois d'ailleurs une certaine continuité entre les deux assemblées quand je
constate que l'auteur de la proposition de loi, M. le député André Gérin, est
le rapporteur du budget de l'administration pénitentiaire et que M. le sénateur
Georges Othilly exerce la même fonction au sein de la Haute Assemblée.
Le texte que votre commission des lois vous propose d'adopter apportera à un
grand nombre d'agents de l'administration pénitentiaire un apaisement auxquels
ils aspirent après avoir craint de voir remettre en cause leur situation
professionnelle.
Je rappellerai brièvement les événements qui sont à l'origine de ce texte et
la situation susceptible d'en résulter pour certains agents de l'administration
pénitentiaire avant d'aborder, plus brièvement encore, les questions juridiques
susceptibles de se poser.
Sur les événements se trouvant à l'origine de la proposition de loi, ce texte
a pour objet de valider les promotions de 181 fonctionnaires au grade de
premier surveillant de l'administration pénitentiaire.
Ces promotions prenaient respectivement effet au 1er juillet 1992 et au 1er
mars 1993 et faisaient suite à un arrêté ministériel du 10 avril 1992 fixant le
liste d'aptitude à l'exercice des fonctions de premier surveillant telle
qu'elle avait été établie à l'issue de l'examen professionnel d'accès à ce
grade organisé au titre de la session 1991-1992.
Elles ont été annulées par deux jugements du tribunal administratif de Paris
des 20 mai et 1er juillet 1997 confirmés en appel le 4 juin 1998.
Ces décisions étaient fondées sur deux motifs tirés d'irrégularités formelles
dans l'organisation de l'examen.
Le premier de ces motifs tenait à la désignation de certains examinateurs en
dehors des membres du jury. Je précise qu'un arrêté ministériel du 20 janvier
1978, signé du directeur de l'administration pénitentiaire de l'époque,
autorisait alors le président du jury à faire appel à d'autres examinateurs
participant aux épreuves de sélection dans les mêmes conditions que les membres
du jury.
L'objet de cette disposition était de permettre de recourir à des compétences
extérieures pour la bonne organisation d'épreuves auxquelles se présentent un
très grand nombre de candidats. Cet arrêté a été invalidé par les décisions que
je viens d'évoquer.
Le second motif tenait à l'absence de mention au procès-verbal des
délibérations d'une péréquation des notes entre les différents groupes
d'examinateurs. C'était une erreur purement formelle, bien que particulièrement
regrettable, car la péréquation avait bien eu lieu.
Autrement dit, le concours n'a été entaché d'aucune fraude portant atteinte à
l'égalité entre les candidats. Or les conséquences d'une annulation susceptible
d'intervenir pour les agents sont d'une gravité très disproportionnée au regard
des erreurs que je viens de rappeler.
Quelles seraient les conséquences pour les agents si le concours n'était pas
validé ?
Je rappelle que 181 agents sont directement concernés par l'invalidation de
l'examen qui leur a permis d'accéder aux fonctions de premier surveillant.
Certains ont, depuis leur promotion, pris des grades supplémentaires.
D'autres ont été admis à la retraite et l'annulation de leur nomination en
qualité de premier surveillant aurait pour effet de remettre en cause le
montant de leur pension, calculée à partir du dernier indice de traitement
d'activité perçu. Il faut aussi penser aux ayants droit de deux agents décédés
depuis.
Toutes ces situations se trouveraient brusquement compromises.
En outre, la promotion au grade de premier surveillant des agents concernés a
induit de nouveaux recrutements et des mutations en vue de combler la vacance
des emplois de surveillant qu'ils occupaient précédemment. Les personnels ainsi
recrutés ou mutés pourraient également voir leur situation remise en cause si
l'administration procédait à la rétrogradation des 181 agents.
Enfin, certains de ces agents ont siégé en qualité de représentant des
premiers surveillants à la commission administrative paritaire du corps de
gradés et surveillants, chargée d'émettre des avis sur les mesures
individuelles intéressant la carrière des membres de ce corps, qu'il s'agisse
de décisions concernant des mutations, des avancements ou des mesures de
discipline. Cette circonstance pourrait être la cause de contestations de la
validité des avis émis par une commission paritaire ainsi jugée irrégulièrement
composée.
En définitive, c'est la régularité de plus de 3 000 décisions individuelles
prononcées après avis de cette commission qui pourrait se trouver soumise à
contestation.
Il est vrai, comme le relève votre commission des lois, que la théorie
jurisprudentielle dite « des fonctionnaires de fait » laisserait augurer
favorablement de l'issue d'un contentieux, mais il demeure que les agents
seraient, au moins pendant un temps, placés dans une situation réelle
d'insécurité juridique.
La validation législative est ici non seulement le meilleur mais aussi
l'unique moyen de remédier à ces difficultés.
Le recours à cette procédure pour pallier les effets de ce qui est
indiscutablement un dysfonctionnement administratif peut, j'en suis consciente,
susciter des interrogations.
Mes services ont, bien sûr, été sensibilisés à l'obligation qui leur incombe
d'éviter le renouvellement d'une telle situation, dont je comprends, moi aussi,
que personne ne puisse la trouver satisfaisante.
Mais, pour autant, peut-on faire supporter les conséquences d'une erreur, si
regrettable soit-elle, à des fonctionnaires qui y sont totalement étrangers ?
Je ne le pense pas. Votre commission des lois ne l'a pas voulu et je l'en
remercie.
Reste à examiner si cette validation législative est juridiquement
possible.
Votre commission des lois rappelle que le juge constitutionnel subordonne la
constitutionnalité d'une loi de validation au respect de la chose jugée, d'une
part, à sa justification par des nécessités d'intérêt général, d'autre part.
Je crois pouvoir ici faire miennes, sans les développer plus avant, ses
observations, qui rejoignent en tous points mon analyse, aux termes de laquelle
ces deux critères sont ici réunis.
Ainsi, cette proposition de validation législative est régulière en droit et,
j'espère vous l'avoir montré, justifiée en opportunité. L'Assemblée nationale
l'a admis à l'unanimité. Je souhaite que vous partagiez cette analyse, dans le
contexte d'une actualité où les fonctionnaires de l'administration
pénitentiaire sont particulièrement sensibles à l'attention qui leur est
portée.
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Georges Othily,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, madame le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de M.
André Gérin, député, adoptée sans modification par l'Assemblée nationale le 29
février 2000, comporte un article unique tendant à valider les promotions au
grade de premier surveillant de l'administration pénitentiaire, qui sont
consécutives à un examen professionnel organisé en 1991 et qui ont, depuis
lors, été annulées par la juridiction administrative.
L'examen professionnel d'accès au grade de premier surveillant, transformé en
concours interne en 1993, constitue une voie de promotion interne au sein du
corps des surveillants de l'administration pénitentiaire.
A l'issue de l'organisation de cet examen professionnel au titre de la session
1991-1992, 181 fonctionnaires ont été promus, les uns à compter du 1er juillet
1992 et les autres à compter du 1er mars 1993, par des décisions du directeur
de l'administration pénitentiaire datées respectivement des 4 mai et 2 décembre
1992.'
Cependant, ces décisions ont été annulées par deux jugements du tribunal
administratif de Paris des 20 mai et 1er juillet 1997, confirmés par deux
arrêts de la cour administrative d'appel de Paris du 4 juin 1998.
Ces jugements sont fondés sur la désignation d'examinateurs en dehors des
membres du jury et l'absence de mention au procès-verbal d'une péréquation des
notes attribuées aux candidats, qui sont apparues contraires aux dispositions
du dernier alinéa de l'article 20 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant
statut général de la fonction publique de l'Etat.
La cour administrative d'appel a en effet considéré que la constitution de
quatorze groupes d'examinateurs, eu égard aux modalités retenues, n'avait pas
permis d'assurer le respect du principe d'égalité entre les candidats.
Cette jurisprudence a conduit le Gouvernement à proposer au Parlement de
régulariser les promotions au grade de premier surveillant consécutives au
concours interne organisé en 1997, qui risquaient d'être annulées par le juge
administratif pour les mêmes raisons. Ces promotions ont ainsi déjà été
validées par l'article 5 de la loi n° 99-957 du 22 novembre 1999 portant sur
diverses professions relevant du ministère de la justice, la procédure civile
et le droit comptable. En outre, les modalités d'organisation du concours
interne d'accès au grade de premier surveillant ont désormais été réformées
afin de prendre en compte la jurisprudence relative à l'examen professionnel de
1991.
Reste néanmoins posé le problème résultant des conséquences pratiques de
l'annulation de ce dernier examen, qui soulèvent de nombreuses difficultés
alors que près de huit années se sont écoulées depuis les promotions des agents
intéressés.
Les décisions précitées de la cour administrative d'appel de Paris en date du
4 juin 1998 ont en effet pour conséquence de remettre en cause la carrière des
181 fonctionnaires concernés du fait de la perte du bénéfice de leur nomination
au grade de premier surveillant.
Pour exécuter ces décisions, l'administration est en principe tenue
d'organiser un nouvel examen professionnel se substituant à celui qui a été
annulé, ce qui entraîne la nécessité de procéder à de multiples reconstitutions
de carrière à l'issue de ce nouvel examen.
Certes, en application de la théorie jurisprudentielle dite des «
fonctionnaires de fait », les actes accomplis par les fonctionnaires concernés
avant l'annulation de leur nomination seraient considérés comme valables et les
intéressés n'auraient pas à rembourser les rémunérations qui leur ont été
versées avant cette annulation.
En revanche pourraient être remises en cause leurs rémunérations pour
l'avenir, de même que les montants des pensions versées à ceux qui ont depuis
lors été admis à la retraite, ainsi qu'aux ayants droit des agents décédés.
En outre, la situation des agents qui ont remplacé les 181 fonctionnaires
irrégulièrement promus pourrait également être compromise.
Enfin, la régularité de plus de 3 000 décisions individuelles prononcées,
après avis d'une commission administrative paritaire, en matière de mutation,
d'avancement ou de discipline, pourrait être contestée en raison de la
participation à ladite commission paritaire de certains agents dont la
promotion a été annulée.
Toutes ces difficultés ont conduit Mme le garde des sceaux à considérer devant
l'Assemblée nationale, lors de la discussion de la présente proposition de loi,
que les conséquences susceptibles de découler, pour les agents, de l'annulation
de l'examen professionnel de 1991, étaient « d'une gravité très
disproportionnée au regard de l'erreur commise » et que la validation
législative était, en l'espèce, « non seulement le meilleur mais aussi l'unique
moyen de ne pas s'engager dans un processus impossible ».
Si une mesure de validation législative apparaît donc justifiée en
opportunité, il importe néanmoins de s'assurer qu'elle est possible sur le plan
juridique, eu égard à la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Celle-ci, en effet, soumet les lois de validation à deux conditions
essentielles, comme l'a rappelé Mme le garde des sceaux : le respect de
l'autorité de la chose jugée, conformément au principe de la séparation des
pouvoirs, et la justification de la validation par un motif d'intérêt
général.
S'agissant de la première condition, une loi de validation ne peut revenir sur
une décision de justice devenue définitive, car « il n'appartient ni au
législateur ni au Gouvernement de censurer les décisions des juridictions »,
selon une décision du Conseil constitutionnel du 22 juillet 1980.
Certes, les voies d'appel sont, en l'espèce, épuisées, mais certains agents
dont la promotion a été annulée ont engagé une procédure de tierce opposition -
sur le fondement de l'article R. 225 du code des tribunaux administratifs et
des cours administratives d'appel - qui permet à toute personne de remettre en
cause un jugement qui préjudicie à ses droits, dès lors qu'elle n'a pas été
représentée au cours de l'instance ayant abouti à cette décision.
Dans la mesure où une décision de justice ne passe en force de chose jugée
vis-à-vis des tiers opposants qu'à compter du rejet éventuel de la tierce
opposition, on peut donc considérer que les décisions précitées de la cour
administrative d'appel de Paris ne sont pas définitives à l'égard des tiers
opposants et qu'une mesure de validation législative est encore possible.
En ce qui concerne la condition tenant aux motifs justifiant la validation,
l'existence d'un motif d'intérêt général ne fait guère de doute. En effet, le
Conseil constitutionnel admet que des mesures relatives aux agents publics
puissent être validées afin de préserver le « déroulement normal des carrières
du personnel ».
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel admet la rétroactivité d'une loi de
validation dès lors qu'elle n'intervient pas en matière pénale et qu'elle ne
concerne pas des actes pouvant être assimilés à des sanctions.
Aux termes de cet examen, la validation proposée apparaît sans doute
envisageable, même si elle n'est guère satisfaisante sur le plan des principes.
Elle présente en tout état de cause l'avantage d'éviter les difficultés liées à
l'organisation d'un nouveau concours et d'assurer la sécurité juridique des
fonctionnaires intéressés.
Je vous propose donc d'adopter sans modification la présente proposition de
loi soumise à la Haute Assemblée.
(Applaudissements.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
«
Article unique. -
Sont validées rétroactivement les promotions au
grade de premier surveillant des services extérieurs de l'administration
pénitentiaire prononcées par le directeur de l'administration pénitentiaire en
application de l'arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice, du 10
avril 1992 portant liste d'aptitude aux fonctions de premier surveillant des
services extérieurs de l'administration pénitentiaire, établie à l'issue de la
session 1991-1992 de l'examen professionnel organisé conformément au décret n°
77-1540 du 31 décembre 1977, relatif au statut particulier du personnel de
surveillance des services extérieurs de l'administration pénitentiaire, et à
l'arrêté ministériel du 20 janvier 1978. »