SEANCE DU 3 OCTOBRE 2000
ÉGALITÉ PROFESSIONNELLE
ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES
Discussion d'une proposition de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi (n° 258,
1999-2000), adoptée par l'Assemblée nationale, relative à l'égalité
professionnelle entre les femmes et les hommes. [Rapport n° 475 (1999-2000),
avis n° 1 (2000-2001) et rapport d'information n° 347 (1999-2000).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Nicole Péry,
secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous voici réunis
pour examiner un texte sensible, un texte très important. Aussi, monsieur le
président, je ferai appel à votre compréhension pour accorder à la secrétaire
d'Etat aux droits des femmes un temps de parole un peu plus long que prévu.
Les femmes ont conquis au xxe siècle une égalité de droit qui marque un
tournant historique dans leur marche vers l'égalité : égalité devant
l'éducation, droit de vote, émancipation juridique vis-à-vis du père et de
l'époux, maîtrise de la fécondité, égalité professionnelle, parité
politique.
Les jeunes femmes ne connaissent pas toujours dans les détails notre histoire
commune, mais elles savent que leurs mères se sont battues et elles veulent
bénéficier de tous les droits acquis.
En commençant mon propos, je souhaite rappeler quelle est exactement la
situation des femmes de l'an 2000 dans le monde du travail.
Le partage du pouvoir dans la vie politique rendra, je l'espère, plus
insupportables les inégalités de salaires, de carrière, de statut, de
formation. Ainsi, il n'y a que 7 % de femmes parmi les cadres dirigeants des 5
000 premières entreprises alors que les femmes occupent 80 % des emplois
d'ouvriers et d'employés. Pourtant, les filles sont plus nombreuses que les
garçons à poursuivre des études supérieures : 120 filles pour 100 garçons.
Les femmes ont quasiment toutes la volonté d'avoir une activité
professionnelle, même lorsqu'elles ont des enfants, pour assurer leur autonomie
financière, valoriser leurs études et participer à la vie sociale. Aujourd'hui,
80 % d'entre elles, entre 25 et 50 ans, sont actives. Elles ont conquis une
place dans le monde du travail tout en assumant encore le plus souvent, comme
par le passé, la rsponsabilité de la vie familiale. Pour certaines, c'est la
galère du quotidien ; je pense en particulier à celles qui sont seules avec des
enfants à charge ou à celles qui ont de faibles revenus.
Vous connaissez bien sûr ces chiffres clés de l'inégalité. Bien que la forte
baisse du chômage se poursuive et profite aux femmes et aux chômeurs de longue
durée, le taux de chômage des femmes est encore de 11,6 %, contre 8,3 % pour
les hommes.
L'écart de rémunération moyen de 25 % subsiste si je prends en compte l'écart
des salaires moyens des hommes et ceux des femmes. Nous le savons aussi, les
femmes occupent l'essentiel des postes à temps partiel - en subissant la
situation le plus souvent - et sont titulaires de la majorité des contrats
précaires.
Face à cette situation, le Gouvernement a d'abord souhaité mener des
expertises et une concertation. Les rapports de Béatrice d'Intignano et de
Catherine Génisson ont montré la nécessité d'une approche globale de l'égalité
professionnelle. En effet, les écarts de salaires ne s'expliquent pas seulement
par des discriminations, ils s'expliquent aussi par des inégalités
structurelles d'orientation professionnelle et de déroulement de carrière.
Je suis intimement convaincue que seule une action globale, mobilisant tous
les acteurs - je pense à l'éducation nationale, mais aussi à la politique de
l'emploi et de la formation, à la politique familiale et, bien sûr, au dialogue
social -, permettra de remédier aux origines de ces inégalités.
Il s'agit à nos yeux d'agir tout d'abord en amont, par une éducation que je
qualifierai de non sexiste.
Nous avons signé cette année une convention en ce sens avec l'éducation
nationale visant à élargir les choix professionnels des filles.
Pardonnez-moi de citer encore des chiffres, mais ils sont extrêmement
révélateurs du poids culturel qui pèse encore sur l'orientation des filles :
ainsi, 60 % des emplois qu'elles occupent sont concentrés dans six groupes
professionnels sur trente-cinq. Or ces six groupes ne représentent que 30 % des
emplois, ce qui explique aussi le chômage structurel des femmes.
De l'école primaire à l'enseignement supérieur, il est impératif de modifier
la représentation des rôles des hommes et des femmes dans la société, des
relations entre les sexes, ainsi que l'image des filières et des métiers. Il
nous faut donc engager un réel effort en matière d'orientation scolaire.
L'information doit être développée tout au long de la scolarité, en
partenariat avec les entreprises et les régions.
A titre d'exemple, l'orientation et l'insertion professionnelle des filles et
des garçons dans sept filières et métiers vont faire l'objet d'un suivi et de
propositions. Nous avons choisi trois filières vers lesquelles les filles
s'orientent alors qu'il y existe des difficultés d'emploi, au moins pour les
bas niveaux de qualification - je pense au textile - et trois filières d'avenir
insuffisamment féminisées, comme l'électronique. Nous avons saisi le CEREQ, le
centre d'études et de recherches sur les qualifications, pour réaliser cette
mission.
Un autre axe important de la politique du Gouvernement est de favoriser
l'insertion professionnelle.
A cette fin, j'ai veillé à ce que, dans le plan national d'action pour
l'emploi, le PNAE, on réserve aux femmes 55 % des dispositifs de lutte contre
le chômage de longue durée et contre les exclusions en accordant, bien sûr, une
vigilance particulière aux mesures qui conduisent à l'entreprise comme le
contrat initiative-emploi et les formations en alternance.
Je souhaiterais encore évoquer une action qui m'est chère et qui concerne
directement mon autre compétence ministérielle, à savoir la formation tout au
long de la vie.
Dans ce domaine également, des chiffres clés m'ont particulièrement frappée.
Savez-vous qu'aujourd'hui une femme de 35 ans accède deux fois moins qu'un
homme du même âge à une action de formation tout au long de la vie, ce qui la
pénalise dans son espoir de progression personnelle ?
Mme Maryse Bergé-Lavigne.
C'est exact !
Mme Nicole Péry,
secrétaire d'Etat.
La réforme que je mène doit donc apporter des réponses
concrètes à une telle situation et offrir aux femmes, en termes d'égalité des
chances, des possibilités de construire des parcours de progression personnelle
et professionnelle.
Vous le savez, l'un des volets de cette réforme concerne la création d'un
droit nouveau, que j'appelle la reconnaissance et la validation de l'expérience
professionnelle ou de toute autre activité : associative, syndicale, y compris
toute activité bénévole.
L'affirmation de ce droit nouveau permettra, me semble-t-il, aux femmes
d'aller de l'avant. Les acquis, validés par un jury, pourront donner droit,
directement ou avec un complément de formation, à tout diplôme, titre ou
certification existant. Ce droit constitue un élément important du projet de
réforme que je conduis et sera traité par le projet de loi de modernisation
sociale qui sera débattu à l'Assemblée nationale en janvier prochain.
Enfin, j'évoquerai un quatrième axe permettant de conforter l'égalité de
traitement entre les hommes et les femmes, et je le ferai avec une certaine
prudence, parce qu'il relève moins directement de la compétence de l'Etat : je
pense au renforcement de la place des femmes dans les instances du dialogue
social.
La participation des femmes aux négociations dans les entreprises, dans les
branches professionnelles, dans les organismes paritaires comme la CNAF, la
Caisse nationale des allocations familiales, ou l'UNEDIC, l'Union nationale
interprofessionnelle pour l'emploi dans l'industrie et le commerce, permettra
de prendre en compte des préoccupations très concrètes en matière
d'organisation du temps de travail et de garde des enfants.
Le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle a engagé à ma demande,
depuis décembre dernier, une réflexion sur ce sujet, et la concertation avec
les partenaires sociaux devrait aboutir, d'ici à la fin de l'année, à des
propositions qui, je l'espère, permettront d'aller de l'avant. De plus, le
Premier ministre - c'est important - a saisi le Conseil économique et social
afin qu'il établisse un rapport sur la place des femmes dans les instances du
monde socio-économique, Mme Michèle Cotta est chargée de cette mission.
Si je me suis permis d'être un peu longue dans l'exposé d'ensemble de cet
environnement, c'est pour bien situer l'exercice législatif auquel nous allons
nous livrer aujourd'hui dans un cadre plus global. C'est aussi pour vous faire
part de ma conviction profonde que c'est en agissant sur l'ensemble de ces
champs que nous pourrons faire progresser l'égalité professionnelle au-delà des
lois, indispensables mais insuffisantes, qui sont votées.
Nous voici donc devant une initiative parlementaire, une proposition de loi,
qui vise à compléter la loi de 1983. Le renforcement des obligations des
entreprises qu'elle prévoit s'inscrit dans le cadre global que je viens
d'évoquer.
La loi de 1983 est une excellente loi, à tel point que parfois on me demande :
« Pourquoi avez-vous éprouvé le besoin d'ajouter une proposition de loi à un
cadre juridique déjà complet ? » J'ai l'habitude de répondre que le cadre
juridique défini par ce texte était assurément très en avance sur son temps,
mais que le cadre conventionnel, si déterminant pour les salariés, a marqué le
pas depuis 1983 : la négociation sur l'égalité professionnelle est restée
pauvre. Ainsi, trente-quatre plans d'égalité seulement ont été signés depuis
1983. Telle n'était certainement pas l'ambition de la loi Roudy !
Les négociations sur la rémunération, la formation ou la réduction du temps de
travail ne prennent pas non plus suffisamment en compte l'objectif d'égalité
professionnelle.
Pourquoi ?
Sur ce point, les analyses peuvent diverger.
Le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle, qui est également saisi des
projets de textes législatifs que nous discutons, a étudié celui-ci dès
septembre 1999, et j'ai noté que les syndicats étaient tout à fait favorables à
l'introduction de dispositions plus contraignantes. Je pense en particulier à
celle qui incitera l'ensemble des entreprises et des branches professionnelles
à mener tous les trois ans des négociations sur l'égalité professionnelle dans
tous ses aspects : salaires, conditions de travail, carrières, accès à la
formation tout au long de la vie...
Je voudrais aussi que ces dispositifs contraignants s'accompagnent d'autres,
plus souples, qui permettent une pleine application de la loi. Je pense
notamment aux contrats d'égalité, qui étaient jusqu'à maintenant liés aux plans
d'égalité.
Si les plans d'égalité ne sont pas suffisamment vigoureux, ayons la volonté
d'en assouplir les conditions et de favoriser la conclusion d'un contrat entre
le secrétariat d'Etat et les entreprises chaque fois que se fait jour la
volonté d'améliorer la situation des femmes !
La proposition de loi que nous discutons aujourd'hui, j'en suis certaine,
marquera une étape importante sur le chemin vers l'égalité professionnelle.
J'en viens maintenant à la deuxième partie de cet exercice, tout aussi
délicate : la présentation de l'amendement gouvernemental visant à supprimer
l'interdiction du travail de nuit des femmes dans l'industrie. Nous savons tous
que c'est là un sujet très sensible, car, pour des raisons historiques et
culturelles, nous y sommes tous très attachés.
J'ai choisi de montrer, car c'est mon rôle, que cet attachement ne correspond
plus à la réalité du monde du travail ni du travail de nuit des femmes
d'aujourd'hui.
Cette interdiction, vous le savez, est très ancienne, puisqu'elle date de la
fin du siècle dernier - de 1872, je crois -, c'est-à-dire d'une époque où la
pénibilité du travail de production justifiait une politique de « protection »
des femmes. Elle figure actuellement à l'article L. 213-1 du code du
travail.
Mais le monde du travail a changé, tout comme les rapports entre les hommes et
les femmes. Depuis 1976, une directive européenne prescrit l'égalité de
traitement dans tous les domaines entre les femmes et les hommes, et nous
retrouvons la même exigence d'égalité dans la convention 171 de l'OIT,
l'Organisation internationale du travail, convention que la France n'a pas
encore ratifiée. Nous devons donc mettre notre droit en conformité avec le
droit européen et le droit international, sous peine d'une lourde sanction. Il
s'agit, cette fois - sans doute le savez-vous mais permettez-moi de le rappeler
-, non plus de menaces, mais de l'obligation, à très brève échéance, de verser
des pénalités financières lourdes, s'élevant à 931 000 francs par jour - ce qui
est considérable -, et ce alors que la modification législative prévue par
l'amendement gouvernemental est assez formelle.
Je le redis ici avec une certaine force : la jurisprudence a confirmé le droit
européen. Ainsi, l'arrêt Stoeckel de 1991 a déjà permis aux entreprises de
production qui le souhaitaient de mettre en place le travail de nuit : 55 000
femmes sont déjà concernées dans l'industrie.
Il est également nécessaire de transposer deux directives européennes, l'une
de 1992, l'autre de 1993, relatives respectivement à la santé des travailleuses
enceintes et à l'aménagement du temps de travail.
Je voudrais insister sur la réalité du travail de nuit aujourd'hui.
Sans compter celles qui travaillent dans l'industrie, que je viens d'évoquer,
650 000 femmes, soit un quart de l'ensemble des salariés travaillant de nuit,
sont déjà concernées, dans des secteurs que nous connaissons : la santé, le
commerce, les transports.
Je sais bien que dans certains secteurs, notamment la chimie, cette
interdiction a longtemps constitué un frein à l'embauche des femmes, y compris
des femmes ingénieurs et des cadres dirigeants. Mais, puisque j'essaie toujours
de défendre les textes en me fondant sur une conviction personnelle, je dois
vous avouer que je ne soutiendrai pas le travail de nuit en démontrant que
c'est un progrès social pour les femmes, parce que telle n'est pas mon opinion
: il ne constitue un progrès social ni pour les hommes ni pour les femmes.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe
communiste, républicain et citoyen.)
Mmes Odette Terrade et Gisèle Printz.
Nous sommes d'accord avec vous !
M. Louis Souvet.
Vous avez bien raison !
Mme Nicole Péry,
secrétaire d'Etat.
Mais si, en raison d'obligations d'ordre économique ou
de contraintes liées à une notion de service - je pense au secteur de la santé
- le travail de nuit ne peut être évité, faisons au moins en sorte, ensemble,
qu'il soit beaucoup plus clairement encadré et inscrivons dans le code du
travail des garanties qui n'existent pas aujourd'hui, qu'elles s'appliquent aux
hommes ou aux femmes.
J'en citerai quatre.
La première vise les salariés nouvellement concernés. L'introduction du
travail de nuit dans une entreprise ou son extension à de nouvelles catégories
de salariés ne pourront désormais se faire qu'après la conclusion d'un accord
entre employeur et salariés. En l'absence d'accord, il appartiendra à
l'inspecteur du travail de se prononcer.
Comme vous le savez, le passage pour un salarié d'un travail de jour à un
travail de nuit constitue, selon une jurisprudence constante, une modification
du contrat de travail. Le salarié n'est donc pas obligé de l'accepter.
M. Louis Souvet.
A-t-il vraiment le choix ?
Mme Nicole Péry,
secrétaire d'Etat.
Cependant, je veux être tout à fait claire et, après
une étude particulièrement attentive de ce dossier, je précise que l'employeur,
s'il invoque une cause réelle et sérieuse qu'il démontre - et qui peut être un
motif économique - pourra procéder, selon des dispositions clarifiées, au
licenciement du salarié.
Dans un tel contexte, il est essentiel que les partenaires sociaux puissent
rendre plus acceptable l'introduction ou le passage au travail de nuit.
C'est lors de la recherche de l'accord qui, je le répète, présidera désormais
obligatoirement à l'introduction ou à l'extension du travail de nuit dans une
branche ou dans une entreprise que pourront être prévues des mesures visant
notamment - c'est un thème qui m'est cher - à faciliter l'articulation de la
vie familiale et sociale avec les contraintes du travail de nuit, voire à
organiser des systèmes de volontariat comme il en existe déjà dans certaines
branches. Je mentionnerai, à titre d'exemple, l'accord de réduction du temps de
travail signé le 24 juin 1999 dans la branche de l'aide à domicile, qui prévoit
que les salariés vivant seuls avec un ou des enfants de moins de seize ans à
charge ne peuvent travailler de nuit que sur leur demande expresse.
S'agissant de l'obligation de conclure un accord de branche étendu ou
d'entreprise pour introduire ou étendre le travail de nuit, je signalerai
l'importance que revêt cette disposition pour les petites entreprises - et nous
savons qu'elles sont fort nombreuses -, notamment pour celles qui sont
dépourvues de représentants du personnel. Les salariés de ces entreprises
pourront ainsi bénéficier des contreparties prévues par le texte qui vous est
soumis ; ils ne seront pas laissés à l'écart.
Je vous rappelle enfin que l'introduction ou l'extension du travail de nuit
devront faire l'objet d'une consultation du comité d'entreprise ou, à défaut,
des délégués du personnel et, lorsqu'il existe, du comité d'hygiène, de
sécurité et des conditions de travail.
Les trois autres garanties que je souhaite évoquer, et qui sont prévues dans
le texte de l'amendement, concernent non plus ceux qui commencent à travailler
de nuit mais l'ensemble des travailleurs de nuit.
Pour la première fois, le travail de nuit sera bien défini, et je sais que cet
ajout est très important. Sa durée maximale est fixée à huit heures par jour.
Des contreparties obligatoires sont prévues.
Tout travailleur de nuit, quelle qu'ait été sa situation avant le vote de la
loi, bénéficiera de contreparties accordées en priorité sous forme de repos
supplémentaire ou, pour l'instant encore, sous forme de rémunération. Sur ce
point très important, puisqu'il concerne tous les salariés qui travaillent de
nuit, je tiens à préciser que le Gouvernement ne pourrait qu'être favorable à
une disposition qui imposerait qu'une part des contreparties attribuées aux
travailleurs de nuit le soit sous forme de repos. Le repos est en effet
nécessaire pour protéger la santé de ces travailleurs ; en même temps, nous le
savons, cette forme de contrepartie pourrait avoir un effet bénéfique sur
l'emploi.
Un dispositif de suivi médical sera également rendu obligatoire. Il permettra
de faire bénéficier de cette protection l'ensemble des salariés qui travaillent
la nuit et non pas seulement ceux qui étaient déjà concernés par ce dispositif
parce qu'ils travaillaient dans des équipes alternantes ou qu'ils étaient
exposés à un risque particulier.
Les modalités de cette surveillance particulière feront l'objet d'un décret en
Conseil d'Etat, mais je puis vous dire dès maintenant qu'un rythme de deux
visites annuelles, au moins pour les catégories de salariés les plus
vulnérables, me paraît indispensable.
Lorsque l'état de santé d'un travailleur de nuit ne lui permettra plus
d'occuper un poste de nuit et que le médecin du travail l'aura constaté, un
poste de jour - le plus proche possible de celui qu'il occupait - devra lui
être proposé.
Ce n'est que dans l'hypothèse où l'employeur serait dans l'impossibilité de
lui proposer un tel poste, ou si le salarié refuse le poste, qu'il pourrait
être procédé à son licenciement.
Enfin, concernant les femmes enceintes, un système protecteur est mis en
place, étant entendu que les dispositions qui régissent le congé maternité et
l'interdiction de l'emploi des femmes deux semaines avant et six semaines après
l'accouchement continuent de s'appliquer. J'insiste d'ailleurs sur ce point,
mesdames, messieurs les sénateurs, car j'ai pu remarquer, lors de la
concertation que je mène depuis quelques jours, un amalgame entre ce qui
relevait du congé de maternité et de la durée légale du travail, et ce qui
ressortit aujourd'hui à la protection des femmes enceintes dans le travail de
nuit.
Le transfert sur un poste de jour doit avoir lieu lorsque le médecin du
travail constate l'incompatibilité avec l'état de santé de la femme, et ce
durant toute la grossesse. Si l'employeur n'est pas en mesure de proposer à la
salariée un reclassement sur un poste de jour, celle-ci bénéficiera de la
garantie de rémunération prévue par l'accord national interprofessionnel sur la
mensualisation du 10 décembre 1977, qui prévoit une indemnisation comprenant
les indemnités journalières versées par la sécurité sociale au titre de la
maladie, complétées à hauteur de 90 % du salaire par l'employeur.
L'amendement relatif au travail de nuit déposé par le Gouvernement prévoit
donc des garanties négociées, ainsi que des dispositions obligatoires lorsque
la santé des salariés est en jeu, incluant la protection contre le licenciement
des travailleurs de nuit en imposant à la charge de l'employeur une obligation
de transfert sur un poste de jour en cas d'inaptitude au travail de nuit.
Les garanties qui sont ainsi offertes aux salariés vont dans plusieurs cas
au-delà de la stricte transposition des directives en permettant notamment à un
plus grand nombre de salariés de bénéficier de ces garanties, grâce à une
définition du travailleur de nuit plus large que dans la directive, ou en
instaurant, comme je l'ai déjà indiqué, une durée maximale quotidienne de huit
heures pour tous les salariés travaillant la nuit, alors que la directive de
1993 permet aux Etats membres de l'Union européenne de réserver l'application
de cette durée maximale aux seuls travailleurs de nuit exposés à des risques
particuliers ou à des tensions physiques ou mentales importantes.
L'équilibre ainsi atteint doit permettre de concilier les contraintes
d'organisation des entreprises avec la nécessité de conditions de vie et de
travail plus satisfaisantes pour les salariés concernés.
Par ce texte, le Gouvernement vous propose de mettre en place un encadrement
négocié du travail de nuit qui permette de définir les bonnes solutions à la
fois pour l'entreprise et pour les salariés, notamment - j'y insiste - au
regard des rythmes familiaux et de l'aspiration des hommes et des femmes à
assumer dans de bonnes conditions leur rôle parental.
Mais la pénibilité de ce type de travail et les bouleversements des conditions
de vie qu'il engendre imposent que le législateur fixe les règles essentielles
de la protection dont doivent bénéficier les travailleurs de nuit.
Mes derniers mots seront pour les femmes, particulièrement les jeunes,
confrontées au monde du travail. Au nom de l'égalité de traitement entre les
hommes et les femmes, elles travailleront dorénavant dans tous les secteurs, de
jour ou de nuit. Soit ! Mais elles peuvent compter sur mon énergie pour que
l'égalité de traitement concerne de la même façon, avec les mêmes contraintes,
l'orientation scolaire, les salaires, les carrières, l'accès à la formation
tout au long de la vie. C'est à ce moment-là que nous pourrons vraiment parler
d'égalité professionnelle.
En attendant, faisons aujourd'hui de cet exercice un travail utile qui
renforce le code du travail et offre les meilleures garanties possibles pour
tous, hommes et femmes.
(Applaudissements sur les travées socialistes, sur
les travées du groupe communiste républicain et citoyen, du RDSE et de l'Union
centriste, ainsi que sur certaines travées du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
Monsieur le
président, mesdames, messieurs les sénateurs, Mme Péry vient de décrire de
façon très complète l'ensemble de la politique voulue par le Gouvernement pour
instaurer une plus grande égalité entre les hommes et les femmes dans tous les
domaines de la vie familiale, sociale, professionnelle et politique. Bien
entendu, c'est dans cette dynamique globale que s'inscrit la proposition de loi
de Mme Génisson relative à l'égalité professionnelle entre les hommes et les
femmes ; et la fonction publique, gros employeur dans toutes ses branches -
fonction publique de l'Etat, fonction publique hospitalière, fonction publique
territoriale - doit aussi s'inscrire dans ce domaine.
Les grands principes de l'interdiction de toute discrimination dans l'accès au
travail, la formation, la carrière, le salaire ont été posés, comme l'a rappelé
Mme le secrétaire d'Etat, par la loi Roudy du 13 juillet 1983. Il va de soi
qu'ils figurent déjà dans le statut des fonctionnaires.
Mais il faut aussi constater - et je crois que nous le ferons tous ici - que
nous pouvons et devons aller plus loin pour construire concrètement l'égalité
dans le monde professionnel, en particulier dans la fonction publique.
Mon prédécesseur avait demandé à Mme Colmou un rapport sur la situation
professionnelle des femmes dans la fonction publique et sur les voies et moyens
à retenir pour progresser.
On se trouve en effet dans une situation paradoxale. Les femmes sont
majoritaires dans les trois fonctions publiques, même si l'on écarte le secteur
éducatif, mais elles demeurent très minoritaires dans les fonctions
d'encadrement et connaissent une évolution de carrière moins favorable que
celle des hommes.
(Eh oui ! sur les travées socialistes.)
De même, si les jeunes femmes se signalent par d'excellents résultats
universitaires, notamment dans les disciplines conduisant naturellement vers
les concours de la fonction publique, comme le droit ou l'économie, elles
franchissent plus difficilement la barrière des concours de recrutement de
niveau supérieur.
Enfin, si la présence des femmes est massive dans le domaine social et
éducatif, elles sont sous-représentées dans les filières techniques.
Ces disparités, me semble-t-il, ne doivent pas et ne peuvent pas être
acceptées. Elles ne résultent pas seulement de choix de carrière librement
effectués. Elles sont aussi le reflet de certaines pesanteurs sociales et
culturelles qui continuent de marquer le système de formation lui-même, le
système de recrutement et également le système de gestion des carrières.
(Très bien ! sur les travées socialistes.)
Faire évoluer les mentalités et les pratiques dans l'administration et
instaurer les conditions d'une vraie égalité entre les femmes et les hommes
dans la fonction publique est, me semble-t-il, notre objectif.
Le titre II de la proposition de loi constitue l'indispensable cadre
législatif de notre action.
Il s'agit tout d'abord de donner toute leur place aux femmes dans le statut
général de la fonction publique en affirmant plus clairement que ce n'est
actuellement le cas le principe d'égalité et en regroupant l'ensemble des
dispositions correspondantes, jusque-là dispersées.
Il s'agit ensuite de donner un cadre législatif aux règles que doit s'imposer
l'administration pour mettre en marche l'égalité.
Les articles du titre II de la proposition de loi fixent ainsi le principe,
pour les trois fonctions publiques, d'une représentation équilibrée entre les
femmes et les hommes dans les jurys, les comités de sélection et au sein des
représentants de l'administration dans les instances paritaires. Un décret en
Conseil d'Etat doit fixer les conditions d'application, notamment les
proportions à respecter entre les sexes en fonction des différents métiers.
Il ne s'agit aucunement de mettre en cause l'égal accès aux emplois publics
qui est garanti, dans notre tradition administrative, par le concours. Il
s'agit bien au contraire de permettre cette égalité en diversifiant la
composition des instances en charge du recrutement ou de l'examen des
conditions de travail.
En ce qui concerne les instances paritaires, un point mérite d'être souligné,
point qui a été abordé en particulier devant l'Assemblée nationale. La
proposition de loi, telle qu'elle est rédigée aujourd'hui, ne concerne que la
parité administrative. On pourrait se demander s'il ne conviendrait pas
d'étendre à la parité syndicale le principe de représentation équilibrée.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Eh bien voilà !
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
Il faut
revenir à l'esprit dans lequel le titre II a été rédigé. C'est l'Etat employeur
qui, dans sa gestion de la fonction publique, s'impose un certain nombre de
règles d'équilibre entre les femmes et les hommes, dans les jurys et au sein de
sa propre représentation dans les instances paritaires. C'est donc une première
étape.
On peut imaginer d'aller plus loin, mais cela ne peut être envisagé sans
discussion approfondie avec les organisations syndicales, dont la libre
organisation est par ailleurs un principe constitutionnel.
J'ai réuni hier la commission permanente de modernisation des services
publics, et j'ai pu avoir un premier échange sur ce sujet avec les
organisations syndicales représentatives de la fonction publique.
Dans un domaine touchant à la modernisation du dialogue social, ces échanges
doivent être approfondis et poursuivis avec l'ensemble des organisations
syndicales de salariés. C'est ce que Mme Péry a par ailleurs entrepris avec les
organisations syndicales, dans leur diversité et quel que soit le secteur,
public ou privé, qui fonde leur représentation.
Tel qu'il se présente aujourd'hui, le dispositif législatif soumis à votre
examen est à la fois une étape et un élément d'une politique d'ensemble menée
par le Gouvernement pour favoriser l'accès des femmes aux postes de
responsabilité.
C'est ainsi que, dans le cadre des décisions du comité interministériel aux
droits de la femme du 8 mars 2000, j'ai demandé à M. Anicet Le Pors, ancien
ministre de la fonction publique, de présider le comité de pilotage chargé
d'examiner les épreuves des concours et les cursus des écoles de la fonction
publique et de proposer les modifications nécessaires pour assurer une mixité
effective.
De même, un effort particulier est accompli pour ouvrir toutes les fonctions
aux femmes. La nomination de Marie-Françoise Bechtel, première femme à assurer
la direction de l'Ecole nationale d'administration, en témoigne, ainsi que
d'autres nominations, s'agissant de préfètes ou de générales. L'ensemble des
corps de la fonction publique doit donc désormais être accessible de manière
égalitaire aux deux sexes.
Seuls deux d'entre eux procèdent encore aujourd'hui à des recrutements
séparés, pour des raisons - vous en conviendrez - différentes : le corps des
surveillants et surveillantes des maisons d'éducation de la Légion d'honneur
et, dans un autre domaine, le corps des gradés et surveillants de
l'administration pénitentiaire, qui recrute des hommes pour les prisons
d'hommes et des femmes pour les prisons de femmes.
Enfin, depuis cette année, chaque ministère doit se doter d'un plan
pluriannuel d'amélioration de l'accès des femmes aux emplois et postes
d'encadrement supérieur. Ce plan doit fixer des objectifs précis tenant compte
de la représentation des femmes dans les corps qui constituent le vivier de
recrutement de ces emplois. Il doit également définir les moyens mis en oeuvre
pour y parvenir en termes de formation et d'organisation du travail. Nous
touchons ici un point fondamental : celui de la modernisation de
l'administration et de la réforme de l'Etat.
Améliorer l'accès à la formation, permettre aux femmes de concilier, sans que
leur carrière en soit pénalisée, leur vie professionnelle et leur vie familiale
par une meilleure organisation du travail sont également des enjeux majeurs.
D'ores et déjà, les femmes bénéficient de mesures en faveur du temps partiel.
Le passage aux 35 heures et l'aménagement du temps de travail qu'il induit
doivent être l'occasion, dans chaque ministère et dans chaque service,
d'améliorer les conditions de travail et donc de se préoccuper aussi de cet
aspect-là de la vie professionnelle.
On le voit, l'action entreprise par le Gouvernement est une action de fond qui
s'attaque à toutes les causes restreignant aujourd'hui dans les faits l'égalité
juridique entre les hommes et les femmes.
Le rapport sur les mesures prises pour assurer l'application du principe
d'égalité des sexes qui vous a été présenté en février 2000 mentionnait de
nombreux progrès. Il ne fait aucun doute que le prochain rapport prévu en 2002,
rapport que l'Assemblée nationale a voulu plus complet et plus prospectif, vous
permettra de mesurer les avancées dans ce domaine.
Enfin, parce que l'égalité c'est aussi la réciprocité, le Gouvernement a
déposé un amendement - que je défendrai tout à l'heure - afin d'étendre aux
hommes célibataires ayant au moins un enfant à charge la possibilité de passer
les concours de la fonction publique sans qu'aucune limite d'âge leur soit
opposable. Il s'agit là d'une mesure conforme à nos engagements communautaires,
les mesures de discrimination positive d'accès à l'emploi prises en faveur d'un
sexe devant être transposées à l'autre. C'est une mesure de parité, mais dans
l'autre sens...
Toutes ces mesures sont, bien sûr, vouées à disparaître lorsqu'elles n'auront
plus lieu d'être, mais, pour l'heure, il nous faut accélérer la marche vers
l'égalité. Tel est l'objet des dispositions qui vous sont soumises aujourd'hui.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen, et sur certaines travées du RDSE.)
Demande de réserve