SEANCE DU 15 MAI 2001
ALLOCATION PERSONNALISÉE D'AUTONOMIE
Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 279, 2000-2001),
adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif à la
prise en charge de la perte d'autonomie des personnes âgées et à l'allocation
personnalisée d'autonomie. [Rapport n° 315 (2000-2001) et avis n° 316
(2000-2001).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le ministre.
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, je veux d'abord vous demander de bien
vouloir excuser ce léger retard, qui tient au fait qu'il est souvent difficile
de s'extraire de l'Assemblée nationale, quelle que soit l'envie que l'on ait
d'arriver très vite au Sénat.
(Exclamations et sourires sur les travées du
RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
Voilà qui est agréable à entendre, madame le ministre !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je vais m'efforcer de rattraper
le temps perdu en vous exposant aussi sobrement que possible les dispositions
du projet de loi relatif à la prise en charge de la perte d'autonomie des
personnes âgées et à l'allocation personnalisée d'autonomie.
Peut-être me permettrez-vous tout de même de placer brièvement ce débat en
perspective.
Le présent projet de loi s'inscrit effectivement dans un contexte de
révolution démographique, marqué par l'allongement de l'espérance de vie et un
vieillissement de la population dont nous n'avons pas encore fini de mesurer
les conséquences sur le lien entre les générations, sur la place de la
solidarité nationale et de la famille. Ces conséquences sont évidemment
considérables.
Je rappellerai quelques chiffres.
Depuis 1950, l'espérance de vie est passée de 63 ans à 74 ans pour les hommes
et de 69 ans à 82 ans pour les femmes. Dans le même temps, la part des
personnes âgées de plus de 60 ans dans la population est passée de 16 % à 20 %
et le nombre de personnes de plus de 85 ans a quadruplé. Vous le savez, ce
mouvement va se poursuivre et s'accentuer.
Cette évolution peut être une chance si nous savons relever les défis qu'elle
nous adresse. C'est, bien sûr, la chance pour chacun d'entre nous d'avoir
l'espérance de vivre plus longtemps. C'est aussi, je le crois profondément, une
chance pour la collectivité, car les personnes âgées soutiennent de façon
croissante les générations qui les suivent et ont un rôle social de plus en
plus important.
Pour profiter pleinement de cette chance, il nous faudra savoir relever
plusieurs défis.
Il faut d'abord que nos régimes de retraite de base et complémentaires
apportent aux salariés un revenu de remplacement satisfaisant. On peut dire
qu'ils y parviennent assez largement aujourd'hui, grâce au système par
répartition mis en place depuis 1945. D'ailleurs, la diminution régulière du
nombre d'allocataires du minimum vieillesse le démontre.
Le Gouvernement a par ailleurs entrepris d'apporter les réponses aux
évolutions démographiques auxquelles vont être confrontés nos régimes de
retraite, avec la création du fonds de réserve des retraites. Vous le savez,
l'Assemblée nationale en a adopté les dispositions la semaine dernière. Vous
les examinerez très prochainement. A l'évidence, le fonds de réserve ne suffira
pas, à lui seul, à résoudre les problèmes ; il permettra de lisser les
évolutions.
Ce dispositif devra être complété par une réforme concernant les régimes de
retraite. C'est le rôle du conseil d'orientation des retraites, mis en place
par le Gouvernement l'année dernière, de réunir tous les acteurs concernés pour
faire le point sur l'évolution des régimes et pour présenter des propositions
sur cette indispensable réforme.
J'entends beaucoup parler, lorsque l'on évoque l'avenir de nos régimes de
retraite, de l'allongement de la durée de cotisation. J'observe que ceux qui
privilégient l'allongement de la durée de cotisation sont aussi ceux qui
écartent des entreprises les salariés de plus de cinquante ans lorsque des
questions de restructuration se posent. Je ne peux donc que souligner la
contradiction entre le souhait de voir allonger la durée de cotisation, soutenu
par les représentants des employeurs et par l'opposition, et la mise à l'écart
du marché du travail des salariés en fin de carrière que pratiquent les
entreprises et que ne dénonce pas l'opposition nationale.
(Exclamations sur
plusieurs travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jean Chérioux.
Cela commence par une mise en accusation !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Ne vous sentez pas visé,
monsieur Chérioux !
M. Dominique Braye.
Mais nous ne nous sentons pas visés !
M. Guy Fischer.
C'est pourtant la vérité !
M. Alain Vasselle,
rapporteur de la commission des affaires sociales.
Pas de provocation,
madame le ministre !
M. le président.
Mes chers collègues, je vous en prie.
Veuillez poursuivre, madame le ministre.
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
La première priorité est donc
de donner la possibilité à chacun de travailler jusqu'à l'âge légal de la
retraite. Cela nécessite de faire évoluer les mentalités, de prévenir l'usure
au travail, d'adapter les emplois en fonction de l'âge des salariés et
d'assurer un droit à la formation tout au long de la vie pour maintenir les
compétences.
Ces relations entre âge et travail sont un enjeu essentiel pour nos politiques
de l'emploi et pour l'avenir de nos systèmes de retraite. Le conseil
d'orientation des retraites organisait d'ailleurs un colloque sur ce thème
récemment.
Enfin, et c'est l'objet du présent projet de loi, il faut garantir aux
personnes âgées la préservation de leur autonomie lorsqu'elles sont confrontées
à la diminution de leur autonomie physique ou intellectuelle quand survient le
grand âge et qu'il leur faut être aidées dans les activités les plus simples de
la vie quotidienne.
Il faut penser au désarroi des personnes qui ne peuvent plus manger seules, se
laver seules, se déplacer seules. Il faut savoir que c'est effectivement une
détresse très profonde qui les atteint, qui touche aussi leurs proches et leur
famille.
Or le présent projet de loi est, à mon avis, en mesure d'apporter précisément
des réponses à la question de la perte d'autonomie des personnes âgées,
réponses que notre société n'avait pas su fournir jusqu'à présent. Nous savons
tous en effet que la prestation spécifique dépendance n'a pas été à la hauteur
des attentes.
Au bout du compte, ce sont bien les familles qui sont amenées à supporter
l'essentiel de l'effort pour assurer la prise en charge de la perte d'autonomie
des personnes âgées. Je reçois régulièrement des lettres d'enfants, de
conjoints qui me font part de leur désarroi face à la perte d'autonomie de
leurs proches. Les difficultés financières, la détresse affective, le sentiment
de culpabilité des enfants, mais aussi des personnes âgées, se mêlent pour
faire de la perte d'autonomie un drame à la fois individuel et social.
Notre pays ne peut plus accepter une situation où, faute de reconnaître aux
personnes âgées les besoins qui sont les leurs, on se trouve réduit à
l'alternative suivante, terrible pour les proches : le maintien à l'hôpital ou
la vie en établissement, faute de possibilité de prise en charge à domicile.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Eh oui !
M. René-Pierre Signé.
Il a fallu attendre les socialistes !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Or il existe des solutions.
M. René-Pierre Signé.
Heureusement, les socialistes sont venus !
(Exclamations sur les travées du
RPR.)
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Vous devriez écouter, parce que
la suite de mon propos va vous intéresser !
M. le président.
Monsieur Signé, on vous invite à écouter dans le silence !
M. René-Pierre Signé.
J'abonde dans le sens de Mme la ministre !
M. Henri de Raincourt.
M. Signé n'écoute jamais, interfère souvent, mais est très sympathique au
demeurant !
(Sourires.)
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Lors d'un déplacement récent à
Marseille avec Mme Paulette Guinchard-Kunstler, les échanges que j'ai pu avoir
avec les salariés d'une association d'aide à domicile et d'un centre
gériatrique m'ont confirmé qu'il existait, en effet, des initiatives qui
pourraient utilement faire école.
Il faut donc reconnaître la prise en charge de la perte d'autonomie comme un
nouveau droit : celui de choisir la vie que l'on entend mener. La mise en
oeuvre de ce nouveau droit implique, bien évidemment, de dépasser les cadres
institutionnels et financiers dans lesquels la prise en charge est actuellement
inscrite. Cela veut dire concrètement rompre avec une logique d'aide sociale.
Cela veut dire faire intervenir la solidarité nationale.
Tel est l'objectif du projet de loi que je vous présente aujourd'hui et que le
débat à l'Assemblée nationale a permis d'améliorer. Il constitue, je crois, une
avancée sociale majeure.
J'en viens à la description de ce projet de loi.
Tout d'abord, l'allocation personnalisée d'autonomie, ou APA, crée un nouveau
droit à la fois universel, égal et personnalisé en fonction de la situation de
chaque bénéficiaire.
L'universalité signifie qu'il n'y aura pas de plafond de ressources, que toute
personne dont la perte d'autonomie justifie qu'elle soit aidée pourra
bénéficier de cette allocation en fonction seulement de son degré de perte
d'autonomie et de ses ressources.
Ce nouveau droit sera égal et objectif. C'est une réponse à la principale
insuffisance des dispositions qui sont actuellement en vigueur. Il y aura bien
un barème national garantissant l'égalité du montant de l'aide sur tout le
territoire, à conditions égales d'autonomie et de ressources.
Ce nouveau droit sera étendu aux personnes moyennement dépendantes : il s'agit
des personnes qui ont conservé une certaine autonomie, qui peuvent se déplacer
seules à l'intérieur de leur logement, qui s'alimentent en général seules, mais
qui ont besoin d'être aidées pour la toilette ou l'habillage. Ce sont ainsi 260
000 personnes, aujourd'hui exclues de la prestation spécifique dépendance, ou
PSD, qui pourront prétendre à l'APA et que, en langage technique, on classe,
dans la grille AGGIR - autonomie gérontologie groupe iso-ressources -, en GIR
4.
Un barème prévoira une participation des bénéficiaires en fonction de leurs
ressources. Ainsi, à domicile, une personne sans autonomie, classée par
conséquent en GIR 1, dont les ressources ne dépassent pas 6 000 francs par mois
aura droit à 7 000 francs d'allocation par mois, soit évidemment beaucoup plus
que le maximum que les départements les plus généreux accordent aujourd'hui aux
personnes privées d'autonomie. Par comparaison, une personne également sans
autonomie dont les ressources dépassent 20 000 francs par mois aura droit à 1
400 francs d'allocation par mois.
Pour les bénéficiaires de la prestation les plus autonomes - ceux qui sont en
GIR 4 - celle-ci ira de 600 francs par mois pour les plus aisés à 3 000 francs
par mois pour ceux dont les ressources sont inférieures à 6 000 francs.
Toutes ces raisons permettront de faire passer le nombre de bénéficiaires de
135 000 aujourd'hui à près de 800 000 lorsque la nouvelle prestation autonomie
sera totalement entrée en vigueur.
L'allocation personnalisée d'autonomie prendra en compte la situation de
chaque personne. C'est le principe d'un droit personnalisé - on pourrait le
qualifier de « droit sur mesure » - aussi bien à domicile qu'en
établissement.
A domicile, l'allocation personnalisée d'autonomie prendra, pour les
bénéficiaires, la forme de « plans d'aide », qui seront un véritable droit de
tirage pour les personnes âgées. Ces dernières pourront ainsi, dans la limite
de ce droit de tirage, financer toutes les actions qui auront été reconnues
nécessaires : les heures de ménage, le portage des repas, les travaux
d'aménagement du logement, les transports et certaines activités de
socialisation pourront ainsi être prises en charge par l'APA. Avec l'APA, nous
voulons donc relever le défi que constitue l'instauration d'une prise en charge
globale - j'insiste sur ce dernier terme - de la perte d'autonomie.
Pour les personnes accueillies dans les maisons de retraite, la nouvelle
allocation constitue aussi un droit personnalisé.
Les besoins nécessaires à la prise en charge des personnes âgées seront
désormais précisément mesurés dans chaque établissement et serviront de base de
calcul de l'allocation. Cela permettra de tenir compte des coûts précis de
l'établissement dans lequel la personne âgée est accueillie et donc, comme à
domicile, de personnaliser l'allocation en fonction des dépenses réelles
supportées du fait de la perte d'autonomie.
Parallèlement au bénéfice de l'allocation personnalisée d'autonomie, les
personnes accueillies dans les maisons de retraite bénéficieront aussi, en
application de la nouvelle tarification, d'une baisse du tarif de
l'hébergement, ce qui contribuera beaucoup à leur solvabilité. Elles
bénéficieront également de la mise en place d'un important plan de
médicalisation - Mme Guinchard-Kunstler et moi-même aurons l'occasion d'y
revenir - qui permettra de renforcer considérablement l'accompagnement
quotidien dans les maisons de retraite.
La réussite de l'allocation personnalisée d'autonomie implique d'accorder une
plus grande attention aux modalités de mise en oeuvre et de financement. Il
s'agit en effet de concilier une gestion de proximité, décentralisée, avec
l'intervention de la solidarité nationale pour le financement.
La proximité est un impératif. Le contenu du plan d'aide fera l'objet d'un
dialogue approfondi entre le bénéficiaire et les équipes médico-sociales.
Celles-ci devront se rendre au domicile de la personne âgée, évaluer son niveau
de perte d'autonomie, discuter avec elle des aides qui lui seraient nécessaires
afin de lui proposer un plan d'aide qui répondra à des choix. Il faut donc
avoir des équipes de terrain, connaître les services d'aide à domicile
disponibles localement, bref pouvoir faire de la coordination gérontologique.
C'est pourquoi le projet de loi confirme la compétence des départements dans la
mise en oeuvre de cette nouvelle allocation, en les associant étroitement aux
caisses de retraite. Les équipes médico-sociales qui examineront les plans
d'aide seront composées de personnels départementaux et de personnels des
caisses.
Le choix du département correspond pour le Gouvernement à une certaine vision
de la décentralisation selon laquelle il faut rapprocher la décision de chacun
des citoyens. La décentralisation n'est d'ailleurs pas incompatible avec
l'égalité des droits. Ce qui compte véritablement, c'est l'efficacité de la
mise en oeuvre.
L'objectif affiché est de généraliser les partenariats qui existent déjà dans
de nombreux départements, dans un souci de pragmatisme et d'efficacité. Il
s'agit en effet d'assurer la mobilisation de tous les moyens existants et des
différents savoir-faire.
J'en viens maintenant au financement. Il reposera sur la reconduction des
moyens existants des départements et sur un effort supplémentaire de leur part,
ainsi que sur une contribution des caisses de retraite pour un total d'environ
11,5 milliards de francs. Le solde sera assuré par le recours à la contribution
sociale généralisée, ou CSG, à hauteur d'environ 5 milliards de francs.
J'ai entendu les préoccupations des conseils généraux quant aux effets de la
mise en oeuvre de l'APA sur les budgets des départements, et je comprends que
les exécutifs départementaux y soient attentifs.
Il est vrai que la loi conduira à une dépense supplémentaire pour les
départements. Cela correspondra à la reconstitution de l'effort au niveau de
celui de 1996, avant la mise en oeuvre de la PSD, qui s'est traduite par une
baisse des dépenses par rapport à l'allocation compensatrice pour tierce
personne, l'ACTP, et à une dépense supplémentaire de 2,5 milliards de francs,
tandis que la solidarité nationale fera un effort supplémentaire d'environ 5
milliards de francs avec la CSG.
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Bel effort !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Cela a évidemment été négocié
longuement - M. Mercier le sait particulièrement - avec l'Association des
présidents de conseils généraux, et je remercie naturellement les conseils
généraux de s'être associés à la perspective de cette réforme.
Pour bien mesurer la portée de cet effort supplémentaire demandé aux
départements, il faut, à mon avis, d'abord bien prendre conscience de l'enjeu
majeur que constitue ce projet de loi pour l'institution départementale.
Il convient aussi d'observer ce qu'a été la dynamique des dépenses des
départements en matière d'aide aux personnes âgées au cours des dernières
années. D'après les données de l'Assemblée des départements de France, l'ADF,
les dépenses d'aide sociale à l'hébergement ont baissé de près de 1 % entre
1997 et 1999, et les dépenses d'aide ménagère à domicile ont diminué de 14,2 %.
Quand on sait que les dépenses d'aide à la tierce personne ont également baissé
du fait du passage de l'ACTP à la PSD, on constate qu'il existe finalement des
marges de manoeuvre. Au surplus convient-il de préciser que cette évolution des
dépenses se rapporte à des recettes qui, elles, augmentent.
M. Michel Mercier,
rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Ah, ça, sûrement pas !
M. Jean Chérioux.
On peut toujours rêver !
M. Henri de Raincourt.
Il faut le dire sans rire !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Il existe des raisons
structurelles à cette baisse tendancielle des dépenses. En effet, l'aide
sociale aux personnes âgées vient soutenir les plus démunis de cette
population. Comme l'arrivée à maturité de nos régimes de retraite et
l'amélioration de l'emploi augmentent régulièrement le niveau moyen des
pensions, il est inévitable que l'aide sociale intervienne moins, et il y a
tout lieu de s'en féliciter. Cette évolution va bien entendu se poursuivre.
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
On peut toujours rêver !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Il sera extrêmement gratifiant
pour les présidents de conseils généraux - et ils sont nombreux ici - ...
M. Louis de Broissia.
Il nous arrive aussi d'être élus en disant « non » !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
... de distribuer une
prestation qui correspondra infiniment mieux aux besoins des usagers. Je crois
que cela n'est pas à négliger !
(Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Michel Mercier,
rapporteur pour avis.
Il va falloir qu'on en parle !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
La fraction de CSG ainsi que la
contribution des régimes de retraite seront affectées à un nouvel établissement
public, le Fonds national pour le financement de l'allocation personnalisée
d'autonomie.
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Belle invention !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Ce fonds en redistribuera le
produit aux départements en fonction de critères de péréquation permettant de
tenir compte des différences démographiques ainsi que des richesses des
départements.
M. Jean Delaneau,
président de la commission des affaires sociales.
On appelle cela la
décentralisation !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Les modalités précises de cette
péréquation font l'objet d'un travail que nous avons engagé avec Mme Paulette
Guinchard-Kunstler et M. Daniel Vaillant, qui a la charge de la tutelle des
collectivités territoriales. L'Assemblée des départements de France et le
comité des finances locales seront bien entendu associés à ce travail.
M. Jean-Pierre Fourcade.
Merci !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Vous aurez ainsi l'occasion de
prendre votre part dans cette difficile définition des critères de la
répartition de l'aide.
M. René-Pierre Signé.
C'est normal !
M. Jean Delaneau,
président de la commission des affaires sociales.
Nous vous ferons des
propositions !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Le recours à la CSG pour
assurer l'équilibre du financement de l'allocation personnalisée d'autonomie
correspond à la logique de solidarité nationale sur laquelle repose ce nouveau
travail. La CSG en est la meilleure expression du fait de son universalité et
de son assiette.
Son affectation au fonds de financement de l'APA est tout aussi logique. J'ai
vu ici ou là que l'on s'interrogeait sur la création d'un nouveau fonds.
Néanmoins, je crois franchement que l'on ne peut pas vouloir une chose et son
contraire. La création de cet établissement public est nécessaire pour
reconnaître sur le plan institutionnel et politique la perte d'autonomie comme
un nouveau droit et pour affecter une fraction du produit de la CSG au
financement de la nouvelle prestation.
L'objectif du Gouvernement est donc double : sur le plan des principes,
reconnaître un nouveau droit dans l'optique de la solidarité nationale, et
rechercher l'efficacité et la proximité dans un cadre local, façon évidemment
pragmatique de mettre en oeuvre cette réforme.
J'en viens maintenant aux modifications que le débat à l'Assemblée nationale a
permis d'introduire dans ce projet de loi et qui constituent, à mes yeux,
autant d'améliorations. Je dois d'ailleurs dire que les contributions des
députés, sur quelque banc qu'ils siègent, ont été particulièrement
constructives.
C'est ainsi qu'un large accord s'est dessiné sur la nécessité d'améliorer les
modalités d'évaluation de la perte d'autonomie et des besoins que celle-ci
induit.
L'Assemblée nationale a adopté, avec l'accord du Gouvernement, un amendement
prévoyant la mise en place d'un comité scientifique pour perfectionner la
grille sur laquelle repose l'évaluation de la perte d'autonomie.
En effet, tout en étant un instrument utile et qui a constitué un progrès
important, la grille dite AGGIR demeure perfectible en vue de mieux prendre en
considération les facteurs d'environnement.
Les travaux de ce comité scientifique pourront être pris en compte lors de
l'élaboration du bilan de la loi, en 2003.
Le Gouvernement a également accepté deux amendements relatifs à la mise en
oeuvre de l'APA pour les personnes âgées hébergées en maison de retraite. En
effet, l'instauration de l'APA intervient alors qu'une nouvelle tarification
est mise en place. Il a donc paru nécessaire aux députés de prévoir des
dispositions permettant de mieux aménager la transition entre les deux
systèmes.
Le premier amendement vise ainsi à ouvrir aux départements la possibilité
d'expérimenter le versement de l'APA sous forme de dotation globale, et le
second tend à instaurer un régime transitoire permettant aux personnes
concernées de bénéficier de l'APA dans l'hypothèse où l'établissement d'accueil
ne serait pas en mesure d'appliquer la nouvelle tarification au début de
2002.
Le débat à l'Assemblée nationale a également permis d'améliorer la
transparence dans la mise en oeuvre de la loi, s'agissant particulièrement des
aspects financiers.
Un premier amendement concerne l'institution d'un conseil de surveillance du
fonds de financement de l'allocation personnalisée d'autonomie, où siégeront
des représentants des deux assemblées, des départements et des usagers, ainsi
que des personnalités qualifiées. L'ensemble des acteurs pourront ainsi être
associés au suivi de la mise en oeuvre de la loi.
Un second amendement, lui aussi très important, prévoit la transmission au
Parlement par le Gouvernement, chaque année à l'automne, d'un rapport. Les
assemblées disposeront ainsi de toutes les informations financières nécessaires
pour l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale et du
projet de loi de finances.
Un autre sujet a également fait l'objet de nombreux débats : la récupération
sur les successions, qui pose évidemment le problème du partage entre la
solidarité familiale, qu'il faut bien sûr maintenir, et la solidarité
nationale.
Nombreux sont ceux qui considèrent que la récupération sur les successions
caractérise l'aide sociale. Le Gouvernement avait prévu, dans son texte
initial, d'assouplir les modalités de récupération sur les successions, tout en
indiquant qu'il attendait du débat devant la représentation nationale qu'il
permette que se dégage une position le plus largement partagée sur cette
question.
Comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, à l'issue de ce débat,
l'Assemblée nationale a voté à l'unanimité moins une voix la suppression de la
récupération sur les successions et sur les donations pour les bénéficiaires de
l'allocation personnalisée d'autonomie.
M. Henri de Raincourt.
Moins une voix ! C'est courageux !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
A cette occasion, le
Gouvernement a fait le choix de s'en remettre à la sagesse de l'Assemblée
nationale, ce dont je ne me repens pas.
Ce vote de l'Assemblée nationale se comprend dès lors que l'allocation
personnalisée d'autonomie n'est pas une prestation d'aide sociale, mais obéit à
des règles nationales.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Très bien !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Par ailleurs, je voudrais
évoquer la prise en charge effective des personnes.
Au-delà du vote de la loi, nous devons bien entendu nous préoccuper de la
qualité de la prise en charge des personnes. Dans cette perspective, plusieurs
mesures ont déjà été annoncées, que je rappellerai brièvement.
En premier lieu, il s'agit de la diffusion progressive, d'ici à 2005, des
centres locaux d'information, de liaison et de coordination, les CLIC,
diffusion qu'avait suggérée Paulette Guinchard-Kunstler dans un rapport...
M. Michel Mercier,
rapporteur pour avis.
Qui a fait date !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
... qui a fait date, en effet,
c'était un excellent rapport !
Les CLIC pourront apporter plusieurs types de services aux personnes âgées et
à leurs familles. Installés dans les locaux d'associations, de départements, de
préfectures, de conseils généraux ou encore de centres communaux d'action
sociale ou de maisons de retraite, ils sont d'abord un lieu d'information sur
les droits et les possibilités de prise en charge. Ils ont aussi vocation à
aider les personnes dans leurs démarches auprès des différentes administrations
et des prestataires de services. Enfin, ils pourront également assurer la
coordination des différents services de prise en charge ou participer à
l'évaluation des besoins.
Le réseau des CLIC maillera ainsi le territoire à l'échelon des bassins de vie
et offrira aux personnes âgées et à leurs familles une « porte d'entrée » dans
le dispositif de prise en charge. En 2000, une expérimentation a commencé sur
vingt-cinq sites, et 70 millions de francs ont été prévus dans la loi de
finances pour l'étendre en 2001.
En deuxième lieu, un plan de médicalisation a été mis en place pour les
établissements, mobilisant des crédits d'un montant de 6 milliards de francs
sur cinq ans et de 1,2 milliard de francs pour les services de soins infirmiers
à domicile. Il permettra de renforcer considérablement les moyens affectés à
l'accompagnement quotidien des personnes hébergées.
Je souligne que ce plan représente une augmentation de près de 50 % des
crédits d'assurance maladie destinés aux établissements et services pour
personnes âgées. Dans le cas des services de soins infirmiers à domicile, nous
doublons l'effort annuel de création de places, qui passe de 2 000 à 4 000
places par an. Cela permettra, en cinq ans, d'augmenter d'environ un tiers le
nombre de celles-ci.
En troisième lieu, je voudrais mettre en exergue l'exonération totale de
charges sociales patronales pour les salariés des services d'aide à
domicile.
Je souhaite aujourd'hui prêter une attention particulière à l'aide à domicile,
car les personnes âgées souhaitent le plus souvent rester chez elles, et c'est
grâce à l'aide à domicile que peut être évitée ou retardée l'entrée dans les
établissements.
Il s'agit d'inciter les personnes âgées à recourir aux services d'aide à
domicile, qui apportent généralement une meilleure qualité et davantage de
continuité dans la prise en charge. Il faut cependant laisser la liberté de
choix aux personnes âgées et à leurs familles, et penser aussi aux contraintes
pratiques, qui ne permettent pas toujours d'organiser une prise en charge par
l'intermédiaire d'un service.
Dans cette perspective, le projet de loi prévoit que l'équipe médico-sociale
indiquera quel est le mode d'intervention - emploi direct ou service
prestataire - qui lui paraît le plus approprié compte tenu de la situation
particulière, dans le cadre d'un dialogue avec la personne âgée et sa famille.
Si la personne âgée est sans autonomie, il lui sera proposé prioritairement de
recourir à un service d'aide à domicile, car la continuité et le
professionnalisme qu'apporte celui-ci sont déterminants dans ce cas. A cet
effet, le montant de l'aide pourra également être modulé pour tenir compte des
différences de qualité, mais la personne âgée ou sa famille gardera une liberté
de choix.
Cela étant, il faut se donner les moyens de développer le recours aux services
de professionnels, dans l'intérêt même des personnes âgées. A cet égard, l'aide
à domicile doit trouver des financements.
Le secteur a également besoin d'être modernisé : les salariés doivent être
correctement rémunérés, ils doivent être mieux formés et leurs conditions de
travail doivent être améliorées.
La création de l'APA constitue, bien sûr, une réponse primordiale, puisqu'elle
permettra une meilleure solvabilisation des personnes âgées ; elle facilitera
donc le recours aux associations, et la demande adressée à ces dernières va
ainsi s'accroître.
Pour qu'elles puissent y faire face, il faudra accentuer notre soutien à une
offre de qualité. A cette fin, le projet de loi prévoit la création d'un fonds
de modernisation de l'aide à domicile, dont l'objet sera de financer des
actions de formation, de soutien à l'encadrement et de développement des
services, ainsi que toutes mesures susceptibles de favoriser la
professionnalisation du secteur. Je vais engager dès maintenant des discussions
avec les professionnels de l'aide à domicile sur les modalités de
fonctionnement de ce fonds.
Je crois qu'il est important de souligner la nouveauté que celui-ci constitue
: pour la première fois, l'Etat se dote d'un outil budgétaire permettant de
conduire une politique nationale dans le secteur de l'aide à domicile.
Le Gouvernement entend faire en sorte que l'APA puisse être versée dès le mois
de janvier 2002. Cela nécessite que les décrets d'application soient rédigés
très rapidement ; je m'y engage, et le Parlement sera bien entendu associé à ce
travail. Cela suppose aussi une action de terrain pour préparer la mise en
oeuvre pratique de la loi. Nous nous sommes attelés à cette tâche, et il s'agit
là de la première priorité de Mme Guinchard-Kunstler.
C'est donc une politique ambitieuse que le Gouvernement entend appliquer pour
apporter une réponse adaptée aux questions que pose la perte d'autonomie des
personnes âgées.
Il s'agit d'un travail évidemment difficile, mais je suis persuadée que ce
projet de loi permettra de surmonter les difficultés.
J'ai entendu, bien sûr, les aspirations à la création d'un cinquième risque de
sécurité sociale. A cet égard, je ne pense pas utile de polémiquer sur les
termes : ce qui compte, c'est de reconnaître un droit suffisant, fondé sur le
principe d'égalité et apprécié sur une base objective.
Cela ne veut pas dire que les questions de gestion soient secondaires. Elles
sont au contraire déterminantes pour assurer une instauration de ce nouveau
droit dans de bonnes conditions. Mais, plutôt que de se reposer sur un
dispositif théorique, je crois plus constructif de chercher à définir un
dispositif efficace.
C'est précisément ce que vise le projet du Gouvernement. Il permet une vraie
rupture au regard de l'aide sociale, dont l'APA ne présente d'ailleurs aucune
des caractéristiques : elle n'est pas réservée à une population de personnes
sans ressources ou à faibles revenus ; elle n'est pas subsidiaire par rapport à
la mise en oeuvre de droits sociaux ; elle est identique et universelle pour
tous, sur tout le territoire. Elle est donc bien une prestation de solidarité
nationale.
Créer ce droit à l'autonomie pour les personnes âgées, c'est refuser que la
vieillesse soit réduite à n'être qu'une catégorie dépendante socialement et
économiquement. Cela nous permettra de rejoindre les pays européens les plus en
avance.
C'est donc une très grande avancée sociale que nous vous proposons de réaliser
avec ce projet de loi. Je suis persuadée que nous pouvons encore l'améliorer
ensemble, comme cela a déjà été fait à l'Assemblée nationale.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Paulette Guinchard-Kunstler,
secrétaire d'Etat aux personnes âgées.
Monsieur le président, mesdames,
messieurs les sénateurs, pendant des années, dans ma pratique professionnelle,
j'ai été confrontée à la détresse de nombreuses personnes qui perdent leur
autonomie quand des incapacités viennent se surajouter à leur âge. C'est donc
avec émotion que j'aborde, comme secrétaire d'Etat aux personnes âgées,
l'examen de ce projet de loi ici au Sénat.
J'y vois l'aboutissement d'une démarche collective dans laquelle placent leurs
espoirs nombre de personnes âgées, mais aussi de professionnels aux côtés
desquels je suis engagée depuis très longtemps. C'est d'eux, aujourd'hui, que
je me sens solidaire : ils sont très nombreux, en France, à attendre le
résultat de nos travaux et de nos débats.
L'allocation personnalisée d'autonomie concerne d'abord des centaines de
milliers de personnes âgées qui, en raison de leurs handicaps, sollicitent
l'aide d'autrui pour effectuer les gestes les plus essentiels de la vie.
Mais elle concerne aussi les conjoints, les proches, les familles, qui se
sentent souvent coupables de ne pas savoir ou de ne pas pouvoir répondre
convenablement aux besoins manifestés.
Elle concerne enfin tous les professionnels, à domicile ou en établissement,
qui regrettent de ne pouvoir être à la hauteur des situations auxquelles ils
sont confrontés, parce qu'ils ne sont pas assez nombreux ou parce qu'ils
manquent de formation et de qualification.
A tous, ce texte apporte, j'en suis convaincue, des réponses positives en
fournissant des moyens, de la formation, des perspectives résolument modernes
et innovantes. Mais il permet avant tout un retour à la dignité, une exigence
de dignité, et c'est cela, à mon avis, l'essentiel.
J'aimerais vous dire la dignité perdue de ce vieux professeur d'université,
âgé de quatre-vingts ans, que sa fille ne peut plus garder chez elle, privé
d'intimité dans l'institution qui l'accueille parce que la porte de sa chambre
est laissée constamment ouverte.
J'aimerais vous dire la honte ressentie par cette vieille dame qui n'ose plus
sortir de chez elle, tant elle craint que les vicissitudes de l'incontinence ne
la surprennent dans un lieu public.
J'aimerais vous dire l'émotion de cette femme qui m'écrit qu'elle n'arrive
plus à faire elle-même sa propre toilette, et qui éprouve une gêne
incommensurable quand elle voit « débarquer » un jeune homme, manifestement
impréparé, envoyé comme aide à domicile.
J'aimerais vous dire le sentiment d'indignité éprouvé par cette jeune
infirmière, tout juste sortie de ses études, qui constate un comportement de
maltraitance à l'égard d'un vieillard tout à fait grabataire, et qui finit par
ne plus savoir si c'est normal ou pas.
Je pourrais poursuivre ainsi longtemps.
Si j'évoque ces situations devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, ce
n'est pas pour mettre en cause des professionnels ou des institutions le plus
souvent compétents ; c'est, au contraire, pour souligner la complexité de
l'accompagnement des personnes âgées, la difficulté de la mission et la
nécessité d'aider ceux qui en sont chargés, de les soutenir, pour qu'à leur
tour ils puissent soutenir ceux qui ont besoin d'eux.
Depuis des années, j'entends ces femmes et ces hommes qui accompagnent les
personnes âgées en perte d'autonomie. Je suis intimement persuadée que c'est
l'un des métiers les plus difficiles, parce qu'il nous confronte à la fin de la
vie, à la vieillesse, à la mort.
Au-delà de la survenance de maladies ou d'incapacités, c'est l'isolement qui
engendre ou accélère la perte d'autonomie. Le décès du conjoint, l'éloignement
des enfants constituent souvent les facteurs qui déclenchent l'hébergement en
institution. On le sait, les personnes âgées lourdement handicapées peuvent
rester à domicile lorsqu'elles sont entourées. Mais la solitude peut aussi se
rencontrer dans les institutions, lorsqu'il n'existe ni projet de vie
individuel ni projet collectif et qu'il y a peu de ces personnels qualifiés qui
sont nécessaires en matière d'accompagnement, de soutien psychologique, de
mobilisation et de rééducation.
Nous dressons tous le même constat : la situation faite à trop de personnes
âgées dépendantes dans notre pays ainsi qu'à leur famille n'est pas à la
hauteur d'une grande nation comme la nôtre.
Mme Elisabeth Guigou vient d'exposer les réponses qu'apporte la loi à ce grand
défi.
Je veux insister, pour ma part, sur trois ambitions de ce projet de loi :
restaurer la dignité ; développer la modernisation des prises en charge ;
organiser la conjonction entre solidarité nationale et solidarité locale.
Première ambition, donc, restaurer la dignité.
La dignité est toujours mieux garantie quand elle peut s'appuyer sur un droit.
C'est pour cela que nous vous présentons aujourd'hui la création d'un droit
objectif universel, qui n'est en rien une prestation subsidiaire, une
prestation d'aide sociale.
Votre assemblée, qui a si souvent critiqué les effets pervers des prestations
délivrées en fonction d'un seuil de ressources jugé trop bas, est certainement
sensible au souci d'universalité qui caractérise l'APA.
Mais il est une autre conséquence de notre souci d'universalité que je
voudrais développer un instant. Notre volonté d'universalité ne se manifeste
pas seulement en termes de niveau de ressources ou d'incapacité, elle touche
aussi la prise en charge des soins en établissement.
Nous laissons derrière nous le régime des sections de cure médicale, qui a
correspondu à un progrès, mais dont l'application est restée inégale et
limitée.
M. Lucien Neuwirth.
Très bien !
Mme Paulette Guinchard-Kunstler,
secrétaire d'Etat.
Nous entrons dans un système où tous les
établissements ont vocation à bénéficier d'un budget de soins défini de manière
assez large puisqu'il intégrera 70 % des dépenses consacrées à l'accompagnement
quotidien réalisé par des personnels qualifiés. A terme, 400 000 places
actuellement non médicalisées pourront en bénéficier.
La dignité réclame des institutions respectueuses de la prise en charge des
personnes et disposant de moyens budgétaires suffisants.
La prise en charge par l'assurance maladie des soins dispensés dans tous les
établissements accueillant des personnes âgées en situation de perte
d'autonomie est inscrite dans la réglementation et dans le programme
pluriannuel de mobilisation de crédits de l'assurance maladie, comportant une
dotation de 6 milliards de francs de mesures nouvelles sur une période de cinq
ans.
Cet objectif sera atteint d'ici à la fin de 2003 pour toutes les institutions
assurant une prise en charge respectueuse de la dignité des personnes.
La dignité passe également par la proximité des soins et l'organisation de ces
derniers à travers les réseaux de coordination gérontologique ainsi qu'une
information et une orientation des personnes moins aléatoires
qu'aujourd'hui.
Le présent projet de loi nous offre aujourd'hui de nouveaux outils dont la
mise en oeuvre pourra s'appuyer sur les comités locaux d'information et de
coordination.
La dignité est tributaire de la qualité et du professionnalisme de tous ceux
qui soignent, accompagnent, entourent chaque personne âgée dépendante.
Le texte qui vous est soumis reconnaît pleinement le rôle des prestataires de
services et des professionnels, en particulier pour l'accompagnement des
personnes les moins autonomes, et crée un fonds de modernisation qui sera très
substantiellement doté et dont les objectifs majeurs seront le
professionnalisme et la qualité des services rendus.
Enfin, il n'y a pas de dignité réelle quand on ne peut pas choisir le lieu et
les modalités de sa vie. Souvent, l'alternative entre la poursuite de la vie à
domicile et l'entrée en institution est dictée par des contraintes économiques,
familiales ou tout simplement d'habitat. Le projet de loi entend offrir la
possibilité d'un véritable choix et reculer ainsi les limites à partir
desquelles l'hébergement devient un choix contraint.
L'élargissement des choix offerts aux personnes âgées exige, enfin, un
desserrement des contraintes portant sur l'affectation de l'aide.
Naturellement, le recours à des services ou à des tierces personnes restera
prédominant, mais il faut que l'APA puisse être utilisable pour des dépenses
telles que l'accueil de jour, les transports, l'adaptation de l'habitat, pour
ne citer que quelques exemples.
L'APA est une prestation en nature, mais elle doit répondre à l'ensemble des
besoins des personnes âgées et de leur famille.
Au-delà de la compensation des handicaps, la prestation offre un atout majeur
pour lutter contre l'isolement et pour faciliter l'aide aux aidants. Si vous
avez, et c'est le cas, la capacité d'écouter les familles, vous savez très bien
qu'il faut, certes, aider l'accompagnement de la vie quotidienne, mais être
également très attentifs à la situation des familles. C'est dans cet esprit
que, Mme Elisabeth Guigou et moi-même, travaillons.
Deuxième ambition : moderniser la prise en charge.
La loi va nous permettre de faire progresser l'ensemble du secteur de la prise
en charge des personnes âgées dépendantes, aussi bien dans l'aide à domicile
que dans les établissements, dans le sens d'une meilleure qualité des
prestations offertes et d'une meilleure formation des professionnels.
La création du fonds de modernisation de l'aide à domicile répond clairement
au souci de soutenir des actions de formation, des projets innovants et toute
mesure susceptible de favoriser la professionnalisation des services à
domicile. Le fonds nous permettra tout simplement de créer, enfin, de
véritables services de maintien à domicile.
C'est un aspect très important de la loi et il est très attendu par les
professionnels de ce secteur, car, avec cet outil, l'Etat se donne
véritablement les moyens de promouvoir une politique structurelle de l'aide à
domicile, qui se développera autour de trois axes : formation des personnels,
modernisation des structures gestionnaires, diversification et coordination des
services rendus.
Dans les établissements, une procédure de conventionnement est mise en place
qui permettra de lier un renforcement important des moyens à la mise en oeuvre
contractuelle d'une démarche d'amélioration de la qualité de la vie
quotidienne. L'objectif est d'aboutir à un projet de vie individualisé pour
chaque résidant, assorti des moyens nécessaires en termes de personnel
qualifié.
J'aimerais, à cet égard, insister sur un point, mesdames, messieurs les
sénateurs : quand nous serons vieux, nous serons tous dans une situation
particulière, parce que nous serons tous riches de notre propre histoire, de
notre propre situation. On le sait très bien, que ce soit à domicile ou en
hébergement, chaque personne ici sera dans une situation particulière et la
réponse, si nous nous trouvons par malheur handicapés, sera obligatoirement
personnalisée, individualisée. Cette loi nous permettra donc d'entendre la
situation particulière et l'histoire particulière de chaque homme et de chaque
femme en difficulté et de mieux leur répondre.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Très bien !
Mme Paulette Guinchard-Kunstler,
secrétaire d'Etat.
J'ai la volonté de mettre en oeuvre une véritable
politique d'accompagnement de la démarche de conventionnement des
établissements, passant notamment par des initiatives urgentes de formation des
personnels en fonction non qualifiés. C'est à l'évidence un enjeu essentiel
pour le développement d'une dynamique d'amélioration de la qualité de vie en
institution ; c'est aussi une condition déterminante pour bénéficier de budgets
« soins » importants, puisque, même si leur définition est assez large, ils
restent soumis à une exigence de qualification des personnels financés.
Parallèlement, et j'insiste sur ce point, je souhaite expérimenter la
formation de personnels dont le profil serait plus polyvalent, dans une
approche de décloisonnement entre le domicile et l'institution, le sanitaire et
le social.
Il y a là, me semble-t-il, un autre enjeu que nous devons entendre, que vous
devez entendre, vous, élus locaux, élus nationaux, pour faire en sorte qu'à
côté des dispositifs financiers, qu'à côté de l'organisation elle-même, nous
soyons capables de mettre en place un dispositif de formation qualifiante qui
réponde à l'ensemble des besoins, qu'ils soient sanitaires, sociaux,
psychologiques ou, tout simplement, qu'ils naissent de l'accompagnement de la
vie quotidienne.
M. Jean-Pierre Fourcade.
Très bien !
Mme Paulette Guinchard-Kunstler,
secrétaire d'Etat.
Enfin - je tiens à le souligner pour conclure ces
propos sur la modernisation du dispositif - la mise en oeuvre de l'allocation
personnalisée d'autonomie aura un effet important sur l'emploi, que l'on peut
estimer, même de manière assez globale, à plus de quarante mille emplois sur
trois ans, dont 20 000 en établissements.
Troisième ambition : organiser la conjonction entre solidarité nationale et
solidarité locale.
M. Michel Mercier,
rapporteur pour avis.
Avec un trou au milieu !
Mme Paulette Guinchard-Kunstler,
secrétaire d'Etat.
Le projet de loi qui vous est soumis réalise une
synthèse originale entre la reconnaissance d'un risque social et la gestion
décentralisée. L'impératif de dignité exige que l'on reconnaisse un nouveau
droit social fondé sur l'universalité, l'égalité, la solidarité. La nécessité
de personnaliser l'aide impose une mise en oeuvre pragmatique dans un cadre de
proximité.
La mise en oeuvre de l'allocation personnalisée d'autonomie exige un travail
de proximité le plus fin possible, reposant sur des équipes médico-sociales de
terrain. La coordination autour de la personne constitue le seul acquis de la
PSD, encore inégalement entré dans les pratiques, certes, mais important.
C'est pourquoi le projet de loi confirme la compétence des départements dans
la mise en oeuvre de cette nouvelle allocation, en association avec les caisses
de retraite. Notre objectif est de généraliser les partenariats qui existent
déjà dans nombre de départements, dans un souci de pragmatisme et d'efficacité.
Il s'agit en effet d'assurer la mobilisation de tous les moyens existants des
différents savoir-faire, aujourd'hui répartis entre ces deux catégories
d'institutions.
Il est par ailleurs sain, dans le cadre d'une réforme réellement
solvabilisatrice, de confier à la même autorité la responsabilité des aides
versées aux personnes et la responsabilité de contrôle et de tarification des
établissements, pour leurs dépenses de prise en charge à caractère social.
Au-delà de ces considérations pratiques, il faut souligner que le choix retenu
manifeste une vision cohérente de la décentralisation. L'aide à l'autonomie des
personnes âgées est un enjeu crucial pour les politiques sociales
départementales, un enjeu qui conditionne largement l'avenir de la
décentralisation sociale et l'évolution du rôle des départements. C'est aussi,
de plus en plus, un critère d'appréciation, par les citoyens, du travail des
élus.
La même volonté d'équilibre caractérise le financement du projet de loi,
associant financement départemental et solidarité nationale.
Vous pouvez constater que les ressources issues de la solidarité nationale,
telles que la CGS et la contribution des régimes de retraite,...
M. Michel Mercier,
rapporteur pour avis.
Marginales !
Mme Paulette Guinchard-Kunstler,
secrétaire d'Etat.
... participent, pour un tiers, soit 838 millions
d'euros,...
M. Michel Mercier,
rapporteur pour avis.
Non !
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Aujourd'hui, oui, mais demain ?
Mme Paulette Guinchard-Kunstler,
secrétaire d'Etat.
... au financement de la prestation. Il s'agit d'une
innovation décisive par rapport au financement de la PSD.
L'effort supplémentaire demandé aux départements s'élève à 381 millions
d'euros.
M. Michel Mercier,
rapporteur pour avis.
Quoi ? C'est pourquoi vous préférez parler en euros
!
M. Louis de Broissia.
Quand la somme est importante, on la donne en euros !
Mme Paulette Guinchard-Kunstler,
secrétaire d'Etat.
Je dirai sincèrement que je suis convaincue, et
beaucoup de Français avec moi, qu'une somme de cet ordre n'est pas excessive
pour répondre à un défi social majeur des trente prochaines années...
M. Louis de Broissia.
Ben voyons !
Mme Paulette Guinchard-Kunstler,
secrétaire d'Etat.
... et pour traiter des enjeux qui, dans une large
mesure, peuvent conditionner l'avenir des collectivités départementales.
J'ajoute et c'est sur ce point que je veux terminer mon propos que la
conjonction des solidarités nationale et départementale permettra de renforcer
des dynamiques de développement local, notamment en milieu rural ou semi-rural.
Le développement des services, la modernisation des établissements, la création
d'emplois directs ou indirects ainsi que le maintien des personnes âgées dans
leurs lieux de vie, leur pays ou leur quartier contribuent fortement à la
réalisation des objectifs du Gouvernement en matière d'aménagement du
territoire mais aussi de l'ensemble des collectivités locales en matière de
développement local.
Ce projet de loi ouvre de nouveaux champs à l'action publique, apporte de
nouvelles réponses très concrètes aux besoins des personnes âgées, des familles
et des professionnels, contribuant ainsi à construire « une société pour tous
les âges ».
Tout le monde est responsable, dans ce secteur. Je suis intimement persuadée
que l'échelon départemental, s'il sait se saisir de ce texte et en comprendre
tout l'intérêt, aura réellement la capacité de mettre en place, dans le champ
social, en direction des personnes âgées, de véritables politiques de
développement local.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, ce que je voulais vous dire, très
simplement mais avec beaucoup de conviction.
(Applaudissements sur les
travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et
citoyen. - MM. Georges Gruillot et Lucien Neuwirth applaudissent
également.)
(M. Jean-Claude Gaudin remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN
vice-président
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Vasselle,
rapporteur de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le vote
par le Parlement de la loi du 24 janvier 1997 instituant la prestation
spécifique dépendance a constitué une première étape décisive dans la prise en
charge des personnes âgées dépendantes. Personne ne le conteste, pas même le
Gouvernement.
L'initiative de l'instauration de cette prestation revient, vous le savez, mes
chers collègues, au Sénat. Consciente de la nécessité de mettre en oeuvre
rapidement un dispositif destiné à satisfaire les besoins des personnes âgées,
notre assemblée avait institué, dès 1994, grâce à un amendement de notre
commission, des expérimentations dans douze départements, expérimentations qui
ont débuté dès le 1er janvier 1995.
La question de la dépendance des personnes âgées a été également au coeur de
la campagne présidentielle. Le futur président de la République, M. Jacques
Chirac, s'était alors prononcé clairement en faveur d'une prestation destinée à
aider les personnes âgées dépendantes.
Dès sa première déclaration de politique générale, le 23 mai 1995, M. Alain
Juppé, Premier ministre, avait confirmé cette promesse, qui devait déboucher
sur le dépôt, au Sénat, d'un projet de loi instituant une prestation
d'autonomie pour les personnes âgées dépendantes.
Chacun se souvient comment l'examen de ce projet de loi s'était arrêté à
l'issue de la discussion générale, le 9 novembre 1995. Devant l'ampleur des
déficits des comptes sociaux et l'obligation de redresser ces derniers, le
Gouvernement avait, en effet, été conduit à reporter la suite de l'examen de ce
projet de loi.
Toutefois, pour nombre de mes collègues sénateurs comme pour moi-même, la
nécessité de mettre en place rapidement une prestation destinée aux personnes
âgées dépendantes s'imposait plus que jamais.
Elle a conduit Jean-Pierre Fourcade, alors président de notre commission,
moi-même et plusieurs de nos collègues à déposer une proposition de loi
tendant, dans l'attente du vote de la loi instituant une prestation d'autonomie
pour les personnes âgées dépendantes, à mieux répondre aux besoins des
personnes âgées par l'institution d'une prestation spécifique dépendance.
Prenant acte du fait que le projet de loi instituant une prestation
d'autonomie pour les personnes âgées dépendantes avait vu son examen interrompu
devant la Haute Assemblée en raison des risques de dérive financière qu'il
pouvait comporter, les auteurs de la proposition de loi ont souhaité apporter
une première réponse aux besoins des personnes âgées dépendantes en centrant la
prestation créée sur les plus démunis et les plus dépendants.
Il s'agissait donc - il convient de le rappeler - d'un dispositif provisoire,
qui présentait explicitement un caractère transitoire, dans l'attente d'une
autre loi qui instaurerait une prestation d'autonomie au bénéfice des personnes
âgées dépendantes, dès que l'état des comptes publics le permettrait.
La loi du 24 janvier 1997 n'était donc qu'une première étape, mais une étape
essentielle qui transformait radicalement le cadre juridique existant pour
créer, pour la première fois dans notre pays, un dispositif spécialement adapté
à la prise en charge de la dépendance.
Tirant les enseignements de la prestation expérimentale dépendance, la PSD
constituait, par bien des aspects, une avancée considérable. Les principes
fondateurs de cette prestation sont d'ailleurs repris dans le texte qui nous
est aujourd'hui soumis.
La PSD - je vous le rappelle, mes chers collègues - s'est tout d'abord
substituée à l'ACTP. Si elle apportait une réponse adéquate au besoin d'aide
des personnes handicapées, l'allocation compensatrice pour tierce personne
était inadaptée pour la prise en charge des besoins particuliers des aînés en
situation de dépendance, chacun le reconnaissait.
A la différence de l'ACTP, souvent détournée de son objet, la prestation
spécifique dépendance était donc une prestation en nature, c'est-à-dire
affectée au paiement de dépenses préalablement déterminées. Elle était destinée
à couvrir l'aide dont la personne âgée dépendante avait besoin à son domicile
ou dans un établissement pour l'accomplissement des actes essentiels de la vie
ou sa surveillance régulière.
L'aide dont avait besoin le bénéficiaire de la prestation spécifique
dépendance à domicile pouvait lui être apportée soit par un ou plusieurs
salariés directement recrutés en tant qu'aides à domicile, soit par
l'intermédiaire de salariés mis à la disposition du bénéficiaire de la
prestation spécifique dépendance par un service mandataire, soit, enfin, par
les salariés d'un service prestataire d'aide à domicile.
La coordination des aides autour de la personne et l'élaboration d'un plan
personnalisé construit avec le bénéficiaire représentaient, pour leur part, un
progrès réel par rapport à l'ACTP.
Dans le cas où la personne âgée était accueillie dans un établissement, la
prestation spécifique dépendance était versée directement à l'établissement
pour financer les surcoûts liés à l'état de dépendance. Le versement de la
prestation spécifique dépendance aux établissements d'accueil des personnes
âgées dépendantes passait par une réforme de leur tarification, dont la loi
fixait le cadre général.
Le législateur avait également fait le choix de la proximité en confiant la
gestion de cette nouvelle prestation aux départements.
L'évaluation pluridisciplinaire des besoins à l'aide d'une grille de mesure
commune - la grille AGGIR - était, en outre, une avancée très importante qui
permettait de renforcer l'homogénéité des pratiques des départements.
Enfin, la PSD ouvrait la voie à une coordination des actions des différents
acteurs, coordination qui était souhaitée depuis longtemps par tous les
intervenants.
N'en déplaise à ses détracteurs, le bilan quantitatif de la PSD est loin
d'être négligeable aujourd'hui. Le nombre de bénéficiaires ne cesse de croître
depuis le premier trimestre de 1998, date à laquelle la prestation est
véritablement entrée en vigueur.
A la fin de l'an 2000, 140 000 personnes âgées de soixante ans ou plus
bénéficiaient de la PSD. Au total, depuis la création de cette prestation,
environ 400 000 dossiers ont été soumis à l'examen des conseils généraux, et
300 000 ont bénéficié d'une décision favorable.
Parmi les bénéficiaires, 53 % vivent à leur domicile et quatre sur cinq sont
des femmes. Il s'agit de personnes âgées : près de neuf sur dix ont plus de
soixante-quinze ans. Quant aux personnes qui vivent en établissement, elles
sont plus âgées que celles qui vivent à leur domicile : 95 % ont
soixante-quinze ans ou plus en établissement, contre 85 % à domicile.
La prestation mensuelle moyenne est aujourd'hui de 3 500 francs à domicile et
de 1 900 francs en établissement. S'il existe naturellement, il faut le
reconnaître, des disparités sensibles entre les départements, 75 % d'entre eux
versent une prestation comprise entre 3 000 et 4 500 francs.
A l'évidence, mes chers collègues, je considère que la PSD ne mérite pas des
critiques aussi sévères que celles qui ont été prononcées à son encontre par le
Gouvernement.
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je n'en n'ai pas dit un mot
tout à l'heure !
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Le dispositif était incontestablement perfectible et des
ajustements réglementaires auraient permis d'élargir sensiblement le nombre des
personnes qui en bénéficient.
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Voyons, monsieur Vasselle !
M. Patrick Lassourd.
Cela aurait coûté moins cher !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Me permettez-vous de vous
interrompre, monsieur le rapporteur ?
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Certainement, madame le ministre.
M. le président.
La parole est à Mme le ministre, avec l'autorisation de M. le rapporteur.
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Monsieur le rapporteur, je n'ai
pas dit un mot de la prestation dépendance !
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Vous ne l'avez pas dit aujourd'hui, mais vous l'avez dit en
d'autres lieux, madame le ministre, ou devant les médias, qui se sont fait
l'écho de vos propos !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Monsieur le rapporteur, nous
sommes ici au Sénat ! Nous ne sommes pas là pour faire des procès d'intention
!
Cela dit, la prestation dépendance est naturellement très inférieure aux
besoins. Mais vous pouvez toujours essayer de la défendre !
Pour ma part, j'avais pris soin d'éviter ce thème. Franchement, permettez-moi
de vous le dire, ce n'est pas très adroit de votre part de l'aborder maintenant
!
(Protestations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
Mais, si vous voulez des réponses sur la prestation dépendance, vous en aurez
tout à l'heure.
M. Bernard Murat.
Il faut interroger les maires !
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur le rapporteur.
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Nous aurons l'occasion, madame la ministre, d'en débattre de
façon plus approfondie lors de l'examen des articles.
Pour ma part, je présente au Sénat des données chiffrées tout à fait
objectives et qui, à mon sens, ne peuvent être contestées par qui que ce soit,
même pas par le Gouvernement. D'ailleurs, vous ne les contestez pas vous-même
!
L'allocation personnalisée d'autonomie apparaît, à travers le texte qui nous
est présenté aujourd'hui, comme une véritable « boîte noire ».
Le dispositif de l'APA est
grosso modo
identique à celui de la PSD. Il
n'y a pas eu, en ce domaine, de véritable innovation quant au fond.
Le projet de loi aurait pu être limité à une modification à la marge dans le
chapitre II du code de l'action sociale et des familles, qui a codifié la loi
du 24 janvier 1997. Le Gouvernement a pourtant choisi de procéder à une
rédaction totalement nouvelle, découpant tel article, dénumérotant tel autre,
de sorte qu'il est techniquement très difficile de suivre les modifications
effectivement apportées à la loi de 1997.
La raison de ce choix de présentation réside probablement dans la volonté du
Gouvernement de faire apparaître une rupture entre l'APA et la PSD, et de «
graver » un nouveau dispositif dans le marbre.
M. Michel Mercier,
rapporteur pour avis.
Il n'y a pas de rupture, c'est clair !
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
L'une des caractéristiques de ce dispositif est d'être
souvent moins développé que ne l'était le texte relatif à la PSD. De nombreuses
dispositions sont renvoyées, explicitement ou implicitement, aux décrets. Or il
est fâcheux d'abroger certaines dispositions législatives actuellement en
vigueur pour renvoyer à de futurs décrets dont nous ne connaissons pas la
teneur.
Mme Guigou nous a certes assurés que le Parlement serait étroitement associé à
l'élaboration des décrets d'application.
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Heureusement ! Curieuse
conception !
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Cela étant, au moment où la commission des affaires sociales
a examiné le texte, elle ne connaissait pas la teneur des décrets, ce qui est
dommageable pour le travail parlementaire.
Quelles sont les principales innovations du dispositif de l'APA ?
Le Gouvernement assure, tout d'abord, que le dispositif sera uniforme, car
fondé sur un barème national. Mais il est impossible, dès lors que l'on
maintient - et ce choix est sage - une prestation en nature, de donner à une
telle prestation un caractère véritablement égalitaire : le plan d'aide retenu
variera nécessairement en fonction des équipes médico-sociales de chaque
département, en fonction des établissements et en fonction des degrés
d'autonomie.
Le Gouvernement se félicite, en second lieu, du caractère universel de l'APA.
Mais la suppression de la condition de ressources s'accompagne de la mise en
place d'un ticket modérateur dont l'Assemblée nationale se félicite qu'il
n'atteigne jamais 100 %. Vous avouerez que la différence n'est toutefois pas
considérable.
Ces principes, conjugués avec le maintien d'une prestation en nature servie et
gérée par le département, conduisent à une certaine confusion sur la nature de
cette prestation.
Ni « prestation d'aide sociale », comme cela a été dit précédemment, ni «
prestation assurantielle », se situant toutefois « dans la philosophie d'un
cinquième risque », « prestation de solidarité nationale » financée
essentiellement par les départements et conjuguant « la décentralisation et
l'égalité des droits sur tout le territoire », l'APA selon le Gouvernement,
traduirait le « choix du pragmatisme ».
L'innovation principale consiste à retenir les personnes classées en GIR 4.
Mais cette disposition sera déterminée par décret.
De manière générale, bon nombre de dispositions de ce texte relèvent du
domaine réglementaire, comme je l'ai dit précédemment. Le Parlement
dispose-t-il de projets de décret ? Je vous ai déjà apporté la réponse : en
aucune façon ! C'est la raison pour laquelle je dis que l'APA est une véritable
« boîte noire ».
Certes, en raison de l'inclusion des GIR 4, l'APA peut être considérée comme
un dispositif « plus généreux ».
Je formulerai à cet égard une observation : cette « générosité »
supplémentaire doit s'accompagner d'un financement pérenne, ce qui n'est
absolument pas le cas à la lecture du texte.
En réalité, le Gouvernement reporte sur les départements et sur la sécurité
sociale le soin de financer les générosités de sa politique sociale.
Le financement de l'APA a retenu l'essentiel des critiques de la commission
des affaires sociales, que je vais vous livrer.
Tout d'abord, ce financement n'est pas assuré.
Le financement de l'APA, jugé « équilibré » par le Gouvernement, repose sur
une étude d'impact proche de l'indigence. Il est source de graves menaces pour
les finances locales et les finances sociales.
Le chiffrage pour 2002 est précisément fixé par l'étude d'impact à 16,3
milliards de francs, dont 11 milliards de francs de dépenses
supplémentaires.
Les départements verraient leurs dépenses augmenter de 5,5 milliards de francs
par rapport aux moyens déjà dégagés. Pourtant, dans l'étude d'impact, on nous
explique que l'augmentation de la contribution des départements ne serait que
de 2,5 milliards de francs. Tout à l'heure, vous avez même parlé de 381
millions de francs, madame la secrétaire d'Etat. Je pense qu'on est loin du
compte.
Mme Paulette Guinchard-Kunstler,
secrétaire d'Etat.
Je parlais d'euros !
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Je n'ai pas été suffisamment attentif ; veuillez m'en
excuser, madame la secrétaire d'Etat.
Les départements auraient « économisé », du fait de la PSD, 1,4 milliard de
francs, mes chers collègues, et ils récupéreraient, au titre des économies de
gestion induites par la réforme de la tarification, exactement la même somme :
1,4 milliard de francs.
Je souhaite formuler, à cet égard, trois observations.
Première observation : l'estimation des moyens existants est sujette à
caution, l'étude d'impact s'appuyant sur des chiffres remontant à 1999.
Deuxième observation : des économies incontestables ont été réalisées sur
l'ACTP à domicile, il faut le reconnaître. A partir du moment où l'Etat s'est
engagé, au travers des critères de Maastricht, à maîtriser l'évolution des
dépenses publiques, il est toutefois curieux que certains jugent aussi
sévèrement notre souci d'utiliser au mieux les finances départementales.
Il est, en outre, réducteur de se limiter à une approche purement
quantitative. Chacun s'accorde en effet à juger que l'ACTP était une prestation
qui n'était pas conçue pour les personnes devenues dépendantes avec l'âge, et
qu'elle était, par conséquent, mal gérée et mal contrôlée.
Par ailleurs, ce phénomène global ne rend pas compte de la situation
particulière des cent départements français.
Enfin, troisième observation : les économies à attendre de la réforme de la
tarification relèvent, à mon sens, de la pure spéculation.
Pour boucler le financement de l'APA en 2002, le Gouvernement n'a pas résisté
à sa tentation préférée : créer un fonds. Sous la forme d'un établissement
public national, le Fonds national de financement de la prestation autonomie
serait doté d'environ 5,5 milliards de francs, 5 milliards de francs venant de
la CSG et 500 millions de francs d'une contribution des caisses de sécurité
sociale.
La création de ce fonds constitue, selon Mme Elisabeth Guigou, ministre de
l'emploi et de la solidarité, « une nécessité pour reconnaître, sur le plan
institutionnel et politique, la compensation de la perte d'autonomie comme un
nouveau droit ».
Cette « reconnaissance » n'interviendra pourtant que sur une fraction mineure
du total des dépenses de l'APA, le fonds ne faisant qu'apporter aux
départements un concours partiel et tardif, puisque, sur 16,3 milliards de
francs, il n'y aura que 5,5 milliards de francs qui seront censés exprimer la
solidarité nationale. Nous sommes donc loin du compte !
La commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée
nationale y voit « un instrument de clarification ». La commission des affaires
sociales du Sénat ose espérer que cette « clarification » sera d'une autre
nature que celle qui a présidé à la décision de créer le fonds de financement
de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale, le FOREC.
La véritable justification de ce fonds est de permettre d'y affecter deux
recettes émanant de la sécurité sociale : la contribution versée au fonds par
les régimes de base d'assurance vieillesse - dont la constitutionnalité, je le
dis au passage, nous apparaît incertaine - et la CSG.
Les partenaires sociaux ne s'y sont d'ailleurs pas trompés : ils ont en grande
majorité émis un avis négatif lors de l'examen du projet de loi par le conseil
d'administration de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs
salariés, la CNAVTS.
Pour justifier le recours à la CSG, madame la ministre, vous avez déclaré à
l'Assemblée nationale qu'il correspondait à « la logique de solidarité
nationale sur laquelle repose ce nouveau droit ». Vous avez ajouté : « La CSG
en est la meilleure expression du fait de son universalité ». Permettez-moi de
vous rappeler le douzième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre
1946 : « La Nation proclame la solidarité et l'égalité de tous les Français
devant les charges qui résultent des calamités nationales ».
L'expression de « solidarité nationale » est bien celle qui s'applique pour
indemniser les éleveurs victimes de la crise de l'encéphalopathie spongiforme
bovine ou les habitants du département de la Somme noyés sous les eaux. On
n'imagine pourtant pas un seul instant de recourir à la CSG pour financer de
telles indemnités !
Par ce terme de « solidarité nationale », le Gouvernement introduit ainsi une
confusion supplémentaire des genres. Car le grand absent du financement de
l'APA est bien l'Etat, tandis que la sécurité sociale est mise à contribution.
La CSG - faut-il le rappeler ? - fait en réalité l'objet d'un double
détournement.
Le premier détournement de la CSG est de financer une allocation qui n'est pas
une prestation de sécurité sociale.
Affecter une fraction de CSG au financement de l'APA aurait été justifié si la
voie du cinquième risque avait été prise. A partir du moment où la sécurité
sociale ne gère pas le risque dépendance, la justification de recourir à cette
imposition, affectée jusqu'alors de manière exclusive au financement de la
sécurité sociale, est bien mince : elle ne s'explique que par la volonté du
Gouvernement, une fois de plus exprimée, de financer par la sécurité sociale
les générosités de sa politique sociale. C'est la même logique que pour le
financement des trente-cinq heures qui s'est mise en marche !
Le second détournement de la CSG est de financer un fonds de formation
professionnelle.
En effet, comme il a été rappelé tout à l'heure, le projet de loi crée, au
sein du fonds de financement de l'APA, un autre fonds, « le fonds de
modernisation de l'aide à domicile ».
L'objectif général, évidemment tout à fait louable, est de former les salariés
des associations d'aide à domicile et de contribuer ainsi à la
professionnalisation de ce secteur.
Les actions de ce fonds apparaissent déjà plus imprécises.
Son financement pose de graves questions de principe. M. Gouteyron, président
de la commission des affaires culturelles, serait certainement le premier à le
dénoncer. Comment peut-on justifier qu'un fonds de formation soit financé par
la CSG, dont l'objet est de financer de manière exclusive la sécurité sociale
?
Il convient de rappeler que le Gouvernement a refusé d'appliquer une
disposition de l'article 16 de la loi du 24 janvier 1997 portant création de la
PSD prévoyant une formation pour les salariés de l'aide à domicile. Il
suffisait d'un décret pour mettre en place, dès 1997, la disposition existante.
Je l'avais rappelé à Mme Aubry lorsqu'elle a pris ses fonctions au ministère.
Puis Mme Guigou lui a succédé en octobre 2000. Par conséquent, depuis 1997,
l'initiative qui aurait pu être prise ne l'a pas été !
Il est facile, aujourd'hui, de dénoncer les insuffisances de qualification des
agents qui interviennent à domicile ou dans des établissements, alors que l'on
avait la faculté de prendre les dispositions appropriées !
Non seulement on a attendu ce projet de loi relatif à la prise en charge de la
perte d'autonomie des personnes âgées et à l'allocation personnalisée
d'autonomie, mais, de surcroît, on veut prélever de l'argent sur la CSG pour ce
faire ! Admettez, mes chers collègues, que ce procédé est quelque peu curieux
!
Il en a été de même lorsque l'on a « renvoyé » aux régions le financement du
certificat d'aptitude aux fonctions d'aide à domicile, le CAFAD. Il faut
reconnaître que peu de régions se sont investies dans la formation des
intervenants à domicile. Tout cela mérite donc une véritable réflexion.
Le coût total de la prestation en vitesse de croisière, il faut le rappeler,
est estimé à 23 milliards de francs. Il apparaît que cette vitesse de croisière
serait atteinte en 2004. Il manque aujourd'hui 6,5 milliards de francs, ce qui
ne vous a pas empêché, madame la ministre, d'assurer que le cadre du
financement était « pérenne ».
Le Gouvernement annonce qu'un « bilan financier est prévu au plus tard le 30
juin 2003 pour adapter, le cas échéant, les modalités de financement des
dépenses d'APA en fonction de leur évolution ». Un rapport est prévu à cette
fin à l'article 13 du projet de loi.
Cette évaluation est à la fois prématurée - le bilan de la seule année 2002,
qui risque fort d'être une année de montée en charge du dispositif, sera alors
disponible - et incomplète, puisqu'elle restera sans lendemain.
Face à la dérive du dispositif, le Gouvernement sera alors placé devant deux
tentations, celle de recourir une nouvelle fois à la CSG et celle de laisser
aux départements le soin de combler la différence.
M. Louis de Broissia.
Et voilà !
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Il sera difficile aux départements d'échapper au financement
du surcoût de la prestation, car leurs dépenses, pourtant supérieures, ne
seront pas visibles.
L'APA comprend également des coûts masqués, à travers notamment la suppression
du recours sur succession, qui représente un saut vers l'inconnu.
M. Louis de Broissia.
Tout à fait !
M. Alain Vasselle,
rapporteus.
Le Gouvernement a donné un avis de sagesse à l'amendement du
groupe socialiste, tout en souhaitant la suppression du gage : cette
suppression sera-t-elle à la charge des départements ? Y aura-t-il compensation
? Je pose la question.
Le deuxième coût masqué réside dans la création de 2 000 équivalents temps
plein au sein des équipes médico-sociales. Cela représentera un coût de
fonctionnement supplémentaire non négligeable, à la charge des départements.
Enfin, la participation de l'assurance maladie constitue le troisième « coût
masqué ». Elle repose sur un « plan » devant financer, sur une durée de cinq
ans, la médicalisation des établissements, pour un total de 6 milliards de
francs, et l'augmentation d'un tiers du nombre de services de soins infirmiers
à domicile, pour un montant de 1,2 milliard de francs. Par conséquent, pour
mettre les compteurs à zéro, nous sommes appelés si je comprends bien, à
financer l'ensemble des lits qui ont été autorisés, mais non financés !
Il est vrai - je me permets de le dire au passage - que l'absence de
financement n'est pas propre à votre gouvernement. Il en a été de même sous des
gouvernements précédents. Toutefois, M. Jacques Barrot, alors ministre de la
santé et de la sécurité sociale, avait mis en place un programme de rattrapage
du financement des lits de cure médicale, autorisés mais non financés, dans
nombre de maisons de retraite.
Aujourd'hui, rien n'indique dans votre projet qu'un financement pérenne des
lits qui seront créés au fur et à mesure des autorisations des commissions
régionales fera l'objet d'une inscription dans le projet de loi de financement
de la sécurité sociale !
Il importe pourtant de s'assurer d'une bonne répartition de la prise en
charge, entre la sécurité sociale et les conseils généraux, des trois forfaits,
à savoir le forfait soins, le forfait dépendance et le forfait hébergement.
Mais il faut reconnaître, s'agissant du forfait hébergement, que, compte tenu
des insuffisances de la sécurité sociale, ce sont les départements qui ont
supporté une charge indue. Non seulement ils ne trouvent aucune compensation,
mais ils vont se voir imputer 2,5 milliards de francs en plus des 11 milliards
de francs qui sont prévus.
Encore faut-il noter qu'il n'y aucun moyen pour le Parlement de vérifier si
ces objectifs seront atteints. De plus, ce coût d'investissement représente un
coût de « fonctionnement » qui, lui, n'a pas été chiffré.
Une seule question, du reste, mérite d'être posée à ce sujet, et je vous la
pose, madame la ministre : quelle sera l'évolution retenue de l'ONDAM
médico-social pour 2002 ?
En effet, il est bien évident que le financement de lits à concurrence de 6
milliards de francs aura des conséquences sur le forfait soins, et il va bien
falloir suivre au niveau de l'ONDAM !
Enfin, le financement de l'APA échappe à tout contrôle, car, même s'il est
géré par le fonds de solidarité vieillesse, le fonds de financement de l'APA ne
constituerait pas, en tant que tel, un « organisme concourant au financement
des régimes de base ».
En conséquence, il échapperait au contrôle du Parlement lors de la discussion
de la loi de financement de la sécurité sociale.
Le fonds n'apparaîtrait pas davantage en loi de finances.
Une fraction de l'un des prélèvements obligatoires les plus importants
disparaîtrait purement et simplement du contrôle du Parlement. Si le projet de
loi était adopté en l'état, la fraction de la CSG affectée au fonds de
financement n'apparaîtrait plus dans les prévisions de recettes de la loi de
financement : elle ne serait nulle part.
Un tel recul des prérogatives du Parlement en matière de finances sociales,
désormais unanimement reconnues, est, à mon sens, particulièrement grave.
Certes, l'Assemblée nationale a retenu le principe d'un conseil
d'administration et d'un conseil de surveillance. Le conseil de surveillance
comprendrait notamment des membres du Parlement. Un rapport serait transmis
chaque année au Parlement et au Gouvernement, ainsi que cela a été prévu par
l'Assemblée nationale.
Il reste que l'augmentation du nombre de parlementaires membres de conseils de
surveillance, parfois proportionnelle à l'affadissement généralisé de leurs
compétences, est un pis-aller.
Ce financement est contradictoire avec les autres priorités affichées par le
Gouvernement.
Le détournement au profit du fonds autonomie d'une partie de la CSG affectée
au FSV va à l'inverse de la politique définie le 21 mars 2000 par le Premier
ministre pour l'alimentation du fonds de réserve des retraites.
Les excédents du FSV sont en effet censés être la première source
d'alimentation de ce fonds de réserve.
Or, afin de financer les 35 heures, le Gouvernement a déjà supprimé
l'affectation des droits sur les alcools au FSV pour 11,5 milliards de francs
en 2001 et diminué une première fois le taux de CSG affectée au FSV pour 7,5
milliards de francs en 2001.
Les recettes du FSV, c'est-à-dire les moyens financiers de garantir l'avenir
des retraites, sont ainsi amputées annuellement de plus de 24 milliards de
francs, soit 19 milliards de francs résultant de la loi de financement de la
sécurité sociale pour 2001 et 5 milliards de francs au titre du financement de
l'allocation personnalisée d'autonomie.
En somme, le Gouvernement alimente un nouveau fonds par des recettes destinées
à un fonds, le FSV, qui était censé les reverser à un autre : le fonds de
réserve des retraites. Nous finissons par être perdus dans tous les fonds !
Le rapport de contrôle que j'ai eu l'honneur de présenter à la commission des
affaires sociales le 19 avril dernier expliquait ainsi que les 1 000 milliards
risquaient de ne pas être atteints, puisque, du fait de la politique du
Gouvernement, les années 2000, 2001 et 2002 montraient que le tableau de marche
était bien mal engagé.
Madame la ministre, vous nous répondrez sans doute que le FSV est amené à
dégager de toute façon des excédents du fait de la diminution du nombre des
allocataires du minimum vieillesse ; mais ces excédents ne sont pas
multipliables à l'infini, et ils s'arrêteront en 2010.
Compte tenu de ces différentes observations, mes chers collègues, la
commission des affaires sociales propose de supprimer le fonds de financement
de l'APA et de retenir le principe d'un financement alternatif reposant sur une
tout autre logique et rappelant l'Etat à ses responsabilités.
Les modalités de ce financement alternatif ont été définies par la commission
des finances, saisie pour avis de ce projet de loi, et par son rapporteur, M.
Michel Mercier, avec qui j'ai travaillé en étroite concertation et qui vous en
dira sans doute plus dans quelques instants.
Telles sont, monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire
d'Etat, mes chers collègues, les principales observations qu'appelle de la part
de la commission des affaires sociales le présent projet de loi.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Michel Mercier,
rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Comme vous l'avez dit très
justement, madame le secrétaire d'Etat, le problème de la prise en charge de la
dépendance dans notre pays est un problème lancinant. Sous divers
gouvernements, de nombreux débats parlementaires ont porté sur ce point, sans
que, jusqu'à ce jour, une réponse satisfaisante ait été trouvée.
Voilà quelques années, comme l'a rappelé excellemment M. le rapporteur, le
Sénat a pris l'initiative de créer une prestation spécifique dépendance, qui
est, selon moi, une prestation moderne,
sui generis ;
il s'agit non pas
d'une prestation d'aide sociale ou d'une prestation de sécurité sociale, mais
de quelque chose de nouveau.
Un certain nombre de principes sont posés, s'agissant de la prise en charge de
la dépendance, une prise en charge qui tient globalement compte de l'état de la
personne, apprécié dans son environnement à partir d'une grille nationale
d'évaluation. La réponse est apportée non pas en argent, mais en nature, aidant
ces personnes à vivre.
Ces principes ne sont pas remis en cause dans le présent projet de loi. Ils
sont repris, et il est bon qu'il y ait non pas une rupture, mais un cheminement
vers un texte meilleur, puisque la PSD a toujours été présentée comme un
dispositif intermédiaire, avant qu'un autre soit mis au point.
Le texte qui nous est présenté aujourd'hui va-t-il permettre de résoudre le
problème de la prise en charge de la dépendance dans notre pays ?
Sur un certain nombre de points, je répondrai par l'affirmative. Il faut en
effet reconnaître certaines avancées : un tarif national et une prise en charge
plus large, les titulaires de revenus moyens étant pris en compte.
Pourquoi ne pas reconnaître ces progrès ? Les reconnaître nous permet de mieux
faire ressortir les graves lacunes du projet de loi.
Je serais tenté de dire que, dans sa rédaction actuelle, le texte résout le
problème de la dépense mais non celui des recettes. C'est donc sur le
financement de l'allocation personnalisée d'autonomie que devront porter
principalement nos débats. M. le rapporteur de la commission des affaires
sociales l'a dit également.
Nos deux commissions ont d'ailleurs travaillé dans un bon esprit de
coopération pour essayer de donner à ce projet de loi toute l'efficacité
possible. Mais, malheureusement, dans la mesure où il est déclaré d'urgence,
nous n'aurons probablement pas le temps de résoudre ce problème du financement.
Je le regrette car nous aurions peut-être pu régler une question importante
pour la vie des personnes âgées de notre pays. Elle ne le sera que très
imparfaitement dès lors que le financement sera imparfait.
Quelles critiques peuvent être formulées sur le financement prévu ?
D'abord, le compte n'y est pas. En effet, si la dépense est estimée à 16,5
milliards de francs pour l'exercice 2002 et à 23 milliards de francs en régime
de croisière, on ne trouve pas en face la recette correspondante. Aussi, le
maître d'ouvrage que constituent les départements devra fournir les sommes
manquantes pour assurer le financement total.
Or, dès le départ, une part importante du financement de cette allocation est
mise à la charge des départements sous forme d'une dépense obligatoire. Bien
que décidée par l'Etat, cette dépense sera lourdement supportée par les
départements, un recours limité et contestable dans sa forme étant demandé à la
solidarité nationale.
Il existe, dans notre législation, d'autres exemples de mise à la charge de
collectivités territoriales d'une dépense obligatoire. Ce n'est pas nouveau. Le
Conseil constitutionnel a encadré ce genre de décision législative en rappelant
que le législateur devait déterminer très précisément non seulement l'objet de
la dépense obligatoire, ce qui est le cas dans le projet de loi qui nous est
soumis, mais aussi la portée de cette dépense, ce qui n'est pas fait en
l'espèce.
Nous devrons donc régler ce problème de constitutionnalité avant la fin de nos
débats.
Un plafond est prévu dans le texte, mais il est purement formel dans la mesure
où c'est un plafond individuel de dépenses qui dépasse le plafond retenu pour
la prestation maximale de l'APA, fixé à 7 000 francs. En effet, tel qu'il
ressort des dispositions du projet de loi, ce plafond individuel est de 7 057
francs. Un plafond inopérant, qui ne pourra pas jouer, ne peut donc pas
répondre à l'exigence du Conseil constitutionnel. Il s'agit là d'un point de
droit important. Il faudra trouver le plafond adéquat, et j'espère, madame la
ministre, madame la secrétaire d'Etat, que vous accepterez de vous livrer aux
discussions nécessaires pour rendre constitutionnelle cette partie du texte.
Comme je le disais tout à l'heure, le financement de la dépense sera
lourdement supporté par les départements, même si la dépense est décidée par
l'Etat, par le biais du tarif national.
Je reviens brièvement sur les chifres qui ont été avancés dans les deux
exposés précédents.
Actuellement, les départements consacrent 5,5 milliards de francs au
financement de la PSD et à l'allocation compensatrice pour tierce personne.
Pour l'exercice 2002, le coût de la nouvelle allocation devrait s'élever à 16,5
milliards de francs. Or, pour financer ces 16,5 milliards de francs, en plus
des 5,5 milliards de francs des départements, la solidarité nationale apportera
5,5 milliards de francs par le biais d'une contribution des caisses de retraite
et d'une fraction du produit de la CSG. Il manque donc 5,5 milliards de francs.
Comme rien n'est prévu, ces 5,5 milliards de francs seront à la charge des
départements.
Comme justification, vous invoquez deux arguments.
Premier argument : les départements auraient économisé de l'argent et cette
économie devrait en quelque sorte être mise à leur débit. Voilà un raisonnement
quelque peu spécieux, vous en conviendrez ! Si, chaque fois qu'une collectivité
a bien géré, on lui impose de dépenser son économie, cela posera même un
problème de fond. Mais passons !
Deuxième argument : les départements devraient, en outre, économiser 1,4
milliard de francs sur une réforme de la tarification que le Gouvernement a
décidée voilà quelques années, mais qu'il est incapable de faire appliquer par
ses fonctionnaires. Cette réforme serait enfin appliquée tout à coup l'année
prochaine et elle ferait gagner 1,4 milliard de francs.
De toute façon, il manque désespérément 2,7 milliards de francs au total.
C'est le contribuable départemental qui devra les payer, sans aucune
justification nouvelle.
Puis, en régime de croisière, la dépense passera de 16,5 milliards à 23
milliards de francs, et ce sans nouvel apport de la solidarité nationale. La
contribution de la caisse vieillesse restera fixée
ne varietur
à 500
millions de francs, et la fraction de CSG connaîtra la variation habituelle que
subit le produit de la CSG, si tout va bien dans le domaine économique et
social, soit environ 3 % par an, ce qui n'est pas si mal mais donnera un
résultat fort éloigné des 6,5 milliards de francs nécessaires. C'est donc à
nouveau le contribuable départemental qui devra prendre en charge ces 6,5
milliards de francs, sauf si le rapport que l'on nous annonce peut nous laisser
espérer mieux.
Madame la ministre, si l'on veut que ce projet de loi remplisse bien son
office, il faut absolument régler définitivement ce problème de financement :
on ne peut pas laisser ainsi 5,5 milliards de francs supplémentaires à la
charge des départements dès 2002, ce qui correspond globalement à un doublement
de la charge qu'ils supportaient au titre de la PSD ; pour certains
départements, notamment des départements ruraux - je pense à un département de
la bordure orientale du Massif central - la charge sera même multipliée par
quatre.
(M. Michel Teston lève la main pour demander la parole).
On a beau dire que ces départements ne dépensaient pas assez avant, multiplier
par quatre la dépense ne sera tout de même pas facile à « faire avaler » au
contribuable local !
Aussi, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, je vous demande
instamment qu'un véritable débat de fond sur le financement de l'APA ait lieu,
sinon, ce texte ne répondra pas à l'espoir qu'il a suscité.
Ce qui manque, c'est l'effort de la solidarité nationale.
Le recours à la solidarité nationale est en effet très limité ; cela a déjà
été dit, je n'y reviens pas. J'insisterai, en revanche, sur la forme que prend
cette solidarité.
L'utilisation d'une part de la CSG, c'est l'affaire du Gouvernement. Mais ce
qui n'est pas acceptable, c'est que les modalités de fonctionnement du fonds de
financement échappent totalement au contrôle du Parlement puisque ce fonds ne
relèvera ni de la loi de financement de la sécurité sociale ni de la loi de
finances il relèvera d'une simple structure administrative.
Or il s'agit ici de relations entre l'Etat et les collectivités territoriales,
qui, aux termes du principe constitutionnel de libre administration, doivent
être précisément régies par le législateur. Un organisme administratif ne peut
donc se substituer en la matière au Parlement. La détermination des modalités
de répartition d'un concours financier de l'Etat aux collectivités locales ne
peut pas être renvoyée à un décret.
Finalement, quelles propositions faisons-nous, quelles pistes lançons-nous au
début de cette discussion pour améliorer notablement le projet de loi ?
Nous proposons d'abord - première piste - un partage financier équilibré entre
les départements et l'Etat. Puisque le Gouvernement a renoncé, à juste titre,
me semble-t-il, à la solution du cinquième risque faute de disposer des moyens
de le financer, il faudrait créer une cotisation permettant à la sécurité
sociale de supporter une part des 23 milliards de francs. Il faudra d'ailleurs
tenir compte de la suppression quasi généralisée du recours sur succession, que
le Parlement va probablement décider petit à petit.
Nous souhaitons - deuxième piste - que la solidarité nationale soit mise en
oeuvre conformément aux règles des finances publiques. En effet, au moment où
l'on engage la révision de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique
relative aux lois de finances, on comprendrait mal qu'un texte soit voté soit
en contradiction formelle avec l'esprit de cette révision !
Nous proposons donc que l'effort de la solidarité nationale soit retracé dans
le budget de l'Etat et prenne la forme d'un concours particulier au sein de la
DGF aux départements, effort représentant environ la moitié du financement de
l'APA et indexé sur l'évolution des dépenses de l'APA d'un exercice à l'autre.
Nous suggérons, pour répartir ce concours, d'utiliser les critères contenus
dans le projet de loi, à savoir l'effort consenti par les départements pour les
personnes âgées, le potentiel fiscal des départements et les dépenses accordées
par ces derniers aux titulaires du RMI, afin de tenir compte des spécificités à
la fois des départements ruraux pauvres et des départements urbains, qui
peuvent avoir de lourdes dépenses sociales. Un pourcentage de 80 % serait
affecté au critère principal, chacun des critères péréquateurs comptant pour 10
%.
Telles sont, monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire
d'Etat, mes chers collègues, les propositions que je suis amené à vous faire,
au nom de la commission des finances. Celle-ci considère que, telle qu'elle
nous est proposée, l'allocation personnalisée d'autonomie s'inscrit dans
l'effort que notre pays consent déjà depuis un certain nombre d'années pour
prendre en compte la dépendance. Ce projet de loi marque donc une étape dans
cette prise en compte ; mais il manque au dispositif proposé, pour être
véritablement efficace, un financement assuré, pérenne, également partagé.
Au demeurant, si vous voulez bien suivre vos commissions dans les propositions
qu'elles vous feront, mes chers collègues, je crois qu'un bon travail sera
réalisé.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et
des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. Michel Teston.
Je demande la parole.
M. le président.
Mon cher collègue, je n'ai pas souhaité que vous interrompiez M. le rapporteur
pour avis durant son exposé. Je vous donne maintenant la parole.
M. Michel Teston.
Je vous en remercie, monsieur le président.
M. le rapporteur pour avis a évoqué un très beau département, l'Ardèche, si
j'ai bien compris, et je voudrais qu'il n'y ait pas le moindre doute quant à la
position du représentant de l'Ardèche que je suis ici.
Je tiens à dire haut et fort que je suis très favorable à ce projet de loi,
même si, comme Michel Mercier, je m'interroge sur son financement en 2003.
C'est la raison pour laquelle je souhaiterais que l'on puisse obtenir quelques
précisions sur ce sujet.
M. Jean Chérioux.
Le financement, c'est tout le fond du problème !
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 60 minutes ;
Groupe socialiste, 50 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 38 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 36 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 25 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 23 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe,
8 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Huguet.
M. Roland Huguet.
Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, le
projet de loi qui fait l'objet de notre discussion est le cinquième grand
chantier social de cette législature, après les lois sur la réduction du temps
de travail, sur les emplois-jeunes, sur la lutte contre les exclusions et sur
la couverture maladie universelle.
Ce texte traite un problème de société difficile, eu égard, notamment, à la
façon dont on aborde aujourd'hui le vieillissement et la dépendance qui lui est
généralement associée, plus ou moins tôt.
Le regard de la société sur le vieillissement est, en effet, étrange. D'un
côté, on continue à donner aux personnes du troisième âge, par un effet de «
jeunisme », des envies et une place dans la société qui nient la réalité du
vieillissement. D'un autre côté, on les exclut trop facilement de la vie
sociale parce qu'elles sont synonymes de coûts ; on les associe à la retraite,
aux problèmes de santé, d'environnement, à la mort.
Là réside peut-être la difficulté de mettre en place les bonnes politiques en
direction de la vieillesse.
Ce projet de loi permet de dépasser cette ambiguïté en instituant des mesures
en faveur du maintien de l'autonomie. Car, finalement, le vieillissement se
marque bien par une dépendance qui s'accroît de jour en jour. Le vieillissement
se traduit par la conscience physique, le ressenti dans son propre corps, de la
difficulté grandissante à soulever un poids, à faire une promenade, à produire
un effort, etc.
Pourtant, tout le monde s'accorde à reconnaître combien l' « ancien »
représente un lien social fort. C'est, en outre, un acteur à part entière de
l'économie sociale et commerciale. Le poids des seniors sur le marché européen
est considérable : ils achètent 45 % des voitures neuves, 50 % des eaux
minérales, 50 % de toutes les huiles et représentent 40 % des dépenses de
tourisme.
Et s'il fallait une preuve de la capacité des seniors à évoluer avec leur
temps la voici : les plus de soixante-cinq ans étaient 24 000 à se connecter
sur Internet il y a un an ; ils sont aujourd'hui 150 000, soit une augmentation
de 513 % !
Par conséquent, il est nécessaire de tout faire pour donner à ceux qui, du
fait de l'âge la perdent ou risquent de perdre leur autonomie physique les
moyens de la conserver le plus longtemps possible par la prévention ou des
aides aux handicaps provoqués par le vieillissement.
Le projet de loi que nous examinons aujourd'hui constitue un progrès
indéniable pour les personnes âgées dépendantes.
Notre rapporteur, Alain Vasselle, a défendu la PSD avec autant de brio que de
fougue. Mais, mon cher collègue, si vous consacrez tant de temps et d'énergie à
la défendre, c'est qu'elle a besoin d'être défendue !
Pour ma part, je ne dirai pas que la PSD a été un échec complet. C'était un
démarrage, avez-vous dit. On pouvait faire mieux ! Il reste qu'elle n'est
perçue actuellement que par 135 000 personnes, alors que l'on s'accorde à
considérer que les personnes âgées dépendantes de plus de soixante ans sont au
nombre de 800 000.
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Ce sont tout de même les plus démunies et les plus
dépendantes qui bénéficient de la PSD !
M. Roland Huguet.
Les raisons de cet échec...
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Ce n'est pas un échec !
M. Roland Huguet.
... ou de ce semi-échec sont, entre autres : la non-prise en compte de 264 000
personnes classées en GIR 4, des montants généralement trop faibles, leur
variation d'un département à l'autre et le recours sur succession.
Mais je suis d'accord avec vous, monsieur Vasselle, pour dire que la PSD a eu
au moins le mérite de nous faire passer à une prestation en nature. C'était un
premier progrès. Et la création de l'équipe médico-sociale en a été un
second.
Cela étant, je veux, quant à moi, surtout parler de l'APA.
M. le rapporteur affirme que c'est « une boîte noire ». Or une boîte noire,
mes chers collègues, est faite pour dire la vérité.
M. Jean Delaneau,
président de la commission des affaires sociales.
Après la catastrophe !
(Sourires.)
M. Roland Huguet.
Oui mais, ici, nous ouvrons la boîte noire avant la catastrophe, pour l'éviter
!
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Justement, nous allons vous aider à l'éviter !
M. Roland Huguet.
Avec cette nouvelle prestation, nous créons un droit universel, car la seule
condition pour en bénéficier est la perte d'autonomie, un droit objectif
puisqu'il est établi à partir d'un barème fondé sur le degré de perte
d'autonomie, même faible, un droit égal puisque le montant sera identique sur
l'ensemble du territoire, un droit personnalisé, tenant compte de la situation
de chacun, dans le cadre d'un plan d'aide qui permettra l'adaptation aux
conditions de vie particulières de chaque bénéficiaire.
A partir du 1er janvier 2002, l'allocation personnalisée d'autonomie permettra
à toutes les personnes ayant perdu de l'autonomie, même si elles sont peu
dépendantes, et sans condition de ressources, de percevoir une aide destinée à
compenser le handicap.
Cette prestation sera versée aux personnes résidant en établissement comme à
celles qui restent à domicile. Pour ces dernières, un plan d'aide personnalisé
sera élaboré par une équipe médico-sociale en fonction des besoins de la
personne. Le montant de la prestation sera modulé par un ticket modérateur
variable en fonction des ressources.
Enfin, en instituant le fonds de modernisation de l'aide à domicile, le texte
prévoit des mesures en faveur de la qualité des services à domicile, ce fonds
étant destiné à soutenir les actions de formation, de développement de la
qualité des services et le renforcement de la professionnalisation de l'aide à
domicile.
Les aspects positifs de ce texte, les progrès réels qu'il permet d'accomplir
ont d'ailleurs été relevés par l'ensemble des acteurs sociaux consultés. Tous
se félicitent, notamment, du fait que cette prestation relève non plus tant de
l'aide sociale proprement dite que de l'action sociale en s'orientant vers une
prestation légale.
De même, ils considèrent que la prise en compte des GIR 4 par l'APA est une
avancée considérable.
La prise en charge du financement par 0,1 % de CSG annonce un début de
financement par la solidarité nationale.
Cependant, l'UNCCAS, l'Union nationale des centres communaux d'action sociale,
regrette l'inégalité de traitement entre les personnes qui restent à domicile
et celles qui sont en établissement, ce qui peut gêner la liberté de choix des
bénéficiaires. Elle demande que le droit ouvert soit établi en fonction du plan
d'aide individualisé en toute circonstance. Elle souhaite également
l'instauration de la mutualisation des APA par établissement pour aider à la
mise en place de projets de vie.
Une autre organisation regrette la « ségrégation par l'âge » et souhaite une
prise en charge par la sécurité sociale d'un cinquième risque.
Enfin, le principe du recours sur succession est dénoncé comme étant un frein
à la demande d'APA, comme il l'a été pour la PSD. L'Assemblée nationale l'a
d'ailleurs bien compris et en a demandé la suppression.
Globalement, ce texte comporte de nombreux éléments positifs : le caractère
universel de la prestation ; le tarif national à domicile, variant en fonction
de la dépendance et revalorisé chaque année ; le barème national de
participation des bénéficiaires selon leurs ressources, dans lesquelles le
patrimoine est pris en compte ; le plan d'aide individualisé élaboré par
l'équipe médicale ; le principe de la prestation en nature ; la création d'une
commission d'attribution et de conciliation avec, dans ce cas, représentation
des usagers, l'assimilation au domicile des hébergements collectifs de petite
taille ; la prise en compte dans le calcul de l'APA de la situation d'un couple
dont un membre réside à domicile et l'autre en établissement ; un financement
faisant appel à la solidarité nationale ; l'aide à la modernisation de l'aide à
domicile ; l'exonération totale des charges patronales pour l'emploi d'aide à
domicile.
L'UNASSAD, l'Union nationale des associations de soins et services à domicile,
demande à être partie intégrante de toutes les équipes médico-sociales
intervenant à domicile. Elle souhaite également que le plan d'aide soit élaboré
à l'issue d'une démarche confiée à des professionnels qualifiés et prenant en
compte les capacités physiques et psychiques de la personne âgée, mais aussi
son environnement affectif, géographique et économique, ses habitudes et ses
choix de vie.
Il s'agit bien, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, d'un bon
texte, représentant un véritable « plus », attendu par toutes les familles.
La gestion de la prestation est confiée aux départements, ce qui correspond à
la volonté majoritaire de ces derniers. M. Teston vous a déjà fait part du
soutien de l'Ardèche. Je vous apporte celui du Pas-de-Calais. Il y en a
quatre-vingt-dix-huit autres à convaincre, me direz-vous !
(Sourires.)
Les départements souhaitaient un renforcement de leurs compétences en ce qui
concerne les personnes âgées, eu égard à leur savoir-faire en termes
d'accompagnement individuel des personnes et de leurs familles, et
indépendamment des importantes conséquences financières qu'aura pour eux le
dispositif.
La compétence des départements est donc confirmée et élargie à la moyenne
dépendance puisque les GIR 4 seront bénéficiaires de l'APA. Il leur reviendra,
de ce fait, d'assurer l'information, la mise en oeuvre et l'animation d'une
politique gérontologique adaptée aux besoins des usagers, tant à domicile qu'en
établissement.
A ce propos, il me faut rappeler la difficulté résiduelle de prise en compte
des départements à forte population âgée et où le niveau des retraites est, en
outre, souvent très bas. J'indiquerai, à titre d'exemple - je regrette que
notre collègue Michel Mercier ne soit plus là pour l'entendre,...
M. Jean Delaneau,
président de la commission des affaires sociales.
Il va revenir !
M. Roland Huguet.
... mais je ne manquerai pas de lui en faire part - que, pour le département
du Pas-de-Calais, la mise en place du dispositif représentera un coût
supplémentaire de 90 à 99 millions de francs, après intervention du fonds de
financement de l'APA, dans l'hypothèse où 70 % des personnes potentiellement
éligibles demanderaient et obtiendraient l'APA, coût ramené à 30 ou 40 millions
de francs si seulement 60 % d'entre elles sont demandeuses.
Madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, je voudrais tout de même vous
signaler que tous les départements ne sont évidemment pas à considérer de la
même façon.
M. Louis de Broissia.
Eh oui !
M. Roland Huguet.
Certains départements ont peut-être utilisé la prestation spécifique
dépendance pour diminuer leurs dépenses. Mais ce n'est pas le cas du
Pas-de-Calais !
(Sourires et murmures.)
Dans mon département, en effet,
nous avons dépensé plus pour la PSD qu'auparavant pour l'ACTP.
M. Louis de Broissia.
Il ne faut pas se justifier !
M. Roland Huguet.
Dès alors, avec le sourire, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat,
je voudrais vous demander si la compensation interviendra aussi dans l'autre
sens : puisque vous demandez à ceux qui n'ont pas suffisamment dépensé de faire
un effort pour combler leur retard, allez-vous rendre de l'argent à ceux qui
ont dépensé plus ?
(Sourires.)
M. Jean Chérioux.
Ne rêvez pas !
M. Louis de Broissia.
Noël, c'est en décembre !
(Nouveaux sourires.)
M. Roland Huguet.
Au moins, essayons de le faire à travers la péréquation.
M. Philippe Nogrix.
Il n'y a que 5,5 milliards de francs à partager !
M. Roland Huguet.
La population actuellement éligible à l'APA dans le Pas-de-Calais est
d'environ 18 000 personnes alors que 5 000 personnes bénéficient actuellement
de la prise en charge par la PSD. L'avancée sociale est donc indiscutable.
Mais il faudra aussi prendre en compte l'augmentation des coûts de gestion due
au renforcement en moyens tant humains que matériels. C'est pourquoi la
participation des organismes de sécurité sociale à la gestion du dispositif, le
renforcement des services d'aide à domicile et la médicalisation des
établissements sont plus que jamais nécessaires.
L'APA sera accordée par le président du conseil général sur proposition d'une
commission départementale, composée de représentants du département et des
organismes de sécurité sociale. Cette commission sera également chargée
d'étudier les litiges et accueillera alors des représentants des usagers ; il
sera utile de préciser le mode de désignation et les conditions de leur
représentativité.
Le financement de cette prestation sera assuré par la création d'un fonds de
financement de l'APA abondé par 0,1 point de la CSG, soit 5,5 milliards de
francs, et la participation des régimes de retraite au titre des GIR 4, soit
0,5 milliard de francs.
Ces ressources seront versées sous forme de concours particuliers aux
départements et réparties en fonction du montant des dépenses d'APA qu'ils
réalisent rapporté à la dépense totale. Une péréquation interviendra soit sur
la base du potentiel fiscal et du nombre de bénéficiaires du RMI, soit sur
celle du nombre de personnes âgées, comme le demande l'Assemblée nationale.
Il serait souhaitable que la commission consultative d'évaluation des charges
soit saisie annuellement...
M. Jean Delaneau,
président de la commission des affaires sociales.
Tout à fait !
M. Roland Huguet.
... du problème de la compensation des dépenses pour analyser, selon les
principes généraux de la décentralisation, les conséquences financières de la
mise en place de la prestation.
De même, dans la mesure où l'évolution du concours de l'Etat n'est prévue
qu'en cas d'évolution de l'assiette de la CSG, on pourrait envisager une clause
de sauvegarde en fonction des évolutions globales des dépenses réalisées par
les départements et prévoir une limite, au-delà de laquelle il sera
indispensable d'assurer une compensation, plutôt qu'un indice maximal
d'évolution par bénéficiaire fixé à 120 % de la majoration pour tierce
personne, comme le prévoit le projet de loi.
Le principe de la répartition du financement de la prestation sera le suivant
: deux tiers pour les départements, un tiers pour la solidarité nationale, par
le biais de la CSG et des régimes de retraite.
Je pense pouvoir dire, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, que le
présent projet de loi fait l'unanimité sur le terrain, puisqu'il répond aux
besoins et aux aspirations de la population. Le problème de la vieillesse y est
traité de façon positive, en termes non plus de handicap et d'exclusion de la
société, mais de conservation des potentiels de la personne par une prise en
charge rapide de la perte d'autonomie, malheureusement quasiment impossible à
éviter avec les années.
Cette prestation permettra à de nombreuses personnes de continuer à vivre dans
les meilleures conditions et à chacun d'entre nous de mieux accepter le
vieillissement et les difficultés qui lui sont attachées.
La seule « vraie critique », si je peux m'exprimer ainsi, porte sur la
pérennité et le financement à long terme.
Contrairement à ce qui s'est passé pour la prestation spécifique dépendance,
votée en ces lieux et à propos de laquelle j'étais déjà intervenu, je puis
cependant vous assurer, mes chers collègues, que les moyens de mettre en oeuvre
l'allocation personnalisée d'autonomie seront assurés...
M. Jean Delaneau,
président de la commission des affaires sociales.
Ah !
M. Roland Huguet.
... par la création du fonds de financement abondé par l'Etat selon les
modalités prévues.
Faut-il rappeler que la PSD avait été adoptée sans qu'aucun financement de
l'Etat ne soit prévu dans le texte ?
M. Louis de Broissia.
Elle réformait l'ACTP !
M. Roland Huguet.
Vous le savez, de nombreuses voix s'élèvent pour demander l'évolution de la
prise en charge légale du handicap - et quelle qu'en soit la cause quel que
soit l'âge de la personne - par la sécurité sociale au titre de ce que l'on
appelle le « cinquième risque ».
Le présent projet de loi s'inscrit dans le sens d'une telle évolution,
c'est-à-dire qu'il tend vers l'action sociale plutôt que vers l'aide sociale et
vers la solidarité entre générations, solidarité sur laquelle repose notre
société - nous avons parfois tendance à l'oublier.
La volonté du Gouvernement de financer l'APA est réelle. L'avenir démontrera
la nécessité d'évoluer vers une prise en charge accrue par la solidarité
nationale.
Madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, dans la mesure où il ne sera
pas dénaturé par la majorité de cette assemblée, votre texte - n'en doutez pas
- recevra le soutien sans réserve du groupe socialiste du Sénat.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. de Broissia.
M. Louis de Broissia.
Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, tous,
nous ne pouvons que prendre conscience, en ce début du XXIe siècle, de
l'importance du phénomène de société que représente le vieillissement de la
population française. Et tous, quelles que soient les travées sur lesquelles
nous siégeons, nous nous efforçons de permettre aux personnes âgées de tenir
leur place dans la société et de leur éviter ces ghettos que constituent les
maisons de retraite.
Hier, je me trouvais dans l'une d'elles : les regards vides des personnes
âgées de quatre-vingt-cinq à quatre-vingt-quinze ans, qui se demandent ce
qu'elles y font, me poursuivent, comme vous, madame le secrétaire d'Etat, jour
et nuit.
Quelques chiffres permettent de mieux appréhender l'augmentation du nombre de
personnes âgées et l'accroissement de la longévité : 12 millions de personnes
sont âgées de plus de soixante ans - c'est considérable - et 1,4 million de
personnes ont plus de quatre-vingt-cinq ans. De trois à cinq générations
peuvent désormais coexister dans une même famille. Un rapport présenté dans un
colloque de l'Assemblée nationale citait ainsi le chiffre de 3 300 familles
heureuses réunissant cinq générations.
Deuxième élément que nous constatons tous : si la majorité des personnes âgées
de plus de soixante-cinq ans, celles que l'on appelle dans nos campagnes les «
toujours jeunes », vivent plutôt bien et sont actives - il est d'ailleurs
important de veiller à ne pas les marginaliser pour leur éviter ce sentiment
trouble où se mêlent peur de vieillir et de mourir, isolement et sentiment
d'inutilité - si, disais-je, la majorité des personnes âgées de plus de
soixante-cinq ans vivent bien, l'allongement de la vie n'est pas forcément une
période heureuse, en particulier pour les personnes d'un grand âge qui
subissent une perte d'autonomie.
Le débat, heureusement, est ouvert dans la société française depuis - j'espère
que M. Huguet ne m'en voudra pas - 1995.
Ainsi, le principal objectif du projet de loi que la majorité d'alors à
l'Assemblée nationale soutenait en janvier 1997 - j'y étais - visait à pallier
les défauts d'une ACTP détournée de sa vocation initiale, ce que tout le monde
reconnaissait. Elément nouveau à cette époque, la PSD était versée en nature,
M. le rapporteur l'a rappelé. Autre nouveauté importante, l'évaluation par une
équipe médico-sociale de terrain du niveau de dépendance et des besoins était
prévue pour élaborer un plan d'aide.
La PSD était provisoire, cela fut dit à l'époque. Elle a néanmoins permis de
faire accéder 130 000 personnes environ à un premier degré d'assistance à la
dépendance.
Le dispositif, je l'ai dit aussi en tant que président de conseil général, a
été considéré comme médiocre, car trop restrictif dans ses conditions d'accès,
et inégalitaire dans son attribution.
Enfin, les distorsions de pratique constatées d'un département à l'autre
constituaient sans conteste un obstacle au bon fonctionnement du système,
lequel a toutefois eu le mérite d'exister.
Aujourd'hui, madame le secrétaire d'Etat, comme vous l'avez dit devant la
commission des affaires sociales du Sénat, l'ambition - nous la partageons tous
- est d'ouvrir un nouveau droit fondé sur l'université, sur l'égalité et sur la
solidarité nationale, mis en oeuvre dans un cadre de proximité et visant à
renforcer la qualité de la prise en charge des personnes âgées, notamment en
soutenant le recours à des services professionnels.
Tout cela, madame le secrétaire d'Etat, et en particulier l'accent mis sur
l'aide à domicile et le fonds de modernisation, dont on reparlera dans la
discussion, est intéressant. Cependant, quelques contradictions d'importance
doivent être mises en évidence.
Ainsi, comment concilier universalité et personnalisation de la prestation ?
On le voit sur le terrain pour la couverture maladie universelle, madame le
secrétaire d'Etat, il y a des failles dans l'universalité ! J'ai pu constater,
voilà une semaine, que le service d'odontologie du CHU-CHR de Dijon était
encombré par les bénéficiaires de la CMU, qui n'ont plus recours à l'ordre des
chirurgiens-dentistes que les départements conventionnaient auparavant. Un
système universel n'est donc pas nécessairement un système universellement
heureux !
Comment donc concilier universalité et personnalisation ? Il faudra avant tout
garantir un droit objectif avant de promouvoir un droit à la consommation
jusqu'à un certain plafond national.
De la même façon, mes chers collègues, comment concilier l'égalité d'accès à
l'allocation sur tout le territoire et la souplesse de gestion de proximité ?
Là encore, je renvoie à la CMU, madame le secrétaire d'Etat : nous avons tous
pris connaissance - dans certains départements plus vite que dans d'autres - du
nombre de bordereaux en retard à la sécurité sociale ! Un système universel ne
garantit donc pas toujours la proximité.
Or le président de conseil général que je suis reste attaché au principe de
proximité, de même qu'au principe de l'évaluation de la personne, car il doit
s'agir d'une aide véritablement « personnalisée ».
Nous sommes également attentifs à la possibilité de maintenir un partenariat
local afin d'éviter des dispositifs administratifs lourds et inefficaces.
La volonté de réforme est appréciable, mais certaines avancés sont trompeuses
- je viens de le dire à propos de l'universalité - et cela ne parvient pas à
masquer les faiblesses du projet de loi, en particulier une faiblesse que je ne
suis pas le premier et que je ne serai pas le dernier à dénoncer. Je veux
parler, bien sûr, du mode de financement de l'APA.
Mme Guigou a qualifié son financement de pérenne et d'équilibré. Nous sommes
entre nous : soyons sérieux sur un sujet sérieux ! Dois-je répéter les
interrogations que soulève le fonds national pour le financement de la
prestation économique ?
Chose curieuse, madame le secrétaire d'Etat, le Gouvernement se félicite que
le financement de l'APA - le sigle n'est pas très joli, il fait penser un peu
trop à l'« appât » - relève non seulement de la solidarité locale mais
également de la solidarité nationale.
Je veux bien, mais j'ai fait de l'arithmétique élémentaire avant de faire des
mathématiques dites supérieures. La solidarité nationale ne jouera que pour un
tiers, la solidarité locale pour les deux tiers ! Comme le dit fort justement
M. Vasselle, que je cite à nouveau, le Gouvernement crée un nouveau concept :
la solidarité nationale sans l'Etat.
Vous l'avez vous-même qualifié d'original, madame le secrétaire d'Etat,...
Mme Paulette Guinchard-Kunstler,
secrétaire d'Etat.
Tout à fait !
M. Louis de Broissia.
... et j'ai apprécié l'humour de la démarche au travers de cet épithète.
Vous créez - nous créerions si nous vous suivions - un nouvel impôt social
national : l'impôt local ! Ainsi, la taxe d'habitation, la taxe foncière, la
taxe sur le foncier non bâti, la taxe professionnelle deviennent des impôts de
solidarité nationale.
C'est une façon intelligente, M. le président du comité des finances locales
n'en disconviendra pas, d'aborder la solidarité nationale, et je vous entendrai
avec plaisir sur ce point, sur lequel nous n'allons pas manquer de revenir.
Avant d'aborder la question de la place prioritairequ'avec la règle du « deux
tiers-un tiers » vous entendez donner aux départements dans le financement de
l'allocation d'autonomie, qu'il me soit permis de faire quelques remarques sur
les modalités de ce financement.
Le projet de loi que nous examinons prévoit donc la création d'un fonds
national pour le financement de la prestation personnalisée d'autonomie. Les
critères exacts de la répartition restent à définir, et il faut bien avouer
qu'au jour d'aujourd'hui nous restons dans le flou le plus total.
Où en est l'étude dont devaient faire l'objet les modalités précises de
l'évolution de la péréquation, en valeur absolue et en valeur relative ? C'est
un aspect important, et il est normal que les parlementaires s'en
préoccupent.
Autre sujet d'inquiétude : dans quelle proportion va évoluer - je ne suis pas
le premier à vous poser la question et je ne serai pas le dernier - le montant
global de l'allocation au-delà des deux premières années de mise en oeuvre ?
J'ai entendu les prévisions de mon collègue Roland Huguet : 70 %, voire 60 %,
de la population y aura recours. Cependant, avec la suppression de la
récupération sur succession, l'appel d'air sera, à mes yeux, beaucoup plus
fort, car, dès lors que l'on crée un droit universel - je dis bien « universel
» - de prestation sans cotisation, ce sont 90 %, voire 95 %, des personnes qui
y accéderont.
Pour l'heure, madame le secrétaire d'Etat, permettez-moi de constater
seulement que le Gouvernement organise bien allègrement les dépenses des
départements ! Il a été dit tout à l'heure que l'A.D.F., l'Assemblée des
départements de France avait donné son accord. Secrétaire général de cette
noble institution, je n'ai pas eu le sentiment d'une concertation très
appronfondie sur ce sujet. A moins que, séjournant deux jours dans ma
Bourgogne, les nouvelles ne me soient pas parvenues de Paris. Mais,
généralement, elles m'arrivent !
Il semble d'ailleurs que le Gouvernement ait pris l'habitude - madame le
secrétaire d'Etat, je vous le redis - de décider pour les départements sans
leur proposer des recettes correspondant à l'effort financier important qu'il
leur demande. Les missions des départements sont ainsi de plus en plus
nombreuses - nous les assumons - les lois de décentralisation, conjuguées, dans
l'esprit de Maastricht, selon le principe de la subsidiarité, provoquant, elles
aussi, un appel d'air qui ne cesse de gonfler leurs compétences. Je le dis avec
gravité, mes chers collègues - et je le redirai encore demain à propos d'autres
projets de loi - je crains l'insoutenable légèreté de l'Etat à l'endroit des
départements.
C'est une constante de ce gouvernement de se décharger de dépenses honorables.
Au Gouvernement l'honneur de créer une nouvelle prestation et aux élus locaux
la honte d'assumer les impôts locaux correspondants : voilà un partage de
compétences qui est assez original !
Devrons-nous - c'est une question toute simple - augmenter la pression fiscale
? Oui, bien entendu ! Dès 2001, tous mes collègues en charge d'une institution
départementale devront proposer une augmentation forte, significative de la
taxe d'habitation, des taxes foncières et de la taxe professionnelle. En
d'autres termes, la solidarité nationale sera désormais exercée par tous les
contribuables, y compris par les plus modestes, ceux qui n'y participaient pas
auparavant.
A cela s'ajoute - M. le rapporteur a parlé à cet égard d'un « coût masqué » -
la proposition originale de nos collègues de l'Assemblée nationale visant à
mettre fin à la récupération sur succession. Au Sénat, quelques-uns m'ont dit
dans les couloirs - je ne sais pas s'ils le répéteront dans l'hémicycle - qu'il
s'agit d'une véritable « bombe à retardement ».
Vous le savez, le principe même de la récupération sur succession aboutissait
à ce que, dans les centres communaux d'action sociale, les CCAS, dans les
mairies, auprès des conseillers généraux, auprès des élus de base, lorsqu'on
venait s'enquérir d'un droit social et que l'on posait poliment la question de
l'éventuelle existence d'un système de récupération sur succession, on
repartait, en tout cas pour les personnes les plus aisées, en disant : « Eh
bien, on réfléchira ! » Cette possibilité de récupération sur succession sera
donc supprimée. Un large débat devrait s'instaurer sur l'ensemble du
financement du nouveau dispositif.
Il faut conclure. Il y a une coïncidence, et l'actualité est toujours un
signe, personne n'en doute : en ce moment a lieu, à l'Assemblée nationale, un
débat sur l'autonomie de la Corse ; au même moment, nous engageons, nous, au
Sénat, qui, aux termes de l'article 24 de la Constitution assure la
représentation des collectivités territoriales et alors que l'article 72 de la
Constitution dispose que lesdites collectivités s'administrent librement, un
débat sur la nationalisation - allez, osons le mot ! - de l'action des 102
départements et collectivités assimilées. Nous ne regrettons pas ce débat.
Nous déplorons simplement l'absence de l'indispensable volet du financement.
Mes chers collègues, je vais vous faire une confidence. Dans mon assemblée
départementale, on dénombre quarante-deux hommes et femmes de qualité. Comme je
me suis, bien sûr, exclu du lot, cette assemblée comporte en réalité
quarante-trois personnes. On y compte un membre du Gouvernement. Vous voyez de
qui je veux parler, madame le secrétaire d'Etat ? Il s'agit d'un homme
sympathique, populaire et c'est, comme on dit dans mon coin, un de mes «
conscrits ». Chaque fois qu'il parle - et il le fait avec talent - j'entends la
voix de Bercy. Il nous annonce, mes chers collègues, qu'il y a 170 milliards de
francs - j'ai noté le chiffre et il l'a répété - d'excédents chez les élus
locaux.
C'est le nouvel Eldorado du Gouvernement de Lionel Jospin. Il y a de l'argent
ailleurs. Dès lors, pourquoi réformer l'Etat, réformer les régimes de retraite
et se lancer dans une grande réforme de la décentralisation ? Ce n'est pas
nécessaire. Il faut aller chercher l'argent dans les communes, dans les
départements et dans les régions !
C'est une situation que nous avons déjà vécue ici et que nous revivrons
encore.
La discussion sur l'allocation personnalisée d'autonomie marque ce que l'on
pourrait appeler - je me permets d'employer ce terme pour vous montrer que je
vous écoute attentivement, madame le secrétaire d'Etat - une nouvelle
gouvernance, une nouvelle façon de gouverner. C'est donc une démarche
originale, au sens propre du terme, puisque cela permet d'accorder une nouvelle
prestation et de la faire payer par d'autres. Si la solidarité nationale ne
méritait pas un traitement plus élevé, j'aurais dit : Chapeau l'artiste !
Aujourd'hui, nous discutons incontestablement d'un texte important, que vous
avez vu, madame le secrétaire d'Etat, sous un angle politique, trop politique.
Je le répète : honneur à celui qui veut la prestation, honte à celui qui fait
payer l'impôt correspondant. Vous gardez l'honneur, vous nous laisserez la
honte.
Grâce au travail remarqué de la commission des affaires sociales et de son
rapporteur, M. Vasselle, grâce à l'apport de notre collègue M. Mercier,
rapporteur pour avis de la commission des finances, l'allocation personnalisée
d'autonomie, trouvera je l'espère, à travers la discussion au Sénat, une vraie
dimension.
C'est cette dimension vraie, pérenne, sérieuse que je soutiendrai, avec mon
groupe, le RPR. Je rejetterai donc, madame le secrétaire d'Etat, mes chers
collègues qui siégez à gauche dans cet hémicycle, un texte - celui qui nous est
soumis aujourd'hui - qui traduit beaucoup trop l'alliance, à mes yeux perverse,
de la générosité et de la démagogie.
(Applaudissements sur les travées du
RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Dériot.
M. Gérard Dériot.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les
personnes âgées dépendantes sont effectivement de plus en plus nombreuses dans
notre pays, grâce à l'allongement de la vie. Actuellement, on dénombre entre
700 000 et 1 million de personnes âgées dépendantes. En 2020, la France en
comptera près de 1,2 million.
Or, jusqu'en 1997, il n'existait pas de prestation spécifique pour ces
personnes. C'est M. Jacques Barrot, alors ministre du travail et des affaires
sociales, qui a fait voter la loi du 24 janvier 1997 instaurant une prestation
spécifique dépendance, la PSD.
Aujourd'hui, il est sans doute souhaitable d'aller plus loin dans la prise en
charge de la dépendance, grâce à un financement plus large.
Avec la création de l'allocation personnalisée d'autonomie, un premier constat
s'impose : la PSD a été, selon moi, une bonne mesure, car, pour la première
fois, on a pris en compte la situation de dépendance. Cependant, très vite on
s'est aperçu de ses faiblesses. En effet, malgré ses aspects positifs
indéniables, cette prestation a fait l'objet de critiques : d'une part, les
conditions de ressources sont trop restrictives et cette prestation exclut les
demandeurs moyennement dépendants ; d'autre part, il s'agit d'une prestation
d'aide sociale, soumise à condition de ressources et ayant des conséquences en
matière de récupération sur succession et contre les donataires. En outre, son
caractère inégalitaire selon les départements est souvent mal perçu.
La nouvelle prestation, plus généreuse, plus étendue, calculée suivant un
barème national, devrait répondre à l'essentiel des critiques formulées contre
la PSD.
En outre, même si ce nouveau droit ne doit pas constituer le cinquième risque
couvert par la sécurité sociale, comme le demandent encore de nombreuses
associations de personnes âgées et nombre de professionnels du secteur, il
répondra au principe de l'universalité. En effet, partout en France, le montant
de l'allocation sera identique selon l'état de dépendance, et tout demandeur
classé dans les quatre premiers groupes de la grille nationale d'évaluation, la
grille AGGIR, aura droit à cette allocation, sans condition de ressources. En
revanche, le droit sera modulé selon le niveau de ressources par l'instauration
d'un ticket modérateur.
S'agissant de la gestion de la prestation par le département, il convient
d'attirer l'attention sur quatre aspects.
Comme pour la PSD, le département gérera la prestation, dont l'attribution
demeure de la compétence propre du président du conseil général. Toutefois, la
coopération avec les organismes de sécurité sociale sera beaucoup plus
importante et se traduira notamment par l'instauration d'une commission chargée
de préparer la décision du président du conseil général. De même, une
commission de recours amiable sera créée pour éviter les contentieux, afin de
désengorger la commission départementale et la commission centrale d'aide
sociale.
De façon générale, l'APA s'inscrira dans la démarche des coordinations
gérontologiques locales.
Les prévisions de votre ministère, madame la secrétaire d'Etat, font état,
pour la France entière, de 800 000 bénéficiaires de l'APA, contre 135 000
bénéficiaires pour la PSD. Ainsi, dans mon département, l'Allier, le nombre de
bénéficiaires passerait de 1 200 à 7 000. Cette croissance très importance
montre la nécessité d'augmenter les moyens en personnels pour assumer une telle
charge, tant pour les équipes médico-sociales sur le terrain que pour le
personne administratif.
S'agissant du coût, il me semble difficile à ce jour de le prévoir de façon
précise. Je voudrais signaler que le département de l'Allier a consacré 29
millions de francs à la PSD en 2000. Ce montant sera sans doute multiplié à peu
près par quatre. Nous mesurons l'importance du supplément qui devra être
versé.
Le coût pour le département va donc progresser dans de très fortes
proportions, malgré le système de péréquation prévu dans le projet de loi,
destiné à résorber les disparités entre départements en complétant l'apport de
ceux qui supporteront une charge plus importante.
La gestion administrative de l'APA, voisine dans ses grandes lignes de la
gestion de la PSD, avec l'ajout d'un passage systématique devant une
commission, sera certainement plus lourde et plus complexe, notamment lors de
la montée en charge à compter du 1er janvier 2002, date prévue pour
l'application de la nouvelle loi.
C'est l'une des raisons pour lesquelles quatre départements ont officiellement
saisi les pouvoirs publics en suggérant de mutualiser les coûts de la
dépendance en établissement, afin que le département accorde une enveloppe
globale à chaque établissement selon le calcul d'un GIR moyen issu des GIR de
chaque résident. Cette enveloppe couvrirait le coût global de la prise en
charge de la dépendance et s'inscrirait dans la démarche des conventions
tripartites à intervenir entre les départements, les établissements et la
sécurité sociale, pour la nouvelle tarification.
Une telle solution présenterait, à mon avis, un double avantage : d'une part,
ne pas individualiser les coûts pour les usagers des établissements et, d'autre
part, simplifier considérablement la gestion, tant pour les établissements que
pour le département, lequel pourrait ainsi davantage consacrer ses moyens
personnels au suivi individualisé des bénéficiaires de l'APA à domicile,
sachant que le maintien à domicile semble devoir rester l'objectif
prioritaire.
D'autres départements partagent d'ailleurs l'analyse des quatre départements
qui ont formulé cette suggestion, même si, à ce jour, ils n'ont accompli aucune
démarche officielle.
En première lecture, l'Assemblée nationale a approuvé, à la quasi-unanimité,
le principe de la suppression du recours sur succession. Beaucoup s'en sont
inquiété, et je m'en inquiète également.
Sur tous les bancs, les députés ont souligné que cette récupération
constituait un important frein psychologique pour les personnes âgées et
expliquait en partie le relatif échec de la PSD. En outre, paraît-il, les
sommes récupérées étaient peu importantes pour les départements, étant donné la
lourdeur administrative de la procédure de recouvrement.
Je voudrais tout de même signaler que, l'année dernière, dans mon département,
1,2 million de francs ont été récupérés au titre du recours sur succession. Il
ne s'agit pas d'une somme négligeable.
Aux termes de la loi sur la PSD, le recours sur succcession s'appliquait pour
les successions supérieures à 300 000 francs. Le projet de loi initial
prévoyait de porter ce seuil à 1 million de francs.
Ce recours sur succession est en effet très dissuasif pour les personnes
âgées. Celles-ci sont soucieuses de ne pas léser leurs héritiers et
s'inquiètent des investigations de l'administration dans les affaires
familiales et patrimoniales.
Si l'expérience de la PSD montre que les sommes récupérées sont relativement
faibles, il est peut-être souhaitable de supprimer cette récupération. Mais si
tel est le cas, attendons-nous à ouvrir toutes grandes les portes de la demande
de prestation. Une compensation financière sera nécessaire pour minimiser le
coût supporté par les départements, car, de toute façon, face à une telle
demande, ils devront augmenter leur fiscalité.
En outre, lors de la première lecture, l'Assemblée nationale a adopté, à
l'unanimité, un amendement relatif au versement de l'APA pour les personnes qui
résident en établissement.
En effet, l'APA versée en établissement est affectée au paiement des tarifs
dépendance de chaque résident, calculés dans le cadre de la réforme de la
tarification, fondée sur un dispositif de conventionnement tripartite. Or les
établissements s'inquiètent, car ils estiment que ce système précarise leur
situation.
La mesure, telle qu'elle est conçue dans le projet de loi initial, est
porteuse d'un risque de disparités de traitement selon les structures d'accueil
et les types de dépendance. En outre, elle plonge les bénéficiaires potentiels
dans une situation d'insécurité et d'angoisse particulièrement malvenue dans la
mesure où ils redoutent une réévaluation de leur dépendance entraînant une
hausse du tarif applicable.
Toujours lors de la première lecture à l'Assemblée nationale, l'ensemble des
députés ont approuvé le principe d'une expérimentation dans une quinzaine de
départements d'une dotation globale servie aux établissements, sur la base
d'une évaluation du niveau moyen de dépendance des personnes résidentes. Madame
la secrétaire d'Etat, permettez-moi de vous indiquer d'ores et déjà que le
département de l'Allier, dont je préside le conseil général, se porte candidat
pour une telle expérimentation.
S'agissant du maintien à domicile, un débat est intervenu à propos du recours,
par les personnes bénéficiaires de l'allocation personnalisée d'autonomie, à
des services agréés d'aide à domicile.
En effet, les contrats de gré à gré peuvent poser des problèmes quant à la
qualification et au professionnalisme de la personne apportant l'aide, qui,
souvent, appartient à l'entourage familial de la personne âgée.
Tout en reconnaissant la nécessité d'inciter au recours à des services
prestataires grâce à des incitations financières, il me semble souhaitable
cependant de préserver la liberté de choix de la personne bénéficiaire de
l'APA,...
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Très bien !
M. Gérard Dériot.
... d'autant que certaines personnes âgées peuvent être réticentes à l'emploi
de personnes qu'elles ne connaissent pas.
Je précise toutefois qu'il me paraît nécessaire, en tout état de cause, de
chercher à réduire au minimum les emplois de gré à gré et favoriser la
professionnalisation des intervenants à domicile.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Bien sûr !
M. Gérard Dériot.
Je me félicite par ailleurs que l'Assemblée nationale ait affirmé clairement
le pouvoir d'attribution de l'allocation par le président du conseil général et
réservé à la commission consultative, qui n'intervient plus qu'en aval,
l'examen des recours gracieux. Il me paraît effectivement indispensable que les
décisions soient prises au plus près des personnes.
Par ces observations, j'ai tenu, en ma qualité de président de conseil
général, à attirer l'attention sur les grands enjeux de cette loi pour la prise
en charge des personnes âgées dépendantes et sur les conséquences financières
pour les départements.
En résumé, ce projet de loi apparaît comme une réponse satisfaisante pour la
prise en charge à domicile.
En revanche, il convient sans doute de s'interroger sur la pertinence de la
réponse apportée quant à la prise en charge en établissement, laquelle devrait
être liée plus à la réforme de la nouvelle tarification qu'à celle de la
PSD.
Je tiens, en conclusion, à renouveler mon inquiétude s'agissant du coût que va
entraîner la mise en place de l'APA pour les budgets des départements, et donc
pour la fiscalité pesant sur l'ensemble de nos concitoyens.
Telles sont, madame la secrétaire d'Etat, mers chers collègues, les quelques
observations que je tenais à présenter à cette tribune.
(Applaudissements
sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et
Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Adnot.
M. Philippe Adnot.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, un
texte qui améliore la prise en compte de la situation des personnes attire tout
naturellement la sympathie et recueille ainsi l'avis favorable de tous.
Comme il faut se méfier des textes trop généreux qui donnent le sentiment que
l'on peut tout prendre en compte sans qu'il y ait de conséquences ou de
contreparties, je souhaite, mes chers collègues, attirer votre attention sur
quelques aspects qui seront, eux, lourds de conséquences.
La prise en compte du GIR 4 se traduira par un transfert de charges de
l'assurance maladie vers les départements. D'ailleurs, nous constatons déjà,
localement, une diminution de la prise en compte de l'aide à domicile par les
caisses.
La suppression du recours sur succession aura d'importantes incidences non
seulement financières, mais également morales.
Le processus de désintégration de la cellule familiale, déjà bien entamé sous
différents aspects, se verra accéléré par la suppression de l'obligation de
solidarité entre générations.
Aujourd'hui, 4 milliards de francs sont récupérés par les conseils généraux
pour la PSD et l'aide sociale. Il est clair que des situations inégalitaires,
selon que la personne relèvera de l'aide personnalisée ou de l'aide sociale, ne
pourront être maintenues dans un même établissement. C'est donc bien sur ces 4
milliards de francs qu'il faut partir, et non pas sur les chiffres que l'on
nous a annoncés.
Est-il moral et juste que les contribuables locaux soient appelés à financer
ce qui, normalement, pour ceux qui en avaient les moyens, relevait de la
solidarité familiale ?
Que personne ne s'y trompe : le responsable des finances de l'Association des
départements de France que je suis peut vous affirmer que le prélèvement fiscal
qui sera nécessaire, et que nous appliquerons, représentera dix points de
fiscalité supplémentaires. Je trouve donc le Gouvernement bien cynique : il
supprime le recours sur succession, mais il pourra, quant à lui, augmenter son
revenu à travers les droits de succession !
(Applaudissements sur les
travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi
que sur certaines travées du RDSE.)
Transfert de charges, aggravation de la déresponsabilisation familiale,
augmentation de la pression fiscale au détriment des citoyens les moins aisés
et au détriment de l'emploi par l'accroissement des charges d'entreprise, la
moitié des ressources des départements étant constituée par la taxe
professionnelle - et nous verrons quels résultats engendrera la hausse de dix
points de cette taxe ! - cynisme du Gouvernement, qui verra, lui, son revenu
fiscal augmenter à travers les droits de succession : telles sont les raisons
qui me conduisent à être défavorable à ce texte. Je proposerai donc des
amendements pour le corriger.
Mes chers collègues, j'espère que la sagesse l'emportera, car nous pouvons, en
étant raisonnables, améliorer considérablement la situation des personnes sans
remettre en cause le lien familial et sans surcharger le contribuable local.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR
et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. de Raincourt.
M. Henri de Raincourt.
Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la
prise en charge de la dépendance des personnes âgées est un problème de
société. On en connaît les causes. On en mesure les effets. On sait qu'il faut
répondre à une attente justifiée.
Les gouvernements successifs - celui auquel vous appartenez, madame, comme
ceux qui l'ont précédé - ont tardé ; ils ont même tergiversé.
Le grand débat national que le sujet eût justifié, au pire n'a pas été lancé,
au mieux a été escamoté.
Depuis longtemps, on a utilisé des solutions qui, n'apportant pas de réponse
globale, ont accentué les difficultés.
Devant le vide, et alors que le phénomène de la dépendance était moins
répandu, les commissions techniques d'orientation et de reclassement
professionnel, ou COTOREP, ont distribué généreusement l'allocation
compensatrice pour tierce personne. Les effets pervers de cette dernière ont
été dénoncés dans un rapport sévère et documenté publié par la Cour des comptes
en novembre 1993 ; je n'ai, hélas ! pas le temps d'en lire quelques extraits,
et je le regrette vivement.
M. Alain Vasselle,
rapporteur,
et M. Michel Mercier,
rapporteur pour avis.
C'est dommage !
M. Henri de Raincourt.
Nous avons lancé ici quelques tentatives qui sont demeurées infructueuses, Mme
Codaccioni, ministre de la solidarité entre les générations dans le
gouvernement de M. Juppé, a proposé, en octobre 1995, la mise en place de la
prestation d'autonomie pour les personnes âgées dépendantes. Devant son coût et
son absence de financement - on parlait de 15 milliards de francs - et alors
même que la discussion générale commençait, le texte a été retiré de l'ordre du
jour.
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Tout à fait !
M. Henri de Raincourt.
Nous revenions ainsi au point de départ.
Courageusement, le Sénat a pris l'initiative d'adopter une proposition de loi
créant la prestation spécifique dépendance, à la lumière de l'expérimentation
qui avait été menée dans douze départements ; on ne partait pas de rien.
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Très bien !
M. Henri de Raincourt.
Critiquée par la gauche, dont certains membres réclamaient le cinquième
risque, vilipendée par certaines associations, la prestation spécifique
dépendance avait un grand mérite : celui d'exister. Nous savions qu'elle
n'était pas parfaite et qu'elle ne réglerait pas toutes les questions ; d'où
son caractère temporaire inscrit dans la loi, marquant le côté très pragmatique
de notre démarche.
Globalement, je considère, à la lumière de ce que je peux observer dans mon
département, que, à domicile cela fonctionne plutôt bien.
En établissement, en revanche, de grandes différences existent selon les
départements, dans la mesure où, dans certains cas, la PSD est utilisée pour
diminuer le coût de l'hébergement. C'est d'ailleurs ce qu'avait dénoncé en son
temps la Cour des comptes à propos de l'ACTP.
On aboutit à cette situation inéquitable où deux personnes disposant des même
ressources ne payent pas la même chose : ainsi, une personne valide paye plus
qu'une personne non valide. Voilà tout de même un étrange paradoxe !
C'est un exemple parmi d'autres qui illustre la nécessité de réformer le
système. J'espérais que le projet de loi du Gouvernement, attendu depuis quatre
ans maintenant, ferait preuve d'imagination, nous permettant d'apporter des
réponses fiables et durables pour les personnes âgées et leurs familles.
Trop confiant sans doute dans la capacité créatrice du Gouvernement, j'aurais
dû me méfier.
En effet, nous avions été échaudés par Mme Aubry lors de la publication d'un
décret d'avril 1999 réformant la tarification. Véritable « usine à gaz », ce
texte est d'une telle complexité qu'il n'a pu être appliqué ! J'en veux
d'ailleurs pour preuve - comment peut-on l'interpréter autrement ? - la réforme
de la réforme de la tarification qui vient d'être - hasard du calendrier -
publiée au
Journal officiel
du 6 mai. Au premier examen de ce
changement, la simplification recherchée et annoncée ne saute pas spontanément
aux yeux !
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Loin s'en faut !
M. Henri de Raincourt.
Intéressé par l'ampleur de la communication gouvernementale annonçant la
sortie de l'aide personnalisée d'autonomie, considérée par le Gouvernement - et
Mme Guigou l'a confirmé tout à l'heure - comme la « quatrième grande loi
sociale du gouvernement » de M. Jospin, j'étais impatient - sans doute comme un
certain nombre d'entre vous, mes chers collègues - d'en connaître le
contenu.
Or quelle n'a pas été ma surprise en découvrant sa réalité au fil des articles
et des débats de l'Assemblée nationale. Si sa finalité est louable, sa
déclinaison n'est pas bonne.
Qu'est-ce, pour moi, que l'APA ? C'est, en fait, un galimatias informe et
difforme. Et ce projet de loi fait irrésistiblement penser à ce personnage de
Prévert qui cherchait « la fameuse machine à peser les balances ». En effet, le
Gouvernement a décidé d'agir dans la précipitation préélectorale...
M. Michel Mercier,
rapporteur pour avis.
Ça, c'est vrai !
M. Henri de Raincourt.
... sans choisir entre le sanitaire et le social. C'est même un choix
revendiqué.
Cette contradiction transpire dans la plupart des dispositions projetées.
En présentant son texte à l'Assemblée nationale, le 18 avril dernier, Mme le
ministre disait très clairement ceci : « Le projet du Gouvernement... permet
une vraie rupture au regard de l'aide sociale. L'APA n'en présente d'ailleurs
aucune des caractéristiques : elle n'est pas réservée à une population de
personnes sans ressources ou à très faibles revenus ; elle n'est pas
subsidiaire par rapport à la mise en oeuvre de droits sociaux ; elle est
identique et universelle pour tous, sur tout le territoire.
« L'APA n'est donc pas une prestation d'aide sociale. Elle n'est pas non plus
une prestation assurantielle, reposant sur des cotisations qui
conditionneraient l'ouverture des droits. Elle est très certainement et
surtout une prestation de solidarité nationale » - d'ailleurs payée pour la
plus grande part par les contribuables locaux - « parce que fondée sur un droit
objectif et financée par des ressources universelles. »
Je dois dire que j'ai eu besoin de m'adjoindre les secours d'un décodeur pour
tenter d'appréhender la substantifique moelle de l'APA.
(Sourires.)
Comme la PSD, l'allocation personnalisé d'autonomie sera versée en nature
;...
M. Michel Mercier,
rapporteur pour avis.
C'est la même chose !
M. Henri de Raincourt.
... comme la PSD, l'APA sera modulée en fonction de la grille AGGIR et
calibrée par une équipe médico-sociale départementale ; comme la PSD, l'APA
sera gérée par les départements, qui, après avoir été vilipendés, sont reconnus
pour le travail qu'ils ont accompli en ce domaine.
L'APA, sur ce plan, m'apparaît constituer non pas une révolution, mais le
prolongement de la situation actuelle, créée par la prestation spécifique
dépendance.
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Excellente analyse !
Mme Paulette Guinchard-Kunstler,
secrétaire d'Etat.
Bien sûr, c'est la vôtre !
(Sourires.)
M. Henri de Raincourt.
Je pense que le projet de loi passe à côté de l'enjeu démographique et social,
j'irai même jusqu'à dire de l'enjeu de civilisation que constitue le
vieillissement de notre population. En effet, le problème est abordé d'une
façon technocratique, sans référence suffisante à la vie familiale et à
l'environnement. Qu'en est-il du rapport de la personne âgée dépendante avec
ses enfants et petits-enfants, du rapport de la société avec ce que l'on
appelle le « quatrième âge » ? Où est le projet politique ?
Or c'est de la réponse à cette question que dépendent la cohérence et
l'efficacité du dispositif proposé, l'équilibre et la solidarité de notre
société.
Les incohérences du projet de loi rendent parfaitement compte de ce manque de
réflexion politique.
Quand on attribue une prestation forfaitaire en fonction d'une situation
objectivement constatée et que l'on propose un plan d'aide prétendument
individualisé, je voudrais que l'on m'explique comment fonctionne le
dispositif. Quand une personne est classée en GIR 1, avec un certain niveau de
ressources et la possibilité de bénéficier de 7 000 francs de prestation
d'autonomie, et qu'on lui propose un plan d'aide pour un montant évalué de 5
800 francs à 6 400 francs, cela ne peut manquer d'entraîner des difficultés :
la personne réclamera 7 000 francs, et elle aura raison !
L'APA, c'est un peu de l'aide sociale, sans en être vraiment ; c'est un peu de
la solidarité nationale, sans en être totalement,...
M. Louis de Broissia.
Loin s'en faut !
M. Henri de Raincourt.
... puisque, pour le moment, on la fait financer aux deux tiers par les
départements, sans compter la baisse des recettes en atténuation due à la
suppression du recours sur succession ; c'est un peu de l'assurance, aussi,
sans en être clairement, puisque l'on oblige la sécurité sociale à financer,
mais que l'on oublie de prévoir les crédits ou les cotisations nécessaires.
Cette contradiction immanente naît en grande partie du financement hybride et
d'ailleurs largement virtuel qui a été choisi.
(M. de Broissia applaudit.)
M. Christian Bonnet.
Comme pour le FOREC !
M. Henri de Raincourt.
Au demeurant, peut-on vraiment parler de financement de l'APA ? Il s'agit
plutôt d'expédients puisque, en réalité, il n'est assuré que pour la première
année, et encore par le biais d'un système complexe qui a été érigé en règle
pour l'ensemble des financements sociaux.
Ainsi, l'évaluation des dépenses futures liées à l'APA laisse pour le moins à
désirer et, à cet égard, les précédents de la couverture maladie universelle et
des 35 heures, dont le coût, chaque année, dépasse les prévisions annoncées, ne
sont pas là pour nous rassurer.
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Tout à fait !
M. Henri de Raincourt.
Certes, le Gouvernement dispose de statistiques fiables sur l'évolution
démographique de la population âgée. Le contraire serait d'ailleurs étonnant,
puisqu'il a commandé de nombreux rapports sur les retraites, pour se résigner
en fin de compte, reconnaissons-le, à une certaine inaction en ce domaine. En
tout cas, il semble que l'on n'ait guère tenu compte de ces statistiques sur
l'évolution démographique dans l'évaluation des coûts engendrés par l'APA.
Alors que tout donne à penser que ceux-ci connaîtront une forte croissance, le
Gouvernement table sur un montant de 23 milliards de francs, qui sera
certainement dépassé ! Les deux premières années, les départements financent,
nous dit-on, les deux tiers de la prestation. Il faudrait plutôt dire qu'ils «
devraient financer », car la suppression du recours sur succession représentera
un manque à gagner tout à fait substantiel pour les conseils généraux. A-t-il
été calculé et qui le compensera ?
M. Paul Blanc.
Le contribuable local !
M. Henri de Raincourt.
Jusqu'à présent, je n'ai pas entendu beaucoup d'éléments de réponse sur ce
point. A quand le droit, pour les collectivités locales, d'invoquer l'article
40 ?
M. Louis de Broissia.
Bravo !
M. Henri de Raincourt.
A l'instar de mon ami Philippe Adnot, je dirai que cette absence de
possibilité, pour les collectivités locales, de recourir à l'article 40 permet
aux pouvoirs publics d'organiser en toute légalité l'assèchement des budgets de
ces dernières ou, mieux - puisqu'il faut appeler les choses par leur nom -, une
véritable spoliation.
M. Alain Vasselle.
C'est vrai !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Faut-il retirer la compétence aux départements ?
M. Henri de Raincourt.
La quasi-unanimité avec laquelle on s'apprête à supprimer la récupération sur
succession me trouble un peu. En a-t-on mesuré les conséquences, sur le plan
financier aussi bien qu'au regard de l'équité ? Si l'on considère qu'il faut
supprimer ce recours pour les personnes âgées et qu'il convient, comme nous
l'avons fait au Sénat, de modifier les dispositions applicables à ce titre pour
les personnes handicapées, au nom de quelle logique pourra-t-on le maintenir
s'agissant de l'hébergement ?
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
C'est vrai !
M. Christian Bonnet.
C'est évident !
M. Henri de Raincourt.
Il faudra bien que l'on nous l'explique, et là encore j'aurai besoin de cours
du soir ! Pour faire comprendre cela aux familles, il faudra être convaincant
!
Cependant, la suppression du recours sur succession - cela a déjà été dit,
mais je le répète, parce que c'est quand même inimaginable - permettra à l'Etat
de récupérer de l'argent au titre des droits de succession.
M. Christian Bonnet.
Et voilà !
M. Henri de Raincourt.
Les départements paient, l'Etat encaisse : c'est tout de même génial !
Derrière cet élan apparemment généreux s'évanouit un principe : la famille est
et doit être le premier maillon de la solidarité. A mes yeux, les enfants
doivent être en première ligne pour accompagner dans l'amour et la dignité
leurs parents.
On a un peu l'impression, en lisant ce projet de loi, que la société se résume
à une juxtaposition d'individus autonomes. Je préfère, quant à moi, raisonner
en considérant la personne dans ses liens familiaux et sa vie sociale.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Nous aussi !
M. Henri de Raincourt.
On ne progressera pas dans la recherche d'une plus grande liberté et d'un
meilleur épanouissement des êtres humains en ayant une vision individualiste de
la société. Pourquoi, à cet égard, ne pas imaginer une aide aux familles qui
prennent en charge leurs ascendants dépendants, à l'instar de ce qui existe
s'agissant, par exemple, de la garde d'enfants à domicile ?
Je formulerai une autre remarque concernant le financement. Elle vise la
contribution imposée aux caisses de retraite à hauteur de 500 millions de
francs, question que les commissions ont très largement traitée.
Ces caisses financent déjà l'aide ménagère dont bénéficient les personnes
faiblement dépendantes qui n'étaient pas couvertes par la PSD et qui ne le
seront pas davantage par l'APA. L'aide ménagère, dans l'état actuel des choses,
participe de la prévention de la dépendance : c'est en traitant celle-ci en
amont, dès les premiers signes de sa manifestation, que l'on a peut-être
quelque chance d'en ralentir la progression.
Or les caisses peinent à assumer cette charge. Alourdir le poids de cet
engagement n'est pas raisonnable, et le résultat ne se fera pas attendre : les
caisses, obligées de financer cette nouvelle prestation, auront du mal à
assumer l'aide facultative qu'elles apportent aujourd'hui aux personnes
faiblement dépendantes.
Enfin, pour « boucler » le financement - et c'est là, me semble-t-il, le
leurre de la solidarité nationale -, on se propose de solliciter le fonds de
solidarité vieillesse, qui, on le voit bien au fil des mois, devient un fonds à
tout faire ou, ce qui me paraît encore plus vrai, un fonds sans fonds.
(Sourires sur les travées des Républicains et Indépendants et du
RPR.)
M. Michel Mercier,
rapporteur pour avis.
C'est sûr !
M. Henri de Raincourt.
En le ponctionnant, on hypothèque un peu plus encore l'avenir des
retraites,...
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Oui !
M. Henri de Raincourt.
... puisque le fonds de réserve devait bénéficier des excédents du fonds de
solidarité vieillesse.
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Très bien !
M. Henri de Raincourt.
Par conséquent, le financement des prestations destinées aux personnes âgées
dépendantes s'effectuera au détriment des personnes âgées de demain, et la
commission des affaires sociales du Sénat s'y oppose à très juste titre.
Pour ma part, je ne puis me résoudre à approuver la création d'une prestation
qui m'apparaît hybride, qui brille par ses contradictions internes et dont le
financement n'est pas assuré, sauf à plumer chaque année davantage la volaille
départementale
(Sourires sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR),
à
qui reviendra le triste privilège de voter une augmentation significative des
impôts locaux.
Sur un sujet aussi sérieux, comment peut-on à ce point se tromper de direction
et rouler dans le brouillard ? Tous les ingrédients sont réunis pour que
l'application de ce texte nourrisse la désillusion et de très nombreux
contentieux.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Pas plus que pour la PSD !
M. Henri de Raincourt.
Précisément, il n'y en a pas beaucoup s'agissant de cette prestation !
(Exclamations sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste
républicain et citoyen.)
M. Guy Fischer.
Ah non ?
M. Henri de Raincourt.
Monsieur Fischer, je vous donne rendez-vous : nous appartenons, vous et moi, à
la série C, et nous serons donc réélus au Sénat ensemble
(Sourires)
dans quelque temps ; nous pourrons alors reprendre le rapport
de la Cour des comptes de 1993 et substituer l'APA à l'ACTP ; il sera possible,
à bien des égards, de formuler les mêmes remarques, parce que les mêmes causes
produisent les mêmes effets.
Les conseils généraux se lamenteront sur l'envolée de la dépense, mais il sera
déjà bien tard !
Alors, que faire ? On a le choix entre trois possibilités.
Première possibilité, nous pourrions discuter le texte du Gouvernement en
essayant de limiter quelques-uns de ses effets les plus pervers et de
restreindre la portée de ses dispositions les plus redoutables. C'est ce qu'a
tenté de faire, avec beaucoup de courage, de détermination et d'imagination, la
commission des affaires sociales. Je tiens ici à rendre hommage à son
président, Jean Delaneau, et à son rapporteur, Alain Vasselle, sans oublier
évidemment les efforts accomplis par la commission des finances et le
rapporteur pour avis, Michel Mercier.
Puisse l'Assemblée nationale les entendre porter la voix de la raison dans la
logique qui a été choisie par le Gouvernement.
Deuxième possibilité, appartenant à l'opposition nationale, nous aurions
également pu envisager de reprendre les conclusions des récents ateliers de
l'alternance.
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
C'est vrai !
M. Henri de Raincourt.
Elles préconisent d'améliorer la prévention et de mieux définir la dépendance
et la répartition de sa prise en charge. Nous considérons en effet qu'il
convient de distinguer deux sortes de perte d'autonomie : la diminution de
l'autonomie liée au vieillissement, qui pourrait relever de la compétence des
conseils généraux, et la perte d'autonomie liée à la maladie, la compétence en
cette matière incombant à la sécurité sociale.
Cette dernière solution aurait l'avantage de clarifier l'épineuse question de
la tarification en établissement, puisque se fondraient enfin le soin et la
dépendance, qu'en réalité rien ne sépare sur le plan pratique.
Certes, le projet de loi prévoit l'apport de crédits substantiels au titre des
soins, à hauteur de 1,5 milliard de francs par an pendant cinq ans. J'ai eu
cependant quelques inquiétudes en lisant le titre du seul quotidien
départemental de l'Yonne,...
M. Louis de Broissia.
Le meilleur !
M. Henri de Raincourt.
... à propos des menaces qui pèsent sur l'hôpital Saint-Jean, dépendant de
l'hôpital public de Sens : « Risque de retour aux mouroirs ». Il ressort de
l'article que, dans ses prévisions budgétaires pour 2002, la direction
départementale de l'action sanitaire et sociale, la DDASS, se propose d'amputer
de près d'un tiers sa dotation à la centaine de lits que compte la maison de
retraite de l'hôpital.
(Mme le secrétaire d'Etat fait des signes de
dénégation.)
Ainsi, la dotation de la DDASS à cet hôpital, qui s'est élevée cette année à
4,9 millions de francs au titre du forfait « soins », passerait, l'année
prochaine, à 3,4 millions de francs...
M. Louis de Broissia.
Et voilà !
M. Henri de Raincourt.
... soit un écart de 1,5 million de francs, soit encore l'équivalent de sept
postes d'aide-soignante ou d'infirmière !
Alors, soit le journaliste s'est trompé...
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Cela peut arriver !
M. Henri de Raincourt.
... - effectivement, cela peut arriver - soit il a eu des hallucinations -
après tout, pourquoi pas ? - mais, en tout cas, ce numéro daté des 12 et 13 mai
2001 peut légitimement susciter l'inquiétude quant à la réalité du renforcement
« substantiel » des crédits au titre des soins pour les années qui viennent. A
cet égard, le passé ne plaide pas pour l'avenir et nous ne sommes sûrs de rien
!
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Tout à fait !
M. Henri de Raincourt.
Nous serons certainement bien déçus mais, pendant ce temps-là, les conseils
généraux paieront !
Troisième possibilité, enfin, on pourrait envisager la création tant attendue
du risque dépendance géré par la sécurité sociale, à condition d'en prévoir le
financement. Et, au fond, je pensais que tel serait le projet du Gouvernement.
C'eût été, probablement, en tout cas, le projet le plus populaire et le plus
juteux sur le plan électoral !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Vous voyez !
M. Henri de Raincourt.
Etre élu, c'est choisir et assumer sa responsabilité.
Pour des raisons évidentes, et comme il est naturel, les propositions de
l'opposition parlementaire ne seront pas retenues par le Gouvernement ni par la
majorité qui le soutient.
Pour des motifs qui me paraissent tout aussi évidents, je pense que le texte
qui nous est soumis et qui sera voté en urgence - injure supplémentaire faite
au Parlement - alors que l'on piétine depuis des années, ne tiendra pas la
distance en raison de son incohérence et de l'impéritie financière qu'il
traduit.
Je présume qu'il faudra, et croyez bien que je ne m'en réjouis nullement, dans
un avenir probablement plus proche qu'on ne l'imagine, remettre l'ouvrage sur
le métier.
A ce moment-là, les occasions manquées conduiront peut-être les responsables
de l'époque à tirer les leçons de ce gâchis et à franchir l'obstacle que l'on
aura aujourd'hui soigneusement contourné, peut-être par une certaine absence de
courage et, surtout, je le répète, pour des raisons électorales.
Aussi, contrairement peut-être à la plupart de mes collègues présidents de
conseils généraux, je choisis ma voie, celle de l'instauration du cinquième
risque. Je sais que je suis probablement très isolé...
M. Roland Huguet.
Non, non !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Il faut changer de camp !
M. Henri de Raincourt.
... et que je ne serai pas entendu, mais, à défaut de vous avoir convaincus,
mes chers collègues,
(protestations amusées sur les travées socialiste),
j'espère vous avoir
traduit le sentiment profond qui m'anime, qui, seul, inspire ma démarche
solitaire, mais qui se veut solidaire à l'égard des personnes âgées, sans
écrasement insidieux des contribuables locaux et sans coopération tronquée et
forcée des conseils généraux !
(Applaudissements sur les travées des
Républicains et Indépendants, du RPR, ainsi que sur certraines travées du RDSE
et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, après
les excellentes interventions des deux rapporteurs, qui ont parfaitement exposé
les problèmes posés par le texte tel qu'il nous vient de l'Assemblée nationale,
et après avoir entendu un certain nombre d'orateurs s'exprimer tous sur
l'aspect très généreux du texte mais sur son évidente absence de financement,
je me bornerai à cinq observations.
Première observation : oui, madame la secrétaire d'Etat, votre texte est très
généreux.
En effet, vous créez un droit universel, donc ouvert à tous, avec des maxima
de ressources importants ; simplement, vous l'adaptez en fonction de la
classification du GIR. Vous ouvrez le dispositif au GIR 4, qui était le
principal problème rencontré dans la mise en oeuvre de la PSD, et vous annoncez
des montants de 7 000 francs à 600 francs en fonction du GIR et du niveau des
revenus. En somme, il s'agit d'une nouvelle prestation, une sorte de RMI pour
personnes âgées !
De surcroît, ce dispositif est le successeur direct de la PSD. Il était donc
inutile de nous abreuver d'observations désagréables depuis deux ou trois ans !
Le texte était mal fait et il n'était pas appliqué ? Mais vous le reprenez,
avec le système de grille ; vous l'étendez aux amblyopes, à certains types de
handicaps, ce qui était nécessaire, et au GIR 4. Vous reprenez également
l'équipe médicale locale et la gestion par le conseil général.
Cependant, en ouvrant le dispositif à tous et en faisant sauter le « verrou »
que constituait la règle de récupération sur succession, vous suscitez une
généralisation de la dépense, que vous chiffrez à 23 milliards de francs par an
en régime de croisière, soutenant qu'au départ elle sera un peu inférieure et
s'établira à 15,5 milliards de francs. Mais personne n'en sait rien, car
personne ne peut prévoir aujourd'hui ce que sera l'évolution de la maladie
d'Alzheimer, ni la vitesse à laquelle nous arriverons à trouver un vaccin ou
des traitements préventifs, sans parler des conséquences, sur la santé des
personnes qui prendront de l'âge, de tous les problèmes alimentaires que nous
connaissons partout en Europe.
Donc, ce texte très généreux va susciter une dépense considérable, que tous
les orateurs ont soulignée. Quant à moi, fort de certains souvenirs que je
partage avec nos collègues de la commissions des affaires sociales, j'estime
que 23 milliards de francs est certainement un minimum, et que, compte tenu du
vieillissement de la population et de l'allongement de la durée de la vie,
d'ici à quatre ans, à cinq ans ou dix ans, nous serons plus près de 40
milliards de francs que de 23 milliards de francs.
Deuxième observation, je m'étonne que le texte ne tienne pas compte de l'avis
des principaux gériatres que nous avons consultés, en France et à l'étranger,
consultations sur lesquelles M. de Raincourt a fondé ses remarques. Pour ces
spécialistes, il faut distinguer. Il y a, d'une part, des personnes qui,
atteignant un certain âge, sont frappées d'une maladie qui entraîne un handicap
et un certain nombre de conséquences de plus en plus dramatiques au fur et à
mesure qu'elles vieillissent. Mais, comme on a fait beaucoup de progrès en
matière de traitements, notamment médicamenteux, on les maintient en vie. Il y
a, d'autre part, des personnes qui, beaucoup plus tard, à quatre-vingts ans, à
quatre-vingt-cinq ans ou à quatre-vingt-dix ans, perdent un certain nombre de
leurs facultés, auditives, visuelles, motrices, notamment, et qui, par
conséquent, supportent des handicaps.
Tous les gériatres modernes, hommes et femmes, français, suédois, norvégiens
ou britanniques, reconnaissent donc qu'il y a deux problèmes distincts, celui
de la prise en charge totale, complète, du handicap de la personne qui
s'aggrave en fonction de l'âge et celui des conséquences du vieillissement sur
les facultés mentales et physiques d'un certain nombre de personnes, et que ces
deux sujets distincts - toute la science moderne va dans ce sens - répondent à
deux méthodes distinctes de prise en charge.
Autant il est, sinon facile, du moins possible de maintenir à domicile le plus
longtemps possible les personnes de la seconde catégorie, c'est-à-dire celles
qui présentent un vieillissement qui évolue selon les âges, mais qui peut être
corrigé par un certain nombre de prestations ou d'aides et de soins à domicile,
autant il est difficile de lutter contre le handicap et la maladie, qui crée un
certain nombre de conséquences et qui nécessite, à un certain âge, l'accueil
dans des établissements.
C'est la raison pour laquelle, me fondant sur cette théorie des gériatres - et
nous en avons consulté beaucoup - il me semblait naturel d'aller vers une
évolution dans laquelle on laisserait aux départements et aux collectivités
locales - je vais y revenir - le problème du traitement de la seconde catégorie
de personnes, c'est-à-dire celles qui vieillissent tout naturellement mais qui
connaissent un certain nombre de difficultés.
En revanche, il serait nécessaire de créer un compte particulier, dans les
caisses d'assurance maladie et dans tous les autres régimes maladie, pour
isoler les dépenses afférentes à des personnes handicapées, que ce soit depuis
l'âge de vingt ans, ou depuis leurs soixante ans, avec la maladie d'Alzheimer
ou autres. Ce compte répondrait, non pas au cinquième risque mais à une logique
de prise en charge à 100 % par l'assurance maladie.
A mon avis, c'est ainsi que nous pourrons traiter le problème de façon
moderne, comme le font nos voisins et nos partenaires de l'Union européenne.
Nous devons donc prendre en charge, à l'échelon le plus proche du terrain
possible, le problème du vieillissement, et laisser à l'assurance maladie, dont
il relève manifestement, le problème de la comptabilisation spécifique des
handicaps dont souffrent un certain nombre de nos concitoyens.
C'est l'absence d'une telle suggestion qui me fait dire - mais le propos ne se
veut pas désagréable, madame la secrétaire d'Etat - qu'il y a, dans votre
texte, un côté un peu « ringard ». En effet, on a l'air de passer à côté de
l'ensemble de ce que nous enseignent à l'heure actuelle les différentes sources
scientifiques en la matière.
Pour avoir participé à d'innombrables colloques, pour m'être entretenu avec
d'innombrables médecins, pour gérer moi-même un établissement de personnes
âgées aux structures tout à fait modernes pour traiter la maladie d'Alzheimer,
je considère que le fait de ne pas établir cette distinction, pourtant
fondamentale à l'heure actuelle, est tout à fait anormal.
Troisième observation - et je m'en étonne devant vous avec d'autant plus de
force que je suis le premier à le faire - dans les mécanismes de financement
que vous proposez, le Gouvernement semble avoir une idée de la solidarité
nationale qui exclut la prévoyance individuelle. Or toutes les sociétés
européennes organisées - on vient de voir que la société allemande a fait de
gros progrès en matière de financement des retraites par capitalisation -
accordent une place à la prévoyance individuelle. Par conséquent, ne pas
évoquer, même d'un mot, dans l'ensemble du texte la possibilité de souscrire
une assurance individuelle qui permet de s'assurer contre les risques de la
dépendance montre que ce texte date, là aussi, de vingt-cinq ans.
Aujourd'hui, les mécanismes de prévoyance individuelle se développent. C'est
le cas, par exemple, de la caisse de retraite de la SNCF, que j'ai bien connue
puisque j'ai été administrateur de cette honorable société, qui a inventé, il y
a vingt ans, une cotisation supplémentaire à la charge des agents pour prévenir
le risque de dépendance. Cela existe dans beaucoup de régimes particuliers, et
je m'étonne que personne n'évoque ce problème.
Pour moi, la solidarité nationale doit être un filet de sécurité, mais il doit
y avoir place pour la prévoyance individuelle. Or je n'en vois pas trace dans
ce texte.
Ma quatrième observation porte sur le problème, très difficile, des
établissements. Si la PSD n'a pas eu tous les résultats escomptés, c'est parce
que, madame la secrétaire d'Etat, il faut que vous le sachiez, elle s'est
heurtée à l'incapacité des administrations centrales de l'Etat à réformer la
tarification et à l'hostilité manifeste des directeurs d'établissement.
Dans ma carrière - qui est un peu longue, je le reconnais, puisque je suis
moi-même une personne âgée...
M. Henri de Raincourt.
Vous pouvez donc demander l'APA !
(Sourires.)
M. Jean-Pierre Fourcade.
... non dépendante et parfaitement autonome - j'ai subi deux échecs
manifestes, le premier étant la réforme de l'allocation logement.
Nous avions entrepris - nous n'étions pas les premiers - avec Christian Bonnet
et Jacques Barrot, d'essayer de passer de l'aide à la pierre à l'aide à la
personne. Nous pensions en effet que, dans une société qui s'urbanise et se
développe, l'aide à la personne était la forme la plus précise d'intervention
que l'on pouvait envisager pour gommer les inégalités.
Nous nous sommes alors heurtés au lobby - si je puis dire - des présidents de
HLM et de l'ensemble des organismes, qui ont « démoli » la réforme. Nous vivons
donc aujourd'hui dans un régime mixte, composé, pour moitié, d'une aide à la
pierre et, pour moitié, d'une aide à la personne. Si bien que personne n'est
satisfait.
Alors que nous sommes le pays d'Europe qui dépense le plus pour le logement
social, c'est chez nous qu'on rencontre les plus grandes difficultés. Tout cela
parce qu'une réforme, qui a été lancée il y a une vingtaine d'années, a été
totalement court-circuitée par ceux qui devaient l'appliquer.
Il en a été de même pour la PSD parce qu'elle n'a pas été acceptée par les
directeurs d'établissement.
Les établissements sont gérés de manière extrêmement diverse sur l'ensemble du
territoire, selon qu'ils sont plus sociaux que médicaux, ou plus médicaux que
sociaux.
Par ailleurs, ils appliquent des tarifs variables suivant qu'il s'agit de
personnes très âgées, atteintes de la maladie d'Alzheimer ou pas trop
dépendantes. En général, leurs directeurs refusent les systèmes mixtes
permettant de mettre en place, d'une part, des soins de suite qui les
conduiraient à servir de dispensaire, en quelque sorte, pour les personnes
âgées restées à leur domicile, et, d'autre part, des soins de longue durée.
Ces gestionnaires ont donc refusé une réforme qui reposait - car c'était bien
le principe de base de la PSD, et vous l'avez repris, madame la secrétaire
d'Etat - sur le projet personnel de l'intéressé, élaboré après consultation du
médecin de famille et prise en compte d'un certain nombre d'éléments médicaux
et sociaux.
En conséquence, la réforme n'a pas été appliquée, et je crains que vous ne
subissiez le même échec que nous, madame la secrétaire d'Etat.
Les chefs d'établissement ne veulent pas d'une tarification simple. Ils
veulent mélanger les soins et l'hébergement. Ils n'acceptent pas que les
personnes qui leur sont confiées bénéficient d'un traitement individualisé.
Et tant que vous n'arriverez pas à reprendre de l'autorité sur ces
responsables, tant que les réformes votées par le Parlement se heurteront à
l'hostilité d'un certain nombre de directeurs d'établissement, vous n'arriverez
pas, madame la secrétaire d'Etat, que le Gouvernement soit de gauche ou de
droite, à faire respecter le principe d'invididualisme et d'humanité qui était
à la base de la PSD.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. Michel Mercier,
rapporteur pour avis.
Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade.
Le cinquième point que je voulais évoquer, bien sûr, c'est le financement.
Vous avez essayé, madame la secrétaire d'Etat, de trouver une solution pour
faire face à l'extension de la prestation. Je ne vous en fais pas le
reproche.
On passe d'une prestation très limitée, tant pour ce qui concerne le niveau
des revenus que pour l'application de la grille AGGIR, à un système beaucoup
plus large. Il faut donc, en toute logique, trouver un financement plus large.
Vous avez, dès lors, essayé de taxer un peu plus les départements et vous avez
ajouté un demi-point de CSG pour essayer de faire l'appoint.
Mais le système que vous avez proposé, comme l'a très justement démontré mon
excellent collègue Michel Mercier, ne respecte pas les droits du Parlement. En
effet, alors que jusqu'à ce jour - je fais allusion au système des 35 heures -
on hésitait entre le budget de l'Etat et le budget de la sécurité sociale, vous
avez trouvé un merveilleux système, une « troisième voie » que tout le monde
cherchait et qui consiste à créer un mécanisme que personne ne contrôle, hormis
un conseil d'administration qui se réunira de temps en temps et dans lequel on
ne nommera, bien évidemment, que des personnes qui ne feront pas preuve de trop
de curiosité.
Ce n'est pas acceptable ! Je crois, en revanche, que, pour financer la
prestation généreuse qui figure dans le texte, il faut partager le financement
en deux parts.
Une part serait à la charge des départements, puisque les départements
souhaitent conserver l'organisation et la gestion de la prestation à
domicile.
Une part serait à la charge de l'Etat, avec une affectation de points de CSG,
de dotation budgétaire, ou de DGF, étant entendu que la croissance de la masse
financière serait partagée équitablement entre l'Etat et les départements, au
fur et à mesure de l'évolution du système.
La solution proposée par la commission des finances, le partage à 50-50, me
paraît applicable et raisonnable. Elle doit donc être retenue.
Toutefois - et ce sera ma conclusion - j'insiste sur le fait que personne
n'arrivera à instaurer un système unitaire pour financer à la fois le placement
en établissement hospitalier et le maintien, nécessaire, le plus longtemps
possible, des personnes qui vieillissent à domicile.
L'aide à domicile traduit un progrès social considérable. Ainsi, les personnes
âgées restent dans leur quartier, près de leur famille, dans un environnement
qu'elles connaissent.
Nous voyons bien, nous les gestionnaires de grandes collectivités, comme celle
que j'ai l'honneur d'administrer, que ces personnes restent à leur domicile
jusqu'à plus de quatre-vingts ans et que l'âge d'entrée dans un établissement
est aujourd'hui de quatre-vingt-sept ans dans ma commune.
Entre soixante-cinq ans et soixante-dix ans, années où apparaissent les
premiers signes de vieillissement, et quatre-vingt-cinq ans, nous avons de la
marge. Je crois donc à un financement partagé pour moitié entre l'Etat et les
départements en ce qui concerne le maintien à domicile.
Mais, s'agissant du placement en établissement, le financement doit dépendre
de la branche maladie du régime général de la sécurité sociale, avec la
création d'un compte particulier, car, en établissement, vous aurez de plus en
plus des longs séjours et des moyens séjours. Par ailleurs, vous n'arriverez
jamais à faire comprendre à un directeur d'établissement, surtout lorsque cet
établissement compte quatre cents lits, qu'il faut appliquer un traitement
personnalisé à chacun des pensionnaires.
Je ne suis pas pour autant un partisan de la dotation globale. En effet, avec
une allocation globale - ce que réclament un certain nombre de mes collègues -
nous aurons les mêmes ennuis qu'avec la dotation globale hospitalière.
Par conséquent, madame la secrétaire d'Etat, si vous instaurez un financement
mixte Etat-département pour la prestation versée aux personnes qui sont à
domicile, avec les critères que vous avez fixés - ils me paraissent généreux,
mais ils sont bons - et si vous avez par ailleurs un financement des
établissements par le régime général de sécurité sociale, vous arriverez à un
système satisfaisant et vous aurez, avec un certain nombre d'autres, participé
au début du règlement de ce grand problème social qu'est la dépendance.
Je souhaite que le Sénat vote, comme le proposent les rapporteurs des deux
commissions, un texte applicable qui apporte un progrès et qui n'aboutisse pas
à un transfert de responsabilité et de charges de l'Etat vers les collectivités
teritoriales comme le Gouvernement auquel vous appartenez, madame la secrétaire
d'Etat, a trop souvent tendance à le faire.
(Applaudissements sur certaines
travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les
reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente cinq, est reprise à vingt et
une heures cinquante, sous la présidence de M. Jean Faure.)