SEANCE DU 12 JUIN 2001


M. le président. La parole est à M. Souvet, auteur de la question n° 1073, adressée à M. le ministre délégué à la santé.
M. Louis Souvet. Monsieur le ministre, je veux tout d'abord vous exprimer ma satisfaction.
M. Bernard Kouchner, ministre délégué à la santé. Ah !
M. Louis Souvet. Lorsqu'un parlementaire se déplace pour poser une question orale, il est, en effet, assez rare qu'il ait en face de lui le ministre auquel il a adressé sa question. Le Gouvernement a trop pris l'habitude de dépêcher ici des secrétaires d'Etat qui sont, j'en conviens, d'excellents lecteurs, mais qui ne sont que des lecteurs, et qui ne savent pas s'écarter des documents écrits préparés à leur intention pour apporter une réponse adaptée. J'espère que la vôtre sera plus engagée et correspondra à l'attente des personnes que je représente ici.
Je remarque qu'en Franche-Comté les hôpitaux ne fonctionnent pas toujours très bien, puisque mon collègue M. Guichard vous parlera, dans quelques instants, de l'hôpital de Saint-Claude.
En tant qu'élus, en tant qu'hommes publics soucieux de la mise en place d'un système de soins optimums, mais aussi de la répartition équitable des subsides étatiques, nous avons encouragé nos conseils d'administration à souscrire aux arguments plaidant pour une fusion des centres hospitaliers de Belfort et de Montbéliard.
Nous avons su prendre en compte l'intérêt général, ne nous arrêtant pas sur quelques susceptibilités, ou sur un quelconque orgueil de clocher.
C'est donc le maire, le président de la communauté d'agglomération, mais, surtout, le président du conseil d'administration de l'hôpital qui s'adresse à vous.
Cette fusion devait permettre de créer une synergie entre les services, et d'apporter davantage de satisfaction aux requérants, l'autorité de tutelle s'engageant quant aux moyens à débloquer. Nous avons, je crois, loyalement joué le jeu en réalisant dans les meilleurs délais la fusion. Et, au final, l'administration hospitalière reçoit nombre de lettres de malades mécontents !
Pour ce qui est des personnels, la pénurie doit être gérée au quotidien. De plus, l'application de la réduction du temps de travail, la RTT, va entraîner une minoration de 11 % des volumes horaires disponibles. Rapporteur du projet de loi sur la RTT, je me suis beaucoup employé à attirer l'attention de Mme le ministre sur les risques de pénurie de main-d'oeuvre, d'infirmières en particulier, car personne n'ignore que trois années de formation sont nécessaires à cette spécialité. Je n'ai pas été entendu.
La situation devient kafkaïenne à l'hôpital de Belfort-Montbéliard. En effet, soit le centre hospitalier met en application la RTT, et alors l'administration devra assumer une situation de sous-effectif, soit la RTT est différée quelque peu et les personnels, fort logiquement, postuleront dans d'autres structures.
La presse médicale spécialisée se fait l'écho des multiples problèmes rencontrés par de nombreux intervenants des centres hospitaliers : transformation des postes de praticiens adjoints contractuels en postes de praticiens hospitaliers, revendications des urgentistes, des infirmiers, pour ne prendre que quelques exemples.
Mon propos n'est pas de dresser un inventaire à la Prévert de tous ces problèmes - de nombreux manifestants se chargent de le faire. Je veux simplement attirer votre attention, monsieur le ministre, sur la gravité de la situation et le malaise qui en découle pour l'ensemble des intervenants du centre hospitalier de Belfort-Montbéliard.
Loin de moi l'idée de schématiser à l'extrême le tableau clinique, le problème est général. Il n'est en effet pas logique que le centre hospitalier, passée une certaine heure, dix-neuf heures pour être précis, devienne, ce qui est de plus en plus le cas à l'heure actuelle, un dispensaire de médecine générale. Ce n'est pas, vous en conviendrez avec moi, la vocation d'un centre hospitalier, les spécialistes devant pouvoir se consacrer aux pathologies pour lesquelles ils ont été formés durant de nombreuses années. Et je passe sous silence les nombreux problèmes de violence aux urgences, dont les urgentistes, et vous le savez bien, ont beaucoup à souffrir.
Pénurie de personnels hospitaliers, carence du système de soins de ville, prenez garde, monsieur le ministre, que l'ensemble de ces facteurs n'engendrent des situations très délicates.
Pensez surtout, monsieur le ministre, aux patients. A titre d'exemple, en urologie, l'équipe médicale est obligée de limiter le nombre des prises en charge quotidiennes, d'orienter les malades supplémentaires vers le centre hospitalier de Lure, distant d'environ trente kilomètres, de placer une quinzaine de lits supplémentaires dans les couloirs. Je vous ferai grâce des conséquences de la pénurie de médecins anesthésistes.
Vous conviendrez également avec moi que, compte tenu du vieillissement de la population, les besoins en matière d'hospitalisation vont perdurer et croître fort logiquement, l'âge du patient conditionnant souvent la durée d'hospitalisation.
Vous souhaitez que soient mis en place de grands pôles hospitaliers, et ce afin de bénéficier des techniques les plus modernes. La fusion des hôpitaux de Belfort et Montbéliard démontre, s'il en était besoin, que je ne suis pas opposé à la création de ces plateaux techniques ; mais encore faut-il les doter en moyens matériels, humains et financiers pour les faire fonctionner correctement.
Nous avons, m'a-t-on dit, constitué un centre hospitalier de la capacité de celui du Havre. Monsieur le ministre, un tableau comparatif des moyens de l'un et de l'autre m'intéresserait particulièrement.
Si, au contraire, ces regroupements ne servent qu'à gérer au jour le jour une pénurie croissante de soins et de personnels, compte tenu de la conjugaison des nombreux facteurs précédemment évoqués, alors, je réaffirme mon opposition à cette politique de gestion à la petite semaine. A terme, c'est la qualité des soins qui sera remise en cause, et ce malgré les efforts des équipes soignantes, dont je salue le dévouement par ailleurs.
C'est en leur nom que je vous interroge, monsieur le ministre. Quel plan cohérent allez-vous mettre en place afin de remédier à une dégradation constante de la situation ? Il serait, d'ailleurs, plus approprié d'employer les termes de « dégradation exponentielle ».
Pensez à vos confrères, monsieur le ministre ! Toutes les solutions qu'ils mettent en oeuvre de façon quotidienne ne sont que des pis-aller, des protocoles dictés par l'urgence et non par le bon sens et l'efficacité sur le long terme.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Kouchner, ministre délégué à la santé. Monsieur le sénateur, vous m'interrogez sur les moyens financiers et humains consacrés par les pouvoirs publics aux centres hospitaliers en général, et à celui de Belfort-Montbéliard en particulier.
Je vais essayer de vous apporter la réponse la plus précise possible.
Mais laissez-moi vous dire, tout d'abord, mon sentiment : que voulez-vous que je fasse de plus ?
M. Louis Souvet. Embauchez du personnel !
M. Bernard Kouchner, ministre délégué. Je pense que le service rendu à la population française est le meilleur du monde et - voulez-vous que je vous le dise avec plus de force encore ? - je le sais. Pourtant, il est insuffisant. Pourtant, on se plaint sans cesse. Vous évoquiez les manifestations, monsieur le sénateur : il y en aura deux aujourd'hui devant mon ministère, qui est le plus assiégé de tous les ministères !
Il est quand même assez paradoxal de voir un pays comme le nôtre, qui fait l'admiration des pays européens et des autres pour son système de soins, être le théâtre de tant de violences. C'est que les choses vont à la fois très bien et sans doute pas assez bien !
Monsieur le sénateur, vous votez chaque année avec vos collègues du Parlement l'objectif national des dépenses d'assurance maladie, l'ONDAM, ainsi que le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Cela constitue, selon moi, un progrès, même s'il est insuffisant. En dehors de cette enveloppe, l'argent n'existe pas. Est-il mal réparti ? On peut dire que oui. On peut tout aussi bien dire que non, puisque tout le monde se plaint...
Il y a là un paradoxe - c'est le paradoxe du progrès ! - et une exigence qui en découle et que je comprends fort bien, celle des personnels et, surtout, celle des malades et des familles qui - vieillissement, perfectionnement de l'information et progrès des techniques aidant - demandent de plus en plus à notre système de soins. Il faut que vous et nous, que nous et vous, nous prenions la mesure du phénomène.
Cela étant, je vais tenter de vous répondre très précisément à propos de Belfort-Montbéliard.
Dans l'objectif des dépenses d'assurance maladie adopté par le Parlement auquel j'ai fait allusion tout à l'heure, le Gouvernement a fixé à 3,3 % l'évolution des dépenses hospitalières. Est-ce assez ? Pas assez ? Je ne sais que vous dire.
Dans ce cadre, les dotations régionalisées, déléguées immédiatement aux agences régionales de l'hospitalisation, augmentent en moyenne de 3 %, soit un niveau d'augmentation supérieur à celui de 2000, qui s'élevait, je le rappelle, à 2,2 %.
Un montant moyen de 0,3 % sera délégué ultérieurement, correspondant aux mesures nationales spécifiques dont on a toujours besoin au cours de l'année.
Comme en 1999 et en 2000, la politique d'allocation des ressources pour 2001 poursuit l'effort de réduction des inégalités entre régions et établissements.
A ce titre, et compte tenu de la situation de cette région, la dotation régionale pour la Franche-Comté a augmenté de 3,58 %, dès la première délégation de crédits, soit près de 20 % de plus que la moyenne nationale.
Le centre hospitalier de Belfort-Montbéliard a bénéficié des taux d'évolution au niveau régional les plus importants en 2000 et en 2001 : 4 % d'augmentation en 2000, contre 3,22 % d'augmentation de la dotation régionale, et, d'ores et déjà, 3,30 % d'augmentation en 2001 prévus au budget primitif, alors que les crédits répartis à ce stade par l'agence régionale de l'hospitalisation correspondent à 3 % de hausse de la dotation régionale.
Ces dotations ont notamment permis de financer, sur les deux années, 11 postes de praticiens et 41 postes de personnels non médicaux.
Ainsi, la fusion du centre hospitalier de Belfort et du centre hospitalier de Montbéliard, effective depuis le 1er janvier 2000, dont je vous félicite, monsieur le sénateur, puisque vous y avez participé largement, s'est accompagnée d'un renforcement de moyens très important. Très important compte tenu des moyens généraux, évidemment, mais jugé localement insuffisant, et je le comprends fort bien !
Par ailleurs, la fusion de ces deux établissements, situés à quinze kilomètres l'un de l'autre et desservant une zone de population à forte densité - 300 000 habitants - au confluent de trois départements, a déjà permis de positionner le centre hospitalier de Belfort-Montbéliard comme pôle de référence du nord Franche-Comté, tant dans son dimensionnement que dans la spécialisation des disciplines, en complémentarité, c'est vrai, avec le CHU de Besançon.
La fusion a encore permis le développement ou le renforcement d'activités comme l'angioplastie coronarienne ; un pôle orienté en cancérologie, une offre de soins renforcée en psychiatrie témoignent de cette évolution.
La fusion a aussi permis de positionner le centre hospitalier de Belfort-Montbéliard dans le réseau gradué de soins en périnatalité au niveau 2 B - vous le savez, les maternités sont classées en trois niveaux - et d'inscrire cet établissement dans l'ensemble des réseaux régionaux, dont je vous félicite qu'ils se soient développés, pour la périnatalité, la cancérologie, la cardiologie, les soins palliatifs, la douleur.
La fusion a enfin permis de favoriser une politique attractive de recrutement médical - encore faut-il trouver les personnels - et de faire de cet établissement un élément moteur dans la politique régionale des systèmes hospitaliers d'informations.
Un projet d'établissement commun est en cours de formalisation qui déterminera les orientations quant au partage des activités sur les deux sites géographiques. J'ai bien noté qu'il fallait parfois affronter des susceptibilités locales dans la répartition des services et des compétences, je le sais.
De plus, l'établissement a bénéficié de financements complémentaires dans le cadre du fonds pour la modernisation des hôpitaux, le FIMHO ; en 1999, le FIMHO a financé à hauteur de 18 millions de francs la restructuration des blocs chirurgicaux et des urgences du site de Belfort et, en 2000, a financé à hauteur de 6 millions de francs les systèmes d'informations.
J'ajoute enfin qu'au titre de 2001 le projet du centre hospitalier de Belfort-Montbéliard concernant le transfert du service de soins de suite de Grand-Charmont sur le site du Mittan a été retenu comme une priorité par l'agence régionale de l'hospitalisation.
En procédant à cette énumération - et ce n'est déjà pas si mal - je sais que je ne réponds pas à toutes les attentes, mais je sais aussi que vous le comprenez. Les questions posées au pauvre ministre délégué à la santé ici, aujourd'hui, montrent que tout le monde est désireux de voir les établissements hospitaliers se développer de la meilleure manière dans sa propre région. Nous devons faire face à l'ensemble des demandes avec un budget énorme - 900 milliards de francs dépensés l'année dernière pour les soins en France ! - mais limité.
M. Louis Souvet. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Souvet.
M. Louis Souvet. Je veux d'abord, monsieur le ministre, vous remercier de la qualité de votre réponse, puis vous dire deux choses.
Premièrement, sachez que c'est pour vous aider à faire en sorte que notre hospitalisation reste la meilleure du monde que nous sommes exigeants. (Monsieur le ministre sourit.) Au demeurant, nous ne sommes que les porte-parole de nos concitoyens, de nos mandants, vous le savez fort bien.
Deuxièmement, qu'il soit clair que je ne suis pas un violent et que je n'approuve pas la violence. Votre ministère est le plus assiégé, dites-vous. Ce n'est pas de cette manière, me semble-t-il, que nous ferons avancer les dossiers. En tout cas, je désapprouve, que les choses soient claires entre nous.
Que dois-je faire ? demandez-vous. Je vais tenter de vous répondre : lorsque nous votons, ou ne votons pas l'ONDAM, c'est en pensant qu'il est peut-être possible de faire mieux.
L'argent est-il bien réparti ? Vous remarquerez que j'ai moins parlé d'argent que de budget global, en ce qu'il détermine l'affectation de moyens humains, car je crois que, sur ce point, nous avons un énorme problème. Vous savez, la Franche-Comté, ce n'est pas Nice ou la Côte d'Azur ; les recrutements sont plus difficiles dans un pays où il y a six à huit mois d'hiver que dans un pays où le soleil brille constamment, ou à peu près.
Vous avez cité de nombreux chiffres. Vous le reconnaissez, nous partions de très bas. Oui, nous avons bénéficié d'un taux de 3,58 % lorsque les dépenses étaient encadrées à 3,30 %. C'est donc bien qu'il fallait tenir compte de notre situation particulière. Cela reste nettement insuffisant, car, je le répète, nous partions de très bas.
Je vous réitère ma demande : faites vérifier, pour un nombre de lits équivalents, le budget qui est affecté au Havre et le budget qui est affecté à l'hôpital de Belfort-Montbéliard.
Quant à la population desservie, il s'agit non pas de 300 000 habitants, comme vous l'avez dit, mais de 350 000 habitants, sans compter les personnes qui viennent parfois d'ailleurs, même de Suisse, pour se faire soigner chez nous, et elles sont assez nombreuses.
J'espère que nous continuerons à être le pôle de référence de Franche-Comté. J'espère, avec vous, que le projet d'établissement nous permettra aussi de rétablir un climat social actuellement très dégradé et qui se dégrade encore très rapidement. Monsieur le ministre, il est vraiment très gênant d'avoir des grévistes quand les malades attendent dans les couloirs !
Vous me dites que vous faites tout ce que vous pouvez et que nous bénéficions d'une qualité de soins dont l'excellence nous est enviée. Croyez-moi, monsieur le ministre - je l'ai vécu personnellement - à voir ces malades dans les couloirs, aux urgences, pendant une journée, deux voire quatre jours, sur des brancards, parce qu'il n'y a pas d'autre solution - c'est tout de même pénible à vivre - nous n'avons pas envie de dire que nous sommes les meilleurs du monde !

FONCTIONNEMENT DU CENTRE HOSPITALIER
DE SAINT-CLAUDE (JURA)