SEANCE DU 3 OCTOBRE 2000
M. le président.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme le rapporteur.
Mme Annick Bocandé,
rapporteur de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
madame la secrétaire d'Etat, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 7
mars dernier, l'Assemblée nationale adoptait une proposition de loi relative à
l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, proposition déposée
par Mme Catherine Génisson et ses collègues du groupe socialiste.
Le Gouvernement a souhaité inscrire ce texte à l'ordre du jour prioritaire de
nos travaux dès le lendemain de l'ouverture de la session. La commission des
affaires sociales regrette qu'un sort aussi enviable ne soit pas également
réservé aux nombreuses propositions de loi - notamment dans le domaine social -
adoptées par le Sénat et qui sont en instance d'examen à l'Assemblée nationale
!
La présente proposition de loi est le fruit d'une réflexion menée par Mme
Catherine Génisson, que le Premier ministre avait chargée, en décembre 1998,
d'une mission sur l'égalité professionnelle. Cette mission a permis de dresser
un diagnostic assez sombre de la situation : les progrès liés notamment à la
loi du 13 juillet 1983, dite « loi Roudy », n'ont pas suffi à vaincre
l'inégalité professionnelle.
La commission des affaires sociales ne peut, hélas ! que partager ce constat.
Le travail constitue toujours ce qu'un commentateur a pu appeler « le marécage
des inégalités stagnantes ».
Dans le monde professionnel, subsiste de fait un certain nombre d'inégalités
qui fragilisent la place des femmes sur le marché du travail.
Inégalité face au chômage, tout d'abord. Alors que les femmes représentent 45
% des actifs, elles constituent 51 % des demandeurs d'emploi. En juin 2000, le
taux de chômage des femmes atteignait 11,5 %, alors qu'il n'était que de 8,1 %
pour les hommes. Plus souvent au chômage que les hommes, les femmes le sont
aussi plus longtemps.
Inégalité, également, face à ce qu'on appelle la « précarité ». Ainsi, un
tiers des femmes occupent un emploi à temps partiel, contre 6 % des hommes. On
estime généralement que le temps partiel n'est réellement choisi que pour les
deux tiers d'entre elles. De la même manière, les femmes occupent plus souvent
des formes particulières d'emploi - stage, contrat à durée déterminée, intérim,
contrats aidés - que les hommes.
Inégalité, aussi, face à la formation. Les femmes accèdent en moyenne moins
souvent aux actions de formation que les hommes. L'emploi féminin se concentre
en effet dans des secteurs finalement assez peu qualifiés, où l'accès à la
formation n'est pas une priorité.
Inégalité, encore, dans le déroulement des carrières. La probabilité d'occuper
un emploi de cadre est systématiquement plus faible pour les femmes, à diplôme
identique et à niveau d'expérience égal. Et que dire des postes à
responsabilité : une seule femme dirige une entreprise parmi les 200 premiers
groupes français !
L'inégalité, toujours, face aux salaires. Les salaires féminins sont
inférieurs de 20 % à ceux des hommes, selon les dernières statistiques de
l'INSEE. Si cet écart résulte avant tout des différences en matière
d'ancienneté, de formation, d'expérience, de secteur d'activité, il n'en reste
pas moins qu'il subsiste un écart résiduel de l'ordre de 12 % qui peut être
difficilement expliqué par des facteurs objectifs.
Inégalité, enfin, face aux conditions de travail. Les femmes sont en effet
très fortement représentées dans des métiers qui exigent une large
disponibilité horaire, comme les soins aux personnes ou le commerce, et sont
fréquemment confrontées à des amplitudes journalières importantes et à une
irrégularité des horaires.
Ce diagnostic pour le moins assez sombre ne doit cependant pas occulter
certaines évolutions qui ont permis de conforter la place des femmes dans le
monde du travail.
Les femmes sont ainsi de plus en plus nombreuses à exercer une activité
professionnelle. Le taux d'activité des femmes de vingt-cinq à quarante-neuf
ans est ainsi passé de 44 % en 1968 à 80 % en 2000. Alors qu'au cours des
quinze dernières années l'emploi masculin se contractait légèrement, l'emploi
féminin progressait de 1,2 million d'emplois. Et c'est justement parce que les
femmes sont de plus en plus présentes dans le monde du travail que les
inégalités persistantes apparaissent de plus en plus insupportables.
Pourtant, notre législation a parallèlement cherché à mieux assurer cette
égalité professionnelle. Déjà, le préambule de la Constitution de 1948
affirmait que « la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits
égaux à ceux de l'homme ».
Elevée au rang de principe constitutionnel, l'égalité des sexes a été
progressivement inscrite dans le droit du travail. La loi du 13 juillet 1983
marque certainement une étape importante de ce processus.
Rendue nécessaire pour assurer la conformité de notre législation au droit
européen et s'inspirant pour partie d'un projet de loi adopté en conseil des
ministres par le gouvernement précédent le 16 janvier 1981, la loi Roudy allait
organiser le passage d'un cadre législatif visant principalement la protection
de la femme à un système privilégiant la non-discrimination. Cette nouvelle
législation s'accompagnait de mesures spécifiques tendant au rattrapage des
inégalités de fait constatées dans le monde du travail.
Le Sénat avait alors accompagné ce processus législatif. Ainsi, notre collègue
Pierre Louvot, rapporteur de ce texte pour notre assemblée, pouvait observer :
« Le projet de loi dont notre Haute Assemblée est saisie s'inspire d'une
volonté puissante et mobilisatrice au bénéfice de l'égalité professionnelle
entre les hommes et les femmes. Ses intentions sont claires puisqu'il tend vers
l'accélération d'un processus d'évolution progressive que notre société n'a pu
encore accomplir, tant reste fort le poids des habitudes et des mentalités,
tant sont manifestes les disparités de formation, de qualification et d'accès
aux emplois, de rémunération et de formation, ainsi que la division d'un
travail inégalement réparti et globalement insuffisant. »
Aujourd'hui, près de vingt ans après, mes chers collègues, le Sénat est saisi
d'un nouveau texte relatif à l'égalité professionnelle. Mais, si le constat
établi alors reste, hélas ! encore d'actualité, la commission des affaires
sociales craint que la présente proposition de loi ne réponde ni à la même «
volonté puissante », ni à la même « clarté des intentions ». En effet, si
l'égalité professionnelle constitue un réel enjeu de société, le texte que nous
examinons aujourd'hui est loin de constituer une réponse adaptée.
Relevant d'une opportunité incertaine, ce texte n'offre, en définitive, qu'un
contenu décevant.
Son opportunité est incertaine. La réalisation effective de l'égalité
professionnelle impose-t-elle l'adoption d'une nouvelle loi ?
Mme Odette Terrade.
Oui !
Mme Annick Bocandé,
rapporteur.
Rien n'est moins sûr !
Un observateur avisé de l'égalité professionnelle écrivait ainsi, l'an passé :
« Sur l'égalité professionnelle, il ne me semble pas que l'élaboration d'un
nouveau dispositif législatif soit le moyen le plus indiqué pour modifier en
profondeur les réalités d'aujourd'hui. Tout en n'écartant pas l'éventualité de
mesures spécifiques de nature à offrir de nouvelles garanties, à rattraper les
retards ou à pénaliser les abus, il me paraît préférable de privilégier les
mesures de droit commun. » Ces lignes sont de Mme Catherine Génison, auteur de
la proposition de loi !
Plus incisif, un député déclarait, le 3 mars dernier, qu'il ne voterait pas la
proposition de loi, estimant qu'on « a voulu faire un affichage simple et
brutal qui ne change rien » et qu'on « n'avait pas besoin de faire une nouvelle
loi ». Ces déclarations sont de Mme Yvette Roudy, à l'origine de la loi de 1983
que ce texte vise à modifier !
La pertinence d'un nouveau texte législatif est loin d'être évidente, et ce
pour trois raisons principales.
Tout d'abord, il existe déjà un arsenal législatif conséquent. Le bilan très
mitigé de la loi Roudy tient en effet moins aux failles éventuelles de la
législation qu'à son application imparfaite.
Les partenaires sociaux ne se sont pour l'instant que faiblement appropriés ce
texte. Ils n'ont jusqu'à présent pas réellement intégré l'égalité
professionnelle dans le dialogue social alors que la loi les y incitait
fortement. En témoigne le bilan encore insuffisant de la négociation collective
en cette matière : au niveau interprofessionnel, l'accord du 23 novembre 1989
est largement resté lettre morte et n'a débouché sur aucune action concrète ;
au niveau de l'entreprise, seuls trente-quatre plans d'égalité professionnelle
ont été négociés.
Ce bilan en demi-teinte s'explique avant tout par un contexte économique et
social sans doute peu propice à la négociation en matière d'égalité
professionnelle. La situation de l'emploi apparaissait, à bien des égards,
prioritaire. En outre, la complexité de la loi, notamment pour bâtir des plans
d'égalité professionnelle et pour bénéficier d'aides publiques, était telle
qu'elle semble avoir découragé les meilleures volontés.
Il n'en demeure pas moins que ces négociations, même peu nombreuses, ont
impulsé des démarches innovantes qui tendent à se diffuser progressivement.
Ainsi, on observe actuellement une bien meilleure prise en compte de l'égalité
professionnelle, notamment dans les accords sur la réduction du temps de
travail.
Ce n'est donc pas en rendant notre législation plus contraignante, au moment
où les partenaires sociaux commencent à s'approprier effectivement les lois
existantes, sur le terrain, que l'on garantira sa meilleure application.
Par ailleurs, les partenaires sociaux viennent d'affirmer avec détermination
leur volonté d'être une force de proposition en matière d'égalité
professionnelle. Ils se sont en effet saisis de ce thème dans le cadre de la
négociation nationale interprofessionnelle engagée le 3 février dernier, dite
de « refondation sociale » : l'égalité professionnelle est l'un des neuf
domaines de négociation retenus et ce volet devrait être abordé dès que le
dossier de l'UNEDIC sera réglé ; il est, en tout cas, inscrit à très brève
échéance sur l'agenda des partenaires sociaux.
Dans ce contexte, il aurait été préférable de laisser le dialogue social
s'engager plutôt que de chercher à légiférer sur ce thème, au risque de bloquer
la concertation. Il aurait donc été souhaitable de ne chercher à légiférer
qu'en cas de carence de ce dialogue social.
Vous nous aviez laissé espérer, madame la secrétaire d'Etat, que cette
démarche de sagesse allait être celle du Gouvernement. Vous nous aviez en effet
déclaré, lors de votre audition par la commission en mai dernier, qu'il vous
semblait préférable que le rythme du travail législatif soit parallèle à celui
de la négociation afin que les conclusions des partenaires sociaux puissent
être, le cas échéant, intégrées par voie d'amendement à la proposition de loi.
Mais le Gouvernement, en décidant d'inscrire ce texte dès l'ouverture de la
session à l'ordre du jour prioritaire de nos travaux, a manifestement changé
d'avis. Nous ne pouvons que déplorer ce manque de considération pour le
dialogue social.
Enfin, en matière d'égalité professionnelle, c'est moins la loi qu'il faut
faire évoluer que les mentalités. La persistance des inégalités
professionnelles repose avant tout sur des obstacles culturels, vous l'avez
rappelé.
La commission des affaires sociales insiste tout particulièrement sur la
question de l'orientation des jeunes filles : alors qu'elles obtiennent de
meilleurs résultats scolaires que les garçons, elles s'orientent pourtant, par
habitude, vers des filières très féminisées, reproduisant alors une certaine
forme de ségrégation professionnelle.
On sait que six groupes professionnels rassemblent aujourd'hui 60 % des femmes
actives, alors qu'ils ne représentent que 30 % de l'emploi total. Il s'agit de
l'enseignement, des professions intermédiaires de la santé et du travail
social, des employés, du commerce et des services aux particuliers. Or, ces
groupes d'emplois sont loin d'être actuellement les plus porteurs en matière
d'emploi et de carrière.
Le volontarisme législatif en la matière témoigne, en définitive, d'une vision
étroite de l'égalité professionnelle. Ce n'est pas en cherchant à agir sur les
seules manifestations que l'on résoudra le problème. Il importe plutôt d'agir
en amont sur les causes, en accompagnant, par une démarche pédagogique,
l'évolution des mentalités.
Je m'étonne d'autant plus de la démarche retenue que vous avez su prendre en
ce domaine, madame la secrétaire d'Etat, plusieurs initiatives intéressantes et
novatrices.
A cette opportunité douteuse s'ajoute un contenu décevant. Cette proposition
de loi réussit en effet l'exploit d'instituer des mesures très complexes et
très contraignantes pour une efficacité très incertaine.
En fait, elle ne prévoit que trois mesures nouvelles, pour s'en tenir au titre
Ier concernant le droit du travail.
Elle précise tout d'abord le contenu du rapport dit de « situation comparée »
institué par la loi Roudy. Ce rapport, présenté chaque année par le chef
d'entreprise au comité d'entreprise, dresse un bilan de la situation respective
des femmes et des hommes dans l'entreprise. La proposition de loi prévoit que
ce rapport doit reposer sur des bases chiffrées définies par décret. Or, le
projet de décret augure d'une complexité peu commune, les indicateurs à
rassembler étant très disparates et très nombreux.
La deuxième nouvelle disposition concerne l'institution d'obligations de
négocier sur l'égalité professionnelle à la fois dans l'entreprise, tous les
ans, et dans la branche, tous les trois ans. Ces obligations portent aussi bien
sur la mise en place d'une obligation dite spécifique, ne visant que le thème
de l'égalité professionnelle, que sur l'introduction obligatoire du thème de
l'égalité professionnelle dans les négociations obligatoires déjà
existantes.
Il est à noter que la méconnaissance de cette obligation spécifique de
négocier dans l'entreprise est passible de lourdes sanctions pénales pour
l'employeur. Ces obligations risquent alors de se révéler très contraignantes
pour nos entreprises, déjà surchargées de formalités et obligations de toutes
sortes.
Enfin, la proposition de loi prévoit d'étendre le champ des entreprises
pouvant bénéficier d'aides publiques en faveur de l'égalité professionnelle
au-delà des seules entreprises ayant mis en place des plans d'égalité
professionnelle. A l'avenir, toute entreprise ayant signé un accord en la
matière serait éligible. Une telle extension n'apparaît pas inopportune, tant
la portée de la mesure a été jusqu'ici limitée. Depuis 1983, seules vingt-deux
entreprises ont en effet bénéficié de ces aides publiques.
En définitive, la disposition la plus importante de cette proposition de loi
n'y figure pas encore et s'écarte quelque peu de la problématique posée par le
texte initial. Je pense ici à l'amendement n° 1, déposé par le Gouvernement et
qui a l'ampleur d'une véritable « lettre rectificative ». A ce propos, je
regrette très vivement que le Gouvernement ne l'ait déposé que la veille de
notre réunion de commission et ait choisi de le rectifier, sur un point
important, la veille de l'examen en séance. De tels procédés ne permettent pas
au travail parlementaire de se dérouler dans de bonnes conditions.
L'amendement en question vise à adjoindre à la présente proposition de loi des
dispositions relatives au travail de nuit, dispositions à l'origine incluses -
mais, depuis, légèrement modifiées - dans le projet de loi de modernisation
sociale présenté en conseil des ministres le 24 mai dernier. Comme
l'inscription de ce projet à l'ordre du jour du Parlement est sans cesse
reportée, le Gouvernement semble avoir considéré que la proposition de loi
constituait un support adéquat pour l'ajout de ces dispositions.
Cet amendement a, en réalité, un double objet.
Il vise, d'abord, à mettre en conformité notre législation avec la directive
européenne de 1976 sur l'égalité entre les femmes et les hommes. La France a
été condamnée, à plusieurs reprises, par la Cour de justice des Communautés
européennes, car le code du travail interdit le travail de nuit des femmes, ce
qui a été considéré comme discriminatoire et contraire à la directive. Notre
pays est actuellement sous la menace d'une lourde astreinte, ce qui a sans
doute incité le Gouvernement à précipiter l'examen de ces dispositions par le
Parlement.
L'amendement prévoit donc la suppression de l'interdiction du travail de nuit
des femmes, disposition au demeurant surannée puisque que le juge l'écarte déjà
systématiquement au profit de la directive, et que, vous l'avez rappelé, madame
la secrétaire d'Etat, 650 000 femmes travaillent déjà régulièrement la nuit.
Plus fondamentalement, l'amendement vise également à instituer un nouveau
régime légal pour le travail de nuit. Il définit en effet le cadre, les
conditions de recours, la durée, la surveillance médicale du travail de nuit
pour l'ensemble des salariés. Ce faisant, il vise à transposer dans notre droit
interne les directives européennes du 19 octobre 1992 sur l'amélioration de la
sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes
au travail et du 23 novembre 1993 sur l'aménagement du temps de travail, pour
ce qui concerne le travail de nuit, dans le respect des conventions n°s 103,
171 et 183 de l'Organisation internationale du travail.
La commission des affaires sociales observe cependant que l'amendement va
au-delà de la simple transposition et introduit certaines dispositions que ne
prévoyaient par les directives. Elle proposera en conséquence au Sénat
d'adopter quelques sous-amendements, pour « coller » au plus près aux exigences
des directives tout en garantissant à la fois la nécessaire protection des
travailleurs de nuit et le bon fonctionnement de nos entreprises.
Au total, hormis cet amendement de dernière minute du Gouvernement, l'ambition
de la proposition de loi est donc, vous le voyez, mes chers collègues, bien
modeste. En réalité, cette proposition de loi témoigne d'une perception
réductrice des inégalités professionnelles, en se limitant au seul domaine de
l'entreprise. En effet, si c'est dans l'entreprise que les inégalités se
manifestent, c'est bien souvent hors de l'entreprise qu'elles naissent.
La commission estime notamment - le rapport de Mme Génisson l'avait d'ailleurs
fort bien souligné - que ce sont les difficultés pour les femmes à concilier
leur vie familiale et leur vie professionnelle qui alimentent les inégalités
persistantes que l'on constate.
On observe en effet - on peut sûrement le regretter - que l'organisation de la
vie familiale repose principalement sur la femme. La progression du nombre des
familles monoparentales ne fait d'ailleurs que renforcer ce phénomène. Les
femmes, compte tenu des insuffisances actuelles des systèmes de garde
d'enfants, sont fréquemment dans l'obligation d'interrompre leur carrière
professionnelle et rencontrent bien souvent des difficultés pour leur
réinsertion sur le marché du travail.
Dans ces conditions, plutôt que d'imposer un surcroît de formalités aux
entreprises ou d'instituer des négociations qui risquent d'être bien
artificielles, il aurait été préférable d'agir sur cette question de
l'articulation entre la vie familiale et la vie professionnelle. On peut
regretter que l'Assemblée nationale et, avec elle, le Gouvernement aient choisi
d'ignorer cette dimension pourtant essentielle.
Certes, lors de la conférence de la famille du 15 juin dernier, le
Gouvernement a annoncé quelques mesures afin de favoriser la conciliation entre
vie familiale et vie professionnelle.
Pour autant, ces mesures, qui devraient avoir une traduction législative dans
le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, apparaissent
bien mineures et sont loin de concerner l'ensemble des femmes qui ont choisi de
travailler.
Aussi, la commission a jugé nécessaire d'explorer de nouvelles pistes.
Deux pistes très concrètes me paraissent ainsi devoir être approfondies.
Il importe, d'abord, de développer et d'améliorer les systèmes de garde, afin
que les femmes ne soient pas dans l'obligation d'interrompre durablement leur
carrière professionnelle pour être présentes auprès de leurs enfants, sauf,
bien entendu, si c'est un choix de leur part. L'un des obstacles majeurs à une
réelle égalité professionnelle est incontestablement constitué par les lacunes
actuelles des dispositifs de prise en charge des enfants : les équipements
collectifs - crèches et garderies - sont souvent saturés et le coût des gardes
à domicile n'est que trop faiblement compensé par les aides, que ce soient
l'allocation de garde d'enfant à domicile, l'AGED, l'aide à la famille pour
l'emploi d'une assistante maternelle agréée, l'AFEAMA, ou la réduction
d'impôt.
Et le Gouvernement n'a fait que renforcer les contraintes en limitant la
portée des aides existantes. On peut penser, notamment, à la réduction du
montant maximal et à la mise sous condition de ressources de l'AGED dans la loi
de financement de la sécurité sociale pour 1998 ou à la diminution de moitié du
montant maximal de la réduction d'impôt au titre des dépenses effectuées pour
l'emploi d'un salarié à domicile dans la loi de finances pour 1998.
Il est nécessaire, ensuite, d'accompagner le retour sur le marché du travail
des femmes ayant interrompu leur activité pour élever leurs enfants. En effet,
celles qui souhaitent reprendre une activité professionnelle éprouvent souvent
des difficultés à se réinsérer dans le monde professionnel. Il importe
d'imaginer, dans ce domaine, de réelles solutions innovantes.
La commission souhaite, à cet égard, rappeler l'intéressante proposition d'un
« contrat parental de libre choix » qu'avait formulée le Président de la
République dans son discours du 6 avril dernier à Nantes. Ce contrat, qui
pourrait être aidé par l'Etat, la caisse nationale d'allocations familiales ou
l'assurance chômage, et qui pourrait éventuellement être assorti d'une période
de formation, permettrait d'encourager le recrutement de femmes ayant cessé
leur activité professionnelle pour élever leurs enfants. Il pourrait, par
exemple, être ouvert lorsque s'achève la période d'allocation parentale
d'éducation.
La commission proposera des amendements allant dans ces deux directions. Ils
pourront apparaître modestes, pour certains, mais ils visent principalement à
ouvrir un débat, à proposer de nouvelles pistes tout en répondant aux règles de
recevabilité financière.
Ainsi, face aux limites de cette proposition de loi, la commission des
affaires sociales a jugé nécessaire de la faire évoluer dans deux directions,
sans toutefois en bouleverser l'architecture générale.
Il s'agit, d'une part, de la simplifier et de l'assouplir, afin de la rendre
moins contraignante pour l'entreprise, plus adaptée à la réalité du monde du
travail et, en définitive, d'éviter qu'elle ne desserve la cause qu'elle
cherche à défendre.
Il s'agit, d'autre part, de l'enrichir, afin qu'elle ne se limite pas à une
vision réductrice de l'égalité professionnelle, question complexe qui
n'apparaît pas seulement, je le répète, aux portes de l'entreprise.
Nous proposons donc au Sénat une démarche pragmatique qui vise à ancrer dans
le concret cette proposition de loi finalement très artificielle.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. René Garrec,
rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de
législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration
générale.
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la
secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la commission des lois est saisie pour
avis de la proposition de loi relative à l'égalité professionnelle entre les
femmes et les hommes. Présentée par Mme Catherine Génisson, M. Jean-Marc
Ayrault et les membres du groupe socialiste et apparentés, cette proposition a
été adoptée par l'Assemblée nationale le 7 mars 2000.
Les seize articles qui font l'objet de ce présent avis composent les titres II
et III de la proposition de loi et sont relatifs aux trois fonctions publiques
: de l'Etat, territoriale et hospitalière.
Certaines des dispositions de la proposition de loi ne soulèvent pas de
difficultés juridiques particulières.
En revanche, la proposition de loi impose à l'administration de désigner ses
représentants en respectant une proportion donnée d'hommes et de femmes dans
les organismes consultatifs mais aussi dans les jurys de concours ou
d'examen.
Ces dispositions nouvelles doivent être examinées au regard des principes
directeurs de la fonction publique française et des impératifs constitutionnels
qui s'appliquent au recrutement et à la carrière des fonctionnaires.
Elles conduisent à l'introduction de discriminations « positives » et
induisent une importante délégation au pouvoir réglementaire.
La commission des lois, tout en acceptant le coeur du dispositif, proposera
d'amender le texte en tenant compte des éventuelles difficultés d'application
dans certains corps.
Le dispositif, très complet, du droit en vigueur paraissait limiter l'intérêt
d'une nouvelle intervention du législateur. Par ailleurs, le droit
communautaire autorise certaines actions positives.
La directive du 9 février 1976 pose le principe de non-discrimination et
définit les exceptions à ce principe. Elle a pour conséquence la diminution des
recrutements distincts entre hommes et femmes dans la fonction publique
française.
La directive 76/207/CEE du 9 février 1976, relative à la mise en oeuvre du
principe de l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes dans le
monde du travail, a déjà contraint la France à modifier sa conception du
principe d'égalité entre hommes et femmes pour l'accès aux emplois publics.
Selon cette directive, les recrutements distincts ne sont possibles que dans
les cas où, en raison de leur nature ou des conditions de leur exercice, le
sexe constitue une condition déterminante de l'exercice des fonctions.
Après sa condamnation le 30 juin 1988, la France a restreint la liste des
corps de la fonction publique pour lesquels des recrutements distincts étaient
organisés. En l'état actuel du droit, les dérogations à la mixité des concours
ne concernent que le corps d'attachés d'éducation des maisons d'éducation de la
Légion d'honneur - vous l'avez dit, monsieur le ministre - et celui des gradés
et surveillants des maisons pénitentiaires. Le droit communautaire encadre les
possibilités de discrimination « positive ». La directive du 9 février 1976
autorise les « mesures visant à promouvoir l'égalité des chances entre hommes
et femmes, en particulier en remédiant aux inégalités de fait qui affectent les
chances des femmes » en matière professionnelle.
La Cour de justice des Communautés européennes a précisé dans de nombreux
arrêts les contours de la légalité des discriminations dites « positives ».
Mais les principales avancées du droit communautaire en matière d'égalité
entre les femmes et les hommes résultent du traité d'Amsterdam, signé le 2
octobre 1997, qui autorise les discriminations positives : « Pour assurer
concrètement une pleine égalité entre hommes et femmes dans la vie
professionnelle, le principe de l'égalité de traitement n'empêche pas un Etat
membre de maintenir ou d'adopter des mesures prévoyant des avantages
spécifiques destinés à faciliter l'exercice d'une activité professionnelle par
le sexe sous-représenté ».
Le Conseil constitutionnel a estimé, pour sa part, que ces stipulations du
traité n'étaient pas contraires à la Constitution.
La féminisation des jurys de concours s'impose déjà dans la fonction publique
de l'Etat, et ce depuis 1983. En effet, la circulaire du 24 janvier 1983,
relative à l'égalité entre les femmes et les hommes et à la mixité dans la
fonction publique, invite l'ensemble des ministres à « solliciter et encourager
la collaboration des femmes qui réunissent les compétences requises pour y
participer ». Elle conclut par la « clause de sauvegarde » : « Il est à tout le
moins nécessaire d'éviter qu'un jury soit homogène de l'un ou l'autre sexe.
»
Malgré les avancées du droit, la situation des femmes dans la fonction
publique reste défavorable.
Les femmes sont majoritaires, vous l'avez dit, monsieur le ministre, dans les
trois fonctions publiques où elles représentent 56,9 % des salariés en 1998.
La fonction publique de l'Etat emploie 55,2 % de femmes. En incluant les
militaires, cette proportion tombe à 48,9 % en 1998.
La fonction publique territoriale compte une proportion de femmes de 59,6 % en
1997.
Dans la fonction publique hospitalière, les femmes représentent environ 79 %
des agents en 1998.
S'agissant de l'accès à la haute fonction publique, malgré la féminisation
certaine de la fonction publique française, force est de constater la faiblesse
des effectifs féminins dans la haute fonction publique : seulement 13,1 % des
emplois supérieurs de direction et d'inspection générale recensés au 1er juin
1999 sont occupés par des femmes.
A cet égard, la réponse apportée par le Premier ministre à Mme Michèle
Alliot-Marie, députée, sur la place des femmes dans la haute fonction publique
est édifiante : « Au cours d'une discussion que j'ai eue récemment avec la
ministre de l'emploi et de la solidarité, Martine Aubry, je lui ai fait
observer qu'il n'y avait aucune candidature de femme dans ses propositions pour
les nominations aux postes de directeur des structures hospitalières régionales
». Cela prouve simplement que ce n'est pas si simple. N'y voyez aucune malice
de ma part, monsieur le ministre...
Dans la fonction publique territoriale, le cadre d'emploi des administrateurs
territoriaux ne compte que 17,4 % de femmes.
Dans la fonction publique hospitalière, les femmes représentent 30 % du corps
des personnels de direction des hôpitaux.
J'en viens à la place des femmes dans les jurys de concours et d'examen.
Outre l'exemple du jury de l'Ecole nationale d'administration,
particulièrement féminisé en 1999 puisqu'il compte 54 % de femmes pour le
concours externe, 31 % pour le concours interne et 23 % pour le troisième
concours, force est de constater l'absence de toute statistique globale sur la
composition des jurys de concours et d'examen de la fonction publique.
Dès lors, aucune donnée objective ne vient étayer le constat intuitif des
auteurs de la proposition de loi, selon lequel les femmes seraient
sous-représentées dans les jurys de concours. J'ai déjà posé cette question et
je n'ai pas eu de réponse. Nous manquons de chiffres.
Enfin, j'en arrive à la place des femmes dans les organismes consultatifs.
A titre d'exemple, le Conseil supérieur de la fonction publique de l'Etat
comprend cinq femmes titulaires et dix-neuf suppléantes représentant
l'administration, soit 24 % des titulaires et 48 % des suppléants.
Dans le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale, aucune femme
ne siège parmi les vingt membres titulaires élus en qualité de représentant des
collectivités territoriales.
Ces chiffres ne peuvent occulter les lacunes de l'argumentation des auteurs de
la proposition de loi : en l'absence de toute statistique globale, il n'est pas
prouvé que les femmes soient sous-représentées dans les organismes
consultatifs. Leur constat est simplement intuitif.
Il conviendrait donc de comparer la place des femmes dans les corps concernés
avec la place qu'elles occupent dans la commission administrative paritaire ou
dans le comité technique paritaire.
Il n'est pas démontré qu'actuellement l'administration, lorsqu'elle nomme ses
représentants dans les organismes consultatifs, pratique une discrimination à
l'encontre des femmes dans les corps où elles sont sous-représentées - ou des
hommes, dans le cas inverse - qui justifierait un rééquilibrage. En tout état
de cause, le rééquilibrage ne peut être envisagé qu'au cas par cas, pour éviter
de créer de nouvelles discriminations en fixant des proportions qui pourraient
devenir rapidement obsolètes.
L'état du droit existant comme les récentes réalisations réglementaires
laissent à penser qu'une intervention du législateur n'était peut-être pas
nécessaire pour rééquilibrer la composition de la haute fonction publique en
faveur des femmes.
Pourtant, le Gouvernement comme l'Assemblée nationale ont jugé utile de faire
intervenir la loi.
Premièrement, la proposition de loi initiale vise à introduire une
discrimination nouvelle entre agents publics hommes et femmes.
L'innovation du titre II consiste à introduire une nouvelle dérogation au
principe d'égalité entre hommes et femmes dans la fonction publique.
Sur le plan des principes, l'Assemblée nationale propose de permettre les
distinctions entre les hommes et les femmes, sur l'initiative de
l'administration, afin d'assurer une « représentation équilibrée » des hommes
et des femmes dans les organismes consultatifs et les jurys de concours.
Cette proposition est ensuite déclinée pour l'ensemble des trois fonctions
publiques. L'administration devra nommer ses représentants et les membres des
jurys de concours en respectant une proportion d'hommes et de femmes fixée par
décret en Conseil d'Etat.
Deuxièmement, l'Assemblée nationale a innové en supprimant la « clause de
sauvegarde » prévue par la proposition de loi initiale. Cette clause autorisait
les statuts particuliers à prévoir exceptionnellement que « la mixité est
assurée par la présence d'au moins un membre de chaque sexe », après avis du
Conseil supérieur de la fonction publique concernée et des comités techniques
paritaires.
La commission des lois de l'Assemblée nationale a jugé qu'autoriser les jurys
à ne comporter qu'une seule femme ou un seul homme mettait en place une mixité
minimale peu satisfaisante.
Le Gouvernement s'est déclaré favorable à la suppression de la « clause de
sauvegarde », tout en émettant une réserve : il « expertisera les conséquences
de la suppression - de la clause de sauvegarde - d'ici aux prochaines lectures
». A ce jour, votre rapporteur n'a toujours pas obtenu du Gouvernement les
résultats de cette expertise. Mais si j'ai bien compris, monsieur le ministre,
c'est en cours.
Troisièmement, c'est une délégation contestable au pouvoir réglementaire ; la
proposition de loi privilégie l'emploi de termes très vagues, qui ne sont
nullement définis et dont la valeur juridique n'apparaît pas clairement. En
fait, elle se limite à fixer un objectif, à savoir « concourir à une
représentation équilibrée entre les femmes et les hommes ».
Pour savoir ce qu'est une « représentation équilibrée » il faudra donc se
rapporter au décret en Conseil d'Etat qui sera pris pour l'application de la
loi.
Les avant-projets de décret soumis à l'examen du Conseil d'Etat en 1999
imposaient que, « parmi les personnes désignées pour faire partie des jurys de
concours de recrutement de fonctionnaires ou pour représenter l'administration
au sein des commissions administratives paritaires et des comités techniques
paritaires, une proportion minimale d'un tiers de personnes de chaque sexe soit
respectée ».
Quatrièmement, c'est le refus de faire peser de nouvelles contraintes sur les
organisations syndicales. Vous avez évoqué ce sujet, monsieur le ministre. Mes
réflexions s'étiolent mais elles ne sont pas tout à fait fanées. Aussi les
reprendrai-je. Cette comparaison avec les fleurs ne peut d'ailleurs pas vous
déplaire car elle est très convenable.
Au cours des débats à l'Assemblée nationale a été soulevée la question de la
parité dans les élections syndicales.
En effet, les commissions administratives paritaires et les comités techniques
paritaires, comme leur nom l'indique, sont constitués pour moitié de
représentants de l'administration et de représentants du personnel. Si les
premiers sont désignés, les seconds sont le plus souvent élus.
Afin de ne pas porter atteinte au résultat du suffrage, il n'a pas été proposé
que les organisations syndicales soient tenues de respecter la même proportion
d'hommes et de femmes. Mais vous nous avez dit tout à l'heure qu'une réflexion
était engagée.
Si la commission des lois se félicite de la concertation menée avec les
syndicats, je me permets de constater que le Gouvernement n'avait pas eu les
mêmes attentions envers les élus locaux lors de la préparation de la loi du 6
juin 2000 tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats
électoraux et fonctions électives. Ce n'est pas inintéressant !
M. Nicolas About.
Deux poids, deux mesures !
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
Vous étiez
là pour les représenter, monsieur le sénateur !
M. René Garrec,
rapporteur pour avis.
Cette considération m'honore, monsieur le ministre
!
Les objectifs poursuivis par les auteurs de la proposition de loi restent
obscurs ; on les chercherait en vain dans les débats parlementaires ou dans
l'exposé des motifs !
La féminisation des organismes consultatifs et des jurys est-elle proposée
pour faciliter l'accès des femmes à des fonctions honorifiques, dans les corps
où elles sont sous-représentées ? Cet objectif de promotion des femmes peut
tout à fait justifier en soi une action volontariste des pouvoirs publics ;
mais ceux-ci ont-ils besoin d'une loi pour s'appliquer cette règle à eux-mêmes
?
Quand bien même la proposition de loi se limiterait à hâter la promotion des
femmes, dans les corps où elles sont sous-représentées, aux fonctions
honorifiques de membre de jury de concours, encore faudrait-il prouver
qu'actuellement elles se trouvent dans une situation défavorable. Or, sur ce
point, nous ne disposons pas de chiffres clairs.
Au contraire, la féminisation des jurys de concours a-t-elle pour objectif
d'améliorer le rang de classement des candidates reçues, dans les corps où les
femmes sont sous-représentées ? Dans ce cas, le risque peut paraître grand
d'accréditer l'idée selon laquelle les membres de jury se comporteraient
différemment selon leur sexe, et de porter atteinte à l'impartialité du
jury.
La proposition de loi doit être également examinée au regard des exigences
constitutionnelles. Lors de nos discussions avec les représentants de vos
ministères, madame la secrétaire d'Etat, monsieur le ministre, il m'a été dit
que le Conseil d'Etat avait réfléchi à cette question. Mais le rapport ne m'a
pas été transmis et je reprends donc mes réflexions personnelles.
Seule la révision constitutionnelle a permis de concilier, d'une part, le
principe du caractère indivisible et universel de la souveraineté nationale et
le principe de la liberté de l'électeur, d'autre part, l'objectif d'un égal
accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions
électives : selon la loi constitutionnelle du 8 juillet 1999, « la loi favorise
l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions
électives ».
Si cette révision constitutionnelle autorise les discriminations positives en
faveur des femmes, elle ne concerne que le domaine électoral et ne peut être
interprétée comme applicable à l'accès des hommes et des femmes à la fonction
publique en général ou à certaines responsabilités en particulier.
Selon une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel relative au
respect des principes constitutionnels d'égal accès, le principe d'égalité ne
s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations
différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général
pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en
résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Ainsi, le
principe d'égalité ne revêt pas une portée absolue mais doit être apprécié dans
un contexte éclairé par les intentions du législateur.
L'article VI de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dispose que
« tous les citoyens sont également admissibles à toutes dignités, places et
emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de
leurs vertus et de leurs talents ».
Toutefois, selon la jurisprudence constitutionnelle, ce principe ne s'oppose
pas à ce que les règles de recrutement destinées à permettre l'appréciation des
aptitudes et des qualités des candidats à l'entrée dans une école de formation
ou dans un corps de fonctionnaires soient différenciées pour tenir compte tant
de la variété des mérites à prendre en considération que de celle des besoins
du service public.
Le Conseil d'Etat a, quant à lui, déjà jugé que les discriminations pouvaient
être justifiées par la nécessité de la protection de la femme ou de la
promotion de l'égalité des chances entre les hommes et les femmes - décision du
7 décembre 1990, ministre de l'éducation nationale contre Mme Buret, cette
précision était inutile, mais elle me fait plaisir. Je m'accorde cette
satisfaction personnelle !
(Sourires.)
La commission des lois estime que tout agent public a vocation à participer
aux organismes consultatifs en tant que représentant de l'administration dès
lors que ses mérites professionnels le justifient. Cette participation ne doit
pas être justifiée par le seul sexe de l'agent, ce critère étant étranger à
l'objet de ces organismes.
Il n'en demeure pas moins que l'amélioration de l'accès des agents du sexe
sous-représenté participe de la promotion de l'égalité des chances entre hommes
et femmes.
La commission des lois estime que l'intérêt du service public peut prendre la
forme d'une action volontariste tendant à faciliter l'accès des membres du sexe
sous-représenté dans le corps ou le service aux responsabilités de membres de
jurys et de représentants de l'administration.
Pour une application souple du principe d'égalité, il faut accepter que
l'action volontariste utilise le vecteur de la loi.
Comme l'a souligné le Conseil constitutionnel dans une décision récente, « le
principe constitutionnel d'égalité ente les sexes s'impose au pouvoir
réglementaire, sans qu'il soit besoin pour le législateur d'en rappeler
l'existence ».
La commission des lois propose toutefois d'accepter les modifications
législatives proposées par l'Assemblée nationale, dans la mesure où elles sont
la marque d'une véritable volonté politique.
Il faut souhaiter que cette volonté trouve également à s'exprimer à
l'occasion, plus concrète, de nominations soumises à la décision du
Gouvernement et sur lesquelles le constat du retard pris est, lui, clairement
établi.
Par ailleurs, la commission des lois propose de rétablir la « clause de
sauvegarde », supprimée par l'Assemblée nationale, selon laquelle les statuts
particuliers peuvent, exceptionnellement, prévoir que la mixité est assurée par
la présence d'au moins un membre de chaque sexe.
Ce rétablissement est nécessaire pour trois raisons.
Il s'agit de tenir compte des difficultés d'application qui pourraient
survenir dans certains corps dont la composition par sexe est très
déséquilibrée.
De plus, il paraît nécessaire que le Conseil supérieur de la fonction publique
concernée et les comités techniques paritaires se prononcent sur cette clause
de sauvegarde, au regard des circonstances particulières dans chaque corps.
Enfin, le Gouvernement n'a pas à ce jour fait part des résultats de
l'expertise qu'il s'est engagé à mener sur ce thème. Pour préserver les
différentes options, il importe donc de maintenir ce dispositif en navette.
Sous le bénéfice de ces observations et sous réserve des modifications qu'elle
propose, la commission des lois a donné un avis favorable à l'adoption des
titres II et III de la présente proposition de loi.
(Applaudissements sur
les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, de l'Union centriste,
ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Cornu.
M. Gérard Cornu,
au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre
les femmes et les hommes.
Monsieur le président, madame le secrétaire
d'Etat, monsieur le ministre, mes chers collègues, la ségrégation
professionnelle entre hommes et femmes est aujourd'hui encore une réalité et,
si l'on en croit Margaret Maruani, sociologue au CNRS, qui travaille depuis
vingt-cinq ans sur la question des femmes et de la différence des sexes, « les
inégalités professionnelles femmes-hommes seraient même devenues plus injustes
». Pourtant, les femmes constituent près de la moitié du salariat.
Si le principe d'égalité est inscrit dans la loi - égalité des salaires en
1972, non-discrimination à l'embauche en 1975, égalité professionnelle en 1983
- nul ne peut contester qu'il est bien médiocrement appliqué. Cela a déjà été
relevé.
Toutes sortes d'inégalités persistent.
En matière salariale, les écarts de rémunération, s'ils ont diminué, demeurent
une réalité puisqu'on évalue à 27 % l'écart moyen entre hommes et femmes alors
même que celles-ci sont souvent plus diplômées.
En matière d'accès aux postes de responsabilité, même si certaines d'entre
elles ont profité du mouvement de mixité et occupent des emplois de direction,
leur cas n'est pas légion, et la plupart des femmes sont contraintes de
sacrifier leur « plan de carrière » aux obligations familiales et domestiques.
Les conséquences de la maternité, la difficulté qu'elles ont à accepter des
horaires tardifs et leur moindre mobilité professionnelle les privent souvent
de tout espoir d'accéder à des postes décisionnels.
En matière de précarité, outre qu'il existe un sur-chômage féminin, n'oublions
pas - et cette donnée est issue du rapport Génisson - que, dans 38 % des cas,
le temps partiel est subi par les femmes et non choisi, conduisant nombre
d'entre elles à vivre des situations individuelles difficiles.
Alors, il faut s'interroger. Quels leviers pouvons-nous actionner pour faire
avancer la cause des femmes dans les milieux professionnels ?
Les jeunes filles réussissent mieux que les garçons dans les cursus qu'elles
suivent ; pourtant, elles sont majoritaires dans les postes peu qualifiés et
mal rémunérés. Pourquoi ? Une partie de la réponse - ce n'est pas toute la
réponse - est qu'elles valorisent moins leurs diplômes. Mais on relève aussi le
poids d'un certain conformisme des mentalités, qui tend à « sexualiser » les
disciplines, donc les métiers, et, surtout, des carences dans l'orientation.
Les enseignants et les personnels éducatifs chargés de l'orientation des
élèves sont insuffisamment formés et informés.
Il apparaît donc indispensable d'agir dès le secondaire, quand les jeunes
filles ont à faire leurs tout premiers choix d'orientation.
Il convient aussi d'encourager les entreprises à faire porter l'effort sur la
formation professionnelle continue des femmes. C'est en effet à ce niveau de
l'entreprise qu'il faut agir, en ouvrant plus largement aux femmes les actions
de formation proposées et en incitant les organisations syndicales à y prêter
une attention plus soutenue.
Il faut aussi favoriser les réinsertions professionnelles, par exemple celles
des femmes qui, à l'issue d'un congé parental d'éducation, restent trop
nombreuses à l'écart du marché du travail - on estime leur nombre à 120 000.
Pour beaucoup, il ne s'agit pas d'un choix délibéré.
Il faut aussi favoriser le passage du travail à temps partiel au travail à
temps complet pour toutes les femmes qui le souhaitent.
La contrainte du temps est un problème crucial. Les deux tiers des tâches
familiales incombant aux femmes, il n'est pas exagéré de dire que cette
contrainte constitue la principale source d'inégalité professionnelle entre les
deux sexes. Lorsque l'on interroge les femmes âgées de vingt-cinq à quarante
ans, on s'aperçoit que leur revendication majeure porte plus sur davantage
d'aides matérielles que sur l'émergence de nouveaux droits.
La prise en charge des jeunes enfants est un impératif qui doit mobiliser les
acteurs tant publics que privés : Etat, collectivités locales, entreprises,
caisses d'allocations familiales, associations... Il est indispensable
d'accroître les équipements collectifs, d'en assouplir les heures d'ouverture,
de prévoir des incitations fiscales et, au-delà, de recourir à des formules
plus novatrices pour le financement de la garde des jeunes enfants, comme le
cofinancement par les comités d'entreprise de formules telles que le chèque
emploi-service.
Pour sensibiliser les acteurs du secteur privé à toutes ces questions, il
faudrait une plus juste représentation des femmes dans les instances
paritaires. En effet, il y a indiscutablement un lien de cause à effet entre la
faible participation des femmes, à la représentation des salariés et
l'insuffisante prise en cause de leurs difficultés.
Qui est mieux placé qu'elles pour faire émerger des solutions d'organisation
du travail facilitant la conciliation de la vie professionnelle et de la vie
familiale ? Or, force est de constater qu'en dépit de la politique volontariste
que mènent les organisations syndicales pour favoriser la représentation des
femmes les progrès sont encore insuffisants. La délégation aux droits des
femmes estime donc opportun qu'on réfléchisse au moyen permettant de faire
bénéficier les femmes d'une représentation au comité d'entreprise
proportionnelle à leur effectif.
Enfin, et ce point n'est pas le moins important, la délégation s'est aussi
penchée sur le cas des femmes d'artisans ou de commerçants, lesquelles
demeurent trop souvent sans statut. La nécessité d'un statut ne se révèle
souvent qu'à la rupture du lien matrimonial, et les situations qui s'ensuivent
sont dramatiques. L'amélioration de l'information de ces conjointes est
indispensable. Il est souhaitable aussi d'améliorer leur protection juridique
et financière, le recours à la pratique du cautionnement solidaire débouchant,
pour nombre d'entre elles, sur de graves difficultés.
La délégation s'est interrogée sur le fait de savoir si la proposition de loi
de Mme Génisson était de nature à apporter des solutions aux difficultés
récurrentes auxquelles les femmes doivent faire face pour s'imposer dans le
monde professionnel.
Tous les observateurs - Mme le rapporteur l'a excellement souligné -
s'accordent pour reconnaître que la loi Roudy, dont l'objectif affiché était de
faire passer en France le droit des femmes d'une « logique de protection » à
une « logique d'égalité », est mal appliquée. Aussi la délégation estime-t-elle
que la priorité devrait être une mise en oeuvre efficace de son dispositif. Il
lui apparaît par ailleurs peu raisonnable de faire peser de nouvelles
obligations sur les entreprises quand le dispositif en vigueur demeure peu ou
mal appliqué.
Enfin, et avant de récapituler les recommandations que la délégation a
adoptées, je voudrais souligner combien il aurait été préférable de différer
l'intervention du législateur, afin de ne pas gêner la négociation paritaire
qui s'est engagée dans le cadre de la « refondation sociale ». Cependant, s'il
ne nous appartient pas de nous substituer à la négociation sociale, il n'est
pas contraire à notre vocation de favoriser la qualité de ce dialogue social,
laquelle passe par un meilleur équilibre entre les sexes dans les instances de
concertation.
Ainsi que j'ai pu déjà le dire, la loi Roudy a été peu ou mal appliquée. Notre
délégation regrette que les partenaires sociaux ne recourent pas suffisamment à
l'arsenal législatif et réglementaire existant. Elle fait observer qu'aucune
législation nouvelle ne saurait être efficace si ses bénéficiaires ne se
l'approprient pas.
Cependant, considérant qu'il appartient à l'Etat d'être tout particulièrement
exemplaire dans le domaine de l'égalité professionnelle, la délégation s'est
félicitée de ce que la proposition de loi de Mme Génisson traduise le souci
d'aligner les obligations de l'Etat sur celles des entreprises.
La délégation n'est pas hostile à l'idée d'assortir d'une sanction
l'obligation de négocier sur l'égalité professionnelle, mais elle est
farouchement opposée à l'application d'une sanction pénale, estimant peu
pertinent de chercher à faire progresser l'égalité professionnelle par
l'instauration de nouveaux délits. Elle estime en outre qu'il serait sans doute
opportun de retenir un mécanisme de sanctions progressif.
Votre délégation prend acte des dispositions de la proposition de loi de Mme
Génisson tendant à accroître la présence des femmes dans les jurys de concours.
Elle n'est toutefois pas convaincue que cette féminisation soit une garantie
absolue au regard de la valorisation recherchée des jeunes filles. Extrêmement
favorable à la mixité des métiers et des professions, elle préconise de faire
porter l'effort sur l'orientation scolaire et universitaire des filles afin
d'améliorer l'adéquation de leur formation aux débouchés du marché du travail
et d'accroître leur présence dans des filières aujourd'hui monopolisées par les
garçons. Elle croit particulièrement utile de dénoncer à cet égard le
déséquilibre observé dans des filières comme celles des nouvelles technologies
de l'information et de la communication. Ce point est très important.
Il paraît indispensable à la délégation de s'interroger davantage sur le poids
des arbitrages que les jeunes filles sont amenées très tôt à faire entre la vie
professionnelle et les perspectives de la vie familiale. Je le redis : la
principale source d'inégalité professionnelle entre les deux sexes est, pour
les femmes, la contrainte du temps. Elle rend moins disponible, restreint les
possibilités de formation, freine la mobilité, hypothèque souvent toute
promotion.
Beaucoup des problèmes posés dépassent largement, il est vrai, le champ de la
loi ou du règlement et sont d'ordre culturel. Il en est ainsi, notamment, du «
rapport à l'enfant », qui, dans ses répercussions en termes d'organisation,
n'est pas le même pour la mère et le père.
Qu'il s'agisse d'aides matérielles ou d'organisation du travail, la délégation
considère que, au-delà de l'amélioration des dispositifs existants, il convient
d'être inventif, toutes les solutions n'ayant pas été, à notre avis, explorées.
Plus généralement, elle souhaite voir réexaminer la politique familiale dans le
sens d'une meilleure prise en compte de l'objectif de l'égalité professionnelle
entre les hommes et les femmes, rejoignant ainsi les préoccupations de Mme le
rapporteur. Le but doit être de donner aux femmes tous les moyens d'exercer un
libre choix : choix de travailler, choix du métier, choix, en outre, pour
celles qui le souhaitent, de l'engagement politique ou syndical.
La délégation souhaite que l'on améliore la protection juridique, sociale et
financière des conjoints de travailleurs indépendants, en privilégiant, autant
que faire se peut, l'approche globale, préférable à un traitement catégoriel
qui peut être générateur d'inégalités entre les intéressés.
Elle estime en outre qu'il est nécessaire, je l'ai déjà évoqué, d'améliorer
l'information de ces conjoints en matière statutaire. Elle suggère à cette fin
la mise en place d'une campagne de médiatisation en direction des couples de
commerçants et d'artisans.
La délégation est favorable à la reprise de la suggestion du rapport Génisson
visant à moduler les crédits de formation accordés par l'Etat aux syndicats en
fonction de la prise en compte de l'objectif de mixité.
Enfin, et peut-être surtout, votre délégation recommande que les femmes
puissent bénéficier d'une représentation dans les comités d'entreprise
proportionnelle à leur effectif dans l'entreprise. Une « juste représentation
des femmes » dans ces instances, comme celle que garantit par exemple la loi
allemande de 1972, serait de nature à faire davantage prendre en compte leurs
préoccupations dans le cadre de l'entreprise, à mieux faire appliquer la
législation sur l'égalité professionnelle et, surtout, à enrichir le dialogue
social.
Telles sont donc les recommandations de la délégation.
Mais, madame le secrétaire d'Etat, je ne saurais conclure sans regretter le
dépôt par le Gouvernement de l'amendement, au demeurant essentiel, sur le
travail de nuit des femmes.
Lorsque la délégation vous a reçue, madame la secrétaire d'Etat, à aucun
moment vous n'avez évoqué cet amendement. Pourtant, vous l'aviez « sous le
coude » depuis fort longtemps, si je puis dire, puisqu'il s'agit d'une mise aux
normes européennes.
A titre personnel, mais aussi, je pense, au nom de la délégation tout entière,
je ne peux que regretter ce dépôt « à la sauvette ». La délégation n'a en effet
pas pu aborder ce problème essentiel dans ses recommandations.
A cela s'ajoute le fait, madame le secrétaire d'Etat, que plus de la moitié de
votre exposé a porté sur cet amendement alors que, dans cet hémicycle, hormis
les membres de la commission des affaires sociales, les sénateurs ne l'avaient
pas sous les yeux.
Je déplore profondément cette méthode, même si, c'est vrai, vous pouvez vous
appuyer sur une nécessaire mise aux normes européennes. Je le regrette d'autant
plus que l'on a maintenant l'impression que cette proposition de loi sur
l'égalité professionnelle et cet amendement du Gouvernement sont presque à
égalité !
Il est vraiment malheureux de commencer à mettre en oeuvre l'égalité
professionnelle entre les hommes et les femmes en présentant un tel amendement,
qui, je dois le dire, ne constitue pas une grande avancée sociale pour les
femmes. Quelle mesure symbole !
Voilà la remarque, peut-être plus personnelle, que je voulais faire en
conclusion.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 45 minutes ;
Groupe socialiste, 38 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 29 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 18 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Othily.
M. Georges Othily.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, monsieur le ministre, mes
chers collègues, l'égalité entre les hommes et les femmes, inscrite dans la
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, est réaffirmée dès
1946 dans le préambule de la Constitution, qui dispose que la loi garantit à la
femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme.
Pourtant, tout au long du xxe siècle, les femmes ont dû se battre pour mettre
un terme aux inégalités et aux discriminations. Sous l'impulsion de mouvements
féministes et de syndicats, auxquels il faut rendre hommage, l'égalité entre
les hommes et les femmes a progressé.
Elles ont notamment acquis le droit de vote, l'émancipation juridique,...
Mme Hélène Luc.
Elles ont eu assez de mal !
M. Georges Othily.
... et l'accès aux grandes écoles : Polytechnique en 1972 - Anne Chopinet a
été reçue major - HEC en 1973 et le corps des mines en 1974. Elles ont
bénéficié de dispositions particulières, que ce soit pour la protection de la
maternité, le harcèlement sexuel ou l'interdiction du travail de nuit, dont
nous débattons.
S'agissant de l'égalité professionnelle, de nombreux textes, tant européens
que français, ont consacré ce principe.
Pour mémoire, je citerai quelques exemples : l'article 119 du traité de Rome,
qui prévoit l'égalité de salaire pour un même travail ; la loi du 22 décembre
1972, qui impose à tout employeur l'obligation d'assurer, à travail égal, une
même rémunération quel que soit le sexe ; la loi de 1975, qui interdit toute
discrimination de traitement entre les femmes et les hommes dans la fonction
publique ; la directive du 10 janvier 1975 sur l'égalité de rémunération ;
l'article 2.2 du traité d'Amsterdam sur l'égalité entre les hommes et les
femmes ; enfin, la loi « Roudy » de 1983, qui impose l'égalité professionnelle
entre les femmes et les hommes et que nous sommes aujourd'hui appelés à
modifier.
Dans ce domaine, il existe donc un arsenal législatif et réglementaire
important. Toutefois, l'inégalité persiste dans les faits et Mme Catherine
Génisson, auteur de la proposition de loi, l'a mis en exergue : 25 % d'écart de
rémunération en moyenne entre les hommes et les femmes, un taux de chômage plus
élevé chez les femmes, une surreprésentation des femmes dans les emplois à
temps partiel, à durée déterminée ou à bas salaire.
Réaffirmer l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes est donc
une initiative très louable mais inefficace, je le crains. Pourquoi ce texte
serait-il appliqué alors même que les lois existantes ne le sont pas ? C'est la
raison pour laquelle je m'interroge sur l'opportunité de légiférer une nouvelle
fois.
Il serait, à mon sens, plus judicieux de changer d'abord les mentalités, et ce
dès le plus jeune âge. En effet, le problème de l'égalité - je préférerais
parler d'équité - entre les femmes et les hommes se pose dès la scolarité. Dans
le secondaire, on constate que les garçons sont plus nombreux que les filles
dans les filières scientifiques et techniques, et les filles plus nombreuses
que les garçons dans les filières littéraires.
L'inégalité professionnelle est un fait de société qu'aucune loi ne pourra
résoudre. Seule une évolution des mentalités y parviendra. A ce sujet,
Catherine Génisson déplore le nombre si peu important de femmes aux postes de
responsabilité. Peut-être le Gouvernement pourrait-il montrer l'exemple,
notamment en nommant plus souvent des femmes à la tête d'entreprises dont le
capital est détenu majoritairement par l'Etat.
Il faut repenser le rôle et la place des femmes dans notre société. N'oublions
pas que les femmes doivent souvent concilier vie professionnelle et vie
familiale. C'est l'une des raisons pour lesquelles peu d'entre elles occupent
des postes à responsabilités qui réclament une grande disponibilité. Menant de
front une double journée, ces femmes sont confrontées à des contraintes telles
que les horaires de crèches, la garde des enfants malades. Dès lors, instaurer
l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes nécessite, notamment,
de repenser l'aménagement du temps de travail, de mettre au service des femmes
plus de structures d'accueil pour la garde de leurs enfants et, surtout, des
structures plus adaptées au niveau des horaires.
Par ailleurs, je tiens à souligner l'effet pervers de certaines lois. Tout à
l'heure, je faisais allusion à l'interdiction du travail de nuit pour les
femmes. Une telle disposition revient à affirmer qu'il existe des inégalités
entre les hommes et les femmes. On ne peut pas vouloir tout et son contraire.
C'est d'ailleurs dans cet esprit que la Commission européenne vient d'adopter
une directive autorisant le travail de nuit pour les femmes et que le
Gouvernement a déposé un amendement allant dans ce même sens.
S'agissant des dispositions du titre II de la proposition de loi, il est prévu
que les jurys de concours ainsi que les comités de sélection soient composés de
façon à tendre à une représentation équilibrée entre les femmes et les hommes.
De telles dispositions me semblent très dangereuses dans le sens où elles
mettraient en doute la neutralité, l'impartialité et l'objectivité des jurys et
comités actuels. On peut d'ailleurs, à ce sujet, s'interroger sur la
constitutionnalité de ces articles qui imposent une obligation de mixité. Le
préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 pose un droit à l'égalité
générant la possibilité pour les femmes de participer à de tels jurys et non
pas l'obligation d'une mixité, même relative.
On peut toujours espérer une participation égale des femmes et des hommes,
mais le juriste ne peut ignorer le pacte fondamental, fondement de notre
système juridique.
Dans ces conditions, on aurait pu imaginer modifier l'article 1er de la
Constitution de 1958. Celui-ci dispose que la France « assure l'égalité devant
la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion
». Nous aurions pu y introduire la notion de sexe.
Madame la secrétaire d'Etat, l'égalité professionnelle est surtout un enjeu de
société. C'est pourquoi je crains qu'une « loi Roudy
bis
» qui se
contente de réglementer et de sanctionner ne soit pas à même de faire évoluer
les mentalités. Néanmoins, le texte que nous examinons aujourd'hui doit être
considéré comme le symbole d'une volonté commune à une participation pleine et
entière des femmes dans le monde du travail.
J'aime à citer - car ce débat revient régulièrement - une grande poétesse
noire : « Si toutes les femmes du monde pouvaient, de leurs doigts rassemblés,
boucher le trou de la jarre percée, elles porteraient le monde ».
Dans sa très large majorité, le groupe du RDSE votera le texte tel qu'il sera
proposé par les diverses commissions du Sénat.
(Applaudissements.)
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