Séance du 15 juin 2000
AUDIENCES PUBLIQUES SUR LES PROJETS
DE GRANDES INFRASTRUCTURES
Adoption des conclusions du rapport d'une commission
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 402,
1999-2000) de M. Philippe Arnaud, fait au nom de la commission des affaires
économiques et du Plan, sur la proposition de loi (n° 196, 1999-2000) de MM.
André Dulait, Jean-Paul Amoudry, Philippe Arnaud, Denis Badré, René Ballayer,
Jacques Baudot, Michel Bécot, Claude Belot, Daniel Bernardet, Jean-Pierre
Cantegrit, Marcel Deneux, Gérard Deriot, André Diligent, Jean Faure, Serge
Franchis, Yves Fréville, Francis Grignon, Pierre Hérisson, Rémi Herment, Daniel
Hoeffel, Jean Huchon, Claude Huriet, Jean-Jacques Hyest, Henri Le Breton,
Marcel Lesbros, Jean-Louis Lorrain, Philippe Nogrix, Jacques Machet, Kléber
Malécot, André Maman, Louis Mercier, Louis Moinard, René Monory, Philippe
Richert, Michel Souplet, Albert Vecten et Xavier de Villepin portant sur
l'organisation d'audiences publiques lors de la réalisation de grandes
infrastructures.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Arnaud,
rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan.
Monsieur
le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi
qui nous est soumise ce matin, portant sur l'organisation d'audiences publiques
sur les projets de grandes infrastructures, tend à combler une lacune de la
législation existante : la consultation directe et préalable des citoyens des
communes intéressées par un projet de création d'une nouvelle grande
infrastructure.
Cette proposition, due à l'initiative de notre collègue André Dulait, est le
fruit de son expérience, du constat fait des difficultés rencontrées sur le
terrain dans l'application des procédures relatives à la réalisation de grands
projets, ainsi que des expérimentations que notre collègue a faites et qui
valident la nécessité de compléter les dispositions en vigueur lors de la mise
en oeuvre de grands projets.
Par ailleurs, cette proposition est en parfaite cohérence avec l'analyse et
les conclusions de l'excellent rapport du Conseil d'Etat sur l'utilité
publique.
Il est apparu, en effet, que les procédures de consultation existantes
n'intervenaient pas suffisamment en amont dans le processus de décision
concernant les grands travaux ou les grandes infrastructures.
La consultation des populations s'apparente, de plus en plus, à une simple
formalité, qui, du fait de son caractère tardif, ne peut, en réalité, exercer
aucune influence sur un processus déjà engagé et largement irréversible. On
pourrait, en forçant un peu le trait, qualifier ces procédures d'opération de
communication de « grand-messe » ou de « simulacre » de consultation.
Les phases ultérieures du processus concernant le projet - arrêté préfectoral
déclarant le projet d'intérêt général, études préliminaires conduisant à
l'élaboration des avant-projets, ouverture de l'enquête publique, etc. - voient
la mise en place de procédures de consultation ou de discussion sur les phases
tendant à rendre le projet opérationnel ou exécutoire. Elles ne remettent
jamais en cause la logique même du projet.
Renforcer le droit à l'information, permettre l'exercice concret de la
démocratie, mais aussi moderniser le processus de décision par la mise en place
d'une évaluation publique préalable de la pertinence et de l'opportunité d'un
certain nombre de grandes opérations, tels sont les objectifs de la proposition
de loi, qui vise à mettre en place des procédures de consultation du public
s'inspirant de modèles existants, notamment en Amérique du Nord.
La discussion publique interviendrait en amont du déclenchement de la
procédure d'enquête publique, en amont de la décision. Elle permettrait ainsi
aux personnes et aux associations intéressées d'intervenir plus efficacement,
en présentant notamment des contre-expertises dans le cadre d'un débat
véritablement contradictoire. Elle donnerait aussi aux « initiateurs » des
projets la possibilité de connaître le sentiment du terrain et, partant, de
modifier, voire d'abandonner, certaines initiatives.
Les raisons du relatif échec des procédures existantes tiennent sans doute au
caractère limitatif de leur champ d'application : en l'occurrence, la
protection de l'environnement.
Mais d'autres raisons expliquent aussi l'insuffisante participation citoyenne
à la prise de décision. Comme le soulignent les auteurs de la proposition de
loi, la complexité du vocabulaire utilisé, le manque d'information et la
présentation du projet comme sans véritable alternative accentuent chez le
citoyen l'impression que les jeux sont faits et les choix déjà opérés, tout le
dossier étant perçu, en définitive, comme entièrement maîtrisé par des
experts.
L'intervention de la population apparaît d'autant plus nécessaire que, de plus
en plus féquemment, ainsi que le relèvent les auteurs de la proposition de loi
mais aussi le rapport du Conseil d'Etat sur l'utilité publique, les grands
projets d'infrastructures - autoroutes, lignes TGV, lignes à haute tension,
barrages, usines, centres d'enfouissement - touchant à l'environnement, domaine
sensible, mais aussi, d'une manière générale, à l'aménagement du territoire,
sont l'objet d'une forte contestation émanant principalement des populations
concernées, ce qui se conçoit bien, mais également de groupes de pression
parfaitement au fait de dossiers dont ils entendent contester l'opportunité,
alors que les processus engagés sont déjà largement irréversibles.
Je vous ferai grâce de l'énoncé des diverses, multiples et complexes
procédures existantes, rappelant seulement que, pour la plupart, elles ont été
complétées, modifiées et actualisées, notamment par la loi du 12 juillet 1983,
dite « loi Bouchardeau », la circulaire Bianco du 15 novembre 1992, la loi
Barnier du 2 février 1995, le décret du 10 mai 1996 portant création de la
commission nationale du débat public et la charte de concertation mise au point
par Corinne Lepage.
Je veux toutefois attirer l'attention du Sénat sur la convention européenne
sur l'accès à l'information et la participation du public au processus
décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement, conclue à
Aarhus, au Danemark, le 25 juin 1998, et qui intéresse les quinze Etats membres
de l'Union. Relevons, au passage, que cette convention n'a pas encore été
ratifiée par la France.
L'article 6 de cette convention fait obligation aux parties de mettre en place
une procédure de participation du public au processus de décision relatif,
d'une part, aux autorisations des activités énumérées dans une liste jointe à
la convention et qui vise notamment le secteur de l'énergie - raffineries,
centrales nucléaires, etc. - la production et la transformation des métaux,
l'industrie minérale, etc. et, d'autre part, aux autorisations d'activités qui
peuvent avoir un effet important sur l'environnement.
Cette disposition fait obligation à chaque Etat partie à la convention de «
prévoir des délais raisonnables laissant assez de temps pour informer le public
et pour que le public se prépare et participe effectivement aux travaux tout au
long du processus décisionnel en matière d'environnement ». Il est également
prévu que « la participation du public commence au début de la procédure,
c'est-à-dire lorsque toutes les options et solutions sont encore possibles et
si le public peut exercer une réelle influence. »
Cette convention, vous l'aurez compris, est le fruit non pas du hasard mais
bien de la nécessité. Comme le préfet Hubert Blanc, président de la commission
nationale du débat public, a bien voulu nous le confier, lors d'une audition,
la concertation en amont est, certes, une exigence contemporaine de la
démocratie, mais elle est aussi - c'est là le fruit de son expérience - une
condition d'efficacité.
Le débat parlementaire qui devrait s'ouvrir, sur l'initiative du Gouvernement,
à l'occasion de l'examen du futur projet de loi de Mme la ministre de
l'environnement et de l'aménagement du territoire sur la réforme de l'utilité
publique, peut-être au printemps 2001, devrait pouvoir donner lieu à d'utiles
réflexions et, nous le souhaitons tous, à des conclusions et des propositions
adaptées et concrètes.
Il convient, me semble-t-il, de ne pas alourdir cette présentation du texte
par le rappel de l'ensemble des procédures, pour s'en tenir à la philosophie du
projet, qui consiste, finalement, à rendre la parole aux citoyens, après avoir
pris soin, toutefois, d'insister sur quelques écueils que la commission a pris
soin d'éviter.
Quels sont ces écueils ?
Le premier est que les maires, qui pourraient être parties prenantes à
l'organisation de ces consultations, soient finalement perçus par la population
comme responsables ou coresponsables de la décision, en d'autres termes qu'ils
deviennent des boucs émissaires. S'il s'agit de projets de compétence
municipale, il appartient bien sûr au maire d'assumer sa responsabilité. Mais
s'il s'agit de projets d'une compétence départementale, régionale, voire
nationale, il ne faut pas que le maire serve de bouc émissaire.
De ce point de vue, la proposition qui vous est soumise ce matin, mes chers
collègues, prend soin de faire du maire le garant de la transparence de la
procédure.
Le deuxième écueil serait que la mise en oeuvre de ces procédures, qui relève
de la démocratie participative, ne vienne se heurter à la démocratie
représentative, à laquelle chacun ici est attaché.
Aussi avons-nous précisé qu'en aucun cas il ne s'agissait, au travers de ce
texte, d'opérer un transfert de responsabilité ou de pouvoir de décision des
élus ou de l'Etat vers des groupes de pression ou vers des populations.
En fait, on recueille des avis, étant rappelé que l'autorité publique
compétente ne serait pas liée par les avis recueillis.
Un autre écueil serait - cette crainte a parfois été exprimée - l'allongement
des délais, la complexité plus grande et, finalement, la paralysie de la
puissance publique.
Sur ce point, on peut, je crois, dire très objectivement que, au contraire,
cette procédure, qui appelle en amont la participation des populations,
éviterait sans aucun doute bien des difficultés ultérieures. Cela ressort très
nettement du rapport du Conseil d'Etat. Quant au préfet Hubert Blanc, président
de la commission nationale du débat public, il souligne que la négligence de
ces débats préalables entraîne très souvent pour les projets les plus grandes
difficultés, quand elle ne dresse pas des obstacles parfois infranchissables,
alors que la consultation en amont, avec le débat public, permet, finalement,
une plus grande efficacité des procédures.
En conclusion, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers
collègues, la commission propose l'adoption de cette proposition de loi, dont
l'article 1er vise plus particulièrement les grands projets dont l'impact est
local - communal, départemental ou régional - et où la concertation est appelée
sur un territoire déterminée, et dont l'article 2, prenant un peu plus de
recul, si je puis m'exprimer ainsi, vise les grands projets d'infrastructure,
notamment linéaires, les projets de réseaux, dont l'utilité n'est pas forcément
perceptible ou préhensible au point de passage desdits réseaux, à savoir
autoroutes, voies ferrées, etc. Dans les couloirs qui sont empruntés par ces
réseaux, les populations ne sont pas forcément sensibles à l'utilité de ces
projets, alors qu'il est exact que l'on mesure plus facilement leur intérêt aux
points de desserte.
Il est donc souhaitable que l'ensemble des populations qui devront supporter
les nuisances créées par ces projets d'intérêt général soient associées au
processus de décision.
En tout cas, une démarche d'information franche et honnête doit être
entreprise en leur direction pour recueillir des avis avant toute prise de
décision.
(Applaudissements.)
M. Serge Franchis.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Monsieur le
président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la Haute
Assemblée a décidé d'inscrire à l'ordre du jour de ses travaux une proposition
de loi du groupe de l'Union centriste, dont le premier signataire est M.
Dulait.
L'objectif de ce texte est, comme vous l'avez dit à l'instant, monsieur le
rapporteur, de rendre obligatoire l'organisation de présentations publiques des
projets de grandes infrastructures, quatre mois au moins avant l'ouverture de
l'enquête publique.
Votre commission des affaires économiques a souhaité que ces réunions de
présentation soient organisées par le maître d'ouvrage, alors que les auteurs
de la proposition de loi avaient initialement pensé qu'elles devaient l'être
par les maires des communes concernées.
Le Gouvernement est, bien entendu, favorable à l'amélioration des procédures
de concertation en amont des projets d'aménagements et de réalisation
d'infrastructures. Il l'a d'ailleurs montré encore tout récemment, à l'occasion
de la discussion du projet de loi relatif à la solidarité et au renouvellement
urbains.
Je rappelle, à cet égard, qu'avec Louis Besson nous avons proposé dans ce
cadre une simplification des procédures qui président à l'élaboration des
documents d'urbanisme ainsi que des dispositions visant à l'amélioration de la
concertation en amont des décisions. Nous l'avons fait dans le double objectif
de démocratiser le processus de décision et de limiter l'importance du
contentieux portant sur des questions de forme.
Il convient également de préciser que le Gouvernement prépare, sous l'égide de
Mme Voynet, une réforme de l'utilité et des procédures d'enquêtes publiques qui
devrait se traduire, l'an prochain, par la présentation d'un projet de loi
devant le Parlement.
Comme vous le savez, et vous le montrez dans votre rapport écrit, monsieur le
rapporteur, le droit relatif à cette matière repose sur de nombreux textes.
Vous en avez d'ailleurs cités plusieurs.
J'évoquerai pour ma part la loi du 12 juillet 1983 relative à la
démocratisation des enquêtes publiques et à la protection de l'environnement,
que nous devons à la gauche, et celle du 2 février 1995, initiée par M. Barnier
lorsqu'il était ministre de l'environnement. Il en existe encore bien d'autres,
inscrites dans différents codes et s'appliquant à de nombreuses opérations
particulières.
J'estime qu'il est de plus en plus nécessaire, dans tous les domaines, de
croiser le travail des experts et des concepteurs des projets avec les avis de
ceux qui ont l'expérience du terrain et, je puis vous l'assurer, le
Gouvernement est dans cet état d'esprit.
Aussi, considérons-nous qu'il convient de réfléchir à une réforme globale des
procédures de consultation et d'enquêtes publiques, afin de définir des
procédures plus simples, plus claires et plus transparentes et susceptibles de
rassembler et de prendre en compte l'ensemble des avis exprimés, dans
l'objectif d'améliorer la fonctionnalité et la qualité des projets qui doivent
correspondre à l'intérêt général.
De même, il convient de réfléchir à l'utilisation que l'on peut faire des
nouvelles technologies de communications pour l'information et la consultation
des élus et des citoyens.
Dans ces conditions, et je tiens à être clair, quelles que soient les
intentions louables des auteurs et du premier signataire de cette proposition
de loi, n'est-il pas prématuré d'instaurer une nouvelle procédure de
consultation qui viendrait s'ajouter au dispositif juridique actuel et se
superposer aux procédures existantes ?
Le vote d'une loi est une chose importante. Pour trouver sa pleine efficacité,
une loi doit s'inscrire dans la durée. Il n'est assurément pas bon de légiférer
en permanence sur le même domaine. Il en résulte des difficultés pratiques sur
le terrain, non seulement pour ceux qui sont chargés de la mise en oeuvre des
procédures, mais aussi pour les élus et pour la population qui ont une mauvaise
lisibilité de la mise en oeuvre de l'action de l'Etat.
En outre, comme l'indique M. Arnaud dans son rapport écrit, j'appelle votre
attention sur les difficultés bien réelles qu'il y aurait à créer, surtout à
l'échelle communale, des procédures d'information et de consultation trop en
amont des projets, lorsqu'ils en sont au stade de déclaration d'intention ou
qu'ils ne sont pas suffisamment bien définis.
Prenons l'exemple d'une grande infrastructure terrestre relevant de mon
ministère, TGV ou autoroute. La première étape de la réflexion, dans le cadre
du débat public, consiste à analyser les besoins en déplacements et les
solutions pour les satisfaire, tous modes confondus, car la démarche du
Gouvernement est, vous le savez,
a priori
multimodale. Il est alors
question non pas de commune traversée, mais des conditions d'un réel débat
citoyen, notamment avec les élus, autour des choix de développement, souvent à
l'échelle d'une région ou d'une agglomération.
Dans le cas où une infrastructure nouvelle a été retenue, vient ensuite la
comparaison de fuseaux qui donne lieu à une large concertation publique. Là
encore, le nombre de communes touchées et l'imprécision des tracés ne
permettent pas un raisonnement uniquement à l'échelle communale.
Vient enfin le choix d'une solution, parmi plusieurs variantes, qui est soumis
à enquête d'utilité publique. Il est alors indispensable que chaque personne
concernée ait un accès très large au dossier et qu'elle puisse se prononcer. Le
Gouvernement travaille précisément à l'amélioration des conditions et de la
transparence de cette étape.
Que représenterait l'étape de consultation intermédiaire qu'on nous propose
aujourd'hui de faire quatre mois avant ? Eh bien, soit une solution est
retenue, et alors la réunion publique pourrait se tenir pendant l'enquête ;
soit elle ne l'est pas, et on se trouve encore dans une phase de concertation,
où la transparence vis-à-vis des habitants est indispensable.
La solution que préconisent les auteurs de cette proposition de loi et votre
commission présente donc des avantages mais aussi des inconvénients sur
lesquels il convient de réfléchir. C'est précisément sur les réponses à
apporter à ce genre de problématique que le Gouvernement exprime sa volonté
d'avancer.
Enfin, je note que la commission a souhaité que les collectivités
territoriales n'apparaissent pas comme coresponsables du projet soumis au
débat. Permettez-moi, monsieur le rapporteur, de m'interroger sur l'opportunité
de cette suggestion.
Je vous rappelle que les collectivités territoriales représentent elles aussi
l'Etat à leur niveau et qu'elles doivent contribuer à la réalisation de
l'intérêt général. Mais vous l'avez dit, monsieur le rapporteur. La
Constitution affirme d'ailleurs à cet égard que la République est une et
indivisible.
Un projet d'infrastructure routière, autoroutière, ferroviaire, portuaire ou
aéroportuaire ne saurait être réalisé que s'il présente une utilité reconnue
pour l'ensemble de la collectivité et il concerne, par définition, toutes les
collectivités, même celles pour qui la réalisation du projet comporte un
certain nombre d'inconvénients, sans omettre de rappeler qu'il peut être
également source d'activité et d'emplois pour celles-ci. Les collectivités
locales ne doivent pas être seulement le lieu d'expression d'intérêts
particuliers, même s'il faut les prendre en compte.
Pour toutes les raisons que je viens d'exposer, le Gouvernement n'est pas
favorable, en l'état, à l'adoption de cette proposition de loi. Il préfère, je
le dis à son premier signataire, que le débat que nous avons ce matin s'intègre
aux réflexions en cours portant sur la réforme globale et cohérente de
l'utilité publique qu'il prépare.
Vous le savez, ce gouvernement a pour principe de faire ce qu'il dit et de
dire ce qu'il fait. L'importance des réformes qu'il a entreprises et du travail
législatif qu'il a réalisé depuis juin 1997 sont les meilleurs gages de sa
volonté de faire aboutir les réformes qu'il annonce. Aussi, je crois que vous
pouvez lui faire confiance pour la mise en oeuvre de cette réforme de l'utilité
publique et pour mener auparavant les concertations et les réflexions qui
s'imposent pour parvenir à une réforme durable et de qualité.
Permettez-moi, pour conclure, d'attirer votre attention, en matière de
transparence et de dialogue, sur les grands projets d'infrastructures : il y a
les lois, la perspective de leur évolution pour le premier semestre de 2001
dont j'ai parlé, et les faits.
Je souhaite que ces faits et ces lois renforcent les droits des citoyens et
que la mise en application de ces dernières puisse être vérifiée. Vous
consulterez vos collègues pour savoir si ce que je vous annonce à l'instant est
vrai ou faux : s'agissant du TGV Est européen, de l'A 28, de Roissy, de l'A 51,
tout ce que nous faisons, tout ce que nous avons fait, prouve que plus nos
concitoyens sont associés à la connaissance et à la réflexion, mieux les
décisions sont prises.
(Applaudissements sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Fatous.
M. Léon Fatous.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, sur tous les
grands projets touchant à l'aménagement du territoire, dont les projets
d'infrastructures sont partie prenante, la concertation avec la population est
une nécessité. C'est là, je crois, un point de vue partagé par tous.
L'inscription de cette proposition de loi à l'ordre du jour du Sénat est donc
une initiative heureuse.
A ce propos, avant d'aborder le fond de la proposition de loi, je souhaite
ouvrir une parenthèse afin de revenir sur certaines prises de position de la
majorité sénatoriale lors de l'examen du projet de loi relatif à la solidarité
et au renouvellement urbains qui me semblent contraires à l'objectif que nous
cherchons à atteindre aujourd'hui, à travers l'examen de ce texte, à savoir
renforcer la transparence et la concertation avec le public sur tout grand
projet d'aménagement, dans un double souci : approfondir la démocratie
participative, comme je l'ai déjà dit, mais aussi asseoir la légitimité des
décisions publiques.
En effet, lors de l'examen de ce projet de loi, plusieurs amendements visant à
restreindre les droits d'accès des citoyens aux tribunaux en matière
d'urbanisme ont été adoptés contre l'avis du Gouvernement et avec l'opposition
du groupe socialiste. Comme l'a alors indiqué le secrétaire d'Etat au logement,
ces amendements sont tout à fait discutables sur le plan constitutionnel,
notamment au regard des libertés publiques.
A titre personnel, j'ajoute que si je comprends bien le souci de certains de
mes collègues, à savoir éviter la multiplication des contentieux, je ne crois
pas que ce soit en limitant les droits de recours que l'on y parviendra, et que
l'on renforcera la légitimité des décisions publiques, notamment en matière
d'urbanisme ou de grands projets d'aménagement, qu'elles relèvent de la
compétence de l'Etat ou des collectivités territoriales.
Je crois en revanche aux vertus du dialogue, le plus en amont possible des
projets, à celles des débats contradictoires, et à la nécessité d'un suivi et
d'un bilan tout au long de la réalisation desdits projets.
C'est ainsi que l'on luttera efficacement contre l'inflation des contentieux.
Si l'on fait confiance à la démocratie, les causes de malentendus, donc de
polémiques et de recours, seront réduites. J'espère que lors de la prochaine
lecture de ce texte, le Sénat ne défendra pas à nouveau ces amendements.
La proposition de loi prévoit l'organisation, pour avis, au niveau communal,
d'une présentation et d'une discussion en réunion publique de tout grand projet
d'infrastructure, en amont de la décision de réaliser ledit projet. Elle
précise que cette procédure est confiée à la diligence du maire selon les
modalités qu'il souhaite, qu'elle doit intervenir trois mois avant la prise de
décision, et que tout habitant doit en être informé quinze jours à l'avance.
Cette proposition de loi me semble contenir deux éléments positifs.
Tout d'abord, elle instaure une information et une consultation du public en
amont de la décision. Le rapport de Mme Bouchardeau en 1993 et plus récemment
celui du Conseil d'Etat sur l'utilité publique soulignent tous les deux que le
débat public intervient trop tard, lors de l'enquête publique, alors que les
principaux partis d'aménagement ont été arrêtés. Le public a donc l'impression
d'être laissé à l'écart du débat sur l'opportunité du projet. Or il apparaît
clairement qu'il souhaite être mieux associé au processus de décision.
Enfin, la proposition de loi impose une consultation des habitants des
communes directement touchées par un projet de création d'une nouvelle grande
infrastructure. Je crois que c'est une bonne chose. L'opportunité d'un projet
ne peut, en effet, se mesurer au seul service rendu aux usagers. Elle doit
aussi être évaluée au regard des réactions des populations locales.
Certains points de la proposition de loi mériteraient cependant d'être
revus.
Le rôle et la place du maître d'ouvrage nous paraissent mal définis, de même
que celui du maire. La solution retenue par la commission des affaires
économiques me paraît bonne : au maître d'ouvrage, la présentation du projet ;
au maire, la surveillance du bon déroulement des opérations.
L'articulation avec les procédures prévues par le droit actuel mérite d'être
précisée. Là encore, je considère que c'est une bonne chose que de prévoir la
transmission des observations recueillies dans les communes à la commission
nationale du débat public lorsque celle-ci a été saisie.
Enfin, les projets d'infrastructure concernés doivent être mieux précisés par
la loi. Notre rapporteur propose de se référer à la notion de « grand
équipement d'infrastructure mentionné au deuxième alinéa de l'article L. 122-1
du code de l'urbanisme ». Je souhaiterais que vous précisiez concrètement,
monsieur le rapporteur, les projets qui sont ainsi visés.
Cette proposition de loi constitue, sans conteste, une amélioration de notre
droit qu'elle complète utilement. Néanmoins, elle n'est pas suffisante. Elle ne
répond pas à l'ensemble des critiques régulièrement formulées à l'encontre de
l'enquête publique. En ce domaine, une réforme s'impose. Certes, celle-ci n'est
pas aisée, comme nous le montrent les différentes tentatives faites ces dix
dernières années pour améliorer les procédures de consultation du public. Je
pense à la circulaire de 1992, dite « circulaire Bianco », qui prévoit
l'ouverture d'un débat public avant l'enquête publique pour les grands travaux
d'infrastructure de transport et le contrôle de l'engagement de l'Etat par un
comité de suivi. Je pense aussi à la loi du 2 février 1995 qui a institué une
commission nationale du débat public.
Lors de sa déclaration de politique générale, le Premier ministre a pris
l'engagement de faire procéder à une révision des procédures d'appréciation de
l'utilité publique : « la démocratie ne peut souffrir la confiscation du
pouvoir de décider... La décision doit être préparée avec les personnes qu'elle
concerne », avait-il alors déclaré. Il a par ailleurs saisi le Conseil d'Etat
de cette question, et celui-ci a rendu son rapport en novembre dernier.
Ce rapport formule différentes propositions.
Il suggère de refonder la notion d'utilité publique qui, désormais, ne doit
plus se justifier uniquement au regard des atteintes au droit de propriété,
mais doit plus généralement porter sur l'opportunité du projet.
Il souligne également la nécessité de mieux prendre en compte la
décentralisation dans ce procesus de consultation de la population.
Il propose aussi d'instaurer un véritable dialogue entre les populations et
les responsables de projet, le plus en amont possible. En effet, bien souvent,
les citoyens concluent à l'inutilité des procédures de consultation : on ne
leur apporte pas de réponse aux questions qu'ils soulèvent. Ils ont
l'impression que leurs observations ne sont suivies d'aucun effet. La mise en
place d'une consultation en amont du projet portant sur le principe du nouvel
aménagement, sa justification, son bien-fondé, et qui soit conclue par une
déclaration d'avant-projet du maître d'ouvrage décidant de poursuivre ou non le
projet est une idée intéressante. Elle signifie qu'aucun projet n'est
irréversible.
Si le projet mérite d'être étudié plus à fond le Conseil d'Etat propose
ensuite que le maître d'ouvrage poursuive ses études en respectant les termes
d'un cahier des charges tirant les conclusions de la consultation. C'est là un
moyen judicieux de prendre en compte les observations du public et leur
suivi.
Monsieur le ministre, nous attendons cette réforme des procédures de
consultation du public sur les grands projets d'aménagement, mais le groupe
socialiste votera cette proposition de loi.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Dulait.
M. André Dulait.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues,
permettez-moi de replacer très brièvement cette proposition de loi dans son
contexte, en commençant peut-être par dire ce qu'elle n'est pas.
Effectivement, elle n'a pas pour but de suppléer la décision des élus
responsables, à quelque niveau que ce soit : il est bien certain que la
décision ultime appartiendra toujours aux élus.
Elle n'a pas non plus pour objet d'aboutir à un alourdissement des procédures
existantes, bien au contraire. Nous souhaitons en effet que le maximum de
questions soient posées en amont de façon à éviter les procédures contentieuses
- même si on mesure, monsieur le ministre, et sur ce point je vous rends
hommage, les progrès accomplis à cet égard - car on sait le temps qui peut
s'écouler avant que certains équipements ne voient le jour.
Vous avez cité le TGV, vous avez cité la route, et, malheureusement, nous
avons encore sous les yeux un certain nombre d'exemples ! Il a ainsi fallu dix
ans pour assister, dans mon département, à l'aboutissement du projet de
construction de vingt kilomètres d'autoroute - il s'agit bien sûr de l'A 3,
monsieur le ministre. Or, lorsque les élus avaient été consultés à propos du
Marais poitevin, ils avaient à l'époque préconisé la solution qui voit le jour
aujourd'hui mais que les services avaient alors complètement rejetée !
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Pas moi !
M. André Dulait.
Non, monsieur le ministre, vous n'aviez pas à l'époque la charge des affaires
du ministère de l'équipement ! Mais ce sont des exemples de cette nature qui
ont conduit certains de mes collègues et moi-même à proposer cette
amélioration.
La présente proposition de loi est modeste, mais nous souhaitions ajouter une
pierre à l'édifice et vous aider, monsieur le ministre, à « accélérer » une
réforme qui nous paraît indispensable.
Dans les consultations telles qu'elles se pratiquent aujourd'hui, les élus ont
l'impression que les jeux sont faits. Par ailleurs, la population ne réagit
plus comme au début du siècle où, lorsque arrivait l'eau, les gens venaient
supplier qu'on leur installe le robinet qui allait leur permettre d'avoir accès
à des techniques nouvelles. Aujourd'hui, nos concitoyens sont soucieux de leur
qualité de vie et de leur bien-être, et ils ont plus tendance à revendiquer
qu'à accepter les choses.
Cette proposition de loi a donc pour but d'améliorer la transparence et de
contribuer à une meilleure information des citoyens. Les textes européens -
nous ne les avons pas encore ratifiés, et il serait intéressant de le faire
prochaînement -, nous orientent pourtant dans cette voie.
Cette proposition que j'ai l'honneur de présenter avec les membres du groupe
de l'Union centriste peut constituer un progrès dans la discussion que nous
aurons au cours de l'été prochain, du moins je l'espère, monsieur le ministre.
(Applaudissements sur travées de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette
proposition de loi, qui vise, dans son article unique, à ce que « tout grand
projet d'infrastructures fasse l'objet, pour avis, dans toutes les communes
intéressées et à la diligence de leurs maires, selon les modalités qu'ils
souhaitent mettre en place, d'une présentation et d'une discussion en réunion
publique », ne peut obtenir que l'approbation du groupe communiste républicain
et citoyen.
En effet, les sénateurs communistes s'étaient montrés plus qu'avant-gardistes,
en 1994, lors des débats sur l'examen des articles de la loi n° 95-101 du 2
février 1995. Nous avions alors défendu l'idée d'un débat public en amont des
procédures de réalisation et nous avions souhaité qu'il ait lieu
automatiquement et systématiquement.
Ces amendements n'avaient pas été adoptés. Notre ex-collègue, M. Michel
Barnier, alors ministre de l'environnement, avait fait appel au « pragmatisme
et à la progressivité », l'initiative du gouvernement constituant déjà une
avancée extraordinaire quant à la démocratisation des procédures. Il avait
ajouté : « Je plaide pour que l'on se donne le temps de l'expérimentation et de
l'observation. »
Ce temps s'est écoulé et l'expérience met à jour la disparité des textes au
regard de la consultation de nos concitoyens entre le code de l'expropriation,
le champ d'application, les modalités des enquêtes publiques régies par la loi
du 12 juillet 1983, sans compter les nombreuses enquêtes soumises à un régime
spécial.
M. le ministre nous a annoncé qu'un projet de loi sur la réforme de l'utilité
publique était en cours de préparation. Nous l'approuvons pleinement et nous
souhaitons que nos propositions soient prises en compte.
Nous nous félicitons de cette initiative car il est certain que ce domaine
nécessite un réel toilettage et une harmonisation des procédures.
M. le rapporteur souligne - et nous y souscrivons pleinement - que «
l'adoption de la présente proposition de loi laissera largement entier le
problème de la participation consultative des citoyens en amont des décisions
fondatrices et souvent irréversibles concernant les grands projets
d'infrastructures ».
Un tel constat laisse espérer que le dépôt, la discussion et l'adoption de la
présente proposition de loi soient non pas un coup d'éclat, un élan
démocratique éphémère, mais une véritable prise de conscience de la majorité
sénatoriale de la nécessité de démocratiser notre vie politique et publique,
annonciatrice d'un soutien à la réforme globale préparée par le
Gouvernement.
Mais les revirements sont soudains et souvent inattendus dans cette enceinte.
Aussi, je me permets de vous rappeler, mes chers collègues, la position que
vous aviez adoptée lors du débat relatif au projet de loi sur la solidarité et
le renouvellement urbains au cours duquel vous avez rejeté un amendement du
groupe communiste républicain et citoyen
(M. le ministre de l'équipement,
des transports et du logement s'exclame)
qui prévoyait justement
l'instauration, lors de l'élaboration du schéma de cohérence territoriale, d'un
débat public.
Pour l'heure, cette proposition de loi organise une consultation directe et
préalable des citoyens des communes intéressées par un projet de création d'une
nouvelle grande infrastructure. Elle vient préciser la notion de débat public,
rattachée à la procédure prévue par la loi Barnier.
Cette procédure de concertation qui doit permettre, en amont de la phase
d'étude des projets, d'associer, d'informer largement le public et les
associations, n'est pas exempte de critiques, en raison, principalement, du
flou législatif entourant les modalités d'organisation.
La rédaction que nous soumet la commission des lois détermine plus précisément
les modalités de mise en place de la concertation. Il s'agit là d'une
amélioration minime cependant au regard de l'envergure des réformes à
entreprendre et que le Gouvernement a décidé de mettre en chantier.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er