SEANCE DU 11 OCTOBRE 2000
M. le président.
Par amendement n° 431 rectifié, Mme Bidard-Reydet, MM. Loridant, Saunier,
Autexier, Bécart, Mmes Beaudeau, Borvo, MM. Bret, Fischer, Foucaud, Le Cam,
Lefevbre, Mme Luc, MM. Muzeau, Ralite, Renar, Mme Terrade, MM. Vergès, Auban,
Autain, Bel, Mme Bergé-Lavigne, MM. Besson, Biarnès, Bony, Boyer, Mme Campion,
MM. Carrère, Cazeau, Chabroux, Courteau, Courrière, Mme Cerisier-ben Guiga, M.
Debarge, Mmes Derycke, Dieulangard, MM. Domeizel, Dreyfus-Schmidt, Mme Durrieu,
MM. Dussaut, Fatous, Godard, Guérini, Haut, Labeyrie, Lagauche, Lagorsse, Le
Pensec, Lejeune, Marc, Madrelle, Miquel, Pastor, Penne, Peyronnet, Picheral,
Piras, Plancade, Mmes Pourtaud, Printz, MM. Roujas, Sutour, Trémel, Vidal,
Désiré, Larifla, Lise, Collin et Delfau proposent d'insérer avant l'article
1er, un article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article 985 du code général des impôts, il est inséré un article 985
bis
ainsi rédigé :
«
Art. 985
bis. - Il est institué une taxe spéciale sur les opérations,
au comptant ou à terme, portant sur les devises, dont le taux est fixé à 0,05
%.
« Sont exonérées de cette taxe les opérations afférentes :
« - aux acquisitions ou livraisons intracommunautaires ;
« - aux exportations ou importations de biens et services ;
« - aux investissements directs au sens du décret n° 89-938 du 29 décembre
1989 modifié réglementant les relations financières avec l'étranger ;
« - aux opérations de change réalisées par les personnes physiques et dont le
montant est inférieur à 300 000 francs ;
« La taxe est due par les établissements de crédit, les institutions et les
services mentionnés à l'article 8 de la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984
relative à l'activité et au contrôle des établissements de crédit, les
entreprises d'investissement visées à l'article 7 de la loi du 2 juillet 1996
de modernisation des activités financières et par les personnes physiques ou
morales visées à l'article 25 de la loi n° 90-614 du 12 juillet 1990 relative à
la participation des organismes financiers à la lutte contre le blanchiment de
capitaux provenant du trafic de stupéfiants.
« La taxe spéciale est établie, liquidée et recouvrée sous les mêmes garanties
et sanctions que le prélèvement mentionné à l'article 125 A.
« Elle est due pour les opérations effectuées à compter de la promulgation de
la loi n° ... du ... relative aux nouvelles régulations économiques.
« Un décret fixe les modalités d'application du présent article. »
Madame Bidard-Reydet, peut-être pourrions-nous considérer que vous avez déjà
exposé cet amendement ?
(Mme Bidard-Reydet fait un signe de
dénégation.)
Je vous rappelle que nous devons examiner quelque 600 amendements. Pour
reprendre l'expression de M. Delfau, si chacun se livre à des diatribes
jubilatoires, nous en avons pour un moment !
La parole est donc à Mme Bidard-Reydet, pour exposer cet amendement n° 431
rectifié.
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Monsieur le président, vous aurez observé que notre groupe n'a pas participé à
ces diatribes jubilatoires !
Cela étant, s'agissant de l'amendement n° 430 rectifié dont nous venons de
débattre, un intervenant a considéré qu'il ne constituait pas un sujet
d'actualité !
C'est bien sûr un sujet d'actualité, et les différentes interventions le
prouvent, de même que le prouvent chaque jour les conséquences très graves de
la spéculation financière sur le marché du travail et sur l'emploi : ce
problème est au coeur de la difficulté de vivre de beaucoup de nos concitoyens
et de leur angoisse par rapport au lendemain !
Par ailleurs, si cette question touche la France, elle touche désormais aussi
l'Europe et, au-delà, l'ensemble de la planète.
Enfin, notre collègue M. Bourdin a invoqué l'absence de réalisme de
l'amendement n° 430 rectifié, estimant qu'il ne serait pas applicable. Or, ces
arguments, nous les avons déjà entendus lorsqu'il s'est agi de supprimer le
travail des enfants ! Donc, je crois qu'en la matière il faut se montrer un peu
plus modeste...
J'en viens maintenant à l'amendement n° 431 rectifié, dont l'objet est
d'instituer une taxe sur les mouvements de capitaux au taux - il me paraît
nécessaire de le rappeler - de 0,05 %.
Première observation : cet amendement vise assez nettement à définir le champ
d'application de cette taxe car il exclut concrètement la plupart des
opérations menées par les particuliers en leur nom propre. Il tend donc à
répondre à une première interrogation quant à la portée réelle de la mesure que
nous préconisons, en la recentrant très précisément sur les acteurs effectifs
des marchés financiers.
Seconde observation qui vaut d'ailleurs pour d'autres débats que nous
pourrions avoir dans les prochains mois : la naissance de l'euro n'a pas
ralenti, loin de là, la vivacité de la spéculation monétaire ; bien au
contraire, et les mouvements observés sur les devises ont sans doute gagné une
vigueur nouvelle, comme l'illustre assez clairement la poussée observée tant
sur le dollar que sur le yen, principales monnaies concurrentes de l'euro,
aujourd'hui, sur le marché international des changes.
Ce sont donc des sommes et des masses financières toujours plus importantes
qui sont échangées sur les marchés de devises tous les jours, et pour des
mouvements dont la densité et l'acuité vont sans cesse croissant.
Troisième observation : un rapport parlementaire récent, auquel il a été fait
allusion tout à l'heure et qui faisait suite à l'adoption en ce sens d'un
article de la loi de finances, paraît avoir conclu à la difficulté de la mise
en oeuvre d'une telle taxation des transactions monétaires.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
C'est un rapport du Gouvernement
!
Mme Danielle Bidard-Reydet.
L'une des conditions nécessaires pour cette mise en oeuvre - un large accord
international sur le sujet - ne semble en effet pas réunie aujourd'hui, et cela
permet à certains de justifier le report à une période ultérieure qui ne
serait, bien sûr, pas identifiée.
Devons-nous pour autant nous accommoder d'une telle situation ? Nous ne le
pensons pas, et je remercie Mme la secrétaire d'Etat d'avoir insisté sur ce
point.
Il nous semble que nous entrons là dans un débat assez fondamental : la
volonté politique, selon qu'elle est portée par un gouvernement ou par une
assemblée parlementaire, doit-elle reculer, baisser les bras, en quelque sorte,
devant une difficulté, ou permettre une réflexion collective pour l'affronter
directement et trouver les moyens de la résoudre ?
Il est temps de rendre au politique - vous l'avez dit, madame la secrétaire
d'Etat -, parce qu'il est porteur d'une aspiration largement partagée, toute sa
force et de rompre ainsi avec une soumission que l'on observe face à
l'inexorable loi du marché.
Tel est le sens de cet amendement.
Il est citoyen, parce qu'il appelle à la mise à contribution de ceux qui
peuvent aider à mobiliser des ressources pour le bénéfice le plus large de la
collectivité. En l'espèce, la citoyenneté va de pair avec la justice, et cela
est tout à fait indispensable.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini,
rapporteur.
J'en ai déjà fait état lors de l'examen du précédent
amendement car, au-delà du titre, j'avais abordé le contenu et, si nous étions
en désaccord sur l'intitulé, c'est parce qu'il ne nous aurait pas semblé utile
de voter une division et de ne rien mettre dedans.
Nous en venons donc maintenant à la substance même de la proposition qui nous
est faite.
Sans allonger inutilement notre débat, je voudrais m'efforcer de placer notre
collègue Mme Bidard-Reydet et son groupe devant quelques-unes de leurs
contradictions.
Vous nous dites en substance qu'il faut plus de régulation internationale, et
donc des organisations internationales plus fortes. Mais qui s'oppose avec
continuité et persévérance à l'euro, à la monnaie unique, à la zone euro, à
l'Union européenne en tant que construction institutionnelle politique, sinon
le parti dont vous êtes l'élue, et qui d'ailleurs n'est pas seul puisqu'il est
accompagné de quelques autres à ce sujet ?
Vous nous dites aujourd'hui qu'il faut plus d'Europe, qu'il faut une position
unanime des pays européens. Cela va-t-il se produire par génération spontanée,
ou cela ne devrait-il pas, dans votre esprit, se produire par une construction
politique ? Or vous êtes contre la construction politique ! C'est une première
contradiction que je voulais relever.
En second lieu, vous êtes contre l'euro, mais, lorsque l'euro n'existait pas,
chaque monnaie nationale pouvait être attaquée par l'ensemble des opérateurs du
monde entier ! Si nous avions, dans ce pays, les contraintes d'une monnaie dite
forte avec des taux d'intérêt élevés et ce qui en résulte pour une économie
trop peu dynamique, c'est bien parce que nous devions défendre notre monnaie
contre ce que l'on appelle d'un terme un peu facile - mais acceptons-le - la
spéculation monétaire internationale !
Depuis qu'il y a l'euro, on ne spécule plus contre le franc, contre le mark,
la peseta ou la lire italienne. Nous avons donc gagné en sécurité, nous avons
diminué l'ampleur des mouvements spéculatifs de capitaux.
Vous nous dites que l'euro fluctue. Mais, madame Bidard-Reydet, c'est là le
lot de toutes les monnaies, sauf à être dans un système de prix administrés où
l'on décrète la valeur d'une monnaie, comme ce fut autrefois le cas dans
certains pays que je n'oserai pas nommer, mais dont le souvenir est
certainement bien présent à votre esprit. Et même dans ces pays où l'on
décrétait un cours officiel, vous savez bien que tout arrivant étranger était
assailli par quantité de changeurs qui venaient lui proposer le change au cours
réel et non au cours officiel. Bref, l'euro a créé un espace de sécurité.
Vous nous dites aussi qu'aujourd'hui l'euro baisse. Mais vous oubliez de dire
que cela a eu une incidence très favorable sur le développement des activités
des entreprises. C'est encore une contradiction que je voulais relever.
Enfin, vous êtes aux côtés de tous les groupements dits de la société civile
ou ONG, par exemple, qui, dans le monde entier, font campagne non seulement
pour cette taxe Tobin mais en même temps contre les organisations
intergouvernementales mondiales.
Reprenant, à cet égard, l'argumentation très juste et très opportune de Mme le
secrétaire d'Etat, je dirai que, pour être cohérent avec soi-même, il faut -
même si l'on veut que ses procédures, ses méthodes, ses modes de décision
évoluent - soutenir le Fonds monétaire international, soutenir les institutions
de Bretton Woods, soutenir l'Organisation mondiale du commerce.
Or, ce sont bien vos amis, madame Bidard-Reydet, qui, à Prague, dernièrement,
manifestaient avec des drapeaux rouges, et même avec des faucilles et des
marteaux.
(Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
Mais c'est un fait !
(Protestations sur les mêmes travées.)
Cela s'est passé à Prague il y a
quelques semaines.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
C'étaient les seuls drapeaux
disponibles !
(Sourires.)
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Mais votre réaction prouve-t-elle que vous avez à rougir de
ce drapeau ? En êtes-vous honteuse, madame ?
(Mme Danielle Bidard-Reydet s'exclame.)
Alors, si vous y croyez encore, ce qui est votre droit, n'ayez pas cette
réaction !
Il y a donc une totale contradiction entre votre position aux côtés de
l'association ATTAC à la fois pour la taxe Tobin et contre les organisations
intergouvernementales mondiales, contre l'Organisation mondiale du commerce,
qui s'efforce d'apporter une régulation mondiale, contre le Fonds monétaire
international et les institutions de Bretton Woods.
Votre dispositif, qui n'est pas acceptable sur le plan technique, qui découle
d'une démarche intellectuelle totalement ambiguë, me semble participer de ce
climat d'hypocrisie convenue qui apparaît aujourd'hui comme l'une des données
de base du débat politique. Si nos concitoyens se désintéressent du débat
politique, peut-être est-ce parce qu'ils en ont assez de ces clichés qui n'ont
rien à voir avec la réalité,...
MM. Pierre Hérisson et Aymeri de Montesquiou.
C'est vrai !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
... ni d'aujourd'hui, ni d'ici, ni d'ailleurs, ni,
a
fortiori,
de demain ! En effet, même s'ils ne sont pas tous - on peut le
comprendre ! - très ferrés à glace ou compétents techniquement sur le sujet,
ils savent reconnaître la langue de bois et la recherche sincère de la
réalité.
De grâce, chers collègues, cessons de faire ce type de propositions qui ne
font en rien avancer les débats. Tel est, en tout cas, le point de vue de la
commission des finances, qui ne peut que réitérer son avis très défavorable à
cette initiative.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Marylise Lebranchu,
secrétaire d'Etat.
Pour ne pas allonger les débats, et parce qu'il s'agit
du même sujet que précédemment, je me contenterai de dire que le Gouvernement
est défavorable à cet amendement.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 431 rectifié.
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à Mme Bidard-Reydet.
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Monsieur le rapporteur, je veux vous dire très sereinement qu'à vous entendre
j'ai eu vraiment l'impression que vous n'aviez pas du tout écouté
l'argumentaire que j'ai développé, et qui avait un grand nombre de
signataires.
J'ai également eu l'impression - je crois n'avoir pas été la seule - qu'en
vous adressant à moi vous répondiez à vos propres interrogations, je dirai même
à vos propres angoisses.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Il n'en a guère ; ce n'est pas
dans sa nature !
(Sourires.)
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Enfin, j'ai remarqué que, dans votre réponse, il y avait de grands absents, à
savoir ces travailleurs qui, chaque jour, apprennent que leur entreprise, qui
fait pourtant des bénéfices extraordinaires, va supprimer des emplois, que
dorénavant ils seront au chômage. Voilà le coeur du problème, monsieur Marini !
Je ne sais pas si en parler, c'est employer la langue de bois, mais ce que je
peux dire, c'est que vous, vous l'ignorez totalement.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 431 rectifié, repoussé par la commission et
par le Gouvernement.
M. Marc Massion.
Le groupe socialiste s'abstient.
(L'amendement n'est pas adopté.)
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