Séance du 23 mai 2000
M. le président. « Art. 1er A. - Le Gouvernement déposera, avant le 31 décembre 2000, un rapport précisant ses initiatives européennes visant, en application du principe de subsidiarité :
« 1° A réserver à la loi nationale la fixation de l'ensemble des règles et obligations qui s'appliquent à l'exercice de la chasse des mammifères et des oiseaux non migrateurs sur le territoire national ;
« 2° A réserver au droit communautaire la fixation des principes que doit respecter la loi nationale en matière de fixation des règles et obligations qui s'appliquent à l'exercice de la chasse aux oiseaux migrateurs. »
Sur l'article, la parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, sous la pression de Bruxelles, nous sommes donc conduits à discuter une nouvelle fois de la place de la chasse et du rôle des chasseurs dans la société française. En effet, depuis dix ans, la Cour de justice des Communautés européennes ne cesse de durcir ses positions quant à l'application de la directive n° 79-409 du 2 avril 1979 concernant la conservation des oiseaux sauvages, suivie en cela par les juridictions administratives françaises. Dans notre pays, la discussion se fait dans une atmosphère passionnée, parfois alourdie d'excès verbaux et de violences, comme le prouve l'exemple du département de la Somme, qui est condamnable. Le rapport du député Patriat, remis au Premier ministre en novembre 1999, avait tenté de rapprocher les points de vue, et il y avait en partie réussi.
C'est bien au parlement français qu'il revient de légiférer sur ce type de problème de société, non à la Commission. Bruxelles met moins de vigueur quand il s'agit de « faire la chasse » aux paradis fiscaux, tels le Luxembourg et la Suisse, ou au dumping fiscal en faveur des hauts revenus et profits spéculatifs, tel celui que pratique la Grande-Bretagne.
M. Marcel Lesbros. C'est vrai !
M. Gérard Delfau. Parce que je suis européen, je refuse que la Commission et les chefs d'Etat des autres pays membres décident à notre place de nos modes de vie et fassent table rase de notre histoire (Applaudissements sur les travées du RPR.)
De quoi s'agit-il ?
Il y a, en fait, deux sujets principaux distincts : la restriction drastique des dates d'ouverture de la chasse au gibier d'eau que veut imposer Bruxelles, d'une part, et la sécurité des promeneurs, avec l'idée d'une journée interdite aux chasseurs, d'autre part. A cela s'ajoute une série de questions touchant l'organisation même de la chasse : composition et rôle du Conseil national, tutelle de l'Office national, fonctionnement et missions des fédérations, statut des personnels chargés de développer et de contrôler l'activité de chasse, etc.
Une première question se pose : faut-il préserver, tout en le faisant évoluer, le droit ancestral de tout citoyen à pratiquer la chasse populaire ? Ou faut-il aller vers la généralisation de la chasse privée et payante, en France et dans les pays sous-développés ? Tel est le choix fondamental.
Dans le premier cas, il y a une égalité d'accès des chasseurs à la pratique de ce loisir, qu'ils soient riches ou pauvres, qu'ils soient d'origine rurale ou urbaine. Y renoncer serait lourd de conséquences. Or c'est cela qui est en jeu aujourd'hui avec les multiples procédures engagées contre la loi Verdeille au niveau des institutions européennes. La France a une tradition égalitaire qu'il nous faut défendre.
De même, il convient que la « journée de non-chasse » soit replacée dans son contexte urbain-rural. Je fais partie des randonneurs du week-end et il m'arrive de craindre l'accident au moment où je chemine sous les arbres. Faut-il, pour autant, interdire brutalement toute activité de chasse sur d'immenses territoires où les promeneurs sont rares ? J'en doute.
Cette mesure partielle, et à mon sens inefficace, est ressentie comme une nouvelle agression des « gens de la ville ». « Il leur faut tout, me disent nombre de maires ruraux : les grands équipements de culture, de sports et de loisirs, largement financés par le budget de la nation et, en plus, ils prétendent nous interdire le seul loisir accessible, qui est, de surcroît, pour nous, un mode de vie : la chasse ! » (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Il y a, madame la ministre, beaucoup plus matière à réflexion dans cette réaction que dans les analyses payées de la COFREMCA.
A une décision d'interdiction brutale je préférerais une action pédagogique en profondeur pour améliorer la sécurité des promeneurs, comme celle des chasseurs d'ailleurs.
Soyons plus stricts dans la délivrance du permis, renforçons la formation des chasseurs, encourageons les élus locaux qui animent des actions de prévention, faisons en sorte que le ministère de l'agriculture et celui de l'environnement exercent mieux leurs missions de contrôle et d'animation puisqu'ils ont traditionnellement ces fonctions. Les différends actuels entre chasseurs et écologistes, entre urbains et ruraux, ne sont-ils pas dus en partie à une absence de l'Etat ? La puissance publique peut, seule, désamorcer ce conflit, en sauvegardant ce qui fait la spécificité de la chasse populaire, mais en prenant en compte aussi la sécurité des personnes et la préservation des espèces.
S'agissant de la sécurité, soyons plus stricts sur l'interdiction de tirer à proximité d'une habitation ou d'un élevage. Les réglementations existent. N'hésitons pas à retirer son permis à qui les enfreint.
S'agissant des espèces, je constate que les chasseurs s'intéressent de plus en plus à la reproduction de la faune sur le territoire. J'ai participé récemment à une « battue à blanc » pour les perdreaux et j'ai vu comment s'organisait, sur l'initiative des chasseurs, une gestion intelligente du gibier, comme d'ailleurs l'entretien d'un espace qui, sans eux, deviendrait vite impénétrable.
M. Joël Bourdin. Très bien !
M. Gérard Delfau. Le point le plus controversé demeure l'ouverture de la chasse au gibier d'eau. Sur ce sujet et dans un souci d'apaisement, je souhaite qu'il n'y ait aucune réduction imposée par la loi, que le dialogue se poursuive et qu'à titre transitoire le Parlement maintienne les dates d'ouverture et de fermeture aux dates traditionnelles, département par département.
MM. Gérard César et Philippe François. Très bien !
M. Gérard Delfau. Telles sont les orientations qui me guideront dans le débat et qui inspireront les amendements que je soutiendrai avec mes amis du groupe du Rassemblement démocratique et social européen, et avec mes collègues Jean-Michel Baylet, Yvon Collin et André Boyer.
Pour une fois, je défendrai un point de vue un peu différent de celui du Gouvernement, et votre personne, madame la ministre, n'est nullement en cause, car je sais que, contrairement à ce qui se dit ou s'écrit parfois dans le feu de l'action, vous n'êtes pas une passionaria de l'écologie. J'ai même constaté que vous faisiez tout ce qui vous était possible pour éviter l'affrontement stérile.
C'est sur le fond que j'ai un vrai désaccord avec l'action d'un gouvernement trop sensible, à mon gré, à la pression des grandes agglomérations et à celle des technocrates, au détriment du monde rural et des villes moyennes.
La divergence porte sur la façon dont se construit l'Europe. Je ne suis ni nationaliste ni souverainiste : je demeure convaincu de la nécessité d'une union politique à l'échelle du continent ; mais pas au prix de la table rase d'une civilisation, la nôtre.
Par cette intervention, j'essaie de favoriser le dialogue entre toutes les parties prenantes, de dépassionner la discussion - souvenons-nous, madame la ministre, de l'exemple de l'ancien ministre de l'éducation nationale - et surtout de mettre les chasseurs en position de prendre eux-mêmes en charge les évolutions nécessaires, tout particulièrement en matière de sécurité. J'espère que le Sénat tout entier s'attachera à cette oeuvre de pacification des esprits, qui exclut l'immobilisme, mais respecte les traditions. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants, et du RPR. - M. Carrère applaudit également.)
M. le président. Par amendement n° 158, Mme Heinis, au nom de la commission, propose de rédiger comme suit l'article 1er A :
« Le Gouvernement rend compte annuellement au Parlement de ses initiatives européennes visant, notamment en application du principe de subsidiarité, à compléter ou à modifier les textes communautaires relatifs à la gestion durable des espèces de la faune sauvage et des habitats, plus particulièrement en ce qui concerne les dérogations visées à l'article 9, les rapports prévus à l'article 12 et les demandes définies au premier alinéa de l'article 17 de la directive 79/409/CEE du Conseil du 2 avril 1979 concernant la conservation des oiseaux sauvages. Ce rapport rend également compte de l'état des procédures pendantes devant la Cour de justice des Communautés européennes. »
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Anne Heinis, rapporteur. L'Assemblée nationale a adopté cet article additionnel, qui résulte d'un amendement présenté par M. Valéry Giscard d'Estaing et le groupe UDF et qui prévoit que le Gouvernement déposera, avant le 31 décembre 2000, un rapport sur l'application du principe de subsidiarité dans le domaine de la chasse.
Les auteurs de l'amendement souhaitent qu'au cours du deuxième semestre 2000, pendant lequel la France présidera l'Union européenne, des initiatives soient prises par le Gouvernement pour obtenir des précisions sur l'articulation du droit communautaire et du droit national quant à la réglementation relative à l'exercice de la chasse.
Serait ainsi réservée à la compétence nationale la réglementation de la chasse aux mammifères et aux oiseaux non migrateurs, alors que le droit communautaire fixerait les principes à respecter par la loi nationale sur la chasse aux oiseaux migrateurs.
Je partage pleinement l'objectif visé par les auteurs de l'amendement qui a été voté à l'Assemblée nationale, car il faut, d'une part, obtenir des clarifications sur l'interprétation des directives communautaires en matière de chasse et, d'autre part, faire prévaloir une application effective du principe de subsidiarité dans ce domaine où les traditions et les pratiques régionales sont réelles et doivent être respectées.
Il convient cependant de modifier quelque peu la rédaction proposée, car la directive n° 79/409/CEE du Conseil du 2 avril 1979 concernant la conservation des oiseaux sauvages s'applique à toutes les espèces d'oiseaux, qu'ils soient migrateurs ou de passage.
Par ailleurs, il vous est proposé de fixer le principe d'un rapport annuel à transmettre au Parlement qui rendrait compte du bilan d'application de la directive, ainsi que des procédures s'y rapportant en instance devant la Cour de justice des Communautés européennes.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. L'amendement créant l'article 1er A a été adopté avec l'avis favorable du Gouvernement. Il s'agit d'obtenir de la Commission européenne que soient précisées les prérogatives respectives des Etats et de l'Union selon que sont en cause des oiseaux sédentaires ou des oiseaux migrateurs.
Le présent amendement tend à demander au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport annuel sur ces initiatives européennes à propos de la directive « Oiseaux », notamment sur l'application des articles 9 et 17 de la directive.
L'article 9 a trait aux dérogations que chaque Etat membre met en oeuvre. Chaque année, il les déclare à la Commission. Je suis prête à communiquer ce rapport aux parlementaires qui souhaiteraient en prendre connaissance.
Ainsi, nous avons déclaré, au titre de l'article 9, à la fois le dispositif arrêté pour la régulation des populations de cormorans, qui n'a pas suscité de réaction particulière de la Commission, et les dérogations demandées quant aux pratiques de chasse pour certaines catégories d'oiseaux - l'alouette, par exemple - et la Commission a transmis, malheureusement, le dossier correspondant à la Cour de justice.
Quant à l'article 17, il permet aux représentants de chaque Etat membre de soumettre des propositions au comité d'adaptation de la directive, qui est présidé par la Commission européenne. C'est une procédure qui ne concerne en fait que la modification de deux annexes de la directive et l'application de l'un de ses articles. Il s'agit, tout d'abord, de l'annexe 1, qui dresse la liste des espèces pour lesquelles l'institution de zones de protection spéciale est nécessaire. Il s'agit, ensuite, de l'annexe 4, qui dresse la liste des procédés de capture prohibés. Il s'agit, enfin, de la mise en oeuvre d'une disposition de l'article 6, alinéa 4, relatif à la commercialisation de certaines espèces.
Il n'y a rien là, madame le rapporteur, qui pourrait justifier le dépôt d'un rapport chaque année. Une telle fréquence pour une telle question ne paraît pas indispensable. Aussi suis-je conduite à suggérer le retrait de cet amendement. A défaut, le Gouvernement y serait défavorable.
M. le président. Madame le rapporteur, maintenez-vous votre amendement ?
Mme Anne Heinis, rapporteur. Je le maintiens, monsieur le président, car il traite de façon claire de l'application du principe de subsidiarité dans les questions que nous allons aborder au cours de cette discussion. C'est sur le principe que je demande au Sénat de se prononcer.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 158.
M. Alain Vasselle. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle. Bien entendu, je voterai cet amendement mais je souhaite attirer l'attention du Sénat et du Gouvernement sur la nécessité de veiller à ce que le Parlement soit étroitement associé à toutes les initiatives qui seraient prises par le Gouvernement en la matière.
Pour que le principe de subsidiarité s'applique d'une manière effective, nous ne pouvons nous contenter d'un simple compte rendu des initiatives gouvernementales. En effet, dans ce domaine, il me semble qu'il n'appartient pas au seul Gouvernement de réglementer et de prendre des initiatives à l'échelon européen : il doit le faire en étroite liaison avec le Parlement.
J'aurais d'ailleurs souhaité que l'on aille plus loin dans la rédaction de l'article 1er A, de manière à avoir l'assurance d'une concertation réelle et étroite entre le Gouvernement et le Parlement. Jusqu'à présent, nous avons trop souffert d'initiatives prises par la Commission européenne et qui ne suscitaient pas de réactions assez vigoureuses du Gouvernement.
Il faut que, au niveau européen, on comprenne enfin qu'en France il appartient à la représentation nationale, élue au suffrage universel, de prendre, au côté du Gouvernement, toute décision concernant l'application du principe de subsidiarité, notamment dans le domaine de la chasse.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 158, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 1er A est ainsi rédigé.
Article 1er