SEANCE DU 5 OCTOBRE 2000
ARCHÉOLOGIE PRÉVENTIVE
Adoption d'un projet de loi en deuxième lecture
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi (n°
357, 1999-2000), adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en
deuxième lecture, relatif à l'archéologie préventive. [Rapport n° 482
(1999-2000).]
J'informe le Sénat que la commission des affaires culturelles m'a fait
connaître qu'elle a d'ores et déjà procédé à la désignation des candidats
qu'elle présentera si le Gouvernement demande la réunion d'une commission mixte
paritaire en vue de proposer un texte sur les dispositions restant en
discussion sur le projet de loi actuellement en cours d'examen.
Ces candidatures ont été affichées pour permettre le respect du délai
réglementaire.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Michel Duffour,
secrétaire d'Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens d'abord à
remercier M. le rapporteur et la commission pour l'importance et la qualité de
leur travail que j'apprécie à sa juste valeur.
Votre assemblée est saisie du projet de loi sur l'archéologie préventive dont
vous aviez eu à débattre en première lecture le 28 mars dernier.
Je me réjouis du chemin parcouru depuis le dépôt du projet initial sur le
bureau du président de l'Assemblée nationale le 5 mai 1999. Je me félicite
également des améliorations apportées au fil des lectures à un texte, dont
l'Assemblée nationale et le Sénat, notamment grâce à la qualité des travaux
effectués en commission, ont montré qu'il était perfectible.
La participation active et constructive à l'écriture de la loi démontre que la
représentation nationale souhaitait légiférer sur un sujet laissé trop
longtemps en déshérence par le politique.
L'examen par le Parlement est désormais bien avancé et il est raisonnablement
permis d'espérer que notre pays, conformément aux engagements auxquels il a
souscrit en ratifiant la convention de Malte, disposera enfin du cadre
juridique indispensable à l'exercice de compétences qui relèvent à l'évidence
de la sphère publique. Il sera ainsi l'un des premiers à s'être doté d'une
législation et d'outils réellement opérationnels permettant d'assurer, dans des
conditions optimales, la protection de son patrimoine archéologique.
Le Gouvernement estime que ce texte a désormais trouvé son équilibre. Il n'en
demeure pas moins attaché à la poursuite d'un débat qui permettrait son
enrichissement. Il est donc ouvert à toute contribution susceptible d'accroître
l'efficacité d'un dispositif qu'il a la volonté de mettre en place le plus
rapidement possible. C'est dans cet état d'esprit que je m'apprête, au nom du
Gouvernement, à défendre le projet de loi relatif à l'archéologie préventive
dont vous allez avoir à débattre.
Le texte qui vous est présenté n'est pas neutre. Il est le résultat de choix
politiques forts, qui ne visent pas à donner satisfaction à telle ou telle
chapelle : il se veut être l'expression de l'intérêt général.
Les choix opérés par le Gouvernement - et il a été suivi en cela par
l'Assemblée nationale - reposent sur la conviction que l'archéologie relève
pleinement d'une activité de service public.
J'observe avec satisfaction que cette idée fait sonchemin.
Ainsi, personne ne conteste la nécessité pour l'Etat de se voir doté des
pouvoirs nécessaires à l'exécution de ses missions. Les édictions de
prescriptions, qu'il s'agisse de mesures de conservation ou de sauvegarde par
l'étude du patrimoine archéologique, les pouvoirs de contrôle scientifique sur
l'exécution des opérations de terrain, ainsi que sur l'exploitation des
résultats relèvent, à l'évidence, de missions d'Etat. Le projet de loi
l'affirme très clairement.
De la même façon, le principe du financement des opérations d'archéologie
préventive par les aménageurs dont les travaux sont susceptibles de porter
atteinte au patrimoine archéologique ne fait pas débat. Cette règle se situe
d'ailleurs dans le droit-fil des engagements pris par la France sur le plan
européen. Il serait paradoxal que cette règle soit aujourd'hui contestée à
l'occasion de l'examen de ce projet de loi.
J'observe enfin que la redevance mise en place par le projet de loi et qui, du
fait de son caractère forfaitaire, permet une mutualisation du risque financier
auquel certains aménageurs seraient immanquablement confrontés dans un système
de paiement « à l'acte » souhaité par certains recueille une large adhésion.
J'en prends acte avec satisfaction.
Fallait-il, pour la réalisation des opérations préventives, envisager d'autres
voies que celle d'un établissement public de recherche à caractère
administratif doté de droits exclusifs ? En première lecture, votre assemblée
n'a pas fait ce choix, préférant une ouverture au marché. En toute connaissance
de cause, le Gouvernement a clairement choisi une autre voie et, soyons francs,
il n'envisage pas de la remettre en cause.
L'Etat est comptable de la consommation du sous-sol archéologique dont la
rareté, le rythme de destruction et surtout le caractère non renouvelable
impose un contrôle étroit de la puissance publique sur les conditions de sa
conservation en vue de son étude, avec des moyens plus performants, par les
générations futures, ou, s'il ne peut en être autrement, de son étude avant
disparition.
L'archéologie appartient au domaine de la recherche en sciences humaines. Il
s'agit, à travers les traces enfouies du passé, de mieux comprendre l'histoire
de l'humanité. Comme pour toute activité de recherche, les conditions de sa
réalisation ne peuvent être soumises exclusivement à des lois économiques et,
surtout, à des impératifs de rentabilité. Les besoins financiers et humains
nécessaires à sa protection et à son étude échappent à une logique qui serait
celle de la loi de l'offre et de la demande.
Le caractère scientifique de cette activité justifie que le Gouvernement
confie des droits exclusifs à un établissement dont le statut exclut une
démarche tournée vers la rentabilité économique. Qu'il s'agisse de
l'intervention de terrain ou de l'exploitation des données, qui lui est
indissociablement liée, ce modèle d'organisation est le seul qui nous paraisse
garantir les ambitions affichées en matière de protection du patrimoine
archéologique. Il est d'ailleurs permis de s'interroger sur la viabilité d'un
autre type d'organisation, s'agissant d'un secteur d'activité qui, à
l'évidence, ne relève pas d'une logique marchande.
Le système proposé ne signifie en aucune manière repli sur soi, enfermement ou
exclusion. Le projet de loi qui vous est soumis est parfaitement explicite en
la matière.
Je n'évoque pas la question des rapports que devra entretenir, disons de façon
quotidienne, l'établissement public avec les organismes publics de recherche en
archéologie, en particulier avec le CNRS et les universités. Le ministère
chargé de la recherche s'est d'ores et déjà très activement engagé, avec le
ministère de la culture, sur les principes comme sur les moyens de cette
collaboration.
Réunis au sein d'unités de recherche dont le contour juridique reste à
préciser - il conviendra de s'assurer de la couverture de l'ensemble du
territoire, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui -, les chercheurs et
scientifiques appartenant à ces institutions auront à travailler ensemble sur
des thèmes communs de recherche. Je ne doute pas que les autorités de tutelle
sauront veiller à ce que ces structures se mettent rapidement en place et à ce
que les travaux menés permettent une meilleure exploitation scientifique des
résultats des opérations d'archéologie préventives.
S'agissant des relations de l'établissement public avec les services
archéologiques des collectivités territoriales, les choses me paraissent très
claires.
Le projet de loi prévoit de façon parfaitement explicite la collaboration de
l'établissement avec ces services dès lors que ceux-ci sont agréés selon les
modalités qui devront faire l'objet d'une large concertation. Cette
collaboration pourra se traduire par la désignation, comme responsable
d'opération, de l'archéologue de la collectivité territoriale ou, d'ailleurs,
des regroupements de communes.
Elle pourra, le cas échéant, prendre la forme d'une association du service
territorial à tout ou partie d'une opération préventive liée à un aménagement
dont la collectivité serait maître d'ouvrage. Je fais d'ailleurs observer que
le dispositif d'exonération applicable aux collectivités locales devrait
favoriser ce type de coopération.
Je note, enfin, que le concours des services de collectivité est également
requis pour la réalisation de la carte archéologique nationale.
Malgré la clarté du projet de loi sur cette question, j'ai pu me rendre
compte, au cours de mes déplacements, que des inquiétudes subsistaient. Je
souhaite très sincèrement qu'elles soient levées. C'est pourquoi, dans les
limites des principes posés par le projet de loi et qui fondent la démarche du
Gouvernement, je suis prêt à examiner avec attention tout amendement qui
permettrait de clarifier la situation dans ce domaine. Le moment venu,
j'apporterai ma contribution à ce débat sous forme d'une proposition d'ajout au
projet de loi.
Je tiens cependant a être parfaitement clair sur le sujet. Je rappelle que,
faute de solutions alternatives, l'administration a été amenée à créer, dans
les années soixante-dix, une association para-administrative, l'Association
pour les fouilles archéologiques nationales, l'AFAN, chargée d'assurer la
réalisation des fouilles préventives prescrites par l'Etat.
Le projet de loi vise à mettre un terme à une situation qui a été dénoncée à
juste titre et que la plupart des acteurs de l'archéologie préventive
considèrent comme malsaine. Dans cette affaire, l'Etat a pris ses
responsabilités. J'observe que les services de collectivités territoriales
susceptibles d'être agréés sont aujourd'hui encore peu nombreux,
malheureusement, quelques dizaines au total. L'absence de missions propres
confiées par la loi à vos services explique sans doute, pour partie, cette
situation. Elle trouve également son origine, dans un certain nombre de
régions, dans l'existence d'organisations relevant pour la plupart du statut
associatif et employant indifféremment salariés et bénévoles.
Les collectivités font volontiers appel à de telles structures pour la
réalisation d'opérations préventives. Après avoir essuyé de si nombreuses
critiques quant à « l'obscure clarté » du traitement de l'archéologie
préventive, le Gouvernement entreprend d'en définir les contours, d'en tracer
les modalités, notamment en régularisant la situation de l'AFAN et de ses
personnels.
Dès lors, on ne saurait bien évidemment pas envisager que, par principe, le
nouvel établissement public collabore avec ces associations dont les missions
et le rôle reflètent certes un engagement fort sur le patrimoine archéologique,
mais attestent aussi d'un souci pragmatique de gestion. Cependant, le futur
établissement interviendra en tenant compte de l'existence de ces structures et
pourra collaborer avec elles sur une base ponctuelle. Il conviendra donc aussi
que les collectivités prennent leurs responsabilités en ce domaine. Bien
entendu, le Gouvernement - et j'en prends l'engagement - devra être à l'écoute
des difficultés que pourrait poser la régularisation de cette situation.
Parmi les préoccupations que vous avez exprimées figure également celle des
délais de réalisation des diagnostics et fouilles préventives. Cette question
avait été largement évoquée en première lecture par votre assemblée. Le
Gouvernement avait exprimé un avis défavorable sur l'amendement que vous aviez
adopté et qui visait à fixer dans la loi les délais maximaux susceptibles
d'être laissés aux archéologues pour intervenir avant prise de possession du
terrain par l'aménageur.
Pour répondre à cette préoccupation partagée également par vos collègues de
l'Assemblée nationale, un système reposant sur un conventionnement obligatoire
entre l'aménageur et l'opérateur archéologique est prévu par la loi. Ce
dispositif a l'avantage de la souplesse. Je suis persuadé qu'il évitera de
nombreux contentieux qu'un système trop rigide ne manquerait pas de générer.
Je rappelle que ce dispositif contractuel fonctionne actuellement à la
satisfaction générale. J'ajoute qu'il est conforme à l'esprit de la convention
de Malte, laquelle dispose que les parties s'engagent à assurer « une
consultation systématique entre archéologues, urbanistes et aménageurs afin de
permettre l'octroi du temps et des moyens suffisants pour effectuer une étude
scientifique convenable du site ».
Sur ce point également, je suis prêt à prendre en compte tout amendement qui
permettrait d'apporter aux aménageurs les garanties que vous souhaitez en
matière de délai. Au moment de la discussion des articles, j'apporterai ma
propre contribution sur ce point.
A l'occasion des débats devant votre Haute Assemblée et devant l'Assemblée
nationale, la question du statut des objets et vestiges issus des fouilles est
venue en discussion, une discussion parfois passionnée, car l'enjeu est
d'importance.
Grâce au travail des deux assemblées, je crois que nous avons progressé, même
si des désaccords subsistent.
Je regrette - je suis bien obligé de le dire - que la commission des affaires
culturelles ait décidé, sur proposition du rapporteur, de supprimer l'article 5
ter
introduit par l'Assemblée nationale pour régler le cas, non traité
par notre droit, des inventeurs de vestiges archéologiques immobiliers. J'y
reviendrai lors de la discussion des articles, car nous risquons de manquer une
chance historique, celle qui nous permettrait d'éviter que des affaires aussi
désastreuses que celle de la grotte Chauvet ne se reproduisent.
Je suis bien placé pour savoir tout le mal qu'ont eu les services de l'Etat et
deux ministres successifs de la culture pour régler les difficultés nées,
certes, de l'incompréhension de la dimension humaine de cette affaire, mais
aussi, et peut-être surtout, du vide juridique dans lequel sont plongés les
inventeurs de vestiges immobiliers, comme la grotte Chauvet.
Je regrette donc la suppression de l'article 5
ter
par votre commission
des affaires culturelles, car cet article constitue une avancée à laquelle le
Gouvernement attache beaucoup d'importance, à l'instar de celle qu'il faut
accorder à l'article 716 du code civil pour les inventeurs des objets
mobiliers.
Je me félicite, en revanche, que votre commission ait accepté la solution
retenue, sur ma proposition, par l'Assemblée nationale pour les objets
mobiliers. Elle consiste à prévoir, pour l'établissement public en cas de
fouilles d'archéologie préventive et pour l'Etat en cas de fouilles conduites
par lui, un droit de garde des objets mobiliers issus des fouilles le temps
nécessaire à leur étude scientifique, ce qui est le principal. Votre assemblée
a étendu ce droit de garde à l'hypothèse des objets découverts fortuitement, ce
que nous avions oublié de prévoir ; c'est une excellente chose.
En conclusion, sur la question des objets et vestiges issus des fouilles, nous
avançons positivement, même s'il reste un désaccord majeur sur les vestiges
archéologiques immobiliers.
Ce sont là les points que le Gouvernement souhaite mettre en évidence dans la
perspective de notre discussion.
J'aimerais ajouter que ce projet de loi a considérablement évolué - je l'ai
évoqué - grâce aux débats parlementaires et que le Gouvernement est sensible au
souci exprimé de tracer enfin les termes d'un statut de l'archéologie
préventive et de ses moyens, statut articulé tant à la dimension scientifique
de l'archéologie préventive qu'à son inscription dans les territoires.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du
groupe communiste républicain et citoyen.- M. Maman applaudit
également.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jacques Legendre,
rapporteur de la commission des affaires culturelles.
Monsieur le
président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi
relatif à l'archéologie préventive nous revient aujourd'hui en deuxième
lecture.
Force est de constater que l'Assemblée nationale n'a guère pris en compte les
modifications apportées par le Sénat en première lecture, modifications dont je
vous rappellerai brièvement l'esprit.
Le Sénat n'avait pas contesté la nécessité de réformer la loi du 27 septembre
1941, dont les mécanismes se sont révélés mal adaptés aux opérations de
fouilles archéologiques lorsque celles-ci sont imposées par la réalisation de
travaux d'aménagement.
Il convenait, en effet, de mettre fin à la fiction selon laquelle ces fouilles
sont exécutées en vertu des dispositions du titre II de la loi de 1941, qui
autorise l'Etat à exécuter des fouilles sur des terrains qui ne lui
appartiennent pas, alors même qu'il ne les réalise pas plus qu'il ne les
finance.
Aujourd'hui, les aménageurs payent les fouilles à un opérateur avec lequel ils
contractent, opérateur qui, dans la plupart des cas, se trouve être l'AFAN,
structure para-administrative mise en place sur l'initiative de l'Etat dès
1973.
Une réforme de ces mécanismes s'imposait ; le Sénat en était convenu, mais il
avait souhaité que cette réforme permette de concilier deux impératifs
également légitimes : d'une part, protéger le patrimoine et, d'autre part,
permettre les aménagements imposés par le développement économique.
Or le projet de loi présenté par le Gouvernement, dont l'Assemblée nationale
n'avait pas modifié la logique, ne nous avait pas semblé de nature à assurer un
équilibre satisfaisant entre ces deux impératifs.
Le projet de loi vise deux objectifs : d'une part, pérenniser l'AFAN en la
transformant en un établissement public à caractère administratif et en lui
attribuant le monopole de l'exécution des fouilles préventives et, d'autre
part, instaurer un nouveau mécanisme de financement fondé sur un impôt perçu
sur les aménageurs destiné à financer le nouvel établissement public.
Sans remettre en cause le principe de création d'un établissement public, qui
s'avérait en fait inévitable, ni celui d'une redevance, qui présentait
l'avantage de mettre fin aux débats sur la charge du financement de
l'archéologie, le Sénat avait toutefois apporté de profondes modifications au
dispositif adopté par l'Assemblée nationale. Ces modifications répondaient à
trois préoccupations.
Première préoccupation : établir une distinction très claire entre l'autorité
qui prescrit les fouilles et celui qui les réalise. La confusion entretenue sur
ce point par le projet de loi créait en effet entre les services de l'Etat et
l'établissement public, dont l'équilibre dépend du nombre des opérations
archéologiques prescrites, une « consanguinité » aux conséquences
éventuellement fâcheuses.
C'est dans cette perspective que le Sénat avait souhaité, à l'article 1er,
réaffirmer les prérogatives de l'Etat et, à l'article 1er
bis,
préciser
le cadre dans lequel étaient prescrites les opérations archéologiques : c'est à
l'Etat, et à lui seul, qu'il revient de prescrire des fouilles, l'établissement
ne devant intervenir qu'au titre de l'exécution des opérations de terrain.
Deuxième préoccupation : garantir l'efficacité économique et scientifique du
dispositif. A cet égard, le monopole concédé à l'établissement nous a paru
poser plus de problèmes qu'il n'en résolvait.
En premier lieu, les incertitudes pesant sur le produit de la redevance comme
les rigidités induites par le statut de l'établissement risquaient de se
traduire par des dysfonctionnements préjudiciables au bon déroulement des
opérations d'aménagement.
Par ailleurs, en dépit des précautions rédactionnelles prises par l'Assemblée
nationale, rien ne garantissait que d'autres opérateurs, qu'il s'agisse
d'établissements de recherche ou de bénévoles, puissent être associés aux
fouilles, ce qui ne pouvait, à terme, que nuire à la qualité des fouilles qui,
de plus en plus, exigent une approche pluridisciplinaire.
Les droits exclusifs compromettaient également le développement des services
archéologiques des collectivités territoriales, auxquels l'Assemblée nationale
reconnaissait un rôle auxiliaire en dépit de l'intérêt incontestable qu'ils
sont susceptibles de présenter pour assurer, au plus près du territoire,
l'exploitation des découvertes comme pour conseiller les élus, notamment lors
de l'élaboration des documents d'urbanisme.
Pour ces raisons, le Sénat avait donc supprimé le monopole. Par ailleurs, afin
d'accorder à l'établissement public la souplesse de gestion nécessaire à
l'accomplissement de sa mission mais aussi afin d'éviter certaines dérives
financières, vous lui aviez conféré un statut d'établissement public à
caractère industriel et commercial.
Enfin, troisième préoccupation : conférer à la redevance, dans le cas de
terrains très riches en vestiges, un caractère dissuasif en instaurant un «
super taux » dans un souci bien compris de protection du patrimoine afin de
dissuader les aménageurs d'y réaliser des travaux.
L'Assemblée nationale, si elle a pris en considération certaines des
objections du Sénat, est revenue pour l'essentiel au texte qu'elle avait adopté
en première lecture.
S'agissant des dispositions relatives au cadre législatif dans lequel
s'exercent les compétences dévolues à l'Etat pour assurer la protection du
patrimoine archéologique comme des dispositions relatives à la réalisation des
opérations de terrain, l'Assemblée nationale a rétabli son texte qui encourt,
de la part de la commission, les mêmes critiques qu'en première lecture.
L'Assemblée nationale, au travers des modificatios mineures qu'elle y a
apportées, semble cependant avoir pris conscience des risques d'un système
articulé autour d'un établissement public doté de droits exclusifs.
Mais ces aménagements, qu'il s'agisse de la limitation du rôle de
l'établissement public dans la procédure de désignation du responsable de
fouilles ou de la disposition prévoyant la signature de conventions entre les
aménageurs et l'établissement public afin de prévoir les modalités de
réalisation et la durée des fouilles, s'ils vont incontestablement dans le bon
sens, sont privés de portée par le rétablissement du monopole.
Les risques de collusion entre les services régionaux de l'archéologie et
l'établissement ne sont pas vraiment écartés : le déséquilibre qui prévaut
actuellement entre ces services, faiblement dotés, et un opérateur doté de
fortes capacités d'expertise ne pourra qu'être accentué.
La pertinence des prescriptions archéologiques n'est donc pas garantie, pas
plus que ne l'est la possibilité pour d'autres organismes de participer à des
chantiers de fouilles : l'établissement est en pratique libre de collaborer
avec qui il le souhaite.
L'association des services archéologiques des collectivités territoriales
reste donc hypothétique.
Enfin, les inconvénients du statut d'établissement public à caractère
administratif demeurent.
Compte tenu de ces observations, la commission vous proposera, pour ces
dispositions, de revenir au texte adopté par le Sénat en première lecture. La
suppression du monopole ne revient pas - je le souligne - à ouvrir
l'archéologie à la concurrence ni à laisser la réalisation des fouilles à des
entreprises peu scrupuleuses. Il ne s'agit pas de permettre aux aménageurs de
choisir leur opérateur de fouilles. C'est à l'Etat qu'il reviendra de le
désigner, et à lui seul. A ce titre, il veillera à ce qu'il présente toutes les
compétences scientifiques pour conduire les opérations prescrites.
J'en viens maintenant à l'examen des dispositions nouvelles introduites par
l'Assemblée nationale en deuxième lecture qui concernent, d'une part, les
modalités de calcul de la redevance, d'autre part, le régime de propriété des
découvertes archéologiques.
Je dois le dire, les modifications apportées à l'article 4 relatif à la
redevance ont inspiré à la commission la plus grande perplexité. Voilà le
troisième dispositif que le Gouvernement nous propose en nous assurant qu'il
permet de garantir le financement des opérations d'archéologie préventive. Ces
modifications successives - et qui ne sont pas de notre fait - ne peuvent que
susciter de légitimes inquiétudes sur la cohérence d'ensemble du dispositif,
cela d'autant plus que l'absence de données statistiques interdit de réaliser
véritablement des simulations fiables.
Sans entrer dans les détails d'un dispositif qui, au fil des lectures, devient
de plus en plus complexe, j'indiquerai que, outre une extension de l'assiette
de la redevance, les modifications apportées par l'Assemblée nationale visent
essentiellement à une nouvelle répartition de la charge fiscale entre les
opérations de diagnostic et les opérations de fouilles, afin d'alléger le coût
des premières, grâce à un alourdissement de la redevance prévue sur les
secondes.
A modifier à nouveau les tarifs de la redevance, il y a, me semble-t-il, de
plus en plus de risques d'aboutir à un impôt qui rapporte trop ou pas assez,
résultats également préoccupants. Un impôt qui rapporte trop : cette hypothèse
est d'autant plus probable que les calculs du Gouvernement se fondent sur un
objectif à atteindre de 700 millions de francs, alors que le budget de l'AFAN,
l'association pour les fouilles archéologiques nationales, est de l'ordre de
400 millions de francs.
Que cela signifie-t-il ? La redevance doit-elle servir à financer d'autres
actions que les opérations de fouilles préventives ? S'agit-il de trouver les
moyens financiers qui font actuellement défaut à la politique de protection du
patrimoine archéologique conduite par le ministère de la culture ? Dans ce cas,
nous ne serions pas loin d'une astucieuse opération de débudgétisation aux
frais des aménageurs.
Un impôt qui ne rapporte pas assez : cette hypothèse n'est pas à exclure non
plus ; le risque serait alors de voir se créer des phénomènes de file
d'attente, l'établissement ne pouvant répondre aux demandes des aménageurs
faute de moyens suffisants.
Toutefois, en dépit de ces incertitudes sur son rendement, la commission,
comme en première lecture, ne vous proposera pas de supprimer la redevance, qui
répond à la demande des aménageurs comme des archéologues de voir fixé un
barème national mais qui permet aussi d'assurer une mutualisation du coût de
l'archéologie préventive.
Cependant, les atermoiements du Gouvernement constituent à l'évidence un motif
supplémentaire de s'opposer au monopole. Refuser d'accorder à l'établissement
public des droits exclusifs apparaît comme le seul moyen de se prémunir contre
le risque d'asphyxie du système.
Mais le dispositif doit être corrigé, et il importe de remédier à ses
inconvénients les plus manifestes.
Ainsi, les taux retenus par l'Assemblée nationale suscitent deux effets
pervers, sur lesquels j'attire votre attention, mes chers collègues.
En premier lieu, la diminution de la redevance pour diagnostics, quoique
légitime, risque d'aboutir à une augmentation des prescriptions de fouilles
justifiées moins par des exigences patrimoniales que par des considérations
financières. En effet, il faudra bien boucler le financement du système. Cette
dérive éventuelle constitue une raison de plus pour marquer dans la loi une
très nette séparation entre l'autorité qui prescrit les fouilles et l'opérateur
qui les réalise et qui est financièrement intéressé à les réaliser.
Par ailleurs, la nouvelle formule de calcul applicable aux terrains non
stratifiés ne confère pas à la redevance, dans l'hypothèse de sites
particulièrement riches en vestiges, un caractère réellement dissuasif pour des
aménageurs dotés de fortes capacités contributives. Dans ces cas, l'Etat devra
donc choisir entre deux solutions peu satisfaisantes : soit faire supporter à
l'établissement des fouilles dont le coût ne sera pas couvert par la redevance,
soit classer le terrain, ce qui se traduira par le gel du projet d'aménagement
et une dépense pour les finances publiques de l'indemnisation due en
application de la loi de 1913. Afin d'éviter cette alternative, la commission
vous proposera de rétablir les formules de calcul adoptées par le Sénat pour
les sites non stratifiés.
J'en arrive maintenant aux dispositions introduites par l'Assemblée nationale
relatives au régime de propriété des découvertes archéologiques.
Je vous rappellerai que, après débat, le Sénat avait adopté un amendement
précisant que les objets mobiliers exhumés à l'occasion des fouilles
préventives étaient propriété de l'Etat.
Cette disposition, introduite à l'article 2 du projet de loi, répondait au
constat de l'inadaptation des règles de la loi de 1941 à la nature de ces
vestiges. En effet, dans la pratique, la loi de 1941, qui prévoit un partage
des découvertes entre le propriétaire du terrain et l'inventeur, n'est pas
appliquée : les objets, qui, en général, ont peu ou pas de valeur marchande,
n'excitent guère la convoitise des aménageurs et, une fois les fouilles
achevées, sont conservées dans des conditions peu satisfaisantes, au sein de
dépôts archéologiques relevant de l'Etat ou des collectivités territoriales.
A la solution proposée par le Sénat, l'Assemblée nationale a substitué un
dispositif qui maintient les règles actuelles, mais ménage la possibilité, pour
une durée qui ne peut excéder cinq ans, de confier les vestiges à l'Etat afin
de permettre leur étude scientifique. Ce dispositif, sans être la panacée,
présente deux avantages : il répond à la préoccupation du Sénat d'assurer une
meilleure exploitation des résultats des fouilles et ne remet pas en cause les
règles de dévolution en vigueur. Je vous proposerai donc de vous y rallier.
Vous voyez, monsieur le secrétaire d'Etat, que le Sénat ne s'oppose pas
toujours à l'Assemblée nationale !
L'appréciation de la commission a été, en revanche, plus sévère sur l'article
5
ter
introduit par l'Assemblée nationale sur proposition du
Gouvernement afin de remédier aux difficultés auxquelles donnent lieu les
découvertes archéologiques immobilières et d'éviter que ne se reproduisent des
imbroglios juridiques comparables à celui sur lequel avait débouché la mise à
jour de la grotte Chauvet.
La loi de 1941 ne comportait aucune précision sur le régime de propriété
applicable aux découvertes immobilières. En l'absence de dispositions
spécifiques, s'appliquaient les règles de l'article 552 du code civile
attribuant au propriétaire du fonds la propriété du « dessus et du dessous ».
Toutefois, l'Etat disposait de la possibilité de classer le vestige ou
d'exproprier le terrain sur lequel il se trouvait. Par ailleurs, il disposait,
en vertu du titre II de la loi de 1941, de la possibilité d'occuper
temporairement le terrain afin d'y exécuter des fouilles.
Le Gouvernement avait, en première lecture à l'Assemblée nationale, pris
l'engagement de proposer un dispositif répondant à deux objectifs : prévoir des
dispositions claires et respecter le principe constitutionnel de propriété. Il
semble que le texte adopté par l'Assemblée nationale ne satisfasse pas plus
l'un que l'autre.
L'économie de ce dispositif, à la rédaction elliptique, est la suivante : les
vestiges archéologiques immobiliers sont soustraits du champ d'application de
l'article 552 du code civil. L'Etat dispose sur les propriétés voisines d'un
droit d'accès aux vestiges. Enfin, lorsque les vestiges font l'objet d'une
exploitation commerciale, l'exploitant verse à l'inventeur une indemnité
calculée en fonction de l'intérêt archéologique des vestiges.
La seule lecture de ces dispositions ne suffit pas pour en comprendre les
implications.
Compte tenu des précisions qui ont été fournies à la commission, il semble
qu'il faut considérer que s'appliqueront aux vestiges immobiliers les
dispositions de l'article 539 du code civil relatives aux biens vacants. Sauf
preuve contraire, qui en pratique ne pourra que rarement être rapportée,
l'ensemble des vestiges immobiliers seraient considérés comme propriété de
l'Etat.
L'opportunité d'un tel dispositif n'apparaît pas clairement au regard de ses
conséquences tant juridiques que pratiques.
Le texte opère en réalité un transfert de propriété au profit de l'Etat sans
indemnisation : le propriétaire d'un terrain dans lequel est découvert un
vestige, qui en est actuellement présumé propriétaire, ne le serait plus
demain.
Cette nouvelle règle, dont la conformité à la Constitution fait à l'évidence
problème, risque, par ailleurs, de susciter un important contentieux sur la
nature immobilière ou mobilière des vestiges.
Enfin, on peut se demander s'il est nécessaire que l'Etat devienne
propriétaire de tous les vestiges immobiliers, quelle que soit leur valeur
historique ou scientifique.
Reconnaître des droits à l'inventeur d'un vestige immobilier comme à celui
d'un vestige mobilier relève d'une légitime préoccupation d'équité. Cependant,
la solution retenue par l'Assemblée nationale s'inscrit dans la logique d'un
dispositif qui n'accorde aucun droit au propriétaire du terrain. A supposer
même que ce dernier puisse apporter la preuve qu'il est propriétaire du vestige
et qu'il exploite le vestige, le texte revient à le priver d'une partie des
fruits de sa propriété, ce que le Gouvernement voulait expressément éviter,
monsieur le ministre.
Enfin, à supposer que l'on accepte la logique du dispositif, les modalités de
calcul retenues pour le calcul de l'indemnité versée à l'inventeur apparaissent
pour le moins ambiguës.
A l'évidence, l'article 5
ter
n'est pas de nature à remédier aux
difficultés soulevées par l'application des règles du code civil aux
découvertes immobilières ni à en combler les lacunes en ce qui concerne la
rémunération des inventeurs.
Les découvertes exceptionnelles étant très rares, il serait, je crois,
regrettable de légiférer dans la précipitation. Certes, il faudra légiférer,
mais en l'occurrence on légifère vraiment trop vite.
La commission vous proposera donc de supprimer l'article 5
ter
. La
réflexion sur la rémunération des inventeurs doit se poursuivre, mais dans le
sens d'un plus grand respect des droits des propriétaires des terrains
renfermant des vestiges immobiliers.
Sous réserve de l'adoption des amendements que je vous soumettrai, je vous
propose, mes chers collègues, de voter en deuxième lecture le projet de loi
relatif à l'archéologie préventive.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la
deuxième lecture à l'Assemblée nationale du projet de loi relatif à
l'archéologie préventive, tout en respectant la philosophie du texte initial, a
permis de nombreuses avancées.
Le rôle des différents acteurs de l'archéologie, que ce soit les services
archéologiques des collectivités territoriales, les universitaires ou les
associations, a été réaffirmé. Le Gouvernement va même plus loin dans le sens
d'une meilleure association des collectivités territoriales ou de leur
groupement, puisqu'il défendra, à l'article 2, un amendement visant à rendre
obligatoire la conduite des travaux par les collectivités disposant de service
archéologique.
La majorité sénatoriale n'a donc, en vérité, plus de raison de s'opposer à la
constitution d'un établissement public à caractère administratif et aux droits
exclusifs que lui confère le texte.
Concernant la question complexe du respect des délais, nous ne pouvons pas
nous permettre de fixer
a priori
des délais contraignants qui
risqueraient, le cas échéant, d'aboutir à l'interruption des recherches, voire
à la destruction de vestiges archéologiques. Or c'est tout à fait ce que
propose la majorité sénatoriale.
Le système de contractualisation introduit par les députés permet de
responsabiliser chaque partie. Il offre l'avantage de la souplesse : les délais
pourront être fixés au cas par cas, suivant la spécificité de chaque terrain et
de chaque opération de fouilles. Il assure la prévisibilité des délais et la
transparence dans leur fixation. Il détermine les conséquences, notamment
financières, pour les parties en cas de dépassement des délais
conventionnellement fixés.
Le Gouvernement prévoit en outre l'intervention de l'Etat en cas de désaccord
entre l'aménageur et l'établissement public sur les délais de réalisation des
opérations de fouilles, ajoutant ainsi une garantie supplémentaire à ce
dispositif.
La navette a également permis d'affiner le calcul de la redevance afin de la
rendre plus proche de la réalité du coût des opérations. La redevance
diagnostic a été abaissée, pour répondre aux préoccupations des exploitants de
carrière et des aménageurs oeuvrant plus particulièrement en milieu rural.
A l'inverse, elle a été augmentée pour les fouilles stratifiées et non
stratifiées afin de prendre en charge le traitement des terres
archéologiquement stériles. En outre, sont exclues du régime de plafonnement de
la redevance les constructions de parkings ou de garages réalisées dans un but
lucratif. C'est donc un mode de financement plus équitable qui nous est
présenté.
Les différentes lectures ont d'ores et déjà permis d'aboutir à un consensus
sur un certain nombre de points essentiels : l'activité de service public que
constitue l'archéologie préventive et la compétence de l'Etat qui en découle ;
la création d'un établissement public et son financement par une redevance.
Aujourd'hui, le Gouvernement apporte des réponses complémentaires aux
observations du Sénat. Les différents ajustements qu'il nous propose permettent
d'aboutir à un texte plus équilibré, et qui donne aux archéologues les moyens
nécessaires pour mener à bien leurs travaux, tout en conciliant les intérêts
des aménageurs, qu'ils soient publics ou privés.
Cette lecture devrait donc, normalement, voir se rapprocher les différents
points de vue.
Malheureusement, après avoir suivi les derniers travaux de la commission des
affaires culturelles et entendu à l'instant les propos de M. le rapporteur,
j'avoue être moins optimiste. Bien sûr, la navette est une excellente chose
mais, dès lors que l'Assemblée nationale, prenant acte de ses divergences avec
le Sénat, est allée largement dans le sens de celui-ci, tout en maintenant son
point de vue sur ce qui lui paraît essentiel, elle n'a plus d'utilité : il faut
savoir arrêter une navette.
Il serait dommageable, en effet, que chaque assemblée campe irrémédiablement
sur ses positions, retardant ainsi l'adoption d'un texte très attendu par les
acteurs de l'archéologie préventive.
M. le président.
La parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
cette deuxième lecture du projet de loi relatif à l'archéologie préventive
apportera, j'en suis convaincu, de nouvelles avancées dans un domaine qui est
figé depuis quarante ans. Il n'est nullement besoin de rappeler les propos qui
ont été tenus en mars dernier touchant à l'importance pour la mémoire
collective de ce que peuvent mettre au jour des fouilles correctement menées,
traitées, analysées, conservées et mises à disposition dans des lieux
publics.
L'essentiel a déjà été introduit dans la réforme proposée. Les dispositions
adoptées ont enfin tenu compte de la réalité et balayé une solution équivoque,
où l'Etat était autorisé à exécuter des fouilles sur des terrains qui ne lui
appartenaient pas, fouilles dont, par surcroît, il n'assumait ni le financement
ni la réalisation.
Les différentes missions ont été séparées. La confusion était
préjudiciable.
En revanche, il faut regretter que la démarche n'ait pas été plus globale. Une
approche environnementale de l'archéologie aurait dû être privilégiée. Il
convenait de replacer cette réforme dans le cadre des dispositions de la loi
d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire, de
façon à répondre à l'exigence de territorialisation et de décentralisation de
l'archéologie.
Cette discipline n'est pas une activité économique ; c'est une activité de
recherche scientifique, et elle est de plus en plus environnementaliste. La
mission préventive domine puisqu'une grande partie de ce qui est
fouilléressortit au non-monumental. Elle contribue à laconnaissance de la
dynamique des territoires et offre ainsi des matériaux concourant à
l'adéquation recherchée pour les aménagements.
La connaissance du passé et sa conservation contribuent à la réalisation de
projets qui, en prenant en compte les enseignements retirés, répondent plus
précisément aux spécificités d'une nature intégrée.
L'objectif social de l'archéologie méritait d'être plus présent dans le texte
qui nous est soumis. Il apparaît aujourd'hui qu'elle peut et même devrait
contribuer à l'évaluation des politiques publiques, à la réalisation des études
d'impact et à la définition des projets d'aménagement dès lors que ceux-ci
s'inscrivent dans la dynamique du rapport des sociétés avec leur espace.
Or on constate que l'absence de réflexion vient aussi du fait qu'il n'y a pas
de services territoriaux de l'archéologie dans toute les collectivités
régionales. Ainsi, l'organisation territoriale, qui correspondrait pourtant à
une logique, souffre d'un retard qui limite la portée de la réforme
entreprise.
En conséquence, je présenterai un amendement susceptible d'ouvrir la voie vers
cette dimension environnementale et cette gestion décentralisée.
Enfin, je regrette que l'on soit revenu sur la disposition qui prévoyait que
le mobilier archéologique issu des opérations d'archéologie préventive
appartiendrait à l'Etat. Il ne me semble pas qu'il y ait là une appropriation
sans indemnité assimilable à une expropriation contraire aux principes
constitutionnels, comme nous l'a indiqué Mme la ministre de la culture. La loi
de 1941 le prévoyait déjà en deux circonstances, et le Conseil d'Etat avait
donné son accord en 1945 pour qu'il en soit ainsi.
Au-delà de la notion d'intérêt général, on peut considérer que le mobilier
archéologique est une chose quasi vacante et sans maître jusqu'au moment de son
exhumation. Dès lors, son attribution ne dépend pas des règles communes en
matière d'acquisition de la propriété énoncées aux articles 711 et 712 du code
civil. Peut-être la commission m'entendra-t-elle...
La convention de Malte a été un premier pas et a constitué l'embryon d'un
cadre juridique. Toutefois, le statut de l'archéologie préventive au sein de
l'Union européenne manque totalement d'homogénéité. Un travail d'harmonisation
doit être mené au niveau intergouvernemental, en partenariat avec l'association
des archéologues européens puisque c'est cette dimension qui prévaut
maintenant. Telles sont les quelques réflexions que je souhaitais formuler à
l'occasion de cette deuxième lecture.
(Applaudissements sur les travées du RDSE et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
c'est avec beaucoup d'attention que nous avons suivi l'élaboration du texte qui
nous est soumis.
De manière résolument volontaire, le Gouvernement a souhaité réaffirmer le
rôle de l'Etat en matière d'archéologie, et notamment en matière d'archéologie
préventive.
Au cours des différentes lectures de ce texte, qui résulte aussi pour une très
large part de la volonté des personnels de l'archéologie publique dans leur
diversité, chacun a tenté d'apporter sa contribution à un édifice juridique
situé dans un domaine qui n'est pas, nous le savons, étranger à certains
intérêts économiques.
Nos collègues de l'Assemblée nationale ont apporté des modifications de fond à
ce projet de loi.
L'Assemblée nationale est revenue sur la rédaction de l'article 1er
bis,
notamment pour ce qui concerne le délai nécessaire à l'exécution des
fouilles archéologiques.
Cette mesure permettrait, mieux que ne saurait le faire celle qu'avait retenue
la Haute Assemblée - la commission nous proppose de réintroduire le délai d'un
mois pour la réalisation des sondages ou diagnostics - de concilier les
intérêts de l'archéologie et les besoins d'aménagement.
En effet, plutôt qu'un délai fixé
a priori,
sans prise en compte de la
réalité du terrain archéologique, l'Assemblée nationale a préféré la mise en
place de conventions entre l'établissement public et les personnes réalisant
des opérations d'aménagement, mesure que nous jugeons plus adaptée.
Cela dit, nous souhaitons apporter trois correctifs au dispostif adopté par
l'Assemblée nationale.
Le premier concerne l'organisation de l'établissement public chargé de la
recherche en archéologie préventive. Compte tenu de la diversité de la
composition du conseil d'admnistration de cet établissement, qui rassemblera en
son sein personnalités scientifiques et personnalités qualifiées, il serait
opportun d'indiquer que la réparttiion des compétences au sein de cet
établissement sera dévolue au pouvoir réglementaire, afin de pouvoir ajuster
dans la durée la compétences des uns et des autres, et aussi de bien séparer
les fonctions de président et celles dedirecteur.
En outre, nous souhaitons préciser le régime juridique des découvertes
mobilières faites à l'occasion de fouilles préventives.
En l'état actuel de la législation, les objets découverts à l'occasion de
fouilles réalisées par l'Etat doivent être partagés entre le propriétaire du
terrain et l'Etat. Peut-être y a-t-il lieu, d'une part, d'harmoniser cette
disposition avec celle qui s'applique dans la plupart des pays européens en
prévoyant que les opbjets archéologiques issus des fouilles préventives sont
propriété de l'Etat ou des collectivités territoriales, d'autre part, de faire
en sorte qu'ils seront conservés avec toutes les garanties sur le territoire,
donc déposés par priorité dans le musée classé ou contrôlé le plus proche.
Cette solution avait d'ailleurs été retenue par la Haute Assemblée lors du
premier examen de ce texte.
Notre troisième amendement porte sur une modification de l'article 4, qui
traite du régime des redevances d'archéologie. Pour éviter tout risque de
contentieux, nous avons souhaité réparer une lacune de l'actuelle rédaction de
cet article concernant la réalisation de travaux d'aménagement par lots. Il est
en effet important que la loi précise qu'en cas de réalisation par lots le
redevable reste la personne publique ou privée qui fait réaliser le projet
d'aménagement.
Ces observations étant faites, je souhaite attirer brièvement votre attention,
monsieur le secrétaire d'Etat, sur la spécificité de l'archéologie dans notre
pays.
En effet, il appartiendra au Gouvernement de veiller à ce que, dans les
décrets d'application qui accompagneront le texte que nous allons examiner,
tout soit mis en oeuvre pour que de multiples synergies se fassent jour dans le
domaine de l'archéologie.
Il est en particulier indispensable que les scientifiques des universités, les
collectivités locales, les associations et l'ensemble des structures
compétentes en matière d'archéologie soient associées aux travaux menés par
l'établissement public créé par la loi.
La force de l'actuel projet de loi réside, pour une large part, dans la
réaffirmation du rôle de l'Etat en matière archéologique ainsi que dans
l'effort fait pour concilier les besoins de la recherche scientifique, ceux de
l'aménagement de notre territoire et le rôle des collectivités locales.
Bien des questions se poseront encore concernant, notamment, le montant de la
redevance, son plafonnement ; ce sont autant de dispositions sur lesquelles
nous serons peut-être amenés à revenir.
L'important était et reste de réaffirmer le rôle moteur de l'Etat en matière
de patrimoine archéologique, et plus spécialement d'archéologie préventive. Ces
principes sont réaffirmés par le texte et il faut en prendre acte de façon
positive.
Certes, un certain nombre d'articles font l'objet d'analyses très différentes
dans l'une et l'autre assemblée. Pour autant, nous pensons qu'il est plus que
temps d'adopter le texte qui nous est soumis pour doter notre pays d'un
dispositif public moderne d'investigations archéologiques, dans l'intérêt même
de la diffusion du savoir archéologique.
M. Michel Duffour,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Michel Duffour,
secrétaire d'Etat.
Monsieur le rapporteur, je répéterai une nouvelle fois
que j'apprécie la qualité de votre travail. Mais il comporte toute une série de
conclusions auxquelles je ne souscris pas - cela ne vous surprendra pas !
Il ne me paraît pas nécessaire d'allonger le débat en rappelant des réponses
qui ont déjà été formulées lors de la première lecture. Cependant, les propos
qui ont été tenus m'obligent à préciser quelques données au sujet du
financement.
Je vous ai bien entendu, monsieur le rapporteur : vous nous accusiez presque
de possibles manoeuvres visant à dégager des recettes bien supérieures à celles
qui auraient été nécessaires. Nous n'avons pas de telles arrière-pensées ! Les
propositions qui ont été faites résultent d'études extrêmement sérieuses et
suivies.
Il s'agit, cela est clair, d'une question difficile.
Si le premier dispositif proposé par le Gouvernement n'a pas été retenu, ce
fut à la demande de l'Assemblée nationale. Celle-ci, il faut le reconnaître,
relayait les critiques des aménageurs, qui jugeaient ce dispositif difficile à
mettre en oeuvre. Le Gouvernement a accepté ces objections, et l'on ne peut pas
nous accuser de varier ou de ne pas être certains de nos analyses : nous
cherchons à être le plus convaincants possible et au plus près de la
réalité.
Nous avons donc proposé un nouveau dispositif, qui a été accepté par
l'Assemblée nationale et qui, depuis, n'a pas été modifié. Les amendements
déposés aujourd'hui ne sont en fait que des ajustements qui traduisent la prise
en compte des propositions formulées tant par les parlementaires que par les
aménageurs et les archéologues.
Comment avons-nous travaillé ? Je rappellerai que l'évaluation du coût de
l'archéologie a été effectuée à partir d'une base de données nationale établie
pour l'année 1998. Nous nous sommes fondés sur 2 177 opérations - ce qui
représente tout de même un champ suffisamment large ! - 1 681 diagnostics et
481 fouilles. Pour chaque opération, les données enregistrées ont permis de
mesurer la complexité des sites et des interventionspréventives.
Pour l'établissement du régime de redevance, la disparité des situations a
rendu nécessaire de distinguer nettement deux types d'opérations d'archéologie
préventive. D'une part, pour les diagnostics, je le rappelle, la redevance est
calculée sur la base de la surface du projet, avec un taux au mètre carré de
1,94 franc. Ce taux correspond au coût moyen du diagnostic enregistré. D'autre
part, pour les fouilles, l'établissement d'un coût moyen unique est beaucoup
plus complexe, en raison de la grande disparité des coûts constatés en 1998.
Ainsi, nous n'avons pas tenu des raisonnements abstraits ou sommaires ; nous
nous sommes fondés sur les réalités rencontrées au cours des années
précédentes. Une telle complexité s'explique par la diversité des types de
sites et par l'extrême variété des moyens, des compétences et des délais qu'ils
exigent.
S'agissant des fouilles, il a paru nécessaire, dans un souci de clarification,
de procéder à une distinction permettant de différencier les sites dits «
stratifiés » et les sites « non stratifiés ».
Le texte peut sembler technique, mais c'est en menant un travail extrêmement
sérieux, sur la base des réalités, que nous en sommes arrivés à ce résultat. Ne
nous accusez pas d'arrière-pensées ou d'éventuelles manipulations des chiffres
!
Je voudrais remercier les orateurs. J'ai bien entendu M. Joly, et je veux lui
redire que je partage son souci environnementaliste. Mais il était difficile de
l'intégrer dans la loi elle-même.
Il s'agit avant tout, pour nous - j'y insiste de nouveau -, de parvenir à
faire partager ces préoccupations par les collectivités territoriales, avec
lesquelles nous souhaitons vivement entretenir une collaboration très active et
soutenue : sans rendre les collectivités territoriales responsables des manques
éventuels, nous désirons avoir des partenaires les plus fiables et les plus
nombreux possible.
En effet, la diversité des statuts des services archéologiques territoriaux et
la multiplicité des missions dont, souvent, ils sont chargés rendent difficile
jusqu'au recensement exhaustif de ces services.
D'après les données de 1998, quatre-vingts communes, dans une trentaine de
départements, sont actuellement dotées d'un service archéologique, ce qui, sur
un nombre total de 292 personnes, représente 176 archéologues. Il est facile
d'en déduire que la moyenne est de moins de deux archéologues par site, ce qui
complique évidemment les explications générales et ne facilite pas la prise de
décisions qui, à partir des textes eux-mêmes, engageraient l'ensemble des
collectivités. Tout cela demande un travail assidu et un grand pragmatisme. Il
faut faire en sorte que ce processus nous amène au moins à des
rapprochements.
Je veux remercier MM. Dreyfus-Schmidt et Renar de leur soutien.
Monsieur Dreyfus-Schmidt, vous avez bien mis en valeur les enrichissements du
texte.
Vous nous avez fait part, monsieur Renar, des soucis qui sont les vôtres. Je
connaissais votre préoccupation au sujet de la répartition des compétences au
sein du conseil d'administration, et nous irons dans votre sens.
Vous avez émis des craintes, monsieur Dreyfus-Schmidt, sur la possibilité
d'améliorer aujourd'hui le texte, et vous souhaitez que la navette ne soit pas
inutile. Il est évident que je soutiens totalement votre démarche ! Le
Gouvernement présente plusieurs amendements, dont l'adoption enrichirait
indiscutablement le texte, qui visent à préciser les responsabilités des
services territoriaux et qui leur donneraient pleine satisfaction, me
semble-t-il.
J'espère que la réécriture de certains articles ne conduira pas au rejet de
ces amendements, ce qui provoquerait une grande déception.
(Applaudissements
sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les
travées socialistes.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle que, aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir
de la deuxième lecture au Sénat des projets ou propositions de loi, la
discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du
Parlement n'ont pas encore adopté un texte identique.
Article 1er