SEANCE DU 5 DECEMBRE 2001
J'indique au Sénat que, pour cette discussion, la conférence des présidents a
opté pour la formule expérimentée l'an dernier et fondée sur le principe d'une
réponse immédiate du Gouvernement aux différents intervenants, rapporteurs ou
orateurs des groupes.
Ainsi, M. le ministre répondra immédiatement et successivement aux deux
rapporteurs spéciaux, puis aux cinq rapporteurs pour avis, puis au président de
la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, et
enfin à chaque orateur des groupes.
Ces réponses successives se substitueront à la réponse unique en fin de
discussion.
Chacune des questions des orateurs des groupes ne devant pas dépasser cinq
minutes, le Gouvernement répondra en trois minutes à chaque orateur ; ce
dernier disposera d'un droit de réplique de deux minutes au maximum.
Mes chers collègues, dans ce débat très important, je compte sur votre
concours pour que les temps de parole attribués aux rapporteurs et aux orateurs
des groupes soient respectés.
Je compte également sur votre compréhension et votre grande expérience
parlementaire, monsieur le ministre, pour que cette nouvelle procédure permette
un véritable dialogue avec les sénateurs, dans le cadre des contraintes
horaires qui ont été fixées par la conférence des présidents.
La parole est à M. Blin, rapporteur spécial.
M. Maurice Blin,
rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation pour l'exposé d'ensemble et les dépenses
en capital.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers
collègues, le projet de budget pour 2002 que nous allons examiner correspond au
dernier des exercices couverts par la loi de programmation 1997-2002. Cette
discussion doit donc être pour nous tous l'occasion de faire le bilan de cette
loi de programmation.
Pour être bref, et pour répondre au voeu de M. le président de la commission
des finances, je limiterai mon intervention à cinq observations.
Première observation, le budget des armées pour 2002 est globalement - les
chiffres le confirment - en stagnation, sinon, sur certains points, en déclin :
en 1997, il représentait 2,36 % du produit intérieur brut ; l'an prochain, il
en représentera moins de 1,9 %, et encore faut-il inclure dans ce calcul les
2,7 milliards de reports dits « autorisés ». J'espère que M. le ministre de
l'économie, des finances et de l'industrie tiendra cet engagement, puisque ce
report dépend de lui seul.
Je constate, avec regret que le budget de la défense n'a pas profité de la
croissance. En 2002, le budget général augmente de 2,5 %, alors que celui des
armées ne progresse que de 0,2 %, compte non tenu des reports.
Je rappelle pour mémoire que les crédits d'équipement non consommés se
montent, chaque année, en moyenne à 5, à 6, voire à 7 milliards de francs. Il
faut donc conclure, selon une formule trop convenue - mais, hélas ! toujours
valable -, que le budget des armées a servi de variable d'ajustement au budget
général. Pourquoi, monsieur le ministre, ne s'est-il pas vu reconnaître un
caractère plus prioritaire ?
Deuxième observation, le déséquilibre entre le titre III et le titre V va
s'accroître une fois encore l'an prochain. Cette évolution comparée des crédits
de fonctionnement et d'équipement reproduit, en l'aggravant, celle du budget
général.
Quelques chiffres en témoignent. Les dépenses de fonctionnement des budgets
civils augmentent en 2002 de 5,1 % contre 2,3 % dans les armées. Les crédits
d'équipement des budgets civils régressent de 1,7 %, contre 2,5 % pour le
budget des armées. Pour plus de précisions, je vous renvoie au tableau qui
figure à la page 39 de mon rapport écrit.
Certes - reconnaissons-le, car c'est important - le projet de budget de l'an
prochain comporte un effort de revalorisation de la condition militaire,
notamment pour la gendarmerie ; mais cette revalorisation s'exerce aux dépens
du titre V.
Or, et vous le savez mieux que quiconque, monsieur le ministre, cette dérive
ne peut que s'aggraver avec le temps, puisqu'une sorte de compétition oppose
désormais l'armée et la société civile pour attirer les meilleurs et, surtout,
pour les conserver.
L'armée emploie de plus en plus de personnels civils. Or les conditions de
travail des civils et des militaires diffèrent à bien des égards, en
particulier pour la réduction du temps de travail.
Si l'armée professionnelle compte moins de soldats, leur fonctionnement et
leur équipement coûtent nettement plus cher. Le militaire français est
aujourd'hui l'un des moins dotés des armées de l'OTAN.
Certes, la professionnalisation a été réussie. Son calendrier est respecté.
C'est un hommage qu'il convient de rendre à votre ténacité, monsieur le
ministre, et à la capacité d'adaptabilité des armées.
Mais une armée professionnelle coûte cher, et les coûts de fonctionnement de
la nôtre sont inférieurs à ceux des armées américaine ou britannique. Dans le
futur, elle risque donc, si l'on entend seulement conserver sa valeur, de nous
coûter effectivement de plus en plus cher. Monsieur le ministre, quel est votre
sentiment sur ce sujet qui engage l'avenir ?
Troisième observation, le bilan de la loi de programmation qui s'achève fait
hélas ! apparaître un constat : l'équipement aura été le grand perdant.
Parce que nous en avons souvent parlé, je sais, monsieur le ministre, que, sur
ce point, nos analyses divergent. Mes chers collègues, je vous renvoie à mon
rapport écrit, pages 28 à 32. Les chiffres qui en ressortent sont clairs. Le
budget pour 2002, même en tenant compte de l'effet report, ne permet pas de
financer l'annuité prévue par la loi de programmation, même révisée. Elle
devait être l'an prochain de 86 milliards de francs ; elle sera de 81,4
milliards de francs en crédits demandés et de 84 milliards de francs en crédits
disponibles.
En fin de compte, le bilan de la loi de programmation se solde par une année
de dépenses d'équipement en moins et une détérioration des matériels plus
importante que prévue. Certes, on peut en débattre selon les références
choisies ; mais je crois tout de même pouvoir le dire, après étude faite sous
l'autorité des plus hauts responsables des armées et en accord avec les
conclusions analogues de mon collègue rapporteur du budget des armées à
l'Assemblée nationale.
Ces responsables reconnaissent qu'il y aura, sinon ruptures de capacités
d'ores et déjà avérées, du moins « érosion des matériels », « dégradation du
modèle d'armée 2015 » et « inquiétude sur la cohérence des forces ».
Au terme des retards successifs - parlons-en, parce qu'ils engagent notre
avenir immédiat - pris dans les commandes au cours de l'actuelle programmation,
la plupart des programmes majeurs ne seront pas livrés avant 2008-2011.
C'est le cas du quatrième SNLE-NG, sous-marin nucléaire lance-engins de
nouvelle génération, équipé directement du missile M 51, qui ne sera admis au
service actif qu'en 2008 au plus tôt.
Quant à la mise en service des missiles ASMP-A, air-sol moyenne portée, sous
Mirage 2000 et sous Rafale, elle n'interviendra pas avant 2007-2008.
Le premier satellite successeur de Syracuse II ne sera lancé qu'en 2013.
Les premiers Tigre version antichar de l'armée de terre, ainsi que les
premiers hélicoptères NH90 ne seront livrés qu'en 2011.
Le premier escadron opérationnel de Rafale au standard F2 n'entrera en service
qu'en 2006. Et je pourrais citer bien d'autres exemples.
Les armées françaises vont donc aborder la prochaine loi de programmation
militaire - qui commencera dès 2003 - avec un triple handicap : une réalisation
en termes physiques moins favorable que prévu, c'est-à-dire moins de matériel
neuf qu'il n'avait été envisagé ; une dotation en autorisations de programme,
comme en crédits de paiement, qui présente un écart sensible avec les dotations
prévues pour 2003, première année de la future loi de programmation ; enfin -
et ceci découle de cela -, des coûts d'entretien accrus en raison du
vieillissement du matériel.
Cela signifie, en clair, qu'au cours de cette loi qui sera non plus d'études
et de conception mais de fabrication et de livraison des matériels, il faudra
nécessairement procéder à un rattrapage très lourd sur le plan financier. Cette
évidence, monsieur le ministre, ne cesse de nous poursuivre : la partagez-vous
?
Ma quatrième observation concernera un sujet mieux connu, les charges indues
que supporte le budget des armées. Laissant de côté les charges annexes comme
le financement du BCRD, le budget civil de recherche et de développement, ou
les compensations apportées à la Polynésie, soit un milliard de francs par an
jusqu'en 2005, je m'en tiendrai aux plus importantes.
Il s'agit, d'abord, des opérations extérieures, les OPEX, dont le coût se
monte, bon an mal an, à 3 milliards de francs.
Il s'agit, ensuite, de la restructuration des industries d'armement d'Etat -
dont certaines sociétés conservent un statut remarquablement archaïque -
restructuration qui passe par une mutation coûteuse, à forte connotation
sociale.
Cette mutation difficile, notamment parce qu'elle exige d'abord celle des
personnels, ne se fera pas sans une nouvelle et forte contribution
budgétaire.
Je citerai deux exemples : sur la période 1997-2002, le coût de
restructuration de la direction des constructions navales, la DCN, a représenté
3,3 milliards de francs. Depuis sa création en 1990, le groupe GIAT Industries
a totalisé 24 milliards de francs de pertes, et l'Etat, actionnaire unique,
aura versé 18,5 milliards de francs au titre de sa recapitalisation - dont 11,7
milliards de francs depuis 1996 -, au prix d'un prélèvement important sur le
titre V. Une nouvelle recapitalisation, de l'ordre de 4 milliards de francs,
avait, en principe, été annoncée d'ici à la fin de l'exercice.
Il s'agit, enfin, des dépenses mises en oeuvre sur le FRED, le Fonds de
restructuration de la défense et sur le FAI, le Fonds d'adaptation
industrielle.
Au total, entre 1997 et 2002, le ministère de la défense aura consacré 16,4
miliards de francs à sa restructuration : 5,3 pour les aides au départ et à la
reconversion des personnels militaires, 6,6 pour le personnel civil, 3,3 pour
la DCN et 3 pour limiter l'impact économique local des restructurations.
Certes, la plupart de ces dépenses ont été utiles, mais pourquoi faire
supporter par le seul budget des armées des actions dont la finalité,
éminemment politique ou sociale, le dépasse ?
M. Jean-Guy Branger.
Eh oui !
M. Maurice Blin,
rapporteur spécial.
En bonne logique, c'est au budget des charges
communes qu'elles devraient être inscrites, comme l'est le déficit des sociétés
nationalisées, dans la mesure où tous ces éléments servent à l'évidence
l'intérêt tout à fait général de la nation. Que pensez-vous de cette
suggestion, monsieur le ministre ?
Ma cinquième observation concerne l'avenir de l'industrie européenne
d'armement. Les disparités entre les budgets militaires des nations
occidentales s'accroissent et la menacent de dislocation.
L'écart se creuse entre le continent et la Grande-Bretagne, dont l'armée est
professionnelle de longue date, il est vrai, mais, de ce fait même, a valeur de
référence. En 2002, le budget militaire de la Grande-Bretagne représentera 2,3
% du PIB contre 1,77 % pour la France et 1,40 % pour l'Allemagne. Je cite ces
chiffres avec beaucoup de perplexité et une grande inquiétude.
Comparée à la France et par soldat, en Grande-Bretagne, la dépense de
fonctionnement est deux fois et demie supérieure, et la dépense de
l'équipement, deux fois supérieure.
Au train où vont les choses, l'industrie britannique dominera dans dix ans
l'Europe et jouera immanquablement le rôle d'arbitre incontournable entre
l'Europe et les Etats-Unis. C'est ce qu'elle veut, et elle s'en donne les
moyens.
M. Jean-Guy Branger.
Hélas !
M. Maurice Blin,
rapporteur spécial.
Quant aux Etats-Unis, ils mettent depuis le 11
septembre dernier - passez-moi l'expression - les « bouchées doubles ». Après
de longues hésitations, ils viennent de prendre la décision de lancer le
Joint strike fighter,
le JSF, le futur avion de chasse multimissions,
qui devrait être fabriqué à 3 000 exemplaires plus 3 000 autres à
l'exportation.
Si ce grand dessein voit le jour - et tout indique que tel sera le cas - il
risque de compromettre les chances du Rafale, celles de l'Eurofighter, voire
celles de leur éventuel successeur.
Autre exemple, la firme Boeing va recevoir du pouvoir fédéral 18 milliards de
dollars pour la soutenir face aux difficultés provoquées par la chute du marché
des avions civils et à l'échec qu'elle a subi, face à Lockheed sur le projet du
JSF.
C'est dire l'ardeur et la vigueur des moyens que les Etats-Unis mobilisent au
service de leur effort d'armement.
Que penser de ce grave problème qui nous soucie, vous comme nous, de l'A 400
M, l'avion de transport futur dont l'Europe voudrait se doter ? Le report de la
décision que nous devions prendre du fait de l'Allemagne, des hésitations de
l'Italie, de la défection possible à terme de la Grande-Bretagne nous laissent
penser que cette affaire n'est pas encore acquise.
Si ce grand projet, symbole de l'autonomie de l'Europe de la défense, devait
avorter, ce serait sur le plan politique, technique et social, le signe de son
définitif abaissement. La plupart de mes collègues rapporteurs, qui partagent
cette inquiétude, vous interrogeront certainement sur ce sujet, monsieur le
ministre.
Enfin, que faut-il penser de la réalisation effective de la Force de réaction
rapide européenne ? Elle devait être opérationnelle à l'horizon 2003. Une
première conférence réunie à Bruxelles le 20 novembre 2000, avait souligné un
certain nombre de lacunes à combler. Où en sommes-nous, monsieur le ministre,
un an après, avec le bilan dressé par la conférence du 19 novembre 2001 ? Nous
serons, vous le devinez, exceptionnellement attentifs à vos réponses.
Mais, quelles qu'elles soient, vous comprendrez, mes chers collègues, que face
aux nombreuses et graves interrogations que laisse ouvertes le budget pour
2002, face aux charges budgétaires qui ne manqueront pas de s'accumuler sur les
prochains exercices, la commission des finances, une fois de plus et à regret,
aujourd'hui comme hier, se trouve dans l'incapacité de recommander l'adoption
du budget des armées pour 2002.
(Applaudissements sur les travées de l'Union
centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Trucy, rapporteur spécial.
M. François Trucy,
rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation pour les dépenses ordinaires.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, conformément
à la méthode qui préside à notre débat, je vais vous poser plusieurs questions
sur le titre III du budget de la défense.
Elles seront moins nombreuses que mes interrogations à l'égard du projet de
budget de la défense pour 2002 et du bilan que nous avons le devoir de faire
sur l'évolution de ce budget tout au long de la législature qui s'achève et de
l'exécution de la loi de programmation militaire 1997-2002.
Les motifs d'interrogation et d'inquiétude sont nombreux, comme en a témoigné
l'intervention de M. Maurice Blin et comme le montreront celles de mes autres
collègues rapporteurs.
L'objectif premier de la loi de programmation qui s'achève, la «
professionnalisation » des armées, a été atteint, dites-vous, de manière «
globalement » satisfaisante.
Il faut effectivement saluer l'ampleur de cette réforme - le mot est faible.
Assise sur des suppressions massives d'emplois et d'unités, sur la reconversion
et l'incitation au départ, elle a porté ses fruits. A ce jour, aucun ministère
civil n'a été en mesure de tenter ou de réussir une telle démarche.
Il faut vous en donner acte, monsieur le ministre, c'est l'illustration de
votre total investissement dans cette révolution.
Dans la même optique, le ministère de la défense donne l'exemple en étant le
premier à achever les négociations syndicales relatives à l'application des 35
heures pour les effectifs civils, et le premier à mettre en oeuvre, enfin, la
jurisprudence Berkani visant à intégrer, sauf décision contraire, les
personnels contractuels des catégories C et D dans les effectifs de la fonction
publique.
A moins de 1 % près, ce qui est négligeable, l'objectif global des effectifs
budgétaires est donc respecté, et la défense emploiera, en 2002, 436 221
personnes, soit le cinquième des effectifs civils.
Mais, au regard de ce critère, il faut souligner des déficits réels qui, s'ils
perdurent, constitueront des facteurs de perturbation au regard du « modèle
d'armée 2015 » : davantage de militaires du rang que prévu, beaucoup plus de
gendarmes, et beaucoup moins de personnels civils et de volontaires. Par
ailleurs et surtout, certains postes bien spécifiques - ceux de médecin,
d'informaticien, d'atomicien ou de plongeur-démineur - sont franchement
déficitaires.
Pensez-vous, monsieur le ministre, que l'exercice 2002 suffira à combler ces
lacunes avant d'aborder la prochaine loi de programmation ?
En réalité, les motifs d'inquiétude concernent les perspectives. Certes, la
professionnalisation est « accomplie ». Mais elle n'est pas consolidée pour
autant. Monsieur le ministre, vous reprenez d'ailleurs les mêmes mots, la même
phrase, dans les projets de loi de programmation militaire futurs.
Seulement pour préserver l'acquis, il faudra consentir un effort budgétaire
supplémentaire considérable. En d'autres termes, pour avoir le même résultat et
donc pour donner le sentiment qu'on ne fait pas mieux, il faudra payer
davantage.
Au-delà des soucis ponctuels, mais réels et permanents, de recrutement,
apparaissent surtout des difficultés de fidélisation. Cette dernière se heurte
en effet à la concurrence forte d'un marché de l'emploi civil
conjoncturellement à la hausse - et c'est tant mieux - mais aussi, de façon
plus structurelle, à la moindre attractivité du métier militaire : des
conditions de vie moins agréables et des rémunérations inférieures.
La comparaison est renforcée par la mixité désormais fonctionnelle des
effectifs civils et militaires, qui ne vivent pas au même rythme, même au sein
d'un même bureau.
A cet égard, la loi sur les 35 heures constitue un écueil redoutable ; nous en
reparlerons ultérieurement.
La comparaison avec les militaires des armées de l'OTAN n'est pas favorable à
la France. La dépense de fonctionnement consentie - rémunération et charges
sociales comprises - pour un soldat français est près de deux fois moins élevée
que pour un soldat britannique, et près de trois fois moins élevée que pour un
soldat américain.
Au cours des derniers exercices, les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont quant à
eux augmenté de 2 % en termes réels leurs dépenses annuelles de rémunération et
de fonctionnement. Cela ne leur a pas permis pour autant de combler totalement
leurs propres lacunes de recrutement.
En réalité, il serait illusoire de penser que le pouvoir d'achat du titre III
pourra rester constant dans la durée. Les personnels ayant fait le choix de
servir dans une armée professionnelle ont le droit d'être plus exigeants à
l'égard du fonctionnement de l'équipement des forces, et, au fond, du métier
qu'ils exercent. Et je ne vois aucune raison pour que ce niveau d'exigence
cesse de s'élever à l'avenir.
Monsieur le ministre, je souhaiterais connaître votre sentiment sur l'écart
qui nous sépare, en termes de dépenses de fonctionnement par tête de soldat, de
nos partenaires britanniques et américains, ou même sur l'écart que vous
pourriez concevoir entre le niveau actuellement atteint et le niveau minimal
d'un soldat professionnel, allais-je dire.
L'analyse de l'évolution du titre III au cours de l'exécution de la
programmation fait apparaître un dérapage des dépenses qui sont
systématiquement financées en loi de finances initiale comme en exécution, par
un prélèvement sur les crédits d'équipement du titre V.
Les facteurs de ce dérapage ne pourront que se maintenir, voire se renforcer
au cours de la prochaine législature et de la prochaine loi de
programmation.
Sur l'ensemble de l'actuelle programmation, la mise en oeuvre de la
professionnalisation a représenté un coût d'accompagnement, sans doute plus
lourd que prévu, de l'ordre de 17 milliards de francs. Nous vous donnons
toutefois acte que ce n'est pas ce qui a pesé le plus lourd dans la forte
progression du titre III. Mais la consolidation de la professionnalisation au
cours de la prochaine loi de programmation imposera des mesures au moins
équivalentes.
Monsieur le ministre, oui ou non, la France doit-elle continuer à être
présente dans les opérations extérieures ?
Si oui, à combien estimez-vous leur coût moyen annuel et, surtout, pourquoi
diable vous refusez-vous à inscrire cette dépense dans la loi de finances
initiale ?
Oui ou non, tirant la leçon de ce qui vient de se passer, et qui rappelle les
techniques - pardonnez-moi le mot - du sapeur Camember, inscrirez-vous ces
crédits dans la loi de programmation militaire à venir ?
Ce refus constant d'inscrire dans la loi de finances initiale les dépenses de
fonctionnement correspondant à la participation de la France à des opérations
extérieures bien connues, notamment dans les Balkans, est incompréhensible.
Ces opérations, dont le coût annuel total a été constamment de l'ordre de 3
milliards de francs, sont prévues et répertoriées. Elles n'en ont pas moins
constamment été financées en cours d'exécution seulement et uniquement par
prélèvement sur les crédits d'équipement du titre V.
Les observations de M. Blin quant à la programmation militaire et à
l'équipement n'ont rien d'étonnant. Non conforme à l'esprit du droit
budgétaire, le procédé a en effet largement contribué au non-respect de la loi
de programmation, s'agissant des crédits d'équipement.
En tout état de cause, pour la prochaine législature, nécessité fera loi, car
les reports du titre V, largement utilisés au cours de l'actuelle législature,
seront alors vraisemblablement épuisés pour faire peut-être place à une crise
des paiements.
Les crédits d'entretien programmé et de fonctionnement courant ont été soumis
à la portion congrue au sein du titre III pendant toute la durée de la
programmation. Il en résulte un pourcentage sans précédent de matériels non
opérationnels : bâtiments de la marine nationale, hélicoptères, chars
Leclerc.
La baisse la plus sensible concerne les moyens liés à l'activité des forces,
qui sont amputés de plus d'un milliard de francs sur la période de
programmation, soit 10 % du montant initial de 1997.
De fait, les taux d'activité des armées françaises sont aujourd'hui inférieurs
aux objectifs arrêtés par la loi de programmation militaire.
Le projet de budget pour 2002 prévoit bien une majoration des crédits de
fonctionnement, hors rémunérations et charges sociales. Mais les deux tiers de
cet effort sont en réalité financés par des mesures d'économie et de transfert
; ils ne correspondent donc pas véritablement à des moyens nouveaux. Le tiers
du montant ainsi globalement disponible bénéficiera à la gendarmerie.
Au total, les taux d'activité de nos forces armées seront légèrement
améliorés, certes, mais pas dans une proportion de nature à leur permettre
d'atteindre l'objectif de l'OTAN, dont il faut respecter les critères, et moins
encore celui des forces britanniques.
Pouvez-vous nous indiquer, monsieur le ministre, l'ampleur de l'effort qui
reste à faire pour atteindre ces normes ?
Après tout, aviez-vous vraiment l'intention de les atteindre ou les
trouvez-vous, au fond, sans signification ? A vous de nous le dire.
J'en viens au cinquième point. Le projet de budget pour 2002 comporte un
incontestable effort en faveur de la condition militaire. Cet effort étant
réalisé bien tardivement, il ne saurait être suffisant pour répondre à des
demandes qui ne peuvent être qualifiées que de légitimes. Par ailleurs, il
reste globalement inférieur de moitié à celui qui est consenti pour les budgets
civils : le titre III de la défense progresse en effet de 2,3 %, alors que ceux
des budgets civils augmentent en moyenne de 5,1 %.
En outre, il comprend pour partie l'incontournable prise en compte des «
mesures Sapin » relatives au point d'indice et à la revalorisation des bas
salaires, qui représentent un total de 1,3 milliard de francs, soit la moitié
du total des moyens nouveaux du titre III.
Certes élargi cette année à l'ensemble des forces armées, et non plus
seulement, comme en 2001, à la gendarmerie, au service de santé et à la
délégation générale pour l'armement, l'effort ne concerne toutefois que les
sous-officiers et il laisse totalement de côté les officiers.
Vous venez par ailleurs de déposer un amendement important tendant à abonder
des crédits du titre III. Mais je pense que ce n'est pas le moment de l'aborder
puisque le débat s'instaurera tout à l'heure.
Pour conclure, mes chers collègues, la commission des finances constate qu'au
terme de la loi de programmation qui s'achève la professionnalisation des
armées françaises a été accomplie à peu près conformément aux objectifs.
Mais parce qu'un certain nombre de dépenses, notamment celles qui portent sur
les opérations extérieures, n'ont pas été prises en compte, tout cela s'est
fait au prix d'une ponction constance sur les dépenses d'équipement.
L'amendement que vous nous proposerez tout à l'heure pour financer la mise en
oeuvre des mesures relatives au temps d'activité et d'obligation
professionnelle des militaires, ne sera pas financé autrement. En d'autres
termes, nos soldats professionnels sont aujourd'hui sous-équipés.
Surtout, le caractère manifestement non prioritaire du budget de la défense
pour le Gouvernement tout au long de l'actuelle législature fait qu'un effort
minimal a en réalité été consenti pour les moyens de fonctionnement de nos
armées. De fait, les charges qui pèseront sur la prochaine législature pour
seulement conserver le niveau acquis seront très supérieures à celles que nous
avons connues, et cela dans un contexte conjoncturel sans doute moins
favorable. Le risque n'est pas négligeable de voir une remise en cause de la
professionnalisation par ceux qui, sans arrêt, veulent oublier l'instabilité et
les dangers récurrents de la conjoncture.
Il est dommage que le Gouvernement n'ait pas profité de trois années très
favorables sur le plan économique pour donner à la réforme des armées les
moyens nécessaires à la réussite de la professionnalisation.
Pour toutes ces raisons, et comme M. Blin à l'instant, je vous informe, mes
chers collègues, que la commission des finances a décidé de donner un avis
défavorable à l'adoption des crédits du titre III.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Je tiens à remercier MM. les rapporteurs spéciaux
pour leur travail d'analyse et leurs présentations. Pour respecter pleinement
le mode d'organisation opportun qui a été retenu pour ce débat, je me
limiterai, dans cette première intervention, à des observations strictement
financières.
Le projet de loi de finances pour 2002 adopté en conseil des ministres donne à
la défense les moyens d'achever la mise en oeuvre de l'actuelle loi de
programmation militaire et de préparer efficacement la prochaine.
Le montant des crédits dont disposera le ministère de la défense en 2002, soit
29,264 milliards d'euros, progresse de 1,6 %.
En dehors de l'amendement proposé, dont nous débattrons plus tard, le projet
de budget fait apparaître un titre III en croissance de 2,3 %, représentant
16,457 milliards d'euros.
Je signale, pour l'information du Sénat, que ces crédits ont été majorés par
l'Assemblée nationale de 608 540 euros dans le cadre de la réforme des fonds
spéciaux proposée par le Gouvernement.
Ce budget donne les moyens d'achever la professionnalisation des armées. La
mutation engagée en 1997 a été menée à bien, comme l'a noté M. Trucy. Les
étapes prévues ont toutes été respectées. Certaines ont même été anticipées,
comme la suspension du service national.
Les restructurations - elles étaient importantes - ont été conduites en
étroite concertation avec nos interlocuteurs, ce qui a permis d'en maîtriser
les conséquences économiques, sociales et financières.
Le niveau des effectifs qui sera réalisé au sein des forces armées à la fin de
2002 a été fixé par la loi de programmation militaire 1997-2002. Sur cette
période, les effectifs s'élèvent à 436 221, ce qui représente 99 % de la
prévision initiale, et, s'agissant des personnels militaires sous statut ou
sous contrat, plus de 99,5 %.
MM. les rapporteurs spéciaux ont souligné la faiblesse de cet écart. Pour
respecter ce format, le projet de budget 2002 qui vous est présenté prévoit le
recrutement, au total, compte tenu des renouvellements, de 35 900 militaires et
3 750 civils, ce qui représente un nombre encore jamais atteint.
Un peu plus de 8 000 postes de militaires du rang seront créés pour atteindre
un effectif de 92 180 personnels. Les volontaires verront leur nombre porté à
près de 25 000, soit une augmentation de 6 500. L'objectif-cible sera atteint
en 2003. Le service de santé des armées bénéficiera de 371 emplois
supplémentaires.
Comme l'a souligné M. Trucy, l'accord signé dès le mois de juillet 2001 sur
l'aménagement et la réduction du temps de travail prévoit le recrutement de 2
200 agents civils et ouvriers d'Etat. Le recrutement de 900 ouvriers d'Etat
supplémentaires constitue une réponse au souci des armées de renforcer les
moyens humains de soutien que justifie leur activité.
Concernant les mesures inscrites au titre III, je rappellerai simplement que
les quelque 16,6 milliards d'euros qui y figurent permettent d'achever la
professionnalisation, de garantir l'efficacité de nos forces et de renforcer
les moyens de la sécurité intérieure. A cette fin, le Gouvernement, en
cohérence avec les objectifs de la loi de programmation militaire, souhaite se
donner les moyens de revaloriser la fonction militaire - je réponds ainsi aux
observations qui m'ont été faites. En particulier, le projet de budget prévoit
un volet catégoriel représentant un effort de 38,11 millions d'euros, qui
complète les mesures destinées aux militaires dont les revenus sont les plus
modestes, en application du « plan Sapin », qui s'élève, pour les armées, à 198
millions d'euros.
Ces mesures concernent, pour l'essentiel, la revalorisation des bas salaires,
la revalorisation indiciaire des jeunes sergents, l'augmentation du contingent
de primes de qualification des sous-officiers diplômés, le contingent de primes
pour les atomiciens de la marine, la revalorisation de l'indemnité spéciale
pour les maîtres contrôleurs aériens de l'armée de l'air et de la marine,
l'amélioration du régime de garde pour les médecins hospitaliers du service de
santé et la revalorisation de l'indemnité journalière d'absence temporaire pour
la gendarmerie mobile.
Ces mesures seront complétées. Nous engagerons les travaux dès janvier 2002,
avant les premières conférences budgétaires pour prolonger cette approche sur
2003, en nous fixant comme priorités : la solde à la mer, la prime des
officiers brevetés et des sous-officiers diplômés, la revalorisation du
traitement des personnels du service de santé, la revalorisation des débuts de
carrière des officiers, et la poursuite du plan indemnitaire bénéficiant à la
gendarmerie.
Le Gouvernement a décidé de rechercher une harmonie entre les temps d'activité
des militaires et ceux qui sont observés par l'ensemble de la société civile.
Les mesures décidées, que vous connaissez, s'articulent autour de trois
principes simples : donner du temps libre aux militaires chaque fois que cela
est possible, mettre en place une compensation financière forfaitaire et non
hiérarchisée, et reconnaître et valoriser certaines contraintes très
particulières.
L'ensemble des mesures qui ont été présentées au Conseil supérieur de la
fonction militaire et adoptées par le Gouvernement répondent, selon moi, à ces
besoins.
Ce plan est important, puisqu'il représente, sous son seul aspect
indemnitaire, 198 millions d'euros en année pleine. La charge pour l'année 2002
est entièrement financée. Tel est l'objet de l'amendement qui vous est soumis.
Ce sont 122 millions d'euros qui s'ajouteront aux 370 millions d'euros déjà
affectés à l'augmentation des rémunérations et des moyens de fonctionnement
figurant dans le projet de budget qui vous est soumis.
En outre, dans le cadre de l'effort de sécurité engagé, le Gouvernement étudie
des mesures exceptionnelles de recrutement de sous-officiers de gendarmerie qui
seront présentées lors du conseil de sécurité intérieur en janvier prochain.
Nous y reviendrons dans la suite du débat.
Ce projet de budget place l'entraînement des forces au coeur de ses priorités,
parce qu'il conditionne la réussite de nos missions.
Je confirme à M. Trucy que l'objectif du Gouvernement est bien d'atteindre les
normes d'activité fixées dans la loi de programmation, et nous en serons très
proches en fin de programmation. Je lui fais observer par ailleurs que le
calcul arithmétique qui consiste à comparer les dépenses de fonctionnement aux
effectifs de 1996 à la fin de 2002 ne prend pas en compte la suppression de
près de 100 000 postes. En réalité, le niveau des dépenses de fonctionnement
par effectif augmentera donc en 2002 par rapport au début de la
programmation.
Nous consacrons plus de 30 millions d'euros supplémentaires à l'augmentation
du taux d'activité. Ce taux atteindra, en 2002, 89 jours d'entraînement pour
l'armée de terre et 97 jours pour la marine. Nous serons donc très proches de
l'objectif final de cent jours. Quant à l'armée de l'air, le taux d'activité de
180 heures de vols est conforme aux standards internationaux.
S'agissant du maintien et de la fidélisation des effectifs une fois les
personnels engagés dans l'armée professionnelle, je signale à M. Trucy que le
taux de renouvellement des contrats des personnels engagés arrivant à terme est
supérieur aux prévisions, ce qui démontre dans les faits - il ne s'agit pas
d'une interprétation - que 80 % des personnels qui ont la possibilité de
renouveler leurs contrats après trois ou quatre ans d'expérience le font, ce
qui était l'objectif recherché.
Monsieur Trucy, les comparaisons relatives aux effectifs et aux possibilités
de recrutement entre armées professionnelles sont quelque peu périlleuses !
Permettez-moi de vous faire observer que la totalité des postes créés sur le
plan budgétaire pour les militaires dans les armées sont pourvus, et cela a été
vrai chaque année.
En revanche, au Royaume-Uni, et malgré l'organisation très efficace de nos
amis britanniques, une proportion substantielle d'emploi de militaires n'est
pas pourvue chaque année ! Par conséquent, si toutes les observations chiffrées
que vous avez faites, et qui me paraissent incomplètes, étaient conformes à la
réalité, c'est le contraire qui devrait se produire. Voilà l'observation toute
simple que je voulais vous faire, qui est fondée sur la réalité et non sur des
suppositions, monsieur le rapporteur spécial.
M. Michel Caldaguès.
Les chiffres sont quand même vrais !
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Mais les chiffres que je viens de citer le sont
aussi, monsieur le sénateur, et ce que je viens de dire est la réalité. Il y a
donc quelque chose qui ne colle pas tout à fait !
Les moyens financiers disponibles pour l'équipement des armées ont été
élaborés en continuité avec ceux de la loi de finances initiale pour 2001. Les
dotations des titres V et VI financeront l'annuité 2002 de la loi de
programmation.
Les autorisations de programme s'élèvent à 13,009 milliards d'euros, en
progression de 0,7 %. La loi de finances rectificative que vous examinerez dans
quelques jours inscrit en outre 457,35 millions d'euros d'autorisations de
programme nouvelles au titre des actions ciblées de lutte contre le
terrorisme.
Ces dotations permettront notamment de poursuivre la politique de commandes
pluriannuelles développée avec succès depuis quatre ans. Le montant
correspondant de ces commandes pluriannuelles, qui étaient attendues depuis si
longtemps, atteindra 9 milliards d'euros à la fin de l'année 2001 et doublera
presque avec la prise en compte de l'ATF, l'avion de transport futur, qui est
entièrement financé dans les autorisations de programme disponibles.
Le montant des crédits de paiement inscrits aux titres V et VI dans le projet
de budget pour 2002 s'élève à 12,396 milliards d'euros. Il faut y ajouter la
mobilisation de reports de crédits, qui est logique en fin de programmation, à
hauteur de 411 millions d'euros. Cela revient à un total de 84 milliards de
francs, comme M. Blin a bien voulu le noter.
Je suis, là encore, obligé de m'interroger sur la véracité de vos calculs. En
effet, M. Blin a parlé de 84 milliards de francs - il profite des dernières
semaines pendant lesquelles on peut encore parler en francs ! - de crédits
inscrits dans ce projet de loi de finances, alors que, selon lui, l'objectif
devrait être de 86 milliards de francs.
Monsieur Blin, pour être totalement honnête avec vous, permettez-moi de vous
dire que, s'il fallait prendre en compte les résultats de la revue de programme
et l'actualisation, l'objectif issu de la loi de programmation serait, en
réalité, supérieur : de l'ordre de 88,5 milliards de francs. Mais si, même pour
cette année, on ne trouve qu'un écart de 4 milliards de francs, il y a quelque
chose de mystérieux au fait de constater un écart total de plus de 60 milliards
de francs, avez-vous dit, monsieur le rapporteur, sur les lois de
programmation. En tenant scrupuleusement compte de l'actualisation, d'après les
indices officiels, des crédits qui avaient été prévus à la loi de
programmation, le chiffre réel est de 32 milliards de francs de manque sur plus
de 520 milliards de francs qui étaient programmés.
Cela aboutit bien à constater que cette loi de programmation, dans les lois de
finances successives, aura été appliquée à 94 % ; c'est incontestable ! Depuis
trente ans, aucune loi de programmation - je le dis pour ceux qui ont de la
mémoire - n'a été réalisée à un tel niveau.
Les autorisations de programme successives des six années auront représenté
presque 104 %, j'y insiste, des chiffres qui ont été inscrits. Je regrette donc
que ces chiffres n'aient pas été cités pour l'information du Sénat ;
heureusement que je suis en mesure de les donner ! Les engagements réels de
crédits, c'est-à-dire les passations de contrats, auront été, au 31 décembre de
cette année - nous parlons en effet des engagements réels, c'est-à-dire de
chiffres qui sont vérifiables par la Cour des comptes et qui seront vérifiés -,
de 108 % des chiffres programmés. Là encore, monsieur le rapporteur spécial, je
regrette que ce chiffre ait échappé à votre attention. Il faut que
l'information du Sénat soit complète ! Encore une fois, ce niveau d'exécution
d'une loi de programmation n'a jamais été atteint.
M. Maurice Blin,
rapporteur spécial.
Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur le
ministre ?
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Oui, mais je crois que M. le président Lambert
souhaite que nous allions vite...
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation.
Vous savez admirablement vous adapter, monsieur
le ministre !
M. le président.
La parole est à M. Blin, rapporteur spécial, avec l'autorisation de M. le
ministre.
M. Maurice Blin,
rapporteur spécial.
Je serai très bref. Nous n'allons pas engager une
bataille de chiffres, M. le président de la commission des finances nous ayant
demandé d'être brefs.
Les affirmations que je faisais tout à l'heure à la tribune sont conformes aux
constats multiples des plus hauts responsables des armées, d'une part, et de
mon collègue de l'Assemblée nationale, d'autre part. Il est regrettable,
monsieur le ministre, que vous vous satisfassiez d'avoir raison tout seul !
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
C'est possible, monsieur le rapporteur spécial,
mais allez-vous contester les chiffres que je viens de vous donner ? Oui ou
non, les engagements de crédits, c'est-à-dire les passations de commandes de ce
ministère, ont-ils été largement supérieur aux chiffres de la programmation ?
Il faut être concret !
Nous avons rattrapé le retard massif dû au gouvernement précédent et à sa
majorité !
(Protestations sur les travées du RPR.)
M. Hilaire Flandre.
On ne le dirait pas !
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
En 1996, les engagements de commandes du
ministère de la défense ont été de 61 milliards de francs. Ce fut une année
désastreuse, dont chacun se souvient. Les chiffres complets de l'année 2000,
les derniers connus, s'établissent à 107,4 milliards de francs. Il est
regrettable, monsieur le rapporteur spécial, que ces chiffres n'aient pas été
rappelés au Sénat.
Quant au satellite successeur de Syracuse, il entrera en service non pas en
2013, comme vous l'avez dit - je suis au regret de vous contredire, mais en
2003 ! Il vaut mieux vérifier de telles informations !
En conclusion, certaines des critiques que vous avez faites sont non fondées,
comme je viens de le démontrer. En revanche, d'autres le sont. Quoi qu'il en
soit, celles qui concernent, par exemple, la non-prise en compte des opérations
extérieures dans le budget initial, la contribution de la défense au BCRD ou
encore au soutien à la Polynésie auraient dû être faites, et avec encore plus
de vigueur, au gouvernement précédent. Mais la majorité de droite du Sénat
votait les budgets...
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. André Boyer, rapporteur pour avis.
M. André Boyer,
rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense
et des forces armées pour la section « Marine ».
Monsieur le président,
monsieur le ministre, mes chers collègues, faute de temps, mon propos aura pour
seul but d'attirer, s'il en était nécessaire, votre attention sur le
renouvellement et l'entretien de la flotte : flotte de surface, flotte
sous-marine et aviation embarquée.
Aujourd'hui se prépare la marine des années 2010, que nous souhaitons moderne
et efficace. C'est donc surtout en terme d'investissements, qui représentent 60
% de son budget, qu'il faut programmer son évolution.
Une grande partie des bâtiments aujourd'hui en service devra être remplacée :
six sous-marins nucléaires d'attaque, dix-sept frégates multimissions, quatre
frégates antiaériennes avec le programme Horizon et deux transports de chalands
de débarquement. Pour l'aéronautique navale, il s'agira de l'acquisition des
Rafale et des hélicoptères NH 90.
Vous avez déjà engagé un grand nombre de ces programmes, monsieur le ministre,
mais il reste encore beaucoup de chantiers à ouvrir.
Dans cette perspective et au titre de l'année 2002, les crédits d'équipement
s'avèrent insuffisants et il sera nécessaire, pour tenir le cap, d'accomplir un
effort très important dans les années qui viennent.
De ce fait, le budget global alloué à la marine, s'il protège le titre III,
induit au chapitre V des interrogations structurelles qui peuvent comporter des
remises en cause difficiles, sauf à imaginer que des majorations budgétaires
très importantes se haussent à l'avenir à la hauteur des espérances.
Existe-t-il d'autres moyens de faire face à ces problèmes ?
Tel sera, monsieur le ministre, le sens des deux interrogations que je
souhaite vous soumettre.
La première concerne le recours à la sous-traitance ou l'appel à des
entreprises industrielles dans trois domaines différents.
Le premier consisterait à faire appel à des entreprises de services pour des
missions qui n'ont pas de caractère proprement militaire telles que la
restauration ou l'entretien des bâtiments.
La professionnalisation des armées, dit-on de toute part, est une réussite, et
nous nous en réjouissons. Le dernier conscrit s'en est allé, mais déjà son
départ crée un vide dans certains domaines.
Pourtant, dans le budget 2002, il n'y aura pas d'augmentation des crédits de
sous-traitance et les armées désormais professionnelles, et considérées comme
telles, continueront à remplir des tâches qui ne font pas partie de leur coeur
de métier.
Pouvez-vous nous donner votre opinion à cet égard, monsieur le ministre ?
Le deuxième champ d'application pourrait être de confier, beaucoup plus
largement qu'aujourd'hui, l'entretien des matériels, aéronautiques notamment,
et la gestion des rechanges à des industriels privés. On cite comme exemple de
réussite en ce domaine le contrat de maintenance des Falcon 50 de la marine
avec la société Dassault Falcon Service, qui assure un taux de disponibilité
des matériels à près de 90 %.
Faut-il continuer dans cette voie ?
Pour mettre fin rapidement à l'effondrement des taux de disponibilité des
matériels, la restructuration du soutien s'imposait. N'y a-t-il pas lieu de
s'interroger, cependant, sur la pertinence du transfert de l'entretien de
l'aéronautique et de la flotte à des structures administratives centralisées
qui buteront rapidement sur les contraintes lourdes du code des marchés publics
?
Quel est, monsieur le ministre, dans ce domaine où vos compétences économiques
reconnues guident sûrement un jugement lucide, le choix le plus opportun ?
Le troisième domaine concerne l'acquisition de certains équipements. Nos amis
britanniques ont choisi un contrat de service pour s'assurer la disponibilité
du matériel voulu, en fonction des besoins, par une simple participation à
l'achat, en laissant la maintenance au prestataire privé, qui peut utiliser ces
équipements lorsque la marine n'en a pas besoin. C'est ainsi que la Royal Navy
va disposer de six navires de transport supplémentaires à moindre coût.
Cet exemple pourrait-il inspirer la défense française ou la future force de
réaction rapide européenne pour répondre à ses besoins de transport stratégique
maritime en complément des bâtiments militaires ?
Ce dernier point me conduit, monsieur le ministre, à vous poser, mais
brièvement malgré l'importance du sujet, ma seconde question : qu'en est-il de
la mise en place, dans le cadre de la construction de la défense européenne,
d'une gestion commune des moyens de transports maritimes comparable à ce qui se
fait en matière de ravitaillement en vol ou de transport aérien ?
Telles sont, monsieur le ministre, puisque telle est désormais la règle, les
quelques interrogations que le rapporteur pour avis du budget de la marine est
en mesure de formuler à propos du budget 2002... pour vous soumettre à la
question.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste,
du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur les travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Faure, rapporteur pour avis.
M. Jean Faure,
rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense
et des forces armées pour le nucléaire, l'espace et les services communs.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans le
domaine nucléaire, après plusieurs années d'érosion continue, nous enregistrons
une forte augmentation des crédits. Elle correspond à la poursuite des grands
programmes de modernisation de nos deux composantes et au programme de
simulation.
Notre commission se félicite de la préservation des crédits du nucléaire, bien
que la dégradation du budget de la défense ne la rende malheureusement possible
qu'au détriment de l'équipement classique. La dissuasion demeure, y compris
dans le contexte que nous connaissons aujourd'hui, la garantie ultime de nos
intérêts vitaux. Nous avons sur ce point été très attentifs aux propos tenus le
8 juin dernier par le Président de la République, qui a démontré comment notre
dissuasion s'adaptait aux menaces nouvelles, notamment la prolifération des
armes de destruction massive.
Nous sommes cependant très réservés face au décalage de deux ans de
l'admission au service actif du quatrième sous-marin nucléaire lance-engins de
nouvelle génération. Lié à des contraintes budgétaires, ce décalage remet en
cause un calendrier soigneusement réaménagé voilà trois ans, qui prévoyait
notamment d'avancer de deux ans la livraison du missile M 51 pour la coordonner
avec la mise en service du lance-engins. Tout cela ne nous semble pas cohérent,
sans parler des problèmes d'organisation pour l'industriel. Par ailleurs,
qu'advient-il des importantes économies annoncées par la direction générale
pour l'armement, la DGA, il y a trois ans sur ce programme ?
Dans le domaine spatial, nos ambitions se limitent désormais aux programmes
d'observation optique Hélios II et de télécommunications Syracuse III dont vous
avez annoncé la mise en place pour 2003. L'acquisition d'une capacité
d'observation tout temps est désormais suspendue à un partenariat avec
l'Allemagne et l'Italie. Mais quel est le degré réel d'engagement de ces deux
pays dans ces programmes, en particulier sous l'angle financier ? A quelle
échéance pourrait fonctionner un système européen d'observation spatiale
organisé autour d'Hélios II et des équipements radars italiens et allemands
?
S'agissant de la Délégation générale pour l'armement, nous regrettons la
stagnation, année après année, des dotations d'études-amont, inférieures de 25
% à leur niveau de 1996. L'écart se creuse non seulement avec les Etats-Unis,
mais aussi avec notre voisin britannique. Peu visibles aujourd'hui, les
conséquences de cette politique sur nos capacités technologiques face à nos
concurrents se feront sévèrement sentir à l'avenir.
Ma question suivante porte sur la Direction des constructions navales, la DCN.
Le calendrier de sa transformation en société et le maintien du capital aux
mains d'un seul actionnaire, l'Etat, permettront-ils réellement à la DCN de
faire valoir ses atouts dans les restructurations européennes en cours ? Par
ailleurs, comment le projet de société commune avec Thalès s'articule-t-il avec
ce changement de statut ?
Ma dernière observation concerne le service de santé des armées. En 2002,
l'effort portera sur un recrutement d'infirmiers, qui vient compenser
l'application des 35 heures dans les hôpitaux militaires. En revanche, nous
sommes très inquiets face à la détérioration des effectifs de médecins des
armées, faute de succès du recrutement direct. Le plan de revalorisation mis en
place cette année apparaît tardif et insuffisant. Une action beaucoup plus
vigoureuse s'impose pour renforcer l'attractivité de la carrière médicale
militaire et conserver ainsi la haute qualité du soutien médical de nos
armées.
En conclusion, malgré quelques motifs de satisfaction, en particulier dans le
domaine nucléaire, ce budget souffre du renouvellement d'opérations aussi
contestables que la ponction sur le titre V au profit du budget civil de
recherche et développement, et surtout du non-respect, pour la troisième année
consécutive, des engagements de stabilisation des crédits d'équipement pris par
le Premier ministre en 1998.
Le recul de notre investissement de défense fragilise considérablement les
objectifs retenus par le projet de programmation pour les années 2003-2008. Il
nous entraîne à contresens, face aux exigences d'un environnement international
incertain, ce qui nous conduit à émettre un avis défavorable sur ce projet de
budget.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. François, rapporteur pour avis.
M. Philippe François,
rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense
et des forces armées pour la section « Gendarmerie ».
Monsieur le
président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il se trouve que la
gendarmerie traverse aujourd'hui une crise sans précédent dans son histoire, et
l'on est amené à penser que le projet de budget pour 2002 ne répond
malheureusement pas à l'insatisfaction des personnels, dont les signes se
multiplient sous des formes que je ne saurais d'ailleurs toujours approuver.
Certes, nous mesurons, monsieur le ministre, les efforts que vous avez
déployés pour obtenir certaines améliorations significatives, présentées lors
du Conseil supérieur de la fonction militaire la semaine dernière. Mais ces
mesures apparaissent trop tardives.
Je regrette vivement que les dispositions nécessaires n'aient pas été prises,
alors même que les signaux annonciateurs d'une grave crise se sont accumulés au
cours des derniers mois sous l'effet de nombreux facteurs : des brigades
débordées et fragilisées par la substitution de volontaires aux professionnels
; des infrastructures vétustes, souvent indignes du logement que l'Etat se doit
de fournir à ses serviteurs ; une gendarmerie mobile suremployée et accaparée,
comme la territoriale, par des tâches extérieures à sa mission première de
sécurité ; enfin, un climat d'insécurité marqué par la multiplication d'actes
de violence contre les forces de l'ordre elles-mêmes !
Dans ce contexte, trois motifs de préoccupation doivent être soulignés : les
effectifs, les rémunérations et le statut militaire.
Le premier sujet de préoccupation concerne l'évolution des effectifs. Les
besoins dans ce domaine doivent s'apprécier au regard de missions qui ne
cessent de s'alourdir. Faut-il le rappeler, la gendarmerie s'investit toujours
davantage dans les zones périurbaines. Mais le renforcement du dispositif dans
ces zones dites « sensibles » entraîne souvent un déplacement de la
délinquance, devenue de plus en plus mobile, vers les zones rurales. En tant
que maire d'une commune de Seine-et-Marne, je peux en témoigner. C'est pourquoi
la nécessité d'un fort maillage territorial conserve toute sa pertinence.
Par ailleurs, la présence de la gendarmerie sur les théâtres extérieurs tels
que les Balkans constitue aussi une contrainte au moment où l'augmentation des
effectifs suffit à peine à couvrir les besoins de sécurité nationale.
Face à des missions accrues et de plus en plus difficiles, la gendarmerie a
aujourd'hui un besoin impératif de personnels professionnels supplémentaires.
Or, aux termes de la loi de programmation qui s'achève, l'augmentation des
effectifs de l'armée a exclusivement reposé sur des volontaires destinés à
prendre progressivement la place des appelés du service national. A l'évidence,
il est aujourd'hui nécessaire de stabiliser le nombre de ces volontaires et
d'accroître les effectifs des professionnels.
La future loi de programmation ne donne aucune indication précise sur
l'évolution des effectifs. Vous avez cependant annoncé, monsieur le ministre,
lors du conseil supérieur de la fonction militaire, un plan de recrutement de 3
000 sous-officiers sur trois ans, à compter de l'année prochaine. Pouvez-vous
nous préciser les conditions de financement de ce programme qui apparaissent
aujourd'hui bien imprécises ?
Le deuxième motif de préoccupation a trait aux rémunérations. Depuis 1989, la
revendication d'une indemnité destinée à compenser la disponibilité permanente
des gendarmes est récurrente mais reste non satisfaite. Naturellement, les
attentes se sont aiguisées alors que, avec la mise en oeuvre des 35 heures,
l'écart entre les conditions civile et militaire s'élargit. La pression s'est
encore accrue cette année avec la mise en place de l'euro et la réactivation du
plan Vigipirate renforcé. Quant à la menace terroriste, ne risque-t-elle pas de
mobiliser les forces de gendarmerie sur une période dont il n'est pas possible
de prévoir le terme ?
Les aspirations des personnels se sont cristallisées autour du treizième mois.
Les mesures annoncées devant le conseil supérieur de la fonction militaire
traduisent une avancée qui, hélas ! est cependant en deçà de la demande et ne
paraît pas de nature à apaiser le malaise des personnels. En outre, elles sont
financées par un prélèvement inadmissible sur un titre V déjà particulièrement
contraint. Dans ces conditions, monsieur le ministre, quelles dispositions
complémentaires envisagez-vous pour mettre fin à la crise actuelle ?
L'exercice, certes, est difficile, car les armées regardent du côté de la
gendarmerie qui, elle-même, regarde du côté de la police ! Il peut donc y avoir
des effets de contagion très lourds pour les finances publiques. Faudrait-il,
dès lors, comme d'aucuns en ont exprimé le voeu, séparer la gendarmerie du
ministère de la défense, avec, pour conséquence, une remise en cause du statut
militaire de l'institution ? (
M. le ministre marque son intérêt.
)
Ce serait, à notre sens, une faute, et une faute historiquement grave, car la
dualité des forces de police constitue un élément fondamental de l'Etat de
droit.
M. Jean Chérioux.
Bien sûr !
M. Philippe François,
rapporteur pour avis.
Par ailleurs, les personnels de la gendarmerie
sont, nous le savons, fondamentalement attachés au statut militaire. Aussi
est-il essentiel, monsieur le ministre, que vous réaffirmiez ici,
solennellement, la position du Gouvernement sur ce sujet crucial pour notre
démocratie.
Pour conclure, les crédits prévus dans le projet de loi de finances marquent
manifestement une sous-estimation des besoins de la gendarmerie. C'est la
raison pour laquelle je me joindrai aux autres rapporteurs de la commission des
affaires étrangères pour vous inviter, mes chers collègues, à rejeter le budget
de la défense.
La crise actuelle ne trouvera pas sa solution dans des mesures de
circonstance, car elle traduit aussi des inquiétudes plus profondes sur la
place et sur les missions dévolues aux forces de sécurité. C'est pourquoi il me
paraît indispensable et urgent de fixer un cap clair à notre politique de
sécurité en engageant, avec l'ensemble des acteurs intéressés, une large
concertation sur les objectifs et les moyens de l'action de l'Etat dans ce
domaine. Sachez, monsieur le ministre, que le Sénat apportera sa contribution à
ce débat essentiel pour l'avenir de la République.
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Vinçon, rapporteur pour avis.
M. Serge Vinçon,
rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense
et des forces armées pour la section « Forces terrestres ».
Monsieur le
président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des
affaires étrangères et de la défense trouve, au titre III du budget des forces
terrestres, certains motifs de satisfaction avec, d'une part, la poursuite du
redressement des crédits de fonctionnement et, d'autre part, les premières
mesures spécifiques d'amélioration de la condition militaire depuis 1997.
J'avais insisté, l'an passé, sur les risques d'une évolution divergente entre
les conditions de vie et de travail des militaires et celles des civils. Ces
mesures, bien que modestes encore et limitées aux sous-officiers, sont
positives.
Confirmez-vous, monsieur le ministre, qu'il ne s'agira là que d'une première
étape et qu'il faudra aller plus loin, notamment pour les jeunes officiers ?
Au-delà des aspects budgétaires, la commission des affaires étrangères estime
que l'armée de terre a relevé avec succès le principal défi de sa
professionnalisation, à savoir le recrutement d'engagés. Pour autant, elle aura
connu, ces dernières années, un sous-effectif permanent, qui n'est pas
seulement conjoncturel et lié à la fin du service national. Des déficits
préoccupants subsistent non seulement pour les personnels civils, alors même
qu'un millier de postes auront été supprimés par rapport à la loi de
programmation, mais aussi pour les militaires, dans la catégorie des
volontaires. Cette situation pèse lourdement sur des unités très
sollicitées.
S'agissant des personnels civils, ma première question, nous avons quelques
difficultés à avoir un point précis de la situation. Chaque année, on nous
assure que les recrutements du dernier trimestre et ceux de l'année suivante
résorberont bientôt le déficit. Mais, pour l'armée de terre, la situation ne
s'est pas améliorée et s'est même plutôt dégradée. Des mesures précises
sont-elles envisagées pour 2002 ou faudra-t-il continuer à s'accommoder
longtemps encore de cette situation très pénalisante ?
Ma deuxième question concerne les volontaires. Face aux difficultés à pourvoir
la totalité des postes, ne croyez vous pas que la cible de la loi de
programmation est trop ambitieuse et qu'il faudrait tout simplement transformer
un certain nombre de postes de volontaire - entre 1 000 et 2 000 - en postes
d'engagé ?
J'en viens aux crédits d'équipement. Pour l'armée de terre, ils reculent de
plus de 7 %. Pour sa dernière année d'exécution, c'est un décrochage définitif
par rapport aux objectifs de l'actuelle loi de programmation. Cet affaissement
de l'effort d'équipement va accentuer des retards déjà très préoccupants dans
la modernisation des matériels. Compte tenu des échéances tardives de
remplacement, il faudra compter, pour de nombreuses années encore, sur des
équipements vieillissants, donc coûteux en entretien et en remise à niveau. La
situation de nos capacités aéromobiles est particulièrement inquiétante, le NH
90 n'étant pas prévu avant 2011, et nous craignons un réel affaiblissement de
nos capacités opérationnelles. Cette situation tendue fait peser de lourdes
contraintes sur la gestion du titre V.
Je regrette ainsi qu'en raison du contexte budgétaire la question du
renouvellement de nos capacités antichar soit laissée en suspens. Face au
risque de perte, en France, de la capacité industrielle dans ce domaine,
envisagez-vous, monsieur le ministre, de relancer le programme Trigan pour le
remplacement de nos actuels missiles Milan, avec les fortes perspectives à
l'exportation qui en résulteraient ?
Ma troisième question concerne l'hélicoptère Tigre. Les besoins de l'armée de
terre comme ceux d'éventuels acheteurs étrangers plaident aujourd'hui très
fortement pour le développement d'une version polyvalente dite « HAD », au lieu
et place de nos deux versions, conçues dans un tout autre contexte. Les moyens
financiers nécessaires à ce développement utile seront-ils mis en place ou
peuvent-ils être transférés ?
En conclusion, nous constatons que, pour les crédits de paiement, le niveau
prévu pour 2002, conjugué aux très fortes annulations décidées en cette fin
d'année, risque de provoquer des reports de charges et des difficultés de
paiement l'an prochain. Quant à l'enveloppe accordée pour les autorisations de
programme, elle oblige à reporter plusieurs commandes, amplifiant ainsi les
retards accumulés ces dernières années.
C'est pourquoi la commission des affaires étrangères et de la défense a émis
un avis défavorable sur ce projet de budget. (
Applaudissements sur les
travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants, ainsi
que sur certaines travées du RDSE.
)
M. le président.
La parole est à M. Pintat, rapporteur pour avis.
M. Xavier Pintat,
rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense
et des forces armées pour la section « Air ».
Monsieur le président,
monsieur le ministre, mes chers collègues, les crédits affectés à l'armée de
l'air par le projet de budget de la défense pour 2002 se montent à 5,202
milliards d'euros, soit une croissance d'environ 1,8 % par rapport au budget
voté en 2001.
Cette croissance correspond globalement au taux de l'inflation et le montant
des crédits affectés à l'armée de l'air doit donc être considéré comme
stable.
Alors que l'armée de l'air, comme les autres armées, a réussi sa
professionnalisation, il est toutefois dommage de constater qu'elle est
sous-dotée au regard de ses besoins, notamment pour ses équipements.
Rappelons que la part du budget de la défense dans le produit intérieur brut a
chuté, passant de 2,6 % à 1,8 % entre 1991 et 2001.
Deux aspects du budget de l'armée de l'air me semblent particulièrement
susceptibles de porter préjudice à son bon fonctionnement : le premier tient
aux tensions affectant les recrutement de certains corps qui la composent, le
second porte sur les difficultés prévisibles de constitution de son parc de
matériel de transport et de combat aérien.
S'agissant des recrutements, l'armée de l'air a le privilège de ne pas
rencontrer, du moins jusqu'à présent, de difficultés pour s'attacher les
services des futurs officiers. En revanche, comme dans l'ensemble du ministère
de la défense, des tensions d'inégale importance sont apparues dans les
recrutements des militaires techniciens de l'air, des volontaires et des
personnels civils. Pour faire court, les contraintes inhérentes à la condition
militaire détournent de nombreuses vocations.
Ma question est donc d'ordre général, et rejoint les inquiétudes déjà
exprimées par plusieurs de mes collègues : comment « compenser » les
contraintes de la vie militaire et rendre ce métier attractif dans une société
dont les conditions générales de vie s'éloignent de ces contraintes de façon
croissante ?
Je m'interroge également sur les équipements. Là encore, de nombreuses
questions inquiètent très légitimement les parlementaires, comme vous l'avez
déjà perçu, monsieur le ministre.
Ainsi, le projet d'avion A 400M, destiné à remplacer nos Transall à l'horizon
2007, traverse, en ce moment même, une passe très difficile. Les incertitudes
italiennes et, surtout, allemandes risquent de mettre en péril un projet
capital y non seulement sur le plan opérationnel, mais aussi sur le plan
industriel.
La politique européenne de défense serait gravement atteinte dans sa
crédibilité si un projet aussi emblématique venait à être compromis. Nous vous
serions reconnaissants, monsieur le ministre, de faire le point sur ce dossier
devant la Haute Assemblée.
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Très bien !
M. Xavier Pintat,
rapporteur pour avis.
Par ailleurs, l'avenir de l'industrie européenne en
matière d'aviation de combat s'annonce problématique.
Au moment où le Rafale tente de s'insérer dans la difficile compétition
ouverte par le renouvellement des flottes de nombreux pays, le projet américain
de JSF, ou
Joint Strike Fighter
- il porte sur un total de 6 000
appareils dont les premiers exemplaires arriveront à l'horizon 2009, soit à
peine trois ans après la livraison du premier escadron de Rafale à l'armée de
l'air - ne risque-t-il pas de marginaliser notre industrie, tant nationale
qu'européenne, dans un secteur stratégique pour la décennie future ?
Dans ce contexte, monsieur le ministre, l'initiative du 19 novembre dernier
prise par six pays européens, dont le nôtre, de s'engager à financer et à
réaliser le développement de nouveaux systèmes d'armes aériennes est-il de
nature à compenser la pression qui s'exerce sur nos équipements aériens majeurs
?
Monsieur le ministre, pour conclure, va-t-on assez vite pour adapter notre
outil militaire à un environnement très dangereux, traversé par des menaces
nouvelles et multiformes dues au terrorisme international ? Tel est le grand
défi que nous devons relever ensemble, et ce projet de budget, par ses
insuffisances du point de vue des équipements, n'est pas de nature à nous
rassurer.
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a
donc émis un avis défavorable à l'adoption de ce budget, et son président vous
expliquera les raisons de cet avis en détail tout à l'heure.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Répondant aux rapporteurs spéciaux, j'ai indiqué
tout à l'heure les grandes lignes du projet de loi de finances.
Bien naturellement, les orateurs qui se sont exprimés au nom de la commission
des affaires étrangères et de la défense se sont préoccupés de l'adéquation du
projet de budget à l'évolution de la situation internationale et intérieure.
Nous savons que le budget du ministère est conçu pour donner au pays les
moyens de faire face à ces défis. C'est pourquoi des adaptations limitées sont
nécessaires chaque année, tant dans la gestion que dans les prévisions mêmes.
Nous en aurons confirmation dans le projet de loi de finances comme dans la loi
de finances rectificative.
Je ne reviendrai pas sur les questions catégorielles, qu'ont évoquées certains
orateurs, puisque je les avais déjà abordées tout à l'heure, en réponse aux
rapporteurs spéciaux. Je souhaite en revanche commenter les remarques de M.
François sur la gendarmerie.
Je tiens à souligner les mesures importantes que le Gouvernement a prises pour
répondre aux besoins de l'arme et aux attentes de ses personnels. Ainsi, la
rémunération des militaires de la gendarmerie départementale augmentera de 1
275 euros par an, et les gendarmes des unités mobiles bénéficieront de 870
euros supplémentaires et de huit jours de temps libre. Ces mesures sont donc
beaucoup plus substantielles que celles que contenaient tous les plans
précédents.
Le Gouvernement a par ailleurs manifesté sa volonté de poursuivre la
concertation, dès les semaines à venir, sur des sujets concrets répondant, une
fois encore, aux préoccupations qui se sont exprimées, en particulier, en
matière d'effectifs supplémentaires ; c'est bien là, en effet, la première
réponse à apporter au problème de la surcharge de travail.
Monsieur François, les budgets qui vous ont été présentés pour 2000 et pour
2001 n'ont pas été adoptés par le Sénat. Celui qui vous est soumis aujourd'hui
prévoit au total la création de 1 700 postes de sous-officiers. Il faut, en
effet, faire un bref retour sur ce point de la loi de programmation.
M. François a eu l'honnêteté de le reconnaître, la loi relative à la
programmation militaire pour les années 1997 à 2002 - qui avait été, en
revanche, adoptée par la majorité sénatoriale - ne prévoyait aucune création de
poste de sous-officier dans la gendarmerie. Au cours des deux dernières années,
1 700 postes de gendarmes ont été créés, et le Gouvernement arrêtera dans les
semaines qui viennent un plan comportant la création de 3 000 postes de
sous-officiers supplémentaires.
Cet effort était nécessaire et, assurément, la situation aurait été bien
meilleure s'il avait été engagé plus tôt.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Nous arrivons à la fin d'une
législature !
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
C'est possible, mais la dernière n'a pas disparu
des mémoires, monsieur le président de la commission !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Certes, mais il faut aussi
accepter son propre bilan !
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Je regrette que cela vous dérange...
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Cela ne me dérange pas !
M. Alain Richard,
ministre de la défense
... et provoque de telles réactions de votre part,
mais c'est un simple fait objectif que M. François a bien voulu rappeler : il
n'y avait aucune création de poste de sous-officier - 0,0 - dans la loi de
programmation adoptée par la majorité du Sénat en 1996 !
M. Philippe François,
rapporteur pour avis.
Nous n'avions pas prévu les 35 heures, à l'époque
!
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Je suis désolé de déranger en rappelant ce simple
fait !
(Vives protestations sur les travées de l'Union centriste, du RPR et
des Républicains et Indépendants.)
M. Jean Arthuis.
C'était avant les 35 heures !
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
C'est possible, mais il y avait déjà des besoins
de sécurité qui n'avaient pas été pris en compte.
M. Jean Chérioux.
Vous comparez l'incomparable !
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Je suis désolé de provoquer des réactions aussi
vives, mais c'est un fait que j'énonce !
(Nouvelles protestations sur les
mêmes travées.)
Je vous laisse vous exprimer, messieurs, mais vous savez bien que c'est un
fait !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Pas du tout !
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Le sujet mérite un peu d'attention et de sérénité
!
M. Jean Chérioux.
Pas de provocation !
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Mais vous devez être capable d'y résister,
monsieur le sénateur, avec votre pondération bien connue !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Vous aussi !
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
C'est ce que je fais : je n'ai interrompu
personne, alors que j'étais en désaccord avec nombre d'orateurs.
Ces mesures ont été adoptées à l'issue d'un processus de concertation, et je
veux insister sur le rôle central qu'ont joué les représentants statutaires des
personnels et les représentants élus des unités : tout au long de la
concertation, ils ont exprimé fidèlement les aspirations de leurs collègues, et
je sais qu'ils entendent conserver ce rôle essentiel de représentation, dans le
respect de l'éthique militaire.
Je soumettrai au Sénat trois réflexions sur cette situation difficile.
D'abord, le Gouvernement est convaincu que les personnels de gendarmerie sont
motivés par la volonté loyale d'avoir les moyens de bien mener leur mission au
service des Français, justifiant ainsi leur confiance.
Ensuite, le Gouvernement a déjà fait beaucoup, par les mesures qu'il a prises,
et il exprime clairement son intention de poursuivre son effort pour répondre
mieux encore aux aspirations des personnels et aux besoins de l'arme.
Enfin, le Gouvernement - et je suis tout à fait clair dans ma réponse à M.
François sur ce point - tient au statut militaire de la gendarmerie, qui est à
la fois un cadre de travail et une garantie. Ce statut doit rester la règle
pour tous, dans l'éthique et dans le comportement.
C'est sur la base de ces trois réflexions que le Gouvernement a le devoir de
conduire son action.
La situation du service de santé a également été mentionnée, à juste titre. Je
confirme à M. Jean Faure que le projet de budget assure le financement de la
deuxième étape du plan de revalorisation de la situation des médecins et
organise le recrutement de personnels militaires et civils permettant le bon
fonctionnement de ce service.
Le recrutement dans le corps des médecins des armées continuera de reposer sur
l'augmentation du nombre de places offertes, notamment à l'entrée dans les
écoles de formation. Je voudrais insister sur le fait que le nombre de places
offertes sera passé de 120 postes en 1998 à 150 postes en 2001 et autant en
2002.
M. Jean Faure,
rapporteur pour avis.
Il n'y a pas de candidats !
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Bien sûr que si ! Ne dites pas de choses
inexactes, monsieur Faure.
M. Jean Faure,
rapporteur pour avis.
Il y a un déficit de candidats !
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Pas du tout ! Les postes de médecins ouverts au
concours de l'Ecole de santé sont pourvus par les meilleurs candidats. Je ne
voudrais pas que vous laissiez le Sénat ignorer ce fait, monsieur le rapporteur
pour avis !
M. Michel Moreigne.
Très bien !
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
C'est vrai depuis des dizaines d'années, et cela
reste vrai aujourd'hui. Il faut rester, autant que possible, fidèle aux faits
!
Je voudrais préciser à M. Vinçon, qui s'interrogeait sur le recrutement des
volontaires, que l'armée de terre, assez naturellement, a fait porter
l'essentiel de son effort, au cours des deux dernières années, sur le
recrutement des engagés volontaires de l'armée de terre. Ce fut un succès,
puisque 2001 a vu le plus grand nombre d'engagements de toute la période
contemporaine. Bien entendu, ces engagements se sont aussi appuyés sur le
vivier que constituaient les jeunes volontaires de l'armée de terre ; c'est, me
semble-t-il, une évolution professionnelle logique.
L'armée de terre va donc pouvoir accentuer maintenant son effort de
recrutement en direction des volontaires de l'armée de terre, et le
Gouvernement pense que la catégorie des volontaires prendra à l'avenir toute sa
place.
Il faut préciser, et je réponds là à M. Boyer, que des postes de personnels
civils ont été gelés dans la perspective d'une externalisation, ce qui procure
à l'armée de terre des moyens supplémentaires pour répondre à ses objectifs. En
outre, s'agissant de la proportion de postes pourvus pour les personnels civils
de l'armée de terre, nous étions à un peu plus de 4 200 postes vacants à la fin
de l'année 1999, et la fin de l'année présente verra le déficit réduit à moins
de la moitié, c'est-à-dire entre 1 800 et 2 000 postes non pourvus. Toutefois,
1 100 postes seulement sont effectivement vacants, puisqu'il faut tenir compte
de ceux dont le financement est venu soutenir l'effort d'externalisation.
Ces dernières années, nous avons rapidement progressé dans la voie de
l'externalisation. Cette démarche, pour être réussie, doit être acceptée par
les personnels civils titulaires. Cela suppose une analyse rigoureuse des
activités externalisables, la préparation de cahiers des charges précis et
conformes aux règles de la concurrence et l'appropriation par les personnels
concernés des outils de contrôle de l'exécution des marchés de prestations
concernés. Un effort déjà important a été accompli, et il nous a semblé utile
de consolider les acquis dans le projet de budget pour 2002.
J'apporterai maintenant quelques précisions sur les différents programmes
d'armement.
S'agissant de la dissuasion - je poursuis ainsi le dialogue avec M. Faure -,
la décision de décaler de deux ans le sous-marin lance-engins de nouvelle
génération a été prise dans le cadre de l'élaboration de la prochaine loi de
programmation militaire, approuvée par le conseil des ministres sous la
présidence du Président de la République.
Au titre du système de forces « commandement, communication, conduite
d'opérations et renseignements », objet d'une autre question de M. Faure,
l'engagement de la France dans une mutualisation de l'observation spatiale
relève pour nous d'un engagement politique déterminé.
(M. Faure, rapporteur
pour avis, s'entretient avec M. le président de la commission des finances.)
Je rappelle, monsieur Faure, que le programme Hélios II...
Mais vous ne m'écoutez pas, monsieur Faure !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Nous vous écoutons ! Même sur
les médecins, nous ne sommes pas d'accord !
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Vous me permettrez néanmoins de répondre à M.
Faure sur une question qui, voilà quelques minutes, paraissait l'intéresser
!
M. Michel Caldaguès.
Oui, mais le ton est déplaisant !
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Je me passe de votre appréciation, monsieur
Caldaguès. Vous faites mieux dans ce domaine !
M. Michel Caldaguès.
Vous le verrez tout à l'heure !
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Excusez-moi, mais vous ne devriez pas adopter une
telle attitude. Ce n'est pas à la hauteur du débat du Sénat.
M. André Rouvière.
Ah oui !
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Je choisis le ton respectueux, objectif et assuré
de mes convictions qui convient quand on s'adresse à une assemblée de la
République.
M. Claude Estier.
Très bien !
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Je voulais donc dire à M. Faure que la
réalisation du programme Hélios II incombant à la France est exactement
conforme aux prévisions et aux engagements financiers qui ont été pris.
Le lancement du programme italien de satellites d'observation radar a fait
l'objet d'un accord formel lors du dernier salon du Bourget, et nous pensons
que les premières données seront disponibles en 2004. Tous les contacts que
nous entretenons avec nos partenaires italiens démontrent leur détermination à
mener à bien un programme dans lequel ils se sont fortement engagés.
J'ai déjà apporté les précisions souhaitables sur le système de forces «
Projection mobilité ».
Je reviens sur le système de forces « frappe dans la profondeur ». Les
principaux programmes sont poursuivis pour que nous puissions nous rapprocher
de l'objectif capacitaire fixé pour 2015. Ces capacités reposent notamment sur
l'avion de combat Rafale, dont la première flottille au standard F1 prévue par
la programmation sera opérationnelle en 2002. Une tranche conditionnelle de
vingt Rafale sera notifiée cette année même. Le programme connaîtra une
nouvelle étape avec le développement du standard F2, capable de missions
air-sol. De même, les premiers missiles de croisière antipistes Apache seront
livrés aux forces avant la fin de cette année et seront pleinement
opérationnels à la mi-2002.
Les programmes relevant du système de forces « maîtrise du milieu
aéroterrestre » se déroulent conformément aux objectifs fixés par la loi de
programmation militaire. Le Gouvernement a lancé la commande du nouveau
programme de véhicules de combat de l'infanterie. Il fait tous les efforts
nécessaires, en concertation avec l'entreprise titulaire du marché,
c'est-à-dire GIAT Industries, pour que ce programme atteigne son objectif et,
surtout, respecte la date de sa livraison. Il a notifié dès l'été 2001 la
commande des 52 chars Leclerc qui permettront de compléter intégralement la
cible de 406 chars fixée par la loi de programmation militaire. Il ne me paraît
pas inutile de rappeler cette information. Concernant le Trigan, monsieur
Vinçon, vous connaissez la position sans ambiguïté que j'ai exprimée au nom du
Gouvernement. Le dialogue avec l'industriel a été poursuivi, et un projet de
marché de 61 millions d'euros a été proposé à l'entreprise.
Quant au programme Tigre - qui, à l'issue d'une compétition, a été retenu par
l'Australie, il faut le souligner -, l'Espagne a fait part de son intérêt pour
ce nouvel hélicoptère. Les Etats parties, la France et l'Allemagne, ainsi que
l'industriel, étudient la possibilité de développer une nouvelle version de cet
hélicoptère répondant au mieux aux différents pays acheteurs potentiels.
L'observation sur la date de livraison des NH90, qui résulte d'un choix de
priorité, appelle deux remarques de ma part : d'abord, le projet de loi de
programmation militaire pour 2003-2008, qui a été adopté par le conseil des
ministres le 31 juillet dernier, prévoit un effort de modernisation à mi-vie
des hélicoptères Puma, ce qui augmentera le potentiel d'aéromobilité de l'armée
de terre ; ensuite, le projet de loi de finances rectificative pour 2001, qui
vous sera soumis dans les jours qui viennent, prévoit, l'augmentation de la
mobilité de nos forces étant conçue comme l'une des réponses aux défis posés
par la lutte contre le terrorisme, la commande de huit hélicoptères
supplémentaires pour l'armée de terre et de cinq hélicoptères pour les autres
armées.
En ce qui concerne le système de forces « maîtrise du milieu aéromaritine »,
je veux, en réponse à M. André Boyer, souligner que la mise en commun de moyens
de transports maritimes dans le cadre de la force de réaction rapide européenne
fait l'objet d'une coopération étroite avec nos partenaires néerlandais. Cette
mise en commun sera, en effet, l'un des moyens de combler des déficiences
européennes. La France joue là son rôle d'impulsion de la défense européenne.
Je n'évoque pas maintenant l'A400M puisque je sais qu'il fera l'objet de
plusieurs autres questions.
Je veux, à propos de la disponibilité opérationnelle des matériels, indiquer
également à M. André Boyer que notre système de forces « préparation et
maintien de capacité opérationnelle » connaît une réorganisation pour mieux
répondre aux besoins. Il est fondé sur la création de structures spécialisées :
le service de soutien de la flotte, le service de maintien des matériels
aéronautiques de la défense et, bientôt, la structure de maintenance des
matériels terrestres.
Il s'agit là, monsieur Boyer, de structures qui oeuvrent pour les besoins de
l'Etat et qui passent des commandes au nom de celui-ci. Je ne vois donc pas
comment nous pourrions les dispenser de respecter le code des marchés publics,
même s'il faut, bien entendu - et c'est logique -, que le ministère de la
défense fasse, au travers de ces structures spécialisées, la meilleure
exploitation des dispositions de ce code. Faire appel à la concurrence et
comparer aussi objectivement que possible les différentes propositions fait de
toute façon aussi partie des missions de l'Etat, et mon ministère doit
naturellement se conformer à la règle.
Une question portait sur l'instruction aéronautique.
Alors qu'elles avaient échoué sous les gouvernements précédents, les
réorganisations industrielles menées par ce gouvernement ont permis de
constituer en Europe un géant de taille mondiale, l'
European aeronautic
defense and space company,
autrement dit EADS, qui est présent sur tous les
marchés, qu'ils soient militaires ou civils. C'est le meilleur représentant de
l'Europe sur la plan aéronautique.
Le lancement du programme d'études SCAFE concernant la réalisation des études
pour le futur avion de combat européen démontre par ailleurs la volonté
politique partagée de conserver en Europe toutes les capacités industrielles
nécessaires. A M. Pintat, qui constate l'existence d'un projet américain, je
veux rappeler que, depuis cinquante ans, les produits de l'aviation de combat
française ont toujours été en compétition avec des aéronefs de fabrication
américaine. Les Etats-Unis étaient confrontés à un problème de remplacement de
génération de matériels et, pour leur nouveau projet, ils ont attribué le
marché à l'un des grands constructeurs en compétition : Lockheed Martin.
Sachant que le projet
Joint Strike fighter
, ou JSF, est encore sur le
papier et que de nombreux obstacles devront sans doute être franchis avant sa
réalisation, je ne vois pas pourquoi on considérerait que cette concurrence
menace davantage le Rafale que les F 15 ou les F 16, non menacés, et les
Mirage, qui ont obtenu des marchés importants dans la génération en cours
d'emploi.
Sur l'Europe de la défense, j'ajoute une observation, à savoir que l'Union
européenne dispose aujourd'hui - et c'est un accomplissement de ce gouvernement
- des structures nécessaires pour conduire une opération militaire.
Ces structures fonctionnent. Leurs procédures de travail ont été validées, et
l'Union européenne déclarera ses capacités opérationnelles à la réunion du
Conseil européen qui se tiendra la semaine prochaine à Laeken.
L'harmonisation et le renforcement des capacités militaires de l'Union
européenne se poursuivent. La France y contribue pour environ 20 % et elle
impulse le comblement d'un ensemble de déficiences objectivement constatées par
nos partenaires et nous-mêmes.
En cette fin de période de programmation, la construction d'une armée
européenne, l'engagement de nos armées, tant à l'extérieur que sur notre
territoire national, la mise en place de l'Europe de la défense, sont autant de
réels accomplissements qui montrent que la politique de la défense menée par ce
gouvernement et financée par les budgets successifs a atteint des résultats
essentiels.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement estime justifié que le présent
projet de budget soit adopté.
(Applaudissements sur les travées socialistes.
- Mme Luc applaudit également.)
M. Jean Faure,
rapporteur pour avis.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Faure, rapporteur pour avis.
M. Jean Faure,
rapporteur pour avis.
Avec la même courtoisie que celle dont M. le
ministre a fait preuve pour me répondre, je tiens à lui dire que nous ne
parlons pas de la même chose s'agissant des services de santé.
J'ai parlé d'un déficit réel de médecins et de recrutements insuffisants pour
le combler. M. le ministre me répond en annonçant des ouvertures de postes
visant à recruter de jeunes étudiants en première année, qui ne seront médecins
que dans huit ou neuf ans. Ces ouvertures de postes ne changent donc rien au
problème actuel.
De quarante à cinquante postes de médecin sont à pourvoir chaque année et, sur
une douzaine de candidatures, seules cinq donnent lieu à une embauche. Le
déficit se creuse donc d'année en année, et, sur ce point, vous ne pouvez, me
semble-t-il, qu'être d'accord avec moi, monsieur le ministre.
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Monsieur Faure, vous avez pu observer, même si
vous ne l'avez pas mentionné dans votre intervention, ce qui est regrettable -
je vous le dis toujours avec la même courtoisie -, que la compétition pour ces
postes est ouverte à des médecins civils en cours de carrière que l'on voudrait
recruter dans les armées.
La transformation des armées, qui a été décidée en 1996 avec votre
approbation, s'est fondée sur une période de transition de six années. Les
conscrits représentaient plus de 30 % des moyens humains des services de santé.
Il n'était naturellement du pouvoir de personne de recruter des médecins en
nombre suffisant pour la fin de la période de transition, alors que leur durée
de formation est de neuf ou dix ans !
Il a donc fallu s'adapter et procéder à des revalorisations - certes tout à
fait justifiées - des postes de médecin, de manière à les rendre attractifs.
C'est ce qui a, par exemple, conduit le Gouvernement à augmenter très
substantiellement la rémunération des gardes des médecins du service de
santé.
Je pense donc qu'il y aurait là, si la majorité sénatoriale voulait l'examiner
objectivement, un motif de plus pour voter le projet de loi de budget de la
défense.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Elle l'a examiné attentivement
!
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers
collègues, le projet de budget de cette dernière annuité de la programmation
appelle un jugement contrasté.
Il comporte un titre III positif, qui fait droit à des demandes formulées ici
depuis longtemps en faveur de l'amélioration de la condition militaire et de
l'activité des forces. Cet effort est en cohérence avec le principe d'une armée
professionnelle, qui repose sur l'attractivité du métier des armes, nécessaire
à un recrutement de qualité, ainsi que sur sa disponibilité, que conditionne un
entraînement de haut niveau. Mais une armée professionnelle suppose aussi des
matériels performants et pleinement opérationnels. Or, à l'exception du
nucléaire, judicieusement conforté, les crédits d'équipement, cette année
encore, sont excessivement contraints.
Ce projet de budget conclut, en termes d'équipements, une programmation qui,
au fil des encoches et des annulations, aura manqué, même si l'on prend en
compte la revue des programmes, de l'équivalent d'une annuité de crédits
consommés. Ainsi, en 2001, les annulations en cours d'année de crédits de
paiement ont atteint 6 milliards de francs.
C'est enfin par une réduction de 800 millions de francs sur le titre V du
présent projet de budget que vous proposerez tout à l'heure au Sénat de
financer l'allégement du temps d'activité des militaires.
Malgré cela, cette programmation, nous dit-on, a bénéficié d'un des taux
d'exécution les plus élevés par rapport aux précédentes lois de même nature.
Rappelons-nous cependant que les dotations d'équipement prévues par l'actuelle
programmation étaient elles-mêmes, initialement, en retrait de 20 milliards de
francs par an par rapport à celles qui l'ont précédée et que, en contrepartie,
lors de la revue de programmes, l'engagement avait été pris par le Premier
ministre de maintenir la dotation constante à 85 milliards de francs de 1999.
Or cette dotation n'aura en définitive été reprise dans aucune des lois de
finances initiales de ces trois dernières années.
Les conséquences négatives sur la modernisation de certains équipements, sur
leur entretien et sur leur disponibilité ont été décrites par les rapporteurs.
Je n'y reviendrai pas. Elles fondent cependant, pour une très large part,
l'avis défavorable émis par la majorité de la commission.
Le projet de budget pour 2002 parachève aussi la réforme de la
professionnalisation. Cette réforme majeure, nécessaire et courageuse, a
justifié et conforté l'adaptation de nos forces au nouveau contexte
stratégique, et les attaques du 11 septembre n'ont pas affecté sa pertinence
générale. Il convient, je crois, de rendre hommage aux membres de la communauté
militaire, qui, malgré les bouleversements engendrés par cette réforme, ont été
les artisans de son succès.
M. Michel Caldaguès.
Très bien !
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères.
La
professionnalisation ne signifie cependant pas que ceux qui ne choisissent pas
le métier des armes doivent être tenus à l'écart de l'action de sécurité et de
défense conduite par nos unités d'active. Le volontariat et la réserve sont
indissociables de la professionnalisation : ils l'enrichissent et la
complètent. L'apport de la réserve, en particulier -, M. le Premier ministre
l'a d'ailleurs rappelé -, est nécessaire, dans le cadre des opérations
extérieures comme dans celui de la sécurité intérieure.
Pourrez-vous, monsieur le ministre, nous préciser les grandes lignes du plan
d'action décidé par le Gouvernement pour atteindre les objectifs d'effectifs
requis par la réserve opérationnelle et les moyens qui lui seront associés ?
Ma seconde question concerne l'avenir de notre industrie d'armement. Vous avez
parlé avec fierté - et c'était justifié - de EADS, mais qu'en est-il de GIAT
Industries ? L'aménagement du statut de la DCN est actuellement en débat au
Parlement. Une adaptation du statut de GIAT Industries serait également
nécessaire. Chacun connaît les graves difficultés du secteur : elles ne
facilitent pas une transition statutaire souple. Cependant, les atouts
technologiques existent et les compétences humaines sont là.
Compte tenu aussi de l'urgence à procéder aux évolutions indispensables,
pourriez-vous, monsieur le ministre, nous indiquer les résultats de votre
réflexion sur cette question pour permettre à GIAT Industries, structure
sous-capitalisée, de trouver une logique industrielle et commerciale qui
favorise son insertion dans l'ensemble européen ?
M. Jean-Guy Branger.
Très bien !
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères.
En conclusion, nous
constatons que le projet de budget de cette année est déséquilibré au détriment
des équipements. En rendant illusoire la transition avec la prochaine loi de
programmation, il risque de compromettre l'avenir et notre progression vers le
modèle d'armée de 2015 que nous nous sommes, tous ensemble, donné voilà cinq
ans et qui se voulait l'instrument d'une influence internationale ambitieuse
pour la France et pour l'Europe.
(Applaudissements sur les travées de
l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Je focaliserai mon propos sur quelques-unes des
questions soulevées par M. de Villepin, sans revenir sur les appréciations
politiques qu'il a, bien naturellement, portées de façon globale sur ce projet
de budget. Il est tout à fait normal que l'opposition joue son rôle, mais le
Gouvernement a déjà répondu sur ce point.
Je sais gré à M. de Villepin d'avoir relevé l'effort réalisé en faveur de la
condition militaire. Ce dernier s'inscrit dans la logique de notre politique
volontariste de professionnalisation des armées et répond à notre souci de
préserver l'attractivité des carrières militaires.
Cette action porte ses fruits, puisque les recrutements s'effectuent de façon
satisfaisante pour l'ensemble des spécialités. Nous recrutons en effet des
candidats dans tous les domaines d'intervention, ce qui représente une très
large gamme de métiers, avec un taux de sélection conforme à nos attentes. Cela
nous permet d'atteindre les objectifs fixés dans la loi de programmation
militaire.
En outre, je souhaiterais souligner, comme l'a fait M. de Villepin, que les
volontaires ont leur place dans les armées. Cette innovation figurait dans la
loi de programmation militaire de 1996, que le Sénat avait approuvée, mais le
statut des volontaires n'avait pas encore été précisément défini. Il avait été
alors imaginé de les indemniser à hauteur de 2 000 francs par mois - je vous
renvoie au texte de la loi sur ce point -, ce qui ne rendait sans doute pas
cette fonction très attirante.
Depuis lors, la réflexion s'est réorientée vers la mise en place d'un statut
professionnel de courte durée pour ces jeunes volontaires, dont la rémunération
est maintenant équivalente au SMIC et qui bénéficient d'un important effort de
formation, lequel prolonge une tradition particulièrement riche en la matière.
En effet, les armées françaises ont mené au fil des générateurs et continuent
de mener avec beaucoup de coeur une action très profonde de formation et
d'insertion. Je suis persuadé que la catégorie des volontaires rendra de grands
services aux différentes armes et sera pleinement adoptée par la communauté
militaire.
S'agissant de la réserve, elle voit bien sûr ses missions et sa conception
même renouvelées, comme l'a souligné M. de Villepin, dans l'optique de la
réforme des armées.
A cet égard, 2002 sera une année charnière pour la nouvelle réserve militaire
: les derniers appelés ont achevé leur temps de service actif et la réserve
doit jouer pleinement son rôle de complément des forces d'active et de trait
d'union avec la société civile. A l'occasion du séminaire sur les réserves, le
Premier ministre a annoncé un certain nombre de priorités, parmi lesquelles
figurent notamment le développement de l'intérêt des jeunes pour la nouvelle
réserve grâce à des activités attractives et à l'élaboration d'une formule de
transition entre la préparation militaire et un premier stage dans la réserve
au cours de l'été suivant, ainsi que la création d'une prime de fidélité au
bénéfice des réservistes, à laquelle avait déjà travaillé mon ami Jean-Pierre
Masseret lorsqu'il servait à mes côtés. Pour 2002, 8,3 millions d'euros
supplémentaires sont de nouveau alloués à la réserve, dont les crédits seront,
au total, légèrement supérieurs à 67 millions d'euros.
En ce qui concerne GIAT Industries, le marché auquel il s'adresse tend
aujourd'hui à se stabiliser, c'est-à-dire que la baisse du chiffre d'affaires
enregistrée au titre des armements terrestres, qui a été le grand obstacle à
l'adaptation de l'entreprise, est maintenant enrayée. GIAT Industries poursuit
sa réorganisation industrielle, qui lui permet de mieux se mesurer, en termes
de productivité, à ses principaux concurrents. Nous achevons la mise en oeuvre
du plan stratégique d'adaptation des effectifs de GIAT Industries, qui s'est
déroulée sans rupture, sans entraîner de conflits graves sur les plans social
et territorial. Il reste maintenant à GIAT Industries à chercher à établir les
partenariats internationaux qui lui permettront d'élargir ses perspectives et
d'atteindre de nouveaux marchés : un certain nombre de contacts ont été pris à
cet égard, qui sont prometteurs.
M. le président.
Nous allons maintenant passer aux questions.
La parole est à M. Masseret.
M. Jean-Pierre Masseret.
Je vous poserai une rafale de questions, monsieur le ministre !
(Sourires.)
Comme vous l'avez souligné, les problèmes de sécurité et de défense doivent
être envisagés selon une approche européenne. Il est donc indispensable que la
prochaine loi de programmation militaire s'inscrive dans cette perspective,
mais la mise en place de forces de réaction rapide et l'acquisition de
capacités stratégiques seront-elles possibles avec des dépenses militaires d'un
niveau tel que celui que l'on observe actuellement dans les différents Etats
membres de l'Union ?
En outre, comment parvenir à harmoniser les programmations militaires
européennes sans avoir procédé à une analyse stratégique commune ? Autrement
dit, peut-on réaliser un Livre blanc européen ? Existe-t-il, sur ce plan, une
réelle volonté commune des Etats membres de l'Union européenne ?
Par ailleurs, peut-on envisager - faut-il envisager - une inflexion dans la
politique d'équipement militaire, afin de donner une plus grande place, demain,
aux programmes liés au renseignement, aux missiles de croisière, à l'espace
?
Quant à la dissuasion nucléaire, son poids budgétaire s'accroît sensiblement
après des années de décrue. Les programmes prévus, que je ne rappellerai pas
ici, car ils sont connus, sont lourds : à l'horizon 2015-2020, peut-on
envisager que cette charge budgétaire ne soit plus exclusivement nationale ?
Enfin, les gendarmes formulent, selon des modalités contestables, à mon sens,
au regard de leur statut militaire, deux catégories de revendications : ils
réclament plus de temps libre, pour être au diapason des autres salariés dans
notre société et, surtout, un système indemnitaire mieux adapté à la diversité
et aux difficultés spécifiques de leurs missions.
A cet égard, je voudrais souligner, monsieur le ministre, que, sous votre
impulsion, ce gouvernement a fait davantage progresser ce dossier que n'importe
lequel de ses prédécesseurs. Cependant, pour permettre un traitement plus
global de ce sujet, ne serait-il pas pertinent de faire évoluer la loi de 1903
? Par conséquent, est-il envisageable de préparer une nouvelle loi organique,
plus adaptée aux réalités d'aujourd'hui ? Ne serait-ce pas là un signal positif
à adresser aux gendarmes ?
(Applaudissements sur les travées
socialistes.)
M. Hilaire Flandre.
Il a bien fait de quitter le Gouvernement !
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
L'Europe est présente dans le projet de loi de
programmation militaire, monsieur Masseret. C'est d'ailleurs l'une des raisons
pour lesquelles cette dernière prévoit des crédits supérieurs aux budgets
actuels, car il faut bien que certains pays, à l'instar de la France, fassent
preuve de volontarisme pour amener l'Union européenne à se doter notamment de
capacités stratégiques de haut niveau, déficitaires chez la plupart de nos
partenaires.
Dans cette optique, nous avons donné la priorité aux missiles de croisière,
dont les premiers exemplaires nous seront livrés en 2003, sur la base du seul
programme de ce type en Europe, franco-britannique en l'occurrence.
De même, nous avons anticipé cette année le lancement du navire de
renseignement MINREM - moyens interarmées navals de renseignements
électromagnétiques - qui constitue un élément de réponse au défi du
terrorisme.
Plus globalement, le « catalogue de capacités », dont la négociation a été
entamée entre les Européens et qui décrit les potentiels militaires que ceux-ci
veulent mettre en place ensemble pour atteindre leurs objectifs, constitue une
amorce de loi de programmation européenne et permet d'engager la discussion,
bien entendu purement politique, sur le niveau de contribution des différents
pays.
Certes, nous ne sommes pas encore parvenus à instaurer un dispositif aussi
rigoureux et exigeant que les critères de convergence qui ont été mis en place
sous l'impulsion de plusieurs pays, dont le nôtre, pour réaliser l'union
monétaire, mais il existe déjà ce que l'on appelle, dans notre jargon, la «
comparaison par les pairs ». Une certaine pression politique s'exerce donc,
jusqu'au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement, quant aux efforts de
défense consentis par les uns et les autres.
Nous agissons ainsi de façon progressive, mais avec une forte volonté
politique, pour que les différents Etats membres de l'Union partagent l'effort
de défense plus équitablement. Quand ce partage concernera-t-il jusqu'aux
moyens de dissuasion ? Une telle évolution ne peut être envisagée qu'à moyen ou
à long terme, mais il apparaît tout de même que, du fait de la mise en commun
de nombreuses idées et de nombreux projets en matière de défense, le regard de
nos amis européens sur la force de dissuasion nucléaire française a sans doute
déjà changé : le sentiment d'incompréhension, voire la réticence, éprouvé
jusqu'à présent par certains de nos partenaires tend à s'effacer.
S'agissant de la gendarmerie, je formulerai simplement deux observations.
Tout d'abord, comme l'a relevé M. Masseret, le budget de la gendarmerie a
fortement augmenté, mesdames, messieurs les sénateurs, pour passer de 21,5
milliards de francs en 1997 à 25 milliards de francs en 2002.
Par ailleurs, il est en effet nécessaire de réfléchir sur l'avenir de la
gendarmerie. La loi de programmation de 1996 avait mis l'accent, ce que je
comprends très bien, sur la transformation complète de nos armées, et ses
dispositions visant la gendarmerie étaient inspirées par une certaine
continuité.
Toutefois, devant les défis de sécurité intérieure qui s'imposent maintenant à
nous et eu égard à l'exposition internationale de la gendarmerie qui a été
évoquée par d'autres orateurs, une réflexion doit être menée sur un projet
d'avenir pour cette arme. M. le Premier ministre y a d'ailleurs récemment fait
allusion. Dans cette perspective, qui doit permettre de mobiliser les énergies
et de nouer une relation confiante avec les représentants des personnels, la
question de l'adaptation du statut traditionnel de la gendarmerie sera
nécessairement ouverte.
M. le président.
La parole est à M. Plasait.
M. Bernard Plasait.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais
revenir sur ce fait sans précédent qui a été déjà mentionné, à savoir la
manifestation hier matin, dans la région de Montpellier, de 400 gendarmes en
uniforme. Les policiers, qui expriment depuis plusieurs semaines leur
mécontentement, sont donc désormais rejoints par leurs collègues de la
gendarmerie nationale.
Nous ne pouvons guère nous en étonner, puisque le Sénat a mis depuis plusieurs
années en évidence la dégradation du climat général dans la gendarmerie. Cela
étant, à défaut de nous en étonner, nous devons nous inquiéter de cette
évolution, car nous connaissons leur attachement à leur statut et à ses
obligations : il faut que la coupe ait été bien pleine pour que les gendarmes
décident de manifester publiquement, tout en trouvant le moyen de le faire avec
dignité !
Quelles sont les causes profondes de cette grave crise ? L'activité de cette
arme est très intense : ses missions, qui sont tant intérieures qu'extérieures,
se multiplient ; 65 000 gendarmes seront mobilisés pour assurer le passage à
l'euro dans de bonnes conditions ; tous les personnels sont concernés par le
plan Vigipirate, et plus d'un millier d'entre eux sont engagés hors de nos
frontières.
Mais c'est surtout dans les secteurs sensibles que les responsabilités de
l'arme sont de plus en plus lourdes, puisque la délinquance explose sur
l'ensemble du territoire, y compris, bien sûr, dans les zones de compétences
traditionnelles de la gendarmerie. Les gendarmes sont donc sur tous les
fronts.
L'accroissement considérable des missions ne peut se concevoir que si les
effectifs sont accrus, mais la seule ressource supplémentaire réelle réside
principalement dans le volontariat. Toutefois, encore faut-il que les gendarmes
adjoints soient convenablement formés, comme l'ensemble des personnels, au
demeurant ! Mais cette nécessité est aujourd'hui battue en brèche par les
contraintes imposées aux unités : c'est en particulier le cas pour les
escadrons de gendarmerie mobile, qui consacrent de moins en moins de temps à la
formation pour préserver leurs capacités opérationnelles.
Cette insuffisance des effectifs engendre, naturellement, une surcharge de
travail. Ainsi, les intéressés accomplissent soixante-dix heures par semaine en
moyenne, ce qui est une distorsion avec la société civile très difficile à
supporter à l'heure de la réduction du temps de travail.
Les personnels effectuent toujours plus d'heures, dans des conditions de moins
en moins bonnes. Par ailleurs, les logements des gendarmes et de leurs familles
sont en nombre insuffisant, l'équipement individuel et celui des unités ne
suivent pas, et certains types de véhicules ne sont pas adaptés à la poursuite
des véritables bolides que possèdent les délinquants.
Si les gendarmes s'expriment désormais au grand jour, alors qu'ils ont
toujours supporté des conditions de travail difficiles, c'est bien parce qu'ils
souffrent de la grande inadaptation de leur situation à l'accomplissement de
leurs missions !
Monsieur le ministre, j'ai entendu tout à l'heure votre réponse aux
préoccupations exprimées par notre éminent collègue Philippe François : le
Gouvernement a déjà beaucoup fait, avez-vous dit, et il compte poursuivre ses
efforts. Je souhaiterais cependant savoir jusqu'où vous comptez aller en
matière de contreparties financières à accorder aux gendarmes, compte tenu du
passage aux 35 heures de l'ensemble des personnels civils de votre ministère. A
tout le moins, quelles mesures de valorisation envisagez-vous pour tenir compte
des charges particulières dont sont investies certaines catégories de gendarmes
?
Monsieur le ministre, depuis le 11 septembre, le monde a changé, et je suis
convaincu qu'il faudra revoir bien des choses, dans le domaine tant de la
sécurité extérieure que de la sécurité intérieure. Il faudra demander
durablement des efforts importants à tous ceux qui sont engagés dans ces
missions de première importance, mais on ne peut imaginer que ce soit sans
contrepartie, sans la reconnaissance de la nation, aussi bien morale que
matérielle.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Dans le temps qui m'est imparti, je serai obligé
de concentrer ma réponse sur certains des aspects de la question très large de
M. Plasait.
A cette occasion, je veux rendre hommage au rôle joué par les parlementaires
de cette assemblée comme par ceux de l'Assemblée nationale : relayant les
préoccupations légitimes des militaires en général et des militaires de la
gendarmerie en particulier, ils permettent à notre vie démocratique de prendre
pleinement en compte les aspirations et les besoins des intéressés.
M. Plasait a évoqué les jeunes gendarmes adjoints volontaires. Les 14 000
postes créés à cet effet représentent un potentiel humain important au service
de la gendarmerie nationale. La durée de formation de ces jeunes gendarmes
adjoints a déjà été allongée et, dans les unités où ils servent, les gendarmes
professionnels font un effort remarquable pour soutenir leur intégration. Ces
jeunes représentent en tout cas une ressource humaine supplémentaire, et leur
nombre va encore augmenter au cours des mois qui viennent.
Le travail de concertation mené avec les représentants de l'arme au sein de la
réunion exceptionnelle du conseil de la fonction militaire gendarmerie, qui
s'est tenue le 28 février 2000, a permis de prendre des mesures au cours de
l'année 2000. J'ai d'ailleurs vérifié de nombreuses fois au cours de mes
déplacements qu'un certain nombre de charges avaient été allégées.
L'Observatoire social de la défense, qui est totalement indépendant de la
hiérarchie, indique ainsi que, en moyenne, entre le début de l'année 2000 et le
début de l'année 2001, la charge de travail des personnels de gendarmerie dans
les unités territoriales a pu être soulagée de trois heures hebdomadaires
environ.
Il faut poursuivre cet effort et, comme je l'ai dit tout à l'heure, le
Gouvernement le fera en s'appuyant sur le rôle essentiel que jouent les
représentants statutaires des militaires au sein du conseil de la fonction
militaire et les représentants élus des unités.
Nous avons déjà décidé et financé la création de 1 700 postes de
sous-officiers et décidé la création de 3 000 postes supplémentaires, ce qui
représentera, au total, une ressource humaine de près de 5 000 personnels
supplémentaires.
Il convient d'y ajouter un gain d'environ 3 000 postes, grâce à l'achèvement
du programme d'intégration des volontaires. Cela représentera un véritable
allégement des charges de travail importantes que supporte la gendarmerie.
Le Gouvernement, je le répète, est convaincu que les personnels de la
gendarmerie sont motivés par leur volonté de bien mener leur mission au service
de la sécurité publique, mais il faut qu'ils en aient les moyens. C'est sur
cette base que nous pousuivrons nos efforts financiers... à condition, bien
entendu, que le Parlement les soutienne.
M. Philippe Richert.
C'est insuffisant !
M. Bernard Plasait.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Plasait.
M. Bernard Plasait.
Je prends acte des réponses de M. le ministre et je le remercie de m'avoir
répondu de manière détaillée.
M. le président.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les
reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt-cinq, est reprise à vingt et une
heures trente-cinq, sous la présidence de M. Daniel Hoeffel.)