SEANCE DU 31 OCTOBRE 2000


M. le président. « Art. 4. - Le V de l'article 3 de la même loi est ainsi modifié :
« 1° Au deuxième alinéa, les mots : "d'un million de francs" sont remplacés par les mots : "de 153 000 euros" ;
« 2° Au troisième alinéa, les mots : "au quart dudit plafond" sont remplacés par les mots : "à la moitié dudit plafond" ;
« 3° Le dernier alinéa est ainsi rédigé :
« Le remboursement forfaitaire prévu à l'alinéa précédent n'est pas accordé aux candidats qui ne se sont pas conformés aux prescriptions des deuxième et cinquième alinéas du II ci-dessus ou à ceux dont le compte de campagne a été rejeté. »
Par amendement n° 12, M. Badinter et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de supprimer le troisième alinéa (2°) de cet article.
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Cet amendement vise à supprimer le troisième alinéa, c'est-à-dire le 2°, de l'article 4. Il s'agit de supprimer la modification, qui n'a pas été suggérée par le Conseil constitutionnel - c'est le point auquel je faisais allusion tout à l'heure, mais qui se retrouve dans ce projet de loi - portant du quart à la moitié du plafond la somme qui est remboursée aux candidats qui obtiennent plus de 5 % du total des suffrages exprimés au premier tour de l'élection présidentielle.
Notre collègue M. Badinter a exposé longuement à la commission des lois combien il était préoccupé, tout comme mes amis du groupe socialiste, par cette disposition. D'abord, celle-ci générerait un coût supplémentaire très élévé, alors que l'élection présidentielle coûte bien cher, et nous conduirait vers des excès tout à fait fâcheux.
M. Robert Badinter a souligné, à juste titre, que nous favorisons le coût toujours accru des campagnes électorales - l'américanisation en quelque sorte - au détriment du contribuable, sans qu'il en résulte un réel progrès pour la démocratie.
Cette disposition favorise les candidats peu représentatifs, c'est-à-dire ceux que l'on appelle les « petits candidats », qui, souvent, « polluent » beaucoup le scrutin, et, surtout, les candidats « sans espoir », qui utilisent l'argent du contribuable pour se payer à bon compte une campagne qui n'a rien à voir avec l'élection présidentielle, raciste, xénophobe, violente, extrémiste... tout ce que vous voudrez.
Par conséquent, l'amendement proposé, sur l'initiative de M. Badinter, par le groupe socialiste vise tout simplement à maintenir la situation existante, sans aller l'aggraver.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Christian Bonnet, rapporteur. La commission a entendu M. Badinter, qui, avec le talent qui est le sien et ce brin de passion qui nous incite à toujours l'écouter avec intérêt, s'est opposé à l'augmentation du plafond de remboursement des dépenses. Ce plafond, fixé par la loi à 25 % et qui avait été porté, à titre dérogatoire, pour des raisons circonstancielles, à 36 % en 1995, devrait, aux termes du projet de loi qui nous est soumis, s'élever à 50 %, par analogie avec le pourcentage qui est retenu pour l'ensemble des scrutins politiques.
Cette question a donné lieu en commission à un large débat. En effet, le sujet n'est pas indifférent.
A titre personnel, je ne suis pas enclin à amplifier inconsidérément les dépenses, ceux qui me connaissent le savent bien. Il n'en reste pas moins que, en l'occurrence, il faut considérer les chiffres.
Si l'amendement de M. Badinter était retenu, cela donnerait - et la précision est importante, je le dis à M. Charasse, qui parle des candidats plus ou moins « fantaisistes » ; il n'a pas employé ce terme, mais c'est un peu ceux qu'il visait -...
M. Michel Charasse. Vous lisez bien dans mes pensées, monsieur le rapporteur !
M. Christian Bonnet, rapporteur. N'est-il pas ?
Cette possibilité de remboursement concerne les candidats qui ont obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés.
M. Michel Charasse. Montebourg, candidat !
M. Christian Bonnet, rappporteur. L'amendement de M. Badinter vise à maintenir le taux de 25 %, c'est-à-dire non pas le taux de 1995, mais le taux de 1988. Avec ce taux, on aboutit, pour les candidats au premier tour qui ont obtenu plus de 5 % des suffrages exprimés, à 23 590 000 francs et, pour les deux candidats qui figurent au second tour, à 31 510 000 francs, somme qui apparaît relativement faible, même aux yeux de ceux qui ont horreur de ce type de dépenses, et j'en suis.
En appliquant les dispositions dérogatoires retenues pour l'élection présidentielle de 1995, on aboutirait à 32 400 000 francs pour les candidats du premier tour et à 43 200 000 francs pour les candidats du second tour.
La commission a été sensible au fait de permettre à des personnes qui n'ont pas beaucoup de moyens de se faire rembourser. Imaginez qu'un candidat ayant obtenu 5 % des suffrages exprimés, c'est-à-dire qui a retenu l'attention d'un nombre non indifférent d'électeurs, ait dépensé 200 000 francs. Il est plus intéressant pour lui de recevoir, au titre du remboursement, 100 000 francs que 50 000 francs. C'est une des raisons qui ont amené la commission à ne pas retenir l'argumentation de M. Badinter aboutissant à l'amendement n° 12.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. L'amendement n° 12, présenté par M. Badinter et défendu par M. Michel Charasse, appelle, de la part du Gouvernement, à peu près les mêmes remarques que celles de M. le rapporteur.
Cet amendement a pour objet de supprimer la modification du plafond de remboursement des dépenses électorales pour un candidat ayant obtenu plus de 5 % des suffrages, que le projet de loi prévoit de porter de 25 % à 50 %. Le taux de remboursement actuellement en vigueur, à savoir 25 %, n'a jamais été appliqué à l'élection présidentielle puisque la dernière élection présidentielle s'est déroulée sous un régime transitoire, avec un taux de remboursement de 36 %.
M. Michel Charasse. Oui !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Ce taux dérogatoire était justifié par le fait que, la loi du 19 janvier 1995 ayant été adoptée moins de quatre mois avant l'élection présidentielle, l'interdiction des dons des personnes morales n'avait pu s'appliquer, puisque les candidats avaient commencé à recueillir de tels dons.
M. Christian Bonnet, rapporteur. Voilà !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. De plus, le montant du plafond des dépenses de campagne ayant été abaissé en 1995, le taux transitoire de 36 % permettait de maintenir le montant des remboursements en valeur absolue. Si le taux de remboursement par l'Etat était maintenu à 25 %, il serait alors inférieur à celui qui était pratiqué en 1995, alors même que des dons d'entreprises avaient pu être recueillis à l'occasion de cette élection.
Le maintien d'une telle disposition favoriserait par ailleurs les candidats qui disposent d'une fortune personnelle ou du soutien d'un parti politique capable de prendre à sa charge une part prépondérante des défenses de campagne. Le surcoût de cette mesure doit être apprécié au regard de cette réalité financière plus large qui démontre que tous les candidats ne seraient pas en mesure de mener une campagne nationale sous un tel régime.
Par ailleurs, ce taux de 25 % est inférieur de moitié à celui qui est retenu pour toutes les autres élections. Or, le souci d'harmonisation du droit et d'application du même régime à toutes les élections conduit le Gouvernement à demander la suppresion de cette minoration qui n'a plus aucune raison légitime de subsister, et donc à porter le taux à 50 % pour les seuls candidats ayant obtenu plus de 5 % des suffrages. Comme vous le souligniez à l'instant, monsieur le rapporteur, ce pourcentage n'est pas minime au regard de la population française et des électeurs inscrits - je réponds ainsi à M. Charasse.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le vice-président de la commission.
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission. A l'appui des propos qui ont été tenus et au-delà des analyses chiffrées auxquelles a procédé M. le rapporteur, je crois devoir attirer l'attention du Sénat sur la signification de la mesure qui est proposée par M. Badinter, laquelle m'étonne d'ailleurs venant de sa part et de ses collègues. Si j'osais, je qualifierais cet amendement d'« oligarchique », car il réserverait à ceux qui ont des moyens ou des « amis » - et vous et vos collègues devez être attentifs à ce point, monsieur Charasse, surtout vous, si j'ose dire - la possibilité de se lancer dans l'aventure d'une campagne présidentielle.
L'élection du Président de la République au suffrage universel est un fait : c'est, que l'on s'en réjouisse ou qu'on le regrette - la question, à mon avis, reste entière -, le fait dominant de notre vie publique.
Est-il normal que, dans ce fait dominant de notre vie publique, interviennent non seulement les personnes porteuses des gros bataillons électoraux traditionnels et enrégimentés de la politique officielle, mais aussi des personnes porteuses de messages sans doute particuliers, éventuellement surprenants, mais qui ouvrent peut-être les voies de l'avenir ? Ce ne sont pas forcément des fous ; ce sont quelquefois des personnes ayant raison avant d'autres, ou mettant l'accent sur certains aspects des problèmes sur lesquels on n'attire pas suffisamment l'attention. Nous savons combien les vérités sont quelquefois extrêmement minoritaires dans le suffrage universel. Il est néanmoins nécessaire qu'elles s'expriment, et il est légitime que ceux qui souhaitent les exprimer dans ce grand rendez-vous démocratique qu'est l'élection présidentielle puissent le faire.
Il faut, certes, nous mettre à l'abri des « originaux ». Mais, pour obtenir 5 % des suffrages exprimés, ce qui n'est pas rien, il faut tout de même drainer un certain courant de confiance et obtenir le nombre de signatures requises. Il faut aussi avancer l'argent, que l'on n'est pas obligé de dépenser en totalité. Par conséquent, nous sommes assurés de ne pas aider des candidatures ridicules.
Par conséquent, allons-nous, spécialement pour cette élection, abaisser le taux de remboursement à un niveau inférieur à ce qu'il est pour les autres élections et pratiquer ainsi une discrimination au détriment de ce grand rendez-vous démocratique ?
Cet amendement, je le répète, me semble avoir un côté un peu oligarchique qui m'étonne. La commission l'a également ressenti ainsi. Par conséquent, considérant qu'il ne faut pas pratiquer de discriminations, elle émet un avis défavorable sur ce texte.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 12.
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. J'ai bien entendu ce qu'ont dit le rapporteur, le ministre et le vice-président de la commission des lois. Je ne me suis sans doute pas exprimé d'une façon suffisamment explicite tout à l'heure.
Je ne méconnais pas que le dispositif proposé sur l'initiative de M. Badinter, par sa brutalité, peut conduire effectivement aux observations que nous avons entendues ce matin. Mais, mes chers collègues, je souhaiterais vraiment que la question soit également posée à l'Assemblée nationale et fasse l'objet, dans cette assemblée, d'un débat qui serait, à mon avis, aussi utile qu'ici. Or, pour ce faire, l'amendement n° 12 doit être adopté.
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission. Il est malin !
M. Michel Charasse. Comme je l'ai dit dans la discussion générale tout à l'heure, nous ne sommes pas, par principe, contre ce qu'on appelle les « petits candidats », même si cette appellation peut être péjorative. Et M. Fauchon a raison de dire qu'on ne peut pas « gélifier » complètement la situation en empêchant toute émergence d'idées nouvelles, de thèmes nouveaux, etc.
Mais le problème n'est pas là ! Ce qui me paraît tout à fait choquant, en effet, c'est que les contribuables financent certains candidats qui, au regard des principes de la République, tiennent un discours tel qu'ils ne sont pas dignes de participer à l'élection présidentielle.
M. Robert Bret. C'est encore une autre question !
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission. Formule redoutable !
M. Michel Charasse. Je vous avouerai franchement que le contribuable que je suis est gêné d'être amené à financer un certain nombre de choses !
Monsieur Fauchon, l'adoption de cet amendement n° 12 présenterait, à mon avis, un intérêt pour la navette, car l'article 4 de la Constitution stipule que « les partis et groupements politiques... exercent leur activité librement », mais qu'« ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie ». Pourquoi ne pas imposer la même règle aux candidats, s'agissant de leurs thèmes de campagne, étant entendu que, dans ce cas, il faudrait au moins qu'une disposition de la loi organique assure une coordination avec l'article 4 ? On n'empêcherait pas les candidats ne respectant pas les principes sus-mentionnés de se présenter, mais on ne les rembourserait pas, ce qui n'est pas tout à fait la même chose...
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission. L'oligarchie se renforce...
M. Michel Charasse. Non, pas l'oligarchie ! Il est quand même extraordinaire de voir comment, lorsque la liberté dans un pays n'est pas menacée, les hommes publics sont parfois naïfs et confiants sur des questions essentielles qui touchent à sa préservation. Comme si nous n'avions pas été vaccinés tout au long du xxe siècle à force de voir surgir l'inattendu auquel personne ne pensait. Je crois, monsieur Fauchon, que, comme l'a dit François Mitterrand, « il n'est pas de bonnes blessures pour la liberté ; toutes sont mortelles ». Par conséquent, je me méfie d'un certain nombre de discours et de la complaisance avec laquelle on les accueille, compte tenu de l'influence de ce que j'appellerai « les temps modernes » sur l'esprit public.
M. Christian Bonnet, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Bonnet, rapporteur. Je suis étonné d'entendre M. Charasse développer un thème qui me paraît être celui d'une censure, celui de « la » censure.
M. Michel Charasse. Mais comment interprétez-vous l'article 4 de la Constitution ?
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 12, repoussé par le Gouvernement et par la commission.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Par amendement n° 7, M. Bonnet, au nom de la commission, propose de rédiger ainsi le texte présenté par le III de l'article 4 pour le dernier alinéa du V de l'article 3 de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 :
« Le remboursement forfaitaire prévu à l'alinéa précédent n'est pas accordé aux candidats qui ne se sont pas conformés aux prescriptions des deuxième et cinquième alinéas du II ci-dessus ou à ceux dont le compte de campagne a été rejeté, sauf décision contraire du Conseil constitutionnel dans les cas où la méconnaissance des dispositions applicables serait non intentionnelle et de portée très réduite. »
Cet amendement est assorti d'un sous-amendement n° 13, présenté par M. Charasse, et tendant, à la fin du dernier alinéa du texte proposé par l'amendement n° 7, à remplacer les mots : « non intentionnelle et de portée très réduite » par les mots : « non intentionnelle ou de portée très réduite ».
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 7.
M. Christian Bonnet, rapporteur. Cet amendement concerne le pouvoir d'appréciation du Conseil constitutionnel sur les conséquences, au regard du droit au remboursement forfaitaire par l'Etat, d'une méconnaissance de la législation concernant les comptes de campagne.
La disposition proposée à l'article 4 du projet de loi initial, rejetée par l'Assemblée nationale, a été recommandée par le Conseil constitutionnel pour éviter de le conduire à prendre des décisions dont les effets seraient « disproportionnés, contraires à l'équité ».
Actuellement, un compte de campagne qui n'a pas été déposé dans les conditions et délais requis ou qui a été rejeté, tout comme un dépassement de plafond de dépenses, entraîne la privation de la totalité du financement public de la campagne, hors campagne officielle, sans que le Conseil constitutionnel puisse porter une quelconque appréciation.
En d'autres termes, faute de toute marge d'appréciation, une infraction à la législation sur le financement des campagnes entraîne la privation de la totalité du financement public, lequel peut atteindre, pour un candidat ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés, la somme de 47 millions de francs et, pour chacun des deux candidats présents au second tour, 63 millions de francs.
Le projet de loi initial aménage une marge d'appréciation. L'Assemblée nationale a écarté l'institution de tout pouvoir d'appréciation, et la commission des lois du Sénat, après en avoir très largement délibéré, a considéré que, s'il convenait, certes, de tenir compte des caractéristiques particulières de l'élection présidentielle, organisée à l'échelle de l'ensemble du territoire national et non d'une circonscription locale, il convenait cependant de fixer la marge d'appréciation dans des limites plus strictes que celles qu'avait prévues le Gouvernement dans la rédaction initiale. Elle propose donc de substituer les mots : « non intentionnelle et de portée très réduite » aux mots : « non intentionnelle ou de portée très réduite ». Ces conditions seraient alors cumulatives et non plus simplement alternatives, et il appartiendrait au Conseil constitutionnel de fixer la part des dépenses prise en charge, dans la limite fixée par la loi.
M. le président. La parole est à M. Charasse, pour présenter le sous-amendement n° 13.
M. Michel Charasse. Au fond, c'est une querelle entre le « et » et le « ou », à la fin de l'amendement n° 7.
M. le président. Querelle aussi ancienne que le droit !
M. Michel Charasse. En effet, la commission des lois propose, à une différence près, de rétablir la fin du texte présenté dans le projet de loi initial, pour le dernier alinéa du V de l'article 3 de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962, supprimée par l'Assemblée nationale : en effet, alors que le projet de loi initial, qui découlait des observations et des suggestions du Conseil constitutionnel, se référait au rejet du compte de campagne dans les cas où la méconnaissance des dispositions relatives au financement serait « non intentionnelle ou de portée très réduite », la commission des lois vise, quant à elle, les cas où cette méconnaissance serait « non intentionnelle et de portée très réduite ». Par conséquent, le texte initial prévoyait l'une ou l'autre condition, alors que le texte résultant des travaux de la commission fait référence à deux conditions cumulatives.
Je ne comprends pas pourquoi l'on souhaite réduire à ce point la marge d'appréciation du Conseil constitutionnel alors que le Conseil d'Etat, quant à lui, a, pour d'autres élections, une marge d'appréciation absolument totale, celle-ci lui permettant de retenir à la fois le caractère intentionnel ou pas et la portée très réduite ou pas. Si l'amendement n° 7 est adopté en l'état, la méconnaissance devra donc être non intentionnelle et de portée très réduite, ce qui restreindra la compétence du Conseil constitutionnel.
Mes chers collègues, je pense que le Conseil constitutionnel, compte tenu des attaques qu'il subit depuis quelque temps - et pas seulement hier dans Le Monde - sera particulièrement rigoureux lors de la prochaine élection présidentielle au point, si cet amendement est adopté, de rejeter le compte de campagne, même si la portée est extrêmement réduite, s'il trouve si peu que ce soit quelque chose d'intentionnel.
Je prendrai un exemple simple : imaginez qu'un Président de la République soit candidat à sa propre réélection et qu'un Premier ministre soit candidat à l'élection présidentielle.
M. Christian Bonnet, rapporteur. Pure hypothèse de travail !
M. Roger Lagorsse. Hypothèse d'école !
M. Michel Charasse. Pure hypothèse !
Chacun est dans sa voiture de fonction, et la permanence électorale téléphone : on utilise le téléphone de la voiture ; on rentre d'urgence à son bureau, car il faut réagir très vite, et, comme on n'a pas la possibilité de se rendre à sa permanence, on utilise le fax du bureau. Cela se sait...
C'est intentionnel, puisqu'on l'a fait sciemment, en sachant très bien qu'on utilisait non pas le téléphone payé sur le compte de campagne, mais celui de la fonction.
C'est certes de portée très réduite, mais, comme c'est intentionnel, le Conseil constitutionnel rejettera le compte de campagne. Et ce n'est pas un cas d'école, parce que, à mon avis,...
M. Hilaire Flandre. Ça va arriver !
M. Michel Charasse. ... cela peut arriver, et tout le monde sera très vigilant, surtout que l'on a reproché au Conseil constitutionnel la bienveillance dont il aurait pu faire preuve à l'occasion du jugement sur certains comptes de campagne des précédentes élections présidentielles.
Par conséquent, mes chers collègues, il n'était pas innocent que le projet initial comporte le mot : « ou ».
Et je préférerais, pour être complètement rassuré et pour donner au Conseil constitutionnel la même marge d'appréciation que celle dont dispose le Conseil d'Etat pour d'autres élections, que l'on en revienne purement et simplement au texte initial, afin d'éviter des retours de bâton que, les uns et les autres, nous pourrions regretter.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur le sous-amendement ?
M. Christian Bonnet, rapporteur. La commission a, tout naturellement, émis un avis défavorable sur ce sous-amendement, dans la mesure où il est contraire à l'amendement qu'elle a défendu.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement et sur le sous-amendement ?
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Le Gouvernement est favorable à l'amendement et, du coup, défavorable au sous-amendement.
L'amendement tend à réintroduire, tout en l'aménageant, une disposition figurant dans le projet de loi organique initial et qui confère au Conseil constitutionnel un pouvoir d'appréciation pour l'application de la règle selon laquelle le remboursement forfaitaire des dépenses de campagne n'est pas effectué aux candidats qui ont dépassé le plafond des dépenses qui ont adressé leur compte de campagne au Conseil constitutionnel plus de deux mois après l'élection ou dont le compte de campagne a été rejeté - soit trois cas de figure.
Le pouvoir d'appréciation reconnu au Conseil constitutionnel par le présent amendement est strictement encadré, puisqu'il ne s'appliquerait que lorsque la méconnaissance des prescriptions légales est à la fois non intentionnelle et de portée très réduite.
Le Gouvernement estime que cet amendement, adopté par la commission des lois sur la suggestion de M. Badinter, est un bon compromis, les conditions posées pour que s'exerce le pouvoir d'appréciation du Conseil constitutionnel devenant cumulatives et non plus alternatives.
Outre le fait qu'il ne concernerait, dans ces conditions, qu'un nombre très limité de cas, ce dispositif permettrait d'éviter d'appliquer la sanction disproportionnée du non-remboursement de sommes au demeurant très importantes pour des irrégularités mineures. Par exemple, le simple oubli de comptabilisation d'une dépense minime, qui peut résulter d'une initiative locale mal maîtrisée par le candidat, peut entraîner le rejet du compte sans justifier néanmoins une sanction financière de plusieurs dizaines de millions de francs.
Pour autant, la double condition mise au pouvoir d'appréciation du Conseil constitutionnel est de nature à inciter les candidats à un réel contrôle des initiatives prises lors de la campagne.
Voilà pourquoi, eu égard aux particularités de l'élection présidentielle, le Gouvernement, je le répète, est favorable à l'amendement présenté par la commission.
Quant au sous-amendement présenté par M. Charasse, il vise à réintroduire une disposition qui figurait dans le texte initial du projet de loi organique.
Or, si le projet de loi initial prévoyait de conférer au Conseil constitutionnel un pouvoir d'appréciation dans les cas où la méconnaissance des prescriptions légales serait non intentionnelle ou de portée très réduite, l'amendement n° 7, s'il était adopté, comme je viens de le suggérer, encadrerait ce pouvoir d'appréciation.
En effet, aux termes de cet amendement, les conditions posées pour que s'exerce le pouvoir d'appréciation du Conseil constitutionnel sont devenues cumulatives et non plus alternatives.
Le Gouvernement ayant considéré que cette modification constituait une avancée positive, il est, par conséquent, défavorable au sous-amendement présenté par M. Charasse.
M. le président. Je vais mettre aux voix le sous-amendement n° 13.
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. D'abord, je note que l'on ne répond pas à la question que j'ai posée. J'aurais bien aimé, notamment, entendre M. le ministre me dire ce qu'il pensait de mon exemple téléphonique. Cela risque-t-il d'arriver ou pas ? Si ce n'est pas intégré dans le compte de campagne, si on est en dépassement, le compte de campagne est rejeté !
Mes chers collègues, n'oubliez pas que le combat politique, aujourd'hui, notamment au niveau de la présidence de la République, est marqué très largement, de la part de certains, par la férocité, la mesquinerie, la vengeance, la délation. Par conséquent, il faut prendre des précautions.
Par ailleurs, je n'arrive pas à comprendre pourquoi ce que fait le Conseil d'Etat pour les élections cantonales, municipales, régionales ou au Parlement européen, et que l'on trouve très bien, il serait très mal que le Conseil constitutionnel le fasse pour l'élection présidentielle !
De plus, monsieur le ministre, cher ami, je rappelle que c'était le texte originel du Gouvernement, celui qui avait été approuvé par le Conseil d'Etat, sur lequel tout le monde était d'accord. Que s'est-il passé entre-temps ? Un vent mauvais a-t-il soufflé du côté de l'Assemblée nationale, porté par des considérations qui ne sont certainement pas juridiques ?
Je dis simplement qu'il faut donner au Conseil constitutionnel la plus grande souplesse pour écarter toutes les actions qui pourraient être menées avec des arrière-pensées qui ne respecteraient pas l'application stricte et rigoureuse de la loi.
C'est la raison pour laquelle, monsieur le président, je maintiens mon sous-amendement, persuadé que, s'il n'est pas adopté, l'avenir me donnera raison.
M. Christian Bonnet, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Bonnet, rapporteur. M. le ministre a, à plusieurs reprise, insisté sur le mot « Parlement ». La commission des lois a eu le sentiment que, peut-être, un accord pourrait intervenir « au sein du Parlement » sur la formule qu'elle a adoptée...
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 13, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(Le sous-amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 7, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 4, ainsi modifié.

(L'article 4 est adopté.)

Article additionnel après l'article 4