SEANCE DU 31 MAI 2001
M. le président.
« Art. 18. - L'article 27 du code de l'industrie cinématographique est ainsi
rédigé :
«
Art. 27
. - 1. La mise en place d'une formule d'accès au cinéma
donnant droit à des entrées multiples est soumise à agrément préalable du
directeur général du Centre national de la cinématographie. Les modifications
substantielles d'une telle formule ainsi que toute adhésion d'un exploitant
d'établissement de spectacles cinématographiques à cette formule sont également
soumises à agrément.
« 2. L'agrément est accordé si les conditions suivantes sont remplies :
« Pour les entrées enregistrées au titre d'une formule du type susmentionné,
les ayants droit de chaque oeuvre cinématographique sont rémunérés sur la base
d'un prix de référence par place et d'un taux de location sur lesquels s'engage
l'exploitant d'établissement de spectacles cinématographiques vis-à-vis de
l'ensemble des distributeurs avec lesquels il conclut des contrats de location,
conformément à la pratique de répartition des recettes provenant des entrées
vendues à l'unité. Ce prix de référence peut être déterminé de manière à
correspondre au prix moyen réduit pratiqué par chaque exploitant.
« Tout exploitant d'établissement de spectacles cinématographiques qui, à lui
seul, détient plus de 25 % des entrées ou des recettes dans une zone
d'attraction donnée ou réalise plus de 3 % des recettes au niveau national
doit, lorsqu'il propose une formule d'abonnement aux spectateurs, offrir aux
exploitants de la même zone d'attraction détenant moins de 25 % des entrées ou
des recettes dans la zone considérée, à l'exception de ceux réalisant plus de
0,5 % des entrées au niveau national, de s'associer à cette formule à des
conditions équitables et non discriminatoires et garantissant un montant
minimal de la part exploitant par billet émis, au moins égal au montant de la
part reversée aux distributeurs sur la base du prix de référence précité. Pour
les exploitants d'établissements de spectacles cinématographiques situés dans
les départements de Paris, des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du
Val-de-Marne, qui sont regardés comme une zone d'attraction unique, les deux
seuils de 25 % susmentionnés sont ramenés respectivement à 15 % et 8 %.
« 3. Chaque exploitant d'établissement de spectacles cinématographiques
proposant aux spectateurs une formule d'accès au cinéma donnant droit à des
entrées multiples doit communiquer au Centre national de la cinématographie à
l'appui de sa demande d'agrément : les conditions générales de la formule
d'abonnement, l'engagement mentionné au 2 à l'égard des distributeurs et
vis-à-vis des producteurs et des ayants droit ainsi que le contrat
d'association qui, le cas échéant, le lie pour cette formule à d'autres
exploitants. Ce dernier ne peut contenir ni clause relative à la programmation
des établissements de spectacles cinématographiques concernés ni clause
d'appartenance exclusive. Toute modification substantielle des actes précités
est communiquée au Centre national de la cinématographie.
« 4. Un décret en Conseil d'Etat pris après avis du Conseil de la concurrence
détermine notamment les modalités de délivrance et de retrait des agréments,
ainsi que les clauses obligatoires et la durée minimale des engagements,
mentionnés au 2, des exploitants à l'égard des distributeurs, des producteurs
et des ayants droit. Ce décret précise également le régime du contrat
d'association des exploitants pour la formule d'accès au cinéma donnant droit à
des entrées multiples.
« 5. Les formules d'accès au cinéma donnant droit à des entrées multiples
existant antérieurement à la publication de la loi n° du portant diverses
dispositions d'ordre social, éducatif et culturel devront être soumises à
l'agrément du directeur général du Centre national de la cinématographie dans
un délai de trois mois à compter de l'entrée en vigueur du décret d'application
de la loi. »
Sur l'article, la parole est à M. Lagauche.
M. Serge Lagauche.
Alors que, voilà dix jours, le jury de Cannes couronnait un film d'auteur, à
petit budget et grand talent,
la Chambre du fils,
de Nanni Moretti, je
souhaiterais dire quelques mots sur l'avenir de la création
cinématographique.
Il y a tout juste un an, l'ensemble de la profession s'était vu imposer
brutalement, sans aucune concertation, sans possibilité de riposte, et en
contradiction totale avec la réglementation du cinéma, une formule d'abonnement
d'accès illimité aux salles.
Le maillon qui prend le moins de risques financiers et artistiques prenait en
otage le reste de la chaîne par ses conditions commerciales.
Hasard ou coïncidence, en l'espace d'une année, le cinéma français ne s'est
jamais si bien porté. La production nationale a gagné plus de 30 % du marché en
2000. Elle se maintient à la troisième place mondiale derrière les Etats-Unis
et l'Inde, avec quelque 150 films agréés par le CNC, le Centre national de la
cinématographie.
Au cours des trois derniers mois, les films français ont capté la moitié des
recettes. Les 177 millions d'entrées devraient être atteintes à la fin de
l'année - un record depuis dix ans - grâce à quelques gros succès, comme
le
Fabuleux Destin d'Amélie Poulain,
qui fait actuellement un véritable
triomphe.
Nous ne pouvons que nous féliciter de cette formidable présence des films
français sur nos écrans. Pour autant, je l'ai déjà dit et je le répète, la
vigilance doit être la règle pour défendre, préserver, imposer, dans l'ensemble
de nos salles, la diversité de nos créations.
Certes, le dispositif adopté dans le texte sur les nouvelles régulations
économiques, loi promulguée le 15 mai dernier, a limité les menaces qui
pesaient sur les salles indépendantes, mais toutes les craintes ne sont pas
dissipées.
Les cartes d'abonnement sont désormais soumises à l'agrément du CNC. Les
petits exploitants peuvent les accepter et se voient garantir, en contrepartie,
par les grands circuits, une rémunération forfaitaire dont une part remontera
vers l'ensemble de la profession.
Mais ne nous leurrons pas, madame la ministre. Les 300 000 cartes déjà vendues
favorisent un certain type de salles, une certaine programmation, une certaine
pratique culturelle. Elles constituent en fait l'un des derniers avatars des
multiples opérations de concentration du secteur, présentées comme nécessaires
pour conserver une place dans la mondialisation de l'économie audiovisuelle.
En voulant fabriquer les films les plus rentables pour les « parcs de loisirs
cinématographiques », connus en France sous le nom de « multiplexes », mais qui
se construisent partout dans le monde, les grands groupes réduisent peu à peu
l'ensemble de la filière à une industrie de divertissement.
Alors, je vous pose la question, mes chers collègues : quel cinéma
voulons-nous, pour quel public et quel projet de société ? Je suis inquiet pour
les cinéphiles et les cinéastes, dont la relation souvent passionnelle avec les
films n'a rien à voir avec la satisfaction immédiate du consommateur. Je suis
inquiet pour cet espace si fragile que constituent l'indépendance et la liberté
de création.
Que faire ? Il nous faut maintenir l'équilibre du marché cinématographique
entre les indépendants et les grands groupes, entre nos 1 200 salles « art et
essai » et nos salles généralistes. C'est cette diversité qui permet au cinéma
français de toujours se ressourcer et de trouver de nouvelles formes au service
du septième art.
Notre responsabilité est aussi d'éviter de créer un ghetto culturel à côté
d'une industrie du loisir. J'insiste sur l'importance de l'éducation artistique
dès le plus jeune âge. Il est plus que jamais nécessaire de créer des
passerelles entre les minsitère de la culture et le ministère de l'éducation,
entre les artistes et les écoles, comme vous vous y êtes engagée, madame la
ministre, dans le budget 2001. J'espère qu'une telle politique continuera à se
développer dans les prochaines années.
Aujourd'hui, avec le groupe socialiste, je voterai cet article parce qu'il
vient parachever votre dispositif d'encadrement des cartes d'abonnement, que
vous avez voulu très protecteur et adapté aux attentes de l'ensemble de la
profession.
Mme Catherine Tasca,
ministre de la culture et de la communication.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Tasca,
ministre de la culture et de la communication.
Je veux d'abord prendre
acte de la remarque formulée hier soir par M. Hugot sur les conditions peu
classiques et peu satisfaisantes dans lesquelles le Gouvernement vous demande
de modifier un texte qui a été adopté il y a tout juste quelques semaines.
M. Jean Delaneau,
président de la commission des affaires sociales.
Il y a quinze jours
!
Mme Catherine Tasca,
ministre de la culture et de la communication.
Je suis trop respectueuse
du travail parlementaire, mesdames, messieurs les sénateurs, pour ne pas
reconnaître que cette observation est fondée.
Il vous est aujourd'hui proposé de compléter le dispositif adopté dans la loi
sur les nouvelles régulations économiques par deux améliorations que je veux
souligner.
Tout d'abord, la garantie que l'initiateur de la carte souscrira à l'égard du
distributeur est complétée par un engagement qui porte sur le taux de location,
taux qui consacre le partage du prix de la place de cinéma entre la salle et
les ayants droit.
Une seconde disposition complète le mécanisme de garantie de prix que
l'Assemblée nationale a adopté en janvier dernier. En effet, s'il est justifié
que les grands circuits assurent aux petits exploitants une garantie minimale
de recette par place, il apparaît peu fondé qu'une contrainte de même nature
soit imposée aux exploitants de taille moyenne.
Telle est la modification qui vous est proposée aujourd'hui.
Il est important pour le Gouvernement que la moyenne exploitation - qui
représente une quinzaine d'entreprises à Paris et dans les régions, soit
environ mille écrans sur un total de cinq mille - justement parce qu'elle est
porteuse de diversité et constitue un contrepoids économique aux grands
circuits, fasse l'objet d'un traitement spécifique.
M. le président.
Par amendement n° 21, M. Hugot, au nom de la commission des affaires
culturelles, propose de rédiger ainsi l'article 18 :
« L'article 27 du code de l'industrie cinématographique est ainsi modifié :
« 1° Dans la première phrase du deuxième alinéa du 2, après les mots : "par
place" sont insérés les mots : "et d'un taux de location" ;
« 2° La première phrase du 4 est complétée par les mots : ", des producteurs
et des ayants droit". »
Cet amendement est assorti d'un sous-amendement n° 87 rectifié, présenté par
MM. de Broissia et Del Picchia, et tendant à insérer, après le deuxième alinéa
du texte présenté par l'amendement n° 21, un alinéa ainsi rédigé :
« ...° A la fin de la première phrase du dernier alinéa du 2, les mots : "et
garantissant un montant minimal de la part exploitant par billet émis, au moins
égal au montant de la part reversée aux distributeurs sur la base du prix de
référence précité" sont supprimés. »
La parole est à M. Bordas, rapporteur pour avis, pour présenter l'amendement
n° 21.
M. James Bordas,
rapporteur pour avis.
Par le présent amendement, nous proposons une
rédaction de l'article 18 sensiblement différente de celle qu'a adoptée
l'Assemblée nationale.
Avant d'aborder la différence de fond, j'évoquerai la première différence, qui
tient à la présentation.
L'article 18 vise, en réalité, à modifier sur trois points la rédaction
actuelle de l'article 27 du code de l'industrie cinématographique, qui résulte
de la loi du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques.
Toutefois, lors de la discussion à l'Assemblée nationale du projet de loi
portant diverses dispositions d'ordre social, éducatif et culturel, le 10 mai
dernier, la loi relative aux nouvelles régulations économiques du 15 mai, par
définition, n'avait pas encore été promulguée. L'article 18 que nous examinons
n'a donc pu procéder par référence à l'article 27 du code du cinéma et a dû le
réécrire entièrement.
Je relève au passage qu'il n'est pas très sain, au regard de la stabilité de
la loi, d'envisager la modification d'une disposition législative avant qu'elle
ne soit entrée en vigueur.
Comme la loi du 15 mai est à présent promulguée, le Sénat peut procéder selon
la voie normale et partir du texte de l'article 27 du code, maintenant en
vigueur.
J'en viens à l'examen du fond.
Le texte qui nous est proposé à l'article 18 s'écarte sur trois points de la
rédaction actuelle de l'article 27 du code précité.
Sur ces trois points, deux nous semblent apporter des précisions utiles sans
remettre en cause l'économie générale du dispositif, et nous proposons, par
notre amendement, de les insérer dans l'article 27 du code.
La première disposition précise que le calcul de la rémunération des ayants
droit de chaque oeuvre cinématographique est effectué sur la base non seulement
d'un prix de référence par place - en l'espèce, le prix moyen réduit pratiqué
par l'exploitant -, mais aussi d'un taux de location, c'est-à-dire du
pourcentage négocié sur la base duquel on répartit la recette entre
l'exploitant et le distributeur.
La seconde disposition précise que les engagements pris par les exploitants à
l'égard du distributeur sont aussi valables à l'égard du producteur et des
ayants droit, dont ils sont les mandataires.
En revanche, la commission des affaires culturelles n'a pas souhaité suivre
l'Assemblée nationale sur le troisième point, qui reproduit un amendement
défendu par le groupe socialiste lors de la nouvelle lecture au Sénat du projet
de loi relatif aux nouvelles régulations économiques.
Cette modification a pour objet de créer une catégorie intermédiaire
d'exploitants qui ne seraient pas tenus, comme les gros exploitants, d'associer
les petits exploitants à leur système de carte ni de leur garantir un revenu
minimum par entrée, mais qui ne bénéficieraient pas non plus des garanties
offertes aux petits exploitants.
Renseignements pris, il semblerait que seuls cinq exploitants, dont deux dans
la région parisienne, soient susceptibles d'être concernés par le bénéfice de
ces dispositions.
La commission des affaires culturelles n'a pas souhaité remettre en question
le dispositif adopté dans la loi du 15 mai 2001 pour un aussi petit nombre de
bénéficiaires et n'a pas repris cette disposition dans son amendement.
M. le président.
La parole est à M. Del Picchia, pour défendre le sous-amendement n° 87
rectifié.
M. Robert-Denis Del Picchia.
Le texte, s'il est maintenu, revient à faire financer une entreprise privée
par une autre en garantissant la marge brute des exploitants associés au
système des cartes d'abonnement illimité au cinéma, ce qui n'existe en aucun
autre domaine de l'économie ni de la culture. Cette mesure risque d'être
critiquée par l'Union européenne.
La garantie proposée serait non pas une mutualisation des risques de ce type
de commercialisation, mais un mécanisme de reversement automatique de recettes
à sens unique. En outre, il n'existe pas de moyen de contrôle du nombre
d'entrées déclarées par les exploitants associés au système.
Le texte indique déjà que l'association des exploitants indépendants au
système des cartes doit se faire « à des conditions équitables et non
discriminatoires ».
La rédaction de l'article 27 du code de l'industrie cinématographique est
donc, pour ces raisons, critiquable.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission des affaires culturelles sur le
sous-amendement n° 87 rectifié ?
M. James Bordas,
rapporteur pour avis.
La commission s'en est remise à la sagesse du
Sénat.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 21 et sur le
sous-amendement n° 87 rectifié ?
Mme Catherine Tasca,
ministre de la culture et de la communication.
L'avis du Gouvernement est
défavorable sur l'amendement comme sur le sous-amendement.
J'ai tenté tout à l'heure d'exposer le sens du texte proposé par le
Gouvernement et de l'instauration de cette catégorie intermédiaire
d'exploitants.
Je tiens à redire que le dispositif en question concerne, non pas un « petit
nombre » d'entreprises, mais quinze entreprises, dont dix en région et cinq à
Paris, soit mille écrans sur cinq mille. Ce n'est donc pas une mesure «
groupusculaire » !
Il nous paraît important, monsieur le rapporteur pour avis, de ne pas laisser
à un bout de la chaîne les très grands exploitants - qui aujourd'hui, M.
Lagauche l'a rappelé, opèrent des concentrations tout à fait considérables -
et, à l'autre bout de la chaîne, seules face à eux, les petites salles
d'indépendants. Il existe un secteur intermédiaire qui nous paraît mériter une
réponse plus adaptée à sa situation.
Comme cela a été rappelé, le système de garantie proposé implique une
solidarité de la part de l'ensemble du circuit. Au fond, ce qui a caractérisé
l'équilibre du marché du cinéma dans notre pays, jusqu'à la création de ces
cartes d'abonnement, c'est une solidarité entre l'ensemble des maillons de la
chaîne.
Avec les cartes d'abonnement, les grands groupes ont rompu cet équilibre et
cette solidarité. Les mesures que le Gouvernement vous propose visent à
rétablir une situation plus équitable qui garantisse la diversité de
l'exploitation cinématographique, à laquelle nous sommes très attachés.
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 87 rectifié, pour lequel la commission
s'en remet à la sagesse du Sénat et repoussé par le Gouvernement.
(Le sous-amendement est adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix, ainsi modifié, l'amendement n° 21, repoussé par le
Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, l'article 18 est ainsi rédigé.
Article additionnel après l'article 18