SEANCE DU 10 OCTOBRE 2000
M. le président.
La parole est à M. Pelchat, auteur de la question n° 858, adressée à M. le
ministre de la défense.
M. Michel Pelchat.
Monsieur le secrétaire d'Etat, ma question concerne le douloureux problème des
mines antipersonnel.
Vous le savez, sur le plan technique, la lutte contre une centaine de millions
de mines antipersonnel disséminées à travers le monde pose un problème
dramatique car la difficulté réside, non pas dans la destruction des mines,
mais dans le repérage des champs de mines.
Or le déminage est un objectif majeur pour la communauté internationale,
auquel la France s'associe. Elle doit jouer un rôle, non seulement en raison de
sa tradition humanitaire, mais aussi en raison d'un savoir-faire unanimement
reconnu.
Pourtant, dans ce domaine, la France n'a pas été en mesure de jouer le rôle
qui aurait dû être le sien, tant sur le plan européen qu'à l'échelle
internationale.
Je dis « le rôle qui aurait dû être le sien » en matière de déminage
humanitaire pour trois raisons.
Premièrement, l'armée française dispose d'une expertise unanimement reconnue,
qui est mise à disposition des pays concernés à travers l'activité de la
COFRACE, cette entreprise dont la vocation est de servir d'interface entre la «
clientèle » civile et internationale et notre secteur militaire.
Deuxièmement, le principal industriel français de l'armement terrestre,
l'entreprise publique GIAT-Industrie dispose d'une expérience qui pourrait se
révéler précieuse.
Enfin, troisièmement, le ministère des affaires étrangères joue un rôle moteur
dans la compétition internationale visant à lutter contre les mines
antipersonnel, notamment en participant au financement d'opérations de déminage
en liaison avec le ministère de la défense.
Ainsi, dans un pays ami comme le Cambodge, qui ne pourra être reconstruit tant
qu'il ne sera pas débarrassé de ces armes infernales et meurtrières,
aujourd'hui, seuls 148 kilomètres carrés, sur plus de 1 000 kilomètres carrés
concernés, ont été déminés. Et la part de la France dans ce déminage
insuffisant a malheureusement été, jusqu'à présent, beaucoup trop faible. Le
savoir-faire de la France n'est pas suffisamment exploité, monsieur le
secrétaire d'Etat.
Faute de référence, il n'y a pratiquement pas de sociétés de déminage sur le
terrain. En matière de développement d'équipements, il n'y a pas de stratégie
nationale, pas de financement dédié - les financements français en matière
d'aide sont versés dans les « pots communs » des Nations unies ou de la
Communauté européenne - et pas d'instance de coordination des quelques
industriels ou laboratoires maîtrisant les technologies utilisables.
A l'appui de ces propos, je tiens à noter une observation de la Commission
nationale pour l'élimination des mines antipersonnel, la CNEMA, qui, dans son
premier rapport, qui a été remis au Premier ministre le 13 septembre dernier,
indique, à la page 82 que « la France n'apparaît pas dans le peloton de tête
des contributeurs aux actions internationales multilatérales, comme en
témoigne, par exemple, sa contribution générale à l'UNMAS, le service d'action
antimines des Nations unies, qui est deux fois moins importante que celle de la
Belgique ou de l'Espagne et trois fois moins importante que celle de
l'Allemagne ou de la Grande-Bretagne », avant de conclure qu' « une réflexion
d'ensemble doit être menée sur ce sujet ». Enfin, à la page 89 de son rapport,
la commission souligne que « la France est en retrait par rapport au rôle que
son expérience et ses capacités lui permettraient de tenir au sein de la
communauté internationale ».
En conséquence, monsieur le secrétaire d'Etat, quelles mesures pourriez-vous
envisager afin de fédérer l'ensemble des acteurs français compétents en matière
de déminage humanitaire, qu'il s'agisse d'organismes gouvernementaux,
d'organisations humanitaires, d'industriels ou de spécialistes du déminage,
afin de proposer un dispositif français cohérent de coopération internationale
susceptible de bénéficier des soutiens et des financements européens et d'aider
utilement au déminage de pays amis comme le Cambodge, dont je viens d'évoquer
la situation et qui nous lance un appel pressant ?
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Pierre Masseret,
secrétaire d'Etat à la défense chargé des anciens combattants.
Monsieur
le sénateur, vous évoquez un sujet grave : la sauvegarde de la vie de milliers
d'hommes, de femmes et d'enfants. Mais votre jugement à l'égard de la politique
de la France - je dis bien : « la politique de la France » - dans le domaine
des mines antipersonnel me paraît un peu sévère.
Je vous prie tout d'abord d'excuser M. Alain Richard, qui ne peut vous
répondre personnellement, car il participe, à Londres, à la réunion des
ministres de la défense de l'Union européenne. Il m'a demandé de vous faire
connaître son sentiment sur la question que vous lui avez posée.
La France joue un rôle particulièrement actif dans le domaine de la lutte
contre les mines antipersonnel. Sur la scène internationale comme sur le plan
national, elle a montré sa détermination à lutter contre ce fléau. Elle a même
été l'un des tout premiers pays à donner l'exemple et n'a cessé, au cours de
ces dernières années, de prendre des initiatives en ce sens.
Comme vous le soulignez à juste titre, tous les efforts de la communauté
internationale doivent désormais tendre vers le déminage et l'assistance aux
victimes. A cet égard, l'action de la France s'est particulièrement concentrée,
au cours des dernières années, sur les pays les plus affectés, où les mines
antipersonnel constituent un obstacle au retour à la vie normale après une
période de conflit, tels que le Cambodge, l'Angola, le Laos, le Mozambique, la
Bosnie-Herzégovine, le Nicaragua et l'Afghanistan.
Le financement de la France en faveur du déminage sur la période 1995-1999 a
été de 250 millions de francs, hors recherche. Depuis 1995, près de 65 millions
de francs ont été consacrés à des opérations de déminage humanitaire. A ce
montant, vient s'ajouter la quote-part versée par la France aux programmes mis
en oeuvre par l'Union européenne.
Pour la période 1995-1999, la part de la contribution française dans les
programmes financés par la Commission s'élève à plus de 170 millions de francs,
auxquels s'ajoutent 15 millions de francs débloqués dans le cadre de la
politique étrangère et de sécurité commune.
Par ailleurs, et vous le savez fort bien, monsieur le sénateur, les démineurs
militaires français ont participé depuis longtemps à de nombreuses opérations
d'assistance au déminage en faveur des pays affectés. Le surcoût « opérations
extérieures », hors transport, est estimé à 439 millions de francs courants sur
les dix dernières années.
Ainsi, la contribution globale apportée par notre pays est significative.
Elle peut, certes, encore être améliorée - tel est l'objet de votre question -
et c'est dans cet esprit qu'a récemment été mis en place un nouvel instrument
souple et pluriannuel de financement des opérations de déminage et d'assistance
aux victimes des mines, d'un montant de 20 millions de francs, qui permettra
notamment de soutenir plus efficacement l'action des organisations non
gouvernementales dans ce domaine.
Par ailleurs, comme l'a récemment rappelé le Premier ministre, la France s'est
engagée à renforcer la coordination de son action contre les mines afin d'en
accroître l'efficacité. Ainsi, la loi du 8 juillet 1998 a créé une commission
nationale pour l'élimination des mines antipersonnel, qui assure non seulement
le suivi de l'application de cette loi et de l'action internationale de la
France en matière d'assistance aux victimes des mines antipersonnel et d'aide
au déminage, mais aussi une coordination des différents ministères.
Cette coordination doit permettre de mettre au point un plan d'action destiné
à aider les Etats qui, faute de moyens techniques et financiers, ne peuvent
détruire eux-mêmes les mines présentes sur leur territoire. Pour les pays les
moins avancés, ces actions pourraient s'inscrire dans le cadre des plans
bilatéraux de coopération.
Un ambassadeur itinérant a également été nommé ; il est chargé de l'action de
la France en matière de déminage et d'assistance aux victimes.
En matière de formation au déminage, l'action internationale de la France sera
renforcée, en raison de l'expérience et de la compétence de son armée, vous
l'avez indiqué, dans le domaine de l'enlèvement des explosifs. A cette fin, le
ministère de la défense favorisera l'accès de l'Ecole supérieure et
d'application du génie, l'ESAG, d'Angers aux stagiaires étrangers ainsi qu'aux
organisations non gouvernementales.
Afin de réaliser un état des lieux précis de la situation des zones minées
dans le monde, la France encourage la mise en place rapide d'une banque de
données mondiale, qui pourrait être placée sous l'égide du secrétariat général
des Nations unies. Notre pays a apporté un concours actif à cette initiative en
communiquant notamment les données qui sont détenues par le centre d'expertise
sur les mines de l'ESAG d'Angers.
L'action de la France sera également conduite par la volonté de développer un
partenariat renforcé avec les gouvernements des principaux pays concernés. Elle
s'attachera à leur apporter une assistance systématique dans la la mise en
place de plans nationaux de déminage et de structures locales permettant
d'assurer le suivi et la pérennité des opérations. La France organisera ainsi,
en coordination avec le Canada et l'Organisation de l'unité africaine, en
février prochain à Bamako, un séminaire panafricain. Cet exercice nous offrira
l'occasion de recenser les besoins d'un continent durement frappé par les mines
antipersonnel et d'évaluer les actions concrètes d'assistance requises.
On ne peut donc pas dire que la France est absente en ce domaine. Certes, on
peut toujours améliorer une situation - c'est le sens de votre intervention -
mais on ne peut pas dire que notre pays se désintéresse de cette question ; ses
initiatives sur le plan international l'attestent.
Quoi qu'il en soit, je vous remercie d'avoir fait part au ministre de votre
préoccupation.
M. Michel Pelchat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Pelchat.
M. Michel Pelchat.
J'ai bien entendu votre réponse, monsieur le secrétaire d'Etat, qui appelle de
ma part trois observations.
Vous avez fait référence à la commission nationale pour l'élimination des
mines antipersonnel ; c'est précisément au premier rapport de cette commission,
qui a été remis à votre gouvernement, que je me suis référé pour montrer non
pas l'absence totale, bien entendu, mais la faiblesse de la contribution de la
France.
A aucun moment, vous n'avez cité les compétences de l'industrie française ; je
pense notamment à GIAT Industrie, notre société d'armement terrestre, dont
toutes les compétences ne sont pas exploitées, monsieur le secrétaire d'Etat,
et qui offre, si j'ose dire, une « mine » de possibilités dans le domaine du
déminage, précisément.
Je me félicite de votre engagement à élaborer des partenariats. Vous avez cité
l'Afrique, continent particulièrement concerné par le problème qui nous occupe.
Mais je vous rappelle l'appel pressant que lancent aujourd'hui à la France nos
amis cambodgiens, qui veulent pouvoir favoriser le développement économique
nécessaire au redémarrage de leur pays. Mais, sur plus de 1 000 kilomètres
carrés fortement minés de leur territoire, seulement 148 kilomètres carrés ont
été déminés par les instances internationales ! La France pourrait jouer un
rôle tout à fait déterminant dans ce pays aussi.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous remercie de votre réponse. Je ne
manquerai ni de prendre connaissance du prochain rapport de la CNEMA, qui, je
l'espère, placera la France en meilleure position, ni de prendre contact avec
l'ambassadeur dont vous m'avez signalé la nomination.
RECONNAISSANCE ET TRAITEMENT
DES MALADIES PROFESSIONNELLES