SEANCE DU 1ER DECEMBRE 2001
M. le président.
Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi de finances concernant
le ministère des anciens combattants.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Jacques Baudot,
rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Monsieur le secrétaire d'Etat, avant
d'entamer l'examen des crédits pour 2002 de votre secrétariat d'Etat, je tiens
à rendre hommage au travail accompli par votre prédécesseur, qui a rejoint nos
travées et qui ne manquera pas, j'en suis sûr, de poursuivre ainsi l'action
qu'il a si positivement menée en faveur du monde combattant durant les années
où il présidait à sa destinée.
J'en profite également, monsieur le secrétaire d'Etat, pour vous souhaiter la
bienvenue dans la Haute Assemblée. C'est une première, car, depuis vingt ans,
vous avez été plus habitué à siéger au sein de la chambre basse du Parlement,
où vous vous êtes spécialisé - comme moi ici - dans la défense du monde des
anciens combattants !
Défendant un budget que vous n'avez pas préparé, monsieur le secrétaire
d'Etat, c'est en quelque sorte votre baptême du feu, et je vous souhaite
sincèrement bonne chance dans cet intérim que vous allez assurer jusqu'en juin
prochain. Nous espérons tous que vous ne gérerez pas uniquement les affaires
courantes de ce secrétariat d'Etat.
Venons-en maintenant à l'analyse des crédits de votre portefeuille, qui ne me
semble, au départ, pas très garni ! Sa perte de valeur est indéniable.
En tout cas, j'ai lu, dans le compte rendu des débats de l'Assemblée nationale
paru au
Journal officiel,
que ce budget avait été sévèrement critiqué
par des membres éminents de la majorité plurielle, et particulièrement par l'un
de vos amis, je veux parler de M. Georges Sarre, qui s'est exprimé en ces
termes : « Ce projet de budget des anciens combattants manque singulièrement
d'ambition. Il manque de ce souffle, de cette volonté d'honorer dignement ceux
qui, hier, se sont battus pour notre nation ».
Vous me direz que c'est une bonne introduction...
En raison tout à la fois des transferts du budget des anciens combattants vers
la défense, de l'intégration, au sein du budget des anciens combattants, de
lignes budgétaires relevant antérieurement des charges communes et du passage à
l'euro, les crédits du secrétariat d'Etat aux anciens combattants manquent un
peu de lisibilité. Rien à voir, de ce point de vue, avec le calcul du rapport
constant, me direz-vous !
Je vais donc tenter, sans trop vous abreuver de chiffres, de vous présenter le
projet de budget pour 2002 tel qu'il est issu des travaux de l'Assemblée
nationale, le 7 novembre dernier et le 19 novembre, pour la deuxième
délibération.
Les crédits du secrétariat d'Etat aux anciens combattants prévus au projet de
loi de finances pour 2002 s'élèvent à 3,63 milliards d'euros, soit 23,798
milliards de francs, ce qui semble constituer une infime augmentation - 0,02 %
- par rapport aux crédits pour 2001.
Ce n'est en effet qu'une apparence, en raison des transferts entre sections
dont je viens de parler, auxquels il nous faut ajouter la diminution mécanique
du nombre de parties prenantes - à peu près 4 % - sachant que le nombre de
pensionnaires diminue, tandis que le nombre de bénéficiaires de la retraite du
combattant monte en puissance. Il faut y voir l'effet, d'une part, de l'arrivée
en âge des anciens combattants d'Afrique du Nord, d'autre part, de l'extension
des conditions d'attribution de la carte du combattant depuis 1997.
Quoi qu'il en soit, le chiffre que nous retiendrons ce soir est celui de 3,63
milliards d'euros. J'y reviendrai ultérieurement, mais, dès à présent, je tiens
à insister sur les trois amendements gouvernementaux, adoptés par l'Assemblée
nationale, par lesquels vous avez majoré, d'une part, les crédits de l'ONAC,
l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre, de 1,52
million d'euros et, d'autre part, le chapitre 46-20 en faveur des ayants cause
des anciens combattants des anciennes colonies, pour le même montant, et,
enfin, le chapitre 46-40 en faveur, notamment, des actions de mémoire, pour 47
100 euros.
Les crédits d'intervention représentant 98 % du budget global, essentiellement
constitués par la dette viagère, je noterai que la subvention de fonctionnement
de l'ONAC progresse de 3,5 %, pour atteindre un montant total de 38,7 millions
d'euros, et que celle de l'INI, l'Institution nationale des invalides, diminue
de 8,6 %, représentant 6,24 millions d'euros.
Concernant l'ONAC, cette augmentation devrait lui permettre d'entamer la
réalisation de son projet « Nouvel élan pour l'ONAC », en poursuivant,
notamment, la mise aux normes de ses maisons de retraite qui, je le sais, est
en cours.
J'aimerais cependant que vous nous confirmiez ou que vous nous infirmiez,
monsieur le secrétaire d'Etat, l'information selon laquelle l'Etat envisagerait
de ne pas verser à l'ONAC la subvention de fonctionnement de 60 millions de
francs votée dans le cadre du dernier budget. J'ai lu les débats de l'Assemblée
nationale et, pas plus que les députés, je n'ai constaté de « oui » franc ou de
« non » franc, tout juste un « oui, mais » ou un « non, mais ». Je n'ai pas
compris. J'attends donc de vous, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous nous
disiez si c'est oui ou si c'est non !
M. Jacques Floch,
secrétaire d'Etat à la défense chargé des anciens combattants.
C'est un «
oui » franc !
(Sourires.)
M. Jacques Baudot,
rapporteur spécial.
Concernant l'INI, je rappellerai qu'elle est
désormais intégrée dans le service hospitalier et qu'elle perçoit, à ce titre,
la dotation globale hospitalière.
L'INI, qui s'est, par ailleurs, engagée à améliorer la qualité et la sécurité
des soins qu'elle délivre, devrait obtenir prochainement son accréditation
hospitalière.
Par un formidable effet d'annonce auquel nous a, certes, habitués votre
gouvernement, vous nous proposez, monsieur le secrétaire d'Etat, quatre
nouvelles mesures. Personnellement, je n'en dénombre que deux, et je m'en
explique.
Premièrement, l'article 61, qui prévoit le relèvement de cinq points du
plafond majorable de la rente mutualiste, n'est en fait qu'une simple
application de l'indice de référence, à savoir le point de pension militaire
d'invalidité, tel qu'il a été décidé dans la loi de finances pour 1998. Je ne
vois pas là grand-chose de novateur !
Je voudrais rappeler que, contrairement à l'engagement du Gouvernement - ou,
plus précisément, du Premier ministre, Lionel Jospin, alors candidat à
l'élection présidentielle - les cent trente points permettant d'accéder au
plafond de 10 000 francs ne seront pas atteints avant la fin de la législature.
Nous le répétons tous les ans, mais cela reste vrai !
La seconde de ces « nouvelles » mesures vise à rétablir l'unicité du point des
pensions d'invalidité. C'est l'objet de l'article 64.
Là non plus, il n'y a pas vraiment de surprise ! Depuis deux ans que
s'appliquait l'échelonnement, je dois vous avouer que nous attendions
logiquement ce solde. Faute d'être surpris, je dois, en revanche, vous faire
part de mon étonnement quant au montant alloué à cette opération. Il me semble,
en effet, nettement sous-évalué : 2,59 millions d'euros, soit 17 millions de
francs, au lieu des 35 millions de francs considérés comme nécessaires pour
solder ce dossier.
Après ces deux fausses nouvelles mesures, j'aborderai les deux réelles ; car
il y en a tout de même deux !
Elles concernent les grands invalides et leurs veuves. Monsieur le secrétaire
d'Etat, leur cas est prioritaire car, en plus du sacrifice de leur jeunesse
sous les drapeaux, ils ont, une vie durant, porté le fardeau d'une blessure ou
d'une maladie. Il n'est que justice de tenter d'adoucir leur peine.
L'article 63 accorde aux bénéficiaires d'une pension d'invalidité le droit à
la retraite du combattant dès soixante ans. C'est une bonne mesure, et nous
nous en réjouissons, tout en déplorant qu'aucun geste, même minime, n'ait été
accompli en direction des anciens combattants non pensionnés.
Admettant que l'extension de cette mesure à tous les anciens combattants
pesait trop lourd sur le budget, j'avais pourtant proposé, l'année dernière
déjà - mais je n'avais pas été le seul - plusieurs pistes de réflexion : elles
n'ont pas même été étudiées.
J'avais ainsi proposé un passage progressif, en une ou deux étapes, à soixante
ans ou, tout simplement, le relèvement de l'indice, l'indice 33, qui, je vous
le rappelle, est bloqué depuis 1977.
Seconde nouvelle mesure « réelle », l'article 62 prévoit l'augmentation de
cent vingts points de la pension des veuves de grands invalides, soit près de
10 000 francs par an. Quoi de plus normal ? Le sacrifice de ces femmes fidèles
et courageuses méritait la considération de la société.
Je ne puis, toutefois, m'empêcher de penser aux veuves de combattants qui, si
elles n'ont pas partagé le poids d'une invalidité, se retrouvent souvent
démunies au décès de leur mari. Heureusement, le 7 novembre dernier, peut-être
mu par un remords, vous avez alimenté les comptes de l'ONAC de 10 millions de
francs supplémentaires.
L'intervention de l'ONAC, dans sa mission sociale, est fondamentale, tout
particulièrement auprès des veuves.
Cela étant, permettez-moi de jeter un regard critique, monsieur le secrétaire
d'Etat, sur votre récente initiative de proposer la désignation, dans chaque
mairie, d'un interlocuteur chargé d'« écouter » les veuves et les orphelins -
on ne voit d'ailleurs pas ce qu'il pourrait faire d'autre, puisqu'il ne
disposera pas de crédits - et votre appel aux maires, les priant de leur rendre
hommage. Au regard du désappointement et du dénuement de ces femmes, cette idée
semble bien dérisoire et sans fondement. Je dirai presque que vous jetez de la
poudre aux yeux.
Bien que cette mesure ne soit pas, à proprement parler, budgétaire, je
n'oublierai pas l'article 64
bis,
voté en deuxième délibération, à la
suite d'un amendement de la commission des affaires culturelles de l'Assemblée
nationale, et visant à présenter au Parlement, avant la discussion budgétaire
prochaine, un rapport d'évaluation du coût de la mise en place de centres de
soins de proximité adaptés au traitement des psychotraumatismes de guerre.
J'espère que les crédits pour 2003 - je pense que vous allez vous en occuper
pendant les six mois qui viennent - concrétiseront les conclusions de ce
rapport attendu.
A la fin de ce débat, il nous sera demandé, mes chers collègues, de nous
prononcer sur ces mesures. Il est évident que, malgré la modicité de ces
avancées, nous ne pourrons que leur accorder notre approbation.
J'aborderai maintenant les dossiers que le projet de budget a totalement
passés sous silence.
Il n'est pas dans mon intention de faire un catalogue, comme celui de
La
Redoute,
des multiples revendications du monde combattant. Je mettrai
seulement le doigt sur les dérobades de votre gouvernement face à des doléances
légitimes.
J'évoquerai, tout d'abord, le problème des anciens combattants d'outre-mer.
Vous savez combien ce dossier me tient à coeur. Je considère, en effet, que le
geste symbolique accompli à l'Assemblée nationale ne constitue pas, à
proprement parler, un début de solution.
Alors qu'en ces lieux-mêmes votre prédécesseur annonçait, il y a tout juste un
an, et dans les mêmes circonstances, la mise en place d'une commission
tripartite chargée d'étudier les conditions d'une décristallisation des
pensions servies à nos anciens compagnons d'armes, hélas ! il a attendu la
semaine de son départ du Gouvernement pour la réunir. Nos anciens combattants
d'outre-mer ont attendu un an !
Dans ces conditions, le budget pour 2002, tel qu'il a été soumis à notre
approbation à l'issue de l'arbitrage, était, bien entendu, silencieux sur leur
sort.
Sous la pression des parlementaires, j'ai moi-même déposé une proposition de
loi soumettant l'idée d'un dégel des retraites seules, comprenant que l'effort
financier global serait difficilement assimilable en une fois, ce dont nous
étions tous conscients. Vous avez donc abondé les comptes du chapitre 46-20
d'une somme de 1,52 million d'euros en faveur de leurs ayants cause. Nous ne
pouvons qu'approuver, monsieur le secrétaire d'Etat, ce « repentir ».
De même, nous apprécions la démarche accomplie en direction des harkis : le 25
septembre est désormais une date officielle de commémoration, mais je pense que
ces combattants n'ont pas encore obtenu, de la part de la communauté nationale,
la reconnaissance qu'ils méritent.
Ne pensez donc pas que cette ébauche de mesure, accordée en fin de débat pour
calmer le mécontentement de parlementaires scandalisés par l'ingratitude
prolongée du Gouvernement, suffise à nous satisfaire. Un geste en direction des
anciens combattants du Maghreb, de loin les plus défavorisés, aurait prouvé une
volonté réelle de sortir de ce coupable et durable « oubli ».
Je profite de l'opportunité qui m'est offerte d'aborder le problème des
anciens combattants d'outre-mer pour attirer votre attention, monsieur le
secrétaire d'Etat, sur ce qui n'est, très certainement, qu'une erreur
administrative.
L'année passée, votre prédécesseur avait levé la forclusion qui frappait le
droit à la retraite du combattant. Or seuls les anciens d'Afrique ont profité
de cette mesure. En effet, les anciens d'Indochine, certes très peu nombreux,
ont été exclus du dispositif, mais je sais que vous allez nous en parler.
Je ne doute pas un instant de la bonne foi du Gouvernement dans cette
omission, vu la modicité des sommes en jeu, mais il serait souhaitable - nous
le demandons même instamment - par souci d'équité, d'y remédier au plus
vite.
Venons-en maintenant à ce que je qualifierai de « pirouette » ; je veux parler
du dossier récurrent des RAD-KHD. Après avoir sollicité l'engagement
conditionnel de l'« entente franco-allemande », qui vous l'a accordé dès 1998,
le Gouvernement a alors demandé l'évaluation chiffrée du nombre de
bénéficiaires potentiels.
Si, comme vous l'affirmez aujourd'hui, le Gouvernement n'a jamais eu
l'intention de verser quoi que ce soit, pourquoi diable ce comptage ? Pourquoi
faire naître un légitime espoir chez les intéressés ?
Comment y voir autre chose qu'une manoeuvre dilatoire ? Je m'élève d'autant
plus contre votre refus d'apporter une solution à ce dossier - vous y
remédierez peut-être d'ici à la fin de notre débat - qu'il appelle une dépense
non reconductible, nous le savons, alors que l'utilisation du différentiel
budgétaire aurait largement suffi à mettre fin à ce contentieux.
Pis encore, s'il est possible, l'arrêté du 25 juillet dernier, paru au
Journal officiel
du 27 juillet - la date elle-même est suspecte,
c'étaient les vacances ! - et signé par votre prédécesseur peu avant son
départ, a pour objet de réduire le montant de l'indemnité d'hébergement versée
durant les séjours en cure thermale. Vous connaissez bien ce dossier, vous en
avez hérité. Non seulement cette économie de bouts de chandelle est mesquine,
mais, en plus, elle est dangereuse, car elle tend à « socialiser » le droit à
réparation.
Je ne céderai pas à la tentation de m'engager dans la négociation de marchand
de tapis à laquelle incite cette mesure : elle est indigne du monde combattant,
pour lequel j'ai trop de respect. Mais je me permettrai de vous rappeler,
monsieur le secrétaire d'Etat, que nous ne devons pas nous tromper de budget.
Nous ne sommes pas ici pour venir en aide à une catégorie sociale défavorisée ;
nous cherchons au contraire comment la nation peut s'acquitter de son devoir à
l'égard de ceux à qui elle est redevable. C'est cela, le sens du droit à
réparation !
Mais vous allez nous répondre sur ce sujet, monsieur le secrétaire d'Etat,
comme sur tous les points mineurs que j'ai évoqués, et nous donner
satisfaction, j'en suis persuadé.
J'aborderai enfin une mesure qui, si elle n'est pas financée sur les crédits
de votre portefeuille, monsieur le secrétaire d'Etat, est gérée par les
services de l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre,
l'ONAC. Vous aurez tous compris que je veux parler du décret du 13 juillet 2000
instaurant une indemnisation au profit des orphelins dont les parents ont été
victimes de persécutions antisémites, et d'eux seuls ! Cette décision a été
prise par le Premier ministre et par lui seul, monsieur le secrétaire d'Etat,
puisque le secrétaire d'Etat aux anciens combattants l'a apprise presque par
hasard, le lendemain. La nouvelle a été lancée à l'issue d'une réunion, et non
pas à la fin d'un repas, comme on aurait pu le croire.
Nul n'a contesté le bien-fondé de cette initiative. Mais, en ravivant de
douloureux souvenirs et en instaurant une injustice entre les victimes de la
barbarie nazie, une telle mesure, qui repose sur un critère confessionnel, ne
pouvait que faire renaître des sentiments contre lesquels nous luttons ensemble
et que nous pensions disparus à jamais.
Alors que le Gouvernement crie haut et fort vouloir « gommer les différences
», il érige en principe la différence raciale, se fait le chantre de la
ségrégation et divise la population. Mon affliction va autant vers les oubliés
de cette mesure que vers ceux qui en bénificient, au prix du sentiment de
jalousie dont ils sont l'objet.
Avant de conclure mon propos, j'aimerais conjointement à ce débat budgétaire,
aborder le problème des emplois-mémoire. Je louerai d'abord le travail
remarquable qu'ont accompli ces jeunes, qui ont ainsi trouvé le chemin de
l'activité et la satisfaction d'une mission utile. Car la mission qui leur a
été impartie, et qui a trouvé tout son sens dans le projet gouvernemental de
développement décentralisé de la politique de la mémoire, a su les motiver
alors qu'ils désespéraient du monde du travail. Les réalisations, qu'elles
portent sur l'information, la communication, la recherche historique ou la
pédagogie, ont été appréciées de tous.
A ces louanges, j'opposerai toutefois un bémol et il est de taille ! Ces
jeunes, qui ont trouvé une raison d'être à travers cette passionnante mission,
sont aujourd'hui déçus, frustrés, de devoir, pour vivre, abandonner un emploi
qui les épanouit. Ils ressentent cruellement une impression de travail
inachevé. Que ne leur avez-vous offert la possibilité d'obtenir une
titularisation au sein de votre administration ? Le Gouvernement voyait-il donc
uniquement dans ces emplois un moyen d'abaisser la courbe du chômage ? Je ne le
crois pas, mais je regrette vraiment que vous n'ayez pas su les apprécier à
leur valeur.
Vous aurez compris, monsieur le ministre, que la commission des finances
demeure bien frustrée, comme son rapporteur spécial, devant la modicité des
mesures proposées et que dans ces conditions, sauf effort considérable de votre
part - dont vous ne manquerez pas de nous faire part - elle se verra dans
l'obligation de rejeter votre budget.
Restent les traditionnelles « questions diverses ». J'en ai une, monsieur le
secrétaire d'Etat, et elle est d'actualité, même si elle n'a aucune incidence
financière à court terme.
M. Gayssot vous a-t-il consulté lorsqu'il a décidé de créer le troisième
aéroport international ? Des discussions ont-elles eu lieu ?
Car, vous le savez tous, il y a près de Chaulnes une importante nécropole.
Que deviendra-t-elle ? Telle est la dernière question d'actualité que je vous
pose.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Marcel Lesbros,
rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales.
Monsieur le
président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, notre débat
revêt ce soir une importance toute particulière. D'abord, il nous permet
d'accueillir et de saluer un nouveau secrétaire d'Etat, M. Jacques Floch,
spécialiste des anciens combattants. Ensuite, nous examinons le dernier budget
de la présente législature.
Vous comprendrez donc, monsieur le secrétaire d'Etat, que la commission en
profite pour dresser un premier bilan de l'action du Gouvernement, j'y
reviendrai tout à l'heure.
Permettez-moi de commencer par quelques considérations sur le présent projet
de budget. Par avance, je vous demande de bien vouloir m'excuser s'il m'arrive
de répéter certains des propos tenus par M. Jacques Baudot dans son excellente
intervention. Mieux vaut enfoncer le clou plutôt deux fois qu'une ! Car je
reviendrai sur certains problèmes, hélas ! toujours d'actualité.
En 2002, les crédits des anciens combattants diminueront, à structure
constante, de 2 %, baisse bien supérieure à celle qui a été enregistrée l'année
passée, qui ne s'établissait qu'à 1,2 %.
Cette diminution ne serait pas illégitime si elle permettait de reconduire
dans de bonnes conditions les actions actuellement menées et d'apporter des
réponses adaptées aux attentes les plus vives et les plus justifiées du monde
combattant.
Tel n'est pourtant pas le cas ; car le budget se caractérise avant tout par
une évidente fragilisation des dispositifs existants et par la modicité des
mesures nouvelles - Jacques Baudot l'a rappelé.
Ce budget consacre ainsi une sérieuse remise en question du droit à
réparation. Je fais ici allusion - mais vous l'aurez déjà compris, monsieur le
secrétaire d'Etat - aux conditions de remboursement des frais d'hébergement
pour les invalides de guerre effectuant une cure thermale. L'arrêté du 25
juillet 2001, dont nous venons de parler, a en effet diminué très sensiblement
le plafond de remboursement, qui est ainsi passé de 4 920 francs à 2 952
francs.
Une telle mesure, prise subrepticement, sans la moindre consultation, me
paraît doublement inacceptable. D'une part, elle touche prioritairement les
pensionnés les plus modestes, qui n'auront plus les ressources suffisantes pour
partir en cure. D'autre part, elle constitue surtout une remise en cause très
grave du droit à réparation, lézardant ainsi tout l'édifice issu de la loi du
31 mars 1919. Vous le savez, monsieur le secrétaire d'Etat, ce droit à
réparation est sacré pour les anciens combattants.
J'observe d'ailleurs que cette mesure ne fait que reprendre pour partie une
récente proposition de la Cour des comptes, proposition à laquelle votre
prédécesseur avait pourtant répondu en ces termes : « La dérogation permanente
accordée pour la prise en charge des cures thermales des pensionnés constitue
un dispositif lié au droit à réparation, auquel le monde combattant est
particulièrement attaché. Il n'est pas envisagé de l'abroger. »
Aussi ne puis-je que regretter que le Gouvernement ait si brutalement changé
d'avis. Je vous invite très solennellement, monsieur le secrétaire d'Etat, à
revenir sur cette décision inutile et vexatoire.
Une de mes craintes concerne la politique de solidarité, qui est le parent
pauvre de ce budget : les crédits qui lui sont consacrés diminueront de plus de
15 % l'an prochain.
La commission des affaires sociales regrette notamment que le Gouvernement
n'ait prévu aucun dispositif de solidarité alternatif pour faire face à
l'extinction programmée du fonds de solidarité, si ce n'est une majoration bien
tardive et bien modeste des crédits sociaux de l'ONAC.
Or de nombreux anciens combattants se trouvent dans des situations de grande
précarité lorsqu'ils cessent de bénéficier du fonds de solidarité : ils doivent
fréquemment se contenter du minimum vieillesse et de secours individuels
accordés par l'ONAC. Un redéploiement des dotations du fonds de solidarité en
leur faveur nous aurait semblé plus justifié que les mesures d'annulation de
crédits qui se multiplient.
Ma dernière préoccupation touche à la politique de la mémoire.
La commission attache une importance toute particulière aux sépultures des
Morts pour la France, car elles ont vocation à incarner et à représenter
l'hommage et la reconnaissance de la nation à ses morts. Or l'Etat n'accorde
aujourd'hui - et ce depuis 1980 - que 8 francs par tombe et par an pour
l'entretien des tombes des Morts pour la France dans les carrés communaux,
alors que le coût annuel de leur entretien est de 38 francs. La charge
financière repose alors sur les collectivités locales et sur le Souvenir
français. Elu local, je suis bien placé pour le savoir.
Nous considérons qu'un tel financement n'est pas satisfaisant, et je regrette
le désengagement de l'Etat, dans un domaine pourtant lourd de symboles. A titre
de comparaison, il faut savoir que là où l'Etat français verse aujourd'hui 8
francs par an, le Royaume-Uni en verse 48. Il me semble donc légitime
d'augmenter la participation de l'Etat à cette charge. Cela me semble, en
outre, réaliste d'un point de vue budgétaire, car le taux de consommation des
crédits de mémoire reste bien faible. Une augmentation pourrait, là encore,
passer par un redéploiement des crédits.
A ce propos, je souhaite, après M. Jacques Baudot, attirer votre attention,
monsieur le secrétaire d'Etat, sur les conséquences sans doute imprévues du
choix du Gouvernement pour l'implantation de la troisième plate-forme
aéroportuaire du Bassin parisien. En effet, sur la zone retenue sont implantés
de vastes cimetières militaires qui abritent les tombes de milliers de victimes
des terribles combats de la Somme en 1916. On imagine mal tout déplacement de
ces sépultures, qui ne constituerait qu'une atteinte supplémentaire à la
mémoire de ces combattants, qui ont déjà payé de leur vie leur dévouement à la
nation. Nous aimerions donc savoir comment, sur ce cas concret, sera mise en
oeuvre la politique de la mémoire.
La fragilisation des dispositifs actuellement en vigueur n'est, hélas ! pas
compensée par des mesures nouvelles réellement ambitieuses.
Deux des mesures nouvelles ne font que prolonger les budgets précédents.
Ainsi, l'article 61 prévoit de relever le plafond majorable de la retraite
mutualiste pour faire passer l'indice de référence de 110 à 115 points. Cette
revalorisation, identique à celle des années précédentes, reste relativement
faible et a pour conséquence de reporter la réalisation de l'objectif de 130
points, qu'il me semble souhaitable d'atteindre dans des délais
raisonnables.
Quant à l'article 64, il achève enfin le rattrapage de la valeur du point de
pension des plus grands invalides, rattrapage qui avait été amorcé, je le
rappelle, dès le budget pour 2000.
Les deux autres mesures nouvelles sont plus novatrices, même si leur portée
est en définitive relativement modeste.
La première - c'est l'article 62 - concerne les veuves de grands invalides et
vise à augmenter la majoration de pension dont elles bénéficient. Je précise
qu'il s'agit des seules veuves ayant passé au moins quinze ans à assister leur
mari invalide à 85 % et plus. Mais seules 1 400 veuves seraient concernées par
cette mesure !
La seconde mesure - c'est l'article 63 - tend à ramener de soixante-cinq à
soixante ans l'âge d'attribution de la retraite du combattant pour les
titulaires d'une pension militaire d'invalidité. J'observe néanmoins qu'une
telle mesure reste très en retrait des attentes du monde combattant, qui
espérait un versement anticipé dès l'âge de soixante ans à l'ensemble des
titulaires de la carte du combattant et une revalorisation du niveau de la
retraite.
Monsieur le secrétaire d'Etat, nous n'avons pas intérêt, à l'égard des anciens
combattants, à procéder au « compte-gouttes ». Il est nécessaire de parfois
leur donner une satisfaction marquante : il sont très attachés à cette retraite
à soixante ans, et je crois que nous avons aujourd'hui la possibilité de le
faire.
Toutes ces conditions m'amènent, en définitive, à juger décevant le projet de
budget qui nous est soumis. La commission des affaires sociales vous proposera
d'ailleurs, mes chers collègues, d'adopter trois amendements, qu'elle a
acceptés à l'unanimité, pour en renforcer la portée.
Ces amendements - nous sommes les premiers à le déplorer - restent
relativement modestes, mais ils permettront de lever certaines difficultés
juridiques particulièrement préjudiciables pour le monde combattant.
Notre déception serait, bien entendu, largement atténuée si le bilan de
l'action du Gouvernement depuis près de cinq ans était positif.
La commission des affaires sociales du Sénat s'est donc attachée à examiner
celui-ci avec la plus grande objectivité. Il ne s'agit bien sûr pas pour nous
de revenir sur l'action personnelle de notre collègue Jean-Pierre Masseret. Je
tiens à ce propos à souligner son implication dans le traitement des dossiers,
même si je regrette que les arbitrages interministériels lui aient été trop
souvent défavorables.
Ce bilan, autant l'annoncer tout de suite, m'apparaît en demi-teinte.
Certes, la commission des affaires sociales se félicite de nombreuses
évolutions très positives que le Gouvernement a amorcées ou accompagnées.
Je pense notamment à l'élargissement des conditions d'accès aux différents
titres.
Je pense également au souci d'assurer une meilleure reconnaissance à la
troisième génération du feu. A cet égard, j'insiste sur l'importance de la loi
du 18 octobre 1999, adoptée à l'unanimité par le Parlement, qui a enfin
qualifié une guerre restée trop longtemps sans nom.
Je pense encore à la modernisation en cours des institutions du monde
combattant : l'ONAC, l'INI mais aussi le secrétariat d'Etat se sont engagés,
non sans heurts, dans un louable processus de réforme, avec le double souci
d'assurer leur pérennité et d'améliorer la qualité du service rendu.
Je pense enfin à quelques mesures de solidarité, comme l'élargissement de
l'accès au fonds de solidarité, ou de reconnaissance, comme la majoration
progressive de la rente mutualiste ou la réunification de la valeur du point
pour les grands invalides. Ces mesures, longtemps attendues, étaient à
l'évidence nécessaires pour conforter la place du monde combattant dans notre
société, qui évolue très vite et qui tend à oublier les souffrances que de
nombreux hommes et femmes ont endurées pour notre pays.
Je ne m'étendrai pas davantage sur ces indéniables avancées, qui prolongent
d'ailleurs bien souvent l'action des gouvernements précédents et qui sont
fréquemment d'origine parlementaire. Je suis bien sûr que nos collègues de
l'opposition sénatoriale y reviendront très longuement tout à l'heure.
Pour autant, le bilan du Gouvernement est, me semble-t-il, plus marqué par des
carences que par des réalisations.
Je ne m'attarderai pas sur la baisse très sensible des crédits depuis 1997.
Ceux-ci ont diminué de 16 % sur la période en unité monétaire constante, alors
que la population combattante dans son ensemble ne s'est réduite qu'à un rythme
deux fois moindre.
Cependant, il n'est pas dans mon propos d'alimenter ici je ne sais quelle
querelle statistique qui ne pourrait être que stérile. Il me semble plus
constructif de rappeler l'insuffisance des avancées obtenues.
Certes, nous sommes bien conscients que tout ne peut pas être fait tout de
suite, mais le Gouvernement a néanmoins ignoré de nombreuses questions
particulièrement urgentes et sensibles pour le monde combattant.
Je passerai rapidement sur deux revendications au sujet desquelles le
Gouvernement a « joué la montre » : la retraite anticipée et l'attribution de
la retraite du combattant dès soixante ans. J'insisterai, en revanche, sur
plusieurs questions auxquelles s'attache traditionnellement la commission des
affaires sociales.
Certaines restent aujourd'hui encore en jachère : l'indemnisation des
incorporés de force dans les formations paramilitaires allemandes ou la réforme
du rapport constant en sont de bons exemples.
D'autres n'ont reçu qu'une réponse hélas ! trop partielle, qui ne règle pas
les problèmes quant au fond. Je pense notamment à l'indemnisation des victimes
du nazisme, qui ne concerne que les seuls orphelins des déportés juifs ; je
pense surtout à la situation des veuves, pour lesquelles rien n'a été fait
depuis 1997, ou à la question de la « décristallisation ».
Voilà deux ans que le Gouvernement nous annonce son intention de « remettre à
plat » les dispositifs en faveur des veuves. Il est vrai que leur situation
mérite une attention particulière, car nombre d'entre elles ne perçoivent que
de très faibles revenus et connaissent des conditions de vie souvent très
précaires.
Mais il semble aujourd'hui que la « remise à plat » annoncée soit bien
modeste. La large consultation a tourné court et s'est résumée à la simple
réunion d'un groupe de travail. Surtout, l'unique mesure prévue par le projet
de budget, hormis l'aumône de quelques crédits d'action sociale, ne vise que
les veuves des grands invalides. Seules 1 400 veuves seraient concernées, soit
environ un millième de la population totale : rien n'est fait pour les veuves
de guerre ou les simples veuves d'anciens combattants. La commission des
affaires sociales avait pourtant fait des propositions les années précédentes ;
elles n'ont pas été entendues, et je le regrette.
La résolution d'un autre problème qui nous tient à coeur, celui de la
décristallisation, est également au point mort. Elle ferait pourtant honneur à
la France.
En dépit de l'engagement pris par le Gouvernement, voilà trois ans maintenant,
d'ouvrir une réflexion sur la base de la comparaison des pouvoirs d'achat,
aucune avancée n'est intervenue. La seule mesure prévue l'an passé dans le
budget visait simplement à mettre les faits en accord avec le droit, car
l'administration refusait d'appliquer la loi. Elle n'a fait, en définitive,
qu'attiser des espérances immédiatement déçues.
La commission des affaires sociales avait pourtant, là encore, élaboré des
propositions très raisonnables qui pourraient servir de fondement à des
améliorations sub-stantielles et constituer enfin un premier pas dans la voie
de la reconnaissance et de l'équité.
Le débat à l'Assemblée nationale a permis, semble-t-il, d'ouvrir une première
brèche, mais celle-ci reste pour l'instant sans portée juridique. Nous espérons
que le débat d'aujourd'hui permettra d'apporter les éclaircissements attendus
sur les intentions du Gouvernement en la matière.
Ces considérations me conduisent à dresser un bilan très mitigé de cinq années
d'action gouvernementale.
Au terme de ce tour d'horizon bien trop rapide, hélas ! me revient en mémoire
une maxime de La Rochefoucauld : « Peu de gens sont assez sages pour préférer
le blâme qui leur est utile à la louange qui les trahit ».
(Sourires.)
Je suis certain, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous faites partie de
cette catégorie d'hommes ! Vous aurez donc compris que mes remarques, parfois
très critiques, visent avant tout à vous inciter à accentuer votre effort en
faveur des anciens combattants dans les mois qui nous séparent de la fin de la
législature.
Dans cette attente, la commission des affaires sociales du Sénat s'est
déclarée défavorable à l'adoption des crédits, mais favorable à l'adoption des
cinq articles rattachés.
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