SEANCE DU 12 OCTOBRE 2000
M. le président.
« Art. 19. - I. - Après le 7° de l'article 1er de la loi n° 90-614 du 12
juillet 1990 relative à la participation des organismes financiers à la lutte
contre le blanchiment des capitaux provenant du trafic des stupéfiants, sont
insérés un 9° et un 10° ainsi rédigés :
« 8°
Supprimé ;
« 9° Aux représentants légaux et aux directeurs responsables de casinos ;
« 10° Aux personnes se livrant habituellement au commerce ou organisant la
vente de pierres précieuses, de matériaux précieux, d'antiquités et d'oeuvres
d'art. »
« II. - Le III de l'article 11 de la même loi est ainsi rédigé :
« III. - Les personnes mentionnées aux 7°, 9° et 10° de l'article 1er sont
soumises aux dispositions prévues pour les organismes financiers aux articles
4, 6, 7, 8, 9 et 10. »
La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, la «
transparence de la vie économique et financière et la lutte contre la
corruption et la délinquance financière », pour se référer à la communication
conjointe des ministres des finances et de la justice du 27 janvier 1999,
s'impose aujourd'hui comme une exigence que nul ne songerait à contester.
C'est plutôt réconfortant : aujourd'hui, il est admis non seulement que les
pratiques de corruption, de fraude fiscale, de détournement de fonds ou celles
qui couvrent des comportements criminels ou délictueux sont contraires au
fonctionnement de l'économie, mais encore qu'elles doivent être réprimées comme
étant incompatibles avec une morale dont ne peut être exempt le champ
économique.
Depuis quelques années, la France affiche une réelle volonté de rattraper son
retard en cette matière, en adoptant une législation résolument offensive.
Retard, dis-je, car, si l'on se réfère aux études réalisées récemment, la
France n'a pas à s'enorgueillir particulièrement de sa situation.
Je rappelle que notre pays figure en « bonne » place dans le palmarès des pays
les plus corrompus, dans le bilan dressé par Transparency International : au
dixième rang en 1999, sa note s'étant détériorée depuis.
Je note également que le récent rapport remis au ministre de l'intérieur sur
le blanchiment de l'argent n'est pas à notre avantage ; il souligne la grande
perméabilité de notre système. Les auteurs dudit rapport n'hésitent pas à dire
que la France offre « toutes les caractéristiques d'un pays attrayant pour
l'argent préblanchi », si bien que le blanchiment n'est plus « un phénomène
polluant le système, il est devenu partie intégrante de celui-ci ». Pas de quoi
pavoiser, donc !
Il est grand temps de réagir en prenant des mesures radicales destinées sinon
à mettre fin, du moins à faire véritablement obstacle à des pratiques
nauséabondes.
Depuis 1999, la France a montré une ferme volonté d'agir, en luttant contre
toutes les pratiques de corruption et de délinquance financière, qu'il s'agisse
de lutte internationale, de lutte contre la fraude fiscale ou de lutte contre
le blanchiment de l'argent, comme aujourd'hui.
Je me réjouis particulièrement de voir que la majorité sénatoriale se rallie à
ce combat, même si elle semble éprouver parfois certaines réticences à le
faire.
Je n'oublie pas le récent débat sur la lutte internationale contre la
corruption, où certains sénateurs avaient eu beaucoup de mal à admettre la
nécessité d'aligner les sanctions pour corruption d'agent public étranger sur
celle qui sont prévues par notre code pénal pour corruption d'un agent public
français.
Certes, M. Marini a bien voulu insister sur le fait que nombre des mesures
proposées ici rejoignent les conclusions du récent rapport du groupe de travail
de la commission des finances sur la régulation financière et monétaire
internationale. Ce rapport insiste notamment sur la nécessité de mener une «
lutte implacable contre la criminalité financière, notamment contre le
blanchiment des capitaux ».
Néanmoins, on doit constater qu'au moment du « passage à l'acte » - vous me
pardonnerez l'expression - la majorité sénatoriale a du mal à en tirer les
conclusions du point de vue de la restriction à la liberté du commerce et de
l'industrie. Tous nos débats en témoignent.
Je pense, en particulier, à la définition particulièrement restrictive donnée
par l'amendement de la majorité de la commission des lois et son jumeau de la
commission des finances au délit de blanchiment, qui va bien au-delà du simple
rappel du caractère intentionnel de tout délit, comme on veut nous le
présenter.
Je fais également référence à certains amendements qui ont pour objectif avoué
de « ne pas pénaliser les banques françaises ».
Le groupe communiste républicain et citoyen, au contraire, et, par-delà, les
membres du groupe de travail parlementaire ATTAC ont choisi de pousser au bout
de sa logique la lutte contre le blanchiment d'argent sale, en anticipant,
comme en 1990, les évolutions européennes, intégrant les professions
d'intermédiaires dans le champ d'application de la déclaration de soupçon, en
sanctionnant pénalement les professionnels qui manquent à cette obligation et
en étant intraitables avec les « pays non coopératifs ».
Cependant, nous ne nous dissimulons pas que l'efficacité d'une telle lutte
viendra non pas d'un changement de législation en ce domaine, mais de la
volonté des Etats de mettre en place, pratiquement, les instruments adaptés à
une telle lutte.
On nous annonce la relance d'Europol et d'Eurojust. Nous attendons maintenant
les mesures concrètes qui donneront corps aux engagements pris à l'occasion du
sommet de Tampere.
M. le président.
Sur l'article 19, je suis saisi de cinq amendements qui peuvent faire l'objet
d'une discussion commune.
Par amendement n° 610, le Gouvernement propose de rédiger ainsi cet article
:
« I. - Après le 7° de l'article 1er de la loi n° 90-614 du 12 juillet 1990
relative à la participation des organismes financiers à la lutte contre le
blanchiment des capitaux provenant du trafic des stupéfiants, sont insérés un
8°, 9°, 10° et 11° ainsi rédigés :
« 8° Aux experts-comptables et aux commissaires aux comptes ;
« 9° Aux notaires, huissiers de justice, commissaires-priseurs,
administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires à la liquidation des
entreprises ainsi qu'aux avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation,
aux avocats et aux avoués près les cours d'appel, dans les conditions prévues à
l'article 3
bis
;
« 10° Aux représentants légaux et aux directeurs responsables de casinos ;
« 11° Aux personnes se livrant habituellement au commerce ou organisant la
vente de pierres précieuses, de matériaux précieux, d'antiquités et d'oeuvres
d'art. »
« II. - Après l'article 3 de la même loi, il est inséré un article additionnel
ainsi rédigé :
«
Art.
... - Les personnes mentionnées au 9° de l'article 1er sont
tenues de procéder à la déclaration prévue à l'article 3 lorsque, dans le cadre
de leur activité professionnelle, elles réalisent au nom et pour le compte de
leur client toute opération financière ou immobilière ou lorsqu'elles
participent en assistant leur client à la conception ou la réalisation des
transactions suivantes :
« - 1° l'achat et la vente de biens immeubles ou d'entreprises commerciales
;
« - 2° la gestion de fonds, titres ou autres actifs appartenant au client ;
« - 3° l'ouverture ou la gestion de comptes bancaires, d'épargne ou de titres
;
« - 4° l'organisation des apports nécessaires à la création, la gestion ou la
direction de sociétés ;
« - 5° la constitution, la gestion ou la direction de sociétés fiduciaires de
droit étranger ou de toute autre structure similaire.
« Les personnes mentionnées au 9° de l'article 1er ne sont pas tenues de
procéder à la déclaration prévue à l'article 3 lorsque les informations ont été
reçues d'un de leurs clients ou obtenues sur l'un d'eux, soit dans le cadre
d'une consultation portant sur la vérification de sa situation juridique, soit
dans l'exercice de leur activité dans l'intérêt de ce client lorsque cette
activité se rattache à une procédure juridictionnelle, que ces informations
soient reçues ou obtenues avant, pendant ou après cette prodédure, y compris
dans le cadre de conseils relatifs à la manière d'engager ou d'éviter une telle
procédure.
« Par dérogation à l'article 3, l'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de
cassation, l'avocat et l'avoué près la cour d'appel procèdent à la déclaration,
selon le cas, auprès du président de l'ordre, du bâtonnier de l'ordre auprès
duquel l'avocat est inscrit ou du président de la compagnie dont relève
l'avoué, qui la transmet au service institué à l'article 5. »
« III. - Le III de l'article 11 de la même loi est ainsi rédigé :
« III. Les personnes mentionnées aux 7°, 8°, 9°, 10° et 11° de l'article 1er
ne sont soumises qu'aux dispositions prévues pour les organismes financiers aux
articles 4, 6
bis
, 7, 8, 9 et 10. »
Les deux amendements suivants sont présentés par Mmes Borvo, Bidard-Reydet,
MM. Loridant, Saunier, Autexier, Bécart, Mme Beaudeau, MM. Bret, Fischer,
Foucaud, Le Cam, Lefebvre, Mme Luc, MM. Muzeau, Ralite, Renard, Mme Terrade,
MM. Vergès, Auban, Autain, Bel, Mme Bergé-Lavigne, MM. Besson, Biarnès, Bony,
Boyer, Mme Campion, MM. Carrère, Cazeau, Chabroux, Courteau, Courrière, Mme
Cerisier-ben Guiga, M. Debarge, Mmes Derycke, Dieulangard, MM. Domeizel, Mme
Durrieu, MM. Dussaut, Fatous, Godard, Guérini, Haut, Labeyrie, Lagauche,
Lagorsse, Le Pensec, Lejeune, Marc, Madrelle, Miquel, Pastor, Penne, Peyronnet,
Picheral, Piras, Plancade, Mmes Pourtaud, Printz, MM. Roujas, Sutour, Tremel,
Vidal, Weber, Désiré, Larifla, Lise, Collin et Delfau.
L'amendement n° 451 rectifié
bis
vise :
I. - A rédiger comme suit le deuxième alinéa du I de l'article 9 :
« 8° - Aux experts-comptables. »
II. - En conséquence, dans le premier alinéa du même paragraphe, après les
mots ; « sont insérés », à insérer les mots : « un 8°, ».
L'amendement n° 452 rectifié
bis
tend, après le deuxième alinéa du I de
l'article 19, à insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Aux membres des professions juridiques indépendantes lorsqu'ils participent,
en assistant leur client, à la conception ou à la réalisation de transactions.
»
Les deux derniers amendements sont identiques.
L'amendement n° 193 est présenté par M. Marini, au nom de la commission des
finances.
L'amendement n° 27 est déposé par M. Hyest, au nom de la commission des
lois.
Tout deux tendent à remplacer le II de l'article 19 par deux paragraphes (II
et III) ainsi rédigés :
« II. -
a)
Dans les articles 4 et 6 de la même loi, après les mots :
"l'organisme financier", sont insérés les mots : "ou la personne visés à
l'article 1er".
«
b)
Dans l'article 6
bis
de la même loi, les mots :
"l'organisme peut" sont remplacés par les mots : "l'organisme financier ou la
personne visés à l'article 1er peuvent".
«
c)
Dans l'article 7 de la même loi, après les mots : "un organisme
financier a", sont insérés les mots : "ou une personne visés à l'article 1er
ont".
«
d)
Dans le premier alinéa de l'article 8 de la même loi, après les
mots : "de l'organisme financier", sont insérés les mots : "ou contre les
autres personnes visées à l'article 1er".
«
e)
Dans le deuxième alinéa de l'article 8, après les mots : "ses
dirigeants ou ses préposés", sont insérés les mots : "ou contre une autre
personne visée à l'article 1er".
«
f)
L'article 9 de la même loi est complété par une phrase ainsi
rédigée : "Les autres personnes visées à l'article 1er sont également dégagées
de toute responsabilité."
«
g)
Dans l'article 10 de la même loi, après les mots : "des organismes
financiers", sont insérés les mots : "ou les autres personnes visées à
l'article 1er".
« III. - Le III de l'article 11 de la même loi est supprimé. »
La parole est à Mme le garde des sceaux, pour présenter l'amendement n°
610.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Cet amendement a pour objet d'intégrer dans notre ordre
juridique interne, par anticipation, l'une des dispositions clés du projet de
directive européenne sur la lutte contre le blanchiment, projet de directive
qui met à jour une directive du 10 juin 1991 visant à mieux prévenir le
blanchiment des capitaux.
Nous avons préféré ne pas attendre qu'elle soit définitivement adoptée pour
intégrer d'ores et déjà dans notre ordre juridique interne des dispositions de
cette directive européenne, qui a néanmoins fait l'objet d'un accord politique
au dernier conseil des ministres de l'économie et des finances, le 28 septembre
dernier.
Ce projet de directive a pour objet d'élargir l'éventail des activités et
professions qui, au-delà des établissements de crédit et des institutions
financières, seront associées aux mécanismes de prévention du blanchiment qui
ont été mises en place dans le cadre de la loi du 12 juillet 1990.
Nous voulons évidemment par cet amendement illustrer la ferme volonté du
Gouvernement de renforcer nos capacités de détection et de prévention de toute
une variété d'opérations juridiques ou financières qui tendent à masquer le
blanchiment des produits de la criminalité organisée.
Ce projet de loi constitue le support le plus approprié à l'introduction de
ces dispositions importantes. Naturellement, je compte beaucoup sur la
procédure parlementaire pour que cet amendement puisse faire l'objet de toutes
les améliorations qui peuvent encore, sans aucun doute, y être apportées.
Vous constaterez toutefois que, d'ores et déjà, des précautions toutes
particulières mais absolument nécessaires ont été prises en ce qui concerne les
professions juridiques et judiciaires indépendantes.
Le projet de directive qui étend aux professions juridiques l'obligation de
déclaration de soupçon, qui s'applique déjà aux institutions financières, a
évidemment une très grande portée. Notre amendement vise à transposer
intégralement cette obligation.
En même temps, s'agissant des avocats, nous nous devions de préserver le
secret professionnel auquel ils sont tenus lorsqu'ils exercent des activités de
défense. La rédaction que nous proposons permet ainsi de demander aux
professions juridiques, quelles qu'elles soient, de participer à la lutte
contre le blanchiment de capitaux, en les soumettant à l'obligation de
déclaration de soupçon lorsque c'est nécessaire et en même temps de protéger le
secret professionnel des avocats.
Bien évidemment, les formulations retenues l'ont été après avoir fait l'objet
de discussions approfondies à l'échelon européen entre les ministres de la
justice et les ministres de l'économie et des finances.
Ce nouveau dispositif permettra de lutter plus systématiquement et plus
efficacement contre le blanchiment de capitaux.
D'ailleurs, M. Bret a souligné à quel point il était important, au fond, de
passer à la vitesse supérieure, compte tenu de l'ampleur prise par ces
mécanismes et de leur caractère de plus en plus répandu et, parallèlement, de
la nécessité de protéger l'activité de défense des avocats qui est inhérente
aux droits les plus fondamentaux de l'individu des droits reconnus à la fois
par notre ordre constitutionnel et par la Convention européenne de sauvegarde
des droits de l'homme.
Telle est l'économie générale de ce texte sur laquelle je voulais un peu
insister. Certes, il n'est pas banal de transposer par anticipation un projet
de directive de l'Union européenne. Mais celui-ci ayant fait l'objet d'un
accord politique, nous n'avons pas de crainte à cet égard, il sera adopté
formellement sous la présidence française lors d'un très prochain conseil
Economie et finances, peut-être la semaine prochaine. Néanmoins, nous
anticipons, marquant ainsi notre volonté d'être à la pointe de la lutte contre
le blanchiment de capitaux.
M. le président.
La parole est à Mme Borvo, pour présenter les amendements n°s 451 rectifié
bis
et 452 rectifié
bis.
Mme Nicole Borvo.
Avec ces deux amendements, qui visent à modifier l'article 19, les sénateurs
membres du groupe ATTAC souhaitent donner une traduction législative immédiate
à l'accord qui s'est dégagé à la fin de septembre dernier, comme vient de le
dire Mme la ministre, lors du sommet Ecofin, pour une redéfinition des
professions soumises à l'obligation de déclaration de soupçon, dans le cadre de
la réforme de la directive de 1991 relative à la lutte contre le
blanchiment.
Cet accord prévoit d'intégrer les professions juridiques indépendantes, dans
leur rôle de conseil, lorsqu'elles sont de fait conceptrices ou mandataires de
certaines opérations, ainsi que les experts-comptables, qui figuraient déjà
dans le projet de loi initial.
Même si la rédaction du texte doit être améliorée, il serait dommage de ne pas
d'ores et déjà tirer les conséquences de cet accord européen dans un texte qui
vise explicitement la lutte contre le blanchiment. Sinon, on prendrait le
risque, dans le meilleur des cas, soit de légiférer à nouveau sur cette
question à très brève échéance, soit de repousser cette intégration à une date
lointaine, alors que les notaires, par exemple, sont déjà assujettis à une
telle obligation de déclaration. Je note avec satisfaction que le Gouvernement
a eu le même raisonnement.
Cette anticipation ne serait d'ailleurs pas une première, puisque la loi de
1990 devançait déjà la directive européenne adoptée l'année suivante ; dans la
mesure où le règlement européen de cette question semble être assuré, madame la
ministre, il semble inutile de repousser plus loin l'assujettissement des
professions du chiffre et du droit à l'obligation de déclaration de soupçon de
blanchiment.
Certes, cette démarche suscite quelques réticences : nous avons entendu les
inquiétudes exprimées par les avocats sur cette question, qui craignent qu'en
légiférant à la va-vite, on n'appréhende mal la spécificité de leur profession,
au regard, notamment, du secret professionnel.
Il est vrai que certaines questions sont posées par la rédaction retenue. Je
vous en livre brièvement quelques-unes.
Nous préférons, par exemple, la mention de « professions juridiques
indépendantes » à l'énumération forcément limitative qui a été retenue par le
Gouvernement.
L'alinéa relatif aux dérogations à l'obligation de déclaration ne me paraît
pas totalement clair, notamment la notion d'activité qui « se rattache à une
procédure juridictionnelle », ainsi que le problème de l'antériorité de
l'information par rapport à la mise en place de cette « activité ».
Le rôle des ordres n'est pas, me semble-t-il, suffisamment identifié,
notamment dans son rapport avec Tracfin : en particulier, doit-on considérer
que le bâtonnier est tenu de transmettre les informations recueillies à
Tracfin, ou qu'au contraire il dispose d'un pouvoir d'appréciation ?
C'est pourquoi nous avons choisi, pour ce qui nous concerne, sans pour autant
renoncer à cette intégration immédiate des avocats dans le champ de la
directive, bien évidemment, de nous limiter à poser le principe de
l'assujettissement des professions juridiques indépendantes, quelles qu'elles
soient, sans entrer dans le corps même du mécanisme. De cette façon, nous
laissons ouvert le champ de la concertation afin que, d'ici à la commission
mixte paritaire, une rédaction équilibrée puisse être élaborée avec les
professions concernées.
C'est dans cette optique que nous présentons ces deux amendements.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 193.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Il s'agit d'un amendement rédactionnel.
M. le président.
La parole est à M. Hyest, rapporteur pour avis, pour présenter l'amendement n°
27.
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur pour avis.
Puisque, effectivement, la loi de 1990 n'est pas
tout à fait cohérente avec celle de 1998, il vaut mieux viser, dans plusieurs
articles de la loi de 1990, non seulement les organismes financiers, mais
toutes les personnes qui sont mentionnées à l'article 1er de cette loi.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 610, 451 rectifié
bis
et 452 rectifié
bis ?
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Nous abordons là un sujet tout à fait essentiel et
délicat.
Nous savons, les uns et les autres, que le processus de refonte de la
directive européenne de 1991 est en cours. Mme le garde des sceaux a rappelé,
tout à fait opportunément, qu'un accord politique est intervenu, mais il n'en
reste pas moins que le texte lui-même de droit communautaire n'est pas encore
disponible, que le projet de directive, actuellement établi, va devoir, puisque
c'est une matière de codécision, être délibéré par le Parlement européen, puis
approuvé par le conseil des ministres de l'Union.
D'après ce que vous nous dites, madame le garde des sceaux, il est tout à fait
vraisemblable que le texte de la directive se rapprochera sensiblement de celui
qui a fait l'objet d'un accord politique mais, pour autant, nous ne sommes pas
en présence d'une directive susceptible d'être transposée en tant que telle.
Compte tenu de cette analyse essentiellement procédurale, la commission des
finances ne se sent donc pas prête aujourd'hui à accepter le texte que vous
proposez.
Il ne s'agit naturellement pas d'une opposition au fond ni même à l'essentiel
du dispositif. J'avance simplement des arguments issus du processus de décision
communautaire.
Permettez-moi d'ajouter qu'il faut - c'est une urgente nécessité - aboutir à
des dispositions identiques dans tous les pays de l'Union européenne. Dans
certains cas, la France est très en retard pour transposer des directives qui
ont vraiment force de droit positif.
La preuve en est que nous allons bientôt examiner un projet de loi portant sur
diverses transpositions de directives dont certaines sont en souffrance depuis
belle lurette.
La preuve en est encore que, dans ce présent projet de loi, soit sur
l'initiative du Gouvernement, soit sur celle de nos commissions, plusieurs
directives européennes opposables à la France depuis longtemps font l'objet de
transposition.
Mais, en l'occurrence, à l'inverse, il n'y a pas encore de directive. Il
faudrait donc transposer par anticipation. Si tout le monde agissait ainsi,
sachant que le texte définitif n'est par définition pas disponible, il est très
vraisemblable qu'il faudrait revenir sur cette législation d'ici à quelques
mois lorsque le texte réel et définitif de la directive sera disponible, sinon
les droits nationaux ne seraient pas en harmonie avec le droit communautaire,
alors que c'est le but poursuivi.
A ce stade, madame le garde des sceaux, la commission n'est donc pas en mesure
de préconiser l'adoption de l'amendement n° 610.
S'agissant de l'amendement n° 451 rectifié
bis,
la position de la
commission est identique, puisque l'extension aux experts-comptables de
l'obligation de déclaration de soupçon, préconisée par Mme Borvo et ses
collègues, est exactement de même nature que celle qui est proposée par le
Gouvernement dans son amendement.
La commission est également défavorable à l'amendement n° 452 rectifié
bis
.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 451 rectifié
bis
et 452 rectifié
bis
et sur les amendements identiques n°s 193
et 27 ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Monsieur le rapporteur, il n'y a aucune raison
d'attendre. Des directives européennes ont déjà été transposées par
anticipation. Nous savons très bien que nous sommes au terme d'un processus. La
rédaction de ce texte est déjà extrêmement précise. L'accord politique a porté
sur le détail, je peux vous le dire puisque même les ministres chargés de la
justice, qui n'étaient pas formellement saisis, se sont intéressés de très près
au sujet.
Il sera toujours possible ultérieurement, le cas échéant, de procéder à
quelques modifications. Mais il serait très étonnant, compte tenu du travail
qui a déjà été accompli et au sein du conseil et avec le Parlement européen qui
a eu à se saisir plusieurs fois de cette question, que des modifications
substantielles nous amènent à rouvrir le processus législatif.
Par ailleurs, rien ne dit que le processus de codécision prenne le temps que
vous supposez. En effet, au Parlement européen, il s'agit d'un sujet qui fait
l'objet d'une priorité politique.
En réalité, nous avons donc beaucoup plus d'avantages que d'inconvénients à
transposer dès maintenant ce projet de directive dans ce texte portant
nouvelles régulations économiques, qui comporte, à ma demande, un chapitre sur
le blanchiment, à vraiment montrer que nous sommes, nous, présidence française,
à la pointe de cette action.
Le signal politique est très important et, sur le plan juridique, les
ajustements, encore une fois éventuels, pourront être réalisés soit au cours de
la navette, soit, le cas échéant, postérieurement à celle-ci. Mais, je le
répète, je ne vois pas ce qui pourrait justifier qu'on dénature le sens de ce
que nous faisons.
J'ai donc déposé, au nom du Gouvernement, un amendement qui reprend avec
précision le texte du projet de directive. Il y a très peu de chances que notre
texte soit substantiellement modifié, sous réserve, évidemment, de
l'appréciation du Parlement européen dont je respecte, bien entendu, les
prérogatives.
Cet amendement que je propose est en effet plus complet que les amendements
qui ont été déposés par le groupe communiste républicain et citoyen et que Mme
Borvo a défendus parce que, depuis, nous connaissons le texte du projet de
directive ; mais nous allons, bien entendu, dans le même sens.
Madame Borvo, je tiens donc à vous dire que nous avons parfaitement conscience
que nous devons encore améliorer cette rédaction au cours de la navette.
Il en est ainsi du mécanisme, national celui-là, de la transmission, qui
mérite certainement une concertation supplémentaire et peut-être une
appréciation plus exacte des détails.
Rien ne nous empêchera de procéder à ces améliorations dans le courant de la
navette et de peaufiner ainsi ce texte grâce aux suggestions que les
rapporteurs et les parlementaires voudront bien faire.
M'adressant tout particulièrement aux représentants des élus du groupe
communiste républicain et citoyen, j'ajoute que nous avons intérêt à adopter la
rédaction la plus précise possible à ce stade de la discussion. Il s'agirait
ainsi d'un signal politique important, surtout sous présidence française, de
notre volonté de lutter contre le blanchiment. J'apprécierai donc que le groupe
communiste républicain et citoyen veuille bien se rallier à l'amendement déposé
par le Gouvernement.
Je demande par ailleurs à M. le rapporteur de la commission des finances de
peut-être méditer encore un peu, d'autant que nous sommes d'accord sur le fond,
tout le monde ici souhaitant être plus efficace dans la lutte contre le
blanchiment.
Nous devons donner ce signal, sachant, je le répète, que les réglages
techniques pourront être appréciés dans le courant de la navette, car j'ai
parfaitement conscience du fait que ce texte aura peut-être besoin d'être
amélioré.
Pour ce qui est des amendements identiques n°s 193 et 27, le Gouvernement y
est favorable.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 610.
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur pour avis.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Hyest, rapporteur pour avis.
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur pour avis.
Nous comprenons parfaitement la situation et nous
adhérons bien entendu à cet objectif de durcissement dans la lutte contre le
blanchiment de l'argent provenant de divers trafics, évidemment au-delà du
cadre national qui, seul, n'aurait guère de sens. Il est très clair en effet
que l'action doit être conduite sur le plan international.
Nous nous réjouissons donc que l'Europe s'en préoccupe. Vous me permettrez
toutefois de ne pas être tout à fait d'accord avec la procédure.
S'agissant de surcroît d'une législation extrêmement élaborée et qui met en
cause des caractéristiques essentielles à certaines professions, comme le
secret professionnel, il nous semble important de peser chaque terme.
Vous nous rétorquez, madame le garde des sceaux, que des aménagements pourront
ensuite intervenir. Certes ! mais je pense qu'il vaudrait mieux les apporter
d'entrée et nous soumettre un texte qui ne pose pas de problème. En fait, à en
croire les professionnels, il semble que des questions se posent. C'est
notamment le cas pour les experts-comptables.
Je note à ce sujet qu'alors qu'ils étaient initialement visés par le projet de
loi, ils en ont été exclus à l'issue de la discussion à l'Assemblée nationale,
avec l'accord du Gouvernement. C'est ainsi !
Désormais, ils seraient de nouveau concernés, sans que leurs activités de
conseil soient traitées à part, si bien qu'ils se trouvent dans une situation
des plus délicates. Ce sujet, par exemple, mériterait un nouvel examen.
Par ailleurs, vous dites : tout est bouclé et un accord politique est
intervenu. Or, vous le savez fort bien, accord politique ne signifie pas accord
sur un texte.
Par ailleurs, si le fait que le Parlement européen soit associé à ces débats
constitue un progrès, puisqu'il y a la codécision, il faudrait au moins
respecter le vote du Parlement européen avant de nous soumettre un texte dont
nous ne savons pas ce qu'il deviendra.
De surcroît, madame le ministre, vous savez bien que l'exercice de ces
professions n'est pas homogène en Europe. Ainsi, les avocats français sont-ils
dans l'obligation de verser les sommes qu'ils reçoivent à la caisse autonome
des règlements pécuniaires des avocats. Cela aboutit pratiquement à une
déclaration de soupçon. La caisse est en effet « adossée » à une banque.
Dès lors que des avocats français manient des fonds, ils ne peuvent pas
échapper à ce dispositif et le problème est réglé. Mais un tel système n'existe
pas dans tous les pays européens. Tâchons donc d'harmoniser, d'homogénéiser les
procédures en Europe.
Enfin, madame le garde des sceaux, puisque vous parlez de la navette, je tiens
à préciser qu'au lieu d'une navette, il n'y aura qu'une commission mixte
paritaire, puisque le Gouvernement a déclaré l'urgence.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Pourquoi n'y a-t-il pas une vraie navette !
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur pour avis.
Il s'agit donc d'une navette plutôt restreinte. Je
n'y suis pour rien, mais c'est ainsi !
De plus, en commission mixte paritaire, bien des sujets sont abordés, et je ne
sais si nous parviendrons jusqu'à celui-ci.
Enfin, les commissions mixtes paritaires échouent parfois.
Madame le garde des sceaux, sur un sujet aussi délicat, il y aurait lieu de
réfléchir un peu mieux.
Je suis désolé de présenter ces remarques parce que je comprends parfaitement
les objectifs du Gouvernement. Il n'en demeure pas moins que l'on ne peut pas
légiférer dans ces conditions sur des sujets aussi graves pour certaines
professions.
Mes remarques sont d'autant plus importantes que, une fois que le texte sera
adopté, ceux qui ne respecteraient pas les déclarations de soupçon seraient
fortement condamnables et punissables.
Sur un tel sujet, il nous faut faire bien attention, il nous faut peser chaque
terme. Or, ni les uns ni les autres nous n'avons eu le temps de procéder aux
vérifications nécessaires, la commission des finances parce qu'elle avait
terminé ses travaux, et la commission des lois puisqu'elle n'a pas été saisie
directement de cet amendement, ce qui est pour le moins paradoxal.
M. Michel Souplet.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Souplet.
M. Michel Souplet.
Je veux ajouter à ce que vient de dire mon collègue et ami Jean-Jacques Hyest
que je trouve un peu cavalier que le Gouvernement dépose un amendement à la
dernière minute et dise en séance plénière, en s'adressant à M. le rapporteur,
qu'il y a un accord entre le Gouvernement et la Commission, qu'il y a un accord
entre le Gouvernement et le Parlement européen, et que le Parlement français
n'a plus qu'à entériner ! C'est par trop cavalier et, pour ma part, je
n'accepterai pas qu'on nous traite de cette façon, monsieur le président.
(Très bien ! sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. Denis Badré.
Ce n'est pas bon pour l'Europe !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 610, repoussé par la commission.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Madame Borvo, les amendements n°s 451 rectifié
bis
et 452 rectifié
bis
sont-ils maintenus ?
Mme Nicole Borvo.
Je les retire, monsieur le président.
M. le président.
Les amendements n°s 451 rectifié
bis
et 452 rectifié
bis
sont
retirés.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 193 et 27, acceptés par le
Gouvernement.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 19, ainsi modifié.
(L'article 19 est adopté.)
Article 20 (priorité)