SEANCE DU 12 JUIN 2001
M. le président.
La parole est à M. Muzeau, auteur de la question n° 1093, adressée à Mme le
ministre de l'emploi et de la solidarité.
M. Roland Muzeau.
Monsieur le ministre, ma question porte sur les licenciements dans l'industrie
textile de l'Aube et les délocalisations massives dans les pays étrangers à
faible coût de main-d'oeuvre et sans droits sociaux.
La vente à des financiers suisses, la famille Mauss, du groupe
Devanlay-Lacoste a conduit à une stratégie de recentrage des activités autour
de la marque Lacoste.
Au cours du second semestre de 1999, Devanlay-Lacoste a cédé son activité de
sous-vêtements masculins, basée à Romilly-sur-Seine, dans l'Aube, au groupe
Vestra, qui a aussitôt mis en oeuvre un plan de licenciements collectifs.
Simultanément est intervenue la vente de Coup de Coeur, marque Lacoste, avec,
là aussi, des suppressions d'emplois.
En janvier 2000, Devanlay-Lacoste vend le fonds d'industrie constitué par les
ateliers de Bar-sur-Seine et de Chaource, dans l'Aube - c'est la division
sous-vêtements féminins, sous la marque Scandale - à un repreneur, M. Pacreau,
« liquidateur » bien connu dans diverses régions de France et sur la fiabilité
duquel le préfet de l'Aube, dans une intervention publique, le 14 mai dernier,
au conseil général de l'Aube, déclarait avoir « eu des doutes » dès le début,
doutes dont il avait fait part aux représentants de Devanlay.
Le 15 mai dernier, le tribunal de commerce de Troyes a prononcé la liquidation
judiciaire de la société Aubelin, constituée des usines de Bar-sur-Seine et de
Chaource, occasionnant 140 suppressions d'emplois supplémentaires dans un
département qui est passé, en quinze ans, de 25 000 emplois dans le textile à 8
000.
La stratégie mise en oeuvre par la famille Mauss, propriétaire de Devanlay,
n'a qu'un seul objectif : protéger la marque Lacoste, source d'importantes
plus-values financières, et liquider ou faire liquider par d'autres l'emploi
productif.
Cette analyse est confirmée par un courrier, daté du 18 avril 2001, adressé
par l'administrateur judiciaire en charge de ce dossier à Devanlay SA, à Paris,
impliquant la responsabilité directe de Devanlay, et qualifiant la société
Aubelin, propriété de M. Pacreau, de « société purement fictive dont la société
Devanlay SA est l'animateur de fait ».
Les conditions contractuelles de la vente Devanlay-Aubelin n'ayant servi,
d'après l'administrateur, « qu'à masquer le désengagement à moindre coût de la
société Devanlay SA de son activité sous-vêtements féminins », il met ces
derniers en demeure « de reprendre possession des ateliers de Bar-sur-Seine et
de Chaource, et de réintégrer ... dans leurs effectifs l'ensemble du personnel
attaché à ces fonds industriels ».
Monsieur le ministre, face à de telles attitudes qui tendent à organiser la
liquidation de sociétés, qu'entend faire le Gouvernement pour imposer la prise
de ses responsabilités à l'entreprise Devanlay-Lacoste ?
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué à la santé.
Monsieur le sénateur, vous avez souhaité
attirer l'attention de Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité sur les
difficultés rencontrées par l'entreprise Aubelin, du groupe Pacreau, qui a
déposé son bilan et dont le tribunal de commerce vient de prononcer la
liquidation judiciaire, entraînant le licenciement de 140 personnes.
Vous faites remarquer que ce dernier sinistre industriel qui affecte votre
département, où l'industrie textile a perdu en quinze ans 13 000 emplois,
résulte de la stratégie du groupe Devanlay-Lacoste, qui, depuis son rachat par
le groupe suisse Mauss, concentre son activité sur la marque Lacoste, en cédant
dans des conditions discutables ses autres unités.
Vous souhaitez savoir ce que le Gouvernement entend faire pour éviter que de
telles situations ne se développent et, surtout, connaître les mesures qu'il
envisage de prendre.
Je souhaite d'abord vous rappeler que, dans ce dossier précis, le préfet et
les services de l'Etat - vous l'avez souligné vous-même - se sont mobilisés
pour que le groupe Devanlay intervienne de façon significative dans la mise en
oeuvre du plan d'accompagnement du licenciement collectif. C'est ainsi que le
plan social comporte des mesures de préretraite, des conventions de conversion,
une cellule de reclassement et prévoit la possibilité pour la Sodie
d'intervenir au titre de la réindustrialisation de la zone. Une possibilité de
reprise d'une partie de l'activité est également à l'étude. Enfin, les
modalités d'indemnisation des salariés licenciés ont pu d'ores et déjà être
améliorées.
Par ailleurs, le tribunal de commerce de Troyes a demandé une expertise pour
connaître les conditions dans lesquelles le groupe Pacreau a repris
l'exploitation de l'entreprise Aubelin. S'agissant d'une procédure judiciaire
en cours, vous comprendrez que nous ne souhaitions pas faire davantage de
commentaire à ce stade.
Je souhaite toutefois vous apporter une réponse plus globale en vous indiquant
que vos préoccupations, qui sont aussi celles du Gouvernement, trouveront des
réponses dans le projet de loi de modernisation sociale, qui reviendra,
probablement, en dernière lecture devant votre Haute assemblée avant la fin du
mois.
Le Gouvernement considère en effet qu'il faut instituer de nouveaux outils qui
permettent de lutter contre le recours abusif aux licenciements économiques.
Avec ce projet de loi, nous voulons notamment : faire en sorte que tout projet
de développement stratégique devant être soumis aux organes de direction ou de
surveillance d'une société et susceptible d'affecter les conditions d'emploi
soit accompagné d'une étude d'impact ; donner aux représentants du personnel
des droits nouveaux en matière d'information, de consultation, et la
possibilité de faire des contre-propositions ; enfin, obliger les entreprises à
participer, voire, pour les plus importantes, à contribuer, à la
réindustrialisation des bassins d'emploi concernés par les restructurations.
Vous le savez, il n'est pas dans notre intention d'empiéter sur le pouvoir de
décision de l'entreprise dès lors que celle-ci respecte le droit du travail. La
volonté du Gouvernement est de faire en sorte que la décision de l'entreprise
fasse l'objet d'un débat critique avec les représentants du personnel pour
rechercher des solutions alternatives ; que la décision de procéder à un
licenciement ne soit que le dernier recours après qu'eurent été prises des
mesures pour les éviter par des formations, une adaptation permanente des
salariés aux évolutions de l'entreprise et un reclassement interne ; qu'enfin,
si les licenciements sont inévitables, leurs conséquences sociales soient
parfaitement identifiées et anticipées et que l'entreprise assume le plus
possible la responsabilité sociale et économique de ses choix.
M. Roland Muzeau.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Muzeau.
M. Roland Muzeau.
Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre.
Comme vous, je ferai référence à ce que devrait être l'actualité sociale cet
après-midi et dans les jours qui vont suivre. Je ne sais pas si nous pouvons,
ce matin et ici - ce n'est probablement pas le lieu - émettre des pronostics
sur l'avenir du projet de loi de modernisation sociale, dont nous savons, les
uns et les autres, qu'il est composé de propositions extrêmement positives. Je
pense, en particulier, à celles qui concernent le harcèlement moral. Mais il
comporte aussi un volet important concernant les questions économiques et
l'emploi.
Je ne sais pas si l'activité du groupe Devanlay-Lacoste est pleinement au
centre du débat qui a lieu aujourd'hui sur la modernisation sociale, notamment
sur son volet licenciement. Toujours est-il qu'il s'agit là d'une pratique
patronale inacceptable, qui consiste, pour une entreprise, à se séparer de
manière brutale d'un certain nombre de ces activités non pas directement mais
par le biais d'une cession à des repreneurs qui suppriment des centaines
d'emplois et maltraitent gravement les salariés, en l'occurrence pour
l'essentiel des femmes.
Je suis allé rencontrer ces femmes dans les deux entreprises. Elles sont très
en colère. En revanche, elles sont très optimistes quant au devenir de leur
activité, à laquelle elles tiennent beaucoup. Elles sont attachées à la
production qui est la leur depuis des années.
Encore une fois, la disparition de ces deux entreprises dans un bassin
d'emploi déjà fortement meurtri serait un véritable drame. J'entends bien la
préoccupation du Gouvernement ; je la partage, bien évidemment.
Je terminerai en évoquant, monsieur le ministre, votre optimisme mesuré sur
l'avenir du projet de loi de modernisation sociale, notamment de son volet
emploi. J'espère que les appels qui ont été lancés par les salariés et par
notre groupe parlementaire seront entendus cet après-midi.
MOYENS FINANCIERS ET HUMAINS CONSACRÉS PAR LES POUVOIRS PUBLICS AUX CENTRES
HOSPITALIERS ET EN PARTICULIER À CELUI DE BELFORT-MONTBÉLIARD