SEANCE DU 11 OCTOBRE 2000
M. le président.
Par amendement n° 439, M. Loridant, Mme Beaudeau, M. Foucaud, Mme Terrade et
les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent, avant
l'article 7, d'insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Dans le premier alinéa de l'article 15 de la loi n° 84-46 du 24 janvier
1984 précitée, après les mots : "l'agrément délivré par le" sont insérés les
mots : "ministre chargé de l'économie sur avis du" et les mots : "le comité"
sont remplacés par les mots : "le ministre".
« II. - Il est procédé au même remplacement du quatrième au septième alinéa du
même article.
« III. - A l'article 15-1 de la même loi, les mots : "sa décision" sont
remplacés par les mots : "son avis".
« IV. - Aux I et II de l'article 19, à l'article 31 et à l'article 32 de la
même loi, les mots : "ministre chargé de l'économie sur avis du" sont insérés
avant les mots : "comité des établissements de crédit et des entreprises
d'investissement".
« V. - Au début du premier alinéa de l'article 38 de la même loi, les mots :
"La commission bancaire comprend le gouverneur de la Banque de France ou son
représentant, président," sont remplacés par les dispositions : "Le président
de la Commission bancaire est désigné par arrêté du ministre chargé de
l'économie. Elle comprend également... (Le reste sans changement.) »
« VI. - En conséquence, dans l'ensemble des lois et règlements en vigueur,
avant les mots : "président de la commission bancaire », les mots : "gouverneur
de la Banque de France" sont supprimés. »
La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant.
Cet amendement, qui porte sur la question essentielle de la place des
responsables politiques dans les règles de fonctionnement du secteur financier
et, singulièrement, du secteur bancaire, présente évidemment quelques
similitudes, dans son esprit, avec celui que l'Assemblée nationale a adopté
sous le nom d'article 6 A et qui consacrait la place particulière du ministre
de l'économie dans le fonctionnement des autorités de régulation.
Sa philosophie est clairement identitaire, puisqu'il s'agit de revenir sur la
question clé de la séparation entre les fonctions entre direction de la Banque
centrale et secteur de la surveillance bancaire.
La loi de 1993 sur l'indépendance de la Banque de France par rapport au
pouvoir politique a, en effet, alors même qu'on ne nous en faisait pas
obligation, fusionné les deux fonctions, faisant du gouverneur à la fois le
"banquier central", c'est-à-dire le responsable de la Banque centrale, et le
chef de file de la surveillance bancaire.
L'exposé des motifs de l'amendement n° 439 rappelle, à bon escient, me
semble-t-il, qu'il n'en est pas de même dans un grand pays voisin où la banque
centrale n'a pourtant pas été la dernière à revendiquer son indépendance.
Nous souhaitons donc que cette orientation soit retenue pour ce qui concerne
notre pays et que nous revenions, dans les faits, sur les termes de la loi de
1993, dont nous n'aurons jamais de cesse de souligner les errements et les
limites.
Très clairement, nous souhaitons que le gouverneur de la Banque centrale reste
le gouverneur de la Banque centrale et que l'autorité de surveillance soit
présidée par le ministre, puisque c'est lui qui doit avoir l'autorité, et non
pas, comme c'est le cas actuellement, par le gouverneur de la Banque
centrale.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Le débat sur la place du politique dans l'organisation des
phénomènes économiques et dans la régulation est un débat utile et il doit
avoir lieu. Toutefois, chers collègues, est-ce servir la fonction politique que
de prévoir que le ministre, autorité publique, se trouve ainsi, en première
ligne, en charge de trancher des questions individualisées qui mettent en
présence des groupes d'intérêts ? Est-ce la fonction du ministre ?
M. Gérard Cornu.
Non !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
S'il existe une Commission bancaire indépendante - et
celle-ci, nous dit-on, est appelée à une prochaine réforme, sans doute pour
être encore plus indépendante, du moins c'est le souhait que je me permettrai
d'émettre -, c'est bien pour que l'agrément des établissements de crédit et le
suivi de leur situation prudentielle soient le fait de personnes neutres,
s'exprimant en termes techniques et sans pouvoir être suspectées de quelque
biais politicien que ce soit.
Si l'on devait, par une vue de l'esprit, charger le ministre d'autorisations
qui sont extrêmement sensibles dans ces domaines, ne créerait-on pas les
conditions de pressions considérables ? Ne placerait-on pas le ministre dans
une situation impossible ? En effet, on l'instrumentaliserait, en quelque
sorte, puisqu'il devrait, sans avoir nécessairement tous les éléments
d'appréciation, donner raison aux uns et tort aux autres, et donc prendre des
décisions qui, me semble-t-il, ne sont vraiment plus celles que l'on est
susceptible de prendre aujourd'hui dans l'économie de marché telle qu'elle
est.
Le rejet de cet amendement par la commission des finances traduit une
conception différente de notre part de la responsabilité ministérielle. Ce
n'est pas une conception moins exigeante que la vôtre, j'oserais dire bien au
contraire, mais nous ne voulons pas du mélange des genres !
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Marylise Lebranchu,
secrétaire d'Etat.
Le Gouvernement apprécie beaucoup la qualité du débat
sur la place du politique, débat qui est demandé par les citoyens. Mais il est
défavorable à cet amendement.
Il nous semble important en effet de conserver une distinction très nette
entre l'activité de réglementation, qui est confiée au ministre, et les
activités d'agrément et de contrôle, qui sont attribuées à des autorités
administratives indépendantes. Transférer au ministre les compétences
d'agrément des établissements de crédit ou lui confier, ce qui revient au même,
le pouvoir de désigner le président de la commission bancaire romprait avec les
règles et les usages en vigueur sur notre territoire et chez nos partenaires,
pour des raisons qui sont effectivement des raisons d'exposition, si je puis me
permettre de résumer ainsi ce que vous venez de dire, monsieur le sénateur.
L'adoption de l'amendement proposé conduirait en outre à desserrer les liens
avec la banque centrale. Elle induirait de graves incertitudes quant au statut
et au devenir des personnels, par exemple, de la Banque de France, et ces
personnels sont sensibles à cet aspect des choses.
Par ailleurs, je rejoins ce qui a été dit : les prérogatives du Gouvernement
au sein des autorités de régulation sont préservées en vertu de plusieurs
dispositions de la loi bancaire. Ces prérogatives du Gouvernement existent, et
il ne faut pas les oublier.
Le ministre est en effet représenté au sein de deux institutions. Il a la
faculté de demander l'ajournement des décisions des CECEI si un élément le lui
permet ou si sa conviction va en ce sens. Je pense donc que les choses sont
bien faites ainsi, et il est vrai que l'influence forte que pourrait subir un
ministre serait de nature à casser quelque peu cette logique d'indépendance.
S'agissant des mètres carrés des grandes surfaces, sujet qui n'a rien à voir,
je vous rappelle que, récemment, les autorités indépendantes de contrôle qui
étaient sous l'autorité du ministre, ont été placées sous l'autorité d'une
personne totalement indépendante, pour des raisons justement d'influences et de
pressions, afin d'éviter ce type de situation trop difficile pour le ministre
lui-même, en revanche, celui-ci est chargé du respect de la loi, cela me paraît
suffisant.
L'amendement proposé étant dangereux, monsieur Loridant, je vous demande de
bien vouloir le retirer. Dans le cas contraire, le Gouvernement y serait
défavorable.
M. le président.
Monsieur Loridant, l'amendement est-il maintenu ?
M. Paul Loridant.
Oui, monsieur le président.
M. le président.
Je vais donc le mettre aux voix.
M. Paul Loridant.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant.
Ce débat est intéressant, mais il ne faudrait pas avoir la mémoire courte.
Rappelez-vous, c'était au cours de l'été 1999, la bataille bancaire opposant la
BNP et la Société générale à propos du contrôle de Paribas et de la Société
générale.
L'autorité dite « indépendante » qui devait donner son avis était bien ennuyée
pour le faire. Le président du CECEI a bien auditionné le président de la
Société générale, celui de la BNP et celui de Paribas, mais on n'a jamais su
vraiment quel était son avis ! Le ministre, lui, en avait un : il souhaitait la
constitution d'une grande banque française capable de s'imposer sur la place,
mais il n'a pas été entendu ! C'est cela la réalité, madame le secrétaire
d'Etat, et les faits démentent la démonstration que vous venez de faire ainsi
que celle de M. le rapporteur.
C'est précisément au vu de ces éléments et de l'intention originelle qui
sous-tend ce projet de loi de redonner des pouvoirs aux politiques par rapport
aux marchés qu'il faut mettre les instances politiques en situation d'imprimer
des inflexions. La future loi sur les nouvelles régulations économiques ne doit
pas tendre à mettre de l'huile dans les mécanismes de marché, elle doit, dans
notre esprit en tout cas, redonner le pouvoir aux politiques sur un certain
nombre de dossiers parce que les faits - l'affaire Michelin, l'affaire
BNP-Société générale, l'affaire Alstom à Belfort - ont montré que le pouvoir
politique n'avait plus l'autorité nécessaire pour donner des orientations.
Nous maintenons donc cet amendement en regrettant, madame le secrétaire
d'Etat, sur ce point précis, notre désaccord avec le Gouvernement.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 439, repoussé par la commission et par le
Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 7