Séance du 23 mai 2000
CHASSE
Suite de la discussion
d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président.
Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée
nationale, après déclaration d'urgence, relatif à la chasse.
Je rappelle que la discussion générale a été close.
Mme Dominique Voynet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
Je demande
la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Dominique Voynet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
Monsieur
le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais évoquer tour à
tour quelques-uns des sujets qui ont fait l'objet de vos préoccupations lors de
cette discussion générale, mais je n'entrerai pas dans les détails de
dispositifs souvent techniques, qui seront largement débattus à l'occasion de
l'examen des articles.
Tout d'abord, vous me permettrez, madame la rapporteure, de revenir sur la
décision du Gouvernement de demander l'urgence pour ce projet de loi.
Vous connaissez le contexte dans lequel nous travaillons et l'échéance à
laquelle nous devons faire face : l'ouverture de la chasse, qui est proche. Je
n'ai l'intention ni de jouer la montre ni de fuir mes responsabilités.
Vous connaissez aussi la marge de manoeuvre dont nous disposons : les voies
d'un compromis sont étroites. Elles ont été largement éclairées par de très
nombreuses discussions antérieures : je pense, bien sûr, à la loi de 1998, qui
a été largement débattue tant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale, mais aussi à
la proposition de loi d'origine sénatoriale de 1999, ainsi qu'aux très
nombreuses auditions qui ont eu lieu pour préparer ce projet de loi, soit dans
la phase de travail du « missionnaire » François Patriat, auteur du rapport,
soit dans la préparation de l'examen de ce projet de loi par l'Assemblée
nationale et par le Sénat.
Chacun ici est donc complètement informé des enjeux.
Les lois de 1994 et de 1998 ont manqué leur objectif. Les contentieux se sont
accumulés et il est temps d'en sortir. Je n'envisage pas une seconde de le
faire d'une façon qui m'exposerait au renouvellement de l'injonction du Conseil
d'Etat, qui me demandait l'an dernier de respecter strictement la directive
communautaire n° 79-409.
J'en viens à l'état d'esprit dans lequel nous travaillons.
On a beaucoup évoqué et invoqué la responsabilité du militantisme antichasse
et, pour qualifier les millions de personnes qui attendent des chasseurs le
respect du droit communautaire et du droit national, le respect des droits des
espèces vivantes et le respect des autres usagers de la nature, on a utilisé
des mots extrêmement blessants. Pour faire court, on a l'impression que,
finalement, les problèmes s'expliquent, pour l'essentiel, par le comportement
des associations de protection de l'environnement et par le comportement de la
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement !
La méthode est connue : il s'agit de désigner un bouc émissaire, non seulement
au mépris de votre volonté affichée de respecter les convictions de chacun et
de restaurer le dialogue entre chasseurs et non-chasseurs, mais aussi au mépris
des faits. Vous me premettrez de le redire, mesdames, messieurs les sénateurs,
c'est souvent l'obstination à nier les faits qui génère les contentieux.
Pourtant, là encore, les faits vous sont parfaitement connus.
Vous avez auditionné M. Renaud Denoix de Saint Marc, à la fois en tant que
membre éminent du Conseil d'Etat et en tant que président de l'Office national
de la chasse. Il vous a exposé d'une façon très directe le risque qui était lié
à des périodes de chasse à la passée dépassant une heure après le coucher du
soleil et une heure avant le lever du soleil, à la validation de la chasse de
nuit et au choix de dates de fermeture de la chasse qui iraient au-delà du 31
janvier. Tout cela figurant noir sur blanc dans le rapport de Mme Heinis, je ne
vois pas la nécessité de citer de nouveau les propos de M. Renaud Denoix de
Saint Marc, que vous connaissez.
Sans reprendre les mots blessants qui ont été utilisés, d'une façon lancinante
et récurrente, par nombre d'entre vous, je dirai, en revanche, qu'il est
difficile de considérer, comme l'a fait l'un des orateurs, que le million et
demi de chasseurs serait composé de citoyens contribuables défenseurs de la
ruralité, raisonnables, responsables et compétents, harcelés par des
écologistes urbains, ignorants, sectaires et intégristes.
J'insiste : les deux millions de signataires de la pétition qui demandaient le
respect du droit communautaire ne sont pas des intégristes ! Beaucoup d'entre
eux ne peuvent pas non plus être caricaturés sous le terme d'« anti-chasse »,
comme tant d'entre vous l'ont fait cet après-midi. Ils demandent simplement le
respect du droit, de la loi, respect qui ne s'accommode pas d'une violence que
vous avez d'ailleurs condamnée dans des termes certes clairs, mais en utilisant
une formule ambiguë : vous condamnez la violence inadmissible tout en
comprenant l'exaspération des chasseurs !
Je tiens à vous faire part avec fermeté de mon malaise s'agissant de
l'interprétation qui est faite des décisions prises par le ministère de
l'aménagement du territoire et de l'environnement. Cela va me donner l'occasion
de détailler les nombreuses démarches qui ont été entreprises par mon ministère
pour améliorer la situation et pour faire valoir notre position auprès tant de
la Commission européenne que des parlementaires européens. Il est en effet trop
commode de considérer que, si accord il n'y eut point, ce serait du fait du
ministre, qui n'aurait pas cherché de consensus !
Madame Heinis, comme tant d'autres, vous avez dit avoir fait le voyage à
Bruxelles, où l'on vous aurait répondu : « Que votre Gouvernement vienne
négocier ! »
Mme Anne Heinis,
rapporteur de la commission.
C'est bien ce qu'on m'a dit !
Mme Dominique Voynet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
Nous avons
abondamment discuté avec la Commission. Il nous a toujours été dit qu'il était
tout à fait possible d'utiliser comme il est prévu dans la directive, une marge
de manoeuvre et de prévoir des dérogations, mais que cela supposait que la
France se mette d'abord en accord avec le droit communautaire dans son
acception la plus simple et la plus rigoureuse.
Je vous rappelle que cette directive a été votée à l'unanimité au Conseil en
1979 ; elle avait préalablement été votée au Parlement européen sous la forme
d'un rapport parlementaire commentant les termes d'une proposition de directive
soumise par la Commission et examinée par le Conseil. Il faut que vous le
sachiez, contrairement à ce que j'ai entendu ici, le vote au Parlement européen
a été acquis avec l'ensemble des composantes ici présentes ; j'ai eu l'occasion
de le dire plus nettement encore à l'Assemblée nationale. En effet, monsieur Le
Cam, si les députés communistes français n'ont pas été amenés à voter en faveur
de la directive, c'est parce qu'ils n'étaient pas physiquement présents au
moment du vote !
(Exclamations ironiques sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
Mais la représentante du groupe communiste européen, lors
du vote, a exprimé l'accord du groupe communiste avec cette directive.
J'insiste, car cela fait partie de la vérité historique et cela explique sans
doute aussi pourquoi un texte adopté à l'unanimité n'a pas été, par la suite,
remis en cause, alors que les difficultés concrètes d'application se faisaient
jour sur le terrain.
Je vous rappelle aussi les efforts déployés pour la mise en oeuvre de la
directive. Ils n'ont peut-être pas été évoqués aujourd'hui, mais chacun sait
que nous avons abondamment discuté.
La directive ne précise pas de dates ; pour l'essentiel, c'est la
jurisprudence qui permet de les préciser.
Les périodes d'ouverture et de fermeture de la chasse aux oiseaux migrateurs
sont un point particulièrement sensible du texte que nous discutons.
A en croire certains orateurs, notamment votre rapporteur et M. du Luart, la
difficulté n'aurait qu'une origine facile à identifier : mon manque
d'enthousiasme pour négocier avec les autorités européennes.
Des dates précises ont été avancées par certains d'entre vous.
Je ne pense pas, madame le rapporteur, que vous souhaitiez étendre vos
reproches à celui qui, en 1994, était ministre de l'environnement de M.
Balladur, M. Barnier, et qui a échoué dans sa tentative d'obtenir du Parlement
européen qu'il examine en urgence une proposition de modification de la
directive de 1979 pour la rendre compatible avec les pratiques de chasse
françaises !
M. Jean-François Le Grand.
Il a essayé, lui !
Mme Dominique Voynet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
Vous vous
en souvenez : le Parlement européen a nommé un rapporteur, Mme Van Putten, qui
a proposé un compromis fixant au 31 janvier la date de fermeture de la chasse.
Les chasseurs français refusant ce compromis, il a fallu une intervention de M.
Juppé auprès du président de la Commission pour que le Conseil des ministres
n'adopte pas une position commune sur la proposition de Mme Van Putten.
Allez-vous reprocher à M. Juppé d'avoir interrompu le processus de révision de
la directive de 1979 ?
Entre-temps, le Gouvernement de l'époque a fait voter la loi du 15 juillet
1994, qui devait être la réponse à la décision de la Cour de justice des
Communautés européennes. Il devait faire parvenir au Parlement un bilan
d'application de cette loi avant la fin de l'année 1996. Mais ce bilan n'a
jamais été transmis, et pour cause ! Cette loi, qui devait tout régler, n'a
rien réglé. En fait, les contentieux se sont multipliés, certains tribunaux
faisant prévaloir la loi de 1994, d'autres la directive. Vous avez pointé cet
imbroglio juridique.
C'est ainsi que le Gouvernement français a reçu une mise en demeure de la
Commission. Je me dois de vous indiquer que, dès mon arrivée au ministère, j'ai
cherché à sortir de la situation de blocage héritée du gouvernement précédent
(Protestations sur les travées du RPR),
comme j'ai dû le faire
d'ailleurs pour la mise en oeuvre de la directive Natura 2000, elle aussi
laissée de côté.
Je peux le prouver ! J'ai ici la copie de la lettre que j'avais adressée à Mme
Bjerregaard et qui a été suivie d'une visite à Bruxelles pour essayer de
trouver des voies de sortie.
Vous vous en souvenez : dès le mois de juillet 1997, des contacts avaient été
pris pour envisager des possibilités de révision de la directive de 1979 dans
le sens indiqué par l'amendement Hallam, du nom d'un membre de la commission de
l'agriculture et du développement rural du Parlement européen.
La solution proposée était de subordonner le dépassement de la date du 31
janvier à la preuve de l'absence d'incidences négatives sur les espèces
concernées et à l'approbation préalable par la Commission de plans de
gestion.
J'ai confirmé ma disposition à aller dans ce sens par une lettre adressée à la
commissaire. Celle-ci m'a fait savoir de façon très claire qu'elle attendait de
la France qu'elle respecte les dispositions de la directive avant toute
discussion.
Je voudrais rappeler également que ce sont les organisations du monde de la
chasse, au premier rang desquelles l'Association nationale des chasseurs au
gibier d'eau, qui, à l'époque, ont refusé cette idée. Elles ont rompu la
concertation, persuadées qu'elles obtiendraient davantage par d'autres
méthodes. Je mentionne pour mémoire la manifestation du 14 février qui a
précédé l'adoption de la loi du 3 juillet 1998, censée, comme celle de 1994,
donner une solution définitive au problème.
Vous connaissez la suite. L'arrêt du Conseil d'Etat du 3 décembre 1999 a
considéré que cette loi, contraire à la directive n° 79-409, était
inapplicable. Ce qui fonde la décision du Conseil d'Etat, ce n'est pas
l'absence de plans de gestion, c'est tout simplement le fait qu'en l'état des
connaissances scientifiques « les dispositions introduites au second alinéa de
l'article L. 224-2 du code rural, par la loi du 3 juillet 1998, sont, dans leur
quasi-totalité, incompatibles avec les objectifs de préservation des espèces de
l'article 7, paragraphe IV, de la directive n° 79-409. »
Aussi, toute tentation de revenir à la loi de 1998 est-elle vouée à l'échec.
En effet, ce qui paraît décidément essentiel, ce n'est pas de réutiliser le
même véhicule pour faire valoir le même point de vue avec les mêmes dates,
c'est de se donner les moyens de proposer des dates qui soient compatibles avec
le respect de la directive.
M. Larcher nous a dit tout à l'heure que, depuis, le rapport Van Putten est
devenu caduc. Je crois qu'il a fait une erreur. En effet, la commission de
l'environnement du Parlement européen a, en fait, confirmé, après les élections
européennes, sa position antérieure, c'est-à-dire son accord avec la date de
fermeture uniforme du 31 janvier préconisée par Mme Van Putten. J'ajoute que la
commission a pris cette décision à l'unanimité. Le pauvre Jean Saint-Josse
s'est laissé piéger en votant, sans regarder de près ce qu'il votait
(Protestations sur les travées du RPR, de l'Union centriste, des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE),
en
faveur de cette confirmation. Il a maladroitement nié et m'a traitée de
menteuse. Quoi qu'il en soit, son attitude puérile ne change rien au fait : le
vote a été acquis à l'unanimité. Je tiens également à votre disposition le
compte rendu de cet événement.
Le débat n'est d'ailleurs pas de savoir si la loi apporte ou non plus de
garanties qu'un décret. Une loi contraire à la directive n'apporterait pas plus
de garanties quant à la pérennité des dispositions qu'elle comporterait, les
épisodes précédents en témoignent amplement.
C'est pourquoi la voie proposée par le Gouvernement est celle de la sagesse. A
la loi de fixer les principes ; au règlement d'en fixer les modalités
d'application, en conservant la souplesse nécessaire aux adaptations dans le
temps. Qu'importe le véhicule - une loi, un décret, un arrêté - ce sont les
dates qui comptent.
J'ai regardé avec beaucoup d'intérêt l'évolution des propositions qui ont été
faites dans le temps.
M. du Luart a dit - c'est bien normal - qu'il avait été tenu le plus grand
compte de l'accumulation des connaissances, qui nous permettent de travailler
de façon de plus en plus argumentée et fine par rapport à la réalité des faits
et à l'état de conservation des espèces. Mais, mesdames et messieurs les
sénateurs, si les dates sont fixées par la loi, il sera beaucoup plus difficile
de les changer en fonction de l'état de conservation des espèces et de
l'évolution des connaissances scientifiques !
Les dates retenues en 1994 et 1998 ne respectaient pas les exigences de la
directive. C'est pour ce motif que ces textes ont été attaqués, comme le
serait, bien évidemment, la présente loi si les dates retenues ne
correspondaient pas à ladite directive.
Concernant le jour sans chasse, j'ai entendu nombre de critiques, mais aussi
des suggestions concernant le choix de ce jour ou les modalités de fixation.
Je rappellerai que la proposition des parlementaires formulée dans le rapport
Patriat et retenue par le Gouvernement a été pour l'essentiel motivée par le
fait que nombre d'urbains qui fréquentent la nature, notamment la forêt, ne
sont plus habitués à fréquenter des forêts dans lesquelles des chasseurs
exercent leur activité.
C'est vrai que la mise en place du jour sans chasse a été motivée
essentiellement par le souci de sécurité, pas seulement de sécurité vitale,
mais aussi par le souci d'aménité, de convivialité de la fréquentation des
milieux naturels par des gens qui ne sont plus habitués à cette confrontation
avec la réalité de la chasse.
En instaurant un jour uniforme sans chasse sur le territoire national, il ne
s'agissait pas d'interdire la chasse un jour de plus. Là où elle est déjà
interdite le mardi ou le jeudi, par exemple, on peut très bien changer de jour.
Il s'agit plutôt de permettre aux citadins de mémoriser ce jour où ils peuvent
fréquenter la forêt sans risquer de rencontrer de chasseurs.
Cette disposition a été largement discutée à l'Assemblée nationale, certains
plaidant pour la liberté de choix d'un autre jour que le mercredi. Certes, il
n'est peut-être pas besoin de légiférer pour interdire la chasse le mercredi,
ou le dimanche en forêt de Rambouillet, mais la loi est surtout utile pour ceux
qui n'ont pas encore adopté ces mesures de bon sens.
Je tiens, pour ma part, à ce que le jour sans chasse soit un jour accessible
aux familles. Retenir le lundi, le mardi, le jeudi ou le vendredi, quand il n'y
a de toute façon pratiquement personne en forêt, serait dénaturer le sens de
cette proposition.
Faut-il que la fixation du jour sans chasse se fasse sur proposition des
fédérations ? L'idée retenue était de confier à l'autorité administrative,
c'est-à-dire au préfet, le soin de décider éventuellement d'un autre jour que
le mercredi et de le faire savoir, après une concertation avec l'ensemble des
usagers des milieux, cela va de soi.
J'ai entendu sur ce sujet quelques arguments qui m'ont laissée perplexe.
Ainsi, certains ont considéré que l'instauration d'un jour sans chasse par voie
législative serait attentatoire au droit de propriété et probablement
inconstitutionnelle - tout en considérant que l'instauration d'un jour sans
chasse par l'autorité locale serait, elle, légitime. J'avoue qu'il y a là
quelque chose qui m'échappe !
Je ferai remarquer, outre le fait que la loi Verdeille, que vous défendez
vigoureusement, écorne elle aussi quelque peu le droit de propriété, que depuis
fort longtemps le droit de chasser n'est pas absolu pour les propriétaires. La
chasse n'est pas ouverte toute l'année ; elle est interdite de nuit depuis 1664
; elle ne peut pas être pratiquée dans n'importe quelles conditions, par
exemple en 4 × 4, avec une mitrailleuse, à moins de cent cinquante mètres d'une
habitation.
(Rires et exclamations sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste.)
Dès lors, envisager l'instauration
d'un jour sans chasse ne saurait être considéré comme d'une nature différente
des autres limitations que je viens d'évoquer.
Si on laisse de côté ces arguments, qui ne sont guère recevables, que signifie
l'instauration de ce jour sans chasse ? Il ne s'agit de rien d'autre que d'un
geste fort et symbolique marquant la volonté de réconciliation entre chasseurs
et non-chasseurs, affirmant la volonté commune de partager les espaces naturels
et leur usage, dans le respect des convictions de chacun.
Opposer à cela une conception dépassée du droit de propriété ne me paraît pas
approprié.
J'ai entendu l'argumentaire de M. Gérard Larcher. Je veux bien convenir que la
réconciliation des usagers des milieux et la restauration des liens entre
chasseurs et non-chasseurs - en reconnaissant, évidemment, que les
non-chasseurs ne sont pas tous des ennemis de la chasse qui voudraient sa
disparition - supposent d'aller nettement au-delà de la reconnaissance du jour
sans chasse.
Nombre de sénateurs se sont présentés comme les porte-parole de la ruralité,
du monde rural, défendant des pratiques de chasse dites traditionnelles. Je
suis en charge des politiques d'aménagement du territoire en même temps que de
celles de l'environnement. De ce point de vue, je dois le dire, identifier le
monde rural à la défense de ces pratiques traditionnelles, dont certaines sont
interdites, vous le savez, c'est rendre un bien mauvais service à celui-ci.
Cette opposition entre un monde rural détenteur d'un art de vivre oublié et un
monde urbain sans repères est artificielle. Faut-il rappeler, par exemple, que
ce sont des agriculteurs qui ont engagé les recours ayant abouti à la mise en
cause de la loi Verdeille devant la Cour européenne des droits de l'homme, et
non pas des urbains qui méconnaissaient l'art de vivre à la campagne.
(Murmures sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et
Indépendants.)
Je voudrais aussi vous renvoyer à l'étude commandée par l'Union des
fédérations à la COFREMCA, à laquelle M. Le Cam a fait allusion tout à l'heure.
Cette étude montre bien le décalage qui existe entre les discours tenus par
ceux qui prétendent représenter la chasse et ce que pensent les chasseurs et
les Français dans leur ensemble. Les chasseurs, selon cette enquête, se sentent
orphelins de représentants légitimes et ne se reconnaissent pas dans
l'agitation à des fins politiques qui est faite sur des sujets qui ne
concernent qu'une minorité de chasseurs.
Vous avez été nombreux à évoquer la chasse, acquis de la Révolution. La chose
se discute. Vous le savez, le droit de chasse propre à l'Ancien Régime a
disparu dès le 4 août 1789, le droit exclusif de chasse aboli, le droit rendu à
tout propriétaire de détruire ou faire détruire sur ses possessions toute
espèce de gibier.
La préoccupation de l'époque était d'abord de protéger les récoltes. Le décret
d'avril 1790, qui a suivi, punit pénalement la chasse sur le terrain d'autrui.
Il s'agissait, effectivement, de réserver la chasse aux propriétaires, contre
l'avis de Robespierre, qui voulait que le droit de chasse soit accordé à
tous.
Entre la chasse et la Révolution française, les choses sont donc plus
complexes qu'il n'y paraît. A l'époque, il s'agissait non pas de consacrer une
liberté mais de donner aux paysans les moyens de protéger leurs récoltes contre
les passages destructeurs des pratiques de chasse alors traditionnelles
auxquelles se livraient ces vrais amoureux de la nature qu'étaient les
aristocrates de l'époque !
La Révolution française présente heureusement d'autres acquis, notamment
l'idée de l'expression de la souveraineté nationale par des représentants élus
; je tiens beaucoup à cette expression.
Or je considère, pour ma part, que certaines expressions utilisées au sein du
monde de la chasse sont loin de préserver le respect des élus ; je pense à
l'appel de Privas, décidément incompatible avec les valeurs de la République.
Sont utilisés, dans ce texte, des mots extrêmement agressifs : il s'agit de «
traquer » partout et de « faire battre » partout où ils se présenteront ceux
qui ne céderaient pas aux tenants de l'« extrême chasse » et de « déclarer
ouverte la chasse aux écharpes tricolores ». J'espère que nous n'en viendrons
pas là, que nous pourrons améliorer le dialogue entre nous et éviter les faux
procès.
Tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les éléments dont je souhaitais
vous faire part avant que ne commence l'examen des articles. Je ne doute pas
que, sur nombre de points très précis, nous aurons à échanger davantage pour
essayer de trouver les voies d'un accord permettant de pacifier durablement les
relations entre chasseurs et non-chasseurs.
(Applaudissements sur quelques
travées socialistes.)
Plusieurs sénateurs du RPR.
C'est pas terrible !
M. Jean-François Le Grand.
C'est pas l'unanimité !
M. le président.
Nous passons à la discussion des articles.
TITRE Ier
DE LA CHASSE ET DE SON ORGANISATION
Article 1er A