SEANCE DU 25 JUIN 2001
LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS
Adoption d'une proposition de loi
en deuxième lecture
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de
loi (n° 256, 2000-2001), adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale
en deuxième lecture, relative à la lutte contre les discriminations. [Rapport
n° 391 (2000-2001)] Dans la discussion générale, la parole est à M. le
secrétaire d'Etat.
M. Guy Hascoët,
secrétaire d'Etat à l'économie solidaire.
Monsieur le président, monsieur
le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi
relative à la lutte contre les disciminations revient au Sénat après avoir été
étudiée en deuxième lecture, à l'Assemblée nationale, le 3 avril dernier. Vous
l'aviez, quant à vous, examinée en première lecture le 9 janvier.
Je crois pouvoir affirmer qu'un accord existe entre les deux assemblées sur
l'importance du dispositif que prévoit cette proposition de loi pour conforter
les droits des personnes confrontées à des discriminations.
Je suis par ailleurs reconnaissant à la Haute Assemblée d'avoir complété cette
proposition de loi par des dispositions importantes relatives à la protection
des fonctionnaires contre les discriminations, à la recevabilité des listes de
candidats à l'élection de conseillers prud'hommes et au contentieux de cette
élection, en donnant une base légale au numéro vert antidiscriminations, le
114, et en étendant les missions du fonds d'action sociale.
En revanche, des divergences assez substantielles étaient apparues en première
lecture sur certaines dispositions importantes entre vos collègues députés,
dont la conception correspond parfaitement à la philosophie du programme
gouvernemental de lutte contre les discriminations, et vous-mêmes. Ces
divergences persistent en deuxième lecture ; elles portent sur plusieurs
points.
Sur l'un des aspects fondamentaux du texte, à savoir l'aménagement de la
charge de la preuve, vous proposez de revenir à la rédaction que vous aviez
adoptée en première lecture. Cette disposition avait restreint la portée du
dispositif retenu par les députés qui laissait la charge de la preuve à
l'employeur dans le cadre d'un contentieux pour discrimination. Vous aviez,
quant à vous, prévu que le salarié doit établir les faits qui permettent de
présumer l'existence d'une discrimination et donc inversé cette charge de la
preuve.
Le Gouvernement ne peut vous suivre sur ce point. Le fait que la charge de la
preuve revienne à l'employeur est un élément central de l'économie de ce texte.
Il convient, en effet, de respecter l'équilibre des responsabilités entre le
salarié, l'employeur et le juge qu'établit la rédaction de vos collègues
députés. Cette rédaction est parfaitement conforme aux textes communautaires
adoptés sur la base du traité d'Amsterdam.
Le deuxième point de divergence concerne le renforcement des moyens d'action
en justice en donnant aux syndicats et aux associations de lutte contre les
disciminations un droit à agir plus large aux côtés du salarié. Vous proposez
de revenir à votre rédaction initiale, qui prévoit que ce droit à agir est
conditionné par un accord écrit du salarié. Là encore, notre préférence va
clairement à la rédaction de vos collègues députés qui ne prévoit pas cette
condition : les syndicats et les associations, dont la raison sociale est la
lutte contre les discriminations, ont le droit de saisir la justice pour le
salarié sauf, bien évidemment, si celui-ci s'y oppose.
Dans ces affaires souvent délicates, la préservation de l'anonymat du salarié
me semble être un point central. Le Conseil constitutionnel a été précis sur ce
point : l'action du syndicat repose alors sur un mandat implicite, et ce sont
donc les règles de droit du mandat qui s'appliquent.
Enfin, vous souhaitez revenir à un titre plus restrictif pour cette
proposition de loi, qui serait intitulée non pas « proposition de loi relative
à la lutte contre les discriminations » - titre général - mais « proposition de
loi relative à la lutte contre les discriminations à l'embauche et dans
l'emploi ». Je ne peux pas davantage souscrire à cette proposition. En effet,
le texte englobe des dispositions qui dépassent le champ strict de
l'entreprise. La mise en oeuvre de ce dispositif repose sur l'implication de
l'ensemble des acteurs du monde professionnel : les salariés, les employeurs,
les syndicats et les inspecteurs.
Les appels reçus au numéro de téléphone vert témoignent de la complexité et de
la diversité des formes de la discrimination. Cette dernière concerne
l'ensemble des champs de la vie quotidienne, des loisirs au logement en passant
par l'école. Chacun de nous peut y être confronté. Comme l'écrit M. le
rapporteur, le projet de loi de modernisation sociale comporte sur le point de
la lutte contre les discriminations dans l'accès au logement des dispositions
importantes. C'est la preuve que le Gouvernement comme la majorité plurielle
placent ce sujet au centre de leurs préoccupations et savent qu'il est
important pour l'ensemble de la société française. Je souhaite donc que le
titre de cette proposition de loi reste celui de « proposition de loi relative
à la lutte contre les discriminations ».
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, ce que je tenais à vous dire avant
que vous n'entamiez cette deuxième lecture.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Louis Souvet,
rapporteur de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la proposition de loi
relative à la lutte contre les discriminations, déposée le 13 septembre 2000,
est issue du projet de loi de modernisation sociale déposé le 24 mai 2000, dont
les articles correspondants ont été disjoints par lettre en date du 12 décembre
2000 de Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Elle a
été adoptée en première lecture le 12 octobre dernier par l'Assemblée nationale
et le 9 janvier dernier par le Sénat.
Cette première lecture a été l'occasion de constater une concordance de vues
entre nos deux assemblées quant à la nécessité de modifier notre droit pour
mieux lutter contre les discriminations.
Pour ma part, je vous rappellerai que la commission avait, lors de la première
lecture, motivé sa volonté de lutter davantage contre les discriminations par
la nécessité d'assurer le plein respect de notre pacte républicain et par
l'urgence qu'il y avait à envoyer un signal à de nombreux jeunes qui peuvent
ressentir, à juste titre, un sentiment d'exclusion devant des pratiques
quelquefois indignes d'une grande démocratie.
Cette nécessité était devenue d'autant plus pressante qu'il incombe à notre
pays de transcrire dans le droit national les dispositions prévues par deux
directives européennes, dont la plus ancienne comportait une date limite fixée
au 1er janvier 2001.
Cet accord de principe n'a pu cependant, hélas ! se traduire par une
convergence sur la manière de lutter contre les discriminations.
Le Sénat a, certes, adopté conformes trois articles à l'issue de la première
lecture : l'article 3, qui intègre l'objectif de lutte contre les
discriminations dans la négociation collective, tant au niveau de la branche
que dans les travaux de la commission nationale de la négociation collective ;
l'article 5, qui étend l'aménagement de la charge de la preuve aux litiges
relatifs à l'égalité de rémunération entre les femmes et les hommes ; enfin,
l'article 7, qui est relatif à la protection des salariés des établissements
sociaux et médico-sociaux, ainsi que des salariés employés à domicile en vue
d'aider des personnes âgées ou handicapées lorsque lesdits salariés témoignent
de faits de maltraitance.
Il a, par ailleurs, modifié l'article 6, qui vise la recevabilité des listes
de candidats à l'élection de conseillers prud'hommes et contentieux de cette
élection, et l'article 8, qui traite de l'accueil téléphonique gratuit, et a
créé deux nouveaux articles : l'article 9, qui étend les missions du fonds
d'action sociale à la lutte contre les discriminations à l'encontre des
populations immigrées ou issues de l'immigration, et l'article 10, qui améliore
la protection des fonctionnaires contre les discriminations.
Cependant, un désaccord important, monsieur le secrétaire d'Etat, est
apparu entre les deux assemblées concernant la disposition la plus importante
de ce texte, c'est-à-dire l'aménagement de la charge de la preuve. Ce désaccord
porte sur le meilleur moyen de transcrire les directives européennes et sur le
choix du dispositif juridique le mieux à même de lutter efficacement contre les
discriminations. Vous avez dit, monsieur le secrétaire d'Etat, que le texte
était conforme. En réalité, il va bien au-delà de ce que prévoient les
directives européennes, qui établissent un cadre précis dont la commission ne
souhaite pas s'éloigner.
L'article 8 de la directive du 29 juin 2000 prévoit que, « dès lors qu'une
personne s'estime lésée par le non-respect à son égard du principe de l'égalité
de traitement et établit, devant une juridiction ou une autre instance
compétente, des faits qui permettent de présumer l'existence d'une
discrimination directe ou indirecte, il incombe à la partie défenderesse de
prouver qu'il n'y a pas eu violation du principe de l'égalité de traitement ».
Ce principe était déjà énoncé par l'article 4 de la directive européenne du 15
décembre 1997 relative à la charge de la preuve dans les cas de discrimination
fondée sur le sexe.
Ce nouveau régime ne constitue pas un renversement de la charge de la preuve.
Autant, dans notre droit, il incombait au plaignant d'établir la preuve de ses
dires, autant la nouvelle procédure cherche à établir un certain équilibre afin
d'obliger les parties à présenter chacune leurs arguments pour permettre à une
tierce partie de se faire son opinion, et donc de trancher.
Il s'agit là, cependant, d'un changement déjà considérable et qui n'est pas
sans risque. Il trouve néanmoins sa justification dans les difficultés
qu'éprouvent les plaignants à prouver leurs dires, comme en témoignent le
faible nombre de recours devant les tribunaux et le nombre encore plus faible
des décisions de justice favorables aux plaignants.
Les risques sont évidents. L'aménagement de la charge de la preuve, en
obligeant l'employeur à se justifier sur sa décision, ouvre la porte à des
recours qui pourraient ne pas être tous mûs par le désir de réparer une
injustice mais qui, au contraire, pourraient traduire la volonté d'obtenir
raison d'une décision défavorable rendue sur des critères légitimes tenant, par
exemple, à une différence de formation, d'aptitude, d'expérience, voire à une
différence plus subjective tenant au profil, au tempérament ou à la
sympathie.
En cela, l'aménagement du régime de la preuve accroît le contrôle sur les
décisions de l'entrepreneur et fait même peser sur lui comme une présomption
de culpabilité.
Pour limiter les risques de dérive, le législateur européen a fort
heureusement prévu que le plaignant devra « établir (...) des faits qui
permettent de présumer l'existence d'une discrimination ». Par « faits », il
convient de comprendre des faits connus, qui servent à constituer la preuve par
présomption.
Je rappellerai à nouveau qu'un fait, comme un indice, est plus aisé à établir
ou à rassembler qu'une preuve. Néanmoins, il se distingue du soupçon, de
l'impression, voire de la rumeur. On peut donc estimer que le législateur
européen a trouvé le juste équilibre, et qu'il convient de ne pas s'en
écarter.
Curieusement, l'Assemblée nationale et le Gouvernement ont souhaité s'inspirer
plus de l'évolution de la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de
cassation que du texte des directives européennes. Il en résulte des
dispositions qui sont soit floues soit excessives, et qui ont en commun de
placer le juge en position d'arbitre, ce qui est toujours risqué.
Dans cette rédaction, en cas de litige, le plaignant se devrait simplement de
présenter « des éléments de fait laissant supposer l'existence » d'une
discrimination directe ou indirecte. Par ailleurs, la partie défenderesse se
devrait alors de prouver que sa décision « est justifiée par des éléments
objectifs étrangers à toute discrimination ».
En première lecture, le Sénat a suivi les propositions de la commission, qui
considérait que cette rédaction n'était pas assez rigoureuse juridiquement et
avait pour conséquence de laisser le juge seul décideur de l'existence d'une
discrimination, puisque la nécessité de présenter des faits était pour le moins
assouplie.
La Haute Assemblée avait, dans ces conditions, décidé de modifier le régime de
la charge de la preuve afin de « coller au plus près » au texte des directives.
Elle avait ainsi prévu que le plaignant aurait à établir « des faits qui
permettent de présumer l'existence » d'une discrimination directe ou indirecte,
la partie défenderesse devant prouver que sa décision « n'est pas contraire aux
dispositions » légales énoncées.
Un autre désaccord a porté également en première lecture sur le rôle reconnu
aux syndicats et aux associations pour agir en justice.
En deuxième lecture, l'Assemblée nationale a rétabli son texte concernant
l'aménagement du régime de la charge de la preuve après que son rapporteur a
considéré comme « fondamentale » la différence entre les deux textes.
Elle a, en revanche, maintenu plusieurs dispositions adoptées par le Sénat,
comme l'ajout de l'âge dans la liste des motifs de discrimination, dont elle a
par ailleurs précisé la mise en oeuvre - c'est l'article 2
bis
nouveau -
et l'affichage obligatoire des coordonnées du service d'accueil téléphonique
gratuit dans les établissements privés et publics ; il s'agit de l'article
8.
L'Assemblée nationale a également adopté l'extension de la compétence du fonds
d'action sociale pour les travailleurs immigrés et leurs familles - il s'agit
de l'article 9 - ainsi que l'extension à la fonction publique du principe de
lutte contre les discriminations, dont elle a précisé les modalités concernant
les discriminations fondées sur l'âge ; il s'agit de l'article 10.
Si elle a rétabli son texte concernant le droit d'action des syndicats sans
l'accord exprès de la victime - c'est l'article 2 -, l'Assemblée nationale a
cependant tenu compte des remarques du Sénat concernant le « droit d'alerte »
des associations, celles-ci se voyant maintenant reconnaître le droit d'agir
directement, comme les directives européennes en ouvrent la possibilité, alors
que, auparavant, il fallait passer par un syndicat.
Enfin, l'Assemblée nationale a rétabli le texte initial de l'intitulé de la
proposition de loi en supprimant les mots : « dans l'emploi », qui avaient été
ajoutés par le Sénat et qui permettaient pourtant de clarifier l'objet comme la
portée du texte. Le rapporteur a d'ailleurs reconnu que, à plus de 90 % - et
encore, avec les ajouts du Sénat - le texte visait les relations au sein de
l'entreprise, et uniquement celles-ci.
En deuxième lecture, pour les articles restant en navette, la commission
propose au Sénat de rétablir l'ensemble des dispositions qu'elle avait adoptées
en première lecture en ce qui concerne, en particulier, l'aménagement du régime
de la charge de la preuve et la nécessité d'un accord écrit exprès du salarié
pour permettre l'action d'un syndicat en justice s'agissant d'une
discrimination dont il aurait été victime. Elle proposera, par coordination,
d'étendre cette disposition aux associations de lutte contre les
discriminations.
La commission propose également de modifier à nouveau l'intitulé de la
proposition de loi en y ajoutant les mots « à l'embauche et dans l'emploi ». Il
s'agit de préciser que cette proposition de loi ne couvre pas l'ensemble du
champ de la lutte contre les discriminations, qui concerne aussi le logement et
les loisirs, par exemple : ce texte-ci est muet sur ces points.
Or le projet de loi de modernisation sociale comporte parallèlement un
important dispositif relatif à la lutte contre les discriminations dans l'accès
au logement. Il est, à cet égard, regrettable que le Gouvernement ait choisi
d'aborder un même problème dans deux textes discutés parallèlement et
simultanément, prenant ainsi le risque de l'incohérence.
Le texte que la commission propose au Sénat d'adopter, ainsi modifié, devrait
permettre des progrès sensibles dans la lutte contre les discriminations, sans
pour autant compromettre la nécessaire marge de manoeuvre des entreprises dans
la gestion de leur personnel.
M. le président.
La parole est à M. Muzeau.
M. Roland Muzeau.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
texte que nous examinons aujourd'hui marque une étape importante dans la lutte
contre les pratiques discriminatoires qui affectent le monde du travail et
nuisent encore de nos jours à de trop nombreuses personnes, que ces pratiques
interviennent lors de l'embauche ou durant l'activité salariée au sein de
l'entreprise.
Avec cette proposition de loi relative à la lutte contre les discriminations,
notre pays va se doter d'un arsenal législatif cohérent et relativement complet
permettant de combattre plus efficacement les méthodes condamnables de certains
employeurs, privés ou publics - j'y reviendrai - qui altèrent les relations
sociales depuis trop longtemps déjà.
Nous débattrons également cette semaine, dans le cadre du projet de loi de
modernisation sociale, du problème du harcèlement moral au travail.
Sur ces deux questions très importantes, discriminations et harcèlement moral,
il est intéressant de noter que le Sénat et l'Assemblée nationale, malgré des
différences d'appréciation, ont réussi à enrichir les textes initiaux de
plusieurs apports susceptibles de faciliter la prise en compte de ces
problèmes.
Pour ce qui est de la lutte contre les discriminations, nous sommes heureux
que l'Assemblée nationale soit revenue à son texte de première lecture sur
plusieurs points.
Le principal d'entre eux concerne, selon nous, l'aménagement du régime de la
charge de la preuve. Le texte est parfaitement clair et équilibré dans ce
domaine.
En effet, un salarié ou un candidat à une embauche est simplement tenu
d'apporter des éléments de fait laissant supposer qu'il est victime d'une
discrimination.
Il incombe ensuite à l'employeur de prouver que la différence de traitement
constatée est motivée par des élements objectifs étrangers à toute
discrimination.
Enfin, il appartient au juge de se forger une opinion.
Cette rédaction nous convient parfaitement, comme nous l'avions déjà dit lors
de l'examen du texte en première lecture.
Nous apprécions aussi que l'Assemblée nationale ait rétabli le texte dans sa
version initiale en ce qui concerne le droit d'intervention des syndicats et
des associations.
Il nous apparaît en effet très important que les syndicats puissent intenter
une action en justice à la place d'une personne victime de discrimination, à
condition que celle-ci ne s'y oppose pas.
De plus, le fait que les syndicats bénéficient aussi de l'aménagement de la
charge de la preuve est, à notre avis, très positif.
En ce qui concerne le droit d'alerte des associations, l'Assemblée nationale
est même allée plus loin en deuxième lecture, puisque le texte accorde aux
associations reconnues pour leur lutte contre les discriminations des
prérogatives identiques à celles des organisations syndicales. Nous nous en
félicitons, car nous pensons qu'il est nécessaire de tout mettre en oeuvre pour
protéger ou rétablir dans ses droits une personne victime de pratiques
discriminatoires qui, la plupart du temps, se retrouve isolée et démunie.
Nous nous félicitons également que certaines dispositions introduites au Sénat
en première lecture aient été maintenues ou améliorées par l'Assemblée
nationale.
Je pense plus particulièrement à l'amendement que notre groupe avait fait
adopter - à l'unanimité -, amendement précisant que la discrimination peut
résulter de « l'appartenance ou de la non-appartenance vraie ou supposée à une
ethnie, une nation ou une race », évitant ainsi de donner une reconnaissance
juridique à la notion de « race », qui n'est pas fondée sur le plan
scientifique.
Je pense aussi à l'extension du champ d'application du texte à la fonction
publique. Comme dans le cas du harcèlement moral, la fonction publique n'est
pas toujours exempte de reproches, et il est très positif que les
fonctionnaires puissent être protégés contre les pratiques discriminatoires
dont ils peuvent être victimes, comme les salariés du secteur privé.
Enfin, l'Assemblée nationale a adopté l'article 2
bis
, qui précise les
conditions d'application du principe de non-discrimination en matière d'âge, de
façon à éviter la remise en cause de certaines politiques de l'emploi visant,
par exemple, à préserver la santé des travailleurs ou à favoriser leur
insertion sur le marché du travail.
Cette disposition nous paraît très positive.
Avec ce texte, clair, équilibré et de nature à faciliter l'action des salariés
victimes de discriminations, nous disposerons d'une loi efficace pour combattre
les pratiques discriminatoires dans le monde du travail.
Nous trouvons donc fort regrettable que la commission des affaires sociales du
Sénat ait, comme lors de la première lecture, présenté des amendements visant à
affaiblir la portée du texte, notamment en ce qui concerne l'aménagement du
régime de la charge de la preuve et le droit d'intervention des organisations
syndicales. Ces amendements rendent plus difficile l'action d'une personne
victime de discrimination pour être rétablie dans ses droits. Ces modifications
importantes, qui portent sur des aspects fondamentaux de la proposition de loi,
nous contraignent donc, à regret, à émettre un vote contre ce texte, qui
introduit pourtant d'indéniables progrès dans la lutte contre les
discriminations, comme je viens de le rappeler.
Nous comptons donc sur la lecture définitive par l'Assemblée nationale pour
redonner à ce texte toute sa portée.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen,
ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Chabroux.
M. Gilbert Chabroux.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la
proposition de loi relative à la lutte contre les discriminations revient
devant le Sénat en deuxième lecture. D'une lecture l'autre, la navette
parlementaire a déjà permis de véritables avancées, puisque nous n'avons plus à
examiner qu'une partie des articles, plusieurs ayant déjà été adoptés conformes
ou étant susceptibles de l'être.
Le groupe socialiste ne peut évidemment qu'exprimer sa satisfaction devant ces
convergences. Ainsi, l'article 3 intégrant la lutte contre les discriminations
dans la négociation collective, l'article 5 étendant l'aménagement de la charge
de la preuve aux litiges relatifs à l'égalité de rémunération hommes-femmes et
l'article 7, relatif à la protection des salariés des établissements sociaux et
médico-sociaux et des employés à domicile témoignant de faits de maltraitance,
ont été adoptés conformes, et ce dès la première lecture au Sénat.
L'Assemblée nationale nous a, peut-on dire, rendu la politesse en adoptant
conformes les articles 6 et 8 amendés par le Sénat ; l'article 6 est relatif à
la recevabilité des listes des candidats à l'élection prud'homale et l'article
8 à trait l'organisation d'un service d'accueil téléphonique gratuit.
L'Assemblée nationale a également adopté, dans sa rédaction issue des travaux
du Sénat, l'article 9 étendant les missions du fonds d'action sociale à la
lutte contre les discriminations à l'encontre des immigrés. Quant à l'article
10, relatif aux discriminations dont sont victimes les fonctionnaires,
l'Assemblée nationale nous propose une version encore améliorée de ce travail
collectif.
Il est donc bien évident que la lutte contre les discriminations ne fait pas
problème dans son principe et qu'un certain nombre de ses modalités se
déclinent de manière parallèle, voire conjointe, entre nos deux assemblées,
tout cela dans un climat de bonne volonté générale, tant le sujet prête à
consensus pour le législateur.
Il reste néanmoins plusieurs articles sur lesquels un accord semble plus
difficile à obtenir. Le plus important d'entre eux est manifestement celui qui
est relatif à l'établissement des faits susceptibles de constituer une
discrimination.
Sur la forme, je soulignerai simplement que la rédaction de la proposition de
loi qui a été retenue par la majorité de l'Assemblée nationale est aussi celle
des textes européens.
Sur le fond, comme nous, vous ne pouvez ignorer que les faits de
discrimination, encore plus que ceux de harcèlement moral, sont
particulièrement difficiles à établir. La discrimination se pratique en règle
générale de manière insidieuse, surtout quand elle touche les possibilités de
promotion, d'augmentation de salaire ou l'accès à un travail plus intéressant.
En cette matière, les faits bruts ne parlent pas. Les témoignages sont rares,
en raison de la crainte des salariés de perdre leur emploi ou d'être à leur
tour victimes de discriminations s'ils acceptent de défendre un collègue.
Il faut absolument, si nous voulons légiférer de manière efficace, à la fois
permettre au salarié d'apporter des éléments de fait au juge et laisser
celui-ci former sa conviction au vu de ces éléments et de tous ceux qu'il
pourra recueillir. Le texte laisse d'ailleurs une vraie liberté d'appréciation
au juge, afin d'éviter un risque de condamnation automatique de l'employeur.
Mais il ne permet pas à celui-ci d'invoquer n'importe quel autre prétexte à
l'appui de sa décision. Tel qu'il est, le texte offre donc un équilibre et il
permet à chacun de faire valoir ses arguments.
Par ailleurs, s'agisant de l'action en justice des syndicats mentionnée à
l'article 2 de la proposition de loi, je dirai simplement que nous ne voyons
pas pour quelle raison, dans ce cas précis, le syndicat devrait justifier d'un
accord écrit préalable du salarié qu'il entend soutenir.
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Pour ne pas l'instrumentaliser !
M. Gilbert Chabroux.
Une telle exigence ouvrirait la porte à toutes les pressions dissuasives à
l'encontre du salarié. Mais cette question de l'autorisation est un sujet sur
lequel nous revenons régulièrement et qui touche à nos conceptions différentes
de l'exercice du droit syndical en France.
Voici donc les points demeurant en question sur lesquels nous souhaitions nous
exprimer. On ne peut manquer d'observer que les articles encore en débat sont
ceux qui concernent directement le droit du travail, la relation entre les
employeurs et les salariés. Nous sommes non plus dans les à-côtés ou dans les
pétitions de principe indiscutables contre les discriminations, mais au coeur
de la relation salariale, dans ce territoire où vont se mettre en oeuvre les
procédés discriminants, là où peut donc naître un véritable conflit.
C'est ici que la majorité sénatoriale freine brusquement dans son ardeur à
lutter contre les discriminations. Au moment de mettre à égalité l'employeur et
le salarié devant le juge, il semble définitivement acquis que l'employeur est,
pour elle,
a priori
justifié dans ses actes.
Ce qui serait vrai dans le domaine économique l'est encore davantage en
matière de gestion des relations humaines. L'employeur ou son représentant ne
saurait être placé en position de défendeur, sauf à s'être directement comporté
de manière insultante, brutale, et, surtout, bien visible de tous, à l'égard du
ou des salariés concernés. Chacun le sait : cela n'advient que très rarement ;
les faits sont, en l'occurrence, sournois, et les témoignages hésitants.
Dans ces conditions, refuser la modification de la charge de la preuve telle
qu'elle nous est proposée par l'Europe et telle que nous la présente la
proposition de loi, c'est refuser, au fond, qu'une véritable lutte contre les
discriminations se mette en place dans le monde du travail, c'est accepter que
l'entreprise puisse être une zone d'arbitraire, où les notions de citoyenneté
et de respect des droits des personnes sont secondaires.
Nous ne pouvons bien entendu souscrire à cette vision. Pour nous, c'est
précisément parce que la relation entre l'employeur et le salarié est, par
définition, inégale qu'il faut particulièrement veiller au respect des droits
des personnes dans l'entreprise. C'est d'ailleurs l'évolution qui se dessine
dans la société évolutive et fluide qui est la nôtre chaque jour davantage.
Nous passons très vite d'une société hiérarchisée, de chefs et de soumis, à
une société dans laquelle des partenaires différents et égaux doivent
travailler et communiquer, chacun étant dans l'entreprise responsable de ses
tâches. A l'aune de cette évolution, il serait encore plus choquant que
certaines catégories qui demeurent plus vulnérables parce qu'elles présentent
telle différence ou qu'elles appartiennent à telle minorité non seulement
soient victimes de comportements discriminants, mais aussi ne puissent
efficacement se défendre.
Dans la mesure où nous voulons mettre en place de manière concrète et non
théorique une véritable lutte contre les discriminations dans le monde du
travail, le groupe socialiste votera contre le texte tel qu'il résultera de nos
travaux.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain
et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Caldaguès.
M. Michel Caldaguès.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
lors de la première lecture, la commission des affaires sociales s'était
efforcée, comme l'a excellemment souligné tout à l'heure le rapporteur, mon ami
Louis Souvet, de trouver un « chemin de convergence » avec l'Assemblée
nationale sur un sujet qui devrait parvenir à recueillir l'accord des deux
assemblées, car nous sommes tous opposés aux manoeuvres discriminatoires au
sein de l'entreprise.
Cet effort était méritoire de la part de la commission et de son rapporteur.
Je l'avais d'ailleurs appuyé en votant les principaux amendements présentés par
la commission. Or l'Assemblée nationale n'en a eu cure.
Mes chers collègues, voilà quatre jours, le président du Sénat rappelait les
vertus du bicamérisme et la nécessité de trouver des terrains d'entente entre
les deux assemblées, comme d'ailleurs la Constitution nous y invite. Or j'ai
constaté à plusieurs reprises ces derniers jours que non seulement l'Assemblée
nationale n'est nullement animée de ce désir, mais que le Gouvernement la
rejoint en soutenant quasi systématiquement - et c'est sans doute ce qu'il va
faire tout à l'heure - le texte élaboré par l'Assemblée nationale.
L'occasion est venue de protester contre cet état de fait, d'autant que le
texte qui nous vient de l'Assemblée nationale est à mes yeux totalement
inadmissible.
Nous pouvions déjà nous inquiéter de ce que la présomption d'innocence ait été
mise à mal par la directive européenne à laquelle se référait tout à l'heure
mon ami M. Louis Souvet.
Lorsque la charge de la preuve est inversée, cela signifie que la présomption
d'innocence disparaît. Or, il s'agit de l'un des grands principes de notre
droit. Je suis donc stupéfait que le Sénat puisse laisser s'évaporer un
principe aussi essentiel.
Cette audace, que je regrette mais à laquelle la commission s'était ralliée
toujours dans la perspective de trouver un terrain d'entente, est
considérablement aggravée par les autres dispositions adoptées par l'Assemblée
nationale, car le fait de substituer à la présomption une supposition n'est pas
admissible.
Mes chers collègues, on peut imaginer qu'une présomption équilibre, voire
mette en échec une autre présomption ; mais qu'une simple supposition mette en
échec une présomption, nous ne pouvons pas le tolérer, car cela irait à
l'encontre de la philosophie habituelle de notre droit.
Une présomption est une notion précise qui est explicitée par la
jurisprudence, en tout cas qui n'est pas inconnue de la jurisprudence et qui,
par conséquent, peut permettre, à la rigueur, au juge d'établir la
justification d'une plainte dans le domaine dont nous discutons. Mais une
simple supposition, c'est la porte ouverte aux procès d'intention et - je
n'hésite pas à le dire, à la chasse aux sorcières dans nos entreprises.
Autant je suis désireux qu'on ne pratique pas de discrimination dans
l'entreprise, autant je suis totalement opposé à ce qu'on s'y livre à la chasse
aux sorcières. Telle est exactement la conséquence qui résulterait de la
phraséologie adoptée par l'Assemblée nationale, car on ne peut parler que de
phraséologie lorsqu'il s'agit de toute évidence d'une opération politicienne et
non d'une opération de protection des travailleurs.
Je ne sais sous l'empire de quel lobby de gauche cette opération politicienne
a été déclenchée. En tout cas, telle qu'elle nous parvient de l'Assemblée
nationale, je redis qu'elle est à mes yeux totalement inadmissible. Je
comprends mal comment le Sénat pourrait à l'avance se résigner à ce qu'un texte
aussi mauvais finisse par être adopté, d'autant que - on nous l'a dit et nous
n'en doutons pas - l'Assemblée nationale reviendra à son texte.
Mes chers collègues, pour faire droit à l'effort qui a été accompli par la
commission et pour lui donner en quelque sorte un coup de chapeau, je ne
voterai pas contre ses amendements. En revanche, je voterai contre l'ensemble
du texte.
M. Guy Hascoët,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Guy Hascoët,
secrétaire d'Etat.
Je dirai maintenant quelques mots, qui vaudront pour
l'ensemble du débat.
Ce projet de loi vise à faire évoluer, à mettre en mouvement une société
confrontée à un réel problème. Ce n'est pas la peine de se voiler la face :
aujourd'hui, à diplômes égaux, il y a cinq fois plus de chômeurs chez les
jeunes issus de l'immigration que dans les autres catégories sociales.
Les discriminations sont un phénomène connu. Je ne veux pas revenir à cet
égard sur des débats qui se sont déroulés voilà quelque trente ans à propos de
l'égalité entre les hommes et les femmes. Un quart de siècle plus tard, nous en
sommes à peu près au même stade : à responsabilité égale, l'écart de salaire
est à peu près toujours de la même ampleur.
Il est donc nécessaire de faire preuve de lucidité pour tenter de corriger ces
situations qui ne sont pas acceptables et qui, je crois, - vous l'avez dit
vous-même, il y a un instant, monsieur le rapporteur - portent atteinte au
pacte républicain.
S'agissant de la présomption d'innocence, je dirai simplement que, s'il
s'agissait d'incriminer directement tel ou tel individu, on pourrait ouvrir le
débat, mais que là, il s'agit du droit d'un individu compris dans un ensemble,
confronté à une personne morale.
M. Michel Caldaguès.
On incrimine le mandataire social !
M. Guy Hascoët,
secrétaire d'Etat.
Vous aurez l'occasion de vous exprimer pendant le
débat, je suppose, monsieur le sénateur.
Ce que je veux dire, simplement, c'est que vous portez votre appréciation sur
un témoin qui n'est pas tout à fait le même et qui n'est pas susceptible d'être
confondu.
Pour avoir participé, en tant que député, à tous les débats sur la présomption
d'innocence, j'estime que vouloir assimiler les deux cas, c'est confondre les
genres.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle que, aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir
de la deuxième lecture au Sénat des propositions de loi, la discussion des
articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du Parlement n'ont
pas encore adopté un texte identique.
Article 1er