SEANCE DU 14 NOVEMBRE 2001
M. le président.
L'amendement n° 40, présenté par M. Charasse, est ainsi libellé :
« Après l'article 16, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article L. 232-19 du code de l'action sociale et des familles est ainsi
rédigé :
«
Art. L. 232-19
. - Les sommes servies au titre de l'allocation
personnalisée d'autonomie font l'objet d'un recouvrement sur la succession du
bénéficiaire, sur le légataire et, le cas échéant, sur le donataire, lorsque la
donation est intervenue postérieurement à la demande d'allocation personnalisée
d'autonomie ou dans les dix ans qui ont précédé cette demande. Toutefois, le
recouvrement ne s'exerce que sur la partie de l'actif net successoral global
qui excède un seuil de 500 000 francs, et, lorsque le légataire ou le donataire
est le conjoint, un enfant, ou une personne qui a assumé de façon effective la
charge de la personne dépendante, du montant du legs ou de la donation qui
excède le même seuil.
« En cas de pluralité de legs ou donations, ce seuil s'applique à la somme des
montants des legs ou donations.
« En cas d'intervention successive d'un ou plusieurs legs ou donations et
d'une succession, ce seuil s'applique à la somme du montant global du ou des
legs ou donations et de l'actif net successoral global. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
J'ai entendu avec intérêt M. le ministre dire à la fin de sa dernière
intervention qu'il fallait « encourager les solidarités familiales ». C'est
bien, en quelque sorte, l'objet de l'amendement n° 40, mais je veux d'abord
rappeler les circonstances qui ont entouré l'adoption dans la loi portant
création de l'APA de la disposition relative à la récupération sur
succession.
Le Gouvernement avait, très sagement à mon avis, proposé dans son projet
initial d'appliquer pour l'APA le système de récupération sur succession, comme
pour toutes les autres formes d'aide sociale - je passe sur le point de savoir
si l'APA est ou n'est pas une forme d'aide sociale. Ce système de récupération
tout à fait classique, même si son seuil d'application était un peu plus élevé
que dans le droit commun, a cependant été supprimé par l'Assemblée nationale,
qui, malgré mes propres efforts, a été suivie par le Sénat.
Or, depuis le vote de la loi portant création de l'APA, les départements ont
pu commencer à faire leurs comptes, et ils arrivent à des sommes extrêmement
élevées du fait de l'afflux, prévisible ou déjà enregistré, d'un très grand
nombre de dossiers et, de ce point de vue, le fait que, contrairement au
souhait du Gouvernement, la récupération sur succession ne joue pas a
certainement un rôle important.
Mes chers collègues, je ne veux pas reprendre la discussion que nous avions
eue au moment de la création de l'APA, mais j'appelle tout de même votre
attention sur un point.
Les départements ne bénéficiant plus de la récupération sur succession - notre
collègue Michel Mercier, rapporteur spécial de la commission des finances pour
les collectivités locales, a évalué la perte de recettes ainsi engendrée pour
les départements à un milliard de francs -, que croyez-vous qu'il va arriver ?
Eh bien, c'est l'Etat qui récupérera les droits de succession ! Voilà comment
on aboutit à priver les collectivités locales d'une ressource importante qui
avait tout de même un caractère assez dissuasif pour transférer la recette à
l'Etat !
C'est pourquoi je propose, monsieur le ministre, que nous maintenions le
système de récupération sur succession à partir de 500 000 francs d'actif net
successoral, seuil à propos duquel je ne suis d'ailleurs pas prêt à me battre
puisque, dans le droit commun de la récupération sur succession, il est
actuellement fixé à 300 000 francs.
Quelle que soit la position qu'adoptera le Gouvernement, reconnaissez, mes
chers collègues, qu'on aboutit à un système plutôt « tordu » : on fait croire
aux personnes âgées et à leurs enfants qu'on leur fait un cadeau royal, alors
qu'en réalité c'est l'Etat qui le récupère par-derrière puisque les droits de
succession demeurent, et on prive, ce qui est tout de même anormal, la
collectivité qui assure l'essentiel de la dépense de la recette qui devrait lui
revenir !
Monsieur le ministre, je souhaiterais donc, bien entendu, que cet amendement
soit adopté, ne serait-ce que pour nous permettre de réfléchir pendant la
navette à un autre système auquel je pense et qui pourrait faire l'objet d'un
amendement au projet de loi de finances, système qui consisterait, si l'on ne
veut pas rétablir la récupération sur succession, à au moins prescrire à l'Etat
de reverser aux départements les droits qu'il perçoit sur ces successions.
Ainsi, on retomberait au moins un peu sur nos pattes !
Si cet amendement n° 40 pouvait avoir la vertu d'ouvrir une discussion dans le
cadre de la navette qui permette d'aboutir à un système un peu moins anormal,
je n'aurais pas perdu complètement mon temps et je pense que le Sénat,
défenseur des collectivités locales et de leurs intérêts, sans méconnaître
l'intérêt de l'Etat, n'aurait pas complètement perdu le sien non plus.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Sur ce sujet, qui a fait, en son temps, couler beaucoup de
salive aussi bien en commission qu'en séance publique, les avis étaient très
partagés et transcendaient d'ailleurs les différentes sensibilités politiques
de notre assemblée.
Il n'a pas été facile de faire un choix - je n'irai pas jusqu'à dire qu'il
s'est fait dans la douleur, sauf, peut-être, pour les présidents de conseils
généraux...
M. Michel Charasse.
Or les contribuables !
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
... qui, aujourd'hui, subissent ses conséquences
financières.
Je rappellerai tout de même au passage que, lorsque j'avais exposé le point de
vue de la commission des affaires sociales en ma qualité de rapporteur sur un
amendement, qui, déjà, avait été proposé par M. Charasse, nous avions prévu une
compensation intégrale des pertes de recettes au profit des conseils
généraux.
Mais le Gouvernement, en la personne de Mme Guinchard-Kunstler, n'avait pas
voulu retenir une telle initiative. Peut-être attendait-elle un arbitrage du
Premier ministre ! Je me rappelle de sa déclaration tendant à nous mettre en
garde au motif qu'il faudrait peut-être revoir ce dispositif dans le cadre
d'une réforme globale de la loi de 1975 et, plus particulièrement, de tout ce
qui touche au recours sur succession, bien au-delà donc du seul cas des
handicapés et des personnes âgées.
En tout cas, monsieur Charasse, je comprends votre souci. Vous avez raison de
dire que, si une mesure de compensation devait être adoptée, elle aurait sa
place non pas dans une loi de financement de la sécurité sociale, mais dans une
loi de finances.
Vous souhaiteriez donc, si j'ai bien compris, que votre amendement soit adopté
pour qu'au moins, dans le cadre de la navette, une discussion puisse
s'instaurer entre l'Assemblée nationale et le Sénat.
M. Michel Charasse.
Voilà !
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Je suis mandaté pour rapporter la position de la commission
des affaires sociales, et vous me permettrez donc de ne pas exprimer un avis
personnel en la circonstance.
M. Michel Charasse.
C'est normal !
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Je laisse à chacun de nos collègues la liberté d'exprimer son
point de vue sur votre amendement.
Je tiens toutefois à souligner - comme je l'ai fait à l'intention du
Gouvernement tout à l'heure au sujet de l'article 16 - que, votre amendement
ayant un caractère de « cavalier social », il y a fort à parier qu'il serait
purement et simplement supprimé en cas de saisine du Conseil
constitutionnel.
C'est l'une des raisons qui ont conduit la commission à ne pas émettre un
avis favorable.
Par ailleurs, le Sénat ayant tranché, en son temps, sur ce sujet, est-il utile
de rouvrir le débat de fond à l'occasion de l'examen du projet de loi de
financement de la sécurité sociale ? Nous ne l'avons pas jugé souhaitable. La
représentation sociale s'est prononcée, même si, au Sénat, elle l'a fait à une
courte majorité.
M. Michel Charasse.
A une voix près !
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
On peut toujours tenter de rouvrir le débat pour inverser la
situation ! Toujours est-il que la commission des affaires sociales ne l'a pas
souhaité.
Je suis donc au regret de vous dire, monsieur Charasse, que, mandaté pour ce
faire par la commission, j'émets un avis défavorable.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Ma position est aussi nuancée que celle de M. le
rapporteur, et tout aussi défavorable.
C'est un débat complexe, un débat délicat, j'en suis conscient. Les lignes de
partage de nos opinions ne recoupent pas les lignes politiques classiques.
Le Gouvernement s'en est remis, lors de la discussion du projet de loi portant
création de l'allocation personnalisée d'autonomie, à la sagesse du Parlement,
lequel a supprimé les recours en récupération.
Moi qui ne suis pas un spécialiste de ces choses, je les vois, en fait, assez
simplement : s'agit-il d'aide sociale ou de solidarité nationale ?
M. Michel Charasse.
En tout ca, c'est l'Etat qui touche !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Et alors ? Ce n'est tout de même pas à moi qu'il faut
le reprocher !
L'Assemblée nationale a voté, en première lecture, l'amendement de son
rapporteur supprimant le recours en récupération, et le Sénat l'a suivie, en
repoussant un amendement visant à le rétablir - nous venons de l'entendre de la
bouche de son rapporteur - moyennant un relèvement du seuil.
L'allocation personnalisée d'autonomie n'étant pas une prestation d'aide
sociale réservée aux personnes à faibles revenus, restaurer les recours en
récupération remettrait en cause l'universalité d'une prestation destinée à
toutes les personnes âgées en perte d'autonomie, qui doivent pouvoir compter
sur l'aide de la collectivité.
M. Michel Charasse.
C'est le texte du Gouvernement que je reprends !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Le choix d'une prestation universelle résulte, il faut
le souligner, des défis que posent à notre société le vieillissement de la
population et l'augmentation inéluctable de la part des plus âgés. Cette
évolution, qui sera un des phénomènes majeurs des décennies à venir, doit
conduire et a conduit le Gouvernement à reconnaître la perte d'autonomie, qui
n'est pas l'apanage de populations prédestinées et qui porte en germe une
limitation de la citoyenneté, comme un nouveau risque social appelant une
réponse, je le répète, relevant de la solidarité nationale.
J'ajoute, et c'est une mesure d'équité, que la suppression du recours sur
succession a pour corollaire l'évaluation du patrimoine et la valorisation des
biens non placés ou exploités, qui sont pris en compte dans le calcul des
ressources déterminant la participation du bénéficiaire et, par voie de
conséquence, le montant de l'allocation personnalisée d'autonomie.
Enfin - faut-il le rappeler ? - l'APA donne lieu à une participation du
bénéficiaire, qui contribue ainsi de son vivant, et non plus
post
mortem,
à la mesure de ses moyens financiers, aux prises en charge qui lui
sont nécessaires pour vivre le grand âge dans la dignité.
Telles sont, monsieur le sénateur, les dispositions, équilibrées et
équitables, que le Gouvernement, éclairé par les débats parlementaires, je le
répète, a retenues pour accompagner la suppression des recours en
récupération.
En outre, l'argument vient d'être employé, l'amendement que vous proposez ne
relève pas du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Il constitue
un « cavalier social », ce qui me conduit à vous demander de le retirer, même
si vous objecterez que j'en ai moi-même introduit un !
(Sourires.)
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 40.
M. André Lardeux.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Lardeux.
M. André Lardeux.
M. Chabroux a affirmé, tout à l'heure, que tout nous opposait, mais je ne
crois pas que cela soit vrai, puisque je voterai l'amendement de M. Charasse,
bien que son caractère de cavalier social, souligné par M. le rapporteur et par
M. le ministre, constitue un obstacle.
M. Michel Charasse a dit que son amendement représentait le moyen de
progresser au cours de la navette, et cet argument me semble devoir être pris
en compte.
Il est évident qu'un transfert de charges est opéré, en matière de solidarité,
de l'échelon national vers l'échelon local. Or les départements sont loin
d'être à égalité dans ce domaine.
Par ailleurs, je souligne, sans vouloir revenir sur les arguments développés
par M. Charasse, que les départements se trouvent privés de ressources.
En outre, on nous dit qu'il faut absolument développer, dans notre société,
les solidarités locale et familiale. Or, cet amendement me semble justement
permettre d'aller dans le sens de la solidarité familiale, ce qui n'est pas le
cas de la suppression de la récupération sur la succession.
Enfin, je reviendrai sur les propos de M. le ministre, qui a employé des
termes révélateurs puisqu'il a parlé de prestations sociales et de droit
social. Cela prouve que le dispositif de l'APA est peut-être, à terme,
condamné. La perte d'autonomie est, me semble-t-il, un risque comme les autres,
qui devra être pris en compte par le biais de l'assurance.
Si l'amendement n° 40 de M. Charasse permet de faire évoluer la situation à
cet égard, je le voterai.
M. Alain Joyandet.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Joyandet.
M. Alain Joyandet.
La démarche de M. Charasse est très intéressante. Le débat qu'elle permet de
reprendre n'est peut-être pas opportun ce soir et aurait sans doute davantage
sa place en commission des finances, mais il soulève en tout cas au moins trois
problèmes : le premier a trait à la fiscalité des successions, le deuxième
concerne les transferts de charges entre les collectivités locales et l'Etat,
le troisième est de nature formelle puisqu'il s'agit en fait, ici, d'un
cavalier social. Certes, un cavalier est fait pour sauter, me dira-t-on, mais
dans la mesure où le Conseil constitutionnel ne s'est pas autosaisi, il peut
toujours passer !
S'agissant de la fiscalité des successions, la question, à mon sens, n'est pas
de savoir comment l'on procédera pour opérer le recouvrement sur les
successions, si c'est l'Etat ou le département qui s'en chargera. Il s'agit
d'ailleurs souvent de successions modestes.
Pour notre part, nous nous interrogeons non pas sur les modalités de
recouvrement sur des successions très modestes, mais sur la possibilité
d'exonérer de droits de telles successions.
C'est en effet un débat de fond : prenons, mes chers collègues, l'exemple d'un
ouvrier qui a travaillé toute sa vie et dont l'épouse est elle aussi ouvrière
ou salariée, qui a économisé sa vie durant pour acheter une maison dans un
département - tout le monde n'habite pas dans le XVIe arrondissement de Paris !
- où le montant moyen des successions se situe
grosso modo
entre 500 000
francs et 1 million de francs. Pour les enfants, le taux des droits à acquitter
atteindra 40 %, alors que les revenus du travail ayant servi à acquérir ce qui
constitue souvent le seul bien transmis ont déjà été amplement fiscalisés !
Nous nous demandons donc, monsieur Charasse, comment faire pour que les
parents puissent léguer à leurs enfants un bien très modeste sans que l'Etat
prélève 40 % de taxes au passage ! Voilà, à mon avis, le véritable débat ! Quoi
de plus beau et de plus normal, en effet, quand on a travaillé tout au long de
sa vie, que de souhaiter léguer à ses enfants le petit bien que l'on a pu
acquérir ? Tel est le débat de fond, monsieur Charasse, que vous avez aussi
engagé par le biais de votre amendement.
Le souci des membres de mon groupe n'est donc pas de recouvrer de l'argent sur
ces successions modestes ; c'est, au contraire, de définir les modalités d'une
future exonération pour des biens dont la valeur atteindrait, par exemple, 1
million de francs. Nous serions tout à fait d'accord, pour notre part, pour que
les héritiers en ligne directe, à concurrence d'un tel montant, ne soient plus
taxés à hauteur de 40 %.
Par ailleurs, en ce qui concerne les transferts de charges et de ressources
entre les collectivités locales et l'Etat, que s'est-il passé, mes chers
collègues, lorsque l'Etat a exonéré les entreprises de la part salariale de la
taxe professionnelle ? Certes, les pertes de recettes correspondantes ont été
compensées pour nos collectivités locales, mais le montant de cette
compensation évolue en fonction des lois de finances et non pas de la masse
salariale.
Par conséquent, alors que les collectivités locales auraient dû bénéficier
chaque année de trois ou quatre points supplémentaires de taxe professionnelle,
l'augmentation n'atteint que 0,8 %, 1 % ou 1,2 %. Le plus souvent,
parallèlement, les bénéfices des entreprises augmentent, et c'est l'Etat qui en
profite au travers de l'impôt sur les sociétés !
A cet égard, il suffit de regarder les tableaux dont dispose la commission des
finances pour constater la croissance des recettes de l'Etat au titre de
l'impôt sur les sociétés. L'Etat récupère par le biais de cet impôt l'argent
que les collectivités locales ont perdu du fait de l'exonération de la part de
la taxe professionnelle assise sur les salaires. C'est donc exactement le même
mécanisme.
M. Michel Charasse.
Partiellement !
M. Alain Joyandet.
En tout cas, cela y ressemble beaucoup : nous perdons une grande partie de nos
recettes, et c'est l'Etat qui les récupère, ensuite, en cascade.
Les deux problèmes que vous avez posés sont donc importants, monsieur
Charasse, même si nous n'y apportons pas forcément les mêmes réponses.
Enfin, sur la forme, la position adoptée par M. Vasselle me semble être la
bonne. Le problème est bien posé, mais l'on peut difficilement prendre le
risque, aujourd'hui, à l'occasion de la discussion du projet de loi de
financement de la sécurité sociale pour 2002, de recourir à un cavalier sur un
sujet aussi important, aussi vaste et qui mériterait sans doute de faire
l'objet d'une sérieuse discussion lors de l'examen du projet de loi de
finances.
En tout état de cause, la majorité des membres de mon groupe se ralliera à la
position de la commission des affaires sociales et de son rapporteur, M.
Vasselle, en souhaitant qu'un autre débat s'instaure lors de la discussion
budgétaire.
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Merci !
M. Paul Blanc.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Paul Blanc.
M. Paul Blanc.
J'ai écouté M. Charasse avec beaucoup d'intérêt, et je partage l'opinion de
notre collègue Alain Joyandet sur ses propositions.
Cela étant, j'indique d'emblée que je suivrai l'avis de la commission des
affaires sociales, même si j'ai le sentiment que l'on n'a pas fini de parler de
ce sujet dans notre hémicycle !
M. Michel Mercier.
Eh oui !
M. Paul Blanc.
En définitive, il me semble que l'on ne veut pas traiter le problème au
fond.
A titre de comparaison, on impose à celui qui possède un véhicule et circule
sur les routes, courant le risque d'avoir un accident, de prendre une
assurance. Parallèlement, compte tenu de l'allongement de la durée de la vie et
des progrès indéniables de la médecine, je crois que, à partir de soixante ans,
chacun d'entre nous est appelé à devenir un jour dépendant. C'est là un risque
nouveau, qu'il faudra pouvoir assurer.
Le véritable problème réside donc, à mon sens, dans ce cinquième risque que
l'on a voulu écarter et qu'il faudra bien, un jour ou l'autre, prendre en
compte par le biais d'une assurance. Ce serait un honneur pour notre pays, car,
finalement, une telle assurance constituerait une forme de mutualisation. Or
notre pays a toujours donné l'exemple en cette matière.
Certains m'objecteront sans doute que les personnes disposant de moyens
modestes ne pourront pas s'assurer contre ce cinquième risque. Je leur
répondrai qu'il existait, avant la création de la couverture maladie
universelle, un dispositif qui donnait toute satisfaction s'agissant de l'aide
médicale et sociale : les départements se substituaient aux familles modestes
qui ne pouvaient acquitter les cotisations liées à l'assurance volontaire.
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Tout à fait !
M. Paul Blanc.
Il me semble que nous devrons envisager la même solution pour le cinquième
risque.
M. Roland Muzeau.
Voilà !
M. Paul Blanc.
L'aide sociale réglera les cotisations des familles aux ressources trop
faibles.
Comme l'a dit notre collègue Alain Joyandet, quand une personne devient
dépendante, sa famille n'y peut rien. C'est là une grande injustice, et
pourquoi, par conséquent, le fruit du travail de toute une vie serait-il perdu
pour cette raison ?
Nous devrons donc nous résoudre à engager un jour un débat de fond. Nous avons
longtemps repoussé l'échéance, mais il arrivera un moment où l'on ne pourra
plus reculer.
Je suis conseiller général et je me suis longtemps occupé des affaires
sociales dans mon département, détenant une vice-présidence de 1976 à 1992. Je
peux vous dire, mes chers collègues, que les dépenses liées à l'APA finiront
par faire exploser les finances départementales, car la compensation apportée
par l'Etat ne durera pas, à mon avis, aussi longtemps que dureront les impôts !
Il s'agit là d'un véritable problème, qu'il faudra, un jour ou l'autre, poser
de nouveau. (
Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants. - M. Vasselle, rapporteur, applaudit également.)
M. Michel Mercier.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Mercier.
M. Michel Mercier.
Je crois que notre débat de ce soir est à la fois irréel et très concret.
Il est irréel parce que, dans vingt minutes exactement, nous serons le 15
novembre, et c'est le 15 novembre, bien que les décrets ne soient pas parus,
monsieur le ministre, que seront déposés les premiers dossiers de demande de
l'APA. Nous n'aurons pas réglé cette affaire dans vingt minutes !
Le combat vient probablement un peu tard, mais, si le Gouvernement avait
accepté de discuter, notamment avec le Sénat, du financement de l'APA, nous
n'en serions pas là aujourd'hui, monsieur le ministre.
Je suis, pour ma part, très hostile à la notion de cinquième risque, car cette
formule, on l'aura constaté ce soir, recouvre des réalités très diverses. Il
s'agit non pas de donner de l'argent à des personnes âgées en perte
d'autonomie, mais de les aider à mener la vie la plus normale possible. Il faut
donc financer les services de personnes qui les aideront et non pas distribuer
de l'argent, ce qui serait un cinquième risque.
Cela étant, la situation actuelle engendre de curieux cas de figure.
Ainsi, il a été décidé de renoncer au recours sur succession pour les sommes
servies au titre de l'APA. Cela signifie que, cette prestation étant
universelle, tout le monde pourra prétendre, le cas échéant, à en bénéficier,
mais que, pour les plus pauvres de nos concitoyens placés en établissement, les
coûts liés à l'hôtellerie et à l'hébergement feront l'objet d'un recours sur
succession.
M. Michel Charasse.
Absolument !
M. Michel Mercier.
Par conséquent, au nom de la solidarité et de la générosité, on supprime le
recours sur succession pour les mieux lotis et on le maintient pour les plus
démunis !
Ce raisonnement me paraît pour le moins discutable, et il ne sera pas très
facile d'expliquer aux personnes hébergées en établissement qu'il ne pourra y
avoir de recours sur succession pour récupérer les quatre-vingt-dix francs par
jour qu'elles recevront au titre de l'APA, mais que, s'agissant des deux cent
dix francs par jour de dépenses liées à l'hébergement, le recours sur
succession jouera si elles bénéficient de l'aide sociale.
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
C'est vrai !
M. Michel Mercier.
Il faut donc que le Gouvernement cesse de soutenir qu'il a trouvé la panacée
pour financer l'APA, qu'il reconnaisse humblement que des mesures ont déjà été
élaborées, mais que la situation est loin d'être idéale et qu'il accepte d'en
discuter le plus tôt possible.
Sinon, nous risquons une explosion des impôts locaux, et financer l'APA au
moyen du produit de la taxe d'habitation n'est certainement pas non plus la
solution la plus juste. En outre, la succession des plus démunis fera toujours
l'objet d'un recours au titre des aides qu'ils auront reçues pour pouvoir vivre
en établissement.
M. Michel Charasse.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Je ne m'attendais pas à autant d'honneur pour cet amendement !
La question que je pose ce soir n'est pas la grande question du cinquième
risque, ni celle des successions, même si M. Joyandet a dit des choses très
intéressantes à cet égard, ni celle de l'autonomie et de la façon de la traiter
ou pas. C'est un problème très simple.
Lorsque le Gouvernement avait présenté son texte sur l'APA, il avait prévu le
recours sur succession pour l'ensemble, pour reprendre les propos de M.
Mercier, c'est-à-dire non seulement pour les personnes qui sont hébergées en
établissement mais également pour celles qui sont chez elles.
Ce texte-là
(L'orateur montre l'amendement),
c'est celui du
Gouvernement, monsieur le ministre, la seule différence étant le seuil de 500
000 francs.
Donc, le Gouvernement avait prévu lui-même le recours sur succession. Selon le
calcul qu'il nous avait présenté, les chiffres étaient à peu près les suivants
: 16 milliards de francs à la charge des départements et 6 milliards de francs
à la charge de l'Etat. Mais, à la sortie, compte tenu du vote de l'Assemblée
nationale contre le recours sur succession, il s'agit non plus de 16 milliards
de francs mais de 17 milliards de francs, puisqu'il manque 1 milliard de
francs.
Or, quand je regarde ce que devient cet argent, je constate que, à partir du
moment où l'on ne récupère pas la succession, elle est taxable normalement aux
droits de succession. Donc, pour l'Etat, ce n'est pas 6 milliards de francs,
c'est un peu moins et, pour les départements, ce n'est pas 16 milliards de
francs, c'est 17 milliards de francs. Voilà, monsieur le ministre, le problème
que je voulais poser.
S'il n'y avait pas les droits de succession derrière, je ne vous querellerais
pas ce soir. Mais il se trouve que l'on a fait, sans le vouloir sans doute et
sans le savoir, un transfert qui a complètement mis en l'air le calcul du
Gouvernement et la répartition des charges qu'il avait arrêtée ou proposée
entre l'Etat et les collectivités locales.
Mon amendement vise simplement à mettre un terme à cette anomalie. S'agit-il
de la meilleure solution ? Je n'en sais rien ; on peut toujours en discuter. En
tout cas, plusieurs d'entre nous l'ont dit, l'APA entre en vigueur ce soir à
minuit et, si l'on attend trop, si on laisse se développer une habitude, dans
ce domaine on ne pourra plus rien faire.
Se dire que l'on peut déposer un dossier car, par rapport à la PSD, il n'y
aura plus la récupération sur succession, c'est une illusion. En réalité, le
service des impôts, si ce n'est pas le service des domaines du département,
attendra au coin du bois, avec des modalités de calcul, je le reconnais, un peu
différentes.
Je pensais que la navette permettrait de discuter de cette question. C'est
pourquoi j'ai la naïveté de penser que l'on pourrait adopter ce texte à titre
provisoire. Après tout, il y aura une nouvelle lecture à l'Assemblée nationale
et elle en fera ce qu'elle voudra !
Reste le dernier point : s'agit-il ou non d'un cavalier ? Cette allocation
étant financée conjointement par l'Etat, la sécurité sociale et les
départements, je considère qu'elle a tout de même sa place dans la loi de
financement de la sécurité sociale.
Je ne vous querellerai pas plus avant sur cette question. A mes yeux, il ne
s'agit pas d'un cavalier, car il existe ce cofinancement que je viens
d'évoquer.
Nous allons maintenant attendre le vote du Sénat. De toute façon, je compte
reprendre ce dossier au moment de la loi de finances, mais en le traitant par
le biais des droits de succession, et non plus directement par le biais de la
récupération sur succession. Il n'en demeure pas moins que, si nous suscitions
un intérêt du côté de l'Assemblée nationale, cela ne serait sans doute pas
inutile pour la suite des événements.
M. Bernard Cazeau.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Cazeau.
M. Bernard Cazeau.
Si je prends la parole en cet instant, c'est en raison non seulement de la
présentation de l'amendement de mon ami M. Charasse, mais aussi de la prise de
position d'un certain nombre d'orateurs, notamment ceux qui sont président de
conseil général.
M. le ministre a très bien exposé le principe du droit universel, qui a
transformé en quelque sorte l'APA, laquelle est non plus une prestation sociale
mais une allocation sociale. Il faut faire la différence.
M. Michel Mercier.
Absolument !
M. Bernard Cazeau.
A un âge de la vie, il y a les allocations familiales et, à un autre, il y
aura l'allocation personnalisée d'autonomie. De ce point de vue, c'est assez
clair, d'autant que le dispositif a été voté à la quasi-unanimité par
l'Assemblée nationale, le Sénat l'ayant adopté dans les mêmes termes. Nous
n'allons pas revenir sur la décision prise par les deux assemblées.
Je voudrais brièvement évoquer le financement, car, même si ce n'est pas tout
à fait le sujet, ce point a été abordé.
Il me paraît quelque peu imprudent d'affirmer aujourd'hui qu'il s'agit d'un
transfert de charges « hénaurme » vers les conseils généraux.
(M. Fischer
s'exclame.)
D'abord, les conseils généraux ont voulu gérer ce dispositif
car il relève de leur compétence. Il est donc normal qu'ils en prennent une
partie en charge. En l'occurrence, le surcoût, qui s'élève à 11,5 milliards de
francs, est pris en charge à 50 % par l'Etat,...
M. Michel Mercier.
Non !
M. Bernard Cazeau.
... par le biais de la CSG, et pour le reste essentiellement par les
départements car la participation des caisses de sécurité sociale représentant
très peu,...
M. Michel Mercier.
Zéro franc !
M. Bernard Cazeau.
... à savoir 500 millions de francs. Cette décision a donc été prise.
Je veux répondre à M. Charasse, puisqu'il aime faire des calculs. Si l'on fait
une projection de ce que coûtait l'allocation compensatrice pour tierce
personne, l'ACTP, à domicile ou en établissement, allocation qui a précédé la
PSD
(M. Mercier est dubitatif)
- je sais, monsieur Mercier, que vous ne
le croyez pas, mais je vous communiquerai les calculs qui concernent votre
département et nous en reparlerons - si l'on fait cette projection, dis-je, on
constate que, pour l'année 2002, on obtient un surcoût pour les départements de
l'ordre de ce que représentera l'APA.
M. Bruno Sido.
C'est faux !
M. Bernard Cazeau.
Enfin, monsieur Mercier, dans votre argumentation paupériste, vous avez à la
fois tort et raison. A un moment donné, pour une personne qui ne pourra pas
payer l'hébergement, il se peut en effet que, puisqu'il s'agit d'une prestation
sociale, un recours sur succession soit nécessaire. Mais vous avez oublié de
préciser qu'avec la tarification ternaire dans les établissements, le tarif de
l'hébergement sera divisé par deux et réparti sur le tarif afférent à la
dépendance et sur celui qui concerne l'hébergement.
(Exclamations sur les
travées du RPR.)
M. Bruno Sido.
C'est faux !
M. Bernard Cazeau.
En effet, mes chers collègues, le prix de l'hébergement n'est pas le même pour
une personne selon qu'elle est en bonne santé et non dépendante ou qu'elle a
besoin d'une tierce personne, par exemple pour l'aider à marcher ou pour
changer son lit trois fois par jour.
Par conséquent, dans la tarification ternaire - tarifs hébergement, soins et
dépendance - la partie consacrée à l'hébergement diminuera d'autant. Pour une
personne âgée dépendante, classée en GIR 1, la baisse sera de l'ordre de 1 500
francs à 2 000 francs par mois sur le prix de journée d'hospitalisation. Ainsi,
le nombre de personnes qui devront recourir à l'aide sociale pour payer leur
hébergement sera de moins en moins important. La démonstration de M. Mercier ne
concerne donc que quelques cas limites. C'est pourquoi je lui dis qu'il a
certainement raison dans ces cas-là, mais qu'il a tort dans la plupart des
cas.
M. Michel Mercier.
Mais vu le nombre de cas limites !
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 40, repoussé par la commission et par le
Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Mes chers collègues, je rappelle qu'il reste encore quatre-vingt-deux
amendements à examiner. Il serait souhaitable qu'à l'issue de la présente
séance le nombre des amendements « légués » à mon successeur demain matin ne
soit pas trop important si l'on veut que le Sénat puisse achever l'examen de ce
texte dans des délais raisonnables.
Article 17