SEANCE DU 30 OCTOBRE 2001
CHAMBRES RÉGIONALES DES COMPTES
Adoption d'un projet de loi en deuxième lecture
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi (n°
14, 2001-2002), adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième
lecture, relatif aux chambres régionales des comptes et à la Cour des comptes.
[Rapport n° 39 (2001-2002.)]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat au budget.
Monsieur le président, monsieur le
rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi que vous avez
adopté le 10 mai dernier en première lecture revient aujourd'hui devant vous,
après son examen, il y a trois semaines, par l'Assemblée nationale.
Les titres II et III, ajoutés par vos soins le 10 mai, ont représenté pour les
députés un élément inédit du débat qui s'était instauré jusqu'alors sur le
texte présenté par le Gouvernement. Je reviendrai sur cette partie, qui
concerne les procédures applicables devant les chambres régionales des
comptes.
Je souhaite maintenant évoquer la revalorisation du statut des magistrats des
chambres régionales des comptes, qui était l'unique objet du projet de loi
initial.
Le Gouvernement, comme je vous l'indiquais le 10 mai dernier - j'y insiste de
nouveau - était et demeure attaché à l'adoption dans les meilleurs délais de
cette réforme statutaire.
Il ne serait pas compris que les mesures prévues en ce sens ne trouvent pas
rapidement de traduction concrète, alors que les débats montrent, en ce qui les
concerne, l'identité de vues qui prévaut entre l'exécutif et le Parlement,
identité de vues non seulement sur les objectifs à atteindre, mais aussi sur
les moyens d'y parvenir.
J'en veux pour preuve les vingt-deux articles d'ores et déjà adoptés
conformes, et ce, le plus souvent, dès la première lecture.
J'en veux pour preuve également le fait que, pour quatre des treize articles
restant soumis à votre examen, l'Assemblée nationale a repris, pour
l'essentiel, les dispositions que vous aviez retenues.
Je veux parler de l'article 2, relatif à la création d'une commission
consultative de la Cour des comptes, des articles 7 et 8, relatifs aux
détachements et aux mises à disposition des chambres régionales des comptes,
et, enfin, de l'article 16, relatif aux présidents de chambres régionales des
comptes.
Cela conforte l'avis que j'avais exprimé devant vous, le 10 mai dernier,
disant qu'un accord pouvait être trouvé rapidement pour l'adoption de cette
réforme statutaire aussi attendue que justifiée.
C'est pour ne pas compromettre cet objectif que j'avais émis alors un avis
défavorable sur l'adjonction, dans ce projet de loi, de dispositions touchant
aux procédures applicables devant les chambres régionales des comptes.
L'Assemblée nationale, en deuxième lecture, a tenté de trouver un compromis
entre nos positions respectives. Le Gouvernement n'étant pas en mesure de
proposer un autre support législatif dans un délai raisonnable, il a accepté de
se situer dans le cadre qu'elle proposait.
Pourtant, l'objectif et la volonté de l'exécutif n'en sont pas pour autant
modifiés, ni en termes d'échéance, ni en termes de contenu. Autrement dit, je
continuerai, auprès de vous, à veiller sur l'équilibre du texte et au respect
des principes qui le justifient.
L'analyse du contenu des dispositions relatives aux procédures, telles
qu'elles ont été adoptées par l'Assemblée nationale, ainsi que la position que
j'ai exprimée devant celle-ci lors de l'examen de chacun des articles en débat
permettent de l'attester, pour autant que cela soit nécessaire.
Je suis persuadée que nous pourrons parvenir à un accord. C'est cette volonté
qui m'anime aujourd'hui, et que, je crois, vous partagez.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Daniel Hoeffel,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le Sénat est
invité à examiner en deuxième lecture le projet de loi relatif aux chambres
régionales des comptes et à la Cour des comptes.
Dans sa version initiale, vous le rappeliez, madame la secrétaire d'Etat, le
projet de loi portant diverses dispositions statutaires relatives aux
magistrats de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes et
modifiant le code des juridictions financières avait un objet uniquement
statutaire.
Il visait à assurer un recrutement de qualité et diversifié des magistrats des
chambres régionales, à accroître leurs liens avec la Cour des comptes et à
renforcer la concertation dans la gestion du corps des juridictions
financières.
Lors de l'examen en première lecture, le 30 mars 2000, l'Assemblée nationale
avait complété le volet statutaire par deux articles relatifs à la procédure
d'examen de la gestion des ordonnateurs par les chambres.
Dans le même esprit, lors de l'examen en première lecture, le 10 mai 2001, le
Sénat avait intégré dans ce projet de loi les dispositions de la proposition de
loi que nous avions adoptée le 11 mai 2000, et dont les initiateurs étaient nos
collègues Jacques Oudin et Jean-Paul Amoudry. Cette proposition, qui tendant à
réformer les conditions d'exercice des compétences locales et les procédures
applicables devant les chambres régionales des comptes, demeure en instance à
l'Assemblée nationale, faute d'avoir été inscrite à l'ordre du jour.
Le 9 octobre 2001, en deuxième lecture, l'Assemblée nationale est convenue de
la nécessité d'engager une réforme globale des chambres régionales des
comptes.
Je suis heureux, madame la secrétaire d'Etat, que nous ayons pu vous
convaincre - mais vous l'étiez probablement déjà, même d'une manière inexprimée
! - du fait que ce texte constituait le meilleur vecteur possible pour réformer
les conditions d'examen de la gestion locale, sans dénaturer pour autant le
principe du contrôle des collectivités territoriales inhérent à la
décentralisation.
Sur le volet statutaire du projet de loi, l'Assemblée nationale a accepté, et
nous en sommes heureux, plusieurs de nos propositions, en les complétant
parfois.
Il s'agissait de poser le principe d'une composition paritaire entre membres
de droit et membres élus de la commission consultative de la Cour des comptes,
à l'image des dispositions concernant la commission consultative du Conseil
d'Etat.
Il s'agissait également de remplacer l'obligation de mobilité tous les sept
ans, applicable à l'ensemble des magistrats des chambres régionales des
comptes, par un avancement sous condition de mobilité au grade de président de
section et de permettre un accès des membres du corps des magistrats des
chambres régionales des comptes aux trois quarts, et non plus aux deux tiers,
des emplois de président de chambre régionale, les autres postes étant réservés
aux magistrats de la Cour des comptes.
Il me semble, comme à vous, madame la secrétaire d'Etat, que nous pourrons
parvenir sans trop de difficultés à un accord sur ce volet du projet de loi.
S'agissant des conditions d'examen de la gestion locale, il nous faut
reconnaître que l'Assemblé nationale a effectué d'importantes avancées en
direction du Sénat.
Elle a ainsi accepté de réviser le seuil de partage de la compétence de
jugement des comptes entre les comptables supérieurs du Trésor et les chambres
régionales des comptes ; de réduire le délai - cinq ans selon le Sénat, douze
ans selon l'Assemblée nationale - de prescription de la gestion de fait ;
d'étendre aux documents provisoires des chambres régionales des comptes la
règle de non-communication déjà en vigueur pour les mêmes documents de la Cour
des comptes ; de prévoir une délibération de l'assemblée délibérante de la
collectivité concernée sur l'utilité publique des opérations litigieuses ayant
entraîné la déclaration en gestion de fait d'un ordonnateur élu ; d'exclure la
présence du rapporteur au délibéré d'une chambre régionale des comptes ; enfin,
de supprimer la sanction automatique d'inéligibilité infligée aux élus locaux
déclarés comptables de fait et n'ayant pas obtenu quitus dans les six mois.
Sur ce dernier point, l'Assemblée nationale a introduit un dispositif de
suspension des fonctions d'ordonnateur de l'élu déclaré gestionnaire de fait
afin de préserver le principe de la séparation de l'ordonnateur et du comptable
sans automatiquement entraîner la privation de mandat. Cette disposition
figurait dans les conclusions de la commission des lois sur la proposition de
loi adoptée par le Sénat le 11 mai 2000.
Il me semble que, sans remettre en cause le principe du contrôle, la réforme
des chambres régionales des comptes, dont la nécessité est reconnue par tous,
doit reposer sur un certain consensus et mérite que l'on parvienne à un accord
entre les deux assemblées.
La commission des lois propose donc au Sénat, tout en affirmant clairement sa
position, de faire lui aussi un pas en direction de l'Assemblée nationale et de
ne rétablir que les dispositions essentielles de son texte de première
lecture.
Sur le volet statutaire du projet, elle proposera notamment de transformer la
commission consultative de la Cour des comptes en un Conseil supérieur de la
Cour des comptes, dont la composition et les attributions resteraient
inchangées, sauf en matière disciplinaire ; de mettre en place un régime de
sanctions disciplinaires applicables aux magistrats de la Cour des comptes ;
sanctions qui seraient prononcées par le Conseil supérieur de la Cour des
comptes, enfin, d'assurer la publicité de ces sanctions disciplinaires
applicables aux magistrats des chambres régionales des comptes.
S'agissant des procédures, la commission des lois tient à rétablir certaines
des dispositions supprimées par l'Assemblée nationale, en aménageant leurs
termes, afin de rechercher un terrain d'entente entre les deux assemblées dans
la suite de la navette. Elle vous soumettra également quelques compléments au
projet de loi.
Nous proposons donc de donner une définition législative de l'examen de la
gestion locale, en affirmant clairement que celui-ci ne porte pas sur les
objectifs fixés par les collectivités locales ; de transférer aux comptables
supérieurs du Trésor l'apurement des comptes des associations syndicales
autorisées et des associations de remembrement ; de ramener à dix ans la durée
de la prescription en matière de gestion de fait et de rétablir l'interdiction
faite à une chambre régionale des comptes de prononcer une déclaration de
gestion de fait sur les exercices ayant déjà donné lieu à un apurement
définitif ; de poser l'interdiction de publier ou de communiquer à des tiers
les observations définitives concernant une collectivité locale dans un délai
de trois mois précédant le renouvellement de son assemblée délibérante ; de
permettre la rectification d'observations définitives sur la gestion par une
chambre régionale des comptes ; d'étendre aux établissements publics de
coopération intercommunale les dispositions prévues pour les communes, les
départements, les régions et la collectivité territoriale de Corse concernant
la suspension des fonctions de l'ordonnateur déclaré comptable de fait, enfin,
de reconnaître aux observations définitives sur la gestion le caractère d'actes
faisant grief, susceptibles d'être déférés devant le Conseil d'Etat.
Un tel recours permettrait au Conseil d'Etat non seulement de veiller au
respect des procédures, mais aussi d'unifier les pratiques des chambres
régionales des comptes. Il s'inscrirait dans le respect du principe de valeur
constitutionnelle selon lequel l'intéressé doit pouvoir former un recours pour
excès de pouvoir pour contester la légalité d'un acte. En effet, même si les
observations définitives sur la gestion ne modifient pas immédiatement la
situation juridique des personnes qu'elles visent, elles n'en ont pas moins des
effets incontestables sur les conditions d'exercice de leur mandat par les
ordonnateurs. Enfin, si le recours de plein contentieux existe déjà, force est
de constater qu'il n'est jamais utilisé.
J'espère qu'avec ces propositions nous pourrons jeter les bases d'un éventuel
accord entre les deux assemblées lors de la commission mixte paritaire. Telle
est du moins la volonté clairement affirmée par le Sénat.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Mahéas.
M. Jacques Mahéas.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
projet de loi qui nous revient aujourd'hui en deuxième lecture avait à
l'origine l'ambition, fort technique, d'harmoniser le statut des quelque trois
cents magistrats des chambres régionales des comptes avec celui des conseillers
des tribunaux administratifs. Il s'agissait ainsi de prendre en compte
l'évolution des procédures et la montée en puissance du rôle des chambres
régionales des comptes, pilier essentiel de la décentralisation. Autant dire
que le débat ne prêtait que fort peu à polémique !
Aujourd'hui, à l'issue des travaux de la commission des lois du Sénat, le
consensus l'emporte d'ailleurs sur la quasi-totalité des dispositions
statutaires, même si quelques ajustements sont encore à trouver.
En ce qui concerne la question de l'accroissement de la mobilité géographique
des magistrats des chambres régionales des comptes, la navette a permis
d'aboutir à un dispositif satisfaisant, conditionnant l'avancement à
l'accomplissement d'une mobilité.
Le texte ne se limite cependant plus, comme à l'origine, à des dispositions
statutaires. En effet, lors de son premier examen par le Sénat, celui-ci en a
profondément remanié l'économie d'ensemble, introduisant deux volets
supplémentaires : l'un concerne l'examen de la gestion par les chambres
régionales des comptes en matière de contrôle de gestion, l'autre aménage
certaines règles d'inéligibilité prévues par le code électoral et le code
général des collectivités territoriales. Le groupe socialiste avait d'ailleurs
participé à cet élargissement du cadre initial en déposant un certain nombre
d'amendements.
Nous estimons, en effet, comme la quasi-totalité des élus locaux, qu'il
convient d'adapter le fonctionnement des chambres régionales des comptes, non,
certes, pour remettre en cause ce moyen de contrôle de la gestion publique
locale, outil pertinent dont les parlementaires ne peuvent que se féliciter,
mais bien plutôt pour trouver des solutions à de réelles préoccupations.
Citons-en quelques-unes.
Les conditions d'application du régime de l'apurement administratif sont
précisées, avec des seuils relevés, afin de permettre aux chambres régionales
des comptes de concentrer leur activité sur les collectivités territoriales les
plus importantes.
La commission des lois souhaite, dans le même esprit, décharger les magistrats
financiers des quelque 16 000 comptes des associations syndicales autorisées et
des associations de remembrement.
Les deux assemblées partagent le souci de réduire le délai de la prescription
pour gestion de fait, actuellement fixé à trente ans.
Le texte précise les règles de publication des observations définitives
arrêtées par les chambres régionales des comptes et de leur communication aux
personnes concernées sous forme d'un rapport d'observations pouvant contenir la
réponse écrite de l'ordonnateur. Le principe du contradictoire se trouve ainsi
renforcé.
De surcroît, afin que ces rapports d'observations n'interfèrent pas dans les
campagnes électorales, la commission des lois propose que leur publication soit
suspendue pendant les trois mois précédant une élection. Dans son rapport sur
l'avenir de la décentralisation, la commission présidée par notre collègue
Pierre Mauroy préconisait déjà que ce délai de « silence », qui existe en
pratique, soit traduit dans la loi.
Enfin, question sensible pour les élus, le caractère automatique de
l'inéligibilité découlant d'une situation de gestion de fait est aboli.
Néanmoins, dans le dispositif retenu, les élus mis en cause seront suspendus de
la qualité d'ordonnateur entre l'arrêt définitif et le quitus.
En conclusion, nous pouvons à bon droit nous réjouir en constatant combien le
travail parlementaire a été productif et saluer le souci de conciliation qui a
présidé aux échanges entre les deux assemblées. Il s'agit désormais de trouver
un équilibre propre à répondre aux inquiétudes légitimes des élus locaux,
notamment en améliorant le caractère contradictoire de la procédure suivie par
les chambres régionales des comptes en matière de contrôle de gestion, sans
pour autant amoindrir les pouvoirs d'investigation des magistrats
financiers.
Gageons que cet équilibre sera vite trouvé, car aucun d'entre nous ne tient à
bloquer une harmonisation statutaire d'autant plus attendue des magistrats
intéressés que le projet de loi a été déposé à l'Assemblée nationale il y a
déjà près de deux ans.
(Applaudissements sur les travées socialistes. - M. Pierre Fauchon applaudit
également.)
M. Michel Charasse.
Ce n'est pas nous qui avons retardé son adoption !
M. Jacques Mahéas.
En effet !
M. le président.
La parole est à M. Oudin.
M. Jacques Oudin.
Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, on ne
soulignera jamais assez l'importance de la place de la Cour des comptes et des
chambres régionales des comptes dans le débat sur la modernisation de l'Etat et
sur l'amélioration du fonctionnement de nos institutions.
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
M. Jacques Oudin.
Le contrôle des comptes publics est indispensable à la clarté de la
démocratie.
Je voudrais d'ailleurs rappeler à la Haute Assemblée que le Parlement, à
l'unanimité des deux chambres, a voté une nouvelle mouture de la loi organique
relative aux lois de finances, promulguée le 1er août 2001. Je doute, à cet
égard, que nombre de nos collègues ou de nos concitoyens aient lu ce texte, un
peu rébarbatif mais tout à fait essentiel pour la recherche d'une réelle
transparence et d'une bonne gestion financière et budgétaire. Nous irons, à mon
sens, de surprise en surprise lorsqu'il faudra appliquer toutes les
dispositions de cette loi...
Pour en revenir au contrôle financier des collectivités locales, chacun est
bien conscient, depuis que le débat a été ouvert au Parlement, que ce contrôle
est le corollaire indispensable, incontournable de la décentralisation et de la
libre administration des collectivités. Bien entendu, comme les différents
intervenants qui m'ont précédé, ainsi d'ailleurs que Mme le secrétaire d'Etat,
l'ont souligné, il ne saurait être remis en cause, car il représente un facteur
indéniable de transparence de la gestion publique locale.
Ce contrôle est d'autant plus important que nos collectivités locales
tiennent, de plus en plus, une place très importante en matière de finances
publiques globales. En effet, la croissance des budgets locaux, toutes
collectivités confondues, est un peu plus rapide que celle du budget de
l'Etat.
Veuillez m'excuser, à ce propos, d'estimer, madame le secrétaire d'Etat, que
les finances locales sont mieux tenues que celles de l'Etat.
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Nous en débattrons !
M. Jacques Oudin.
Ainsi, les collectivités locales sont obligées de présenter des budgets en
équilibre, alors que l'Etat s'en dispense largement. Elles se soumettent, en
outre, à un système de contrôle à la fois préalable et
a posteriori
extrêmement serré. Enfin, nos concitoyens s'intéressent de près à la gestion
locale, alors que les budgets de l'Etat sont parfois un peu obscurs.
Tout cela démontre que les collectivités locales n'ont aucun complexe à avoir
par rapport à l'Etat en matière de gestion des finances publiques.
Toutefois, c'est dans ce contexte de croissance et de relative bonne gestion
que le fonctionnement des chambres régionales des comptes a suscité un certain
malaise, à la fois chez les magistrats, qui étaient bien conscients de
certaines imperfections, et chez les élus.
Le texte que nous examinons aujourd'hui est le résultat d'un très long
cheminement, trouvant peut-être son origine dans un certain nombre de
propositions qui avaient été formulées au Sénat et dont le caractère quelque
peu abrupt avait pu choquer à l'époque.
Pour remédier à cela, nous avons créé un groupe de travail, présidé par notre
collègue Jean-Paul Amoudry et dont j'ai eu l'honneur d'être le rapporteur. Ce
groupe a remis un rapport que nous avons voulu aussi argumenté et équilibré que
possible. Ce travail a permis, je le crois, de faire progresser le débat et a
abouti au dépôt d'une proposition de loi que j'ai cosignée avec M. Amoudry et
qui a été adoptée par le Sénat le 11 mai 2000.
A cet égard, nous avons beaucoup regretté que l'Assemblée nationale n'ait pas
jugé opportun de débattre de ce texte, ou que le Gouvernement n'ait pas insisté
pour qu'elle l'examine, car cela aurait sans doute permis de réduire ce délai
qui a été quelque peu déploré tout à l'heure.
Quoi qu'il en soit, nous parvenons aujourd'hui au terme de ce processus
législatif, et je tiens à saluer, à cet instant, le travail exceptionnel que
notre rapporteur, M. Hoeffel, et la commission des lois et son président, M.
René Garrec, ont fourni pour que puisse être atteint un équilibre aussi
satisfaisant que possible après le récent examen du texte à l'Assemblée
nationale.
Toutefois, je ne saurais passer sous silence le fait que j'ai été heurté,
voire choqué, par le caractère excessif de certains propos tenus par le
rapporteur de l'Assemblée nationale, lequel a affirmé que le Sénat aurait « une
vision très restrictive du rôle des juridictions financières » - ce n'est pas
du tout cela ! - que notre objectif serait de « remettre en cause, de manière
excessive, les attributions des chambres régionales des comptes » et
d'instruire « le procès en sorcellerie des chambres régionales, coupables de
juger en opportunité la gestion des collectivités locales ».
Je défie quiconque de trouver dans le rapport que nous avons remis, dans celui
de M. le rapporteur ou dans le compte rendu des débats de cette assemblée le
moindre procès en sorcellerie à l'égard de qui que ce soit. Ce que nous avons
souhaité, c'est permettre plus de clarté, plus de rigueur et plus de
transparence dans tout le processus de contrôle des finances locales.
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
M. Jacques Oudin.
Nous n'avons nullement la volonté d'amoindrir ou de dénaturer les compétences
des chambres régionales des comptes, bien au contraire, nous souhaitons
améliorer leurs conditions de fonctionnement.
Chacun s'accorde aujourd'hui à penser que les réformes procédurales sont
nécessaires et que les conditions de l'examen de la gestion sont au coeur des
controverses entre les élus et les chambres régionales des comptes. J'aurais
presque envie de dire que ce dernier point relève du passé, tant des
modifications de comportement nous paraissant tout à fait salutaires sont
intervenues depuis quelque temps.
Cela étant, il faut que les textes soient en accord avec les pratiques et les
encadrent. Or les procédures actuellement suivies par les chambres régionales
des comptes n'offrent pas, à ce jour, toutes les garanties nécessaires en
termes de défense des justiciables.
On ne peut, dans un Etat de droit comme le nôtre, justifier que certains
grands principes tenant au respect de la défense, à la rigueur de
l'instruction, à la proportionnalité des sanctions ou au droit d'exercer un
recours à l'encontre d'un acte administratif faisant grief ne puissent pas
s'appliquer aux juridictions financières régionales.
Pour autant, loin de nous l'idée d'instruire un quelconque procès à l'encontre
des chambres régionales des comptes. Attachons-nous à leur conférer un cadre
juridique clair, rénové et adapté au rôle majeur qu'elles jouent et qu'elles
seront conduites à développer dans l'optique d'une décentralisation qui, nous
le savons tous à la suite des travaux de la commission Mauroy et de la
commission Delevoye, prendra une nouvelle ampleur dans quelques mois. Je pense
en effet que, quelle que soit l'issue des prochaines échéances électorales, la
décentralisation, et donc le contrôle des comptes, iront en se renforçant.
Je veux maintenant souligner que les dispositions supprimées par l'Assemblée
nationale sont justement celles qui permettaient d'accroîte la sécurité
juridique des actes des collectivités locales et qui constituaient les
meilleures avancées de la réforme que nous avions envisagée. Je ne peux donc
que soutenir les propositions de notre excellent rapporteur tendant à rétablir,
en les adaptant et en les améliorant, les propositions que nous avions
formulées en première lecture.
Dans ces conditions, je ne reviendrai pas sur ce qu'a excellemment dit voilà
un instant M. Hoeffel.
En ce qui concerne la définition de la gestion, je pense qu'il faut éviter
d'en faire une querelle « théologique », et il en va de même pour la
caractérisation des actes faisant grief. Comme l'a parfaitement expliqué M. le
rapporteur, il s'agit non pas d'actes qui affectent une situation juridique,
mais d'actes qui modifient, de façon très substantielle, l'exercice des
compétences des personnes visées.
J'indiquerai, enfin, que la commission des lois a formulé des propositions qui
recueillent l'approbation sans réserves de la commission des finances et du
groupe du RPR.
Par conséquent, je souhaite vivement que les avancées obtenues de l'Assemblée
nationale et l'évolution de notre réflexion dans certains cas puissent
permettre de déboucher sur un accord aussi rapidement que possible.
Je conclurai en citant un passage d'un article, qui a d'ailleurs fait quelque
bruit, paru dans le numéro de juillet 1999 de la
Gazette du Palais
et
écrit par Philippe Saint-Marc, avocat à la cour. Il traduit bien notre position
au sein de la Haute Assemblée : « Il n'est pas de bonne gestion locale sans un
contrôle financier public efficace, mais ce contrôle ne peut atteindre sa
pleine efficacité que s'il est ressenti par les collectivités locales autant
comme un partenariat que comme une tutelle, autant comme un conseil que comme
une contrainte. »
C'est d'ailleurs très exactement ce que j'écrivais moi-même dans le rapport
que nous avions déposé un an auparavant, en juin 1998.
M. Jacques Peyrat.
Tout à fait !
M. Jacques Oudin.
Je suis persuadé, madame le secrétaire d'Etat, que, au terme de ce débat et de
la navette, nous aurons obtenu une avancée significative en matière de qualité
du contrôle des collectivités locales. Je crois que la démocratie y gagnera et
que nous pourrons être satisfaits du travail accompli.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il en
aura fallu du temps, comme cela a été souligné, pour légiférer en la matière
qui nous occupe aujourd'hui, l'objectif étant, je le rappelle, d'assurer la
pérennité d'un recrutement de qualité, de renforcer les liens entre les
magistrats de la Cour des comptes et ceux des chambres régionales des comptes,
d'encourager une meilleure concertation dans la gestion du corps et de
renforcer l'indépendance des chambres régionales des comptes.
Le cheminement du texte n'a pas été simple : sans revenir dans le détail sur
les « pérégrinations » de ce projet de loi, il me paraît toutefois utile de
souligner que, partis d'un texte à visée purement statutaire, nous en sommes
arrivés à modifier en profondeur les compétences et les pouvoirs des chambres
régionales des comptes, ce qui avait d'ailleurs, à l'époque, entraîné un vote
négatif des sénateurs de mon groupe.
Lors de la deuxième lecture à l'Assemblée nationale, la majorité plurielle a
vivement critiqué, avec raison, l'attitude de la majorité sénatoriale, qui
était allée trop loin dans la remise en cause des pouvoirs que les chambres
régionales des comptes tiennent des lois de décentralisation en contrepartie de
la disparition de la tutelle administrative. Les députés de l'opposition
eux-mêmes n'ont pas souhaité suivre leurs collègues du Sénat sur le terrain de
la réduction des pouvoirs des chambres régionales des comptes.
Les députés de la majorité plurielle ont à juste titre supprimé des articles
importants du projet de loi, concernant notamment les prérogatives des chambres
régionales des comptes, que la droite sénatoriale avait introduits et qui
reprenaient pour l'essentiel les mesures prévues par la proposition de loi de
MM. Oudin et Amoudry. Ils ont, dans le même temps, fait un pas significatif en
direction du Sénat.
Le texte qui nous revient du Palais-Bourbon est donc plus équilibré
aujourd'hui qu'hier, ce qui démontre par ailleurs l'intérêt des navettes
parlementaires. Quant à la commission des lois du Sénat, je serais tentée de
dire que, à l'occasion de cette nouvelle lecture, elle a mis « de l'eau dans
son vin ».
Cela étant, il n'en demeure pas moins que, aux yeux des sénateurs communistes,
certains amendements présentés par M. Hoeffel continuent de poser problème, en
ce qu'ils visent toujours à remettre en cause les compétences et le rôle des
chambres régionales des comptes.
Ainsi, l'article 31 A, introduit en première lecture au Sénat et qui donne une
définition de ce qu'est le contrôle de gestion, est à notre sens inopportun,
car il a principalement pour objet de restreindre le champ de compétences des
chambres régionales des comptes. C'est à bon droit que l'Assemblée nationale
l'a supprimé. M. Hoeffel, conscient que le Sénat était allé trop loin en la
matière en première lecture, a, très certainement dans la perspective de la
conclusion d'un compromis en commission mixte paritaire, revu la copie et nous
propose aujourd'hui une nouvelle définition du contrôle de gestion.
Si celle-ci marque un net progrès par rapport à la précédente, elle continue
toutefois à nous poser problème, au regard notamment de ses derniers mots, à
savoir : « sans que ces objectifs, dont la définition relève de la
responsabilité exclusive des élus ou des délégués intercommunaux, puissent
eux-mêmes faire l'objet d'observations ».
Je proposerai donc au Sénat d'adopter un sous-amendement visant à supprimer ce
membre de phrase qui, s'il figurait dans la loi, empêcherait d'examiner les
conditions mêmes dans lesquelles une décision a été prise.
S'agissant maintenant de la prescription en matière de gestion de fait évoquée
à l'article 31 D, le Sénat, en première lecture, l'avait ramenée de trente ans
à cinq ans. Quant à l'Assemblée nationale, elle a retenu un délai de douze ans,
correspondant à deux mandats municipaux.
La commission des lois du Sénat, voulant certainement « couper la poire en
deux », nous propose aujourd'hui de prévoir une prescription de dix ans.
Cependant, dix ou douze années, là n'est pas le plus important à mes yeux : en
effet, plus grave serait le rétablissement par le Sénat d'un alinéa supprimé à
juste titre par les députés et qui vise l'impossibilité de prononcer la gestion
de fait s'agissant des exercices pour lesquels les comptes du comptable public
auraient déjà été jugés par la chambre régionale des comptes. Cela aurait pour
conséquence d'instituer une prescription « rampante ».
Nous proposerons donc de confirmer la suppression de cet alinéa.
En ce qui concerne les lettres d'observations définitives, le Sénat a rétabli,
malgré l'opposition légitime de l'Assemblée nationale, deux dispositions
importantes sur lesquelles je souhaite insister.
La première disposition concerne la publication des lettres d'observations
définitives, que le Sénat avait souhaité interdire, en première lecture, au
cours des six mois précédant une élection.
Une telle mesure aurait comme principale conséquence, si elle était adoptée,
de retarder considérablement la publication des lettres d'observations
définitives, et donc d'en diminuer la portée et l'intérêt. Cette disposition a
été supprimée par l'Assemblée nationale, mais la majorité sénatoriale propose
aujourd'hui de la rétablir en ramenant à trois mois la période d'interdiction :
cela paraît plus conforme à la pratique et nous devrions donc pouvoir aboutir à
un accord sur ce point.
La seconde disposition concerne la formule d'appel sur les lettres
d'observations définitives instituée par le Sénat à l'article 35 et supprimée,
avec raison, par les députés.
Je ne puis souscrire à une telle mesure, qui reviendrait, dans les faits, à
retarder la publication des lettres d'observations définitives de plusieurs
mois dans l'attente des résultats du recours.
Par définition, les magistrats financiers travaillent déjà sur le passé. Il
est donc fort à craindre que, dans ce cas précis, les observations, à leur
parution, n'aient perdu tout intérêt.
Cet appel ainsi institué risque, par ailleurs, de modifier en profondeur la
nature du travail des magistrats financiers, en donnant à leurs lettres un
statut de jugement, ce qui n'est souhaitable ni pour eux-mêmes ni pour les élus
intéressés au premier plan par ce que l'on pourrait nommer des «
quasi-jugements ».
En fin de compte, il me semble que le fait de proposer encore de définir le
champ et la nature de l'examen de la gestion, de prévoir la possibilité d'un
recours contentieux contre les lettres d'observations définitives pour gagner
du temps participe de la volonté de certains de remettre en cause l'existence
même du contrôle financier.
Je crois que le texte, tel qu'il nous revient de l'Assemblée nationale, est
acceptable et qu'il n'est pas bon, en l'occurrence, de faire de la
surenchère.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle que, aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir
de la deuxième lecture au Sénat des projets de loi, la discussion des articles
est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du Parlement n'ont pas
encore adopté un texte identique.
Article 1er