SEANCE DU 2 DECEMBRE 2000
M. le président.
Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi de finances concernant
l'emploi et la solidarité : III. - Ville.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Alain Joyandet,
rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, monsieur le
ministre, mes chers collègues, le projet de budget de la ville pour 2001 est,
une fois encore, annoncé en forte progression de 70 % par rapport au budget de
l'année dernière. Mais il ne s'agit que de 3 milliards de francs sur les 40
milliards de francs annoncés.
Depuis déjà plusieurs années, le Gouvernement s'évertue à démontrer le
caractère prioritaire de la politique de la ville. Il ne s'agit
malheureusement, que d'une politique en trompe-l'oeil, d'un discours de façade
qui tend à pallier les lacunes structurelles et budgétaires de cette
politique.
Comment mettre en oeuvre une véritable politique de la ville lorsque les
crédits strictement affectés à la ville ne représentent que la partie immergée
de l'iceberg : 3 milliards de francs sur les 40 milliards de francs annoncés ?
En effet, la principale caractéristique de la politique de la ville demeure
l'interministérialité. Aussi est-ce là un bon moyen pour le Gouvernement de
donner l'illusion d'une action forte en direction de nos banlieues alors que,
en réalité, la complexité des structures administratives rend quasiment
impossible la réalisation d'actions fortes en cette matière.
Par exemple, votre ministère a constaté que, dans certains territoires situés
en contrat de ville, les crédits d'Etat étaient moindres que pour les
territoires « de droit commun », l'apport de crédits spécifiques « ville »
produisant un effet d'éviction à l'égard des autres ministères. Ce constat est
tout simplement édifiant : à quoi sert-il de définir des périmètres
spécifiques, d'engager des études préalables coûteuses et de multiplier les
annonces si, sur le terrain, l'effet obtenu est contraire à celui qui est
attendu ?
Enfin, la multiplication des procédures dites « contractuelles » conduit
parfois les différents services de l'Etat à tenir des discours contradictoires
aux maires et aux bailleurs sociaux.
On ne pourra concevoir une politique de la ville forte sans une concentration
des moyens aux mains du ministère de la ville et une relation beaucoup plus
étroite, au niveau déconcentré, entre le maire et le préfet. Ce sont les
acteurs de terrain qui doivent définir les priorités au cas par cas et, pour ce
faire, une plus grande souplesse est nécessaire.
Aujourd'hui, un constat s'impose : la complexité des structures chargées de
mettre en oeuvre la politique de la ville tue la ville. Ce qui reposait sur une
bonne approche du terrain, sur le secteur associatif et, au final, sur les élus
locaux est désormais étouffé sous l'appareil administratif.
Il convient de faciliter l'utilisation des crédits, d'éviter les lourdeurs
administratives et de permettre une meilleure évaluation des actions menées,
car c'est peu de chose que de dire que celle-ci est lacunaire : il n'existe
aucune évaluation qualitative des résultats obtenus par les différentes
politiques.
Une telle situation vous a conduit à remettre en cause dans un premier temps
le dispositif des zones franches urbaines, les ZFU, condamnant les « effets
d'aubaine » et le coût de cette expérience. Or, devant la levée de boucliers
des maires, toutes tendances politiques confondues, vous avez dû, monsieur le
ministre, vous rendre à l'évidence : les zones franches, ça marche, et il faut
prévoir de prolonger le dispositif au-delà de 2002. C'est pourquoi vous
proposez une fusion des zones franches urbaines et des zones de redynamisation
urbaine, proposition qu'il faut saluer comme un retour à la raison du
Gouvernement.
Que faire alors pour définir une véritable politique de la ville qui soit
efficace et qui atteigne des objectifs clairement définis ?
Trois objectifs nous paraissent prioritaires : le logement avant tout, la
sécurité et la relance par l'économie.
En premier lieu, le logement : nous avons besoin d'un véritable « plan
Marshall » à destination de nos banlieues, ce qui implique notamment un vrai
programme de reconstruction-démolition. Lors de la discussion du budget de la
ville à l'Assemblée nationale, vous avez indiqué, monsieur le ministre, que «
le tabou de la démolition était levé ». Alors, levons-le, mais pas avec les 10
000 logements prévus pour 2001 ! Prenons de vrais moyens et lançons des
opérations de grande envergure.
Il faut construire de nouveaux logements sociaux. A cet égard, le Gouvernement
a tenté de donner une réponse forte en imposant, dans la loi relative à la
solidarité et au renouvellement urbains, des sanctions pécuniaires pour les
communes qui ne construiraient pas assez de logements sociaux.
Cette disposition ne constitue pas une réponse adaptée au problème du
logement, et ce pour deux raisons.
Premièrement, les communes riches sont souvent confrontées à des problèmes
fonciers importants et préféreront, de toute évidence, payer des pénalités
plutôt que de construire des logements sociaux.
Deuxièmement, si ces communes construisent des logements, elles attireront les
familles les plus solvables et renforceront ainsi la ségrégation sociale, ce
qui va à l'encontre de l'objectif recherché.
Pour résoudre le problème du logement, le Gouvernement s'engage également dans
un programme de renouvellement urbain dont le point fort est la mise en oeuvre
de cinquante grands projets de ville, appelés à remplacer et à étendre le champ
d'intervention des grands projets urbains.
Les moyens qui y sont affectés sont insuffisants. Ils restent modestes
puisqu'ils représentent un taux de subvention moyen de 30 %, ce qui va
contraindre les communes pauvres à se lancer dans une incertaine tournée des
guichets ou à accroître la pression fiscale pour financer les dépenses
nécessaires.
On le voit bien, la question du logement est au coeur de la politique de la
ville. Elle va de pair avec un autre problème majeur : la question de la
sécurité, qui fait l'objet de ma deuxième remarque. Le problème de la sécurité
dans les quartiers est l'une des composantes essentielles de toute action en
faveur de la politique de la ville : on ne peut « Refaire la ville », comme
s'en prévaut le Gouvernement, sans assurer la sécurité dans les quartiers.
Que propose le Gouvernement sur ce point ? Les contrats locaux de sécurité ?
Ils sont inefficaces. J'en veux pour preuve le fait qu'il est question de les
relancer. Police et justice ne savent d'ailleurs plus quoi faire. En effet, à
quoi cela sert-il d'arrêter les responsables de nuisances s'ils sont
immédiatement remis en liberté ?
Nous sommes tous interpellés, monsieur le ministre, par le sort complaisant
qui est réservé aux « sauvageons ». Tant qu'ils apparaîtront comme des modèles
impunis, nos villes ne retrouveront pas la sérénité tant souhaitée.
Enfin - et c'est là le dernier point que je souhaite aborder pour la
définition d'une véritable politique de la ville -, il me semble indispensable
de donner une inflexion forte en direction de la relance par l'économie. Le
Gouvernement a mis en place un fonds de revitalisation. L'intention est
louable, mais les moyens ne sont pas, une fois encore, à la hauteur des enjeux.
Ce nouveau fonds présentera cependant l'avantage de la souplesse, puisqu'il
pourra aussi bien accorder des aides au fonctionnement que des aides à
l'investissement pour les petites entreprises implantées dans les zones
urbaines sensibles.
Je salue une bonne nouvelle, monsieur le ministre, à savoir la fin de la
remise en cause des zones franches par le Gouvernement. Cette décision va dans
le bon sens, puisqu'elle reconnaît l'utilité des expériences qui existent
depuis quatre ans. On commence d'ailleurs à peine à évaluer les effets
bénéfiques des zones franches urbaines. Il est donc souhaitable de pérenniser
l'expérience pour qu'elle apporte la preuve de son efficacité.
J'ai pu constater, en visitant des zones franches, l'intérêt d'un tel
dispositif permettant de refaire vivre des quartiers qui se transformaient en
véritables friches commerciales, de donner du travail à des habitants des
quartiers, et de créer une dynamique, à laquelle participent l'ensemble des
acteurs concernés. Si des effets d'aubaine existent - et vous les avez
d'ailleurs souvent dénoncés, monsieur le ministre - ils sont minimes et ne
doivent pas porter préjudice à la grande majorité des acteurs qui ont accepté
de relever ce défi courageux de s'implanter dans des zones difficiles. Je pense
que cette relance par l'économie est indispensable ; c'est elle qui redonnera
vie à nos quartiers et permettra aux jeunes qui, aujourd'hui, sont sans emploi,
de retrouver une dignité par le travail.
Il est de loin préférable, monsieur le ministre, d'attirer des entreprises
dans les quartiers, plutôt que de développer des dispositifs d'assistance.
Mieux vaut quelques exonérations pour les entreprises qui proposeront des
emplois aux jeunes plutôt que d'offrir à ces derniers, par exemple, des «
adultes-relais ».
Vous le voyez, le projet de budget, tel qu'il nous est présenté, ne répond pas
du tout aux problèmes qui se posent, même si un certain nombre d'avancées sont
constatées. Que ce soit en matière de logement, de sécurité ou d'emplois réels
pour les jeunes, nous constatons sur le terrain que votre politique de la
ville, monsieur le ministre, ne marche pas.
Si vos déclarations, comme je le reconnais, sont souvent justes, le
Gouvernement ne vous donne ni l'organisation ni les moyens pour réussir.
C'est pourquoi la commission des finances vous propose, mes chers collègues,
de rejeter les crédits de la ville pour 2001.
(Applaudissements sur les
travées du groupe du RPR.)
M. Roland Muzeau.
Incroyable !
M. le président.
La parole est à M. Gérard Larcher, rapporteur pour avis.
M. Gérard Larcher,
rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan.
Monsieur le ministre, après l'exposé très complet de notre collègue Alain
Joyandet, vous me permettrez d'évoquer les résultats obtenus dans les zones
franches urbaines, puis quelques sujets de portée interministérielle, avant de
vous rendre compte de la visite que j'ai effectuée dans la ZFU de
Montereau-Fault-Yonne, en Seine-et-Marne, autant de sujets qui me conduiront à
vous poser cinq questions précises.
Le nombre d'emplois salariés bénéficiant de mesures d'exonération sociale dans
les ZFU est passé de 42 635, en 1998, à plus de 50 000 en 1999, soit une
croissance de 18 %. La proportion des salariés résidant en zone franche serait
d'au moins 20 %, ce qui répond à l'obligation fixée par le législateur en
1996.
Cependant, la question du devenir des zones franches urbaines est désormais
posée. Tous les comités d'orientation et de surveillance consultés sur l'avenir
de ces zones ont souligné le risque que représenterait une interruption brutale
des régimes dérogatoires d'exonérations et ont proposé un dispositif de
transition avant le retour au droit commun.
Le Gouvernement semble avoir la sagesse de conserver le dispositif actuel ; il
faut qu'il trouve le courage d'en exploiter toutes les possibilités.
Il y a d'autant plus intérêt à suivre cette direction que les chiffres que
vient de nous transmettre l'association des villes ayant des zones franches
urbaines montrent que celles-ci sont un réel succès.
Le nombre des entreprises a progressé dans une fourchette allant de 1,4 à 2,8,
tandis que le nombre d'emplois a crû dans une proportion qui varie entre 1,6 et
3 par rapport à la situation initiale. Quant aux transferts d'entreprises, le
cabinet Ernst et Young, qui a réalisé cette étude pour l'association des villes
ayant des zones franches urbaines, estime que « les entreprises issues d'un
transfert sont généralement plus importantes en effectifs, plus assurées sur
leur marché et prêtes à investir plus durablement que les créations ». Voilà
pour le commentaire !
On constate d'ailleurs que, bien souvent, les emplois créés sont non pas des
emplois précaires mais des emplois à temps plein, occupés par des personnes peu
qualifiées au départ.
J'ajoute que, selon le cabinet d'audit précité, « aucun dispositif d'aide ne
semble aussi attractif que celui des ZFU », car il constitue « une aide globale
sur longue période », alors même qu'il est nettement moins coûteux par emploi :
l'exonération d'un emploi salarié sur un an n'est-elle pas de 49 000 francs
pour un contrat initiative-emploi et de 37 000 pour un salaire supérieur au
SMIC en zone franche urbaine ? J'en arrive, monsieur le ministre, à ma question
: qu'envisagez-vous très clairement de faire, à l'issue de la période de cinq
ans, pour les zones franches urbaines ? Nous attendons votre réponse.
M. Roland Muzeau.
Il faut en sortir !
M. Gérard Larcher,
rapporteur pour avis.
J'en viens aux sujets « transversaux », sujets
essentiels, comme l'est celui de la violence.
Je centrerai mon propos sur le thème de la sécurité, qui est le préalable de
toute politique de la ville, si ambitieuse soit-elle.
J'insisterai, en premier lieu, sur la nécessité de lutter contre la
délinquance des mineurs. J'aimerais avoir la confirmation que l'exécutif est
toujours soucieux de ramener dans le droit chemin ceux que l'un de ses
ministres qualifiait, voilà trois ans, de « sauvageons » et qu'Alain Joyandet
vient également d'évoquer.
J'observe, au demeurant, que nous sommes confrontés à une évolution des formes
de violence de rue : les délinquants sont de plus en plus jeunes ; les
agressions de molossoïdes se multiplient et, aujourd'hui, dans la région
parisienne celles des singes magots, qui semblent remplacer les molossoïdes.
Monsieur le ministre, ma question est la suivante : pour lutter contre la
délinquance juvénile, combien d'unités d'encadrement renforcé le Gouvernement
envisage-t-il de créer dans les mois à venir ? Voilà une question précise qui
attend une réponse précise !
Je souhaite, enfin, vous présenter les observations faites sur le terrain lors
de ma visite à Montereau-Fault-Yonne, cité dont l'origine remonte à la Condate
gallo-romaine, et qui n'aurait jamais eu à connaître de la « politique de la
ville » si, à la fin des années cinquante, l'Etat n'avait décidé, notamment au
travers de ses grands services, d'y construire de grands ensembles, puis de les
abandonner, sans y adjoindre les éléments du développement économique.
Le premier problème rencontré est celui du logement. Le parc de logements du
quartier de Surville, qui représente près des deux tiers de la population de la
ville, ne répond manifestement pas aux attentes des habitants. On dénombre 400
logements vacants. Le taux de vacance au rez-de-chaussée est, dans la plupart
des immeubles, de 50 %.
Afin d'améliorer le parc existant, l'office d'HLM local a fait poser, entre
1997 et 1999, pour améliorer la qualité de la vie, 1 400 portes blindées. Voilà
un élément positif de la politique de la ville !
Il serait souhaitable, comme le recommande le maire, Yves Jego, de faciliter
l'installation de propriétaires privés, de favoriser, ce faisant, la mixité
sociale, donc la diversité, dans ce quartier où 90 % des logements locatifs
sont collectifs. La présence d'une population de propriétaires serait de nature
à rééquilibrer la sociologie du quartier. Comme le disait le maire : « Quand
l'ascenseur social fonctionne, ceux qui le prennent quittent le quartier ». Ils
s'en vont dans la basse ville ou dans les villages alentour.
C'est cette tendance qu'il faut inverser, en engageant de grandes opérations
de démolition-reconstruction, et notamment en reconstruisant autour d'habitats
individuels diversifiés, comme le disait Alain Joyandet.
D'où ma question, monsieur le ministre : à partir de l'exemple de
Montereau-Fault-Yonne, envisagez-vous, au plan national, d'accélérer le
programme de démolition-reconstruction ?
Le quartier de Surville souffre d'un déficit d'image. Selon l'un de mes
interlocuteurs, un cambriolage qui serait appelé « fait divers » à
Fontainebleau ou à Melun devient un « fait de société » à Surville. Ce
phénomène d'ostracisme occasionne de graves dommages et occulte le succès de
certains jeunes, à l'instar de ces deux élèves de Surville dont l'une est
devenue, il y a quelques mois, docteur en mathématique et en informatique et
l'autre pilote de ligne. Personne n'en parle ! Lorsque l'on est jeune en
banlieue, on n'est pas forcément un voyou !
Voilà qui me conduit, monsieur le ministre, à vous poser ma quatrième question
: envisagez-vous d'encourager les médias à respecter davantage la déontologie
lorsqu'ils abordent le sujet de la ville ?
Vous me permettrez, à cet égard, de faire référence à l'amende requise par le
parquet, le 15 novembre dernier, contre les éditions Hachette-Filipacchi pour
la parution dans le magazine
Entrevue
d'un reportage où l'on voyait de «
faux jeunes » balancer un frigo sur de faux policiers, et dont le titre était :
« Banlieues, la chasse aux flics est ouverte ».
Un reportage « bidonné », des interview bidonnées avec des réponses bidonnées,
tout cela, naturellement, détruit le travail de reconstruction qu'accomplissent
les municipalités, les animateurs, les éducateurs. On ne peut donc pas rester
sans réponse, sur le plan de la déontologie, face à de tels agissements.
Oui, les problèmes rencontrés sont très lourds à gérer pour une ville moyenne
de 17 600 habitants, dont 12 000 dans le seul quartier de Surville ! Les
réponses des services municipaux ne peuvent être calibrées à la dimension des
problèmes que pose ce grand ensemble, d'autant que Montereau ne bénéficie
d'aucun avantage par rapport aux autre villes ayant des ZFU. Ainsi, la commune
ne peut pas recruter un administrateur territorial, dont le barème de
rémunération est exclusivement fonction du classement démographique.
D'où ma cinquième et dernière question, monsieur le ministre : eu égard à la
complexité des procédures et à la nécessité de disposer d'équipes stables dans
leur composition, ne conviendrait-il pas d'instituer un « surclassement
démographique » au bénéfice de ces communes de taille moyenne qui ont besoin
d'une politique de la ville ?
Le renouvellement urbain, nous l'avons évoqué ; il ne suffira pas, dans ce
quartier, de démolir 270 logements. La ZFU Montereau, c'est aussi soixante et
une entreprises supplémentaires, correspondant à 230 emplois nouveaux, c'est le
transfert de quinze entreprises employant soixante-quinze salariés.
Donc, pour ce qui est des ZFU, le pacte de relance pour la ville, cela marche,
et je sais que Nelly Olin, qui conduit sa commune avec le courage et la volonté
que l'on sait, en est également persuadée.
Mme Nelly Olin.
Merci, mon cher collègue !
M. Gérard Larcher,
rapporteur pour avis.
Alors, parce que la politique de la ville doit
aussi être transversale, au regard de nos choix, la commission des affaires
économiques s'en est remise à la sagesse du Sénat quant à l'adoption des
crédits de la ville incrits dans le projet de loi de finances pour 2001.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union cntriste et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Blanc, rapporteur pour avis.
M. Paul Blanc,
rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales.
Le troisième
projet de budget que vous nous présentez, monsieur le ministre, affiche une
hausse spectaculaire de 70 %. Il est vrai qu'il enregistre en partie l'effet
des nouvelles mesures pour la ville décidées à la fin de 1999 et qui n'avaient
donc pu être entièrement transcrites dans le budget pour 2000.
Vous vous souvenez que, l'année dernière, à la même époque, nous regrettions
de devoir nous prononcer sans connaître le mesures qui allaient être annoncées
lors du comité interministériel des villes, CIV, du 14 décembre 1999. Le
Premier ministre a donc annoncé son programme « pour des villes renouvelées et
solidaires », nous permettant, enfin, de connaître la ligne d'action du
Gouvernement que nous attendions impatiemment depuis 1997.
Monsieur le ministre, la commission des affaires sociales a reconnu que votre
projet de budget pour 2001 présentait des aspects positifs, mais, en même
temps, elle s'est montrée très réservée sur certains des nouveaux instruments
de la politique de la ville.
Parmi les éléments de satisfaction, le fonds interministériel pour la ville,
le FIV, qui avait été mis en place en 1995 pour simplifier les procédures
interministérielles, atteindra près d'un milliard de francs en 2001. Le seul
regret est que les services déconcentrés sur le terrain aient du mal à gérer
les délégations de crédit dans un esprit de simplification et de rapidité.
Par ailleurs, ce budget amorce plus clairement le financement des cinquante
grands projets de ville, qui amplifient et prolongent les grands projets
urbains lancés par Mme Simone Veil en 1993. Ces projets auront des résultats si
la démarche ambitieuse qui est proposée est effectivement appliquée.
Enfin, l'augmentation des dépenses de fonctionnement du ministère en 2001
n'est plus consacrée au développement pléthorique des dépenses de
communication, que nous avions un peu regretté l'année dernière, elle est
utilement orientée vers le renforcement des moyens d'information et de conseil
aux chômeurs des quartiers difficiles à travers la mise en place des équipes
emploi-formation.
J'apporterai toutefois deux nuances.
La commission a regretté la stagnation, déjà constatée l'année dernière, des
moyens consacrés aux opérations « ville-vie-vacances » ; les collectivités
territoriales assurant l'accueil des jeunes sont très sollicitées, et elles ne
doivent pas être considérées comme une variable d'ajustement.
La commission a également regretté l'absence d'un véritable redéploiement des
dépenses de communication du ministère, car elle n'est toujours pas convaincue
des résultats.
Mais c'est sur la nouvelle politique proposée en matière de revitalisation
sociale et économique que la commission se déclare la plus réservée.
Le bilan du pacte de relance pour la ville de 1996, voulu par MM. Alain Juppé,
Jean-Claude Gaudin et Eric Raoult, montre, dans les zones franches urbaines,
non seulement que l'hémorragie d'emplois des année quatre-vingt a été jugulée,
mais aussi que 40 000 embauches peuvent être réalisées dans des zones réputées
sinistrées, comme vient de le dire Gérard Larcher.
Pourtant, le Gouvernement maintient son option d'une sortie progressive du
dispositif à compter de 2002, tout en prenant son temps pour informer les
entreprises de leur avenir. Tout à l'heure, j'ai entendu dire, à gauche, qu'il
fallait en sortir. Je ne crois pas que ce soit la solution !
Les réticences du Gouvernement à l'égard des zones franches urbaines sont
excessives, d'autant que l'on peut douter de l'efficacité des alternatives
proposées.
S'agissant de l'emploi, le dispositif des adultes relais, largement inspiré
des emplois-jeunes, est, en fait, un instrument classique et coûteux de lutte
contre le chômage par la création d'emplois parapublics non marchands, qui
n'apporteront pas de garantie de réinsertion durable pour les intéressés.
L'autre inconvénient de ces emplois réservés, qui représentent tout de même,
au total, 2,8 milliards de francs de dépenses, c'est de laisser penser aux
habitants des banlieues difficiles qu'ils sont à part. Comme l'écrit un
éditorialiste dans un grand journal du soir peu suspect de sympathie envers la
majorité sénatoriale : « La multiplication des médiateurs, des personnes relais
ne fait qu'exacerber l'impression de constituer une population à part, à
laquelle on ne peut plus s'adresser que par des intermédiaires, comme des
Indiens dans leur réserve. »
Concernant le développement économique, le fonds de revitalisation économique
met certes en place des moyens nouveaux, mais la commission des affaires
sociales est perplexe sur l'efficacité de ce dispositif, qui obéit à une
logique dépassée d'économie administrée à l'aide de subventions et qui
n'échappera pas au risque de saupoudrage des moyens.
Pour avoir un effet tangible, ce fonds devrait être calculé moins chichement,
ce qui ne permettrait pas pour autant de lui assurer la même efficacité qu'un
mécanisme d'exonérations fiscales et sociales.
Enfin, monsieur le ministre, vous me permettrez de revenir sur le problème de
l'insécurité, que vient d'évoquer mon collègue Gérard Larcher.
Monsieur le ministre, j'ai été à la fois choqué - je dis bien choqué - et
abasourdi à la lecture d'un article paru dans un hebdomadaire hier soir
concernant les viols collectifs dans les cités. On ne peut que condamner des
actes aussi révoltants.
Je souhaiterais qu'en matière de sécurité des actions vraiment fortes soient
engagées pour éviter que de tels actes puissent se produire. La lecture de cet
article m'a conforté dans mon opinion et dans l'avis que je dois vous présenter
: la commission des affaires sociales est défavorable à l'adoption du projet de
budget de la ville pour 2001 transmis par l'Assemblée nationale. Tant que vous
n'apporterez pas une réponse à de tels actes, la commission des affaires
sociales ne pourra qu'être opposée à ce projet de budget.
(Applaudissements
sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union
centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 22 minutes ;
Groupe socialiste, 17 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 5 minutes.
Je vous rappelle que, en application des décisions de la conférence des
présidents, aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser dix
minutes.
Par ailleurs, le temps programmé pour le Gouvernement est prévu au maximum
pour vingt-cinq minutes.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Muzeau.
M. Roland Muzeau.
Devant l'étendue des problèmes accumulés et exacerbés dans nombre de
quartiers, de villes, de zones urbaines, on ne peut que se féliciter de voir,
pour la troisième année consécutive, le budget du ministère de la ville en
augmentation. Celui-ci passe de 1,4 milliard de francs à 2,4 milliards de
francs, soit 70 % de progression d'un exercice à l'autre.
C'est d'autant plus positif que ces crédits s'inscrivent dans un effort de
revalorisation des moyens publics dévolus à la politique de la ville qui
atteint les 40 milliards de francs en moyens d'engagement, traduisant ainsi une
progression de 65 % en trois ans.
Face à ces chiffres, le vote de rejet annoncé par la droite est surréaliste !
Il n'est motivé que par une attitude politicienne et idéologique.
Ce budget traduit la volonté politique du Gouvernement et des années
d'initiatives multiformes des élus, toutes tendances politiques confondues
d'ailleurs, pour qu'existe enfin une politique de la ville impliquant les
partenaires locaux une politique qui ne se contente pas de mettre en place des
soins palliatifs pour « empêcher le pire », mais qui commence à aborder le
curatif.
Les situations sont si inégales dans notre pays que le ministère de la ville
ne peut à lui seul tout régler. Il convient plus que jamais que l'action
interministérielle se développe et que tous les efforts soient concentrés dans
ces lieux de « mal vie ».
L'adoption de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains
constitue un bel exemple en la matière, et il est regrettable que la majorité
sénatoriale l'ait si fortement combattue et la combatte encore si fortement.
Des ressources nouvelles doivent être dégagées et réparties en fonction du
potentiel fiscal de la commune, du niveau social des populations.
Je souhaite toutefois vous alerter, monsieur le ministre, sur les blocages
rencontrés par les collectivités locales.
Les collectivités locales sont parties prenantes d'une politique contractuelle
volontariste qui s'attaque aux causes des maux urbains, mais il faut que l'Etat
fasse encore plus là où les communes ou les coopérations intercommunales sont
dans l'incapacité de monter financièrement les projets dont elles ont pourtant
le plus grand besoin. Et je doute que les 13 millions de francs d'aides aux
communes les plus pauvres engagées dans les grands projets de ville soient
suffisants. Pour nombre d'entre elles, financer 20 % ou 30 % des projets est
hors de portée, même en passant par l'emprunt.
Dans ces conditions, comment rattraper les retards accumulés ? Cela s'avère
d'autant plus difficile que le retour de la croissance alimente un sentiment où
se mêlent l'espoir et la frustration. En effet, si le chômage a tendance à
diminuer dans ces quartiers aussi, l'écart existant entre le taux de chômage
qui y est enregistré et celui du reste de la commune, du département ou de la
nation ne se réduit pas. Cela suscite beaucoup de colère, d'amertume et de
rancoeur, et donc de multiples tensions.
La couleur de peau et l'adresse qui figurent sur leur
curriculum vitae
sont autant d'éléments de discrimination qui, ajoutés au manque de formation,
continuent à peser très lourdement au moment de l'embauche. Il faut donc
résolument s'attaquer à l'apartheid social et spatial, à l'existence de
territoires de non-droits, ces territoires où le droit à la réussite scolaire,
le droit à un véritable emploi, le droit aux services publics, le droit à la
sécurité sont trop souvent bafoués.
Le risque patent que la croissance s'arrête aux portes des quartiers
populaires, avec tous les effets catastrophiques que nous connaissons ensuite,
mérite que cette question soit prise à bras-le-corps.
Il est très regrettable à cet égard que les moyens prévus pour l'emploi dans
le projet de budget soient en diminution de 1,9 %.
En ce qui concerne la politique contractuelle, les choses vont dans le bon
sens, mais les élus se plaignent toujours de la complexité des procédures. Il
faut aller plus loin dans la simplification des circuits et des procédures
d'agrément des dossiers.
Par ailleurs, l'Etat et les services publics doivent montrer toujours plus
l'exemple. Mais interrogeons-nous : tout est-il fait, vraiment fait pour
assurer l'égalité de traitement en matière d'établissements scolaires, de
présence de guichets postaux, de centres de sécurité sociale et de la CAF,
d'antennes de police ? Poser la question, c'est y répondre !
Au sujet de l'éducation nationale, il est insupportable qu'à chaque rentrée
scolaire le même constat soit fait : les nouveaux enseignants sont très
majoritairement des débutants sortants des IUFM avec, pour corollaire, une
absence totale d'expérience pour exercer leur métier dans des classes parmi les
plus délicates. Quand cette situation changera-t-elle ?
Enfin, s'il faut admettre que des efforts de simplification des circuits de
financement de la politique de la ville ont été entrepris, il reste que les
acteurs de terrain, en particulier les associations où les bénévoles assurent
un travail souvent exemplaire, ne disposent toujours pas de leurs crédits avant
de très longs mois et sont contraintes de déposer de nouveaux dossiers chaque
année, sans avoir la garantie qu'ils seront acceptés. Vive la programmation
pluriannuelle ! disiez-vous, monsieur le ministre. Qu'elle devienne la règle
!
Pourquoi, monsieur le ministre, l'expérience menée à Paris par la Caisse des
dépôts et consignations depuis deux ans et permettant d'assurer un fonds de
roulement au bénéfice des associations n'est-elle pas généralisée en 2001 dans
tous les sites ?
Reconnaissons vraiment le travail des associations et leur statut de
partenaires à part entière.
En conséquence, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe
communiste républicain et citoyen votera donc ce bon budget en espérant que ses
remarques seront prises en compte et que le dialogue avec les collectivités
locales s'amplifiera.
M. le président.
La parole est à Mme Printz.
Mme Gisèle Printz.
Je suis très heureuse, au nom du groupe socialiste, de défendre le budget de
la ville qui est, une fois encore, un excellent budget. Depuis votre entrée en
fonction, monsieur le ministre, le Gouvernement a entrepris une importante
revalorisation des crédits destinés à la politique de la ville. Elle s'est
traduite par une augmentation de 32 % en 1999 et de 10 % en 2000, elle sera de
8 % pour 2001. En tenant compte des nouvelles mesures concernant le
renouvellement urbain et l'emploi, les crédits de ce budget vont croître de 70
%.
Pour la troisième année consécutive, votre budget est donc celui qui bénéficie
de la plus forte augmentation. Il me semble également important de souligner
que, depuis 1998, l'effort consacré à la politique de la ville a été multiplié
par trois. Cette augmentation significative marque une volonté forte du
Gouvernemnet de faire de la politique de la ville une priorité et d'inscrire
celle-ci dans la durée.
Une telle politique n'est en effet efficace que si elle est durable, car nous
connaissons toutes et tous l'ampleur des problèmes.
Lutter contre l'exclusion dans les quartiers est l'objectif principal de votre
politique et il ne pourra être atteint que sur la base de projets solides et
durables. Ainsi, ce projet de budget qui vise à faire profiter les habitants
des quartiers de la croissance, à lancer le renouvellement urbain à grande
échelle et à conforter les moyens des nouveaux contrats de ville, permettra de
poursuivre et d'amplifier l'effort engager depuis deux ans.
Faire profiter les habitants des quartiers de la croissance est un objectif
très important, car il est indispensable de mettre définitivement fin à
l'étiquette « foyer de pauvreté et d'exclusion » qui colle encore aux grands
ensembles urbains. Six millions de personnes vivent dans des cités de banlieue
et beaucoup ont encore bien souvent le sentiment d'être reléguées dans une
société de seconde zone. C'est pourquoi vous nous proposez des actions de
proximité en vue de résorber le chômage qui perdure dans les cités.
A cet effet, cent cinquante équipes emploi-insertion articulées avec le
service public de l'emploi seront mises en place dans les quartiers. Il s'agit
là d'une excellente initiative.
Je souhaite citer en exemple un dispositif équivalent dans mon département.
Dans le cadre du précédent contrat de ville de l'agglomération thionvilloise,
des espaces citoyens ont été créés. Ces structures ont pour objet de faciliter
l'accès à l'information et à la recherche d'emploi, et d'organiser un relais
avec les structures déjà en place. Ces dispositifs sont très appréciés, et
personne ne saurait en contester l'efficacité. Vous avez, vous-même, pu le
constater, monsieur le ministre, lors de votre visite en Moselle voilà deux
ans. Je suis donc très optimiste quant aux résultats de ce dispositif nouveau
sur l'emploi.
Pour ce qui est du programme concernant les « adultes-relais », il contribuera
lui aussi à redonner à certaines personnes leur chance sur le marché du
travail. Les nombreux bénévoles déjà en place dans des structures telles que
les commissions locales dans le cadre des contrats de ville ou Vie Libre
oeuvrent dans ce sens et leur reconnaissance en tant qu'« adultes-relais » ne
pourra que favoriser davantage le dialogue entre les habitants et faciliter la
réinsertion des exclus.
Concernant l'objectif visant à conforter les moyens des nouveaux contrats de
ville, il est, lui aussi, essentiel, car il permettra aux élus et aux
associations de s'impliquer davantage dans la politique de la ville au travers
des subventions qu'ils recevront en vue de mener à bien leurs projets. J'ai
récemment rencontré des acteurs locaux qui appliquent et font mettre en oeuvre
la politique de la ville au quotidien. Ils se félicitent d'une telle
orientation car elle leur permettra de conforter les initiatives prises en
faveur des jeunes et de les développer.
Ainsi en sera-t-il par exemple pour le projet Mob-emploi, récemment mis en
place dans le cadre du contrat de ville, en vue d'aider les jeunes dans leurs
déplacements. Pour l'instant, il s'agit de la mise à disposition de mobylettes
pour effectuer des démarches en faveur de l'emploi et pour se rendre au
travail, car de nombreux jeunes ayant trouvé un emploi n'ont pas les moyens de
se déplacer. Beaucoup de projets fleurissent autour de cette idée : location de
voitures, aides au permis de conduire, co-voiturage, garages associatifs,
etc.
En fait, l'imagination et les idées ne manquent pas, et le fait de conforter
les moyens alloués permettra donc à beaucoup de projets, comme celui que je
viens de citer en exemple, de se développer.
Le fonds de participation des habitants qui permet de soutenir des
micro-initiatives au sein des quartiers a été reconduit, et c'est une très
bonne chose. Les acteurs présents sur le terrain sont tout à fait acquis à
cette idée, mais certains sont encore un peu démunis quant aux modalités
techniques qu'elle demande. C'est pourquoi il me semble important de
communiquer davantage sur ce plan, monsieur le ministre.
Certains critiquent la part de votre budget réservée à la communication. En ce
qui me concerne, je ne la trouve pas excessive, au contraire. Il faut
communiquer et informer plus. La demande émane du terrain, les acteurs ont
beaucoup d'idées et ils attendent les informations et, surtout, les éléments
techniques nécessaires à la mise en oeuvre de leurs projets.
Pour ce qui est du financement, le guichet unique est une avancée réelle, mais
le versement des subventions est quelquefois tardif et il peut retarder la mise
en oeuvre de certains projets dont les initiateurs ne possèdent pas les fonds
suffisants. L'objectif de raccourcir encore les délais répond tout à fait aux
attentes des intéressés, mais ne serait-il pas possible d'aller encore plus
loin en avançant à certaines associations les fonds nécessaires à la
réalisation de leurs projets en début d'année ? Ce point particulier ne
pourrait-il pas faire l'objet d'une réflexion avec le ministre des finances
?
Monsieur le ministre, les crédits de la ville ont « explosé » et les projets
fleurissent de toutes parts. Il est nécessaire de coordonner les initiatives. A
ce sujet, je souhaite vous interroger sur la revalorisation de la fonction des
sous-préfets pour la ville, chargés de mettre en oeuvre votre politique dans
les départements les plus concernés. Suivront-ils à l'avenir une formation
particulière ? Pourront-ils passer outre les sous-préfets d'arrondissement pour
prendre des décisions ? Seront-ils des coordinateurs et les animateurs des
équipes intervenant dans le cadre des maîtrises d'oeuvre urbaines et sociales
?
Pour ce qui est de ces dernières, monsieur le ministre, je souhaite appeler
votre attention sur le statut des chargés de mission et des chefs de projets
recrutés dans ce cadre. Malgré le rapport rendu cet été par Mme Claude Brévan,
il semble que leur statut reste inchangé et que ces personnes restent confinées
dans la précarité de leur poste, à savoir un recrutement contractuel
reconductible d'une année sur l'autre, sans avancement ni plan de carrière.
Connaissant leur implication dans la politique de la ville et l'efficacité de
leur travail, je pense qu'il est grand temps, puisque le Gouvernement a décidé
d'inscrire son action dans la durée, de s'interroger sur la
professionnalisation des chargés de mission et des chefs de projet.
Concernant toujours les contrats de ville, vous connaissez, monsieur le
ministre, le rôle que jouent les appelés du contingent dans la politique de la
ville et l'apport significatif qu'ils représentent pour les petites
associations. Ils sont de moins en moins nombreux et vont totalement
disparaître avec la professionnalisation des armées et la fin de la
conscription le 31 décembre 2002. Aussi faudra-t-il les remplacer. La première
« solution » qui me vient à l'esprit est de les relayer par des emplois-jeunes.
Mais un problème peut se poser pour les associations qui n'ont pas les moyens
de couvrir les 25 % du salaire qui reste à la charge de l'employeur. Ce
financement résiduel pourrait-il être assuré par les crédits consacrés à la
politique de la ville ? Les associations concernées pourraient-elles déposer un
dossier, dans le cadre des contrats de ville, en vue d'obtenir, en plus de la
part de l'Etat, le financement résiduel de ces contrats, dans la mesure où
l'action effectuée par ces emplois-jeunes relève des priorités de la politique
de la ville ?
Avant de conclure, je dirai quelques mots sur le programme national de
renouvellement urbain, qui est aussi un volet important de votre politique.
Il s'illustrera, dans les années qui viennent, par des investissements massifs
pour transformer certains quartiers dont l'urbanisme est dépassé. Ces
investissements pourront se traduire non seulement par une amélioration du
cadre de vie, mais aussi par la réalisation d'équipements nouveaux, culturels
et sportifs, qui structurent la vie des cités et contribuent à une meilleure
qualité de vie au coeur des banlieues.
Ce programme s'illustrera également par le renforcement des services publics,
qui ouvrent le quartier à toute la ville. Je ne cesserai d'affirmer
l'importance d'une telle politique. La présence massive de services publics de
qualité au sein des grands ensembles, qu'il s'agisse de la poste, des
transports publics ou des écoles primaires, est une condition nécessaire pour
que le quartier urbain ne vive pas en circuit fermé. Ces services sont autant
de « passerelles » vers la ville, d'ouvertures vers le monde et de moyens pour
enrayer l'exode des habitants.
Monsieur le ministre, l'orientation de votre politique est excellente, la
coordination doit être à la hauteur. Nous vous faisons confiance, à vous-même
et au Gouvernement, pour atteindre ces objectifs ambitieux. C'est pourquoi le
groupe socialiste votera ce projet de budget sans hésiter.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à Mme Olin.
Mme Nelly Olin.
Monsieur le ministre, le Gouvernement a affiché la priorité qu'il entend
donner à la politique de la ville. Nous ne pouvons pas contester l'augmentation
significative de votre budget. Toutefois, je regrette qu'elle ne soit pas à la
hauteur de votre ambition. Connaissant votre volonté de redresser nos villes,
je reste persuadée que vous partagez mes regrets.
Cela dit, vous vous en doutez, de nombreuses remarques s'imposent, les mêmes,
pour la plupart, que l'an passé, je le déplore, car nous n'avons pas
l'impression d'être souvent entendus.
Le processus de délégation des crédits au préfet s'inscrit dans un mouvement
de déconcentration de l'Etat ; c'est une bonne chose, car les décisions seront
ainsi prises plus près du terrain.
Toutefois, ce progrès est assombri par la forte intensification des exigences,
en termes de procédures et de contrôles, que les acteurs locaux et les maires
que nous sommes comprennent d'autant moins que ces procédures de plus en plus
laborieuses et longues constituent un handicap certain pour l'aboutissement des
dossiers. Quant aux moyens, s'ils sont, certes, en augmentation, ils sont
extrêmement difficiles à mobiliser.
Les mécanismes traditionnels de la politique de la ville permettent une bonne
concertation entre les services de l'Etat, les élus et les associations. Il est
dommage que l'amplification des exigences de contrôles administratif et
financier donne aux élus le sentiment bien décourageant d'être en faute, de
jouer le rôle de quémandeurs quelque peu irresponsables dont l'Etat devrait
réfréner la tentation qu'ils ont d'utiliser de manière inconsidérée les deniers
publics.
Monsieur le ministre, ce sont pourtant bien les élus - je sais que vous en
avez conscience et que vous le reconnaissez -, en contact permanent avec les
acteurs locaux, qui peuvent juger s'il est bon de placer des animateurs dans
tel quartier ou de financer telle association.
Ce que nous gagnons aujourd'hui en déconcentration des décisions, nous le
perdons en lourdeur des règles d'instruction et de notification des
financements.
L'engagement et la motivation des services locaux de l'Etat ne sont pas en
cause ; ils sont, eux aussi, confrontés aux difficultés que nous
rencontrons.
Je suis donc amenée à vous demander s'il existe une réelle volonté au niveau
national de voir se concrétiser sur le terrain les crédits de la politique de
la ville.
Il est grand temps que l'Etat modernise son fonctionnement et ses procédures.
Il y va de la crédibilité de l'action publique dans son ensemble.
Monsieur le ministre, lorsque cette dernière est mise en péril par les
lourdeurs de l'Etat, ce sont les élus qui sont en première ligne pour faire
face au mécontentement et au découragement bien légitimes de nos
concitoyens.
Les maires éprouvent donc de grandes difficultés à concrétiser sur le terrain
les projets du Gouvernement, fussent-ils positifs.
Je prendrai pour exemple les grands projets de ville, qui succèdent aux grands
projets urbains. Sur un même projet, le financement peut provenir à la fois de
l'Etat, de la région, du département, de l'Europe et, bien sûr, des
collectivités locales qui, pour certaines, ne se sont toujours pas prononcées
sur leurs intentions et leur mode d'intervention.
Les grands projets de ville restent, on l'a dit, financés pour une part par
les communes qui n'en ont pas toujours les moyens puisqu'ils s'adressent par
définition à des villes en difficulté ! La part communale reste encore bien
trop lourde, et nombreux sont malheureusement les projets mis en attente faute
de moyens.
La complexité du système de financements croisés nous amène parfois à faire
appel à de véritables bataillons de spécialistes pour préparer et suivre les
mêmes dossiers dans un dédale de circuits administratifs dont je renonce à vous
décrire l'ampleur !
M. Gérard Larcher,
rapporteur pour avis.
C'est vrai !
Mme Nelly Olin.
Au demeurant, ces spécialistes coûtent fort cher aux villes. On serait mieux
avisé de les utiliser pour ce qui est leur fonction première !
Ce système est d'autant plus générateur de déperdition de temps, d'énergie et
de compétences que l'Etat s'est avisé, depuis peu, de demander systématiquement
les preuves écrites des accords des autres financeurs avant de confirmer son
propre accord.
Vous imaginez, monsieur le ministre, à quoi cette nouvelle rigidité risque de
conduire si chaque financeur se met à exprimer les mêmes exigences ! Les
décisions n'étant jamais simultanées, chacun pourra différer à l'infini son
engagement en s'abritant derrière les lenteurs des autres !
A force de complexité et de délais trop importants dans le processus
d'élaboration et d'instruction des dossiers, les actions sont engagées en
fonction non plus du seul intérêt général, qui devrait être le seul guide, mais
des aléas et des mécanismes opaques inhérents au fonctionnement des services
!
La concertation et le dialogue avec les citoyens s'apparentent aujourd'hui à
un véritable exercice de haute voltige pour lequel les élus doivent présenter
des actions et prendre des engagements sans en maîtriser la faisabilité dans le
temps, celle-ci étant subordonnée aux mécaniques totalement aléatoires des
processus de financement de l'Etat.
Monsieur le ministre, comment la démocratie locale peut-elle fonctionner si un
maire n'est pas en mesure de donner la moindre information quant au délai dans
lequel des travaux de réhabilitation d'un centre social - c'est un exemple
parmi d'autres - seront effectivement autorisés par la trésorerie générale ?
M. Gérard Larcher,
rapporteur pour avis.
Eh oui !
Mme Nelly Olin.
Quelle crédibilité les élus ont-ils vis-à-vis des habitants et des entreprises
si les projets les plus simples traînent des mois et des mois avant d'être
finalement rejetés pour des raisons que seuls des spécialistes aguerris peuvent
comprendre ? Malheureusement, ces spécialistes ne sont plus là quand il faut
s'expliquer dans les réunions de quartier et prendre de nouveaux engagements
devant les citoyens ou les entreprises !
M. Paul Blanc,
rapporteur pour avis.
C'est vrai !
Mme Nelly Olin.
Chacun comprendra que la simplification s'impose d'urgence, car la politique
de la ville doit être souple, rapide et efficace pour trouver une application
concrète sur le terrain.
Monsieur le ministre, votre projet de budget, certes ambitieux, n'est pas
assez imaginatif, et l'incitation à la mobilisation des acteurs privés demeure
le parent pauvre, ce qui, j'en suis convaincue, pénalise bon nombre de grands
projets.
Le problème des zones franches urbaines ayant été abordé, je ne serai pas
redondante.
La mise en place du pacte de relance par Alain Juppé a bien fonctionné. Je
constate que, d'ailleurs, vous revenez sur vos propos des débuts, qui m'avaient
profondément choquée puisque vous attaquiez les zones franches. Il en est qui
marchent bien. Je sais que vous êtes un honnête homme...
MM. Gérard Larcher et Paul Blanc,
rapporteurs pour avis.
Oh oui !
Mme Nelly Olin.
... et que vous saurez reconnaître ce qui va et ce qui ne va pas.
Aujourd'hui, vous connaissez l'inquiétude des entreprises, celles qui sont
déjà en zone franche comme celles qui voudraient y venir, et des élus qui en
bénéficient. Quelles mesures allez-vous, d'une manière précise, nous annoncer
?
M. Gérard Larcher,
rapporteur pour avis.
Très bien !
Mme Nelly Olin.
Dans les villes où le dispositif relatif aux zones franches a bien fonctionné
c'est-à-dire dans la plupart d'entre elles, nous devons poursuivre le
redressement du volet économique qui, seul, permettra de résorber le chômage
des jeunes dans nos quartiers.
Il faut savoir aussi que les entreprises privées garantissent aujourd'hui des
emplois durables, mais les moyens que vous leur accordez ne sont pas à la
hauteur des enjeux.
La politique de la ville a besoin de toutes les énergies ; elle ne peut pas se
limiter au champ clos des acteurs publics. Il faut l'ouvrir largement aux
acteurs privés et savoir dépasser les préjugés des gouvernements de gauche qui
veulent faire croire que l'argent public est forcément mal utilisé, voire
dévoyé, par les acteurs privés.
M. Alain Joyandet,
rapporteur spécial,
MM. Gérard Larcher et Paul Blanc,
rapporteurs pour avis.
Très bien !
Mme Nelly Olin.
Pour la première fois en Ile-de-France, les fonds structurels européens vont
être mobilisés au profit d'opérations privées contribuant à l'intérêt des
quartiers.
Le gouvernement français devrait s'inspirer des institutions européennes et
ouvrir la possibilité, aujourd'hui exclue, de mobiliser des subventions comme
incitations aux projets privés et ainsi augmenter la richesse et les emplois au
profit des quartiers en difficulté et de leurs habitants. L'Etat et les
collectivités, mais surtout les populations, s'y retrouveront, ainsi qu'en
témoigne la réussite des zones franches.
Ne soyons pas hypocrites, nul n'a envie de se promener dans un quartier sans
vie. Ce ne sont, hélas ! ni les adjoints de sécurité, ni les agents de
médiation, ni les « adultes-relais » qui feront revivre, par exemple, nos
centres commerciaux.
Toutefois, il y a des évolutions positives, et je me réjouis que certains
tabous soient tombés s'agissant des opérations de « démolition-reconstruction
».
Je mettrai cependant un bémol : je souhaite que les opérations de démolition
ne s'accompagnent pas systématiquement d'opérations de reconstruction. Ne
répétons pas les erreurs du passé ! L'échec des quartiers de nos banlieues
trouve sa cause dans une urbanisation massive. Aujourd'hui, ayons le courage de
dire quand il faut démolir et ne nous sentons pas obligés de reconstruire.
Ayons recours aussi aux « résidencialisations pieds d'immeuble », qui, à mon
avis, permettent de rendre les quartiers difficiles plus attrayants pour leurs
habitants.
Si nous voulons que la politique de la mixité sociale réussisse, nous ne
devons pas pérenniser les erreurs du passé.
Monsieur le ministre, compte tenu de ces observations fondées sur des constats
et de ces interrogations sur des simplifications du système - et je crois avoir
attiré votre attention de manière alarmiste - ainsi que des attentes de
nombreux maires, je me rangerai à la position de sagesse de la commission et, à
titre personnel, je m'abstiendrai sur ce projet de budget, qui, s'il affiche
une volonté certaine, manque encore d'ambition et de moyens.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Chabroux.
M. Gilbert Chabroux.
Monsieur le ministre, c'est le troisième budget que vous nous présentez. Les
années se suivent et chacune d'elles apporte des mesures nouvelles et des
moyens fortement majorés.
En 1999, les crédits spécifiques de votre ministère progressaient de 32 %,
franchissant ainsi le cap symbolique du milliard de francs.
En 2000, la nouvelle progression étant de 10 %, votre budget était celui qui
augmentait le plus. Mais certains de nos collègues restaient dubitatifs : cela
allait-il durer ou ne s'agisssait-il que d'un effet d'annonce ?
Ils devraient trouver, dans le projet de budget que vous présentez pour 2001,
des réponses à leurs attentes. En effet, il progresse de 70 % pour atteindre
2,4 milliards de francs. Jamais il n'a connu une telle progression ! Jamais la
volonté de promouvoir et de réaliser une politique de la ville n'a été aussi
active !
La commission des affaires sociales et son rapporteur, notre collègue Paul
Blanc, en ont été troublés et ont demandé un temps de réflexion. Comment
pourraient-ils rejeter un tel budget ? C'est difficile...
M. Paul Blanc,
rapporteur pour avis.
Non !
M. Gérard Larcher,
rapporteur pour avis.
Il va y arriver !
M. Gilbert Chabroux.
..., d'autant que M. le rapporteur reconnaît que, « pour la première fois, ce
budget va de pair avec la mise en oeuvre d'orientations et de mesures nouvelles
au titre de la politique de la ville par le gouvernement de M. Lionel Jospin ».
Notre collègue Paul Blanc a donc souhaité se concerter plus avant avec les
rapporteurs de la commission des finances et de la commission des affaires
économiques avant de donner un avis définitif.
M. Paul Blanc,
rapporteur pour avis.
Tout à fait !
M. Gilbert Chabroux.
S'il y a eu autant d'hésitations, c'est la preuve, monsieur le ministre, que
votre budget va dans le bon sens et, mieux, que c'est un bon budget.
Ce budget marque un tournant de la politique de la ville en associant
renouvellement urbain et revitalisation économique. Il convient de l'analyser
en tenant compte aussi de la loi relative à la solidarité et au renouvellement
urbains, la loi SRU, qui devrait s'appliquer dès le 1er janvier prochain.
Ainsi que le constate notre collègue Paul Blanc,...
M. Paul Blanc,
rapporteur pour avis.
Encore !
M. Gilbert Chabroux.
Je cite les bons auteurs...
M. Paul Blanc,
rapporteur pour avis.
Je vous en remercie !
M. Gilbert Chabroux.
Comme le constate notre collègue Paul Blanc, disais-je, avec cette loi, le
Gouvernement disposera de tous les instruments de sa nouvelle politique de la
ville.
Je n'interviendrai pas sur le volet du renouvellement urbain car beaucoup de
choses ont déjà été dites sur ce sujet, particulièrement par Gisèle Printz.
Je voudrais en revanche insister sur le développement économique des quartiers
sensibles. Nous savons tous que la croissance a du mal à pénétrer dans ces
quartiers. Elle ne profite que très peu aux publics les plus en difficulté. De
ce fait, le fossé se creuse avec le reste de la population et le risque est
grand d'engendrer de fortes tensions.
Nous ne pouvons pas laisser sur le bord de la route ces publics, jeunes et
moins jeunes, qui ont le droit, eux aussi, de profiter de la croissance
retrouvée. Il ne peut pas y avoir de ville à deux vitesses, il faut lutter
contre la fracture urbaine. Il y a un problème de cohérence sociale au niveau
de chaque agglomération.
Bien sûr, tout le monde tient à peu près le même discours, mais les moyens
divergent. La droite ne voit de salut que dans les zones franches urbaines et
les allégements de fiscalité.
Mme Nelly Olin.
Eh oui, c'est la réalité !
M. Gilbert Chabroux.
Certaines zones franches, il est vrai, ont favorisé la création d'emplois. La
croissance y a sans doute eu une part importante, mais l'implantation
d'entreprises dans ces zones est toujours bénéfique, surtout si cette
implantation est accompagnée d'un recrutement local. Toutefois, dans
l'ensemble, force est de reconnaître que la situation ne s'est pas sensiblement
améliorée et que, trop souvent, les habitants des quartiers n'ont pas
réellement profité des avantages très importants concédés aux entreprises.
M. Alain Joyandet,
rapporteur spécial.
C'est faux !
M. Gilbert Chabroux.
Vous proposez, monsieur le ministre, de nouvelles actions pour favoriser la
revitalisation économique des quartiers avec, sans doute, des aides fiscales
mais aussi des aides sociales.
Seront ainsi accordées une prime supplémentaire pour toute embauche d'un
demandeur d'emploi habitant le quartier de même que des exonérations pendant
trois ans de 50 % des charges sociales pour les emplois créés en zone de
redynamisation urbaine. En outre, un fonds de revitalisation économique est
créé pour aider le commerce de proximité, les artisans, les entreprises déjà
installées dans le quartier. Nous devrions tous être d'accord avec de telles
mesures !
De même, nous devrions l'être avec la création et la mise en place d'équipes
emploi-insertion qui auront pour mission de rétablir le lien entre les
habitants et les services d'appui à l'emploi en portant l'information au coeur
des quartiers et en créant un partenariat étroit avec les différents acteurs
qui oeuvrent au quotidien pour l'insertion dans la ville.
Enfin, toujours pour développer l'accès à l'emploi et le lien social, vous
proposez de recruter, sur trois ans, 10 000 « adultes-relais ». Ces postes sont
destinés aux chômeurs hommes ou femmes, de plus de trente ans habitant dans les
quartiers. Le rapporteur de la commission des affaires sociales a vu dans ce
dispositif « le risque de conduire à un enfermement des banlieues sur
elles-mêmes, comme des Indiens dans une réserve ». C'était une citation, mais
elle pouvait être révélatrice d'une certaine attitude par rapport aux
populations des quartiers défavorisés. Ainsi que vous l'avez dit, monsieur le
ministre, nous avons, en fait, une dette envers ces populations qui ont été
lourdement touchées par la crise et qui ont été, en quelque sorte, assignées à
résidence. Les « adultes-relais » devraient permettre de favoriser le dialogue,
créer un lien social, résoudre les conflits mineurs de la vie quotidienne et
améliorer la qualité de vie sociale dans ces quartiers.
Ce dispositif présente, en outre, le très gros avantage de s'appuyer sur les
associations et les organismes comme les offices d'HLM, qui auront la
responsabilité de recruter. Il est important de mobiliser les associations qui
agissent au plus près de la réalité des quartiers.
Une autre critique porte sur la part de financement qui incombe aux
collectivités territoriales, par exemple pour les opérations «
ville-vie-vacances ». Les collectivités locales seraient considérées par l'Etat
comme « une variable d'ajustement » pour combler les dépenses.
Mais comment les villes pourraient-elles ne pas participer au financement de
projets ou d'actions qui les concernent au premier chef, surtout au moment où
elles revendiquent une plus grande autonomie ? De plus, l'échelle qui est
maintenant celle de l'agglomération tout entière permet de faire jouer la
solidarité intercommunale. Les départements même ont souhaité s'associer à la
politique de la ville et participent à son financement. Et n'oublions pas les
régions et les contrats de plan Etat-régions, qui jouent un rôle déterminant
!
Il faut aussi souligner que la dotation de solidarité urbaine s'est fortement
accrue ces dernières années. Elle a augmenté de 45 % en 1999 et de 14 % en
2000. Elle devrait augmenter encore, car c'est une dotation de péréquation.
L'Etat devrait mieux dimensionner son aide et la moduler, en prenant en compte
l'importance relative des problèmes locaux.
Monsieur le ministre, la politique de la ville date d'une bonne quinzaine
d'années, de vingt ans même. Elle avait fini par s'essouffler. Vous avez su, en
trois années, nous présenter des budgets d'impulsion et d'innovation, des
budgets pour un nouvel élan. Non seulement les crédits sont en très forte
hausse, mais des projets se dessinent et se réalisent. Ils doivent permettre de
faire de la ville un lieu d'échanges et de bien vivre, une ville faite pour
l'homme.
Mme Nelly Olin.
C'est cela !
M. Gilbert Chabroux.
Bien entendu, le groupe socialiste salue l'action que vous menez ; il vous
apportera tout son soutien pour que vous puissiez mettre en oeuvre cette
politique et donner une nouvelle ambition aux villes.
(Applaudissements sur
les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain
et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Eckenspieller.
M. Daniel Eckenspieller.
Monsieur le ministre, ce sont les crédits de votre ministère qui connaissent
la plus forte progression même si, en valeur absolue, les moyens financiers
dont vous disposez en propre restent malgré tout modestes par rapport à
l'ampleur des problèmes posés.
Les acteurs de la politique de la ville sont, en principe, en ordre de marche,
puisque, à l'issue d'une concertation qui aura été longue, coûteuse et
complexe, les 247 contrats de ville, le 50 grands projets de ville et les 30
opérations de renouvellement urbain sont tous signés ou en voie de l'être.
Et pourtant, il faut bien en convenir, les acteurs de terrain restent
sceptiques.
Ils restent sceptiques, parce que, au quotidien, ils voient autour d'eux
s'aggraver les tensions et se multiplier les problèmes.
Ils restent sceptiques, encore et surtout, à cause de la lourdeur des
dispositifs, du rôle excessif qu'y joue l'appareil administratif, de la très
faible marge de manoeuvre laissée aux véritables artisans de la reconquête de
la ville, de l'échelle souvent peu pertinente à laquelle on entend résoudre les
problèmes, à cause enfin, des solutions trop stéréotypées proposées pour des
situations dont la diversité est considérable.
Le problème de fond qui se trouve posé est, en fait, celui de la maîtrise
d'oeuvre de la conduite de la politique de la ville.
Dans le dispositif mis en place, tout démontre qu'il n'y a, de la part de
l'Etat, ni véritable volonté de subsidiarité, ni même parfois de confiance
suffisante.
L'Etat réussit-il tellement mieux dans les domaines qui relèvent de sa pleine
compétence ?
Réussit-il en matière d'enseignement, de sécurié, de justice, de santé
publique, de gestion des prisons ?
Et n'oublions pas que les énormes ensembles immobiliers, qui nous posent tant
de problèmes, sont l'héritage d'une période du tout-Etat en matière de
réalisation de logements sociaux !
Les réussites en matière de reconquête urbaine sont toujours le résultat d'une
détermination et d'un engagement exceptionnels des élus locaux et des acteurs
de terrain.
C'est à eux qu'il conviendrait de donner, à travers des mesures de
simplification, de liberté, de responsabilité, les moyens de réussir là où - il
faut bien le reconnaître -, l'Etat a largement échoué.
C'est à eux aussi qu'il faudrait laisser l'évaluation de l'échelle de leur
action qui, certes, doit s'inscrire dans une certaine cohérence par rapport à
un large bassin de vie, mais qui est d'abord du « cousu main », au jour le
jour, et au plus près, loin des aréopages pléthoriques où le verbe est roi, où
l'on empile les études et où l'on fait dans la prospective alors que
l'actualité se nourrit surtout de l'imprévisible.
Il convient d'évoquer aussi les énormes obstacles que continuent de rencontrer
celles et ceux qui se battent sur le front de l'insertion professionnelle des
personnes en grande difficulté alors que l'embellie économique est en train de
creuser dramatiquement les écarts.
Les contrats emplois-solidarité et les contrats emplois consolidés sont de
plus en plus difficilement accessibles. Dans mon département, leur nombre a été
réduit de 30 % en une année.
Quant aux entreprises d'insertion - outils remarquables pour accompagner vers
« l'employabilité » des personnes qui en sont éloignées - elles se débattent
dans des difficultés énormes. Les services de l'Etat recensent vers le mois
d'octobre leurs besoins en matière de financement. Ces services ne sont en
mesure de leur indiquer leur dotation pour l'année en cours qu'au second
semestre, alors que le versement des fonds n'intervient qu'à la fin de l'année,
voire au début de l'année suivante. Les actions ont donc été conduites et
préfinancées par des entreprises qui travaillent dans des conditions
suffisamment difficiles pour que ne s'y ajoutent pas encore cette incertitude
et cette précarité.
Je voudrais souligner, ensuite, le paradoxe qui a conduit à mettre en place
des programmes intercommunaux de l'habitat et des conférences intercommunales
du logement, alors même que la loi relative à la solidarité et au
renouvellement urbains conduit à apprécier le quota de logements sociaux
commune par commune.
Outre le fait que, dans certains cas, la loi sera inapplicable pour de simples
raisons matérielles, elle accélérera des effets pervers, dont certains se
produisent dès à présent.
Dans les ensembles les plus difficiles, les familles qui auront, grâce à la
reprise, vu s'améliorer leur situation s'empresseront de quitter le quartier,
où elles seront remplacées par de plus démunies. On verra donc s'accentuer
encore la ghettoïsation et, ce qui est souvent son corollaire, le
communautarisme.
Aussi convient-il de saluer comme une mesure positive l'accroissement des
crédits destinés à la démolition, puisque son rythme doit passer à environ 10
000 opérations par an.
Il n'en reste pas moins que ces opérations chirurgicales lourdes laissent à la
charge des communes - souvent les plus pauvres - des montants résiduels
considérables.
Dans notre ville, deux tours de soixante logements chacune ont été libérées,
puis démolies. La dette communale s'en trouve accrue de 15 millions de francs,
soit l'équivalent annuel du produit cumulé de la taxe d'habitation et de la
taxe foncière de la ville.
Comment, avant de conclure, ne pas évoquer les problèmes de violence urbaine
pour lesquels, manifestement, le dispositif existant n'apporte aucune
amélioration.
M. Gérard Larcher,
rapporteur pour avis.
C'est vrai !
M. Daniel Eckenspieller.
Dans la communauté urbaine de Strasbourg, malgré une intercommunalité
totalement intégrée, malgré un contrat de ville, malgré un contrat local de
sécurité, les incendies de voitures ont augmenté de 36 % en un an : si on les
plaçait pare-chocs contre pare-chocs, les 1 600 voitures incendiées depuis le
début de l'année feraient une file de plus de six kilomètres de long !
Les vols avec violence ont augmenté, pendant la même période, de 32 %.
Il faudrait également évoquer la violence dans les établissements scolaires,
dans les transports en commun, dans les stades, dans les centres commerciaux et
autres lieux publics.
Quelle idée peut se faire, de la protection qui lui est accordée par la
puissance publique, le citoyen ou la citoyenne qui découvre, chaque matin, dans
son quotidien, le récit des exactions de la nuit précédente ?
Quelle est, en l'occurrence, la réponse de l'Etat ? Quinze centres de
placement immédiat pour tout le territoire national, des adjoints de sécurité
pour remplacer, au moins provisoirement, les policiers partant à la
retraite.
Qui peut croire que la reconquête de la paix civile se suffira de tels moyens
?
Que l'Etat remplisse d'abord pleinement et efficacement les missions qui sont
les siennes et qu'il donne, pour le reste, aux responsables locaux les moyens
de conduire, de la manière qui leur paraît la plus adaptée à la situation du
lieu et du moment, les actions à travers lesquelles se renoue le lien social,
se construit l'intégration, se réinsèrent les personnes en déshérence et se
retrouve l'équilibre de nos cités !
(Applaudissements sur les travées du
RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste. - M. Lagauche
applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Claude Bartolone,
ministre délégué à la ville.
Monsieur le président, messieurs les
rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, le contexte nouveau de
croissance et la volonté du Premier ministre ont profondément changé le sens de
la politique de la ville que je coordonne au sein du Gouvernement. De politique
de solidarité conçue pour amortir dans les quartiers populaires les effets de
la crise dans les quartiers populaires, elle devient une politique de
développement pour remettre à niveau les territoires à la dérive et prévenir
l'émergence de nouveaux ghettos.
Cette nouvelle ambition de développement solidaire bénéficie depuis deux ans
de moyens qui sont davantage à la mesure des enjeux, et les premiers résultats
sont déjà visibles.
Le premier budget que je vous ai présenté proposait pour 1999 une augmentation
de 32 %, de façon à ajuster les moyens mis à la disposition des acteurs des
contrats de ville, restés stables pendant des années malgré la progression de
l'exclusion sociale et urbaine.
Le budget de 2000, à travers une nouvelle augmentation de 40 %, visait à la
fois à simplifier des financements jusque-là éparpillés sur les budgets de
plusieurs ministères, - mais je reconnais qu'il reste beaucoup à faire en la
matière - et à préparer le changement d'échelle de la politique de la ville
programmé dans les contrats de ville 2000-2006.
Pour 2001, je vous propose de consolider ces acquis à travers une hausse de 8
%, à périmètre constant, des moyens consacrés au « coeur de métier » du
ministère, à savoir les actions menées dans le cadre des contrats de ville et
destinées à améliorer la vie quotidienne des habitants des quartiers les plus
en difficulté.
En plus de cette augmentation, de nouveaux dispositifs vont compléter la
palette d'intervention de mon ministère en matière de renouvellement urbain,
d'emploi et de revitalisation économique. Il vous est donc proposé d'accroître
mon budget de 70 %, pour le porter à 2,4 milliards de francs.
Ces moyens permettront de poursuivre et d'amplifier l'effort engagé depuis
deux ans, qui est conforté par de premiers indices de réussite.
J'aimerais revenir sur les trois objectifs principaux de cet effort :
conforter les acteurs de la politique de la ville ; lancer le renouvellement
urbain à grande échelle ; faire profiter les habitants de la croissance.
Conforter les moyens des acteurs dans les quartiers est ma première priorité,
car il ne faut jamais oublier que cette politique repose d'abord sur des
milliers d'élus, de fonctionnaires, de travailleurs sociaux, de professionnels
de terrain ou de bénévoles associatifs. Il s'agit donc d'ajuster les moyens des
nouveaux contrats 2000-2006, pour intensifier les actions en matière de
sécurité ou d'éducation, par exemple. Ces moyens sont donc accrus de 89
millions de francs, enregistrant ainsi une augmentation de 8 %.
Cet abondement permettra également de répondre à la nécessité de concentrer
les moyens dans les quartiers où les problèmes sont particulièrement aigus,
tout en prenant en compte la dimension intercommunale nouvelle de cette
politique.
Cet objectif se traduit également par la création d'une nouvelle ligne de 15
millions de francs pour favoriser les innovations sociales, dans des domaines
clés pour la politique de la ville comme la santé, la famille ou la culture.
Je poursuivrai avec ténacité le chantier de la simplification des procédures
en 2001, afin de permettre aux acteurs locaux, notamment les associations, de
bénéficier plus rapidement des crédits disponibles. Je vous sais, comme moi,
particulièrement attentifs à ce point. A ma demande, une mission parlementaire
vient d'ailleurs d'être confiée par le Premier ministre au député Jean-Claude
Sandrier sur le partenariat avec les associations. Ses propositions prendront
un relief particulier l'année où nous célébrerons le centenaire de la loi de
1901.
Mme Hélène Luc.
Très bien !
M. Claude Bartolone
ministre délégué.
Les professionnels de la politique de la ville
continueront également d'être confortés, à travers l'action de la délégation
interministérielle à la ville, dont les moyens sont stables, et la création de
l'Institut des villes, qui sera l'instrument des élus et de l'Etat pour faire
avancer la réflexion sur la gouvernance urbaine dans notre pays.
De nouveaux intervenants sont apparus dans la politique de la ville au cours
des deux dernières années, par exemple à travers le programme emploi-jeunes,
mais aussi avec le développement progressif du programme adultes-relais ou
l'installation de délégués de l'Etat dans les quartiers, de délégués du
Médiateur de la République et, prochainement, de volontaires civils.
Les missions de chef de projet de contrat de ville et, demain, directeur de
grand projet de ville nécessitent des profils de plus en plus complets.
Parallèlement, les travailleurs sociaux ou les agents des services publics ont
été amenés à faire évoluer sensiblement leurs pratiques professionnelles.
Ces « nouveaux métiers » ont fait l'objet d'un rapport confié à Claude Brevan
et Paul Picard. Leurs propositions, qui m'ont été remises il y a quelques
semaines, pour mieux les reconnaître, les pérenniser et les professionnaliser,
seront mises en oeuvre. Les efforts de formation seront intensifiés pour ces
professionnels, et de manière particulière pour les agents publics de l'Etat.
C'est ainsi que le programme de formation interministérielle et partenariale de
mon ministère bénéficiera de 25 millions de francs de moyens nouveaux en
2001.
Je voudrais revenir un instant sur la philosophie du programme de 10 000 «
adultes-relais », qui mobilisera 300 millions de francs dans le budget de mon
ministère en 2001. Il ne s'agira en aucun cas d'une mesure de traitement social
du chômage comme il a pu en exister par le passé ; il ne s'agit pas non plus
d'« emplois-vieux », comme il y a des emplois-jeunes. L'enjeu est de conforter
les processus de médiation et de développer la présence des adultes et des
parents dans ce que l'on pourrait appeler une « veille éducative ».
Permettez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, de m'attarder quelques
instants sur les divers métiers de la médiation, tous les métiers de la
médiation : « adultes-relais », agents locaux de médiation sociale, délégués du
Médiateur.
La politique de la ville ne vise pas du tout à confiner les habitants dans une
réserve. Elle est au contraire à l'avant-garde, dans l'ensemble du pays, d'un
renouveau du mode de régulation des problèmes sociaux. Dans un certain nombre
de quartiers, qui sont socialement équilibrés, les difficultés sont moindres y
compris au regard de la médiation, simplement parce que, lorsqu'on maîtrise la
langue, lorsqu'on est mieux intégré dans notre culture, il est beaucoup plus
aisé d'aller rencontrer son sénateur, son député, son maire, son conseiller
général. En revanche, dans d'autres de nos quartiers populaires, pour celles et
ceux qui sont le plus en difficulté sociale, ce simple geste en direction des
élus, ou en direction des guichets de toutes sortes, représente un énorme
effort. Je crois que l'ensemble des métiers de la médiation permettront de
réintroduire ce lien social dans ces quartiers-là.
Lancer le renouvellement urbain à une vaste échelle sera la deuxième grande
priorité de mon action.
Le programme national de renouvellement urbain, lancé lors du conseil
interministériel des villes du 14 décembre 1999, permettra d'amplifier et de
coordonner les efforts dans cinquante sites en grand projet de ville, ou GPV,
et dans trente sites bénéficiant d'une opération de renouvellement urbain.
La loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, qui vient d'être
votée, donne à ce programme la perspective politique de rééquilibrer nos
agglomérations pour renforcer la mixité sociale, casser les ghettos qui se sont
formés dans notre société urbaine et prévenir en amont les pulsions
séparatistes qui la travaillent.
Le tabou de la démolition est en train de sauter, et c'est une première
satisfaction pour moi. En effet, si la destruction d'une tour ou d'une barre
signe l'échec d'une forme inadaptée d'urbanisme, elle devient aussi, pour les
habitants, la promesse d'une vie meilleure.
Pour que cette promesse ne soit pas trop lointaine, j'ai insisté sur la
nécessité de prévoir, dans la phase de préparation et de mise en oeuvre, des
formes nouvelles de participation des habitants et de combiner les
interventions sur l'urbanisme avec des actions à plus court terme sur la vie
quotidienne des habitants. Les élus et les acteurs de terrain ont su produire
dans des délais très courts des projets ambitieux et de qualité.
Dans ces conditions, le programme de renouvellement va prendre très vite
l'ampleur nécessaire. Je vais signer dans les prochains jours les premières
conventions de sites en GPV, et les crédits de mon budget - 485 millions de
francs d'autorisations de programme,78 millions de francs de crédits de
paiement et 90 millions de francs de fonctionnement - seront immédiatement
disponibles. Ces crédits prennent également en compte les besoins en
ingénierie, ainsi qu'une aide spécifique de 70 millions de francs au bénéfice
du budget des communes les plus pauvres.
Enfin, la priorité de mon action restera de faire profiter les habitants de la
croissance, mais ce budget tend à la renforcer. Le risque était grand, en
effet, pour les habitants des quartiers populaires, de voir redémarrer sans eux
le train de la croissance. C'est donc devenu l'axe prioritaire de ma politique
dès 1998, à travers, par exemple, l'objectif de 20 % des emplois jeunes et 25 %
des parcours TRACE pour les quartiers, le développement des plans locaux
d'insertion par l'économique ou la lutte contre les discriminations. Cet effort
commence à produire des résultats depuis quelques mois, et le chômage baisse
dans la plupart des quartiers dans les mêmes proportions que sur le reste du
territoire.
J'ai demandé aux missions locales et aux différents services de l'emploi de me
remettre un rapport. Tous reconnaissent aujourd'hui que, si ce sentiment
n'existait pas voilà encore un an dans les quartiers, depuis le mois de mai
dernier, les choses bougent, et parfois de manière très spectaculaire.
Mme Hélène Luc.
C'est vrai !
M. Claude Bartolone,
ministre délégué.
La mission locale et l'ANPE de Stains, en particulier,
me signalent un recul de 30 % du chômage.
Les choses bougent, y compris dans les têtes. J'étais voilà quelques jours à
Strasbourg. Le préfet m'a signalé que le conseil économique et social d'Alsace,
qui se préoccupe aujourd'hui des emplois non pourvus, a réalisé une étude tout
à fait intéressante dans laquelle, pour la première fois, sont mis en avant les
problèmes terribles de ségrégation à l'embauche qui se posent dans cette ville
et dans toute la région.
Monsieur Eckenspieller, j'ai bien entendu ce que vous avez dit sur les
violences inadmissibles que connaît aujourd'hui Strasbourg. Je ne veux pas
spécialement mettre en avant des excuses psychologiques ou sociales, mais vous
conviendrez avec moi que, lorsque dans une région ou dans une ville comme la
vôtre le taux de chômage global approche 4 %, alors que, dans certains
quartiers de la même ville ou de la même région, il reste à 30 %, il y a tout
de même un problème ! De tels chiffres portent en eux les germes de la
violence.
J'ai eu l'occasion de m'en entretenir avec le préfet. Celui-ci est conscient
que, au-delà des postes de policiers supplémentaires, qui sont nécessaires, il
faut aussi réfléchir, en particulier avec les conseils généraux, aux problèmes
spécifiques que pose le fait que les auteurs d'actes de délinquance sont de
plus en plus jeunes ! En réalité, ce sont surtout des postes de travailleurs
sociaux qu'il faut créer, parce que la réponse à apporter, notamment dans le
cas de ces très jeunes délinquants, ne peut être seulement celle de
l'enfermement. Mais je reviendrai sur ce point à la fin de mon intervention.
Pour s'attaquer au noyau dur du chômage et résorber ainsi l'écart préoccupant
qui demeure dans les taux d'emploi, il faudra aller encore plus loin en 2001.
C'est le sens de mesures comme la mise en place dans les quartiers de 150
équipes emploi-insertion, articulées avec le service public de l'emploi, qui
bénéficieront de 20 millions de francs en 2001, et la poursuite des efforts de
formation, notamment en direction des plus jeunes, et de lutte contre les
discriminations.
La revitalisation économique des quartiers sera une dimension nouvelle de la
politique de la ville à partir de 2001, pour diversifier des quartiers conçus
comme des cités-dortoirs, contribuer au développement de l'activité, redonner
une valeur aux territoires les plus défavorisés et attirer les investisseurs
privés dans le sillage des investissements publics.
La panoplie à la disposition des acteurs reposera désormais sur deux types
d'outils : des exonérations fiscales et sociales dans un dispositif unique et
simplifié seront mises en place à partir de 2002 dans les 416 zones de
redynamisation urbaine, offrant ainsi une suite au dispositif des zones
franches urbaines ; un fonds de revitalisation économique, créé par la loi
relative à la solidarité et au renouvellement urbains, permettra, dans une
géographie plus large, d'aider les créateurs d'entreprise, les investisseurs et
le tissu économique existant. Ce fonds sera doté de 500 millions de francs en
2001, dont 375 millions de francs de subventions disponibles.
La diversité des outils de revitalisation économique permettra de répondre aux
besoins spécifiques de chaque projet de territoire. Je voudrais rappeler, à ce
sujet, que le Gouvernement n'a pas souhaité mettre fin avant le terme prévu à
l'expérience des quarante-quatre zones franches.
Effectivement, j'ai été dur avec les zones franches, mesdames, messieurs les
sénateurs, mais il fallait que je le sois compte tenu de l'état dans lequel
j'ai trouvé ce dispositif. La première année, nous l'avons « moralisé ». Nous
avons demandé, comme l'avait réclamé le Sénat, des rapports qui nous
permettaient de savoir exactement ce qui ce passait dans les zones franches. De
l'examen effectué par ces trois commissions différentes il est ressorti - ce
qui est significatif - que, sur ces 44 sites 14 fonctionnaient mieux que les
autres et un tiers ne connaissait aucune modification, mais il s'agissait de
ceux qui avaient su faire de ces zones franches l'un des outils de la politique
de la ville. Les élus qui ont su conjuguer ces zones franches avec des
interventions sur le bâti, l'amélioration de la sécurité et les actions
sociales ont obtenu des résultats.
Comme j'ai eu l'occasion de le dire devant votre commission et ici même à la
tribune, il n'était pas question pour moi d'adopter un comportement manichéen :
la politique de la ville et ses acteurs ont besoin de temps et de durée.
M. Gérard Larcher,
rapporteur pour avis.
Eh oui !
M. Claude Bartolone,
ministre délégué.
Mais il était indispensable pour le Gouvernement de
corriger les défauts de ce dispositif en tenant compte de ses aspects positifs
afin d'essayer de les intégrer aux mesures que j'ai eu l'occasion de présenter
dans le cadre du projet de loi relatif à la solidarité et au renouvellement
urbains.
M. Gérard Larcher,
rapporteur pour avis.
On a voté le fonds de péréquation !
M. Claude Bartolone,
ministre délégué.
En ce qui concerne les zones franches, monsieur Gérard
Larcher, le dispositif sera prolongé de façon dégressive pendant trois ans. Le
système que le Gouvernement prépare permettra à plus de territoires de
bénéficier des acquis de la politique d'exonération, tout en disposant d'outils
plus ciblés, qui ont fait défaut dans les zones franches pour impulser de
véritables dynamiques de développement. Ces nouveaux outils seront promus à
l'occasion d'une campagne nationale de mobilisation qui s'ouvrira en janvier
prochain et associera le secteur privé.
Madame Olin, même si, dans un premier temps, il a fallu rééquilibrer cette
politique, lui donner enfin les moyens qu'aucun gouvernement avant celui-là ne
lui a donné, cette année, il me semble indispensable d'associer le secteur
privé à cette réflexion, parce que, en termes à la fois de terrain, de bras et
d'intelligence, les quartiers populaires sont parties prenantes.
Il est un point sur lequel je veux être très clair aujourd'hui. La semaine
dernière, un grand hebdomadaire a rouvert le débat sur l'immigration : «
Faut-il ou non reprendre l'immigration ? » Ce débat me paraît indécent eu égard
au taux de chômage qui existe encore dans nos quartiers populaires.
Il faut que les entreprises comprennent que si elles ont besoin de bras, s'il
faut changer les modes de formation, nous le ferons avec l'intervention des
régions et des pouvoirs publics. Mais on ne peut pas continuer à entendre ce
discours sur le manque de salariés quand autant de jeunes diplômés, quand
autant de jeunes motivés, quand des femmes et des hommes, parce qu'ils habitent
des quartiers populaires, parce qu'ils ont des parents issus de pays étrangers,
ou encore parce qu'ils ont une couleur de peau différente, donneraient
l'impression d'être condamnés à tout jamais au chômage.
(Applaudissements
sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur celles du groupe communiste
républicain et citoyen.)
M. Paul Blanc,
rapporteur pour avis.
Vous n'avez pas le monopole en la matière !
M. Claude Bartolone,
ministre délégué.
Je ne pense pas que ce soit une question de monopole !
Lorsque je lis dans le journal
Le Monde
un article de l'ancien premier
ministre, M. Juppé, qui est paru voilà quelques mois, attirant l'attention de
la collectivité nationale sur ce sujet, j'applaudis aussi ! En effet, cela
prouve que, sur un point comme celui-là, les lignes bougent et qu'il y a une
volonté non pas de se servir de la population immigrée ou de leurs enfants
comme repoussoirs, mais de renforcer la citoyenneté et la collectivité
nationale.
M. Gérard Larcher,
rapporteur pour avis.
On est tous d'accord sur ce point !
M. Claude Bartolone,
ministre délégué.
Au-delà du seul budget de mon ministère en 2001,
l'effort public global en faveur de la politique de la ville, tel qu'il est
récapitulé dans le « jaune », traduit une nouvelle étape dans la prise en
compte par les pouvoirs publics de la crise urbaine. Cet effort dépassera 40
milliards de francs en 2001. Il aura ainsi doublé depuis 1997, ce qui vous
montre le chemin parcouru.
Je suis un ministre de la ville qui souhaite renforcer ses moyens propres,
mais je ne veux pas donner l'impression aux autres grands ministères que l'on
augmente mes moyens à leurs dépens. En effet, le véritable gisement de la
politique de la ville, ce sont les crédits de droit commun. Notre objectif
commun, élus ou ministre de la ville, doit être de faire comprendre au
ministère de l'éducation nationale, au ministère de l'intérieur et au ministère
de la justice qu'ils doivent travailler d'une manière différente, en intégrant
la problématique urbaine. Croyez-moi, l'avancée des contrats éducatifs locaux,
la mise en place des contrats locaux de sécurité, l'émergence d'une
intelligence partagée en matière de culture urbaine sont pour moi un grand
réconfort, car c'est là que réside le véritable gisement de la politique de la
ville.
C'est le signe que les acteurs publics, Etat - collectivités locales ou Europe
- ont enfin pris la mesure des défis urbains auxquels notre société est
confrontée.
Mesdames, messieurs les sénateurs, les moyens de la politique de la ville sont
davantage proportionnés aux enjeux, et les premiers résultats sont
encourageants. Mais la bataille ne sera gagnée que lorsque les habitants des
quartiers, notamment les plus jeunes, et ceux dont les familles ont connu
l'immigration, se sentiront les bienvenus dans notre société. Il reste encore
beaucoup à faire, beaucoup d'attitudes héritées de la crise à changer, pour que
ce message soit entendu.
Mon propos ne serait pas complet si je n'apportais pas des réponses plus
précises à certaines questions, notamment à celle qui a été posée par M. Gérard
Larcher en ce qui concerne le programme de développement des unités
d'encadrement éducatif renforcé.
Cinquante unités sont prévues. Le programme sera mis en oeuvre progressivement
en fonction de la montée en puissance des moyens, en particulier en matière de
formation. Mais le Gouvernement entend surtout diversifier l'offre en
privilégiant des lieux non fermés mettant l'accent sur un accompagnement
éducatif renforcé.
Je vous en livre deux exemples : le développement des centres de placement
immédiat après les décisions qui ont été prises par les centres de santé
intégrés, les CSI, et le recrutement, pour la première fois depuis dix ans,
d'éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse. Il sera procédé à plus
de deux cents recrutements l'année prochaine !
M. Gilbert Chabroux.
Très bien !
M. Claude Bartolone,
ministre délégué.
Vous vous rendez bien compte, monsieur le sénateur, que
cette politique d'embauche et de formation est indispensable ! Quels que soient
les problèmes que ces jeunes aient pu poser, on ne peut pas les placer dans des
structures pour essayer de les réinsérer s'ils n'ont pas face à eux des adultes
formés pour leur permettre de retrouver ce chemin de la réinsertion.
C'est à l'aune de cette remarque que je vous demande, mesdames, messieurs les
sénateurs, de porter une attention soutenue à ce programme de dix mille «
adultes-relais ». Ce n'est pas simplement pour fournir un emploi à des adultes
de valeur que j'ai voulu instaurer ce programme d'« adultes-relais ». Il est
important que ces jeunes puissent retrouver dans les quartiers l'image de
l'adulte référent qui se lève le matin pour se rendre au travail, qui a des
horaires de l'adulte qui est considéré comme un médiateur, comme un intervenant
dans leur propre vie, pour rompre avec ce sentiment que leurs parents sont
condamnés à tout jamais à offrir l'image de l'adulte au chômage.
C'est aussi la raison pour laquelle mille de ces « adultes-relais » seront
spécialisés s'agissant du lien à établir entre les jeunes et l'école : là
encore, il me paraît important de mener une action, notamment en direction des
parents qui sont le plus éloignés de l'institution scolaire, pour que cette
institution puisse, en ayant un intérêt plus marqué aux yeux des parents, être
mieux considérée par leurs propres enfants.
Monsieur Gérard Larcher, j'ai, à mon tour, une demande à vous faire. Vous avez
évoqué le rapport de Ernst et Young qui a été commandé par l'Association sur
les zones franches urbaines. Pouvez-vous user de tout votre talent et de votre
influence pour que je sois destinataire de ce rapport que, depuis plusieurs
semaines, je réclame avec véhémence ? J'ai l'impression qu'il est marqué du
sceau « secret défense nationale » parce que, pour le moment, malgré toutes mes
suppliques, je n'ai pas pu l'obtenir. Cela me permettrait de comparer les
remarques formulées dans le rapport de Ernst et Young avec celles qui figurent
dans les rapports que j'ai eu l'occasion de consulter jusqu'à présent.
Madame Printz, comme vous, je suis attentif à la professionnalisation des
chefs de projet et des directeurs de projet, en particulier pour les grands
projets de ville. C'est pourquoi nous avons créé sept centres de ressources
dans les régions, qui devront essayer de nous donner plus de moyens en ce qui
concerne ces sujets. Les sous-préfets de ville suivent une formation spécifique
quand ils sont nommés. Il est par ailleurs essentiel qu'ils travaillent en
harmonie avec les sous-préfets d'arrondissement.
Mesdames, messieurs les sénateurs, au terme de cette intervention, je souhaite
vous remercier les uns et les autres, que vous ayez approuvé ou contesté ce
projet de budget. Mais, croyez-moi, au-delà du soutien manifesté par les
sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen et du groupe socialiste,
je sens comme un hommage ou une volonté de soutenir cette action dans les
hésitations qui ont marqué la prise de position de M. Blanc, rapporteur pour
avis de la commission des affaires sociales, avant qu'il n'annonce cette
position. Je vois également dans l'abstention de Mme Nelly Olin comme un
encouragement à poursuivre. Je sais qu'elle suit particulièrement ce dossier et
je connais l'intérêt qu'elle manifeste en ce qui concerne la politique de la
ville. Cette abstention est peut-être une hirondelle qui annonce le printemps !
(Sourires et applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur
celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Gérard Larcher,
rapporteur pour avis.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Larcher, rapporteur pour avis.
M. Gérard Larcher,
rapporteur pour avis.
Monsieur le ministre, en référence à vos derniers
mots, je dirai qu'avec la présence de Nelly Olin c'est toujours le printemps
ici.
(Sourires.)
Je tiens à souligner le courage avec lequel Nelly Olin
conduit sa cité. Je me souviens des difficultés qu'elle a rencontrées lors de
son intervention auprès de l'Etablissement d'aménagement et de restructuration
des espaces commerciaux et artisanaux, l'EPARECA, à propos d'un centre
commercial dégradé dans sa commune.
Monsieur le ministre, je voudrais tout d'abord vous promettre que je
transmettrai votre supplique. Vous recevrez sans aucun doute ces rapports, même
si je n'appartiens pas à cette association.
Par ailleurs, cette année, l'une de nos requêtes a été couronnée de succès :
la transmission du « jaune » à temps. Auparavant, le « jaune » arrivait après
le « blanc ». C'est l'histoire de l'oeuf et de la poule !
(Sourires.)
Et
la réponse de vos services a été très complète.
Enfin, en ce qui concerne la campagne que vous allez conduire avec les
entrepreneurs privés, je souhaite qu'elle ne s'arrête pas le 18 mars prochain :
en la poursuivant tout au long de l'année, vous manifesterez ainsi votre
volonté de développer les zones franches et les zones de redynamisation
urbaines.
Je ne sais pas si c'est un hommage, mais je crois que la politique de la ville
est capable, à certains moments, de dépasser les clivages. Dans le même temps,
un certain nombre de choix que vous opérez ne sont pas ceux que nous ferions si
nous avions la responsabilité de l'exécutif. C'est aussi ce que souhaite dire
la majorité sénatoriale ; mes deux collègues rapporteurs partagent ce
sentiment.
M. Paul Blanc,
rapporteur pour avis.
C'est vrai !
M. le président.
Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits figurant aux états B et
C concernant la ville.
ÉTAT B
EMPLOI ET SOLIDARITÉ
III. -
Ville
M. le président. « Titre III : 25 000 000 francs. »