SEANCE DU 29 NOVEMBRE 2001
financement de la sécurité sociale
Rejet d'un projet de loi en nouvelle lecture
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi
de financement de la sécurité sociale pour 2002 (n° 96, 2001-2002), adopté avec
modifications par l'Assemblée nationale, en nouvelle lecture. [Rapport n° 100
(2001-2002).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le ministre.
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, votre assemblée est saisie, en nouvelle
lecture, du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2002.
Au cours de la première lecture, j'ai eu l'occasion de dire combien ce texte
est important pour la protection sociale de nos concitoyens, et combien ce
Gouvernement a travaillé à son amélioration depuis 1997. De nombreuses mesures
concrètes, qui touchent les Français dans leur vie quotidienne, ont été
décidées à l'occasion de ce dernier projet de loi de financement de la sécurité
sociale de la législature.
Au total, sur les cinq législatures écoulées, je crois plus que jamais que
nous pouvons être fiers du travail accompli par la majorité qui soutient le
Gouvernement à l'Assemblée nationale et, ici même, par l'opposition
sénatoriale, qui ne manque jamais de marquer son attachement aux grandes
réformes accomplies depuis 1997. Ce travail et toutes ces mesures favorables à
la protection sociale de nos concitoyens n'ont été rendus possibles que parce
que nous avons rétabli les comptes de la sécurité sociale.
Je sais bien, à lire votre rapporteur, que je n'ai manifestement pas convaincu
la majorité de votre assemblée lors de notre précédent débat. Cela ne constitue
certainement pas en soi une surprise, mais je crois utile de redire quelques
mots à ce sujet.
Tout d'abord, je veux dire une nouvelle fois que votre présentation des
comptes n'est pas exacte, en particulier lorsque vous déduisez des résultats du
régime général les versements effectués au profit du Fonds de réserve pour les
retraites. Car enfin, les Français s'appauvrissent-ils lorsque les excédents de
la branche vieillesse, au lieu d'être gérés au sein de la trésorerie de
l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l'ACOSS, sont placés en
ressources du Fonds de réserve ? Chacun comprend que la seule chose qui change,
c'est que les excédents cumulés seront gérés sur une plus longue période, de
façon plus dynamique, et qu'ainsi les difficultés futures des régimes de
retraite seront mieux anticipées. Comment pouvez-vous donc qualifier de
prélèvement ce qui n'est, au contraire, que la recherche de la meilleure
efficacité dans la gestion des réserves du régime général ?
Ensuite, en ce qui concerne les résultats proprement dits du régime général,
nous pourrions débattre encore longuement des chiffres, selon que l'on choisit
telle ou telle période pour référence, ou que l'on retient tel ou tel mode de
présentation des comptes. Mais pour la clarté des débats et la bonne
information des Français, ne vaut-il pas mieux aller à l'essentiel ?
Oui ou non, le régime général est-il redevenu excédentaire en 1999 ? Oui,
c'est bien le cas, et d'ailleurs votre rapporteur ne le conteste pas.
Oui ou non, les prévisions pour 2001 et 2002 confirment-elles ce retour à
l'excédent ? Oui, elles le confirment, et j'en veux pour preuve que ces
excédents sont suffisamment importants pour que, dans le cours de l'examen de
ce projet de loi de financement de la sécurité sociale, le Gouvernement et le
Parlement aient pu décider des mesures nouvelles en faveur de l'hôpital public,
des cliniques privées, de la prévention bucco-dentaire, des autistes, etc.
Oui ou non, la sécurité sociale est-elle en meilleure santé financière que du
temps où la précédente majorité exerçait les responsabilités de sa gestion ?
C'est l'évidence : un équilibre global depuis 1998, un déficit cumulé de plus
de 200 milliards de francs entre 1994 et 1997, cela fait quand même une
différence !
Laissez-moi ajouter deux considérations supplémentaires.
Sur l'année 2000, tout d'abord, notre souci est celui de la transparence.
J'aurais pu laisser subsister, dans les comptes du régime général, les créances
nées de la compensation incomplète des allégements de charges par le Fonds de
financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale, le
FOREC, en 2000, et reporter à plus tard leur règlement. Je n'ai pas souhaité le
faire, je le répète, par souci de transparence.
Il est avéré que le Gouvernement tire toutes les conséquences de sa décision,
et voilà que votre majorité proteste ! En tout cas, le prochain gouvernement
n'aura pas à assumer les conséquences de nos décisions, comme nous avons dû
assumer, sur les comptes du régime général, celles de l'annulation, par la
Commission de Bruxelles, du malheureux « plan textile » de MM. Borotra et
Juppé.
M. Jean-Pierre Godefroy.
Tout à fait !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Sur les hypothèses économiques
pour 2001 et 2002, ensuite, l'année 2002 comporte des incertitudes, j'en
conviens, bien que rien pour l'heure ne permette de démentir l'hypothèse de
croissance de 5 % de la masse salariale.
Ainsi que je vous l'avais indiqué, l'année 2001 devrait nous révéler de bonnes
surprises en matière de recettes de la sécurité sociale. En effet, après le
dépôt du projet de loi de financement de la sécurité sociale, l'ACOSS a eu
connaissance des encaissements à la fin du troisième trimestre, qui montrent un
acquis de croissance de la masse salariale déjà très élevé. Tout porte donc à
croire que la prévision de croissance de la masse salariale de 5,9 % - celle
qui est incluse dans ce projet de loi - sera dépassée pour l'ensemble de
l'année 2001.
Selon les travaux d'ajustement des comptes en droits constatés menés
actuellement par l'ACOSS, il apparaît que les comptes définitifs de l'année
2001 pourraient - je m'exprime encore au conditionnel puisque les travaux sont
en cours - être majorés de l'ordre de 18 milliards de francs. J'ai cru
nécessaire d'en informer le Parlement, ce qui m'attire néanmoins des critiques
sur l'idée que les agrégats de recettes du projet de loi devraient alors être
modifiés. Je ne partage évidemment pas cet avis, car les prévisions de recettes
du projet de loi de financement de la sécurité sociale, qui reposent sur les
mêmes hypothèses que les prévisions de recettes de la loi de finances, ne
peuvent être qualifiées d'erronées sous le prétexte qu'elles ont été élaborées
à la fin du mois d'août. Quoi qu'il en soit, je considère que cette bonne
surprise pour 2001 nous met à l'abri d'un effet plus important que prévu du
ralentissement de la croissance en 2002, si ce dernier devait se produire.
Pour conclure sur les comptes, je voudrais souligner que nos divergences dans
ce débat ce ne sont pas seulement nos approches respectives des comptes
sociaux. Je crois, plus globalement, que ce sont bien des divergences
fondamentales qui nous opposent quant aux orientations que nous devons donner à
nos politiques sociales, quant aux droits sociaux dont doivent pouvoir
bénéficier nos concitoyens. C'est d'ailleurs en grande partie pour cette raison
qu'ils ont rejeté, en 1997, le Gouvernement que votre majorité sénatoriale
soutenait, pour faire une autre politique que celle que vous préconisiez.
Nos différences, ce sont celles qui séparent de façon évidente la gauche de la
droite. Des différences qui donnent à la gauche un bilan incomparable au vôtre
en matière de salaires et de pouvoir d'achat, de soutien à la croissance,
d'emploi et de lutte contre le chômage, de protection contre la maladie, de
moyens pour les hôpitaux, de prise en charge de la dépendance des personnes
âgées, de lutte contre l'exclusion, de soutien aux familles et à la petite
enfance...
Pourquoi, alors, ne pas parler de cela sous prétexte qu'il ne faut pas
regarder en arrière ? Je crois, au contraire, que le principe de la
responsabilité politique doit être au coeur de la représentation parlementaire.
Ce gouvernement a un bilan, certainement avec des aspects mitigés à côté de
réformes qui ont incontestablement contribué au progrès social dans notre pays.
Mais la majorité de votre assemblée a également un bilan, celui des années où
elle a soutenu sans rechigner les gouvernements Balladur et Juppé. Je comprends
qu'il soit difficile de l'assumer, mais c'est ainsi, notamment aux yeux de nos
concitoyens lorsqu'ils doivent désigner ceux qui vont les représenter et
assumer les responsabilités du pouvoir.
M. Alain Vasselle,
rapporteur de la commission des affaires sociales.
On en reparlera !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Ayant parlé bilan, nous
pourrions également parler projet. Mais pendant la lecture précédente de notre
texte, j'ai vainement cherché la cohérence de la politique alternative que vous
proposiez ; j'ai déjà eu l'occasion de le dire pendant ma réponse à la
discussion générale. C'est bien cela qui me frappe : vous parlez des comptes
sociaux pour ne pas parler des assurés sociaux et des politiques sociales.
C'est bien pourtant tout l'intérêt de ce projet de loi !
Le Gouvernement s'est engagé dans une voie qui repose notamment sur une
refonte de notre système conventionnel en concertation avec les partenaires
sociaux et les professions de santé. Le dispositif que le Gouvernement a
proposé en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale a été adopté par celle-ci,
après un avis favorable à l'unanimité du conseil d'administration de la caisse
nationale de l'assurance maladie ! Il s'agit bien d'un changement de
méthode.
Vous pourrez m'objecter que cette unanimité est certainement due à l'absence
du Mouvement des entreprises de France, le MEDEF, de ce conseil
d'administration, et vous auriez raison. Mais, à vrai dire, je crois que le
MEDEF, en dévoilant voilà quelques jours ses propositions pour une réforme de
la sécurité sociale, révèle le sens profond de l'action qu'il mène depuis
plusieurs années : la fin du paritarisme et la privatisation de la sécurité
sociale.
M. Guy Fischer.
C'est scandaleux !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
C'est ainsi qu'il propose de
déléguer aux assureurs privés la gestion de l'offre de soins, sur la base d'un
versement forfaitaire qu'ils recevraient de l'Etat pour chaque assuré qu'ils
prendraient en charge. Il propose d'uniformiser les régimes de retraite et de
les transformer en régimes par points strictement contributifs. Il propose de
confier la gestion de l'assurance accidents du travail aux seuls employeurs.
Le projet du Gouvernement et de la majorité qui le soutient est évidemment
tout autre. Nous voulons renouveler le contrat qui lie l'Etat et les
partenaires sociaux pour une gestion solidaire de la sécurité sociale. Nous
voulons développer la qualité de notre système de soins mixte qui associe les
professionnels publics et libéraux, les caisses, les mutuelles et les
assurances complémentaires. Notre choix, c'est celui de la complémentarité pour
affirmer la solidarité face à la maladie.
Face aux propositions du MEDEF, je m'interroge sur les propositions de la
droite, et c'est toute la gauche qui doit prendre les Français à témoin des
risques majeurs pour notre cohésion sociale que comporterait la mise en oeuvre
des propositions du MEDEF.
En matière d'assurance maladie, ce serait la porte ouverte à la sélection des
risques. Qui peut croire, en effet, que des opérateurs privés ne tenteront pas
de n'attirer à eux que les personnes qui ont la chance d'être en bonne santé et
de ne pas être exposées à de lourdes dépenses de santé ? Comment les personnes
à faibles ressources ou qui souffrent d'affections graves seraient-elles
couvertes ? Le MEDEF ne le dit pas, mais la réponse est évidente : par un
régime public qui leur serait réservé.
Ce serait ni plus ni moins la sécurité sociale à deux vitesses, dont, j'en
suis certaine, les Français ne veulent en aucun cas.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Ce n'est pas notre
proposition !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
En matière de retraites, ce
serait la fin du système original que nous connaissons depuis plus de cinquante
ans. Ce système, auquel les Français sont très attachés, permet de concilier la
diversité des couvertures vieillesse selon les professions, et, en même temps,
la solidarité entre ces professions. Cette solidarité est assurée par des
mécanismes de compensation démographique et, à l'intérieur d'une même
profession, par diverses dispositions non contributives qui permettent à chacun
d'obtenir une bonne retraite malgré une carrière professionnelle ayant connu
des aléas importants.
La généralisation des régimes par points annonce l'étape suivante du projet du
MEDEF : l'entrée en force des fonds de pension, dont les conséquences
anti-redistributives sont certaines.
En ce qui concerne, enfin, les accidents du travail, comment croire que les
salariés, victimes potentielles des accidents, seraient mieux protégés si le
risque venait à être géré exclusivement par les employeurs ?
Je crois vraiment que nos concitoyens attendent d'autres réponses des
responsables politiques, car il y a en effet beaucoup à faire pour adapter ce
grand service public qu'est la sécurité sociale à des besoins en constante
évolution : il nous faut améliorer la régulation du système de santé sans créer
des discriminations dans l'accès aux soins ; il nous faut introduire dans nos
régimes publics de retraite la souplesse qu'en attendent nos concitoyens, quant
aux conditions des départs en retraite ; enfin, il nous faut améliorer la
réparation des accidents du travail, et notamment aller vers la réparation
intégrale.
Ce sont les orientations que le Gouvernement met en oeuvre dans ce projet de
loi de financement de la sécurité sociale. Vous ne serez donc pas surpris qu'il
souhaite en rester au texte adopté en nouvelle lecture à l'Asssemblée
nationale.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur
celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Vasselle,
rapporteur de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
madame la ministre, mes chers collègues, notre assemblée a été saisie, en
première lecture, de 71 articles. En effet, aux 34 articles initiaux du projet
de loi sont venus se greffer, les 24 et 25 octobre dernier, lors du débat à
l'Assemblée nationale, 37 articles additionnels, dont 19 articles sur
l'initiative du Gouvernement. Les 12 articles consacrés par le projet de loi à
l'assurance maladie et aux accidents du travail sont venus s'enrichir de 13
articles nouveaux insérés à la demande du Gouvernement.
C'est dire que le projet de loi initial déposé le 10 octobre dernier n'était,
de l'avis même du Gouvernement, qu'une première mouture préparée puis complétée
dans une certaine improvisation.
En première lecture, le Sénat a adopté une position conforme à celle de
l'Assemblée nationale sur 27 de ces 71 articles. Il en a modifié 16, sans en
remettre en cause, d'ailleurs, l'économie générale. En revanche, le Sénat a
amendé 18 articles de manière plus importante. Enfin, il a adopté 10 articles
additionnels, en contrepartie, en quelque sorte, de la suppression de 9
articles adoptés par l'Assemblée nationale.
A cette occasion, le Sénat a restitué à la sécurité sociale et au fonds de
solidarité vieillesse la totalité des recettes qui leur avaient été directement
ou indirectement « confisquées » au profit du FOREC. Il a également rejeté
solennellement l'Objectif national de dépenses d'assurance maladie, l'ONDAM,
estimant notamment que, bâti sur des hypothèses irréalistes, il ne serait pas
plus respecté que les précédents.
Réunie le 19 novembre dernier, la commission mixte paritaire n'a pu se mettre
d'accord sur les 54 articles qui restaient ainsi en discussion entre les deux
assemblées.
En nouvelle lecture, l'Assemblée nationale est revenue, pour l'essentiel, à
son texte de première lecture.
Elle n'a ainsi adopté que 11 articles conformes. Parmi ceux-ci, on peut
relever les articles 19
quater
et 19
sexies
visant à améliorer la
situation des travailleurs victimes de l'amiante, l'article 20
ter
A,
qui ouvre aux salariés agricoles le bénéfice des mesures précédemment définies
pour les salariés du régime général, en cas d'accident de trajet survenu lors
d'un covoiturage et, enfin, l'article 23
ter,
qui ouvre aux militaires
le bénéfice du congé et de l'allocation de présence parentale.
J'observe que le Sénat et, notamment, la commission, se sont montrés
particulièrement ouverts sur la question des accidents du travail, ce qui n'est
d'ailleurs pas une surprise. Cela me permet de dire à cette tribune que, même
si je ne suis pas intervenu pour les raisons que l'on connaît dans la
discussion générale sur la branche « accidents du travail », le Sénat a
démontré sa volonté d'apporter une contribution constructive à ce volet, qui
est certainement l'un de ceux sur lesquels l'Assemblée nationale et le Sénat
ont adopté des positions communes pour la plus grande part.
S'agissant de l'article 3, qui définit le régime d'affiliation des présidents
et des dirigeants des sociétés par actions simplifiées, à l'issue d'une seconde
délibération demandée par le Gouvernement, l'Assemblée nationale a adopté cet
article dans une version qui est désormais similaire, sur le fond, au
dispositif adopté par le Sénat en première lecture. Les intéressés seront ainsi
affiliés dans tous les cas au régime général des salariés.
Nous avons eu une longue discussion sur le sujet, aussi bien en commission
qu'en séance publique, et nous ne pouvons que nous réjouir de constater les
convergences de vues entre nos deux assemblées, même s'il a fallu au
Gouvernement demander une deuxième lecture pour parvenir à un accord.
Par ailleurs, l'Assemblée nationale a supprimé 5 articles additionnels
introduits par le Sénat, parmi lesquels l'article 3
ter
A relatif au
contrat d'activité agricole saisonnière, l'article 24
bis
donnant au
conseil d'administration de la Caisse nationale des allocations familiales, la
CNAF, un pouvoir de proposition sur l'utilisation des excédents de la branche
famille, et l'article 25
ter
modulant le montant de l'allocation de
rentrée scolaire en fonction du niveau d'études atteint par l'enfant du
bénéficiaire.
D'ailleurs, le Gouvernement ne pouvait pas faire autrement. L'amendement «
vendanges » a été adopté, puisque le Sénat l'a voté conforme. Seul l'amendement
relatif au contrat d'activité agricole saisonnière a fait l'objet d'un rejet,
l'Assemblée nationale n'ayant pas souhaité suivre le Sénat dans ses
propositions, ce qui est particulièrement regrettable.
En outre, l'Assemblée nationale est revenue, mot pour mot, à son texte adopté
en première lecture sur 17 articles. Les principaux articles concernés sont
ceux sur lesquels le point de vue de nos deux assemblées est irréconciliable.
Il s'agit, pour l'essentiel, des articles relatifs à la dette et aux recettes
du FOREC, aux prélèvements sur les excédents de la branche famille et à la
poursuite de la prise en charge par la CNAF des majorations de pensions pour
enfants.
Ont également été rétablis par l'Assemblée nationale l'article 32,
c'est-à-dire l'ONDAM pour 2002, l'article 34 fixant les plafonds d'avances de
trésorerie de divers régimes sociaux, dont le régime général, l'article 14
élargissant les missions du fonds pour la modernisation des établissements de
santé aux dépenses d'investissement et de fonctionnement - nous souhaitions
revenir aux missions d'origine dudit fonds - et, enfin, l'article 4 intégrant
dans le cadre général des « 35 heures » le dispositif spécifique d'allégement
de cotisations en faveur de l'embauche d'un premier salarié.
Enfin, l'Assemblée nationale a adopté, en les modifiant parfois de manière
substantielle, 14 articles modifiés ou introduits par le Sénat en première
lecture. La principale modification, qui résulte d'un amendement déposé par le
Gouvernement, concerne l'article 10 A ; il s'agit du système de
conventionnement. La nouvelle rédaction de cet article n'a, en réalité, plus
rien à voir avec celle qui a été adoptée en première lecture.
La méthode suivie par le Gouvernement apparaît, à cet égard, infiniment
critiquable.
Initialement adopté en première lecture sous la forme d'un « amendement
esquisse » qui ne comprenait que deux modestes paragraphes, l'article 10 A
s'est transformé à l'Assemblée nationale en un volumineux dispositif de quinze
paragraphes, occupant six pages de la « petite loi » adoptée par l'Assemblée
nationale !
Si l'article 10 A adopté en première lecture n'était qu'une « coquille vide »,
l'amendement que le Gouvernement a fait adopter constitue une réforme
considérable du cadre conventionnel régissant les relations entre les caisses
d'assurance maladie et les professions de santé.
Je vous rappelle, mes chers collègues, que cette réforme surgit en nouvelle
lecture du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale de
l'actuelle législature.
La commission s'interroge d'ailleurs sur la position qui sera celle du Conseil
constitutionnel face à cette tactique législative consistant, pour contrer sa
jurisprudence, à introduire en première lecture une coquille vide que l'on
remplit démesurément en nouvelle lecture, après réunion de la commission mixte
paritaire.
De par son ampleur et ses implications, cette réforme avait vocation, à
l'évidence, à figurer dans le projet de loi initial, tel qu'il a été déposé à
l'Assemblée nationale le 10 octobre dernier.
J'ajoute que cet amendement, déposé le 20 novembre, soit la veille du débat en
séance publique à l'Assemblée nationale, n'a pu, de ce fait, être examiné au
fond par les députés et n'a pu faire l'objet de la nécessaire concertation avec
les professions concernées, ce qui est particulièrement regrettable.
Sur le fond, le dispositif paraît encore loin d'être achevé. D'ailleurs, même
si le conseil d'administration de la CNAMTS l'a approuvé à l'unanimité, il a
fait remarquer le caractère inachevé de la proposition.
Le dispositif présenté institue, tout d'abord, un accord-cadre pour tous les
professionnels libéraux qui exerçent en ville. Conclu entre le Centre national
des professions de santé le CNPS, et les caisses pour une durée de cinq ans,
cet accord-cadre est censé fixer « les dispositions communes à l'ensemble des
professions ». Son contenu n'est toutefois pas clairement défini.
Comme à l'heure actuelle, chaque profession devra néanmoins négocier sa propre
convention, qui constitue le deuxième niveau du dispositif. Ces conventions
seront conclues pour une durée de cinq ans, au lieu de quatre aujourd'hui, et
définiront les tarifs de chaque profession et les engagements collectifs et
individuels des professionnels sur l'évolution annuelle ou pluriannuelle de
leur activité. Chaque convention devra définir les mesures destinées à assurer
le respect de ces engagements et prévoir les modalités de suivi annuel ou
pluriannuel de l'évolution des dépenses de la profession concernée.
Les engagements ainsi prévus peuvent être collectifs, donc s'appliquer à tous,
mais également individuels et laissés au libre choix des professionnels. Ils
deviennent alors une option conventionnelle qui peut donner lieu à des
rémunérations complémentaires sous la forme de forfaits.
Le dispositif proposé comporte donc, il faut le reconnaître, des avancées
indéniables. Toutefois - et c'est le principal reproche que l'on puisse
formuler à son égard - il laisse subsister, pour les professions non
signataires d'une convention, le mécanisme des lettres-clés flottantes que le
Sénat avait supprimé en première lecture, je le rappelle, mes chers collègues,
car nous considérons la suppression de cette sanction collective comme un
préambule à la négociation.
Cela explique qu'à l'exception de MG-France l'ensemble des syndicats de
médecins se soient d'ores et déjà déclarés hostiles à cette réforme, certains
jugeant que le maintien du mécanisme des sanctions collectives allait les
forcer à négocier « avec un revolver sur la tempe ».
En outre, la réforme ne résout pas le problème récurrent des relations entre
l'Etat et l'assurance maladie, ce que le conseil d'administration de la CNAMTS
a d'ailleurs regretté. Dans un texte adopté à l'unanimité, ce conseil a ainsi
estimé que cette réforme constituait, certes, une « opportunité » mais restait
largement « inachevée » dans la mesure où elle s'inscrivait dans le cadre
inchangé des relations entre l'Etat et l'assurance maladie et ne modifiait en
rien le fait que l'ONDAM ne repose pas sur des priorités sanitaires clairement
affichées.
Enfin, pour en terminer avec la présentation du texte qui nous est transmis en
nouvelle lecture, je vous précise encore que l'Assemblée nationale a adopté
deux articles additionnels : un article 18
nonies
relatif aux modalités
de prise en charge des médicaments rétrocédés par des établissements
hospitaliers à des patients non hospitalisés et un article 18
decies
qui
concerne le financement du plan Biotox.
Vous vous souvenez, mes chers collègues, que, lors de la première lecture au
Sénat, le Gouvernement avait proposé de faire supporter à l'assurance maladie
l'essentiel de la charge financière liée au finacement du plan Biotox. Il avait
ainsi déposé un amendement prévoyant, à hauteur de 1,3 milliard de francs en
2001, le versement d'une contribution de la CNAMTS au budget de l'Etat pour le
financement de ce plan.
Votre commission avait, à cette occasion, dénoncé la confusion de l'action
publique conduisant ainsi la sécurité sociale à financer la lutte contre le
bioterrorisme. Elle avait regretté qu'un message clair ne soit pas délivré à
l'attention de nos concitoyens comme de la communauté internationale, affirmant
sans ambiguïté qu'une telle politique relevait de la responsabilité de
l'Etat.
De fait, la commission avait considéré que la lutte contre le bioterrorisme
constituait pour le Gouvernement l'occasion unique d'affirmer l'existence d'un
véritable budget de la santé publique correspondant aux missions régaliennes de
l'Etat et distinct de celui de l'assurance maladie.
Suivant en cela sa commission des affaires sociales, le Sénat n'avait accepté
cet amendement qu'en le modifiant pour prévoir que la contribution de la CNAMTS
ne serait qu'une « avance » faite à l'Etat dans l'attente de la mobilisation
des moyens budgétaires nécessaires.
Ce n'est pas au moment où la branche maladie tend à connaître une accentuation
de son déficit qu'il fallait mettre à sa charge une dépense qui correspond à
des missions régaliennes de l'Etat. Cette prise de position du Gouvernement est
donc en complète contradiction avec les déclarations que vient de faire Mme le
ministre.
Il est regrettable qu'en nouvelle lecture l'Assemblée nationale soit revenue,
sur l'initiative de sa commission compétente, au texte initial de l'amendement
du Gouvernement.
D'une manière générale, l'Assemblée nationale a donc entendu signifier qu'elle
avait dit son dernier mot, et ce dès sa première lecture du projet de loi de
financement de la sécurité sociale pour 2002. Nous finissons par ne plus nous
en étonner. D'ailleurs, l'initiative qui avait été prise avec les agences
régionales de l'hospitalisation, les ARH, vient confirmer l'état d'esprit dans
lequel se trouvent à la fois l'Assemblée nationale et le Gouvernement à l'égard
du Sénat.
A l'évidence, les positions de nos deux assemblées sont incompatibles sur un
grand nombre des dispositions essentielles de ce projet de loi.
Ce constat est particulièrement évident en ce qui concerne, d'une part, la
mise à contribution de la sécurité sociale pour assurer le financement du FOREC
et, d'autre part, la régulation des dépenses d'assurance maladie. Sur ces deux
points, le Gouvernement et sa majorité ont totalement et délibérément ignoré,
voire déformé, la position exprimée par le Sénat.
Notre débat de première lecture sur le FOREC est, à cet égard, révélateur. Il
est à l'évidence inexact de dire, comme le Gouvernement, que le Sénat refuse la
loi relative à la réduction du temps de travail. La loi du 19 janvier 2000,
dite loi des 35 heures, est désormais une loi de la République, et elle
s'impose à nous comme à tous.
Ce que nous contestons, en revanche, c'est le détournement d'une partie des
recettes de la sécurité sociale afin d'assurer le financement du FOREC. Nous
n'avons rien dit d'autre ! Ces ponctions sont, en effet, contraires aux
engagements du Gouvernement, qui avait affirmé que le financement des
allégements de cotisations sociales devait demeurer « neutre » pour la sécurité
sociale. Or il n'en n'est malheureusement rien, comme le Sénat l'a démontré en
première lecture. A cet égard, je vous renvoie, mes chers collègues, à mon
rapport écrit, où vous trouverez des tableaux et des chiffres qui émanent de la
Commission nationale des comptes sociaux et de la direction de la sécurité
sociale.
En conséquence, au terme de ces cinq dernières lois de financement, et à
l'issue d'une période où la conjoncture a été exceptionnellement favorable, la
situation financière de la sécurité sociale est loin d'être aussi favorable que
veut bien l'annoncer le Gouvernement.
Privée désormais de toutes ses réserves, la sécurité sociale se trouve
aujourd'hui bien démunie pour faire face à un avenir incertain.
Ainsi, sur la base des informations qui nous ont été communiquées par la
direction de la sécurité sociale, il apparaît qu'à l'issue de la nouvelle
lecture à l'Assemblée nationale le déficit cumulé du régime général pour les
années 1998-2002, serait de 9,2 milliards de francs.
A cet égard, madame la ministre, il est un peu facile de prendre toutes les
années antérieures, y compris 1997, pour dénoncer un déficit qui était lié à
une conjoncture à la fois nationale et internationale particulière, et, pour
que le Gouvernement puisse sauver la face et garder un affichage positif
vis-à-vis de l'opinion publique, ne retenir que les années 1999 à 2002.
D'ailleurs, vous avez montré tout à l'heure encore que vous ne reteniez, de
toute la période 1998-2001, que les deux années qui accusaient un excédent du
régime général, passant du même coup sous silence les années de déficit. Il
faut intégrer l'année 1998.
Bref, lorsque l'on fait le cumul et des excédents et des déficits de la
sécurité sociale au cours des cinq exercices précédents, le déficit global est
de 9,2 milliards de francs. Telle est la situation nette !
Vous n'avez pas le droit, madame la ministre, de ne pas dire la vérité aux
Français. Nous, nous estimons de notre devoir de la leur dire et de rappeler
également aux Français que la loi de financement pour 2002 va entraîner, pour
toute la période, un déficit global de la sécurité sociale de 35 milliards de
francs !
Bien évidemment, vous vous gardez bien de le dire, laissant au gouvernement
qui sera en place en 2002 et qui, lui, sera obligé de donner les chiffres, le
soin d'annoncer la mauvaise nouvelle aux Français. Peut-être, d'ailleurs,
inconsciemment, espérez-vous ne plus être aux responsabilités...
(Exclamations sur les travées socialistes.)
M. Gilbert Chabroux.
Trop, c'est trop !
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Il faut la leur dire tout de suite.
Vous nous donnez rendez-vous au moment des élections, dans un discours très
politique. Mais, madame la ministre, ne vous inquiétez pas, nous serons avec
vous sur le terrain ; nous pourrons débattre avec les Français ; nous leur
annoncerons des chiffres qui n'émaneront pas de nous, mais de la commission
nationale des comptes sociaux, ceux de votre propre direction et de votre
propre administration, madame la ministre.
Vraiment, il est un peu facile de venir aujourd'hui nous donner des leçons et
nous entraîner sur un terrain politique. J'ai bien peur que vous ne vous
entraîniez vous-même sur un terrain glissant et je crains pour vous que le
résultat ne soit pas à la hauteur de vos espérances.
M. Gilbert Chabroux.
Attention à vous !
M. Roland Muzeau.
Grâce à vous, en 1997, c'était la faillite de la Sécu !
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Vous verrez, nous en reparlerons, certaines échéances vont
nous en donner l'occasion !
(Exclamations sur les travées socialistes ainsi
que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
Notre
devoir, c'est de dire la vérité aux Français, ce que, précisément, vous ne
voulez pas faire parce que vous avez trop peur de la sanction qui vous
attend.
M. Roland Muzeau.
La sanction, les Français vous l'ont infligée en 1997 !
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Par ailleurs, la commission constate que le projet de loi de
financement de la sécurité sociale pour 2002, tel qu'il nous revient de
l'Assemblée nationale, ne contient rien qui puisse s'apparenter à la définition
et à la mise en oeuvre de véritables priorités de santé publique, rien qui
puisse résoudre le problème à venir des retraites, rien, enfin, qui puisse
favoriser une politique familiale ambitieuse.
Pour certains, nous nous sommes simplement amusés à donner notre sentiment sur
les comptes. Mais, mes chers collègues, nous sommes allés bien au-delà des
comptes, comme le souhaitait, d'ailleurs, M. Chabroux, en commission des
affaires sociales, et le rapport annexé à l'article 1er démontre, si besoin
était, la volonté du Sénat de ne pas se contenter de donner un avis sur les
comptes de la sécurité sociale. Cela étant, il ne faudrait tout de même pas
oublier que nous sommes saisis d'un projet de loi de financement de la sécurité
sociale : si nous ne pouvons pas parler des comptes à cette occasion, quand en
parlerons-nous ?
Donc, il faut, certes, parler du fond, mais également des comptes.
M. Gilbert Chabroux.
Vous ne parlez que des comptes !
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Or, faute des moyens nécessaires pour mener une politique au
fond, puisque les comptes ne sont pas équilibrés, on peut, certes, philosopher
sur le sujet, mais ce n'est pas cela qui donnera aux Français la politique de
santé qu'ils souhaitent.
La commission vous proposera donc, dans un moment, mes chers collègues,
d'adopter une motion tendant à opposer la question préalable au projet de loi
de financement de la sécurité sociale pour 2002, tel qu'il nous a été transmis
en nouvelle lecture.
A notre avis, ce texte ne mérite malheureusement pas un autre traitement.
C'est la sanction que je vous appelle à voter pour que nous marquions très
nettement et très solennellement notre désaccord avec le Gouvernement sur la
question de la sécurité sociale.
(Applaudissements sur les travées du RPR et
des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
madame la ministre, mes chers collègues, analysant la nouvelle lecture du
projet de loi de financement à l'Assemblée nationale, notre excellent
rapporteur, Alain Vasselle, vient de souligner les profondes divergences
existant entre nos deux assemblées, mais également les débats constructifs que
nous avons pu avoir sur un certain nombre de questions ; je pense, en
particulier, aux accidents du travail.
Vous vous en souvenez, mes chers collègues, notre rapporteur, dans la
discussion générale, avait été emporté par un souci - au reste légitime, madame
la ministre - de vous répondre dans le détail parce que vous aviez, d'emblée,
trouvé le rapport de notre commission tantôt lacunaire, tantôt surabondant. Il
avait donc dû réserver pour la discussion des articles ses observations sur la
branche accidents du travail.
Malgré cela, vous aviez tenu, madame la ministre, à lui en faire immédiatement
le reproche, soulignant complaisamment le manque d'intérêt du rapporteur pour
cette question.
Aussi me suis-je livré à un rapide bilan des travaux du Sénat sur cette partie
du projet de loi.
En première lecture, le Sénat a adopté conformes six des dix articles du texte
transmis par l'Assemblée nationale. Quant à l'Assemblée nationale, en nouvelle
lecture, elle a adopté conformes, à son tour, trois articles introduits ou
modifiés par le Sénat. Cela veut donc dire que l'Assemblée nationale et le
Sénat se sont mis d'accord sur neuf des douze articles - neuf sur douze ! - que
comporte désormais le volet accidents du travail du projet de loi de
financement.
Vous aviez donc tort, madame la ministre, de faire un procès d'intention à
notre rapporteur et, à travers lui, à la majorité du Sénat.
Cette mise au point étant faite, j'en viens à la raison qui m'a conduit à
intervenir dans cette discussion générale, alors que je n'avais pas trop envie
de le faire.
Mais vous avez déclaré, madame la ministre, le 21 novembre dernier, que notre
majorité sénatoriale avait - je vous cite -, « volontairement et grossièrement
travesti la réalité ».La droite avait fait - je vous cite toujours - « une
présentation trompeuse des comptes sociaux ».
M. Gilbert Chabroux.
C'est vrai !
Mme Nelly Olin.
Non !
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Lisez mon rapport !
M. Nicolas About,
président de la commission.
Ces propos n'ont pas été prononcés dans le
feu d'un échange où, parfois, les mots dépassent la pensée : ils figurent dans
votre intervention liminaire, madame la ministre, lors de la nouvelle lecture à
l'Assemblée nationale.
Aussi, je vous le dis, madame la ministre, avec un peu de solennité, ces
propos dépassent ce qui est admissible venant d'un ministre en exercice
s'adressant à une assemblée législative et, de fait, à l'une de ses commissions
permanentes.
Nous ne sommes pas - du moins, pas encore - sous les préaux des campagnes
électorales : nous débattons d'un projet de loi.
Les finances sociales sont un domaine fort complexe, particulièrement cette
année, où nous cumulons le passage à l'euro et l'introduction d'une nouvelle
présentation des comptes en droits constatés.
Cela ne facilite pas la communication et favorise les quiproquos.
Aussi, pour plus de prudence, notre commission n'a-t-elle travaillé qu'avec
des chiffres officiels et publics, c'est-à-dire ceux qui sont produits par
votre ministère, par la Cour des comptes ou encore par la commission des
comptes de la sécurité sociale, que vous présidez, madame la ministre.
Le « travestissement grossier » que vous évoquez n'est que l'énoncé factuel,
la mise bout à bout ou encore l'inscription noir sur blanc de ces chiffres.
Le tableau que nous avons publié en première lecture, et actualisé à l'issue
de la nouvelle lecture à l'Assemblée nationale, n'est pas « trompeur » : il est
incontestable.
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Tout à fait !
M. Nicolas About,
président de la commission.
J'ajouterai qu'il se cale, pour l'exercice
2002, sur les comptes « à la manière du Gouvernement », c'est-à-dire selon les
prévisions qu'il a lui-même retenues tant pour l'évolution de l'ONDAM que pour
les évaluations de recettes.
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Très bien !
M. Nicolas About,
président de la commission.
Cela vous a d'ailleurs permis d'affirmer que
même M. Vasselle reconnaissait que la sécurité sociale serait en excédent pour
2002 !
Au passage, cela montre bien que, lorsque l'on essaie de circonscrire un débat
et d'engager un dialogue avec vous, madame la ministre, on en est rarement
récompensé !
(Sourires.)
Car, précisément, nous n'avons pas voulu confondre le constat accablant qui
ressort spontanément des chiffres officiels, avec l'inévitable polémique qui
naîtrait de l'évocation du caractère audacieux des paris pris par le
Gouvernement en matière d'évolution des dépenses d'assurance maladie ou de taux
de croissance de l'économie.
Au total, madame la ministre, notre commission - est-il besoin de le préciser
- maintient l'intégralité de ses chiffres, qui sont des chiffres officiels, des
chiffres publics, des chiffres incontestables.
Elle regrette votre difficulté à nouer le dialogue - vous voyez comme, au
Sénat, on use de termes mesurés !
(Nouveaux sourires.)
Elle déplore vivement, en revanche, les propos inadmissibles que vous avez
eus à l'Assemblée nationale, pour qualifier nos travaux.
Monsieur le président, mes chers collègues, je terminerai mon intervention en
félicitant notre rapporteur, M. Alain Vasselle, de l'excellent travail qu'il a
accompli.
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Merci, mon cher collègue !
M. Nicolas About,
président de la commission.
Je veux, à travers lui et à travers vous qui
êtes présents ce soir, mes chers collègues, remercier l'ensemble de la
commission et tous ceux qui, au Sénat, s'intéressent aux affaires sociales.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du
RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après l'échec
de la commission mixte paritaire, échec prévisible tant les approches du Sénat
et de l'Assemblée nationale sur la protection sociale sont différentes, les
députés sont revenus sur les dispositions inopportunes introduites, sur
l'initiative de la commission des affaires sociales, par la Haute Assemblée en
première lecture, et ont rétabli, pour l'essentiel, le texte adopté
initialement.
Sur un point majeur, le cadre conventionnel régissant les relations entre les
caisses d'assurance maladie et les professions de santé, le projet de loi a été
complété.
Ce renouveau conventionnel est attendu par l'ensemble des professionnels de
santé hostiles aux mécanismes de sanctions collectives dont vous avez, en
d'autres temps, messieurs de la majorité sénatoriale, vanté les mérites pour
freiner l'évolution des dépenses de santé.
L'architecture à trois étages retenue est susceptible de rassembler.
Toutefois, madame la ministre, pour être efficace et pour responsabiliser les
acteurs, le mode de régulation retenu devra impérativement recevoir l'aval des
professionnels demandeurs d'une « maîtrise médicalisée et concertée des
dépenses ».
La négociation doit permettre les évolutions utiles pour l'assurance maladie.
Cette nécessité de renouer le dialogue est d'autant plus forte que,
aujourd'hui, le MEDEF avance à grands pas pour mettre à mal la protection
sociale française, faisant fi de ses principes fondateurs d'égalité, de
solidarité entre concitoyens, de solidarité entre les générations.
Les propositions du MEDEF, présentées par M. Denis Kessler le 20 novembre
dernier à Strasbourg, reposent notamment sur la fin du paritarisme et du
monopole de la sécurité sociale sur la couverture maladie obligatoire. Elles
nous amènent à redoubler de vigilance et renforcent notre détermination à voir
effectivement conduites les réformes de fond visant à asseoir et à développer
la protection des Français contre les aléas de la vie.
La privatisation de la sécurité sociale, présentée comme le prix à payer pour
optimiser les ressources et réduire les dépenses de santé, n'est pas une idée
neuve que défendrait seule l'organisation patronale.
Même si la droite semble embarrassée par cette offensive, comme le titraient
Les Echos
du 21 novembre, il n'en demeure pas moins qu'elle pense depuis
longtemps, elles aussi, à « organiser la concurrence en matière de sécurité
sociale », et je cite là M. Goulard.
Démocratie libérale n'est malheureusement pas la seule force politique de
droite désireuse de voir diminuer la part de la richesse nationale consacrée à
la santé. A de nombreuses reprises, nous vous avons entendus ici même, mes
chers collègues, plaider la cause des médecins et des infirmières de l'hôpital
de votre circonscription et des cliniques privées, tout en faisant grief au
Gouvernement, non sans démagogie, de dilapider les fruits de la croissance.
Comment, à recettes constantes, faire bénéficier chacun des progrès
scientifiques ? Comment développer la prévention ?
Lors des discussions relatives à la couverture maladie universelle, la CMU,
alors que nous prenions appui sur ce qui me paraît constituer l'une des plus
importantes avancées sociales de ces dernières décennies pour tenter
d'améliorer le niveau de la couverture des besoins de santé de tous les
Français et élargir le champ de la protection sociale, vous vous empressiez
d'ouvrir largement le domaine de la santé, marché comme un autre à vos yeux,
aux opérateurs de soins privés, tels que les organismes d'assurances et les
institutions de prévoyance.
A la quasi-unanimité, les syndicats ont condamné le projet alternatif du
MEDEF.
Tous rejettent la délégation aux assureurs privés de la gestion de l'offre de
soins. Alain Olive, de l'Union nationale des syndicats autonomes, l'UNSA,
résume fort justement la situation.
M. Nicolas About,
président de la commission.
Vous me regardez, mais je ne suis pas le
MEDEF !
M. Guy Fischer.
Si je vous regarde, c'est que je m'adresse à l'ensemble de notre assemblée, et
plus particulièrement à sa majorité !
M. Nicolas About,
président de la commission.
Pardonnez-moi de vous avoir interrompu.
M. Guy Fischer.
J'essaie de parler tout en regardant mon auditoire !
Alain Olive, donc, résume fort justement la situation : « La mise en
concurrence ne va pas résoudre le problème de gestion et de maîtrise de santé.
En revanche, elle va accumuler les inégalités. » C'est en effet la porte
ouverte à la sélection des personnes en raison de leurs ressources, de leur
handicap ou affection lourde.
Si vous vous rappelez quelle fut l'attitude des assureurs privés, AXA en
l'occurrence, prompts à se désengager de la couverture des personnes
handicapées lorsque cette dernière devenait trop lourde, vous comprendrez que
nous n'adhérions pas à la thèse soutenue pour, prétendument, moderniser
l'assurance maladie.
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Ce n'est pas sur les propositions du MEDEF que nous votons ce
soir !
M. Guy Fischer.
Les solutions radicales préconisées pour les autres branches sont tout aussi
condamnables, car elles incitent au désengagement des entreprises du
financement et de la gestion des actions. C'est particulièrement vrai pour la
politique familiale, qui serait entièrement financée par la CSG.
Que dire de la fusion envisagée de tous les régimes de retraite obligatoire
des salariés en un régime par points strictement contributifs, et de l'idée,
une fois de plus caressée, d'augmenter la durée de cotisation requise pour
pouvoir prétendre à une retraite à taux plein, si ce n'est que ces
revendications se « heurtent à la pratique des entreprises et aux
revendications des salariés », comme l'a souligné Alain Deleu, de la CFTC ?
La majorité sénatoriale a déjà pris position sur cette question, jouant du
catastrophisme pour imposer la promotion des fonds de pension.
Que dire enfin du système envisagé pour les accidents du travail et les
maladies professionnelles, dont la gestion serait laissée aux seuls employeurs,
ou de la diminution des cotisations engagées, si ce n'est que ces choix
n'optimiseraient pas plus la protection des salariés que la prévention ?
Pour des raisons bien éloignées de celles du MEDEF ou de la droite
sénatoriale, qui refuse le projet de loi de financement de la sécurité sociale
sans pour autant proposer d'alternative claire, les parlementaires communistes
ont été et restent globalement assez critiques sur les réponses qu'apporte le
projet de loi à ces questions.
Certes, des avancées ont été obtenues en matière d'accidents du travail ou de
maladies professionnelles, puisque l'engagement a été pris d'une réparation
intégrale, et notre groupe, en particulier Marie-Claude Beaudeau, a apporté une
contribution décisive. Mais, hormis ce point positif, qu'il s'agisse de
l'assurance maladie, des retraites ou de la politique familiale, les
dispositions envisagées ne nous semblent être à la hauteur ni des réalités ni
des enjeux.
En ce qui concerne la retraite, tout d'abord, nous avons pris acte de
l'adoption par l'Assemblée nationale, lors de l'examen du budget de l'emploi,
de l'allocation équivalent retraite garantissant aux chômeurs et aux inactifs
un revenu minimum de 5 750 francs par mois jusqu'à l'âge de la retraite. Pour
autant, madame la ministre, nous continuons de soutenir l'idée d'un
développement de la retraite à taux plein avant l'âge de soixante ans, dès lors
que quarante annuités de cotisations sont acquises.
Tel était d'ailleurs le sens de la proposition de loi du groupe communiste,
présentée mardi à l'Assemblée nationale et qui n'a pu être discutée.
Nous regrettons vivement votre attitude, madame la ministre.
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Ah !
M. Guy Fischer.
Nous contestons l'invocation d'arguments comptables lorsqu'il s'agit de
mesures de justice sociale. Les députés du groupe communiste et apparentés
étaient ouverts à une progressivité du dispositif ; l'alternative n'était pas
tout ou rien, et ils auraient pu, par leurs propositions, contribuer à faire
avancer le dossier. C'est dans ce sens que nos collègues députés, je le répète,
ont vivement regretté votre attitude, madame la ministre.
Aussi avons-nous déposé sur le bureau du Sénat une proposition de loi ayant un
objet similaire. Je suis convaincu que cette question reste et restera
d'actualité et que nous aurons l'occasion de la faire progresser ensemble, si
vous voulez bien nous écouter.
En ce qui concerne, ensuite, les personnels hospitaliers, qui continuent de
s'inquiéter des conditions dans lesquelles la réduction du temps de travail
sera mise en oeuvre, nous avons dit clairement qu'il fallait entendre la
lassitude actuelle des agents hospitaliers et des médecins qui, déjà, souffrent
de leurs horaires, des repos et des congés décalés, de la surcharge de travail
liée aux pénuries chroniques de personnels. Il convient en conséquence de
répondre correctement à leur demande de recrutements en nombre suffisant, pour
que la réduction du temps de travail soit effective et synonyme de progrès
social.
Nous avons sollicité de votre part, madame la ministre, un certain nombre de
réponses sur l'association effective au comité de suivi des syndicats non
signataires de la convention, faute de vous voir accepter la réouverture des
négociations nationales demandée de nouveau cette semaine par les syndicats
majoritaires CGT, FO, CFTC et SUD.
Pour ce qui est de l'affichage des moyens nouveaux concédés, des
clarifications nous paraissent toujours indispensables.
Enfin, au sujet des cliniques privées et du ciblage des 1,7 milliard de francs
nouveaux dégagés, la droite sénatoriale, en première lecture, nous avait
beaucoup reproché notre scepticisme, notre archaïsme. C'était malheureusement
de la clairvoyance de notre part, puisque la fédération de l'hospitalisation
privée a annoncé, il y a deux jours, son refus de revaloriser les salaires
avant février 2002 et a fait part des difficultés pour répartir l'enveloppe
débloquée, faute de bilan social fiable de la branche. C'est un comble !
Les infirmiers et les personnels soignants, mis en avant par les patrons des
cliniques lorsqu'ils ont voulu exercer leur chantage, sont aujourd'hui plus
inquiets que jamais, car les dotations débloquées pour 2001 et 2002 ne
répondent pas à leurs revendications. Il est vrai que ce matin, madame la
ministre, lors de votre audition par la commission, vous nous avez un peu
rassurés sur ce point.
Notre volonté est justement de poursuivre le débat sur les points précis que
nous venons de discuter. Par conséquent, vous comprendrez, mes chers collègues,
que nous ne puissions voter la question préalable présentée par la commission
des affaires sociales : son adoption aurait pour effet de couper court à toute
discussion de ce projet de loi, qui est important parce qu'il conditionne les
choix de société de demain.
(Applaudissements sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen.)
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je répondrai brièvement à M.
Fischer, avant de vous quitter en raison de mes obligations ; mais M. Kouchner
me relaiera au banc du Gouvernement.
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué à la santé.
Je ne saurai jamais la remplacer !
(Sourires.)
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je voudrais revenir sur la
question des retraites et des quarante annuités.
La discussion, avez-vous dit, n'a pu avoir lieu. La discussion a eu lieu :
c'est le vote qui n'a pas eu lieu. L'Assemblée nationale a discuté toute une
matinée sur cet important sujet, qui, de plus, avait déjà été abordé en
première lecture, au moment de l'examen du projet de loi de financement de la
sécurité sociale.
M. Fischer a souligné que le groupe communiste était ouvert à des solutions
progressives. Or le Gouvernement a déposé, lors de la première lecture du
projet de loi de financement de la sécurité sociale à l'Assemblée nationale, un
amendement dont l'adoption a représenté une première étape, à savoir la
création d'une allocation « équivalent retraite », attribuée dans un premier
temps aux inactifs - un jour, il faudra aller plus loin ! -, c'est-à-dire aux
personnes qui, pour quelque raison que ce soit, sont demandeurs d'emploi. Dès
lors que, bien qu'âgées de moins de soixante ans, elles auront cotisé quarante
annuités, cette allocation leur permettra de bénéficier d'un équivalent
retraite d'un montant minimal de 5 000 francs et maximal de 5 750 francs,
compte non tenu - et c'est extrêmement important - des ressources du
conjoint.
Cette mesure montre dans quelle direction nous souhaitons aller, et j'espère
que nous irons de concert, comme vous l'avez souhaité tout à l'heure.
Il nous semble tout à fait légitime que des personnes qui ont commencé à
travailler tôt et qui ont acquitté quarante annuités de cotisations puissent
partir à la retraite avant d'avoir atteint l'âge de soixante ans. Ce sont
souvent des personnes qui ont accompli un travail pénible - travail à la
chaîne, travail de nuit - et qui, arrivées à la cinquantaine, sont
fatiguées.
Néanmoins, il nous paraît préférable d'étudier cette question en même temps
que l'ensemble de la réforme des retraites : en effet, il faudra aussi
permettre aux personnes qui ont commencé à travailler plus tard de travailler
plus longtemps, lorsqu'elles le souhaitent.
De plus, le coût immédiat de la mesure telle qu'elle a été proposée par le
groupe communiste à l'Assemblée nationale est extrêmement important. Je tiens
les chiffrages à votre disposition : ce coût s'élève, en net, à 57 milliards de
francs.
Enfin, une telle mesure ne résoudrait pas la question de la retraite
complémentaire. Je rappelle que les retraites complémentaires - qui sont
décidées par les partenaires sociaux, contrairement à la retraite de base -
sont considérablement réduites lorsque l'âge du départ à la retraite s'abaisse
: à cinquante-cinq ans, il n'y a pas de retraite complémentaire. Je ne pense
donc pas que l'on puisse s'engager dans cette voie.
Encore une fois, la question est absolument légitime, et nous avons posé un
premier jalon. Nous devons régler cette question lorsque nous procéderons à la
réforme générale des retraites - cela se fera nécessairement très vite après
les prochaines élections législatives -, et nous devrons la régler en liaison
avec celle des retraites complémentaires.
C'est pour cette raison que le Gouvernement n'a pas souhaité poursuivre plus
avant l'examen de la proposition de loi, même s'il a la volonté - et je l'ai
dit devant l'Assemblée nationale -, dans le cadre de cette réforme globale des
retraites, de traiter les situations humaines qui nous touchent et que nous
connaissons tous.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Question préalable