SEANCE DU 11 OCTOBRE 2000
M. le président.
Par amendement n° 430 rectifié, M. Saunier, Mme Bidard-Reydet, MM. Loridant,
Autexier, Bécart, Mmes Beaudeau, Borvo, MM. Bret, Fischer, Foucaud, Le Cam,
Lefebvre, Mme Luc, MM. Muzeau, Ralite, Renar, Mme Terrade, MM. Vergès, Auban,
Autain, Bel, Mme Bergé-Lavigne, MM. Besson, Biarnès, Bony, Boyer, Mme Campion,
MM. Carrère, Cazeau, Chabroux, Courteau, Courrière, Mme Cerisier-ben Guiga, M.
Debarge, Mmes Derycke, Dieulangard, MM. Domeizel, Dreyfus-Schmidt, Mme Durrieu,
MM. Dussaut, Fatous, Godard, Guérini, Haut, Labeyrie, Lagauche, Lagorsse, Le
Pensec, Lejeune, Marc, Madrelle, Miquel, Pastor, Penne, Peyronnet, Picheral,
Piras, Plancade, Mmes Pourtaud, Printz, MM. Roujas, Sutour, Trémel, Vidal,
Désiré, Larifla, Lise, Collin et Delfau proposent d'ajouter, avant le titre Ier
de la première partie, un titre additionnel ainsi intitulé :
« Titre... : Régulation des transactions financières. »
La parole est à Mme Bidard-Reydet.
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, cet
amendement, largement cosigné sur l'initiative des membres du groupe ATTAC -
Association pour une taxation des transactions financières pour l'aide aux
citoyens - du Sénat, constitue l'un des premiers éléments fondamentaux du débat
qui va nous animer pendant quelques jours.
Une telle initiative a, selon nous, tout à fait sa place dans le débat sur les
nouvelles régulations économiques. En l'occurrence, il s'agit d'insérer un
titre relatif à ce que nous appelons « la régulation des transactions
financières », qui manque dans le projet de loi. Cette absence est-elle l'aveu
d'une impuissance du politique ou l'affirmation de la soumission, aujourd'hui,
du politique à l'économique ?
Pour notre part, nous croyons que la construction de la société de demain ne
peut être déterminée uniquement à l'aune du profit des investissements, en
fonction de la seule liberté de circulation des capitaux, des monnaies, des
marchandises, sur la valorisation boursière au détriment du développement des
forces créatives de l'homme, de la réponse aux besoins collectifs et sociaux,
qu'ils s'expriment dans nos sociétés développées ou ailleurs dans le monde.
Prétendre à réguler les transactions financières internationales répond à ces
exigences, d'où notre amendement.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini,
rapporteur.
La commission n'a aucune raison de changer d'avis par rapport
au précédent débat sur ce sujet.
Toutefois, je voudrais rappeler que, depuis le moment où nous avons évoqué la
taxe Tobin ici, au Sénat, un certain nombre d'études ont été réalisées. Je
pense en particulier au rapport qui a été transmis par le Gouvernement au
Parlement en application de l'article 89 de la loi de finances initiale pour
2000. Dans un souci de synthèse, je citerai quelques intitulés de paragraphe
auxquels correspond bien évidemment toute une argumentation précise. Je lis,
par exemple, à la page 37 : « Collecte de la taxe : la question du lieu n'est
pas résolue » et, un peu loin, je lis : « Des effects incertains, voire
contre-productifs sur le marché des changes » ; « L'efficience du marché des
changes pourrait être réduite » ; « La spéculation la plus déstabilisante ne
serait pas efficacement dissuadée ». Un peu plus loin encore, à la page 39, je
lis : « Des conséquences qui pourraient être peu favorables à l'échelle de
l'économie ». Elles se détaillent ainsi : « Une incidence problématique sur les
échanges commerciaux » ; « Un frein à la diversification internationale des
portefeuilles » ; « La hausse des coûts de transaction serait dans une large
mesure répercutée sur l'économie réelle », etc. Je vous renvoie, mes chers
collègues, à ce rapport qui n'est pas très long puisqu'il ne comprend qu'une
soixantaine de pages.
La commission des finances, quant à elle, a traité de ce sujet dans un rapport
récent, puisqu'il date du mois de février dernier, sur la régulation financière
internationale. Ce rapport a sans doute été utile puisque nous avons constaté
que le Gouvernement y a fait certains emprunts pour le présent projet de
loi.
A partir de la page 55, et là encore je cite simplement les intitulés de
paragraphes, nous évoquons « Le mirage de la taxe Tobin sur les mouvements de
capitaux » et nous qualifions ce dispositif, reprenant l'avis des économistes
que nous avons rencontrés, de « solution globale utopique ». Nous ajoutons «
l'impossibilité de mettre en oeuvre une taxe sur les mouvements de capitaux au
plan mondial », « la contrainte d'universalité paralysant toute action concrète
», et « les effets pervers d'une taxe aveugle sur les mouvements de capitaux ».
De ce point de vue, nous ne pouvons qu'être satisfaits des éléments
d'appréciation supplémentaires apportés par le rapport du Gouvernement.
Je citerai
in fine
la conclusion du paragraphe de notre rapport du mois
de février dernier dans lequel nous écrivions que « les principales crises
financières qui justifient aux yeux de ses promoteurs la création d'une taxe
Tobin ne seraient pas empêchées par celle-ci compte tenu de l'ampleur des
dévaluations qui ont eu lieu en Asie. On rappellera à cet égard que les coûts
de transaction n'ont jamais constitué un rempart efficace aux maux de
l'instabilité financière internationale. Enfin, une moindre liquidité des
marchés pourrait, en amplifiant les mouvements de panique, accroître au
contraire les risques systémiques. »
Mes chers collègues, nous avons bien compris que la taxe Tobin est une
opération de politique intérieure, que c'est une mobilisation de forces
syndicales et sociales figurant dans votre base politique et électorale et
qu'elle vous embarrasse. Nous sommes en quelque sorte un peu dans le même débat
qu'hier soir, lorsque nous examinions la motion tendant à opposer la question
préalable soutenue par M. Loridant et que Mme le secrétaire d'Etat s'efforçait
d'y répondre.
La commission des finances demeure naturellement, dans sa majorité, fermement
défavorable à ce qui n'est qu'un mirage et une opération politicienne. Elle
émet par conséquent un avis défavorable sur l'amendement n° 430 rectifié.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Marylise Lebranchu,
secrétaire d'Etat.
M. le rapporteur de la commission des finances vient
d'intervenir avec beaucoup de fougue.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation.
Par souci de clarté !
Mme Marylise Lebranchu,
secrétaire d'Etat.
Pendant très longtemps, il a été répondu de façon
théorique mais sans fondement réel à cette demande de taxe Tobin. Comme vous,
mesdames, messieurs les sénateurs, je vais souvent sur le terrain et j'entends
fréquemment avancer une telle proposition. C'est pourquoi le Gouvernement a
demandé un rapport sur la fameuse taxation des opérations de change, sur la
régulation des mouvements de capitaux, sur les conséquences de la concurrence
fiscale entre Etats, texte auquel il a largement été fait référence et sur
lequel je ne reviens donc pas.
Sur le fond, on comprend parfaitement les motivations.
Sur la forme, mon intime conviction - j'exprimerai ensuite la position du
Gouvernement - est qu'une taxe de ce type, si elle était instituée, ne
fonctionnerait pas très bien et ne permettrait donc pas au dossier de la
spéculation financière de progresser.
On a vu récemment que des spéculations ayant lieu en dehors de notre
territoire national pouvaient avoir des conséquences sur l'économie de notre
pays et priver nos salariés d'emploi. Or nous n'avons aucun recours en droit,
ni sur le territoire français ni sur le territoire européen, puisque c'est bien
au-delà que les choses se sont passées. Par conséquent, nous devons prendre en
compte la réalité des situations des acteurs économiques français et européens,
en particulier de nos salariés. La taxation proposée affecterait négativement
l'économie réelle - nous en sommes tous certains - et conduirait à réduire les
marges des exportateurs et des importateurs dont les produits sont libellés en
devises. Un certain nombre de producteurs de taille dite moyenne - je pense en
particulier aux industriels agro-alimentaires - ont d'ailleurs alerté notre
attention sur le fait qu'ils seraient aussi concernés par cette disposition.
La proposition d'une telle taxe est certes généreuse et politiquement fondée.
Mais cette taxation ne répondrait pas à vos voeux, madame Bidard-Reydet, et
pourrait devenir dangereuse. Par conséquent, pour l'instant, tant que rien n'a
été trouvé en substitution à la taxe Tobin - des débats nourris se sont
instaurés, vous le savez, au mois d'août et au début du mois de septembre sur
ce sujet -, une telle taxation ne paraît pas judicieuse. Aujourd'hui, nous
considérons qu'une efficacité accrue et beaucoup de cohérence sont nécessaires
pour réguler le système monétaire et financier international. C'est pourquoi
nous avons toujours proposé des orientations nous semblant fiables.
J'insisterai sur quelques grandes orientations : il nous paraît indispensable
de définir et de mettre en oeuvre un principe de libéralisation financière
ordonnée des mouvements de capitaux ; il faut accélérer et renforcer la lutte
contre la spéculation internationale en éliminant ce que l'on appelle les «
trous noirs » de la finance internationale et en luttant contre la délinquance
financière ; il importe de favoriser la coopération monétaire régionale, à
l'instar de ce qui a été fait en Europe, et d'engager une réelle coordination
entre les trois principales zones monétaires, ce qui me semble porteur de
beaucoup d'espoirs pour nos systèmes ; enfin, il faut renforcer le rôle du FMI
dans la régulation du système financier international et faire en sorte que son
comité monétaire et financier international devienne une véritable instance
politique d'orientation et de décision.
Sur ce dernier point, des visites récentes, telle celle du président du Mali
voilà quelques jours, nous ont montré que c'est sur ce dernier point que les
pays connaissant le plus de difficultés par rapport à la spéculation financière
internationale nous demandent d'oeuvrer en priorité.
Le Gouvernement compte agir sur la base des orientations que je viens de
définir, tant au sein de l'Union européenne - nous avons de grandes
négociations à mener et il nous faut être plus forts que nous ne le sommes
aujourd'hui - que dans les négociations internationales. Nous devons, en effet,
arriver dans les enceintes financières internationales avec des positions
européennes dures pour atteindre les objectifs que nous partageons avec vous :
maîtriser certes les comportements spéculatifs sur les marchés financiers, mais
en nous dotant de moyens plus efficaces que ceux que pourrait procurer la taxe
que vous proposez d'instaurer.
Sans vouloir heurter ses défenseurs, j'ai mis en garde contre le risque de se
faire plaisir en votant une taxe Tobin sans toutefois obtenir aucun résultat
par rapport à la spéculation financière. Les discussions que nous avons
récemment menées à l'occasion de la présidence française avec les représentants
des pays en voie de développement ont montré que nous sommes sur la même
longueur d'ondes face à ce sujet. Nos propositions sont certes plus complexes,
plus difficiles à expliquer, et donc moins lisibles. Mais je reste intimement
convaincue que, dans la négociation qui s'ouvre au sein des instances
internationales, tant pour nous-mêmes, sur le territoire européen, que pour les
pays en voie de développement, c'est cette voie du réalisme et de l'efficacité
que nous devons choisir.
Je comprends votre position, madame Bidard-Reydet, parce que je sais que
nombre de petites et moyennes entreprises de ce pays se disent victimes de
cette spéculation à laquelle elles n'ont pas les moyens de résister. Il s'agit
donc d'un vrai dossier, qu'il faut considérer avec réalisme et construire. Si
j'avais accepté l'instauration de la taxation que vous souhaitez, j'aurais eu
l'impression de classer le dossier sans résultat, ce que je ne peux pas
faire.
J'émets donc un avis défavorable sur l'amendement n° 430 rectifié. Mais je
vous remercie de la qualité de votre intervention, madame Bidard-Reydet.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 430 rectifié.
M. Paul Loridant.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant.
Voilà beaucoup d'honneur fait à cet amendement n° 430 rectifié, dont l'objet
n'est, je le rappelle, que d'ajouter dans le projet de loi un titre ainsi
intitulé : « Régulation des transactions financières » !
Vous savez, pour m'avoir entendu le dire, que je ne suis pas un adepte de la
régulation en tant que telle ; je suis plutôt pour une réglementation. La
portée est cependant symbolique.
La réponse apportée par M. le rapporteur n'est pas à la hauteur des enjeux
puisqu'il s'agit bien de reconnaître qu'il y a des transactions financières sur
les marchés financiers mondiaux, que ces transactions ont un caractère
erratique, qu'elles perturbent le fonctionnement des économies réelles et les
économies des pays du Sud comme ceux du Nord. Le simple fait de vouloir ajouter
un titre additionnel en rappelant cela soulève des réprobations, en tout cas un
refus tout net.
Nous savons certes les uns et les autres, y compris au sein du groupe
communiste républicain et citoyen, que la taxe Tobin n'est pas facile à mettre
en oeuvre. Mais notre amendement invite les hommes politiques à reconnaître que
l'économie ne peut pas se passer de règle : de temps en temps, il faut que le
politique fixe un cadre.
Pour l'instant, il s'agit seulement d'un titre, mais je vois que cela soulève
à nouveau les passions et l'hostilité des grands libéraux. Eh bien, dont acte
!
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Et le Gouvernement ? Il ne vous
a pas donné un avis favorable !
M. Gérard Delfau.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau.
La diatribe, jubilatoire d'ailleurs, du rapporteur général de la commission
des finances m'a rappelé - au fond, il en sera sans doute personnellement
flatté - les grandes envolées, ici même, dans cette assemblée, à la fin du
siècle dernier, quand il était question de la journée de huit heures,...
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Je n'étais pas encore né !
M. Guy Cabanel.
Si ce n'est toi, c'est donc ton frère !
(Sourires.)
M. Gérard Delfau.
... quand il était question,
horresco referens,
de créer l'impôt sur le
revenu, puis l'impôt sur le capital, les deux étant déjà liés, et de mettre en
place un arbitrage international pour lutter contre les conflits militaires.
Pourtant, des parlementaires, pas seulement à gauche d'ailleurs - il faut le
rappeler - se sont levés et ont soutenu, pas seulement pour les forces
syndicales représentant plus largement les masses populaires, ces idées,
lesquelles, progressivement, sont devenues réalité après maintes batailles, et
parfois, d'ailleurs, quelques événements sanglants.
Monsieur le rapporteur, votre réaction ne fait que confirmer ma propre
détermination : même si les temps ne sont pas mûrs, l'idée, elle, est en train
de se cristalliser à l'échelle internationale ; le moment viendra où il y aura
effectivement une régulation planétaire, parce qu'il y va de l'intérêt
économique de l'ensemble du monde et parce que, en outre, la justice le
commande.
Evidemment, il ne suffit pas d'avoir une pespective à moyen terme ; il faut
revenir au court terme. Je voudrais, de ce point de vue, avant de parler de la
position du Gouvernement, rappeler tout de même quelques événements récents.
Seattle, cela vous dit quelque chose ! Prague,...
M. Philippe Marini,
rapporteur.
C'est une belle ville !
(Sourires.)
M. Gérard Delfau.
... cela vous a directement concernés ! D'ailleurs, j'ai noté, dans la presse
conservatrice, que l'on mettait en avant, comme toujours, les anarchistes. Mais
qui est la cause de la radicalisation d'une partie des militants pour un ordre
économique international ?
M. Philippe Marini,
rapporteur.
C'est le mur d'argent !
M. Gérard Delfau.
Où sont les responsables, si ce n'est parmi les politiques des nations
développées qui ne prennent pas en charge les aspirations profondes des peuples
?
Aussi, même si, aujourd'hui, toutes les objections qui nous sont faites nous
montrent que les temps ne sont pas mûrs, même si, je le reconnais, le
Gouvernement est face à un réseau de contradictions...
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
C'est sympathique...
M. Gérard Delfau.
... et tente par ailleurs courageusement, lucidement, y compris par ce texte
que la majorité sénatoriale va repousser, de faire avancer un certain nombre de
mécanismes, de limiter un certain nombre d'errements, il faut que, dans cette
enceinte - et cela n'a rien de politicien, croyez-moi -, des sénateurs disent
les choses parce que, un jour, qui n'est peut-être pas si lointain que vous le
croyez, ces idées deviendront réalité.
M. Joël Bourdin.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Bourdin.
M. Joël Bourdin.
Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, j'ai
l'impression que la minorité du Sénat veut nous donner mauvaise conscience.
(M. Delfau s'exclame.)
En effet, il y a deux problèmes qui sont liés : celui de la taxe Tobin et de
l'imposition du mouvement des capitaux et celui de l'utilisation du produit de
cette taxe pour l'aide aux pays du tiers-monde.
J'ai le sentiment que l'on veut faire croire que nous sommes des suppôts d'un
système du xixe siècle admettant tout à fait la paupérisation d'un certain
nombre de pays. Or ce n'est pas le cas.
Nous sommes ici face à un amendement qui n'est pas réaliste, qui n'est pas
adapté, qui ne peut pas être appliqué. Que l'on vienne à l'aide des pays du
tiers-monde, oui, mais en leur permettant d'avoir un véritable système
monétaire et des monnaies convertibles par des accords, et non pas par le moyen
qui nous est proposé. Nous sommes donc prêts à prendre des initiatives, à
formuler des propositions - pas dans le cadre de ce texte, bien sûr -, mais
ôtez-vous de l'esprit que, si nous sommes contre la taxe Tobin, c'est parce que
nous voudrions que le mal se répande sur cette Terre. C'est tout le contraire !
Nous sommes contre la taxe Tobin parce qu'elle n'est pas applicable, comme l'a
très bien dit M. le rapporteur général.
M. Guy Cabanel.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Cabanel.
M. Guy Cabanel.
Rassurez-vous, mes chers collègues, je ne voterai pas aujourd'hui la taxe
Tobin, mais je voudrais quand même exprimer quelques sentiments nuancés
vis-à-vis de cet enterrement allègrement conduit par M. le rapporteur et par
vous-même, madame le secrétaire d'Etat, presque main dans la main, pour jeter à
la fosse commune cette proposition.
L'utopie de James Tobin - l'utopie double, comme vient de le dire notre
collègue Joël Bourdin - a, depuis une vingtaine d'années, soulevé bien des
espoirs, qu'il s'agisse de réguler des mouvements de capitaux qui, erratiques,
entraînaient parfois de grands désordres monétaires, comme ceux que l'on a
connus en Asie assez récemment, ou de féconder, en quelque sorte, le tiers
monde et d'obtenir un développement harmonieux par un prélèvement - limité -
sur ces mouvements de capitaux.
Cette utopie mérite notre respect. Peut-être par péché de jeunesse, nous avons
d'ailleurs été un certain nombre à la défendre. Toutefois, aujourd'hui, pour la
mettre en place, il faudrait un système monétaire international bien régulé et
bien unifié, de telle manière que la mesure soit parfaitement appliquée sans
aucune échappatoire possible, sans aucun risque de corrompre, en quelque sorte,
le système.
Quoi qu'il en soit, la mondialisation va nous conduire irrémédiablement à de
telles solutions et, ne nous y trompons pas, même l'OMC, tant critiquée à
Seattle comme ailleurs, sera peut-être un jour obligée d'envisager un tel
dispositif.
Et, si nous enterrons aujourd'hui - un peu allègrement pour certains,
peut-être avec un petit pincement au coeur pour d'autres - la taxe en question,
nous n'avons donc pas le droit d'oublier tout le mérite de l'utopie de James
Tobin.
(Très bien ! et applaudissements sur certaines travées socialistes
ainsi que sur certaines travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Monsieur le président, je veux
dénoncer ici une forme de débat qui pourrait confiner à l'hypocrisie.
Mes chers collègues, nous élaborons la norme législative. Or la proposition
faite par le groupe communiste républicain et citoyen...
M. Gérard Delfau.
Pas seulement ! Elle émane aussi de personnes siégeant sur d'autres travées
!
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
... a fait l'objet d'une
réponse du Gouvernement qui n'est pas favorable. Et voilà que le groupe en
question, avec nos collègues du groupe socialiste...
M. Marc Massion.
Pas tous ! Seulement certains !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
... appuient leurs propos sur
la réponse de M. le rapporteur.
Dans ces conditions, mes chers collègues, essayez d'abord de clarifier vos
relations avec le Gouvernement !
(Murmures sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées socialistes.)
La majorité sénatoriale n'est en effet pas chargée d'organiser la coordination
de vos relations avec le Gouvernement !
(Applaudissements sur les travées de
l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Heureusement que le Sénat empêche les dérives qui pourraient découler de
l'absence de cohérence de votre majorité ! Combien de concessions le
Gouvernement n'est-il pas obligé de faire !
(Exclamations sur les travées
socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et
citoyen.)
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Cela ne vous est jamais arrivé, à vous ?
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
La réponse de Mme le secrétaire
d'Etat a été tellement diplomatique que l'on finit par ne plus savoir si l'avis
du Gouvernement est favorable ou défavorable !
Par son attitude, la majorité sénatoriale permet donc d'éviter que l'on donne
force de loi à une disposition inapplicable. Si le Sénat n'était pas là, votre
majorité plurielle produirait des monstruosités juridiques qui affecteraient
gravement l'économie de notre pays !
(Protestations sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Jean Delaneau.
Ils se défoulent de ce qu'ils ne peuvent pas faire à l'Assemblée nationale
!
Mme Marylise Lebranchu,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Marylise Lebranchu,
secrétaire d'Etat.
Pardonnez-moi d'allonger les débats, mais j'ai eu
l'impression d'être citée plusieurs fois.
M. le président.
Ne le prenez pas mal, madame le secrétaire d'Etat : cela va arriver tout
l'après-midi !
(Sourires.)
Mme Marylise Lebranchu,
secrétaire d'Etat.
Très honnêtement, monsieur le président, cela me fait
plutôt plaisir ! Il importe cependant de ne pas se laisser piéger. Mais
personne ici, je le pense, ne se laisse piéger !
La mondialisation provoque aujourd'hui un mouvement extrêmement fort et
j'entends bien les réactions des divers intervenants. Pour ce qui me concerne,
j'ai présenté un certain nombre de propositions et d'ouvertures tout à l'heure,
qui seront sûrement entendues par la suite. Toutefois, à l'heure actuelle, nous
sommes confrontés à une contradiction profonde : d'une part, nous savons que le
système ne peut fonctionner que s'il est mondialement accepté - s'il n'est pas
d'abord européen puis accepté dans les négociations internationales, nous nous
serons fait plaisir, mais cela ne fonctionnera pas - et, d'autre part, nous
assistons au rejet des structures de régulation.
J'ai rencontré un certain nombre de groupes - dont celui qui a été cité tout à
l'heure - à Bologne, lors de l'offensive contre l'OCDE. Et je puis vous dire
que nous ne réussirons cette régulation internationale que si nous savons
redonner sa place au politique dans les organismes internationaux. Je pense,
bien sûr, à l'OMC, mais aussi au FMI et à une certain nombre d'organismes de
régulation de ce type, qui ont été mis en place avec des cahiers de charge
extrêmement précis mais qui, petit à petit, ont quitté le monde de la politique
pour passer au monde de la structure et vivre un peu en autarcie.
Nous sommes assez intimement convaincus qu'il faut remettre de la politique
dans les organismes internationaux, avoir une position européenne forte pour
pouvoir parler au niveau de l'OMC, en particulier. Tel est bien l'objectif du
Gouvernement, qui a d'ailleurs été récemment rejoint par plusieurs pays, et
nous avons à cet égard entendu quelques déclarations surprenantes - mais
bienvenues - de nos collègues du Canada.
Je pense que les choses évoluent, mais que la taxe Tobin, aujourd'hui, n'est
pas la réponse, et je suis désolée que vous estimiez que je me noie dans ma
réponse. Non ! Je suis intimement convaincue que la régulation internationale a
besoin de politique, mais que, si la France instituait toute seule la taxe
Tobin, elle ferait peut-être reculer cette négociation internationale dont nous
avons tant besoin et dont sont demandeurs les pays en voie de développement.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 430 rectifié, repoussé par la commission et
par le Gouvernement.
M. Marc Massion.
Le groupe socialiste s'abstient.
(L'amendement n'est pas adopté.)
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