SEANCE DU 24 OCTOBRE 2000
PROTOCOLE ADDITIONNEL
AUX CONVENTIONS DE GENÈVE RELATIF
À LA PROTECTION DES VICTIMES
DES CONFLITS ARMÉS INTERNATIONAUX
Adoption d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 294, 1999-2000)
autorisant l'adhésion au protocole additionnel aux conventions de Genève du 12
août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés
internationaux (protocole I) (ensemble deux annexes) [Rapport n° 8
(2000-2001).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Charles Josselin,
ministre délégué à la coopération et à la francophonie.
Monsieur le
président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le
protocole soumis aujourd'hui à votre approbation représente un complément utile
aux conventions de Genève du 12 août 1949, qui constituent l'une des bases
principales du droit des conflits armés.
Ce texte relatif à la protection des victimes, particulièrement complexe et
détaillé, est le fruit d'une négociation longue et difficile qui s'est déroulée
à Genève entre 1974 et 1977 au sein d'une conférence diplomatique spéciale.
Plus de cent vingt Etats ont pris part à ces travaux, qui visaient à
compléter, par l'élaboration de deux protocoles additionnels, les quatre
grandes conventions de Genève de 1949.
C'est le Comité international de la Croix-Rouge, le CICR, soucieux du
développement du droit international humanitaire, qui est à l'origine de cette
conférence diplomatique.
La négociation de ce texte a été l'occasion d'un important débat sur la
reconnaissance des guerres de libération nationale et l'amélioration du droit
des conflits armés.
Par ailleurs, le débat sur la distinction entre droit international
humanitaire et droit du désarmement a opposé deux grandes tendances : l'une
favorable à l'élaboration de règles portant interdiction ou limitation d'emploi
de certaines armes classiques, l'autre faisant valoir que l'objet de la
conférence était l'amélioration du droit international humanitaire et non le
développement du droit du désarmement, ce qui était notamment la position de la
France.
Le protocole I, au-delà de la codification de certains principes de droit
humanitaire, introduit de nombreuses dispositions inédites instituant, à
certains égards, une nouvelle réglementation de la conduite des opérations
militaires.
Le champ d'application du protocole est limité aux conflits armés
internationaux. Il réaffirme le principe de la protection contre les effets des
hostilités due aux populations civiles en temps de guerre et détermine les
conditions d'intervention à cette fin dans les zones de combat ou les
territoires occupés.
En vue de rendre cette protection effective, le texte pose un certain nombre
de principes tels que le respect et la protection - notamment médicale - des
blessés, malades et naufragés, le respect et la protection des organismes
civils de protection civile incluant les personnels sanitaires civils, qui
bénéficient dorénavant de sauvegardes analogues à celles dont bénéficiaient
depuis longtemps les personnels sanitaires militaires, le devoir d'assistance à
la mise en oeuvre d'actions de secours destinées à satisfaire les besoins
essentiels à la survie de la population civile dans les territoires occupés, le
respect des personnes décédées.
De l'application du principe de protection générale de la population civile et
des personnes civiles contre les dangers résultant d'opérations militaires,
découlent des obligations en vertu desquelles sont notamment proscrits les
actes ou menaces de violence fondés sur la terreur, les attaques sans
discrimination, les opérations de représailles contre la population civile ou
les biens civils.
Par ailleurs, le texte établit, dans le domaine de la conduite des opérations
militaires, un certain nombre de précautions que les belligérants doivent
prendre dans les attaques et pour prévenir les effets des attaques.
Au-delà de la simple affirmation du droit humanitaire dans les conflits armés,
le texte du protocole développe considérablement les lois et coutumes de la
guerre définies antérieurement, notamment par la quatrième convention de La
Haye de 1907.
La position en retrait de la France par rapport à ce protocole était avant
tout liée au risque que, de notre point de vue, le fait d'être partie à ce
texte pouvait faire peser sur la légitimation de la doctrine de la dissuasion
nucléaire qui demeure la nôtre.
L'observation du comportement adopté par les puissances nucléaires face à ce
texte permet de les classer en deux catégories de pays : ceux qui, telles
l'ex-URSS et la Chine, ont immédiatement ratifié le protocole I sans se poser
davantage de questions sur sa compatibilité avec leur doctrine de défense et
ceux qui, comme les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni, conscients de
l'interprétation qui pourrait être faite des dispositions du protocole I et
soucieux de demeurer cohérents, sont demeurés en retrait.
La plupart des autres pays de l'Alliance atlantique non détenteurs de l'arme
nucléaire ont, pour leur part, adhéré en précisant, dans leur interprétation,
que les dispositions du texte n'étaient pas censées s'appliquer dans les cas de
recours à l'arme nucléaire.
Si telle a toujours également été l'interprétation de la France, il ne pouvait
cependant être question de courir le risque qu'une ambiguïté ne demeure. C'est
pourquoi notre représentant a déclaré que la France ne s'opposerait pas à un
consensus en faveur de l'adoption de ce texte, mais ne s'estimait pas liée par
ce dernier.
La décision de la France d'adhérer aujourd'hui au protocole I intervient dans
le cadre d'un processus de réexamen général de la position de notre pays
vis-à-vis des conventions relatives aux droits de l'homme et au droit
international humanitaire.
Les réserves et déclarations interprétatives que la France envisage de faire
au moment du dépôt de son instrument d'adhésion au protocole I ont pour objet
de répondre aux difficultés techniques soulevées par ce texte.
Le précédent de l'adhésion, en 1998, du Royaume-Uni, puissance nucléaire dans
une situation comparable à celle de la France, à l'occasion de laquelle aucune
objection n'a été émise à l'encontre des réserves et déclarations
interprétatives formulées par ce pays, a, en particulier, contribué à rendre
envisageable une adhésion de la France au protocole I.
La France, qui oeuvre par ailleurs au respect et au développement du droit
humanitaire dans les conflits armés, considère qu'elle ne peut continuer de
rester à l'écart d'un instrument aussi fondamental en la matière.
Ce sentiment est conforté par le fait que presque tous ses partenaires de
l'OTAN, à l'exception des Etats-Unis et de la Turquie, sont parties au
protocole I du 8 juin 1977.
De nombreuses organisations non gouvernementales, le secrétaire général des
Nations unies ainsi que d'autres personnalités internationales ont plusieurs
fois invité le Gouvernement à rejoindre cet instrument, qui représente une
avancée considérable dans le droit des conflits armés.
Le processus qui a amené la France à réviser sa position fut relativement
long, mais nous pouvons aujourd'hui considérer qu'il est arrivé à son stade de
maturité et que ne pas peut être franchi.
Telles sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les
principales observations qu'appelle le protocole qui fait l'objet du présent
projet de loi soumis à votre approbation, conformément à l'article 53 de la
Constitution.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Faure,
rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Monsieur le président, mes chers collègues, M. le ministre
vient de dire l'essentiel. Aussi me contenterai-je de préciser la position de
la commission des affaires étrangères.
Le protocole I additionnel aux conventions de Genève, relatif aux victimes des
conflits armés internationaux, est aujourd'hui considéré comme une pièce
importante du droit international humanitaire.
Complétant les quatre conventions de Genève de 1949, qui avaient elles-mêmes
considérablement renforcé la protection des non-combattants en temps de guerre,
c'est-à-dire les blessés, les prisonniers et les populations civiles, ce
protocole a quelque peu remis en cause la distinction traditionnelle entre
droit humanitaire au sens strict et droit de guerre.
D'une part, le protocole I étend le champ d'application du droit international
humanitaire, par la reconnaissance des guerres de libération nationale comme
conflit armé international et par celle des mouvements de libération nationale
en qualité de belligérants. Il renforce aussi un certain nombre de règles
inscrites dans les conventions de 1949, par exemple l'assistance médicale aux
victimes, en améliorant la protection des personnels médicaux ou paramédicaux
civils et des transports ou installations sanitaires civils.
D'autre part, le protocole infléchit le droit de la guerre dans le sens du
droit humanitaire, en énonçant une série de règles relatives à la conduite des
hostilités, aux méthodes de combat et à la protection de la population civile.
Le principe de protection des non-combattants entraîne ainsi diverses
restrictions à l'usage de certaines armes ou méthodes de guerre, selon trois
principes généraux : le droit des parties au conflit de choisir des méthodes ou
des moyens de guerre n'est pas illimité ; il est interdit d'employer des armes
ou des méthodes de guerre de nature à causer des maux superflus ; les
belligérants doivent respecter le principe de discrimination, c'est-à-dire ne
pas attaquer les populations ou les biens civils.
Enfin, le protocole renforce les moyens de contrôle, notamment par la création
de commissions internationales d'établissement des faits, et il élargit la
catégorie des actes qualifiés d'infractions graves ou de crimes de guerre.
Le contexte dans lequel fut adopté ce protocole, en 1977, éclaire les raisons
pour lesquelles la France n'y avait pas, jusqu'à présent, adhéré.
Le clivage Est-Ouest, tout comme les divergences entre pays occidentaux et
pays ayant nouvellement accédé à l'indépendance, avaient marqué la longue
négociation du protocole. L'inspiration généreuse du texte, à laquelle la
France adhérait, bien entendu, se trouvait affaiblie, dans le corps du
dispositif, par certaines formulations trop floues pouvant donner lieu à des
interprétations extensives, au risque de restreindre à l'excès la marge de
manoeuvre d'un pays agressé pour la conduite de sa propre défense.
Par surcroît, alors que le texte initial préparé par le Comité international
de la Croix-Rouge énonçait qu'il se limitait aux armements conventionnels,
cette précision ne figurait plus explicitement dans le texte final, laissant
planer un doute sur la compatibilité du protocole avec la dissuasion
nucléaire.
Pour toutes ces raisons, la France n'avait pas signé le protocole I, sans
toutefois s'opposer à son adoption par consensus.
Ces objections réelles et sérieuses, et ces inquiétudes soulevées en 1977 ont
pu être réexaminées à la lumière de plusieurs années d'application du
protocole.
La compatibilité du protocole avec la dissuasion nucléaire semble aujourd'hui
pleinement confirmée, après l'adhésion de trois des cinq puissances nucléaires
déclarées, notamment du Royaume-Uni en 1998.
Par ailleurs, il est apparu que le souci français de préserver une capacité de
légitime défense et de ne pas se trouver exagérément contraint, dans la
conduite des opérations militaires, par des interprétations trop extensives du
protocole, qui nous placeraient en situation d'infériorité par rapport à des
ennemis beaucoup moins scrupuleux, était partagé par nombre de pays, notamment
alliés. La plupart d'entre eux ont toutefois adhéré au protocole moyennant des
réserves ou des déclarations précisant la portée et les limites de certaines
dispositions sujettes à interprétation.
Ainsi, avec le recul d'une vingtaine d'années d'application, la crainte de
voir le protocole interprété dans un sens contraire à nos intérêts de sécurité
s'est estompée. En outre, le dépôt de réserves et de déclarations
interprétatives, à l'image de ce qu'ont fait nos principaux alliés, peut
permettre à la France d'adhérer à un texte quasi universellement reconnu tout
en évitant les contradictions avec notre doctrine militaire.
La commission a pris connaissance de ce projet de réserves et déclarations,
qui porte sur trois points : le rappel du principe naturel et inaliénable du
droit de légitime défense, reconnu par l'article 51 de la Charte des Nations
unies ; la non-application du protocole I aux armes nucléaires, conformément à
l'interprétation du Comité international de la Croix-Rouge et à la position
adoptée par les autres pays de l'OTAN signataires ; l'apport de diverses
précisions nécessaires sur les articles relatifs à la conduite des opérations
militaires afin de garantir que les engagements souscrits demeureront
compatibles avec notre doctrine militaire actuelle.
Compte tenu de ce projet de déclaration et des enseignements tirés de
l'adhésion de nos principaux alliés, et en dernier lieu du Royaume-Uni, qui se
trouvait, à bien des égards, dans une situation comparable à la nôtre, il a
semblé à la commission que les conditions nécessaires à une adhésion de la
France étaient aujourd'hui réunies. Ces réserves éclairent le sens et la portée
exacte de l'adhésion française.
La France, qui joue traditionnellement un rôle important dans la protection et
la promotion des droits de l'homme, pourra ainsi pleinement promouvoir un
instrument international désormais quasi universel et dont elle ne pouvait que
partager la philosophie humanitaire.
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées vous
invite donc, mes chers collègues, à adopter le présent projet de loi.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président.
Personne ne demande la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
«
Article unique. -
Est autorisée l'adhésion au protocole additionnel
aux conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes
des conflits armés internationaux (protocole I) (ensemble deux annexes), signé
à Genève le 8 juin 1977 et dont le texte est annexé à la présente loi. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
M. le président.
Je constate que le projet de loi a été adopté à l'unanimité.
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