SEANCE DU 12 OCTOBRE 2000
M. le président.
« Art. 55 A. - Il est inséré, après l'article 97-1 de la loi n° 66-537 du 24
juillet 1966 relative aux sociétés commerciales, un article 97-1-1 ainsi rédigé
:
«
Art. 97-1-1
. - Dans toute société relevant de l'application de la
présente loi, une action est attribuée, de droit, au comité d'entreprise qui
dispose de toutes les prérogatives et procédures ouvertes aux actionnaires
minoritaires. »
Sur l'article, la parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il est tout à
fait symbolique d'entrer dans le volet du projet de loi relatif à la
transparence et à la démocratie au sein de l'entreprise - que le rapporteur de
la commission des lois appelle, plus prosaïquement, « chapitre relatif à la
réforme du droit des sociétés » - par la porte des droits des salariés.
Tel est, en effet, l'objet de l'article 55 A, qui tend à accorder aux comités
d'entreprise les mêmes droits qu'aux actionnaires minoritaires, et que la
majorité de la commission des lois et de la commission des finances, après
avoir refusé la représentation obligatoire des salariés au sein des conseils
d'administration et des conseils de surveillance des entreprises, nous propose
de supprimer.
Cette entrée en matière est donc symbolique parce qu'elle positionne
durablement la ligne de fracture entre deux conceptions du gouvernement
d'entreprise.
Les uns, qui se réclament de la
corporate gouvernance
, ne peuvent
envisager la participation des salariés en tant que tels au fonctionnement de
l'entreprise autrement que par la voie du salarié-actionnaire. Monsieur le
rapporteur, je rends grâce à votre constance car, dès 1996, dans votre rapport
sur la modernisation du droit des société, vous avez longuement traité de la
démocratisation des assemblées générales d'actionnaires mais vous étiez resté
particulièrement silencieux à propos des salariés.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen préfèrent à cette
conception ce que je serais tentée d'appeler la
labor gouvernance
, qui
appréhende l'entreprise comme un bien collectif et tend à donner aux salariés
un droit de regard et de contrôle sur toutes les décisions les concernant, que
ce soit à l'occasion des OPE, les offres publiques d'échange, et des OPA, les
offres publiques d'achat, ou encore par une présence réelle dans les conseils
d'administration et les conseils de surveillance - ce que vous venez de refuser
- ou par le biais des comités d'entreprise comme dans le présent article. C'est
certainement une question de culture, monsieur Marini !
Cette conception, la droite sénatoriale y est résolument hostile. Au nom d'une
connaissance de « la réalité de l'entreprise » qu'elle prétend être seule à
connaître - j'ai en mémoire ce que M. Hyest a déclaré sur ce point, à savoir :
« vous ne connaissez rien à l'entreprise »...
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de
législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration
générale.
Je n'ai pas dit « vous », j'ai dit « certains » !
Mme Nicole Borvo.
... elle entend refuser aux salariés tout droit autre que celui d'être
actionnaire.
Monsieur le rapporteur, je ne vous dénie pas une parfaite connaissance du
fonctionnement des entreprises. Mais je me permets de vous indiquer que si nous
n'avons pas toujours un savoir comparable au vôtre en ce qui concerne la
direction des entreprises, nous connaissons en revanche parfaitement la réalité
de l'entreprise du point de vue des salariés. Alors réalité contre réalité, je
ne me permettrai pas de donner des leçons.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Ah !
Mme Nicole Borvo.
Cette parenthèse étant refermée, nous pensons que la rénovation de
l'entreprise passe par la reconnaissance nécessaire de droits nouveaux aux
salariés et à leurs représentants, non pas comme actionnaires - on ne peut pas
se satisfaire de la seule suppression du seuil minimal de détention d'actions
pour la représentation des actionnaires salariés au sein des conseils
d'administration - mais parce qu'ils participent à la prospérité de
l'institution, tout le monde le sait, et parce qu'ils prennent le risque de
perdre leur emploi : ils doivent être informés des évolutions de leur
entreprise, mais aussi pouvoir intervenir directement, non seulement et surtout
quand leur emploi est en jeu mais également quant à leurs conditions de
travail, dans les délibérations et décisions des conseils d'administration.
Cette nouvelle lecture de l'entreprise n'est pas, comme on veut nous la
présenter, une utopie du point de vue des économistes. Selon une enquête
réalisée pour le compte de la fédération européenne pour l'amélioration des
conditions de vie et de travail, les entreprises participatives sont plus
innovantes et plus productives que les autres.
En votant la suppression de cet article, vous refuserez de donner corps à la
dimension sociale, citoyenne, de l'entreprise, à laquelle la multiplication de
fondations et parrainages ne peut suffire à donner un sens tant qu'elle ne
trouve pas sa traduction dans l'entreprise. La citoyenneté ne s'arrête pas aux
portes de l'entreprise, et je ne suis pas seule à le dire. Il semblerait
pourtant que les verrous soient bien plus solides qu'on ne le croie.
M. le président.
Je suis saisi de quatre amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
Les trois premiers sont identiques.
L'amendement n° 235 est présenté par M. Marini, au nom de la commission des
finances.
L'amendement n° 39 est déposé par M. Hyest, au nom de la commission des
lois.
L'amendement n° 401 est présenté par MM. Eckenspieller, Darcos, Cornu,
Courtois, Cazalet, Francis Giraud et Murat.
Tous trois tendent à supprimer l'article 55 A.
Par amendement n° 524, le Gouvernement propose :
I. - De rédiger comme suit le premier alinéa de cet article :
« Il est inséré, après l'article L. 225-27 du code de commerce, un article L.
225-27-1 ainsi rédigé : ».
II. - Au second alinéa de cet article :
« 1° De remplacer la référence : "97-1-1" par la référence : "L. 225-27-1".
« 2° De remplacer les mots : "de la présente loi" par les mots : "du présent
livre". »
La parole est à M. Hyest, rapporteur pour avis, pour défendre l'amendement n°
39.
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur pour avis.
Je rappelle que cet amendement vise à supprimer un
article introduit par l'Assemblée nationale contre l'avis du Gouvernement. Il
prévoit l'attribution de droit au comité d'entreprise, dans toute société
commerciale, d'une action pour que le comité puisse bénéficier de toutes les
prérogatives et procédures ouvertes aux actionnaires minoritaires.
Madame Borvo, sans vouloir vous choquer, je rappellerai tout de même que le
comité d'entreprise a pour rôle d'assurer l'expression collective des salariés
et que, à ce titre, il dispose de prérogatives déjà très étendues, plus
étendues que celles des actionnaires minoritaires. Il assiste, en outre, sans
voix délibérative au conseil d'administration. Actuellement, rien n'empêche un
comité d'entreprise d'acquérir des actions.
Comment cette action serait-elle attribuée au comité d'entreprise ? Par qui ?
A titre onéreux ou gratuit ? Ce sont, vous en conviendrez, des questions
simples, mais qu'il faut bien poser de temps à autre, sauf à ne pouvoir
appliquer les textes.
M. Robert Bret.
C'est le principe des vases communicants en termes de montage financier !
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur pour avis.
Je rappelle aussi que cette disposition valant pour
toute forme de société commerciale, et donc dans des sociétés en nom collectif,
le comité d'entreprise pourrait alors être tenu solidairement responsable du
passif social.
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission des finances et la
commission des lois proposent de supprimer cet article, qui paraît tout de même
étrange dans le droit des sociétés.
M. le président.
Monsieur le rapporteur, souhaitez-vous apporter une précision ?
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Je n'ai rien à ajouter aux propos de M. Hyest.
M. le président.
La parole est à M. Cornu, pour défendre l'amendement n° 401.
M. Gérard Cornu.
Je dirai simplement que ce qui est prévu par cet article n'entre pas dans la
vocation du comité d'entreprise.
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux, pour défendre l'amendement n° 524 et
pour donner l'avis du Gouvernement sur les amendements identiques n°s 235, 39
et 401.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Monsieur Bret, le Gouvernement est, bien sûr, favorable
à l'amélioration des pouvoirs du comité d'entreprise, mais il n'est pas bon de
mêler ces pouvoirs avec ceux des actionnaires qui n'ont pas de rôle de
représentation des salariés. C'est, vous vous en souvenez peut-être, cette
position que le Gouvernement avait prise à l'Assemblée nationale. C'est la
raison pour laquelle, s'agissant des amendements n°s 235, 39 et 401, je m'en
remets à la sagesse du Sénat.
Quant à l'amendement n° 524, il s'agit d'un amendement de codification.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 524 ?
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Je n'ai pas d'avis particulier sur cet amendement. Dans la
mesure où nos commissions préconisent la suppression de l'article, si celle-ci
est acquise, cet amendement n'aura plus lieu d'être.
A ce stade du débat, il est bon, madame le garde des sceaux, que nous
puissions échanger quelques propos d'ordre général sur la codification, et je
crois que mon collègue de la commission des lois souhaite intervenir à ce
sujet.
Pour ma part, je me borne à dire que nous travaillons ici dans des conditions
un peu étonnantes du fait de la coïncidence des calendriers. Nous inventons une
sorte de loi virtuelle puisque la loi de 1966 sur les sociétés commerciales a
été abrogée par le code de commerce publié le 21 septembre dernier. Nous
substituons des références du code de commerce aux références de la loi du 24
juillet 1966. Ce faisant, nous nous référons à un texte qui est une source de
droit positif mais qui n'a pas encore fait l'objet, ayant été édicté par
ordonnance, d'une loi de ratification. Nous sommes donc dans une situation
assez inédite, intéressante, qui permettra sans doute aux facultés de droit
d'ouvrir un nouveau chapitre dans le droit parlementaire et dans le droit
public. Nous voulions le souligner car il s'agit d'une étrangeté supplémentaire
de ce texte, qui nous apprend décidément beaucoup.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 235, 39 et 401, pour lesquels
le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président.
En conséquence, l'article 55 A est supprimé et l'amendement n° 524 n'a plus
d'objet.
Article 55 (priorité)
M. le président.
L'article 55 a été supprimé par l'Assemblée nationale.
Article 55 bis (priorité)