SEANCE DU 11 OCTOBRE 2001
ACCORD ENTRE LA COMMUNAUTÉ EUROPÉENNE ET LA SUISSE SUR LA LIBRE CIRCULATION DES
PERSONNES
Adoption d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 380, 2000-2001)
autorisant la ratification de l'accord entre la Communauté européenne et ses
Etats membres, d'une part, et la Confédération suisse, d'autre part, sur la
libre circulation des personnes. [Rapport n° 439 (2000-2001).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué chargé des affaires européennes.
Monsieur le président,
monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le développement de
la coopération entre l'Union européenne et la Confédération helvétique
constitue une priorité et une nécessité, pour l'Union comme pour nos voisins
suisses. Aussi ne pouvait-on concevoir qu'il puisse être durablement entravé
par l'échec du référendum suisse de décembre 1992, c'est-à-dire par le rejet de
la ratification du traité de Porto instituant l'Espace économique européen, et
par le gel subséquent de la candidature de la Confédération à l'Union. Il y
aurait, en effet, quelque paradoxe à ce que l'Union mette en oeuvre avec la
Suisse des accords de coopération moins poussés qu'avec un certain nombre
d'Etats extra-européens, alors qu'il s'agit d'un de ses voisins les plus
proches - on pourrait même dire le plus proche - et d'un de ses principaux
partenaires.
Voilà pourquoi l'Union européenne et la Confédération helvétique ont engagé
des négociations bilatérales en décembre 1994 en vue de l'élargissement à la
Suisse de l'acquis communautaire dans un nombre limité de domaines. Celles-ci
ont abouti à la signature de sept accords, à Luxembourg, le 21 juin 1999.
Seul l'accord relatif à la libre circulation des personnes doit faire l'objet
d'une procédure de ratification nationale. En effet, il est de nature « mixte »
sur le plan juridique, dans la mesure où il relève à la fois de la compétence
de l'Union et des Etats membres, alors que les six autres relèvent de la seule
compétence communautaire. Toutefois, ces sept accords sont liés par une clause
d'entrée en vigueur simultanée et forment donc un même ensemble.
Ces accords présentent un intérêt intrinsèque évident, et je vais y revenir
plus en détail. Toutefois, je voudrais commencer par insister sur le fait
qu'ils ont une portée globale.
D'abord, ils ouvrent la voie à de nouvelles avancées. Par exemple, comme vous
le savez, le succès du projet de directive sur la fiscalité de l'épargne, qui
devrait être adopté à la fin de l'année prochaine, dépend de l'issue de
négociations avec un certain nombre de pays tiers. Plusieurs Etats membres de
l'Union ont en effet explicitement soumis leur ralliement à ce projet, auquel
la France est très attachée, à la condition que les discussions avec notre
voisin helvétique sur ce chapitre fassent des progrès décisifs. Or il ne fait
pas de doute que l'entrée en vigueur des accords entre l'Union européenne et la
Suisse représente elle-même, en quelque sorte, un préalable à de tels
progrès.
Ensuite, ces accords constituent, à l'évidence, une étape essentielle dans le
rapprochement entre la Suisse et l'Union européenne. A terme, ils préparent le
terrain à une éventuelle reprise - souhaitée, nous le savons, par le Conseil
fédéral - de la procédure d'adhésion de la Suisse à l'Union. L'expérience
prouve clairement que cette stratégie de rapprochement progressif est la
meilleure.
J'en viens maintenant au contenu de ces accords.
L'accord sur la libre circulation des personnes vise principalement à étendre
à la Suisse les règles en vigueur au sein de l'Union européenne - c'est-à-dire
le principe d'égalité de traitement et de non-discrimination en fonction de la
nationalité - dans l'exercice de toute une série de droits fondamentaux,
notamment les droits d'entrer, de résider, d'étudier, de travailler et de
s'établir comme indépendant.
Cet accord facilitera considérablement l'accès des travailleurs français au
marché de l'emploi suisse en supprimant peu à peu tout contingentement. La
proximité géographique et linguistique de nos deux pays leur donnera même, me
semble-t-il, un avantage évident. Rappelons que le taux de chômage en Suisse
est inférieur à 2 %. En outre, l'accord améliorera sensiblement la situation
des Français travaillant en Suisse, qui sont aujourd'hui au nombre de 74 000 et
représentent ainsi la moitié de tous les frontaliers ayant un emploi en Suisse.
Ceux-ci pourront notamment changer librement d'emploi, de profession, de lieu
de travail ou de séjour.
Un des progrès les plus notables par rapport au régime actuellement en vigueur
entre nos deux pays a trait à la coordination des systèmes de sécurité sociale.
L'accord permettra notamment le maintien des droits acquis et la totalisation
des périodes de cotisation.
Je veux m'arrêter quelques instants sur la délicate question de l'assurance
maladie des travailleurs frontaliers, qui a suscité beaucoup d'intérêt et,
parfois, beaucoup d'inquiétudes chez les personnes concernées.
L'accord pose le principe, conformément à la règle communautaire, d'une
affiliation au régime du pays d'emploi. Cependant, il a prévu la possibilité de
dérogations afin de tenir compte des spécificités nationales.
Cette question est très sensible, le Gouvernement a donc pris l'initiative
d'une concertation approfondie avec les associations représentant ces
travailleurs frontaliers de même qu'avec les élus des départements concernés.
Il a également demandé un rapport sur ce sujet à trois spécialistes du droit
social : Mme Marie-Ange Moreau, M. Dominique Nazet-Allouche et Mme Rolande
Ruellan qui lui a été remis en octobre 2000.
Sur la base de ces discussions et de cette réflexion, le Gouvernement a
annoncé, en juin dernier, son intention de demander au comité mixte compétent
l'exercice de ce droit d'option dès que possible, c'est-à-dire immédiatement
après l'entrée en vigueur de l'accord. Cela signifie que la possibilité sera
laissée aux frontaliers qui en feront la demande de ne pas adhérer au régime
fédéral suisse d'assurance maladie.
Il restait à préciser le type d'assurance auquel les travailleurs frontaliers
pourraient avoir recours en France. Il s'agira de la couverture maladie
universelle dite de « résidence », créée par la loi du 27 juillet 1999, qui a
vocation à accueillir tous les résidents français non couverts par un régime
obligatoire, mais aussi, pendant une période transitoire de sept ans, d'une
assurance auprès d'une compagnie privée. Le Gouvernement a donc entendu, une
fois de plus, le souhait exprimé par de nombreux frontaliers et par leurs
représentants.
La consultation des différentes associations de frontaliers réunies au début
de la semaine par mes services et par ceux de Mme la ministre de l'emploi et de
la solidarité a d'ailleurs permis de montrer que cette formule devrait - je
parle avec prudence, mais aussi avec confiance - recueillir un large consensus
auprès des intéressés. Je crois donc que, conformément à ses engagements, le
Gouvernement a trouvé, par la concertation, un compromis satisfaisant entre les
règles communautaires, les principes qui fondent notre sécurité sociale
nationale et les revendications légitimes des travailleurs concernés. En plus
de la révision de l'accord, l'ensemble de ce dispositif exigera certaines
adaptations législatives.
Comme je le disais, la ratification de l'accord de libre circulation des
personnes permettra par ailleurs l'entrée en vigueur des six autres accords,
relatifs, respectivement, aux échanges de produits agricoles, à la
reconnaissance mutuelle en matière de conformité, aux marchés publics, aux
transports terrestres, au transport aérien ainsi qu'à la coopération
scientifique.
Au total, les accords bilatéraux Union européenne-Suisse se traduiront par une
intensification de la coopération et des échanges entre la Suisse et l'Union,
entre la Suisse et la France, dont les effets seront globalement bénéfiques
pour toutes les parties, notamment dans les régions frontalières.
Nos partenaires de l'Union ont reconnu l'importance de ces accords. Le
Parlement européen a donné son avis conforme le 4 mai 2000, et, à ce jour,
douze Etats membres de l'Union européenne ont ratifié l'accord sur la libre
circulation des personnes. En le faisant à son tour cet automne, la France
devrait lui permettre d'entrer en vigueur au tout début de 2002.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames,
messieurs les sénateurs, les raisons pour lesquelles j'ai l'honneur, au nom du
Gouvernement, de solliciter de la part de votre Haute Assemblée l'approbation
de ce projet de loi, en application de l'article 53 de la Constitution.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Guy Penne,
rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers
collègues, la compréhension de cet accord entre l'Union européenne et la Suisse
requiert quelques explications liminaires, que je me suis attaché à synthétiser
le plus possible.
La première question qui se pose est de savoir pourquoi le Parlement est
uniquement saisi de l'accord sur la libre circulation des personnes, alors que
c'est un ensemble de sept accords sectoriels qui a été conclu entre l'Union
européenne et la Suisse le 21 juin 1999.
L'accord sur la libre circulation des personnes est le seul à être soumis à la
ratification des parlements nationaux, car il porte sur un domaine dit « mixte
», c'est-à-dire dont la compétence relève, du fait des traités européens en
vigueur, à la fois de l'Union et des Etats membres.
Les six autres accords sont de la seule compétence communautaire. Ils portent
sur les transports terrestres et les transports aériens, sur la coopération
scientifique et technologique, sur les marchés publics, sur les échanges de
produits agricoles et sur la reconnaissance mutuelle de l'évaluation de la
conformité de divers produits industriels.
L'entrée en vigueur de ces six accords sectoriels dépend de l'achèvement des
procédures de ratification de l'accord sur la libre circulation des personnes.
Cet ensemble d'accords a déjà été ratifié par la Suisse au mois d'octobre 2000.
Pour les membres de l'Union européenne, les ratifications sont achevées dans
douze pays, et en cours d'examen en France, en Belgique et en Irlande.
Nous nous situons donc en « queue de peloton », et c'est la raison pour
laquelle nous examinons aujourd'hui ce texte, qui a été adopté par le Conseil
des ministres du 13 juin dernier, soit deux ans après sa signature. Ce long
délai entre la signature et l'adoption par le Gouvernement est, pour une large
part, dû à la nécessité pour celui-ci de prendre en compte la spécificité des
modalités de couverture sociale des travailleurs frontaliers, vous les avez
évoquées, monsieur le ministre. Ceux-ci étaient, en effet, peu favorables à la
perspective d'une affiliation obligatoire au régime suisse d'assurance maladie,
qui découlait de l'accord.
A ce stade de mon intervention, je procéderai à un bref rappel historique des
relations entre l'Union européenne et la Suisse, marquées par la défiance qu'a
manifestée à plusieurs reprises la population suisse envers l'adhésion à
l'Union européenne.
Il est vrai que la tradition ancestrale de neutralité de ce peuple le tient à
l'écart de nombreuses organisations internationales, dont l'ONU. Sur ce point,
cependant, une initiative populaire a reçu l'approbation, le 19 septembre
dernier, du Parlement suisse.
La Suisse a cependant adhéré, en 1960, à l'Association européenne de libre
échange, l'AELE, alors constituée par le Royaume-Uni pour regrouper les pays
européens ne souhaitant pas se joindre au traité de Rome. Cette structure s'est
progressivement vidée de ses membres au profit de l'Union européenne et ne
compte plus, à l'heure actuelle, que quatre membres : la Suisse, l'Islande, le
Liechtenstein et la Norvège.
L'AELE a conclu, en 1972, un accord de libre-échange avec la Communauté
économique européenne pour améliorer les relations commerciales mutuelles.
Vingt ans plus tard, la CEE devenant économiquement très attractive, l'AELE a
conclu un nouvel accord avec elle, instituant l'Espace économique européen,
l'EEE. Soumis à référendum en Suisse le 6 décembre 1992, cette adhésion à l'EEE
a été rejetée par 50,3 % des voix contre 49,7 %. En conséquence de ce rejet, la
Suisse devient le seul Etat membre de l'AELE non membre de l'EEE, l'accord
entrant en vigueur pour les autres Etats de l'AELE en 1994. Ce rejet a
également conduit à un gel de la demande d'adhésion à l'Union européenne que la
Suisse avait déposée en mai 1992.
La conclusion d'accords sectoriels entre l'Union européenne et la Suisse
apparaît donc comme un palliatif au relatif isolement économique de cette
dernière consécutif à ce rejet de 1992.
Comme plusieurs Etats déjà membres de l'Union européenne, la Suisse est
marquée par une certaine méfiance envers les modalités de construction de
l'Union, jugée trop technocratique. Certes, la classe dirigeante, économique et
politique, est consciente des dangers d'un isolement persistant de la Suisse,
mais la population répugne à l'affaiblissement des spécificités de son pays.
La méthode choisie par les autorités helvétiques pour surmonter cette
difficulté a été de négocier des accords sectoriels, facilitant l'ouverture
économique réciproque, mais dépourvus de la forte charge symbolique qu'aurait
immanquablement revêtu un accord plus large et plus global.
Ces négociations, ouvertes dès 1994, ont été longues et difficiles. Elles ont
finalement été conclues le 21 juin 1999, sous l'impulsion de l'Autriche, qui
présidait alors l'Union.
Le référendum organisé en Suisse le 21 mai 2000 sur l'ensemble des sept
accords a recueilli une large majorité : 67 % de voix positives.
J'aborderai maintenant l'analyse des principales dispositions de l'accord de
libre circulation des personnes soumis à notre ratification.
La mise en oeuvre de cet accord par la Suisse suppose, de sa part, un effort
marqué de libéralisation ; ce pays applique en effet actuellement des
restrictions à la circulation des ressortissants des autres pays, par le biais
de permis d'emploi délivrés en fonction des disponibilités éventuelles
constatées dans les différentes branches professionnelles.
L'objectif est d'accorder, à terme, aux ressortissants des Etats membres de
l'Union, les mêmes conditions de vie, d'emploi et de travail que celles dont
disposent les citoyens suisses, ce qui entraîne chez certains nationaux la
crainte d'une baisse des salaires à la suite d'arrivée de main-d'oeuvre
étrangère. Enfin, nous notons encore des appréhensions au regard de
l'intrusion, par ce biais, dse « grands pays » dans la marche des affaires
suisses, et également la « recentralisation » au niveau fédéral de compétences
cantonales.
L'accord porte sur les droits d'entrer, de résider, de travailler comme
salarié ou de s'établir comme travailleur indépendant, de suivre des études
universitaires et de bénéficier de la sécurité sociale helvétique.
Ces droits s'exerceront non pas immédiatement après ratification de l'accord
par tous les Etats membres de l'Union européenne, mais selon un long
échéancier.
Deux ans après l'entrée en vigueur de l'accord, la préférence nationale pour
l'emploi en Suisse sera abolie ; les Français, comme les autres citoyens de
l'Union européenne, pourront alors librement accéder aux activités salariées en
Suisse, sous réserve du respect de contingents globaux. Les minima de nouveaux
titres de séjour accordés aux travailleurs salariés et indépendants de la
Communauté européenne sont fixés à 15 000 par an pour les titres de séjour
d'une durée égale ou supérieure à une année et à 115 500 pour ceux compris
entre quatre mois et un an. De leur côté, les citoyens suisses disposeront
d'une libre circulation dans les Etats membres de l'Union européenne.
Au terme d'une période de sept ans, la prorogation de ces dispositions est
prévue pour une durée indéterminée, sauf décision contraire des parties à
l'accord. Cette étape a été ménagée pour permettre un éventuel référendum en
Suisse sur la prolongation des accords.
Enfin, après douze ans, la libre circulation des personnes est instaurée, avec
une clause de sauvegarde générale qui sera gérée par le comité mixte prévu à
l'article 14 de l'accord et composé de représentants de chacun des Etats
membres de l'Union ainsi que de la Suisse.
Cet échéancier appelle quelques remarques. La libre circulation des personnes
est soumise à une « période d'essai » située entre les années cinq à douze. Les
travailleurs frontaliers français, quant à eux, ne seront plus soumis, dès
l'application de l'accord, à l'obligation de regagner quotidiennement leur
domicile en France et seul un retour hebdomadaire restera requis. Or, à l'heure
actuelle, près de 74 000 frontaliers français se rendent quotidiennement en
Suisse.
Cette liberté progressive de circulation s'accompagnera d'une égalité de
traitement entre les Suisses et les ressortissants de l'Union européenne en
matière d'emploi et de rémunération.
Quel bilan tirer de cet accord ? Les bénéfices qui en sont attendus par notre
pays tiennent, en premier lieu, à l'application des six autres accords
sectoriels, dont celui qui porte sur les transports terrestres et qui intéresse
particulièrement les entreprises françaises du secteur. A l'heure actuelle, les
liaisons entre la région lyonnaise et la Ruhr doivent en effet contourner la
Suisse, ainsi que l'Autriche, qui ont adopté des dispositions restrictives à la
circulation des poids lourds.
Il faut relever que les autorités fédérales helvétiques ont d'ores et déjà mis
en place des mesures d'accompagnement pour limiter les conséquences négatives
éventuelles des accords bilatéraux pour sa population. Ainsi, 280 millions de
francs suisses seront investis entre 2001 et 2010 pour appuyer la mise en place
du trafic combiné de marchandises entre la route et le rail.
En revanche, des interrogations ont surgi sur les possibilités d'appliquer les
dispositions de l'accord sur les transports aériens, qui accordait de nouvelles
possibilités de desserte, notamment en France et en Espagne, à la compagnie
nationale helvétique. Du fait des difficultés que rencontre actuellement
Swissair cet accord est-il encore applicable ?
Le deuxième atout pour notre pays tient à la liberté, à terme totale, d'accès
des Français aux emplois situés en Suisse, ce qui sera profitable à notre
marché du travail car le taux de chômage français est supérieur de 2 % à celui
de la Suisse.
Ces accords permettent à ce pays de se rapprocher de l'Union européenne sur
des points techniques ; outre les bénéfices matériels immédiats, comme une
relative détente du marché de l'emploi, ces accords ont le mérite d'offrir à la
Suisse une autre perspective qu'un durable enfermement entre l'approbation ou
le rejet global de l'adhésion à l'Union européenne.
En conclusion - et vous l'avez également souligné, monsieur le ministre - cet
ensemble de sept accords est mutuellement profitable en général à l'Union
européenne et particulièrement à la France et à la Suisse.
C'est pourquoi je vous propose d'adopter l'accord sur la libre circulation des
personnes, dont la ratification conditionne l'application des six autres
accords, tout en vous informant que nos trois collègues de Haute-Savoie, qui
redoutent que leur région ne devienne une sorte de « banlieue de Genève » -
j'emploie cette formule qui, je l'espère, ne les choquera pas - avec notamment
de fortes tensions sur les coûts fonciers, ont souhaité que le Gouvernement
français prenne en compte l'effet spécifique de ces sept accords sur leur
département et m'ont demandé d'annexer une lettre récapitulative de leurs
requêtes à mon rapport.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Carle.
M. Jean-Claude Carle.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la tradition
autant que l'habitude veulent que notre assemblée examine et vote sans trop
s'attarder les textes communautaires soumis à ratification.
Le débat est, il est vrai, réduit à sa plus simple expression puisqu'il nous
est demandé d'adopter ou de rejeter ces textes en l'état, sans en amender le
contenu.
En l'occurrence, seul l'accord de libre circulation des personnes est
aujourd'hui soumis à ratification, comme l'a rappelé M. le ministre.
Une fois n'est pas coutume, je voudrais commencer par dire quelques mots sur
les sept accords bilatéraux signés par les Quinze en 1999.
En effet, si l'accord sur la libre circulation des personnes qui nous est
soumis contient des avancées positives, il n'en est pas de même partout.
Je songe notamment aux difficultés que rencontre la Haute-Savoie, département
frontalier de la Suisse, dans des domaines aussi divers que la régulation des
prix fonciers et du logement, ou la formation et le recrutement des personnels
soignants tels que les infirmières ; M. le rapporteur vient de le rappeler.
Dans un cas comme dans l'autre, il est nécessaire d'adapter les règles pour
permettre un développement harmonieux de part et d'autre de la frontière
franco-suisse. Or tel n'a pas été le cas et je regrette personnellement que les
élus haut-savoyards, parlementaires, conseillers régionaux, conseillers
généraux et maires concernés, n'aient pas été consultés pour la préparation des
accords bilatéraux en question.
M. Xavier de Villepin.
président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Très bien !
M. Jean-Claude Carle.
Cette parenthèse étant refermée, je dirai quelques mots, si vous le voulez
bien, au sujet de la libre circulation et de la protection sociale des
travailleurs frontaliers.
La Haute-Savoie compte quelque 35 000 salariés qui, chaque jour, se rendent en
Suisse pour travailler. Ceux-ci représentent une force importante. Par leur
activité, ils contribuent à la création de richesses.
Il en est de même dans l'Ain - mon collègue Jean-Paul Emin en parlera sans
doute dans quelques instants - et, bien sûr, monsieur le ministre, le président
de la région Franche-Comté, Jean-François Humbert, le dirait mieux que moi.
C'est pourquoi, dès la conclusion et la signature des sept accords bilatéraux
en juin 1999, j'ai suggéré que les sénateurs représentant les départements
frontaliers constituent un groupe de travail pour examiner les conséquences
futures de ces nouvelles dispositions en matière de protection sociale.
Parmi nos préoccupations, je citerai la libre circulation des travailleurs
frontaliers et l'exercice par le Gouvernement du droit d'option prévu par
l'accord entre l'Union européenne et la Suisse, les modifications législatives
et réglementaires nécessaires pour permettre l'affiliation des frontaliers à un
régime d'assurance maladie en France.
Depuis 1976, le système d'assurance privée mis en place pour pallier les
carences de la convention franco-suisse de sécurité sociale et répondre aux
besoins des frontaliers a fonctionné sans rien coûter aux Etats. Il fallait
donc le préserver.
Dans cette perspective, nous avons bien noté que le nouvel accord bilatéral
sur la libre circulation des personnes prévoit des possibilités d'exemption.
D'ores et déjà, plusieurs pays ont opté pour cette solution : leurs résidents
frontaliers qui travaillent en Suisse peuvent choisir entre le système suisse
d'assurance maladie et celui de leur pays de résidence.
Restait le problème de la France, où la loi sur la couverture maladie
universelle exclut du régime général les travailleurs frontaliers actifs.
En effet, comme l'avait fait ressortir un rapport confié à des experts par
votre ministère, 75 % des travailleurs qui résident en France et travaillent en
Suisse voient leur couverture maladie dispensée au premier franc par des
opérateurs privés d'assurance. Leur souci, et le nôtre, était de conserver la
liberté de choix de leur régime d'assurance et de soins, ce qui signifie, en
clair, la possibilité de choisir entre le régime d'assurance suisse, le régime
de base français et, surtout, les couvertures offertes par les compagnies
d'assurances françaises.
La réponse que vous nous apportez ce matin semble aller, monsieur le ministre,
dans la bonne voie.
Les travailleurs frontaliers en activité en Suisse et leur famille pourront
bénéficier du libre choix entre l'assurance maladie fédérale, la couverture
maladie universelle, sous critère de résidence, et les assurances privées.
C'est une bonne chose, d'autant que cette possibilité vise, si j'ai bien
compris, aussi bien les frontaliers actifs à ce jour que les futurs
travailleurs frontaliers.
Cependant, vous me permettrez de formuler trois réserves.
Première réserve : ce libre choix n'est pas offert à tout le monde. Les
frontaliers retraités - ceux que l'on a l'habitude d'appeler les « rentiers » -
ne sont pas inclus dans ce texte. Je fais référence à ceux qui ne bénéficient
d'aucune retraite au titre du droit français, mais qui bénéficient d'une
retraite au titre du droit suisse. Leur situation spécifique mérite que l'on y
regarde de plus près. La majorité d'entre eux a prix l'habitude de se faire
soigner en Suisse et d'être couverte par une assurance privée.
Qu'en sera-t-il demain si ces retraités frontaliers ne peuvent plus choisir
librement leur couverture ? Seront-ils contraints de modifier leurs habitudes
en matière de santé et de se faire soigner exclusivement en France ? Sur ce
point précis, il faut apporter très vite des éclaircissements aux intéressés et
au Groupement transfrontalier européen d'Annemasse, qui les représente avec
beaucoup d'efficacité.
Deuxième réserve, monsieur le ministre : cette liberté de choix disparaîtra
car, dans sept ans, les frontaliers devront opter pour la couverture maladie
universelle, soit autant de recettes supplémentaires pour notre système de
protection sociale et pour l'Etat qui, bien sûr, y trouve son compte.
Il est simplement dommage - et personne ne l'a souligné - que cette évolution
se fasse au détriment de la liberté de choix des frontaliers qui, depuis le 1er
janvier 2000 et la généralisation de la CMU, restaient les seuls à pouvoir
bénéficier d'une assurance privée au premier franc.
Avec l'accord signé par votre Gouvernement, c'est très clairement l'extinction
progressive des formules d'assurance maladie privée que vous avez programmée.
Personnellement, je le regrette et je le dis, d'autant plus fort que - et ce
sera ma troisième et dernière réserve - rien ne nous obligeait à agir ainsi.
Ne l'oublions pas, il était possible de conserver le libre choix d'assurance,
y compris privée, jusqu'à l'adhésion de la Suisse à l'Union européenne,
adhésion on le sait, repoussée
sine die
. Le Groupement transfrontalier
européen vous avait fait des propositions que vous n'avez pas retenues.
Résultat : dans sept ans, tout risque d'être fini.
Malgré tout, monsieur le ministre, notre groupe votera ce texte, qui marque
une première étape vers une meilleure coordination des systèmes de sécurité
sociale français et suisse, et qui devrait résoudre une grande partie des
difficultés que rencontrent les travailleurs frontaliers pour leur couverture
sociale en cas de maladie. Mais nous resterons vigilants sur le problème des
retraites.
Par ailleurs, monsieur le ministre, nous espérons qu'à l'avenir, non seulement
la représentation nationale, mais aussi les élus locaux seront associés plus en
amont à l'élaboration des accords bilatéraux.
Ce texte est un pas supplémentaire dans la voie de l'Europe. C'est
l'illustration de la nécessaire coopération transfrontalière. C'est la preuve,
enfin, que la Suisse ne peut rester éternellement un petit point rouge au
milieu de la carte de l'Europe et qu'elle a vocation, tôt ou tard, à adhérer à
l'Union européenne. Mais, c'est, bien sûr, à nos amis suisses d'en décider.
M. le président.
La parole est à M. M. Amoudry.
M. Jean-Paul Amoudry.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en saluant
l'excellent rapport de notre collègue Guy Penne, je tiens à le remercier
d'avoir bien voulu faire état des préoccupations exprimées à l'égard des
accords conclus entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une
part, et la Confédération suisse, d'autre part, par les trois sénateurs
haut-savoyards - pardon d'être régionaliste ou départementaliste, mais je crois
que l'enjeu de ce débat le mérite - dont je rappelle les noms : Jean-Claude
Carle, qui vient de s'exprimer, Pierre Hérisson, qu'un empêchement de dernière
heure a éloigné de notre assemblée, et moi-même.
J'exprimerai certainement un point de vue assez différent et, afin de dissiper
tout malentendu sur mon propos, je voudrais, avant tout, rappeler que la
Haute-Savoie partage avec la Suisse, tout particulièrement les cantons de
Genève, de Vaud et du Valais, une très ancienne histoire commune.
Les Hauts-Savoyards, notamment au sein de la communauté lémanique,
entretiennent avec leurs voisins helvétiques des liens d'amitié et d'échanges
séculaires très étroits.
Sur le fondement de cette longue tradition, je souhaite naturellement, comme
citoyen, comme conseiller général de la Haute-Savoie et comme parlementaire élu
de ce département, le renforcement des liens entre la Confédération suisse, la
France et l'Union européenne, dans le cadre d'un véritable partenariat
culturel, institutionnel et économique.
Or quel est l'objet de l'accord dont la ratification est soumise aujourd'hui à
notre autorisation ?
Portant sur la libre circulation des personnes - le seul des sept volets des
négociations bilatérales qui soit soumis au débat du Parlement - cet accord,
loin de nous unir, va contribuer à opposer Français et Suisses sur la zone
frontalière.
Je ne veux pas de cette opposition mais, comme je vais vous le prouver,
celle-ci est inéluctable en l'état.
En premier lieu, si la Confédération suisse vient de passer des accords à
finalité économique, elle ne devient pas le partenaire d'une communauté au
plein sens du terme. Je rappelle en effet que le peuple suisse, consulté par
référendum, a dit non à l'entrée dans la Communauté européenne.
Ces accords, qui donneront à la Suisse la plupart des avantages de la
Communauté, sans ses contraintes, loin d'inciter, me semble-t-il, la
Confédération suisse à se rapprocher davantage de l'Union européenne, risquent
bien de retarder, voire de repousser à une échéance fort lointaine, l'adhésion
de la Suisse à l'Europe.
En deuxième lieu, restant hors de l'Union européenne, la Confédération suisse
conserve sa monnaie : chacun connaît les conséquences, en zone frontalière
notamment, des fluctuations à prévoir entre l'euro et le franc suisse. Je
n'insiste pas sur le sujet.
En troisième lieu, certains effets négatifs des accords bilatéraux sont d'ores
et déjà perceptibles sur le territoire frontalier. En effet, même si ces
accords ne sont pas encore entrés en vigueur, leur application a été anticipée
sur certains points par les autorités helvétiques. Ainsi en est-il de
l'adoption de mesures d'accompagnement, contre le
dumping
salarial par
exemple, ou de l'assouplissement des procédures administratives, les
autorisations de travail en Suisse notamment.
Depuis quelque temps, la perspective des accords a aussi un impact
psychologique, de part et d'autre de la frontière, sur des populations qui ont
modifié leurs comportements. Collectivités locales, particuliers et entreprises
ressentent déjà très nettement aujourd'hui les effets négatifs de ces accords,
effets qui ne pourront à l'évidence que s'aggraver avec l'entrée en vigueur des
dispositions bilatérales sans aucun dispositif d'accompagnement.
Le premier de ces impacts est une augmentation exceptionnelle de la
population. Aux ressortissants suisses qui peuvent légalement s'établir sur le
territoire français depuis 1998 viennent s'ajouter des centaines, voire des
milliers de travailleurs frontaliers, autant de catégories sociales ayant un
pouvoir d'achat bien supérieur à la moyenne et entraînant une hausse très forte
du coût de la vie. Le marché de l'immobilier s'en trouve bouleversé, à tel
point que l'accession à la propriété comme l'accès au logement social sont de
plus en plus difficiles pour les classes moyennes et défavorisées de la
population haut-savoyarde, qui connaissent une crise sans précédent.
Les prix du foncier s'enflamment et appellent de toute urgence des mesures
énergiques pour préserver l'équilibre territorial et socio-économique de cette
partie du territoire français.
Monsieur le ministre, le Gouvernement a-t-il apprécié les conséquences de la
faculté donnée aux ressortissants des quatorze Etats partenaires de la France
au sein de l'Union européenne de venir travailler en Suisse et de s'installer
en zone frontalière pour favoriser leur niveau de vie ? Sur ce point
particulier, j'attends, nous attendons, monsieur le ministre, votre réponse.
Les accords ont des effets négatifs dans d'autres domaines. Ainsi dans
l'augmentation de la population engendre-t-elle des flux supplémentaires de
circulation automobile aux lourdes conséquences, alors que les infrastructures
de transport atteignent déjà la saturation sur les principaux axes routiers du
département haut-savoyard.
Une situation très grave est à prévoir avec l'entrée en vigueur des accords et
la perspective d'une augmentation du trafic des poids lourds en Haute-Savoie
consécutive à l'introduction générale et progressive des véhicules de quarante
tonnes sur le territoire suisse.
Enfin, la perspective de l'entrée en vigueur des accords bilatéraux a d'ores
et déjà un effet préoccupant sur la disponibilité de main-d'oeuvre locale.
Dans le domaine de la santé, la pénurie d'infirmières oblige à procéder à la
fermeture de lits d'hôpitaux ; j'avais signalé ce fait en juin dernier à M. le
ministre délégué à la santé. On voit même des situations absurdes : telle
maison d'accueil pour personnes âgées dépendantes nouvellement construite ne
peut fonctionner faute de personnel nécessaire en aides-soignantes.
Le secteur du bâtiment n'échappe pas à cette situation, comme celui de
l'hôtellerie et de la restauration, ni même celui de l'enseignement : nous ne
pouvons plus remplacer les professeurs dans les collèges. C'est un état de fait
!
Aujourd'hui, à peine formés en France dans ces secteurs d'activité, trop de
jeunes partent travailler en Suisse.
Le département doit faire face à des problèmes de formation qui iront en
s'aggravant avec l'entrée en vigueur des accords, en l'absence d'un dispositif
d'accompagnement. Les mesures prises d'ores et déjà par le conseil général ne
pouront, à son échelle, éviter la pénurie de personnel et l'augmentation du
coût de la main-d'oeuvre à la disposition des entreprises locales, ce qui aura
des conséquences sur leur politique d'implantation dans le département. Nous
voyons là les prémices d'un retrait économique dans ce domaine.
Telle est, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues,
la réalité d'une situation qui appelle de ma part les brefs commentaires
suivants.
Cette situation révèle, en premier lieu, l'absence de toute étude française de
l'effet des accords sur les zones frontalières, laquelle eût été nécessaire
pour établir ensuite un dispositif d'accompagnement.
Alors que la Suisse, qui a manifestement bien négocié ces accords après en
avoir débattu démocratiquement, a pris, elle, des mesures d'accompagnement,
comme le rappelaient M. le rapporteur et mon collègue Jean-Claude Carle, la
France a laissé ses parlementaires et élus locaux concernés non seulement hors
de toute concertation, mais, fait plus consternant, dans l'ignorance même de
ces « bilatérales ».
Nous découvrons aujourd'hui des accords négociés on ne sait comment ni par
qui, que le Gouvernement a jusque-là laissés de côté et cachés au Parlement,
puisqu'ils viennent pour ratification près de trois ans après leur
conclusion.
Je dois personnellement à la presse helvétique de m'avoir appris la conclusion
des accords à Vienne dans la nuit du 10 au 11 décembre 1998...
Aussitôt, par la voix de notre collègue Jean-Louis Lorrain, sénateur du
Haut-Rhin, nous avons interrogé le Gouvernement lors de la séance de questions
d'actualité du 17 décembre 1998. Votre réponse, monsieur le ministre, ne
satisfit pas nos attentes.
Par une question écrite en date du 21 décembre 2000, restée sans réponse
jusqu'à ce mardi 9 octobre, j'avais demandé au Gouvernement la prise de mesures
d'accompagnement. Ma demande est restée sans résultat, sauf la promesse d'un «
suivi attentif » par les ministères concernés, ce qui, vous en conviendrez,
monsieur le ministre, est bien le minimum. Or, il s'agit non plus de suivre
mais d'anticiper, comme le font nos voisins suisses et comme nous vous l'avons,
en vain, demandé.
Vous nous proposez aujourd'hui de ratifier des accords profondément
déséquilibrés tant dans leur contenu que par les conditions de leur
application, et ce, je dois le souligner, au préjudice d'une partie du
territoire national.
Vous nous suggérez de ratifier des accords qui consistent, pour l'essentiel, à
donner à la Suisse les avantages reconnus aux membres de l'Union européenne
sans les obligations, ce qui est contraire à mon idée de l'Europe et, surtout,
à la philosophie de la construction européenne depuis cinquante ans.
Vous nous proposez d'autoriser la ratification d'un accord qui, à mes yeux,
loin de faciliter et d'accélérer l'entrée de la Suisse comme membre à part
entière de l'Union européenne en éloignera l'échéance, voire compromettra cette
adhésion.
C'est pourquoi, comme Haut-Savoyard, comme voisin et ami de la Suisse, comme
Européen convaincu, et après avoir profondément analysé le sujet, je ne pourrai
pas, à titre tout à fait personnel, joindre ma voix à celles qui pourraient
autoriser la ratification proposée.
(M. Hamel applaudit.)
M. le président.
La parole est à M. Emin.
M. Jean-Paul Emin.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à mon tour,
je voudrais dire quelques mots sur l'accord relatif à la libre circulation des
personnes qui nous est soumis.
Frontalier de la Suisse, le département de l'Ain, que je représente, est lui
aussi directement concerné par cet accord.
M. Guy Penne,
rapporteur.
Je vous prie de m'excuser de ne pas avoir associé votre
département à celui de la Haute-Savoie dans mon rapport !
M. Jean-Paul Emin.
Je vous remercie, monsieur le rapporteur, d'envisager d'associer le
département de l'Ain aux autres départements frontaliers quant à la décision
d'inscrire sur une annexe leurs préoccupations plus spécifiques.
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Très bien !
M. Jean-Paul Emin.
Ce département compte 18 500 travailleurs frontaliers, qui résident dans le
bassin bellegardien et dans le pays de Gex, véritable vitrine de l'Ain sur
Genève et son agglomération.
Certes, moins nombreux qu'en Haute-Savoie, ces travailleurs n'incarnent pas
moins les forces vives de notre région en même temps qu'ils sont un trait
d'union entre la France, la Suisse et l'Europe. Je rappellerai ici que
l'aéroport de Cointrin a été pour partie construit sur le territoire français,
sur la commune de Ferney-Voltaire.
La couverture maladie est, pour les frontaliers, une préoccupation
essentielle. L'absence d'hôpital dans le pays de Gex les conduit en effet à se
faire soigner très régulièrement en Suisse, voire à s'y faire hospitaliser.
C'est à Genève que se trouve l'hôpital le plus proche. C'est un aspect concret
à prendre en compte dans notre réflexion.
Dans son annexe II, l'accord sur la libre circulation des personnes prévoit
des possibilités d'exemption à l'assurance maladie suisse. Certains Etats -
cela a d'ailleurs été dit par les intervenants précédents et par vous-même,
monsieur le ministre - notamment l'Allemagne, l'Autriche et l'Italie, ont déjà
signé cette annexe de façon que leurs résidants frontaliers en Suisse puissent
bénéficier d'un choix d'assurance de soins entre le régime fédéral d'assurance
maladie - LAMAL - et celui de leur pays de résidence.
La question s'est posée pour la France lorsque le Parlement a adopté la loi
portant création d'une couverture maladie universelle. En effet, l'article 8 de
la loi exclut du régime général sur critère de résidence les travailleurs
frontaliers actifs qui résident en France et qui ont la faculté d'être affiliés
à un régime d'assurance maladie dans l'Etat où ils exercent leur activité, si
cette affiliation leur permet d'obtenir la couverture des soins reçus en
France.
Cette évolution a suscité l'inquiétude des frontaliers, notamment ceux de
l'Ain, tout simplement parce que, pour les trois quarts d'entre eux, la
couverture maladie est garantie par des assurances privées, situation héritée
du temps où n'existait pas de régime d'assurance maladie en Suisse.
Là encore, on le constate, d'une situation concrète a découlé un besoin, puis
une loi.
Le texte soumis à la ratification du Sénat va permettre à la France de faire
jouer le droit d'option prévu à l'annexe II. Ainsi, les frontaliers actifs vont
pouvoir choisir entre l'affiliation au régime suisse et l'affiliation en
France. Fort bien ! Mais, car il y a un « mais », au bout de sept ans, si je
comprends bien, les frontaliers actifs couverts par une assurance privée
devront rejoindre le régime général des salariés par la CMU de résidence, ce
qui revient à reculer pour mieux sauter. Autant le dire, c'est la disparition
programmée des assurances privées au premier franc que vous nous proposez, ce
que je regrette, comme l'a déploré mon collègue Jean-Claude Carle, dont je
reprends l'argument au vol : la France était-elle obligée de devancer l'appel
alors que la Suisse n'a toujours pas adhéré à l'Union européenne ? Tant que la
Suisse reste en dehors de l'Union européenne, ne pouvait-on faire autrement
?
Il était difficile de ne pas s'en rendre compte et de ne pas le dire. Pour ma
part, je le regrette.
C'est la liberté de choix qui est restreinte au détriment des frontaliers dont
la situation, on l'oublie parfois, reste précaire au regard des aléas du marché
de l'emploi en Suisse. Il suffit de se rappeler ce qui s'est passé lors du
ralentissement économique des années quatre-vingt, où de nombreux travailleurs
frontaliers se sont retrouvés au chômage, des frontaliers dont la situation n'a
pas été épargnée par les problèmes juridiques et fiscaux. En témoignent les
démarches longues et difficiles pour faire entendre raison - avec tout le
respect voulu, mais pour faire entendre raison tout de même - à l'Etat à propos
de la contribution sociale généralisée, la CSG, et la contribution pour le
remboursement de la dette sociale, la CRDS.
C'est pourquoi je voterai ce texte, tout en restant vigilant et en espérant
certaines améliorations.
(Applaudissements sur les travées
socialistes.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
Il s'agit d'un sujet à la fois important et sensible.
Répondant, notamment, aux sénateurs des départements frontaliers qui sont
intervenus, je rappellerai quelle a été la démarche politique suivie à la fois
par l'Union européenne et par la Suisse dans cette affaire.
On se souvient de l'échec du référendum suisse de 1992, qui a eu des
conséquences sur les rapports entre l'Union européenne et la Suisse. Le Conseil
fédéral, instance gouvernementale suisse dans laquelle figurent tous les partis
politiques - c'est la formule magique - est, on le sait, favorable à l'adhésion
de la Suisse à l'Union européenne.
En même temps, il y a des difficultés à convaincre l'opinion publique suisse
et nous ne pouvons pas annexer d'autorité la Suisse à l'Union européenne. Il
faut un consentement démocratique ; c'est le cas pour tous nos peuples et plus
particulièrement pour les Suisses, qui sont tellement attachés à leur système
de votation.
Par conséquent, dans les relations bilatérales, c'est une démarche
pragmatique, de rapprochement progressif. Acclimatation qui a été suivie. Eh
bien ! à l'issue de ces accords importants, le Conseil fédéral s'estimera plus
fort pour entreprendre une démarche de conviction qui doit rapprocher, dans un
délai effectivement à déterminer mais qui n'est pas
sine die
, la Suisse
de l'Union européenne.
C'est ce pari qui a été fait lors de ces négociations difficiles menées par la
Commission et par la présidence du Conseil, mais je veux vous assurer qu'elles
ont été suivies de très près par le Gouvernement français. Je garde le souvenir
d'une visite d'Etat du Président de la République en Suisse, où nous avions
abordé ces sujets de façon approfondie.
Pour le reste, je me bornerai à aborder le point sensible et la question
importante posée par M. le rapporteur.
Le point sensible concerne l'assurance maladie des travailleurs frontaliers.
J'ai entendu les réserves et les interrogations de MM. Carle et Emin, qui ont
néanmoins noté que la position du Gouvernement allait dans le bon sens.
En ce qui concerne les retraités, des solutions doivent être trouvées, y
compris avec la Suisse, pour qu'ils soient remboursés de façon
satisfaisante.
D'une manière plus générale, j'ai annoncé les orientations du Gouvernement,
qui sont favorables, me semble-t-il, aux revendications des frontaliers. Elles
témoignent au moins de l'intérêt que le Gouvernement porte à cette question et
du sérieux avec lequel il la traite.
Il y a des questions plus techniques qui ne portent pas réellement atteinte
aux intérêts des frontaliers, et qui donneront lieu ultérieurement à des
explications plus détaillées. Toutefois, je tiens à vous assurer qu'un
important travail de concertation a été réalisé ; vous pouvez en témoigner. Il
n'est pas achevé ; il se poursuivra avec les associations, les élus et les
assurances.
Mais je souhaite revenir sur le fond du problème que vous posez au travers de
la question de la durée des sept ans. Ce sujet a fait l'objet de discussions
complexes ; vous le savez pour les avoir suivies comme moi, puisqu'il se trouve
que je suis particulièrement sensible à ce problème. Il nous paraît justifié de
ne pas obliger les frontaliers à s'assurer en Suisse tant que la situation ne
sera pas stabilisée. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement, après un
travail important, a finalement entendu les revendications des frontaliers, et
il est allé, vous l'avez dit, dans le bon sens. En effet, on ne peut pas
procéder ainsi tant que la situation de la Suisse à l'égard de l'Union
européenne n'est pas fixée, tant qu'il y a une pérennité de l'assurance maladie
suisse et dès lors qu'existe de l'autre côté un système de tarification plus
favorable.
Dès lors, il fallait affirmer le droit d'accès des frontaliers à l'assurance
maladie française au moins pour la durée de l'accord. C'est la position que
j'ai personnellement défendue et que le Gouvernement a retenue.
En revanche, et il y a là un débat pour l'avenir, le maintien de la
possibilité de souscrire une assurance privée a surtout pour justification de
laisser aux sociétés d'assurances concernées, qui offrent parfois des formes
particulières d'assurance, le temps de diversifier leurs activités puisque, tôt
ou tard, on le sait et elles le savent aussi, leur activité d'assurance maladie
devra évoluer.
En fixant la période du libre choix - c'est un peu le hasard, mais pas
uniquement - à sept ans, soit la durée de l'accord, le Gouvernement a donc
retenu la solution la plus généreuse.
Des mesures d'accompagnement pourront être étudiées si toutefois des données
précises fournies par les assurances le justifient, données dont je précise que
nous les attendons encore aujourd'hui.
Un très gros travail interministériel a été accompli, un très gros travail de
concertation aussi. Poursuivons ensemble cet effort en étant à l'écoute des
travailleurs frontaliers et des élus des départements concernés. Le département
du Doubs, que connaît bien M. Humbert, compte, lui aussi, plus d'une dizaine de
milliers de travailleurs frontaliers, et nous sommes très sensibles à leurs
problèmes. Dans le même temps, cependant, sachons reconnaître, en hommes
responsables, que ces accords, et vous avez bien voulu en convenir, sont, pour
l'essentiel, positifs.
Tels sont les éléments de réponse que je voulais vous apporter, tout en vous
assurant que nous serons, demain, comme nous le sommes aujourd'hui, très
attentifs à la situation que nous décrivent les élus, des élus qui ont été
écoutés à un stade peut-être tardif, mais qui ont été tout de même écoutés par
le Gouvernement français.
M. le rapporteur m'a interrogé sur les conséquences de l'accord entre l'Union
européenne et la Suisse relatif au transport aérien, ainsi que sur la situation
de Swissair.
La faillite de Swissair a, bien sûr, des conséquences très dommageables,
notamment pour les compagnies françaises telles que Air Liberté et Air
Littoral. Pour autant, elle n'est pas de nature à remettre en cause l'accord
entre la Communauté européenne et la Suisse relatif au transport aérien. Au
contraire, l'entrée en vigueur de cet accord permettra de placer les opérateurs
suisses dans un cadre juridique analogue à celui dans lequel exercent les
transporteurs communautaires, notamment au regard, et c'est très important, du
droit de la concurrence.
C'est même la perspective de l'entrée en vigueur de cet accord qui a motivé et
justifié la demande d'explications de la Commision européenne formulée auprès
du Gouvernement suisse au sujet du soutien que celui-ci compte apporter à
Swissair.
La Commission, vous le savez, a convoqué l'ambassadeur suisse auprès de
l'Union européenne, à Bruxelles, pour se plaindre d'un manque d'information et
de concertation, alors qu'elle n'aurait eu aucun fondement juridique pour le
faire sans cette perspective. L'ambassadeur a répondu qu'il s'agirait d'un
crédit limité dans ses objectifs et dans le temps, en l'espèce un crédit-relais
de 300 millions d'euros destiné à maintenir Swissair en vie jusqu'à la fin du
mois, et le transfert des deux tiers de ses activités à Crossair.
En tout état de cause, on voit bien par là que cet accord, comme c'est
notamment son objectif, garantit l'application de règles de concurrence
équitables et transparentes entre les compagnies de l'Union européenne et de la
Suisse.
La crise de Swissair ne remet nullement en cause cet accord, mais en illustre
au contraire toute la pertinence.
En votant cet accord, le Sénat fera une bonne action pour la Suisse, pour
l'Union européenne et pour la France.
M. le président.
Nous passons à la discussion de l'article unique.